Numéri’conte 2012
MÉDIATHÈQUE DÉPARTEMENTALE Arcaël regagne les terres sauvages.
Numéri’conte est le titre donné au projet de création d’un livre numérique programmé dans le cadre du développement des usages numériques auprès des médiathèques du département.
D’octobre à décembre 2012, les communes de Malestroit, Pleucadeuc, Ploeren et Saint-Gildas-De-Rhuys ont proposé à leurs habitants de créer un conte sous forme collaborative. Avec l’intervention de deux professionnels : Jean-Marc Derouen, conteur, et Beno, illustrateur, mis à disposition par la Médiathèque Départementale du Morbihan (MDM), chaque médiathèque a organisé un atelier d’écriture et d’illustration.
Ainsi est né Arcaël, un être androgyne allant de village en village. Cette entité malveillante peut se métamorphoser à volonté.
Arcaël revient à Ploeren.
***
Regarde-les, là, ceux qui ne savent pas. Ces ploerinois en grappe sous les abris-bus, dans la queue de la boulangerie, dans celle de la pharmacie. Ils sourient, de toutes leurs dents. De tous leurs yeux aussi. Tant et tant qu’ils en chopent des rides aux coins des yeux et des bouches. Regarde-les, là. Ceux qui ne savent pas leur destin écrit dans les quatre boules d’un puits. Leur destin annoncé depuis, oui depuis.
A comme Arrive R comme Répugnant C comme Chose maudite A comme Ahhhhhhhhhhhhh ! E comme Envahis-nous L comme Libère l’obscur !!! Arcaël !
Depuis son antre, une simple cabane de chantier, le sorcier Lomig appelle son maître, Arcaël. Dehors, une forêt de pelleteuses, bulldozers et nacelles. Du fond du chaudron de Lomig s’élève une fumée nauséabonde et épaisse. C’est Arcaël.
Maaaaître ! Si tu veux régénérer tes pouvoirs, rends-toi au puits de Ploeren, place d’Armor ! Maaaaître ! J’y ai découvert une source d’énergie monstrueusement puissante. Les Anciens l’appellent Mymivée. Si tu t’en empares, tu décupleras tes pouvoirs et seras éternellement maléfique… Foi de Lomig !
Arcaël se fige. Pas le temps de penser, il fonce vers le vieux puits. Il est temps, il est devenu bien trop faible. Il entend à peine les mises en garde de son disciple.
Attention, Maître, attention à l’ami qui voit dans le noir !
Trois coups de vent plus tard, il est juché au sommet du puits, reposant sur le granit et les lichens. Il fulmine sous le linteau, du ciment bouche le passage. Il tente de s’infiltrer. En vain. Il frotte son corps brumeux contre les visages sculptés des montants qui se mettent à crier, comme si le mal les poursuivait.
Arcaël se gonfle jusqu’à devenir un nuage où roulent deux yeux verts, concentre sa force pour desceller la plaque de ciment. Mais rien n’y fait. Il a pourtant vu en arrivant des badauds puiser de l’eau et la vie s’épanouir sous les gouttes tombées des seaux.
C’est alors qu’il la voit. Une petite vieille, pas très loin, le sourire en coin. Assise sur le banc près du puits, elle tricote. Tricote sans cesse pour occuper ses doigts noueux en laissant filer ses rêves. C’est la vieille Léonie du Manoir de Kermurier.
Hier, trois rats l’ont avertie : Arcaël va revenir. Et elle sait, elle sait comment ouvrir le puits.
Léonie lève la tête, renifle à gauche, renifle à droite. Elle sent la présence d’Arcaël malgré ses yeux voilés. Un petit chien roux, une tache noire et géométrique dessinée à son flanc, jappe non loin.
Un chien, c’est tout ce dont elle a besoin. Léonie s’approche de l’animal, s’adresse à lui dans une langue inconnue. Le chien acquiesce. Soudain, elle plante une aiguille dans le sol, la seconde dans la queue du chien que la douleur étourdit, une goutte du sang canin s’enroule autour de l’aiguille et de l’avant-bras de la vieille femme.
De deux êtres n’en fera qu’un. De deux êtres n’en font qu’un.
Il n’y a plus, près du puits, qu’un chien au pelage noir, ras et rêche les dents usées d'avoir trop grincé. Surgi du néant. Il a une tache rousse et géométrique dessinée au flanc. Il fixe la margelle de deux yeux voilés. C’est la voix de Léonie qui sort du grand corps efflanqué.
Ça faisait longtemps, Arcaël ! Trop longtemps ! Léonie, diable de tricoteuse, passons les mondanités. C’est Lomig qui m’a appelé. Lomig ! Dis-moi, comment va ce vieux fou ? Toujours à trifouiller les fonds de chaudrons ? Ah,Ah,Ah ! Tu veux peut-être entrer dans le puits, non ? Vite, Léonie, vite, je m’épuise !
Le chien noir tourne plusieurs fois autour de la margelle, déterre de ses griffes puissantes une clé.
Mais où as-tu vu une serrure !? Ecoute. Pour passer, Arcaël, remercie les bougres.
Arcaël attrape la clé, s’incline à contrecœur devant les figures des montants. Les visages dévoilent deux larges sourires. Dans celui de gauche apparaît une serrure, Arcaël y glisse la clé. Le ciment se fissure, se volatilise. Arcaël saute.
Fais attention Arcaël ! Attention à l’ami qui voit dans le noir !
Léonie-chien-noir frétille de joie, son plan maintes fois répété avec Lomig son associé "ès-trahison" se déroule exactement comme prévu.
Arcaël chute dans le boyau noir du puits. Il effleure à peine une eau gluante qu’un souffle d’air le projette sur un sol poisseux.
Ah, ah, ah !Nous y voilà ! Tu dois partir !
Arcaël ne distingue rien dans l’obscurité. Qui me parle ? Ses yeux verts scrutent . Son être élastique s’étend , son regard s’obscurcit de milliers de points bleus. Il se nettoie un œil puis l’autre et découvre avec stupeur une sirène à queue de brume. C’est moi ! Elle a le dos tourné. Arcaël tente de s’approcher. C’est peine perdue ! Une bulle l’enserre et l’empêche de se déplacer. Elle fredonne un air doux. Peut-être parce qu’elle est douce. Elle brosse sa longue chevelure avec une grande sérénité. Et c’est toi qui m’as coincé dans cette bulle ? Oui, c’est moi. Tu n’as pas le droit ! Libère-moi ! Non, Arcaël. Je sais ce que tu veux faire de la source. Les gens d’ici sont bons, ils ne s’en servent qu’avec parcimonie, ils savent être nobles. Si je te laisse y aller, tu vas la détruire ! Si je te laisse, tu vas les détruire ! Si je te laisse, tu vas semer la désolation sur cette terre en paix !
Aaaah ! Notre dernière rencontre ne t’a donc pas suffi, sirène ? Tu sais que tu ne peux rien contre moi, à moins que tu n’aies oublié ce que ma magie t’a infligé ? Oublier serait difficile ! Mais je te trouve en bien mauvaise posture pour adopter ce ton ! Je suis juste une créature affaiblie et blessée. Me refuserais-tu ton secours ? Lentement la sirène se tourne, dévoilant son regard aux orbites vides. Arcaël part d’un rire à glacer un insert. Qu’y-a-t-il Arcaël ? C’est ta tête ! Ho ho ho ! Comme tu es laide et affreuse ! J’en ai les larmes aux yeux ! C’est ta tête, tu es affreuse et dépeignée ! Et dis-moi… c’est l’amour qui t’a rendue aveugle ? Ho ho ho ! La sirène reste interdite, elle se repasse la scène qui lui a valu sa cécité. Ah, non ! Où avais-je la tête ! C’est moi ! Comme ça avait été plaisant ! Ça suffit Arcaël ! Tais-toi! La sirène qui était si calme, s’échauffe maintenant. Arcaël fait rouler ses grands yeux verts.
Tu sais, tes yeux ! Tes grands yeux émeraude ! J’ai hésité à les jeter aux pourceaux après te les avoir volés, mais finalement, je les ai gardés, en souvenir de toi. C’est mon côté sentimental. Tu vois on peut presque dire qu’en ce moment, tes yeux te regardent ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !!! Ça suffit Arcaël ! Tais-toi ! Tais-toi ! Tais-Toi ! Sa voix rebondit sur les murs. Elle est si stridente qu’elle fait exploser la bulle qui emprisonne Arcaël. Aussitôt, le brumeux se dilate. Si on ne se revoit pas, sirène, je t’enverrai un bouquet d’iris ! Pas vraiment une menace, l’amie qui voit dans le noir ! Ah ! Ah ! Ah ! Ne te fie pas à ce que tu vois ! Arcaël n’attend pas son reste. Il se disperse et s’engouffre en plusieurs nappes de brouillard dans le réseau de galeries. Au bout des boyaux humides et sombres, il le sait, il trouvera la source. Là-haut, Léonie-chien-noir espère que leur trahison n’aura, pour elle et Lomig, aucune conséquence fâcheuse. Elle hume des tensions nouvelles. Elle galope vers le cimetière des Ormes. Des larmes coulent des yeux vides de la sirène. Elle les essuie du dos de la main. Inspire et se reprend. Comment a-t-elle pu se laisser manipuler de la sorte ?
Je suis sirène Et vous implore Nacelles, Pelleteuses et Bulldozer De voler au secours du bien
Je suis sirène Et vous intime Là où poussent les Ormes Les salles rituelles de faire béer
Je suis sirène Et vous, Peuple au corps d’acier Descellant les pierres Scellerez les joies et bontés.
Le chant envoûtant court les rues de Ploeren. Aux deux moulins, dans l’air déchiré par les vrombissements de la RN 165, le peuple au corps d’acier s’éveille. Chorégraphie étrange. Sous des éclairs qui s’entrecroisent, les engins de chantier déploient leurs corps mécaniques, des nacelles étirent une colonne vertébrale métallique. Lentement, sûrement, le peuple nacellux dodeline de la tête, puis s’engage sur la voie goudronnée en direction du cimetière des Ormes. Il a été abandonné et depuis la nature y a repris ses droits. Les pierres tombales sont recouvertes de mousse et de mauvaises herbes. Sauf une ! Une chaussure trône sur son marbre. Elle fait office de vase, une rose noire y a été déposée et juste devant, un chien noir gratte, gémit. Il aperçoit les engins. Il aboie, les appelle… et les engins comprennent… Creuser ! Creuser ! Creuser ! Creuser… Il faut creuser ! Les pelleteuses jettent leurs mâchoires affamées sur la terre que le chien n’a fait qu’écorcher.
En bas… dessous… Arcaël touche au but. Chaque particule de son corps vaporeux ressent les vibrations de la source d’énergie. Au bout des couloirs, une lumière vive. Il enfile les derniers mètres. Se rassemble dès l’entrée dans la salle du rituel. Elle est dallée de pierres brutes.
Et au centre se trouve Mymivée, la source celle qui charrie cette énergie puissante dont a besoin Arcaël.
Mymivée, ici, c’est un arbre de cristal entouré d’une bulle d’air. Son tronc est recouvert de plumes aux couleurs de l’arc-en-ciel. Ses branches sont fines comme la soie et malléables comme de l’or. Ses feuilles sont sculptées dans toutes sortes de gemmes précieuses.
Arcaël cligne des yeux. Il effleure de son manteau brumeux la bulle d’air. Elle éclate dans un petit ploc et l’arbre de cristal s’ouvre en une fleur.
Et au centre de Mymivée, Un pistil, Des cercles concentriques, Soufre, puis galène, puis fluorite, Des étamines de quartz, Et au centre, Un granit mangé de lichen.
Arcaël y prend place. Rien ne se passe. A moins que les raclements au dessus de lui ne soient les prémices. Et puis, tout va très vite, le baromètre descend, la chaleur monte, les murs de la salle rougeoient, Arcaël de cumulus devient typhon. Il tournoie jusqu’à l’écœurement. Des traits se forment, il prend corps dans une boule. On devine déjà, un être joufflu. Un chérubin rose. De la vase se mêle à la chair.
En haut, au-dessus… Les engins métalliques continuent d'extraire la terre, le chien noir saute dans le trou. Atterrit près de Mymivée. L'irruption de Léonie-chien-noir dans la salle interrompt le processus, la chaleur redescend, les murs refroidissent.
Seule une boule pas tout à fait ronde, mais en formation, trône désormais au milieu de la salle, un visage y est gravé, qui se tord de douleur. La boule bouge, commence à se mouvoir. Elle tente d’échapper à Léonie-chien-noir. Les yeux voilés de celle-ci ne voient plus rien, mais elle sent, Léonie-chien-noir. Elle sent. Et elle menace ! Elle menace Arcaël d’une voix de dogue. La boule glisse.
Roule à travers la salle jusqu'à une des galeries. Roule aussi pressée de regagner le puits, l’air libre, qu’un poisson de gagner la mer. L’amie qui voit dans le noir, ce n’est pas la sirène… C’est Léonie !
Sa course effrénée le ramène bientôt dans le boyau sombre. Il roule, roule amassant sur son passage boue, tourbe, déjections, fange et autres immondices sous-terrains.
Arcaël s'épuise, sa métamorphose va avorter.
A la sortie la boule répugnante qu'il est devenu vient se figer sur le linteau du puits.
Dehors, dans la queue de la boulangerie, dans celle de la pharmacie, là où en grappe les gens attendent, là où personne ne se doute de rien, quelqu'un fredonne un tube planétaire...vous l'entendez, vous l'entendez..."like a rolling stone"... un autre destin inscrit lui aussi dans une pierre qui roule.
Cinq boules sont désormais ancrées dans le puits... On murmure que, parfois, l'une d'entre-elles ouvre de grands yeux verts...surtout lorsqu'un chien noir s'approche.
That’s all folks !
A Saint-Gildas-De-Rhuys, ArcaĂŤl se venge.
***
Saint Gildas de Rhuys… une nuit de pleine lune… Triphine rentre chez elle à travers la grève.
Elle n’en peut plus de traîner son ventre gonflé et douloureux. Elle arrive tout juste au pied de la pente de Kerfago, celle des herbes, quand les douleurs la prennent. Elle se couche, persuadée qu’elle va mourir tant ses entrailles se déchirent. Les yeux dans le halo bleuté de la lune, elle prononce, sans le vouloir, une vieille incantation à l’astre nocturne. Avant l’aube, un cri rauque déchire le silence et un petit être voit le jour en ouvrant des yeux immenses. Ils sont verts comme l’émeraude. Avec, ce qui lui reste de force, la jeune femme l’enveloppe alors dans son jupon. Ainsi est née Arcaël, dans les herbes de Kerfago, fille d’un viol sur une enfant de 15 ans par un capitaine de goélette nommé Goustan.
Arcaël était une enfant étrange. Elle avait poussé au gré du vent. La mer, les herbes et les pierres lui contaient leurs secrets. Son épaisse chevelure rousse masquait parfois ses yeux verts. Elle arpentait sans cesse le rivage et la lande. La sauvage ! murmuraient les gens sur son passage. Sorcière, oui ! chuchotaient les autres. Elle les ignorait, mais quand elle croisait Goustan son regard s’assombrissait.
Il a un peu vieilli le beau capitaine mais il est resté le coureur de jupons, le « pirate », craint et respecté. Aussi, quand il décide d’armer une goélette et d’embaucher un équipage, il n’a aucune peine à recruter trois gars du pays, trois rudes et robustes gaillards. On ira vers le Nord, crie Goustan, la Norvège, la Baltique, on ramènera des poteau de mines. Aussitôt les langues vont bon train. Qu’y a-t-il dans les cales ? Du vin, du sel, des armes, de la contrebande, de l’or… Foutaises, tout ça ! Goustan est un bon marin, il est régulier, ses affaires ne nous regardent pas. Au soleil levant, Arcaël se glisse dans sa robe de grand vent, coupe à travers champs et gagne le creux de Kerfago, au bout de Kerlegan. Là pousse l’herbe aux mille pouvoirs, l’herbe d’Anaon. Elle s’y roule, se frotte les bras, le visage, se blottit et s’endort.
Au réveil, elle est chat. Chat aux yeux verts… Au port, la « belle Héloïse » est gréée. C’est le départ. Adieu la terre, cap au Nord. Un petit incident (oh ! sans importance) se produit juste avant de larguer les amarres : un chat roux franchit la coupée et se love sur un rouleau de cordage. Tant pis disent les matelots. Tant mieux se dit Goustan, il peut voyager avec nous, il chassera les rats et Dieu sait s’il y en a à bord… !
Le temps passe, l’ennui s’installe, les marins scrutent l’horizon, le chat, lui, rôde, se cache, surgit toujours là où on ne l’attend pas. Il se dresse devant Goustan et le fixe de ses yeux verts et perçants. Le capitaine s’éloigne, inquiet. Il ne voit pas le chat qui se dresse sur ses pattes arrière. Il n’entend pas les bois qui craquent. Tout autour, la mer s’assombrit. Un vent frais lui parcourt l’échine.
Il relève la tête et voit au loin des nuages qui se fondent en une tornade rousse. Elle arrive droit sur le navire, la houle se forme, les vents se déchaînent, des paquets de mer balaient le pont. Le bateau se tord. Un éclair brutal frappe la goélette, aveugle l’équipage. Au pied du mât, le chat s’accroche, le poil hérissé, des flammes parcourent son pelage roux.
Une femme aux yeux émeraude et à la chevelure flamboyante apparaît, vêtue de sa robe de grand vent. La sauvage, la sorcière, bon Dieu, la bâtarde à Triphine. Tremble, Goustan, tremble, je suis Arcaël. Sa robe enfle, gonfle, telle une immense voile, enveloppe le bateau d’un linceul et l’engloutit.
Au même moment, à des milles de là, les cloches de Saint Gildas sonnent et les Frodjeu, ces oiseaux de malheur, hurlent à la mort. Soudain le vent s’apaise, chasse les ombres, la mer se calme et un pâle soleil apparaît. La goélette émerge, s’élève lentement haut dans le ciel.
Un train de nuages blancs l’emporte vers la Bretagne.
Arcaël rassure les trois hommes d’équipage et leur demande où ils veulent être déposés, avant d’accomplir sa vengeance. Le premier veut encore naviguer mais sur des eaux calmes ; elle le fait glisser doucement sur le canal de Nantes à Brest, à l’écluse de Malestroit. Le second, très pieux, effectue chaque année le pèlerinage à Sainte Anne d’Auray. Elle le dépose à Ploeren. Le troisième a un frère jumeau, et naturellement elle le libère à Pleucadeuc.
Le bateau, entouré de la robe de grand vent, reprend de l’altitude et se dirige vers la côte.
Sur Goustan, Arcaël jette l’anathème : Ton supplice sera éternel car ton corps abordera aux rives du Grand Mont en Saint Gildas de Rhuys et tu deviendras pierre. Ta conscience demeurera intacte. Sur la lande, la vie coulera, intense. Tu verras, tu entendras, tu souffriras : les couples d’amoureux viendront s’ébattre mais tu resteras muet, impuissant à jamais… sois maudit ! Arcaël concentre sur lui toute la force de ses pouvoirs, le jette violemment contre la falaise. Elle le transforme en un énorme rocher noir et pour effacer toute trace, elle fracasse alors la Belle Héloïse sur la pointe du Grand Mont. Si vous allez vous promener là-bas un jour de grand vent vous verrez peut-être un chat roux aux yeux verts rôdant autour d’un rocher –noir-, masse inerte chargée d’un lourd secret. Alors, croyez-moi, passez votre chemin, ne réveillez pas la légende...
ArcaĂŤl lance un malĂŠfice sur Malestroit.
***
Hé les gars, venez voir ! Là-haut... Il y avait bien quatre bestioles hier soir, non ? Ch’suis pas fou ? Regardez ! Ce matin, y’en a plus que trois ! Quatre artisans, le regard aimanté par la voûte de l’église dont ils ont enlevé le badigeon, quatre artisans restent pantois…
A l’Ouest, il y a bien un éléphant bleu aux longues pattes de bœuf, harnaché d'un palanquin… Au Sud, un Centaure rouge au torse d'homme et corps de cheval, tête cornue qui brandit un glaive et un écu… A L’Est, une licorne brune à corps de félin et queue de lion, montrant des dents menaçantes…
Mais au Nord... Plus rien… Disparue !
C’était un lion ! Mais non, un bœuf ! Le même que celui de l'entrée. Ha, ha, un cochon ! Ou plutôt une truie… comme sur la maison d'en face. N'importe quoi ! Et pourquoi pas une vache sacrée, pendant que vous y êtes !!! Ah, ah, ah !!! Les quatre hommes ont beau se disputer pour savoir qui a raison, ça ne change rien à la chose : le voûtain Nord de l’église est vierge !
Chut ! Taisez–vous, j’entends des voix... Intrigués, les hommes se taisent car des murmures proviennent de là-haut… Oui, de la voûte ! : Celui qui est parti, c’est Arcaël. Oui, Arcaël le maléfique ! Celui qui aime faire le mal. C’est vrai. C’est vrai qu’il aime faire le mal, Arcaël. Et c’est une vieille histoire …. Une très vieille histoire… qui remonte au moyen-âge…
Imaginez, imaginez la cité de Malestroit en 1255… Elle est prospère. Elle possède une église à double nef et deux clochers ! Quatre grandes foires par an ! Des manufactures de drap qui font vivre une bonne partie de la population. Comme on dit, c’est le temps des « vaches grasses » avec draperies, moulins, et tout le reste… Vous connaissez sa devise d’ailleurs? A Malestroit, on ne compte pas les besants d’or ! La cité a bonne renommée dans toute la Bretagne : on dit qu’il y fait bon vivre et qu’il y a du travail pour tout le monde.
C’est Maître Guillaume, un riche drapier de retour de la septième croisade, qui avait fait réaliser quatre peintures sur la voûte de l’église pour remercier Dieu : un éléphant, un centaure, une licorne et Arcaël sur le voûtain Nord ! Et c’est cela qui n’a pas plu à Arcaël, il n’a jamais aimé sa place dans l’église : le voûtain Nord, le plus sombre… Celui qu’on ne voit pas, celui qu’on ne remarque pas ! Celui qu’on néglige et dont on ne parle pas ! Jamais !
Pour sortir des ténèbres et assouvir sa vengeance, il a jeté sa malédiction sur Malestroit ! Un an plus tard, en 1256, c’est lui qui apporte la peste à Malestroit ! Aucune famille n’a été épargnée. Pas même celle de Maître Guillaume, son commanditaire ! Et au cours des siècles qui ont suivi : C’est lui qui a provoqué cette inondation épouvantable qui a emporté les ponts et qui a noyé la moitié de la population ! C’est lui aussi qui a fait surgir du plus profond de la ville des flammes impressionnantes qui sont venues lécher le portail sud de l'église St-Gilles ! C’est lui encore qui a conduit les loups jusque dans les faubourgs de Saint-Michel, de la Madeleine, de Sainte-Anne et de Saint-Julien… C’est lui enfin qui a provoqué la ruine de la cité !
Comment ? C’est simple : A chacune de ces catastrophes, le même rituel : Arcaël disparait du voûtain Nord et le tocsin se met à sonner ! Aussitôt, une étrange lueur verte apparait, une lueur verte qui enveloppe la ville, toute la ville… et le malheur se produit…
AH, AH, AH !!! (ricanements sardoniques d'Arcaël) Alors… Pour lever cette malédiction, la population a décidé… de recouvrir la voûte entière de quatre bonnes couches de badigeon. Et depuis ce jour, jamais plus Arcaël ne s'est manifesté. On peut presque dire qu’on l’avait oublié… Mais ce matin…
Que se passe- t- il ? On dirait qu’il fait nuit… à dix heures du matin ?!… Les cloches ! Les cloches… pourquoi sonnent – elles ? Et cette lumière verte ? D'où vient-elle ? C’est Arcaël ! Il est revenu ! C’est Arcaël, c’est le signe d’un grand malheur... Affolés, les quatre artisans s’élancent vers la porte principale. C’est jour de marché sur la place du Bouffay et sous les halles, les grandes halles, une foule désordonnée de Malestroyens se presse. Malheureux ! Qu’avez-vous fait ?!!! En enlevant le badigeon, vous avez libéré Arcaël ! Nous allons le payer cher ! Il faut repeindre la voûte et tout de suite … Trop tard !
Un énorme grondement assourdit les habitants. D’abord, on ne voit rien ! Oh ! Là-bas, vers La Madeleine, qu'est-ce que c'est ? On dirait une tornade ! Effectivement, un tourbillon géant s’approche, menaçant. Il a déjà passé le déversoir. Il s’engouffre alors dans la rue des Ponts. Stupeur ! Il est glacial !!!
Tout se fige sur son passage. Tout, absolument tout. Le canal, les rues et les arbres sont saisis par le gel ! Trop tard pour fuir ! Les gens, les animaux sont stoppés en pleine course… Pétrifiés ! De vraies statues de sel.
La tornade tourbillonne une dernière fois sur le marché. Puis, d’un coup, les halles se soulèvent, entraînant dans une spirale vertigineuse : marchands, étals et chalands…. pour disparaître aussitôt au plus profond d’un puits, surgi du néant.
Tout est blanc, immobile… silencieux. AH, AH, AH !!! (ricanements sardoniques d'Arcaël). Arcaël s’est vengé !
Aujourd’hui, quelques Malestroyens se souviennent certainement de cette histoire. Mais de peur de passer pour menteur - ou pire, pour fou - aucun d'eux n'ose la raconter. Pourtant, parfois, on entend encore des gémissements du côté du puits… Tout là-haut, sous la voûte de l'église St-Gilles, les trois animaux figés dans leur secret, sont redevenus des images. Quant à Arcaël, le malfaisant, il est parti. Et si vous ne me croyez pas, allez donc faire un tour dans l’église de Malestroit ! et vous verrez bien qu’il n’y est plus…
Arcaël découvre l’amour à Pleucadeuc.
***
Poussez, poussez ! Poussez Madame… Oh qu’il est beau ! Oooooh qu’il est laid !
Ainsi sont nés les jumeaux, à la seconde nuit des temps sur la pierre de Kernantais en Pleucadeuc. Le premier, beau et souriant, «Arcaël» et le second, poilu et bossu, «Owen».
Owen est doux de caractère. Arcaël, lui, est plutôt belliqueux. Ils grandissent auprès de leurs parents mais tous les jours ou presque ce ne sont que bagarres, querelles et traîtrises entre eux. Arcaël, toujours coupable, se fait passer pour la victime. Owen, quant à lui, voulant protéger son frère, se dénonce à sa place.
Une bagarre de trop : les deux puceaux viennent à s’entretuer et provoquent l’ire des deux parents qui les chassent du foyer.
Arcaël tourne les talons sans un regard vers son frère et s’enfonce dans les landes de la Drévalais. A la nuit tombée, il frappe à la première porte du village de Penhoët. Un homme bourru lui ouvre.
Viens petit, je vais te montrer comment on devient le maître du monde !
Commence alors son apprentissage de sorcier. Chaque soir son maître lui donne, d’abord, un carré de chocolat, et ensuite, une fiole de potion d’amertume et de désespoir.
Owen, lui, le cœur gros, s’enfonce dans la forêt de la Madeleine. Près de la pierre branlante, il rencontre un ermite. Chaque soir l’ermite donne à Owen d’abord, une fiole de potion d’amertume et de désespoir, et ensuite, un carré de chocolat.
Depuis ce jour, Owen sent le chocolat et Arcaël le fiel et l’amertume car en eux est resté à jamais le dernier goût qu’ils avaient pris.
Owen est initié à la musique verte, celle qui adoucit les mœurs. Son maître lui offre une baguette de sureau qui devient flûte au son gai et léger. Il aime aussi jouer quelques notes de ces joncs puissants qui donnent bravoure et vaillance. Années après années, Owen devient virtuose, si bien qu’avec deux notes d’espoir et quelques notes de gaîté, il fait fuir idées noires, maladies et conflits tout autour de lui.
Arcaël, lui est initié à la danse des maléfices. Grâce aux conseils de son maître il développe le pouvoir de semer malheurs et chagrin en quelques pas de danse. Années après années, Arcaël devient virtuose si bien que quelques pas de pilé-menu provoquent famine et quelques tours de polka sèment épidémies tout autour de lui. Lors d’une nuit de pleine lune, Arcaël découvre que son pouvoir redouble lorsqu’il danse sur la pierre de sa naissance, sur la pierre de Kernantais. Alors, dans les villages, s’installent la famine et la misère. On raconte même qu’à Saint Maugon des danseurs, entraînés par Arcaël, se sont enfoncés dans la terre et ont disparu à tout jamais.
Voyant la pauvreté gagner tous les villages, Owen, sur les conseils de son vieux maître, part, une nuit de la Saint-Jean jouer sa musique sur la pierre de Kernantais. Là ; il aperçoit son frère Arcaël qui danse et comprend aussitôt qui sème ainsi la désolation. Alors un combat acharné commence : Trois notes de flûte, trois pas de danse… Les arbres craquent … les loups s’approchent…un éclair… un coup de tonnerre Trois notes de flûte, deux pas de danse … Les loups s’enfuient… vénus scintille… Trois notes de flûte, un pas de danse…
Arcaël s’épuise, vacille, tombe et disparaît dans la pierre.
Trois chants d’oiseaux …Owen s’endort… Silence… Le mal est vaincu.
Au matin, on découvrira un creux sur la pierre de Kernantais.
Afin d’empêcher le retour d’Arcaël, Owen décide d’initier jeunes gens et jeunes filles au pouvoir de la musique verte. Il leur apprend aussi à communiquer de village à village grâce aux sonneries de bassin. Chaque nuit de pleine lune, les jeunes se retrouvent à Kernantais pour danser la tricotée.
A partir de ce jour, force, richesse et joie de vivre reviennent dans tous les villages des environs. Jamais les paysans n’avaient obtenu de si belles moissons et jamais les poules n’avaient pondu de si beaux œufs !
2012
Owenig, arrière, arrière, arrière…petit fils d’Owen ressemble à son ancêtre comme deux gouttes d’eaux. Bossu, poilu et roux aux yeux pers dans lesquels on se noie. D’Owen en Owenig, la flûte de sureau s’est transmise tout comme le pouvoir de la musique verte. Et les nuits de pleine lune, on entend toujours résonner les sonneries de bassin, les rires et la musique.
Un jour, alors qu’Owenig répète un air de flûte en forêt, il entend un chant mélodieux. Amandine.
Amandine qui connaît le secret des simples. Rencontres après rencontres ils décident d’unir leur destins pour essaimer le bonheur autour d’eux. Le 24 juin de cette année, Amandine part en forêt. Alors que le soleil décline, Owenig attend le retour de sa bien-aimée. En vain.
Il fait alors résonner les sonneries de bassin afin de donner l’alerte. On s’organise et on se retrouve autour de la pierre de Kernantais. Mais là... Surprise ! Sur la pierre, un homme ! , Un homme qui lui ressemble en tous points, un homme qui exécute quelques pas de pilé menu.
Arcaël !
Trois pas de danse, trois notes de flûte, Amandine est face au loup…un éclair…un coup de tonnerre… Trois pas de danse, deux notes de flûte, Amandine se libère, les loups s’enfuient… Trois pas de danse, une note de flûte, Owenig s’épuise, Amandine, est là, devant la pierre.
De sa poche, elle sort de la poudre d’hellébore qu’elle répand sur la pierre. Aussitôt, Owenig et Arcaël se figent. Amandine s’approche et embrasse les deux Owenig, le bon et le mauvais ! Elle reconnaît aussitôt son bien aimé à ….l’odeur de chocolat ! Owenig ! Mais le baiser d’Amandine à Arcaël a plongé ce dernier dans la magie de l’amour. Il se laisse glisser le long de la pierre, lance un dernier regard au jeune couple enlacé puis disparaît en direction du bois de la Madeleine, ses pensées troublées par un simple baiser... Là, près de la pierre branlante, l’image d’Amandine le hante lorsqu’un ermite lui ouvre les bras : Euh ! Jeune homme… Chocolat ?
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Ce conte a été réalisé dans le cadre des ateliers numériques 2012 à l’initiative de la médiathèque du Morbihan en partenariat avec les bibliothèques municipales de : Malestroit, Pleucadeuc, Ploeren, Saint-Gildas-De-rhuys.