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DAKOTA DU NORD
moins cher. Sinon ils partent », explique Ward Koeser. Deux policiers de Watford ont même rendu leur insigne l’an dernier pour rejoindre l’oil business, au moment où on aurait le plus besoin d’eux. le boom apporte son lot de nuisances : bouchons, accidents, vols, prostitution… habitués aux relations de voisinage faciles, les locaux grincent des dents. ils supportent mal les camps de nomades. « On les appelle les gipsy truckers », siffle un habitant de Watford. les « routiers gitans ».
la ruée vers l’or noir
Cela fait au moins un demi-siècle que les Etats-Unis n’ont pas connu un tel boom. Les plaines désertes du Dakota du Nord se couvrent de puits et de derricks, et voient affluer une main-d’œuvre avide de salaires mirobolants. Par Maxime Robin photos : Dave Arntson illustrations : Zoé Trois heures que la Subaru a quitté Bismarck, la capitale du Dakota du nord, et roule plein ouest entre ciel et prairie. le portable ne capte plus de réseau, le trafic sur l’interstate 94 est proche du zéro absolu. la région du Bakken, nouveau pays de l’or noir, n’est plus très loin. ici, tout le monde n’a que ça en tête. les habitants eux-mêmes reconnaissent que « le seul truc qui tient la comparaison, c’est la ruée vers l’or de 1848 ». sur un panneau, à l’entrée de la ville d’alexander, en guise de bienvenue : les dix commandements de la Bible. les premières pompes à pétrole apparaissent dans les champs. Couleur rouille, elles répètent inlassablement leur mouvement de pompage. puis c’est le derrick : cette plate-forme à tour de 40 m de haut qui soutient le dispositif de forage des puits. aujourd’hui, il y en a 200 dans le Bakken (contre 30 en 2009), et il faut au moins 100 personnes à plein temps pour en faire tourner un seul. a l’approche de la ville de Williston, on compte toujours plus de pompes et de derricks. les camionsciternes engorgent maintenant la route et klaxonnent à tout-va. les routiers sont pressés, ils sont payés au baril. Entre des pelleteuses Caterpillar et des maisons préfabriquées, un bar karaoké propose des pintes de bière à 2 dollars. Dans les villes du Bakken, le taux de testostérone 116
Un milliard de dollars de royalties
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a fortement augmenté en deux ans. les mobil-homes et les caravanes pullulent : ce sont les man-camps où dorment les ouvriers. pour loger ses employés, la firme halliburton a été jusqu’à importer le village olympique de Vancouver au cœur de cet oil country.
« Cette ruée dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer. Ça va beaucoup trop vite. » Produire davantage que le Texas En mai dernier, une conférence intitulée « Bakken Gold, le meilleur est encore à venir » a réuni hommes politiques, lobbyistes et compagnies pétrolières au palais des congrès de Bismarck. le gouverneur de l’Etat, Jack Dalrymple, et le régulateur en chef de l’industrie, lynn helms, entre autres, se sont succédé au micro. ils savourent et voient loin, et ont annoncé 40 000 puits en exploitation d’ici à 2020 et un objectif clair : dépasser le texas et devenir les premiers producteurs du pays, « pour le Dakota du Nord, pour l’indépendance énergétique de la nation ». une vieille chimère réalisable d’ici cinq ou huit ans si les choses suivent leur cours : le Dakota du nord dépasse déjà l’Equateur, membre de l’opep. De bon matin, dans son
bureau, Ward Koeser, le maire de Williston, se prépare à une longue journée entre les permis de construire à signer, un projet de nouvel aéroport, les repas avec les directeurs de compagnies… « Cette ruée dépasse tout ce qu’on pouvait imaginer… souffle-t-il. Ça va beaucoup trop vite. » En 2007, la ville comptait 15 000 habitants. Combien aujourd’hui ? 25 000, 30 000 ? Ward Koeser n’est pas sûr. il gère comme il peut sa ville-champignon. Et les compagnies pétrolières manquent encore de bras. Dans une amérique en récession, elles proposent des salaires de 100 000 dollars par an. les hommes en mal de job accourent de tout le pays, des jeunes sans diplôme aux seniors avec des traites à rembourser. a Williston, le taux de chômage est de 1 %. l’immobilier explose : une place de parking au milieu de nulle part se négocie 1 500 dollars par mois, une chambre meublée, 3 000 dollars. plus cher qu’à manhattan. « On construit pour trois personnes, il en arrive cinq ! Les compagnies louent tous les appartements, ça tire les prix à un niveau incroyable », déplore l’élu. a Watford, qui compte officiellement 1 744 habitants, même le shérif vit dans un mobil-home, mais il paie 800 dollars « seulement » au lieu des 5 000 habituellement demandés aux ouvriers ! « On doit augmenter les fonctionnaires et les loger pour
le bassin de Bakken dort à 3 000 m de profondeur. Cette formation géologique de 520 000 km2 (la France fait 543 965 km2) s’étend sous une partie du Dakota du nord, du montana et de la saskatchewan, au Canada. s’agissant de pétrole de schiste, seules les nouvelles techniques de forage par fracking (fracturation hydraulique) le rendent exploitable. Cette technique coûte dix fois plus cher qu’un puits classique, mais permet d’extraire beaucoup plus. motivés par le cours mondial élevé du brut, les investisseurs ont lancé l’assaut. « Ce n’est pas le boom le plus spectaculaire de l’histoire de l’humanité. Mais il entre facilement dans mon top 10 », concède David hobbs, analyste stratégique en hydrocarbures. Qui y gagne ? les compagnies pétrolières, bien sûr. l’Etat aussi, dont les caisses débordent, et les habitants : le nombre de millionnaires a doublé en deux ans. les heureux propriétaires des droits minéraux se sont
Le Dakota du Nord en chiffres
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1. JACk DALrympLE, goUvErNEUr DU DAkoTA DU NorD, à LA CoNférENCE «BAkkEN goLD ». 2. LEs pompEs oN ENvAhi LA régioN. 3. LEs CAmioNs TrANsporTANT LEs BAriLs AU pArE-ChoCs CoNTrE pArE-ChoCs. 4. WArD koEsEr, mAirE DE WiLLisToN.
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Population : environ 684 000 habitants, 3e Etat le moins peuplé des Etats-Unis. Taux de chômage : 3% en mai 2012 (le plus bas des Etats-Unis). Rang : 2e état producteur de pétrole des Etats-Unis (10% de la production nationale totale), après le Texas et devant l’Alaska. Nombre de puits et derricks : 7000 en activité. Production : 575000 barils de bruts par jour (près de 91,5 millions de litres). Salaire annuel moyen à Williston en 2011 : 71000 $ (environ 56000 €) contre 31000 $ (24500 €) en 2006. Taxe : 1,2 milliard de dollars (environ 950 millions d’euros) de taxes pétrolières récoltées par l’Etat en 2011.
partagé, en 2009, 1 milliard de dollars de royalties. En 2012, ce sera encore bien davantage. Beaucoup de ces chèques s’envolent hors de l’Etat, vers de lointains héritiers qui ont fui depuis longtemps ce désert humain, mais, selon les estimations, la moitié de cet argent reste tout de même au Dakota du nord. ici, le fermier qui possède une terre ne détient pas forcément les droits minéraux du soussol. Jusqu’à 16 personnes peuvent se partager les droits d’un seul acre. mais combien leur rapporte le pétrole ? selon plusieurs sources, les droits minéraux démarreraient à 500 dollars et grimperaient jusqu’à 80 000 dollars par mois selon le contrat signé, la qualité du puits et le cours du brut. le président de l’association nationale des détenteurs de royalties (naro), Jerry simmons, a calculé qu’« ici, environ 67 000 personnes possèdent des droits minéraux. » un contrat bien ficelé leur assure 20 % du prix du baril pompé dans leur sol. pourtant, on ne croise pas de grosses voitures allemandes ni de limousines sur les routes. on ne voit pas non plus de grosses maisons qui en jettent, mais des caravanes et des bêtes à cornes qui paissent dans des enclos immenses. où va l’argent ? « Les habitants ne le montrent pas. Ils l’envoient à la banque ou le cachent sous le matelas », explique nathan Conway, directeur d’exploitation pour la 117
GOOD WORLD GooD Boom No fracking : no boom
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pour «fracker» un puits, il faut : 8 millions de litres d’eau (soit trois piscines olympiques), 1500 tonnes de sable, des produits chimiques comme l’alcool isopropylique, le méthanol, l’éthylène glycol (utilisé dans le liquide de refroidissement des voitures) et d’autres substances parfois cancérigènes en très grande quantité. Cette mixture devient un déchet. Le Dakota la réinjecte dans le sol, dans des puits nommés «saltwater disposal» (collecteur de saumure). En 2005, le Congrès a décidé que le fracking passerait outre les critères du safe Water Drinking Act (loi sur l’eau potable), accélérant son développement, et, actuellement, l’Environmental protection Agency (EpA) n’est pas autorisée à contrôler la qualité de l’eau autour des puits. Des opposants au fracking existent au Dakota du Nord, mais ils sont minoritaires. Les industriels et beaucoup d’habitants assurent que les forages sont trop profonds pour agir sur la qualité de l’eau potable… Le 1er avril dernier, les régulateurs locaux ont légèrement durci leurs exigences. Les exploitants doivent désormais déclarer les solvants utilisés et stocker les millions de mètres cubes d’«eaux sales» dans des conteneurs : avant, ils étaient laissés à l’air libre. La france, quant à elle, a été le premier pays au monde à interdire le fracking, en juin 2011.
parler de l’hiver, qui peut être glacial. les travailleurs fuient la région dès qu’ils le peuvent pour rejoindre leur famille ou partir au soleil. une situation que regrettent les élus. « Ils n’amènent pas leur famille et ne s’intègrent pas à la communauté, ils ne vont pas à l’église, soupire Dennis Johnson. Ici, le ratio démographique est de vingt hommes pour une femme.» Dans la salle d’attente de la gare de Williston, Josh newmann attend le premier train. a 21 ans, il gagne 13000 dollars par mois sur les derricks. «Je bosse quatorze heures par jour, 28 jours de suite. Ensuite je pars deux semaines. C’est le rythme. J’aime bien partir dans les îles, aux Bahamas… » après deux ans de ce régime, Josh a déjà acheté trois maisons en arizona. « Je suis jeune, je n’ai pas de copine.
A 27 ans, j’arrête. Je ferai le tour du monde, je démarrerai de bonnes études. » Josh le sait comme tout le monde ici : le boom ne durera pas. « Ça pourrait durer dix ans, peut-être vingt… », suppose l’analyste David hobbs. « Même le meilleur des géologues ne sait pas où la nappe s’arrête et combien de temps on l’exploitera », reconnaît nathan Conway. En tout cas, le Dakota du nord ne maîtrise pas son destin. l’interdiction du fracking par le Congrès stopperait net le boom. « En une nuit, plus rien ! » frémit un routier. autre menace : un cours mondial du brut sous la barre des 60 dollars. le dernier boom, dans les années 80, avait mal fini. les rues laissées en plan ne menaient nulle part, Williston était plombée par une dette de
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1. DENNis JohNsoN, proCUrEUr DE WATforD. 2. ET 3. LEs viLLEs sE DévELoppENT DE mANièrE ANArChiqUE AUToUr DEs pUiTs.
Ward Williston oil Company. le territoire est profondément conservateur. a Bismarck, l’unique « gratte-ciel » est haut de 16 étages, et c’est le Capitole. le Dakota du nord n’est pas un Etat blingbling. « Ici, vous ne croiserez pas de péquenauds qui veulent refaire leur vie avec yachts et manteaux de vison », sourit Dennis Johnson, procureur à Watford depuis trente ans. une affaire de mentalité, donc. « Certains se construisent une nouvelle maison, s’achètent un tracteur, c’est fréquent, admet le procureur. Mais guère plus. Les rares familles qui détiennent beaucoup de droits minéraux étaient déjà très riches avant ce boom. »
Vingt hommes pour une femme les travailleurs migrants, eux, n’ont pas de pudeur à dire combien le boom leur rapporte. les plaques d’immatriculation des pick-up indiquent qu’ils viennent de tous les Etats-unis. Joe martin, 52 ans, a plaqué son commerce de joaillerie de Fargo, à la frontière avec le minnesota, pour devenir routier. il travaille douze heures par nuit pour 134 000 dollars par an. il héberge son fils Jeff pour un job d’été : laveur de camions. Jeff devrait toucher 19 000 dollars en quatre mois, qui lui permettront de financer ses études. mais à part travailler, dormir ou chasser le faisan, on s’ennuie vite au Dakota du nord. sans 118
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28 millions de dollars. un ancien se souvient des autocollants collés sur les pick-up. « Ça disait : “le dernier qui part de Williston éteint la lumière”. » trente ans après, les locaux aimeraient contrôler davantage les événements. « S’il n’y avait que 100 forages, la vie serait tranquille et tout le monde aurait du boulot. Mais 200 derricks en même temps, c’est trop tendu ! » estime un habitant. pour l’instant, l’Etat et les pétroliers se dépêchent d’engranger avant que la musique ne s’arrête, et le Dakota du nord fait rêver
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L’Etat et les pétroliers se dépêchent d’engranger.
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nathan Conway
35 ans, directeur des opérations au Dakota du Nord de la Ward Williston oil Company. The Good Life : Comment fonctionne Ward Williston ? Nathan Conway : Depuis notre premier puits foré en 1952, nous possédions deux divisions différentes : une branche prestataire de services et une branche production. C’est rare. En mars 2011, nous avons revendu la branche service au Missouri Basin Well Service [le montant de la plus-value reste secret, NDLr]. On recapitalise, on investit dans la prospection et la production. Nous sous-traitons toutes les tâches physiques. TGL : Comment êtes-vous entré dans le business du pétrole ? N. C. : J’ai débuté comme contrôleur de puits, à 16 ans. J’ai ensuite démarré à Ward Williston en 2001 comme assistant du CEO, avant de devenir analyste en prospective et développement, puis chef des opérations en 2010. TGL : Quel est votre salaire ? N. C. : Je ne peux pas vous le dire. Disons que les dirigeants, dans cette 120
industrie, gagnent plus de 200 000 $ par an… TGL : A quels défis le Dakota du Nord fait-il face ? N. C. : Il a toujours été pris pour un Etat low performer, alors le boom fait plaisir ! Par contre, rien n’a été planifié pour faire face à ce surcroît d’activité. Le Dakota du Nord a été pris par surprise ; l’histoire se répète. Il faut davantage de pipelines pour écouler le brut. Aujourd’hui, la moitié du pétrole sort du Dakota par le fret. Un wagon se loue très cher : 4 000 $ par mois, plus 1 $ par baril transporté. Notre brut, compétitif à la base, se retrouve plus cher que le pétrole texan sur les marchés. TGL : Que pensez-vous de la nouvelle loi qui oblige les compagnies à stocker les eaux toxiques du fracking dans des cuves et à déclarer la liste des composants chimiques utilisés, qui pénètrent les sols ? N. C. : Ça nous coûte entre 100 000 et 200 000 $ par puits. Les compagnies pétrolières devraient faire seulement ce qu’elles font le mieux : produire. L’augmentation des coûts est nocive pour la compétitivité et pour l’emploi. Nous avons toujours eu affaire à un Etat oil-friendly, mais des groupes de pression l’orientent vers davantage de régulation. n Je le regrette.
même les jeunes de la côte Est. nasir, 26 ans, a passé deux jours dans le train, depuis le new Jersey, pour venir à Williston : « J’avais entendu sur CNN qu’il y avait des jobs ici. » il a trouvé un travail dans l’heure, « bien mieux payé que dans les casinos d’Atlantic City ». pourtant, il repart au bout de deux jours, faute d’endroit où dormir. « Un type sympa m’a hébergé la nuit dernière, sinon j’aurais dormi dans une église. » nasir repart en bus tenter sa chance à minot, une autre ville du boom, jusqu’à ce qu’il trouve un toit et un job. « N’importe lequel. » n
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1. ET 3. CArAvANEs ET moBiL-homEs
s’ENTAssENT AUToUr DEs pUiTs DE péTroLE.
2. JoE mArTiN, roUTiEr à WATforD. 4. NAsir khAN, vENU TENTEr sA ChANCE. 5. LEs LogEmENTs soNT rArEs ET ChErs.