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MAYOTTE VUE DE L’HEXAGONE : « BEAUCOUP IGNORENT OÙ ÇA SE TROUVE SUR UNE CARTE ! »
Publié le 19.12.2023 sur Ouest-France, par Valérie Parlan
À Albi, dans le Tarn, une association de Mahorais installés dans l’hexagone entretient et promeut la culture de l’île. Une opportunité de raconter autrement leur île natale.
Safinati Bahedja n’en revient toujours pas. Quand elle regarde la vidéo postée sur les réseaux sociaux, elle ne cesse de répéter : « Mais comment notre île en est arrivée là ? » Sur les images tournées à Mayotte, deux personnes rentrant du travail se font agresser dans leur véhicule. Un coup de marteau lancé dans le pare-brise. « Vous vous rendez compte, vous allez au travail un matin et, le soir, vous ne savez pas si vous allez rentrer vivant… Non, vraiment, on ne reconnaît plus notre Mayotte. » À ses côtés, son frère Chahidi et sa sœur, Nida, en conviennent, la vie sur leur île natale n’a jamais été aussi « dure » à raconter.
Entretenir et partager la culture mahoraise
Pourtant, ils aimeraient tant que Mayotte rayonne par bien d’autres faits d’actualité que ceux récurrents de l’insécurité, de l’immigration clandestine, de la pénurie d’eau… Et c’est bien pour montrer un autre visage de leur département qu’ils se sont engagés dans l’association des Mahorais d’Albi (Tarn). Nida, 30 ans, en est la présidente depuis 2019. « Cette association existe depuis une vingtaine d’années et a été créée par des Mahorais installés dans le Tarn et qui voulaient entretenir, partager leur culture et la transmettre aussi à nos enfants. »
Pour la famille Bahedja, arrivée dans la région Occitanie dans les années 2000, se rassembler autour des piliers de la culture mahoraise est essentiel. Dans la fratrie de neuf enfants arrivés pour leurs études, la plupart se sont installés dans le Sud-Ouest. Chahidi est agent municipal, Nida cheffe d’équipe dans une entreprise pharmaceutique et Safinati, cuisinière. « Nos danses, nos chants, nos fêtes traditionnelles font tellement partie de nous, explique Nida. C’est dommage de ne pas en faire profiter nos voisins et amis de l’Hexagone. C’est l’occasion de mieux faire connaître Mayotte parce que c’est fou comme beaucoup ignorent ne serait-ce que là où ça se trouve sur une carte ! »
« Nous avons construit notre vie ici »
À la maison de quartier de Cantepau, les membres de l’association se retrouvent régulièrement pour danser, chanter ou préparer des évènements particuliers comme le Carnaval d’Albi. Une institution locale, qui chaque mois de février, rassemble des milliers de participants. « Cette année, le thème, ce sont les diablotins. Pour le déguisement, on réfléchit à un rappel de notre culture. Peut-être que l’on va imaginer des djinns » , sourit Nida. Un clin d’œil aux créatures surnaturelles de la mythologie arabique et à la religion musulmane, majoritaire à Mayotte. « Les gens savent peu qu’un département français est à 95 % musulman et que tout se passe très bien » , renchérit Safinati. Les valeurs de solidarité, d’entraide et d’ouverture aux autres fondent aussi l’association. « On est réputés être très discrets, reconnaît Chahidi, mais quand il s’agit de mettre en valeur notre île, nous nous serrons les coudes. »
De retour dans l’Océan indien lors de vacances auprès de leurs parents restés là-bas, ils ne se voient pas y repartir définitivement. « Nous avons construit notre vie ici, renchérit-il. Nous sommes très bien intégrés. »
« Nos parents ont connu une île tellement plus tranquille »
Et quand le froid hivernal les rend nostalgiques de la chaleur du pays, ils se plaisent à vanter les beautés de l’île à leurs amis et collègues de l’hexagone. Safinati aime raconter qu’elle a, par exemple, convaincu une connaissance de son travail de partir à Mayotte en vacances. « Elle en est revenue enchantée, tellement étonnée de trouver des plages paradisiaques, un accueil formidable des habitants. Bien sûr, elle a reconnu que côté sécurité, il fallait faire attention… »
Une situation qui rend tellement « triste » leur famille mahoraise. « Nos parents ont connu une île tellement plus tranquille, poursuit Nida. Avec une cohabitation jusqu’alors sereine avec nos voisins Comoriens. Chez nous, nos arrières grands-parents étaient des Comores. Toutes les familles sont liées alors c’est difficile de voir aujourd’hui toutes ces communautés se rejeter. »
À Albi, loin des heurts et des querelles politiques, Nida se réjouit de proposer une autre vision de l’île aux parfums. En enroulant son salouva, tenue traditionnelle mahoraise, autour de ses épaules, elle glisse, ravie : « Bientôt, une autre association va faire vivre notre culture ici et notamment l’art de la cérémonie du debaa qui est très encore très pratiqué par les femmes de Mayotte. On danse, chante notre tradition, c’est très beau… »