L'histoire de vie du quartier Renaudie. La question de la perception habitante.

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MOTTIER

MELANIE

L’HISTOIRE DE VIE DU QUARTIER RENAUDIE A SAINT-MARTIN-D’HERES La question de la perception habitante.

Master «Architecture, Villes, Ressources» Stéphanie Dadour


Fig. 1 - Page de couverture - CrĂŠdit Illustration : MĂŠlanie Mottier




L’HISTOIRE DE VIE DU QUARTIER RENAUDIE A SAINT-MARTIN-D’HERES La question de la perception habitante.

Directeur de mémoire : Stéphanie Dadour 2019 E.N.S.A.G.



SOMMAIRE

REMERCIEMENTS AVANT - PROPOS INTRODUCTION

Pour une connaissance de l’oeuvre de Renaudie à Givors et Ivry- sur-Seine

Enquêtes à Saint-Martin-d’Hères

UNE VISION ORGANIQUE D’HABITER LA VILLE

L’ARTICULATION ENTRE ESPACES PRIVES ET ESPACES PUBLICS LE REFUS DE L’ANGLE DROIT L’APPROPRIATION REQUALIFIER LE ROLE DE L’ARCHITECTE DANS LA SOCIETE LE CONTENU ABSTRAIT CONCLUSION BIBLIOGRAPHIE

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REMERCIEMENTS J’adresse mes remerciements à toutes les personnes qui m’ont aidé dans la réalisation de ce mémoire, et plus particulièrement à :

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- Stéphanie Dadour, ma directrice de mémoire, pour son suivi, ses précieux conseils, sa disponibilité et son implication. Je la remercie de m’avoir guidé dans mon travail. - Jean-Marc Morel et sa femme, Eric et Monique Zubert, ainsi que Nicole pour m’avoir ouvert les portes de leur appartement, d’avoir accepté de répondre à mes questions, et m’avoir accueilli chez eux en toute confiance. - Les habitants du quartier Renaudie que j’ai pu rencontrer au cours de ces quelques semaines d’enquêtes, pour leur disponibilité et leur gentillesse. Sans oublier le Mosaïkafé. - Gabrielle Boulanger pour son aide et ses contacts au sein du quartier, sans qui ce travail de mémoire n’aurait pu être mené à bien. - Sabrina Bresson qui m’a, sans le savoir, énormément éclairé et aidé à travers ses propres recherches de thèse à Ivry-sur-Seine. - Et enfin mes parents et mes amis, pour avoir pris le temps de relire mon travail et pour leur soutien.


AVANT - PROPOS À la fin de la rédaction de mon rapport de Licence, il m’est paru évident qu’une des notions qui me préoccupait le plus dans ma réflexion sur l’architecture était celle de l’être humain, qu’il s’agisse de l’usager ou du concepteur. Pour la rédaction de ce mémoire, il m’importait de traiter des usagers, de leur opinion, leur ressenti face à une architecture vécue. Pour ce faire, je n’ai pas choisi de traiter d’une architecture consensuelle mais plutôt de projets qui, au premier abord, peuvent susciter de vives réactions. Il m’importait d’apprendre à voir la spécificité d’une architecture affirmée à travers le regard de ses habitants, afin de percevoir et comprendre ce qui ne peut être perçu par tous. Outre les pointes qui caractérisent son architecture, Jean Renaudie s’est distingué par sa réflexion sur les manières de vivre et sur la question d’appropriation des logements. En plus d’avoir remis en question l’architecture et l’urbanisme de son époque, il réinterroge continuellement son propre travail, avec des formes qui ont suscité la critique, mais qui ont proposé de nouvelles configurations pour l’habitat en resituant l’usager au centre de son questionnement. Il est vrai que ce sont des questions contemporaines à son temps, que de nombreux architectes ont traité, chacun à leur façon. Alors pourquoi, Jean Renaudie ? Ce qui m’intéresse particulièrement dans cette expérimentation architecturale, ce sont les réactions, virulentes ou affectives, que ses projets ont suscités. Les projets sont tous habités depuis suffisamment longtemps pour que je puisse y recueillir le témoignage de plusieurs générations d’habitants et de ce fait, plusieurs opinions. Au regard des premières recherches, j’ai pu y voir que l’attachement des habitants aux logements y est fort, mais les critiques négatives sont aussi abondantes que les positives. C’est précisément cette nuance qu’il m’intéresse de saisir.

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INTRODUCTION « Il n’y a pas d’homme type, alors pourquoi existerait-il un logement type ? »1 Telle est la question que Jean Renaudie se demande lorsqu’il compose ses projets. Il ne peut concevoir qu’il existe une solution-type, qui réponde à la complexité qu’est l’être humain. Selon lui, il faudrait satisfaire au mieux les besoins de diversité : il n’y a pas deux familles identiques qui vont habiter les logements conçus par l’architecte et les relations humaines ne répondent pas à des modèles normés. Il définit l’architecture comme étant la forme physique qui enveloppe la vie des hommes dans toute la complexité de leurs relations avec leur milieu. De même que l’être humain est complexe, l’architecture doit l’être aussi.

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Le caractère si particulier de l’œuvre de Renaudie vient d’une conception du logement en rupture avec les idées fonctionnalistes et les pratiques qui dominent alors les politiques urbaines de son temps. Il ne vise ni fonctionnalisme, ni simplification, mais cherche à provoquer un plaisir d’habiter. Il discerne deux tâches spécifiques à l’architecte. En premier lieu, il y a l’assemblage de ce qui organise l’espace ; dans un second temps, il s’agit d’imaginer des formes et des volumes qui ne laissent pas indifférents. « Quand nous vivons dans notre logement, en plus de nos actions purement fonctionnelles, il est d’autres choses qui ont leur importance, c’est elles qui ne sont pas forcément mesurables et qui constituent ce que l’on pourrait appeler le contenu abstrait : les sensations produites par l’espace et la liberté d’agir quand il nous le permet. »2 De ce fait, pour l’architecte, l’important dans un logement n’est pas seulement de prendre en compte ce qu’on a considéré jusqu’à présent comme déterminant (la lumière, la fonctionnalité, les qualités d’espaces, etc.), mais de donner de l’importance à des facteurs indéfinissables qui permettent d’éprouver du plaisir dans un espace, dans un logement. Pour cela, l’architecte tente de produire un maximum de solutions architecturales différentes pour permettre aux habitants de ces architectures d’augmenter leurs possibilités d’intervention dans l’espace. Dans La sociologie urbaine3, Henri Marchal et Jean-Marc Stebe montrent le décalage qu’il existe entre « espace conçu » et « espace vécu ». Selon eux, l’espace conçu est la ville physique, celle du plan de l’urbaniste ou de l’architecte dans sa conception organisée, dans la façon dont ses éléments sont ordonnés et combinés : « L’espace conçu, c’est la ville pensée, rationalisée, 1 RENAUDIE Jean, La logique de la complexité , Paris – France, éd. Institut français d’architecture, 1992. p. 92. 2 Interview de Jean Renaudie réalisée par Architecture et construction le 24 janvier 1976. In : PASSANT, Raymond. Banlieue de banlieue ! Paris : Ramsay, 1986, p.309. 3 Stebe J-M. Marchal H. La sociologie urbaine. Paris : PUF, coll. « Que sais-je ? », 2007, p.103.


formalisée, découpée, agencée par ceux qui ont le pouvoir de produire les cadres matériels de la vie urbaine »4. A contrario, « l’espace vécu, c’est l’ « espace de représentation » des habitants, leurs expériences, leurs habitudes, leurs images de la ville d’hier, d’aujourd’hui et de demain »5. La différence entre espace vécu et espace conçu est donc réelle et importante selon eux. Les concepteurs se posent nécessairement la question du mode d’habiter, mais les modèles proposés sont souvent basés sur des typologies existantes ou des modèles prédéfinis. Ils n’observent que très rarement l’appropriation que font les habitants de leur projet quelques années plus tard, ou la manière dont ils interagissent avec l’espace bâti. Pour comprendre la profondeur de ses intentions, il est important de rappeler dans quel contexte architectural Renaudie a évolué. Il pratique à un moment où l’architecture moderne, notamment les Grands Ensembles, est déchue par les sociologues et la presse. L’architecte interroge les propos de ses prédécesseurs rationalistes comme Le Corbusier, Gropius, Mies, Alto, et d’autres ; qui ont démontré que la standardisation est une réponse architecturale plausible à un certain moment donné de l’histoire de l’architecture mais qui n’est pas durable pour Jean Renaudie. Ces grands noms du mouvement moderne ont influencé et édifié le monde de l’architecture, sans lesquels Renaudie ne serait parvenu à théoriser sa pensée. L’architecte est également « un unicum au regard de sa génération » 6comme le définit Bruno Zévi dans Système poétique, message urgent. Renaudie pratique quelques décennies après la Charte d’Athènes de 1938, dont les répercutions très critiquées. Avec la préoccupation d’assainir nos villes, la Charte d’Athènes a encouragé la séparation des fonctions : habitat, travail, loisirs et circulation ; suivant ainsi la méthode du zoning. Cette séparation de l’architecture et de l’urbanisme a, selon Renaudie et d’autres architectes de son temps, détruit une série de phénomènes indispensables à l’équilibre des villes. Afin de resituer au mieux les idées de Renaudie, il faut citer les pionniers du mouvement moderne qui furent les bâtisseurs de l’architecture fonctionnaliste du XXème siècle en France. La standardisation et l’industrialisation, qui sont promues par le mouvement moderne et les grands ensembles, ont gravement affecté le milieu architectural et urbain, selon lui. En cela, Renaudie se rapproche des idéologies de la Team Ten qui refuse le rationalisme et le cloisonnement des fonctions de leurs prédécesseurs. Encore aujourd’hui, les solutions-types sont courantes, faisant parfois table rase de la diversité des besoins des familles et de la complexité de l’être humain. En 2016, en France, près d’un habitant sur six est locataire d’un logement social77et la plupart de ces personnes ne sont pas satisfaites de celui-ci. 4

Ibid.

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Ibid.

6 ZEVI Bruno., « Systèmre poétique, message urgent » introduction in Jean Renaudie de BUFFARD Pascale, Paris : Institut Français d’architecture, 1992. 7 Résultat de l’INSEE paru le 24 octobre 2018 : 11 millions de personnes sont locataires d’un logement social.

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Les enquêtes menées par le CECOP (Centre d’études et de connaissances sur l’opinion publique) en 2000 démontrant que les logements construits en masse suivant un plan type ne sont plus adaptés à la société. Il existe un certain nombre de critères, de standards sur ce que doit être un logement de qualité en terme de taille ou d’organisation spatiale. Ces normes, qui peuvent définir – ou non – la qualité d’un logement, sont aujourd’hui omniprésentes dans la conception, mais ne prennent pas, ou peu, en compte la singularité des individus. La remise en question de ces critères permettrait de comprendre ce qui se passe réellement à l’intérieur de ces logements, une fois qu’ils sont habités comme le dit Serge Renaudie, fils de Jean Renaudie, dans La ville est une combinatoire : « Renaudie associait la complexité des relations humaines et de la ville avec la singularité de chaque individu pour concevoir une architecture qui ne se répète jamais et qui s’enrichisse des différences qu’elle accueille. »8 Ce mémoire cherche à comprendre comment l’architecture de Renaudie est ressentie et appréhendée par les habitants ? Comment l’espace conçu interagit avec l’espace vécu ? Il s’agit ici d’analyser le travail de Jean Renaudie du point de vue des usagers de son architecture. Ce sont eux qui insufflent la vie dans les bâtiments et eux aussi qui créent l’architecture, puisque comme le disait Jean Renaudie : « une fois que le chantier est fini, il reste tout à construire. »8 Afin de répondre à ces questions, ce mémoire s’appuiera sur la parole des habitants du quartier Renaudie de Saint-Martin-d’Hères et celle de l’architecte. Nous mettrons ces témoignages en parallèle avec ceux des habitants de la Cité des Etoiles de Givors et ceux des habitants des Etoiles de Renaudie à Ivrysur-Seine. Les recherches se sont articulées en deux temps : il fallait dans un premier temps analyser les conceptions et théories de l’architecte, comprendre les projets et les conditions de réalisation, avant de recueillir sur le terrain la parole des habitants puis d’observer les pratiques sociales d’habitation à SaintMartin-d’Hères. En amont, ce mémoire resituera les projets de Givors, d’Ivry-surSeine et de Saint-Martin-d’Hères dans leur contexte historique. J’expliquerai ensuite les méthodes d’enquêtes mises en place à Saint-Martin-d’Hères. La majeure partie de cette recherche présentera les résultats des entretiens à travers six grands concepts, développés par l’architecte dans ses travaux. Ces concepts allant de la question la plus générale, en se positionnant sur l’urbanisme des villes, à la plus spécifique à l’architecte : l’angle aigu.

8 RENAUDIE Jean, La ville est une combinatoire , Ivry-sur-Seine – France, Movicity ed., impr. 2014.


Les réalisations de Jean Renaudie sont porteuses d’un véritable projet de société, dans le sens où l’architecte répond à des problématiques sociales postmodernistes de la seconde moitié du XXème. Comme le souligne son fils, Serge Renaudie, dans la préface de la réédition de l’ouvrage de son père La ville est une combinatoire : « Jean Renaudie rejetait tout formalisme et tout typologisme, qui risqueraient de l’enfermer dans une répétition aliénante, il s’acharnait à, sans cesse, faire surgir « du nouveau » dans les relations qui s’édifient entre les individus et les formes urbaines dans lesquelles ils vivent. Il associait la complexité des relations humaines de la ville avec la singularité de chaque individu pour concevoir une architecture qui ne se répète jamais et qui s’enrichisse des différences qu’elle accueille. » Serge Renaudie, Ivry sur Seine, le 4 mai 20149

Fig. 2 - Photographie de Jean Renaudie dans son atelier Source internet : jeanrenaudie.free.fr

9 RENAUDIE Jean, La ville est une combinatoire , Ivry-sur-Seine – France, Movicity ed., impr. 2014.

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POUR UNE CONNAISSANCE DE L’OEUVRE DE RENAUDIE A GIVORS ET IVRY-SUR-SEINE

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Jean Renaudie est diplômé de l’école des beaux-arts, il étudie auprès d’Auguste Perret et fonde en 1958 l’Atelier Montrouge aux trois architectes : Pierre Riboulet, Gérard Thurnauer et Jean-Louis Véret. L’atelier fait partie d’une nouvelle génération d’architecte qui cherche à requestionner les CIAM en incluant la dimension sociale de l’habitat au métier. Il participe au sein de l’atelier à différents projets et études architecturales. C’est dix ans plus tard, qu’il prend son indépendance pour fonder sa propre agence. C’est alors qu’il rejoint le projet de rénovation du centre ville d’Ivry-sur-Seine. En effet, Jean Renaudie n’est pas à l’origine de la conception puisqu’il s’allie à sa consœur Renée Gailhoustet qui a mené les études du projet depuis 1962. Les objectifs du projet étaient de répondre à la crise du logement qui frappait la région parisienne à l’époque et de restaurer le quartier jugé insalubre. Renée Gailhoustet et Jean Renaudie s’émancipent ensemble des standards du logement social à une époque où la rentabilité était le maître mot. Les logements, situés dans l’immeuble Casanova, s’accompagne du centre commercial Jeanne Hachette, l’immeuble Baptiste Clément, l’école Einstein, et la place Voltaire. L’opération d’Ivry-sur-Seine est l’oeuvre la plus complète qu’est réalisée l’architecte, c’est dans ce projet qu’il a pu mettre en application ses idéaux architecturaux sur la ville et l’habitat. Les immeubles Casanova et Jeanne Hachette, sur lesquels Renaudie a particulièrement travaillé sont livrés au début des années 70. Les études de Givors commencent en même temps que celle de Saint-Martin-d’Hères, en 1974, et s’achèvent en 1979. La ville est située à 22 km au sud de Lyon, à la confluence du Rhône et du Gier. Il s’agit d’un projet social : reconstruire sans déloger la population. L’objectif était d’améliorer les conditions de vie des habitants tout en intégrant l’ancienne ville et la coline pour recréer un centre-ville. Les programmes sont mixtes et complémentaires : un amphithéâtre, la crèche Eugénie-Cotton, le théâtre du Vieux Givors, la bibliothèque Max-Pol-Fouchat, le commissariat de police ou encore les 207 logements conçus par Jean Renaudie.


Le premier temps de travail a consisté à recenser et analyser les écrits et déclarations de l’architecture sur la question du logement. Jean Renaudie a peu écrit, puisque, pour lui, la pratique est une pensée en action, mais une importante partie de ses textes étaient rassemblés dans des recueils tels que La logique de la complexité 10 ou encore dans La ville est une combinatoire 11. Les projets de Givors et d’Ivry-sur-Seine sont très documentés et permettent de comprendre l’ampleur de la pensée de l’architecte. Plusieurs témoignages d’habitants à différents moments de la vie d’Ivry et de Givros sont respectivement recensés dans la thèse de Sabrina Bresson12 ou encore dans le film Mon quartier est ma vie III : Les étoiles de Givors 13. Renaudie se situait entre la réflexion conceptuelle et la conception architecturale et urbaine. Au cours des années, ces théories sur l’architecture et l’urbanisme se sont transformées en expérimentations au travers de ses réalisations. Ses écrits lui ont permis de théoriser sa pratique et de formuler des concepts propre à son architecture, qu’il définit et détaille dans La logique de la complexité 14.

10 RENAUDIE Jean , La logique de la complexité, p. 92, Paris – France, éd. Institut Français d’architecture, 1992. 11 RENAUDIE Jean, La ville est une combinatoire , Ivry-sur-Seine – France, Movicity ed., impr. 2014. 12 BRESSON Sabrina, «Du plan au vécu, Analyse sociologique des expérimentations de Le Corbusier et de Jean Renaudie pour l’habitat social», Thèse de doctorat, soutenue le 10 fèvrier 2010 en Sociologie sous la direction de S. Denèfle à Tour, 448 p. [En ligne] Consulté le 15 Novembre 2018, http://www.applis.univ-tours.fr/theses/2010/sabrina.bresson_2602.pdf 13 Hubert Knapp, Mon quartier est ma vie III : Les étoiles de Givors, TF1 et Euroscop, 1979, 59min. 14 RENAUDIE Jean , La logique de la complexité, p. 92, Paris – France, éd. Institut Français d’architecture, 1992.

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ENQUETES A SAINT-MARTIN-D’HERES

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C’est à partir de 1974, que Jean Renaudie commence à étudier le projet du nouveau quartier de la commune de Saint-Martin-d’Hères, en Isère. Jo Blanchon, maire de l’époque, souhaite donner à la ville une autre image que celle de la banlieue grenobloise. Le site est un champ agricole, traversé par la rocade Grenobloise et bordé de collines, sur lesquelles l’architecte souhaitait initialement s’implanter. Les premiers dessins n’étaient que des courbes mais plus le projet se développait plus les formes anguleuses apparaissaient. Les courbes subsistent par endroits, se conjuguant avec les étoiles. L’une des particularités du site est qu’il se trouve au-dessus d’une nappe phréatique, empêchant ainsi la création de parking sous-terrain. Cette contrainte se transforme en avantage pour l’architecte. Il utilise les parkings comme topographie, devenant des plateaux sur lesquels se déploient les bâtiments. Fidèle à lui-même, Jean Renaudie concevra ce nouveau quartier comme un ensemble collinaire multipliant les terrasses, les points de vues, les angles, etc. Le programme regroupe plus de 450 logements PLA (Prêts locatifs aidées) et PAP (Prêts aidés à l’accession à la propriété), plus de 5 000 m² de commerces et bureaux, deux écoles maternelles, une crèche ainsi que des aménagements extérieurs. Le quartier repose sur une superposition de garages, d’habitations et de verdure. En effet, à la livraison du projet, la végétation était omniprésente, grimpant des jardins sur les toits et les façades. Le chantier s’achève en 1985 par le fils de l’architecte, Serge Renaudie, puisque son père décède en 1981. Afin de comprendre au mieux l’attachement et la perception des habitants au sein du quartier Renaudie de Saint-Martin-d’Hères, l’étude du projet s’est faite à trois échelles : la vie de quartier, les espaces d’entre-deux et enfin les espaces privés. La stratégie d’enquête suit ces trois échelles avec des protocoles différents pour chacune d’entre elles. En ce qui concerne la vie du quartier, il m’a paru intéressant de traiter les espaces urbains avec des parcours commentés. Jean-Paul Thibaud définit cela comme étant « la méthode ayant pour objectif d’obtenir des comptesrendus de perception en mouvement. Trois activités sont donc sollicitées simultanément : marcher, percevoir, décrire. »15

15 GROSJEAN Michèle, THIBAUD Jean-Paul, L’espace urbain en méthodes, Marseille – France, éd. Parenthèses, 2001, p.81.


Cette méthode permet de ne pas avoir une position de surplomb par rapport à l’habitant questionné. Il s’agit de le laisser parcourir son quartier, qu’il commente en même temps, afin de restituer les lieux qu’il apprécie, l’usage qu’il en fait, etc. Cette méthode lui permet ainsi de s’arrêter un instant, s’il le souhaite, de revenir sur ses pas ou de changer d’allure. Concernant les appartements, nommés précédemment les espaces privés, il s’agira d’effectuer un entretien semi-directif à l’aide d’une grille d’entretien, réalisée au préalable. Lorenza Mondada16 définit les entretiens semi-directifs comme un événement interactionnel. Ils sont un outil d’échange, de discussion avec les habitants selon des thématiques définies (le logement, la sociabilité, l’environnement, etc.). Viendra s’ajouter à cela la méthode du relevé habitat, lorsque les habitants me l’ont permis. Daniel Pinson définit le relevé habitat comme étant l’observation de la maison : visiter, entendre, noter et dessiner. Le dessin permet « de rendre compte des données d’observation et de les retranscrire »17 (organisation du logement, appropriation de l’habitant, etc.). Ce relevé est complété par un travail photographique dans le cas où les habitants me permettent de prendre leur lieu d’intimité en photo. Cette méthode contient cependant une condition. Etant assez intrusive, je n’ai pas pu l’appliquer de façon systématique contrairement aux autres méthodes d’enquêtes. Enfin, pour ce qui est des espaces d’entre-deux, il m’a fallut introduire cette échelle dans les méthodes d’enquêtes évoquées ci-dessus : le parcours commenté et dans les entretiens semi-directifs, où ces espaces, à la fois public et intime, sont intervenus dans le discours des habitants. De plus, un temps d’observation in-situ est venu alimenter cette question de l’entre-deux. Dans les parties qui suivent, le résultat de ces enquêtes sera présenté au travers de six concepts. Il s’agira, pour chacun d’eux, de comparer la parole de l’architecte avec celle des habitants de Saint-Martin-d’Hères, en y incluant parfois celle des habitants d’Ivry pour nuancer certains propos.

16 GROSJEAN Michèle, THIBAUD Jean-Paul, L’espace urbain en méthodes, Marseille – France, éd. Parenthèses, 2001, p.81. 17 PINSON Daniel, « L’habitat, relevé et révélé par le dessin : observer l’espace construit et son appropriation. » in L’observation et ses angles, Paris – France, Erès, 2016, p.5.

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Fig. 3 - Croquis des traboules - CrĂŠdit : Livre Jean Renaudie, de Pascale BUFFARD, page 116.


1. UNE VISION ORGANIQUE D’HABITER LA VILLE


Renaudie fut, certes, un architecte, il n’en demeurait pas moins que, pour lui, les pratiques de l’architecture et de l’urbanisme ne pouvaient se dissocier l’unes de l’autres. Bruno Zévi nomme cela « l’urbatecture »18, il pensait que l’architecture mariée à l’urbanisme pouvait modifier de nombreux aspects du quotidien de ses usagers. C’est ainsi qu’il s’est consacré à une réflexion sur la ville et ce qui la compose. Comme dans un organisme, la ville se forme d’un certain nombre d’éléments qui, une fois combinés, donnent un ensemble complexe qui devient porteur d’une signification. Complexité : Pour Renaudie, il ne peut y avoir de bonne solution que dans la mesure où elle tient compte d’une certaine complexité, car les relations sociales en milieu urbain ne sont jamais simples et jamais juxtaposées les unes sur les autres. Elles s’interpénètrent et se superposent. 19

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La pensée urbaine de Jean Renaudie peut se rapprocher du groupe Team 10, comme évoqué dans l’introduction. Le groupe de jeunes architectes des années 50 s’opposait au fonctionnalisme « Nous les jeunes nous avons reçu un choc à Aix, en voyant combien l’émerveillement de la « ville radieuse » c’était évanoui. […] Aujourd’hui, chacun de nous reconnaît l’existence d’un nouvel esprit. Ceci se manifeste dans notre révolte des concepts mécaniques d’ordre et dans notre intérêt passionné dans les liens complexes entre la vie et la réalité de notre monde. »20 De plus, le concept de « relation » est récurent dans les projets et théories du groupe d’architectes, cela leur permet de concevoir une alternative au principe du zoning, très pratiqué à leur époque. On peut rapprocher ce concept à la complexité dont parle souvent Jean Renaudie. L’architecte pense que l’urbanisme moderne divise la ville par sa volonté de simplification, celle-ci entraînant sa stérilisation. La diversité ne peut se faire sans une certaine forme de complexité, selon lui, car elle est source de rencontre et synonyme d’humanité, comme il le décrit dans cette définition : Diversité : Reconnaître et admettre la complexité de l’organisation de la ville dans la pratique de l’architecture, c’est pour moi, attribuer à l’architecture le rôle de satisfaire la beauté humaine. 19

De plus, la schématisation des volumes creux dans les grands ensembles, qui suit la règle suivante : la hauteur est égale à la largeur entre les immeubles, a démontré que les espaces libres sont indéfinissables, car l’usager ne trouve pas d’intérêt à rester. Dans les projets de Renaudie, le rapport entre les volumes bâtis et les volumes creux agence l’espace, de telle sorte que les volumes 18 ZEVI Bruno, « Systèmre poétique, message urgent » introduction in Jean Renaudie de BUFFARD Pascale, Paris : Institut Français d’architecture, 1992. 19 Toutes les définitions de Jean Renaudie sont extraite du livre de RENAUDIE Jean, La ville est une combinatoire , Ivry-sur-Seine – France, Movicity ed., impr. 2014 20 Texte préparé pour le dixième congrès par la Team 10 : Draft Framework 3, CIAM X, Instruction aux groupes (traduction française). Archives C.I.A.M, Fondation Le Corbusier, Paris, cote D3071.


bâtis modèlent les volumes creux, qui deviennent des espaces délimités et appropriables. Ces notions d’urbanismes sont présentes dans la totalité des travaux de l’architecte, puisqu’elles sont à l’origine même de sa pensée architecturale. Le quartier Renaudie de Saint-Martin-d’Hères est un réseau complexe à taille humaine, où les usagers peuvent déambuler, se rencontrer et échanger à leur guise. L’architecte a conçu ce quartier avec un souci de complexité avec des recoins, des passerelles, mais aussi des terrasses qui permettent de respirer dans ce dédale de passage, d’escaliers et de rampe. Eric est un habitant du quartier depuis plus de dix ans et témoigne de l’avantage de cette composition : L’agencement des lieux, les circulations font qu’on se croise. Et du coup ça tisse des liens, tout simplement… Ça fait que les gens se rencontrent plus facilement, plutôt qu’une cage d’escalier où on est dans l’ascenseur dans du vertical et puis chacun part de son côté. ERIC (Saint-Martind’Hères/INITIE/57ans)

15 UNE VISION ORGANIQUE D’HABITER LA VILLE

Fig. 4

- Croquis de recherches - Crédit : Livre La logique de la complexité de Jean

RENAUDIE, page 86.

Il est intéressant de recueillir la perception des habitants de leur quartier, quarante ans après sa construction, pour comprendre comment cette utopie urbaine a évolué au fil des années pour ceux qui l’habitent. L’organisation de les espaces publiques et des entre-deux, comme Renaudie les a conçut en 1974, a été plus fructueux à Ivry et Givors qu’à Saint-Martin-d’Hères. Avec le temps, ce réseau d’escaliers et de coursives est devenu le terrain de jeu aux squatteurs et trafiquant de drogue. Cet îlot utopique, où chaque appartement est unique, a perdu de sa gloire.


Il y a quelques années, l’insécurité était grandissante avec les trafics de stupéfiants, les rodéos de motos dans la nuit ou encore les cambriolages ; pourtant, les mobilisations habitantes sont, aujourd’hui, nombreuses pour redynamiser ce quartier en déprise sociale. L’attachement y semble important malgré les problèmes de cité. Un habitant du quartier de Saint-Martin-d’Hères, m’en a parlé :

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Vous voyez les jeunes, ils utilisaient les passages, les recoins et les logements inoccupés pour faire leur trafic. La nuit, ils faisaient passer la drogue dans les gouttières pour les faire descendre au niveau de la rue. Mais ça, c’était avant ! Et puis, moi qui habite à 500 mètres avec ma femme on a jamais été dérangé par ces jeunes-là, jamais. Alors c’est triste, mais aujourd’hui, on se bat contre cette image de cité ! Parce que c’est plus le cas, regardez par vous-même : on se connaît tous, on se parle tous ! Alors oui, il y a encore quelques problèmes dans les parkings, mais c’est comme partout. JEAN-MARC (Saint-Martin-d’Hères/ INCONDITIONNEL/70ans) Au cours des recherches effectuées, je me suis aperçue que les délinquances sont plus importantes à Saint-Martind’Hères, qu’à Givors ou Ivry-sur-Seine. Je ne serai pas dire pourquoi puisque les intentions de l’architecte étaient relativement similaires entre les projets. La complexité, dont il est question, s’exprime à Givors aussi mais d’une autre manière: dans la volonté d’habiter la colline. Cette réalisation atteint une nouvelle dimension, celle d’une architecture organique, marquée par le lieu, son histoire et sa topographie. Le projet retenu par la mairie en 1974 est celui d’une imbrication de volumes sur une base géométrique utilisant les diagonales et permettant Fig. 5 - Photographie du projet d’Ivry-sur-Seine ainsi, une grande variété de surfaces, Site internet : rebloggy.com de formes, de volumes et d’espaces. L’imbrication des volumes s’organise sur une partie de la colline de Givors, reliant le centre-ville au site historique du château et s’intégrant dans le passé de la ville. Intégrer, ce n’est pas s’enfermer dans un volume donné un certain nombre d’éléments différents ou complémentaires, c’est organiser leur interpénétration et leur articulation. 19

À Givors, les étoiles sont accrochées à la colline et exploitent au mieux le relief afin de proposer une orientation optimale pour ces appartements. Cette architecture relie donc la partie basse de la ville à la partie haute, grâce à des cheminements piétons, mais aussi à une succession de terrasses, imaginées par l’architecte, qui descendent en cascades vers les espaces publics.


Nous ce qu’on a cherché ici [en parlant du quartier de Givors] c’était de trouver une solution d’intégration de ces bâtiments neufs avec cette colline. D’où cette idée de bâtiments qui viennent s’échelonner sur les pentes, s’accrocher aux ruines du château. Notre intention n’était pas de produire une œuvre d’art, mais c’est avant tout de livrer aux habitants un espace public avec des formes nouvelles, un peu inattendues certe, mais qui se rattachent finalement aux formes traditionnelles comme les traboules à Lyon, où les gens ont la possibilité de cheminer à travers les bâtiments, sous le bâtiment, dans le bâtiment. JEAN RENAUDIE dans l’ouvrage Mon quartier c’est ma vie. 21

Les déambulations, moi me font penser un peu au Magreb, même s’il y a des endroits qui ne sont pas jolie, je veux dire ça reste atypique. ERIC (Saint-Martin-d’Hères/INITIE/57ans) À Saint-Martin-d’Hères, la complexité de l’assemblage créée le vide et donc les passages, le tout constitue la ville. Lorsque je déambulais dans le quartier entre les habitations, j’ai perçu très distinctement les intentions de l’architecte. Toutefois, l’espace vécu s’éloigne un peu de cette utopie urbaine puisque les problèmes de cités sont causés par cet enchaînement de ruelles. Pourtant, dans les premières années, ce sont ces mêmes coursives qui ont fait les beaux jours des quartiers Renaudie, notamment à Givors et à Ivry. L’articulation entre espace privé, semi-privé et public est l’une des clés dans les projets de Jean Renaudie.

Fig. 6

- Croquis de recherche pour le projet de Givors, Jean Renaudie, 1974 -

Site Internet : jeanrenaudie.free.fr

21 KNAPP Hubert, Mon quartier est ma vie III : Les étoiles de Givors, TF1 et Euroscop, 1979, 59min., https://www.dailymotion.com/video/xw8k9m

17 UNE VISION ORGANIQUE D’HABITER LA VILLE

Il est vrai que, dans les témoignages, de nombreuses comparaisons reviennent souvent, notamment avec les traboules lyonnaises, les médinas orientales, ou encore avec les villages grecs. Ces comparaisons se font au travers des cheminements à travers l’architecture, parfois sinueux donnant sur des placettes que l’on retrouve dans l’architecture orientale ou dans les villes méditerranéennes. L’organisation spatiale de ces espaces urbains reflète l’organisation sociale de ses habitants. Eric, habitant du quartier de Saint-Martin-d’Hères, en a parlé lui aussi :


Fig. 7 -

18

CrĂŠdit illustration : MĂŠlanie Mottier


2. L’ARTICULATION ENTRE ESPACES PRIVES ET ESPACES PUBLICS

19


La recherche, non pas de la ville idéale mais d’une forme de ville, a conduit Jean Renaudie à mêler étroitement les espaces publics et les espaces privés, reliant ainsi des logements, des bureaux, des espaces culturels, des écoles et des commerces. L’organisation des volumes suit le principe de combinaison propre à l’architecte. Une de ses grandes notions étant que la ville doit être combinatoire, notion qu’il a développé tout au long de sa carrière, faisant même l’objet d’un de ses livres. Combinatoire : La ville est une combinatoire, où à tous les échelons d’organisation, s’établissent sur une structure complexe des phénomènes de communication dans tous les sens. 19

20

Fig.

8

-

Coupe

schématique

des

programmes

des

Etoiles

de

Renaudie

à

Ivry-sur-Seine.

-

Consulté dans l’ouvrage : Jean Renaudie de BUFFARD Pascale, page 75.

Jean Renaudie pense qu’on ne doit plus séparer le public et le privé. Il fait un contre-pied total à la Charte d’Athènes, en étant contre la séparation des fonctions. C’est dans le mélange, par des solutions basées sur la combinaison des résidences, des lieux de travail, des commerces et d’autres programmes, que peut s’épanouir la spécificité de la vie urbaine. La notion d’espace privé ou public peut prendre un autre sens que celui de l’opposition où elle est maintenue par des considérations économiques, sociales, politiques et idéologiques. 22

La création du nouveau centre-ville de Saint-Martin-d’Hères en 1974, s’est accompagnée de l’ouverture de nombreux commerces situés au rezde-chaussée de la rue principale, l’avenue du 8 Mai. Cette avenue constitue la colonne vertébrale du quartier. De part et d’autre de l’artère, s’organise de grandes arcades et des voies piétonnes, équilibrant ainsi les circulations entre piétons et automobiles. Les logements, quant à eux, s’organisent au-dessus des commerces et des parkings privés, sur une architecture sur dalle. La volonté de Renaudie fut de mixer au mieux les appartements privés aux commerces de l’avenue du 8 Mai. Les circulations piétonnes, quant à elles, sont situées sous les arcades, comme vous pouvez le voir sur le croquis ci-dessous. En ce point, l’architecte est un des premiers à révéler les potentiels que propose le mélange entre privé et public.

22 RENAUDIE Jean, La ville est une combinatoire , Ivry-sur-Seine – France, Movicity ed., impr. 2014, p.112


Fig. 9 -

Croquis coupe explicative - Crédit illustration : Mélanie Mottier.

L’avenue principale, l’avenue du 8 Mai, elle est pas du tout attirante, c’est même l’inverse. Cette avenue du 8 Mai, nous, on est plusieurs à penser qu’elle pourrait devenir attractive s’il y avait d’autres aménagements. MONIQUE (Saint-Martin-d’Hères/INITIE/55ans) Ici [en parlant de Mosaïkafé], tout le monde passe, toutes les couches sociales se rassemblent. Mais on a dû se battre pour le garder ce café ! On y passe du temps ici et tout le monde a mis la main à la pâte. Ici, c’est public, c’est ouvert à tous, mais c’est aussi notre chez nous. JEAN-MARC (Saint-Martin-d’Hères/INCONDITIONNEL/70ans) Les recherches et visites, effectuées à Saint-Martin-d’Hères, ont permis de comprendre que cette vie de quartier est implicitement mise en place grâce à l’organisation de l’espace. Le rapport entre espace public et espace privé étant si étroit, cela engendre naturellement des échanges, du partage, de la communication entre voisins.

L’ARTICULATION ENTRE ESPACES PRIVES ET ESPACES PUBLICS

Malheureusement, avec le temps, les commerces se sont peu à peu vidés, éteignant ainsi la vie de l’avenue, et par conséquent la vie du quartier. Aujourd’hui, une des dernières associations encore ouverte tous les jours est le café participatif Mosaikafé, qui est véritablement devenu un point de regroupement et de rencontre. Des habitants, farouchement amoureux de leur quartier, m’en ont parlé, en disant que cette avenue n’était aujourd’hui plus attrayante malgré le fait que cela reste un lieu de rencontre dans le quartier :

21


Dans la rénovation d’Ivry, il existait un réel souci d’aboutir à une combinaison des ensembles. Les programmes étant pluridisciplinaires : logements dans l’immeuble Danielle Casanova (1), le petit immeuble Jean-Baptiste Clément (3), un centre culturel, l’école Einstein (5) la place Voltaire (6) ou encore le centre commercial Jeanne Hachette (2). La combinaison des activités, des équipements, des services et des logements proposent une nouvelle forme de la ville et offrent une multiplicité de cheminements, de rassemblements, de rencontres.

22

Fig.

9

-

Plan

Masse

des

Etoiles

de

Renaudie

à

Ivry-sur-Seine.

-

Consulté dans l’ouvrage : Jean Renaudie de BUFFARD Pascale, page 59.

Ce mélange permet la rencontre entre propriétaires, locataires, commerçants ou simples passants. C’est cela qui génère des échanges et des interactions, et par définition, ce qui génère la vie dans des quartiers comme celui-ci. Toutefois, les qualités de vie et d’usage ne sont perceptibles que par une partie des habitants. Selon Axelle, habitant à Ivry-sur-Seine, il faut apprendre à les discerner et ce n’est pas chose facile pour tout le monde : Moi, je trouve qu’il y a une vie sociale importante dans le quartier, alors après on en fait ce qu’on en veut, y’a des gens qui vous diront qu’il ne se passe rien, moi, je trouve qu’il y a une vie à Ivry pour bien la connaître et la connaître de l’intérieur, moi, je trouve que c’est une ville qui en apparence à l’air ville de banlieue… Moi, je vois des amis qui viennent nous voir et qui habitent Paris ou des banlieues un peu plus chics, ils se disent : « Mais quelle horreur Ivry, comment tu peux faire pour habiter là ! », et puis quand je leur dis tout ce qu’on fait, tout ce qui s’organise, voilà les relations de voisinage, enfin plein de choses comme ça, ils sont quand même assez étonnés ! Et c’est une ville qui est assez attachante de l’intérieur quand on veut bien se donner un petit peu la peine. Alors le centre-ville, je pense en particulier, il s’y passe beaucoup de choses. AXELLE (Ivry/ INITIE/42)23

23 Tous les extraits de témoignages des résidents d’Ivry, cités dans ce mémoire, ont été extrait de la Thèse de BRESSON Sabrina, «Du plan au vécu, Analyse sociologique des expérimentations de Le Corbusier et de Jean Renaudie pour l’habitat social», Thèse de doctorat, soutenue le 10 fèvrier 2010 en Sociologie sous la direction de S. Denèfle à Tour, 448 p.


photo : Mélanie Mottier Fig. 10 - Crédit

23

L’ARTICULATION ENTRE ESPACES PRIVES ET ESPACES PUBLICS


Le constat est évident, à Saint-Martin-d’Hères comme à Ivry-sur-Seine, la volonté qu’avait l’architecte de regrouper les fonctions a porté ses fruits. Comme le souligne Henri Lefebvre dans l’ouvrage Utopie expérimentale : Pour un nouvel urbanisme 24, la ville moderne de la Charte d’Athènes devient peu à peu ennuyeuse avec la standardisation de l’architecture et la rationalisation des aménagements urbains suivant le principe du zoning. La mixité urbaine qu’applique Renaudie, et tant d’autres, à l’époque, est encore aujourd’hui recherchée par les urbanistes.

24

Toutefois, le mélange privé-public soulève quelques questions. En étant un peu plus pragmatique, on s’aperçoit que la frontière est si mince entre les propriétés que l’on peut commencer à se poser des questions d’entretien : jusqu’où je me considère chez moi ? À qui appartiennent les coursives entres les logements ? Qui doit valoriser ces lieux-là ? Et surtout qui doit les entretenir ? Les limites sont floues et les habitants ne savent pas toujours comment régler ces problèmes qui, peu à peu, impactent l’image qu’ont les passants du quartier. Les coursives sont, encore une fois, un exemple pertinent pour illustrer ce propos : les propriétaires et locataires n’entretiennent pas les coursives alors qu’elles sont utilisées tous les jours par les habitants. Elles sont donc laissées à l’abandon et se dégradent de jours en jours, donnant une image négative. Un habitant de Saint-Martin-d’Hères soulève ce problème lors d’une discussion : Il y a des tas de lieus qui ne sont pas mis en valeur. Cette question de l’entretien est importante à soulever. Au niveau de l’urbanisme, c’est pas complètement défini, mais il y a régulièrement un entretien. Après, on se demande nous en tant qu’habitant : ces passages, ces circulations, elles sont à la charge de qui ? C’est la commune qui le fait aujourd’hui, mais qui nous garantit que ce sera le cas demain, il pourrait nous dire un jour de nous débrouiller. ERIC (Saint-Martin-d’Hères/INITIE/57ans) Après c’est des questions de personnes, enfin, je veux dire que c’est aux gens de faire en sorte que ça reste propre, malheureusement c’est pas toujours le cas ! ELOISE (Ivry / CONTRAINT /40 ans) 23 Ici c’est vrai que c’est chouette. On a des rez-de-jardin qui sont magnifique. Mais bon, c’est pas entretenu… Il est là le problème. Madame ALBERT (Saint-Martin-d’Hères/CONTRAINT/60ans) Ces questions, sur l’entretien des coursives, sont pour certains futiles, mais soulèvent de vraies questions de société bien plus large, comme le souligne une habitante à Ivry : Là, on retombe vers les problèmes sociaux. Les tags, par exemple, et bien ça, si c’est pas un problème de l’office, c’est pas un problème de la mairie, c’est pas un problème de la préfecture, c’est pas un problème du président de la République, c’est un problème de citoyenneté quoi ! GEORGES (Ivry/CONTRAINT/68 ans) 23

24 LEFEBVRE Henri, « Utopie expérimentale : Pour un nouvel urbanisme », in Revue française de sociologie, Vol.2 N°3, 1961, p.191-198. [En ligne] consulté le 2 Mais 2019, https:// www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1961_num_2_3_5943


La combinaison du collectif et de l’individuel révèle la connaissance du concepteur et du respect qu’il avait pour les usagers et leurs capacités à modeler l’espace autour d’eux. J’ai pu constater que la volonté de Jean Renaudie, d’aller à l’encontre de la séparation des fonctions afin d’insuffler de la vie au projet, fut une réussite à Saint-Martin-d’Hères et à Ivry-sur-Seine, malgré le fait que certains se posent des questions plus pragmatique de propriété et de société. Au delà d’avoir remis en question l’urbanisme, Jean Renaudie a su réinterroger son travail continuellement en inventant de nouvelles formes qui ont permis de proposer de nouvelles façons d’habiter.

25 L’ARTICULATION ENTRE ESPACES PRIVES ET ESPACES PUBLICS

Fig. 11 - Esquisse d’élévation du projet de Saint-Martin-d’Hères, Consultable dans le livre : Jean Renaudie, de BUFFARD Pascale.


Fig. 12 -

26

CrĂŠdit illustration: MĂŠlanie Mottier


27

3. LE REFUS DE L’ANGLE DROIT


L’idée de combiner le maximum d’activités différentes passe par la recherche de la forme architecturale, pour Renaudie. La géométrie, et notamment la diagonale, lui permet de développer son imaginaire. L’évitement de l’angle droit lui donne la possibilité d’expérimenter et d’exploiter des solutions infinies. Carré : Les formes que j’emploie sont un peu inattendues, surtout lorsqu’on est habitué à l’angle droit, qui, lui, n’est jamais considéré comme outrancier. Il y a pourtant beaucoup à dire sur le contenu idéologique attribué au carré, en tant qu’affirmateur d’ordre et générateur d’axes. 25

L’angle n’est plus neutre, il crée de la lumière et génère de nouvelles formes d’espaces. Ses objectifs sont plus fonctionnels que formels dans le but de proposer un mélange des fonctions. Ce souci d’imbrication, cette projection des logements finalement sur l’organisation de la ville, sur la vie, sur l’environnement si l’on veut. Le souci de produire de la diversité au niveau des espaces, je ne prétends pas que ce n’est pas faisable en utilisant uniquement la géométrie de l’angle droit, mais je considérais là que l’utilisation des directions autres que les deux directions orthogonales donnaient dans l’organisation des formes et dans les espaces qui étaient produits des possibilités autres. Jean RENAUDIE26

28

Ainsi, dans le plan des étoiles, il n’y a pas deux intérieurs similaires, les appartements sont vastes, avec une grande hauteur sous plafond et largement ouverts sur l’extérieur. Une habitante témoigne, dans Mon quartier est ma ville 27 , du fait que les formes extérieures des bâtiments sont repoussantes mais qu’elles permettent d’avoir une nouvelle qualité de vie : Au départ, on trouve ça très laid, l’aspect extérieur avec le béton et les formes bizarroïdes. Après, au bout de quelques années, l’intérieur devient formidable. Je ne suis pas du tout nostalgique des pièces carrées. Je me sens enfermé et étouffé dans des appartements plus traditionnels, carrés. Ici, on a de la lumière, on voit loin. Ce que j’apprécie ce sont les coins, qui libèrent des espaces. On y est bien en définitif. Habituellement, on ne retrouve pas des espaces si généreux dans des logements sociaux. Cette idée apparaît dans certains témoignages ; comme celui de JeanMarc, habitant de Saint-Martin-d’Hères, qui confirme cela : Vous savez Renaudie il a fait des formes particulières, des pointes, mais ça lui a permis de créer des appartements 10 % plus grand, en terme de surface, que la moyenne des logements sociaux. C’est pas rien !

25 RENAUDIE Jean, La ville est une combinatoire , Ivry-sur-Seine – France, Movicity ed., impr. 2014, p.137 26

Ibid.

27 KNAPP Hubert, Mon quartier est ma vie III : Les étoiles de Givors, TF1 et Euroscop, 1979, 59min, https://www.dailymotion.com/video/xw8k9m


Tiens, par exemple ici, [en parlant de la pièce de vie] on a 3m10 de hauteur sous plafond, ça nous donne de grand espaces. C’est un régal ! JEANMARC (Saint-Martin-d’Hères/INCONDITIONNEL/70ans)

- Relevé d’habitat, Eric Zubert,

Crédit Illustration : Mélanie Mottier.

Eric et Monique Zubert ont quelques pointes dans les chambres mais ce n’est pas un problème pour eux. Le relevé d’habitat ci-contre montre que la pièce de vie est assez grande et que les angles dans les chambres ne posent plus de problème aujourd’hui. Néanmoins, dès leur arrivée le couple a réalisé quelques travaux d’aménagement pour que l’appartement soit plus agréable à vivre quotidiennement, comme par exemple dans la chambre de leur fils : en plus d’avoir un angle, il y avait un arrondi, qui a été démoli à leur arrivée afin d’avoir un mur plat et d’agrandir la chambre mitoyenne. Eric, ajoute aussi que ces angles « permettent des vues différentes » sur Grenoble et ses environs :

Fig. 14

- Relevé d’habitat, Eric Zubert,

Crédit Illustration : Mélanie Mottier.

Là on a une chambre en angle mais qui donne sur plusieurs versants. Ça c’est assez intéressant aussi, assez agréable d’avoir des orientations Nord, Sud, Est, … Plusieurs orientations dans un logement. Les angles permettent des vues différentes et du coup un ensoleillement différent dans chacune des pièces à différents moments de la journée. ERIC (Saint-Martin-d’Hères/INITIE/57ans)

29 LE REFUS DE L’ANGLE DROIT

Fig. 13

On retrouve , au quartier Renaudie de Saint-Martin-d’Hères, les diagonales et pointes propres à l’architecte mais s’ajoute à celles-ci des arrondis. Ainsi, certains logements ne possèdent aucun angles mais des formes plus circulaires, qui sont tout autant contraignantes à aménager pour les habitants. Au cours des visites des appartements à Saint-Martind’Hères, je me suis aperçue que les formes inhabituelles ne sont pas toujours une contrainte pour les usagers. Du moins, c’est à double tranchant : soit les personnes s’adaptent et meublent leur logement en fonction de celles-ci, soit les occupants perçoivent cela comme une contrainte et ont des difficultés à aménager leur espace.


J’ai constaté, au cours de mes recherches, que les avis sur les angles étaient divisés, ce témoignage recueilli lors d’une rencontre inattendu dans le quartier, le démontre : Moi ça ne me dérange pas les triangles. Je fais en fonction mais je sais que mon mari, lui, il déteste ça. Lui il veut les appartements classiques où c’est tout carré. Salon carré, wc carré, couloir carré et placard carré. Que là non, on s’y adapte et d’ailleurs heureusement que tout n’est pas carré, ce serait monotone. Madame X (Saint-Martin-d’Hères/INITE/55ans) En effet, certains habitants ne parviennent pas à aménager l’architecture créée par Jean Renaudie. Une locataire de Saint-Martin-d’Hères présente depuis plus de 30 ans l’évoque dans la citation suivante :

30

C’est très difficile d’aménager. Moi quand je suis arrivée ici, j’ai mis mes meubles, mais ça ne va pas, vous le voyez bien. En même temps, tu as vu l’appartement. C’est facile hein… Ici, [en parlant du salon] on est dans un losange, le couloir c’est tout droit, la cuisine elle est toute droite et la chambre c’est un triangle. Tu vois, c’est vite vu. NICOLE (SaintMartin-d’Hères/CONTRAINT/78ans)

Fig.

15

-

Relevé

d’habitat,

Nicole,

Crédit Illustration : Mélanie Mottier.

Le relevé d’habitat ci-contre met en évidence les angles dans cet appartement qui se situent dans le salon, dans le couloir d’entrée, dans la chambre et sur la terrasse. On voit clairement que la personne âgée qui habite ici a du mal à aménager l’espace. Elle m’a confié qu’elle plaçait les meubles aléatoirement pour cacher les angles. De plus, j’ai remarqué que sa chambre était relativement petite même si encombrée par des meubles. Une habitante d’Ivry qualifie elle aussi la taille des chambres comme étant perturbant : L’inconvénient, ce sont les petites chambres, elles sont vraiment trop petites, du coup les enfants, ils y vont jamais quoi… Non, ils y jouent pas dans leur chambre […]


Oui, c’est petit, enfin moi la chambre de mon fils ça fait trois ans que je suis ici j’ai toujours pas réussi à l’aménager hein, c’est trop en triangle et il y a des baies vitrées partout. EVA (Ivry/INITIES/36ans) 23 D’extérieur, les angles peuvent être rédhibitoires : générateurs de lumières, d’espace et de vue en perceptive une fois rentré dans les appartements. Mais les pointes sont aussi productrices de recoins, d’impasses, et peuvent être à l’origine d’un mal-être pour certaines personnes. Des habitants d’Ivry-surSeine et de Saint-Martin-d’Hères l’affirment : Le problème, c’est que tous les recoins ça crée des espaces un peu malsains. IRENE (Ivry/INCONDITIONNEL/63ans) 23 Chez moi, avant, c’était carré, bien organisé, et là ça fait un angle. On doit vivre autrement. Ils disent que c’est de l’art, ouais de l’art peu-être quand tu ne vis pas dedans, mais dedans c’est bizarre franchement. Habitant de Saint-Martin-d’Hères en 2012 1128

Fig. 16

- Plan de logements - Ivry-sur-Seine - Immeuble Jeanne Hachette - Consultable dans le livre : Jean Renaudie, de

BUFFARD Pascale.

28 La mention « Habitant de Saint-Martin-d’Hères en 2012 » signifie que le témoignage est extrait du travail de Raphaël CORDRAY et Benjamin VANDERLICK, Etoiles : Création sonore et visuelle autour de la parole des habitants du quartier de Saint-Martin-d’Hères, Microphone – porter la parole, 2011, 29min.

31 LE REFUS DE L’ANGLE DROIT

Les propositions que fait Jean Renaudie à Ivry, Givors ou Saint-Martin sont fortes et suscitent de nombreuses réactions. Au moment de la construction d’Ivry, Jean Renaudie a été témoin des premières réponses négatives dues aux formes bâties. Il n’en attendait d’ailleurs pas moins. L’architecte était conscient que sa proposition susciterait de vives réactions. J’ai constaté qu’à Saint-Martind’Hères, cette composition suscite toujours de nombreux débats, même au sein des habitants, qui ne sont pas tous unanime sur le fait que les angles, ou les arrondies, soient appropriables. Au delà de la recherche esthétique d’une forme, Renaudie partait du principe que les individus ne peuvent pas être de simple occupant mais qu’ils ont la capacité d’habiter plus que de se loger.


32


Fig. 17 -

Plan de l’Immeuble Jeanne Hachette d’Ivry-sur-Seine et Illustrations réalisées par Mélanie Mottier

33

4. L’APPROPRIATION


Jean Renaudie refuse l’héritage de ses prédécesseurs rationalistes, Walter Gropius ou Mies Van Der Rohe, qui visent à « privilégier l’espace, les cavités vécues, par rapport aux enveloppes closes et aux boites orthogonales. »29 Le caractère si particulier de l’œuvre de Renaudie vient d’une conception du logement en rupture avec les idées fonctionnalistes qui dominent les politiques urbaines de son époque. Diversité : L’inattendu, la découverte, la diversité dans l’organisation des formes du logement sont des conditions favorables pour que nous devenions acteurs, et il ne peut y avoir de perception de l’espace autrement que dans l’action. L’importance de la diversité à l’intérieur du logement, favorisant son appropriation, grandit avec le fait que celle-ci est appliquée à l’ensemble, et fait en sorte que tous les logements sont différents les uns des autres et non plus conçus sur le principe de l’appartement-type. 19

34

L’une des principales contraintes constructives, à Saint-Martin-d’Hères pour Renaudie, fut la nappe phréatique située sous la ville, qui l’empêcha de construire des parkings privés en sous-sol. Le concepteur a alors fait le choix d’une architecture sur dalle, lui permettant ainsi de situer les parkings en rez-de-chaussée. L’urbanisme sur dalle, apparu après dans les années 70, a pour objectif de séparation les circulations piétonnes des automobiles afin d’offrir aux piétons une ville moderne et dynamique avec les zones d’activités (bureaux, commerces, etc.) séparé de la voirie. Dans le cas du quartier Renaudie à Saint-Martin-d’Hères, l’architecture sur dalle permet de libérer de grandes surfaces planes en rez-de-chaussé mais aussi dans les étages puisqu’un système de poteaux et de poutres structure les logements. Un habitant du quartier m’a dit que ce système permet aujourd’hui à de nombreux usagers d’organiser l’espace de leur appartement comme bon leur semble puisque cela leur offre de grands espaces de vie. On retrouve donc à Saint-Martin-d’Hères, des pièces de vie très ouvertes, de grande surface avec une hauteur sous plafond importante, sans fonction déterminée au préalable, qui laisse à l’usager le choix et le pouvoir d’en faire ce qu’il veut. L’organisation des pièces dans les projets de Renaudie est singulière : il y a de grands espaces communs et des chambres individuelles petites. Les volumes sont rarement totalement fermés et il existe une multitude d’angles et de recoins, sans parler des pièces où la fonction n’est pas pré-définit. Cette façon de penser vient en complète contradiction avec les logements collectifs de l’époque, où tous les espaces étaient conçus avec une fonction prédéfinie, dans un souci d’optimisation.

29 ZEVI Bruno, « Systèmre poétique, message urgent » introduction in Jean Renaudie de BUFFARD Pascale, Paris : Institut Français d’architecture, 1992.


Fig. 18 -

CrĂŠdit photo : MĂŠlanie Mottier

35


Fig. 20 -

Courrier du 27 Mars 1968 de Jean Renaudie à l’intention du maire d’Ivry.

La liberté d’aménagement, laissée aux habitants, est un facteur d’attrait très positif pour eux. Ils peuvent modeler leur appartement comme ils le désirent et de ce fait, se l’approprier totalement. Sans oublier, les grands volumes qui permettent de profiter pleinement des potentiels du logement dans la vie de tous les jours, comme l’illustre Armelle, propriétaire à Ivry :

36

Le principal avantage ? Beh, je dirai c’est ça, de ne pas être les uns au-dessus des autres […] et puis l’espace, la surface. Ah oui. Les surfaces, elles sont exceptionnelles ! […] L’espace ouvert quoi c’est l’avantage de cet espace, c’est pas tout le temps fermé avec des portes partout c’est ça hein… ARMELLE (Ivry/INITIE/51ans)23 Un habitant de Saint-Martin-d’Hères, qui a des arrondis, témoigne lui aussi, en déclarant que les murs circulaires n’ont jamais été une contrainte : Bon nous, on a pas de pointe, par contre on a les angles arrondis. On n’a jamais eut de difficultés à aménager le salon ou le bureau, il suffit d’être créatif ! On a acheté un canapé courbé et on a construit une bibliothèque courbé elle aussi. Ca change de ce qu’on peut voir partout. JEAN-MARC (Saint-Martind’Hères/INCONDITIONNEL/70ans) Fig. 21 -

Relevé d’habitat, Jean-Marc MOREL,

Crédit Illustration : Mélanie Mottier.

Au-delà d’occuper les formes inhabituelles, l’appropriation de leur appartement se fait à d’autres niveaux. J’ai pu observer plusieurs meubles fait sur-mesure par les usagers eux-mêmes, qui rencontraient de réels difficultés à trouver des meubles préfabriqués adaptés à leur appartement dans diverses enseignes d’ameublement. Une habitante m’en a parlé lorsqu’elle m’a fait visiter son logis. Elle témoigne qu’il leur a fallut, elle et son mari, s’adapter à l’appartement mais que cela ouvrait de nouvelles possibilités et que cela changeait des appartements standards : Donc là vous avez des petits rangements qu’on a fait nous-même, surmesure. Ça existait pas tout ça quand on a emménagé. C’est une façon de s’approprier l’espace aussi. MONIQUE (Saint-Martin-d’Hères/ INITIE/55ans)


Fig. 22 - Relevé

d’habitat, Eric

Zubert,

Le croquis ci-dessus met en évidence un des meubles réalisé par le couple d’habitant qui sont, au final, assez nombreux dans l’appartement. On en retrouve dans le salon et les chambres.

Les terrasses-jardins jouent un rôle très important pour les habitants. Pratiquement tous les habitants de ces appartements (en parlant des logements de Givors) en ont eu envie, dans la mesure où l’idée d’un jardin se rattache à toutes sortes de rêves d’enfance. Plaisir qui fait tout l’attrait du pavillon : pouvoir s’approprier l’espace, le marquer à ses goûts, etc. 19

Fig. 23 - Crédit

photo : Mélanie Mottier

Les habitants sont appelés à s’investir et devenir les principaux acteurs de leurs logements, les terrasses en sont la preuve. Recouvertes de trente centimètres de terre, elles sont faite pour cultiver et deviennent le symbole de l’appropriation de l’espace.

37 L’APPROPRIATION

L’appropriation la plus constatable des habitants de leur espace privé se trouve au niveau des terrasses-jardins. Elles constituent un des concepts les plus remarquables de Jean Renaudie, même si à Ivry, il ne se doutait pas de l’ampleur qu’elles prendraient dans la vie des habitants des étoiles.


En plus d’être un atout pour les habitations, l’organisation des terrasses est faite de telle sorte que les habitants peuvent communiquer entre eux de l’une à l’autre. Une habitante d’Ivry m’en a parlé : Les liens se sont crées effectivement par les terrasses, hein quand même. L’architecture y a été pour quelque chose. […] Ouais, voilà, on se donnait des plantes. Enfin la vigne au départ, le pied de vigne là, il vient de la Nièvre et bien dans Casanova, on pourrait presque faire les vendanges. On avait dit qu’on le ferait une fois parce qu’on a donné des pieds à tout le monde… Donc oui pour les anciens, les terrasses c’est comme ça. Ça a privilégié quand même les liens, les relations au départ. JEANNE (Ivry/ INCONDITIONNEL//65ans) 23 Heureusement que j’ai ma terrasse autrement je n’aurai pas pris, ça fait la différence. NICOLE (Saint-Martin-d’Hères/CONTRAINT/78ans)

38

Fig. 24 - Crédit

photo : Mélanie Mottier

Pourtant, à Saint-Martin-d’Hères une grande majorité des terrasses ne sont pas utilisées. Cela étant souvent dû à des problèmes d’infiltration des eaux. Beaucoup trop coûteuse pour être réparées, les habitants préfèrent ne pas utiliser les terrasses. On peut voir sur la photo, ci-contre, une terrasse laissée à l’abandon, en premier plan, et une autre utilisée, en contrebas. Un habitant du quartier explique la raison pour laquelle certaines terrasses sont aujourd’hui abandonné à SaintMartin-d’Hères :

Quelques fois, malheureusement, les gens n’utilisent pas leurs terrasses. Ça n’existe même pas pour eux. Ils ne voient pas ça comme une extension mais plus une contrainte, vous imaginez si vous devez payer 30 000 € pour devoir régler les problèmes d’infiltrations ? C’est même pas la peine. JEAN-MARC (Saint-Martin-d’Hères/INCONDITIONNEL/70ans) Le rôle initial de ces espaces verts était, pour Renaudie, d’offrir à chacun une petite parcelle de terre afin de jardiner, mais aussi de donner plus de vie à l’image du quartier avec la végétation débordant des terrasses. Selon lui, ce n’est pas parce qu’on n’a pas les moyens de vivre ailleurs que dans un logement social qu’on n’a pas un droit d’accès au jardinage. Il se trouve que les premières années, ces terrasses, organisées en cascades et communiquant, les unes avec les autres, furent un lieu propice aux échanges entre voisins. Elles ont parfois constitué, pour quelques-uns, d’un espace d’entre-deux, entre le privé et le public, où les relations de voisinage peuvent voir le jour. Malheureusement, les années passant des problèmes liés aux terrasses sont apparus et les habitants les ont peu à peu délaissées à Saint-Martin-d’Hères.


Selon Françoise Lugassy30, dans son étude sur l’appropriation de l’immeuble Danielle Casanova à Ivry, l’architecture a permis à chaque famille, à chaque individu, de développer son propre rapport à l’espace, au logement et à la ville. Ce témoignage d’un habitant du quartier appui ce propos : On a notre appartement unique au monde, et ça, c’est vraiment très rassurant […] parce qu’on vit vraiment comme des êtres humains, par rapport à tous les gens qui sont entassés dans les tours, c’est un peu déshumanisé […] ici on est chez soi, pas seulement dans l’appartement, aussi à l’extérieur. 31 Noémie Giard relève que cet enthousiasme est toujours présent, trente ans après la livraison du projet, dans son article Habiter les étoiles32. Des habitants d’Ivry racontent l’enthousiasme des débuts, échanges d’outils de jardinage, les partages de savoir-faire pour cultiver les terrasses, etc. A travers ces appropriations, on voit l’importance que donnait Renaudie aux individus qui occuperaient son architecture.

30 LUGASSY Françoise, Les réactions à l’immeuble Danièle-Casanova à Ivry, Paris – France, éd. Plan Construction Secrétariat permanent, 1974. 31

A la bonne heure, 24 Janvier 1977, TF1 : « Innovations architecturales ».

32 GIARD Noémie, « Habiter les étoiles, conception, appropriation, exposition. Le cas du projet de Jean Renaudie à Ivry-sur-Seine » in Vivre la modernité acte du colloque « Vivre au 3e millénaire dans un Immeuble emblématique de la modernité » sous la direction de Xavier Guillot, ed. Université de Saint-Etienne, 2006.

39 L’APPROPRIATION

Les idéaux de Renaudie ont vite été rattrapé par la réalité lorsque les premiers habitants ont emménagés dans les appartements. Comme partout, les usagers se sont appropriés l’espace, toutefois ils ne se sont pas tous adaptés aux formes atypiques. J’ai pu constaté que l’impact qu’ont les pointes sur l’usage des individus est révélateur. Si les personnes se sont accommodé des angles et ne se sont pas confronté à des difficultés, c’est ce que ces personnes sont heureux de vivre aujourd’hui dans ce quartier. A contrario, quand les usagers ont du mal à meubler les angles, généralement c’est qu’ils n’ont pas choisi de vivre ici et qu’ils n’y voient aucun intérêt. Le concept d’appropriation, qu’il voit jours ou non, est en lien étroit avec le rapport que Renaudie avait avec l’importance qu’il donnait aux utilisateurs de son architecture. Jean Renaudie s’inscrit dans une volonté de mettre l’usager au même niveau que l’architecte, venant ébrécher l’image du savant concepteur qu’est l’architecte au XX ème siècle.


Fig. 25 -

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CrĂŠdit Illustration : MĂŠlanie Mottier


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5. REQUALIFIER LE ROLE DE L’ARCHITECTE DANS LA SOCIETE


Jean Renaudie ne s’attachait pas à des solutions architecturales figées et redoutait encore plus que ces solutions soient appliquées de façon systématique. Comme ce mémoire l’a évoqué précédemment en introduction, il associait la singularité des individus à l’architecture, pour que celle-ci ne soit jamais la même, s’adaptant systématiquement à son usager. Selon lui, un projet d’architecture n’est abouti que lorsque les habitants se l’ont approprié. Il ne dévalorise pas le métier de l’architecte, au contraire, il lui donne une définition plus complexe que la simple maîtrise d’ouvrage : Le statut de l’architecte comporte des critères de compétences et de savoir, c’est indéniable. Toutefois, mon statut comporte aussi un certain nombre de système de différenciation et de rapport avec les autres individus, ou groupes d’individus qui ont eux-mêmes leurs statuts. 19

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Fig. 26 - Colloque Urbanisme,

Mode de vie, Consommation collective , 1978.- Site internet : jeanrenaudie.fr

Le fait que Renaudie se mette dans la peau des usagers de son architecture lui a permis de développer des projets à échelle humaine, certes complexes, mais représentatifs de la société dans laquelle il évoluait. L’architecte dit, dans un documentaire télévisé33, qu’il faut écouter les futurs occupants, et non pas leur proposer des solutions impersonnelles : Ce qu’on constate dans les logements collectifs où on se contente de stocker les gens comme des tiroirs, c’est que les gens sont mécontents. Ces solutions sont de plus en plus critiquées, la preuve en est : c’est la population qui a inventé l’expression cage à lapin.

33 KNAPP Hubert, Mon quartier est ma vie III : Les étoiles de Givors, TF1 et Euroscop, 1979, 59min.


Selon Nina Romain, dans son mémoire Etre(s) Humain(s) – Concevoir et habiter le logement Social en France, « le dessin de l’architecte peut guider un mode de vie, spatialiser une culture, et alléger ou faciliter les gestes du quotidien les plus naturels. »34 On prend conscience de l’importance du rôle social qu’à l’architecte dans son travail. Jean Renaudie l’avait bien compris et on le voit à Ivry-sur-Seine quand on sait qu’il a habité dans un des appartements quelque temps. En effet, une fois le chantier achevé, l’architecte a habité l’immeuble Casanova afin d’expérimenter sa propre œuvre architecturale en tant qu’usager et non plus en tant que concepteur. Jean Renaudie ne réfléchissait pas en terme d’espace ou de fonctions mais en terme d’usages. Il se demandait comment les personnes allaient vivre à l’intérieur, et selon une habitante d’Ivry, c’est ce qui fait la différence :

Cependant à Saint-Martin-d’Hères, les discours sont moins élogieux qu’à Ivry. Certains reconnaissent les efforts qui ont été fait dans les logements mais une grande partie des habitants critiquent les finitions. Le problème d’infiltration des terrasses revient presque systématiquement dans les témoignages. De plus, lors d’une visite de l’appartement d’une personne âgé, j’ai remarqué qu’elle avait dû aménager elleFig. 27 - Relevé d’habitat, Nicole, même des marches pour accéder à sa Crédit Illustration : Mélanie Mottier. terrasse, la porte fenêtre étant à plus de 40 cm du sol. Les propos sont incohérents entre les habitants d’Ivry et de Saint-Martind’Hères. D’une part, les Ivryens témoignent du soin qu’avait l’architecte pour les finitions.

34 ROMAIN Nina, « Etre(s) Humain(s), Concevoir et habiter le logement social en France», Mémoire mention recherche à l’ENSAB en 2016, 228p. p. 186, [En ligne] Consulté le 2 Mai 2019, https://issuu.com/ninaromain/docs/nina_romain_-__etre_s__humain_s__-_

43 REQUALIFIER LE ROLE DE L’ARCHITECTE DANS LA SOCIETE

Bien sûr qu’on le connaissait. Renaudie habitait juste au-dessus, il était au sixième quand nous on était au cinquième. Et ce que je trouvais génial, c’est qu’il venait chez nous par exemple et il disait : « Tiens pourquoi j’ai mis ça là, ça va pas du tout ça ! ». […] Et ça, c’était super quoi, de parler avec lui de comprendre pourquoi il avait fait des petites fenêtres en bas. Alors il disait que c’était à la fois pour les bébés quand ils se traînent par terre au moins ils peuvent regarder sans qu’on soit obligé de les hisser, puis les animaux, les chats ils se mettent souvent là pour regarder ce qui se passe dehors. Bon voilà, trouver des gens qui ont à ce point-là réfléchi à comment on vit… Il venait voir comment on vivait à l’intérieur, comment on s’était accaparé… Enfin nous, on n’est pas arrivé à la première vague, donc il a beaucoup plus sans doute discuté avec les premiers arrivants. Mais bon on était quand même, on le voyait, voilà. IRENE (Ivry/ INCONDITIONNEL/63ans) 23


D’autre part, les martinérois énumèrent les incohérences architecturales qu’ils relèvent chaque jours dans leurs appartements : l’infiltration des eaux, l’isolation thermique et phonétique, les rampes qui sont bien trop nombreuses pour être agréable à utiliser, les poteaux porteurs en plein milieu du salon ou des chambres, etc. Nous remarquons ici l’une des différences entre Ivry et Saint-Martin-d’Hères : Renaudie a conçu le projet d’Ivry avec, semblerait-il, un plus grand souci du détail que dans la banlieue Grenobloise. L’origine de cette différence pourrait potentiellement être le fait que l’architecte ai poussé plus loin son travail à Ivry car il savait qu’il allait y habiter. La relation de voisinage qu’entretenait Renaudie à Ivry avec les habitants vient à l’encontre du rôle qu’avait l’architecte au XXème siècle. En habitant dans l’immeuble Casanova, le concepteur était au plus proche des usagers de son architecture et de leurs interactions. Les échanges le fascinaient, ils lui permettaient de s’améliorer et de comprendre ce qui fonctionnait et ce qui ne fonctionnait pas.

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Jean Renaudie se souciait de l’individu mais plus précisément, de l’homme dans la ville et dans la société. Dans le colloque Urbanisme, Mode de vie, consommation collective de 1978, le concepteur emploi le terme de la « ségrégation » lorsqu’il critique les principes de la Charte d’Athènes. Le terme « ségrégation urbaine » apparaît au début des années 1990, même si la notion de ségrégation s’est répandue depuis les années 1950. Jacques Brun définit le terme en disant, je cite : La ségrégation désigne un comportement, le plus souvent institutionnellement reconnu, ou du moins considéré comme légitime par une fraction dominante de la population d’un Etat, visant à la protéger du mélange et des contacts avec une autre catégorie de population. En de sens, la ségrégation est d’abord une pratique, ou plutôt un ensemble de pratique, volontaires, conscientes, voire affichées. 35 C’est précisément de cette ségrégation qu’il est question pour Renaudie dans le mouvement moderniste. Selon Marie-Christine Jaillet, Evelyne Perrin et François Ménard dans l’introduction de Diversité sociale, ségrégation urbaine et mixité, les grands ensembles produit dans l’après guerre ont « cristallisé une ségrégation résidentielle incontestable »36 ou les couches moyennes et l’aristocratie ouvrière ont peu à peu laissé place aux familles les plus défavorisées. Tous les éléments de la ségrégation sociale se sont ainsi mis en place au cours des années, devenant dans l’imaginaire collectif les banlieues ou cités que l’on connaît tous aujourd’hui. Dans le cas précis du quartier de Saint-Martin-d’Hères, la mixité sociale ne faisait pas partie des intentions de l’architecte même si celle-ci était clairement sous-entendue. 35 BRUN Jacques, « La ségrégation urbaine : état de la question en France vers le début des années 1990 », in Diversité sociale, ségrégation urbaine, mixité sous la direction de JAILLER Marie-Chritine, PERRIN Evelyne et MENARD François, Paris – France, éd. Plan urbanisme Construction Architecture, 2000, collection « Recherche » PUCA, p.21 36 JAILLER Marie-Chritine, PERRIN Evelyne et MENARD François, Introduction de l’ouvrage Diversité sociale, ségrégation urbaine, mixité sous leur propre direction, Paris – France, éd. Plan urbanisme Construction Architecture, 2000, collection « Recherche » PUCA.


Fig. 28 : Crédit photo : Mélanie Mottier

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REQUALIFIER LE ROLE DE L’ARCHITECTE DANS LA SOCIETE


Selon lui, les logements ne devraient pas être conçu en fonction d’une classe sociale mais en fonction de l’individu qui allait y vivre. Par conséquent, les catégories d’habitants n’existaient plus et tout le monde devait être mélangé afin d’obtenir une diversité et une complexité dont nous parlions précédemment en première partie. Un couple d’habitants m’a dit que c’était une volonté de leur part d’habiter dans un quartier qui reflète la société dans laquelle leurs enfants évoluent : Nous, on a fait le pas d’habiter ici parce qu’on est persuadé que le brassage c’est l’avenir, on va pas pouvoir rester enfermer éternellement dans nos mûrs. Donc voilà, on apprécie ça, être dans la vraie vie. ERIC (Saint-Martind’Hères/INITIE/57ans) Ainsi pour eux la mixité sociale était un élément décisif dans leur choix d’habitat. Et ce ne sont pas les seuls à Saint-Martin-d’Hères à apprécier cela : Le projet social nous a bien plu, la mixité social puis l’accession des populations, aussi bien au niveau socio-professionnel qu’au niveau des origines. Habitant de Saint-Martin-d’Hères en 2012 28

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Cependant, la mixité n’est pas un avantage pour tous, certains habitants la critique. Selon eux, ce n’est pas donné à tous d’habiter dans le quartier : il faut être ouvert d’esprit pour accepter de cohabiter avec des personnes qui n’ont pas la même culture, comme l’indique Monique, habitante depuis plus de dix pour qui la mixité sociale du projet a été un critère de sélection : Je pense que plein de gens n’accepteraient pas de vivre ici pour des raisons de mixité justement, il faut être ouvert d’esprit quand même. MONIQUE (Saint-Martin-d’Hères/INITIE/55ans) D’autres critiquent le travail de Jean Renaudie. Pour eux, il n’y a pas de mixité sociale dans le quartier : Pour moi la mixité c’est pas un italien, un arabe et un français hein. Pour moi la mixité c’est un fortuné et un moins fortuné, voilà c’est ça la mixité pour moi et ce n’est pas le cas ici. Habitant de Saint-Martin-d’Hères en 2012 28 De plus, lors de mes visites, j’ai pu remarqué que pour de nombreuses personnes, la mixité sociale était bien souvent synonyme de problèmes, voir de délinquance. Peu de personnes font la différence et associent immédiatement la mixité aux banlieues. Dans l’imaginaire collectif, la confusion est fréquente. Pourtant, à l’origine, le mélange des classes sociales devait permettre de rapprocher des individus venant d’horizons différents. Comme l’ont souligné quelques uns, cela demande d’être tolérant envers des cultures, des modes de vies qui ne sont pas les leurs. Au delà de l’individu dans la société, Renaudie se préoccupait également de l’habitant dans son appartement, chez lui. Comme il le souligne dans une documentaire télévisé37, il n’était pas là pour faire de l’art mais pour permettre aux habitants de se sentir chez eux. Le plaisir d’habiter était importante pour le concepteur car il considérait que c’est cela qui différencierait son travail des grands ensembles, pour ne pas tomber dans les « cages à lapins » comme il les appellait. 37 KNAPP Hubert, Mon quartier est ma vie III : Les étoiles de Givors, TF1 et Euroscop, 1979, 59min.


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REQUALIFIER LE ROLE DE L’ARCHITECTE DANS LA SOCIETE


Fig. 29 -

CrĂŠdit llustration : MĂŠlanie Mottier


6. LE CONTENU ABSTRAIT


Selon Renaudie, l’architecture a le pouvoir de générer un sentiment de bien-être chez ceux qui l’occupe, en touchant notamment leur imaginaire et leur affectivité. Tout en gardant une vision programmatique de son métier, l’architecte insiste sur la « dimension cachée » de l’architecture. Plaisir : L’important dans un logement n’est pas tellement ce qu’on a considéré jusqu’à maintenant de déterminant, c’est-à-dire des considérations de pur fonctionnement, mais davantage des facteurs relativement indéfinissables, ce qu’on pourrait baptiser le contenu abstrait, c’est-à-dire le fait d’éprouver du plaisir dans un espace, dans un logement. 19

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Ces sensations, que Renaudie nomme le contenu abstrait ne sont pas simple à retranscrire et à aborder avec les habitants. Pour certains, cela passe par la lumière, d’autres par le contexte environnant à l’appartement. Un couple d’habitants m’a partagé que leur bien-être était directement influencé par leur lieu de vie. Ils ne pensent pas pouvoir retrouver les qualités qu’ils ont dans cet appartement ailleurs. Ils expliquent cela au travers de nombreux facteurs tels que : la sonorité, la proximité des commodités, la végétation, la lumière, etc. : Et puis voilà, il y a un environnement sonore que moi j’apprécie : on entend les oiseaux chanter presque tous les jours, on n’entend pas les voitures klaxonner ; puis on a aussi la vue sur les montagnes juste en face avec toute cette végétation autour. […] Ici, on a un ensemble de choses qui nous vont bien, le milieu rural au calme avec de la végétation mais une certaine proximité à la ville quand même. Et entre autres, le fait d’avoir notre petite maison au sein du quartier Renaudie. ERIC ( Saint-Martind’Hères/INITIE/57ans)

Fig. 30 -

Relevé d’habitat, Eric Zubert, Crédit Illustration : Mélanie Mottier.

L’illustration ci-dessus montre la grande baie vitré située dans le salon de la famille ZUBERT qui leur offre un rapport direct à l’extérieur : les végétaux, les montagnes au loin et la lumière entrant directement dans l’appartement sans aucun vis-à-vis.


Il est important, dans un logement, de donner à chacun la possibilité de s’exprimer dans son foyer. Renaudie considère que nous sommes tous capable d’utiliser l’espace, de lui donner une fonction mais que nous avons rarement l’occasion d’intéragir avec celui-ci. On me fait toujours une remarque désagréable sur ce quartier, après moi je m’en fiche parce que j’ai une qualité de vie qu’eux non pas : je peux aller à vélo à mon travail, j’ai une proximité à tout niveau qui pour moi vaut bien d’autres choses. Puis je crois que quand on est bien chez soit, on est bien aussi à l’extérieur. MONIQUE ( Saint-Martin-d’Hères/INITIE/55ans) Renaudie invoque la subjectivité, l’affectivité et l’imaginaire de ses usagers. Dans ce sens, on peut rapprocher cette notion de l’analyse poétique que fait Gaston Bachelard : une maison est beaucoup plus qu’une construction purement fonctionnelle, elle nous incite au rêve, elle stimule notre imaginaire, car « elle se vit dans sa réalité et sa virtualité, par la pensée et les songes »38. N’étant pas dans la théorie architecturale mais dans la pratique, Jean Renaudie ne radicalise pas autant son propos que Bachelard même s’il revendique sa volonté d’apporter du bien-être aux habitants dans leur foyer.

J’ai également remarqué que certains habitants avaient grandi ici, et qu’ils sont revenus après plusieurs années, ne trouvant pas les qualités de vie qu’ils avaient dans leur appartement du quartier Renaudie. Un habitante m’en parle lors d’une discussion dans les ruelles du quartier : Quand j’étais petite mon papa avait acheté ici à l’époque. On avait un F5 ou un F6, je sais plus. Avec le temps, on est parti mais tu vois on est revenu. Moi comme ma sœur, elle a habitait là juste en face pendant un temps. […] C’est pas le même quartier qu’avant quand j’étais petite, ça a beaucoup changé surtout dans le quartier, bon après j’étais qu’une enfant je me rendais peu-être pas compte mais enfin, quand même. [...] Moi aujourd’hui je pourrai pas habiter dans un logement classique, je trouve ça trop triste. Madame X (Saint-Martin-d’Hères/INITIE/55ans)

38

Gaston BACHELARD, La poétique de l’espace, Paris : PUF , 1981, (1957), p.25

LE CONTENU ABSTRAIT

Rencontre : C’est du pouvoir de l’architecture de faire naître des impressions et des sensations sur des espaces qu’elle ne contient pas. Comme la musique, elle dispose de la magie pour nous entraîner en dehors d’elle-même. La rencontre avec l’architecture ne laisse jamais indifférent, évidemment s’il y a rencontre. Et, pour qu’il y ait rencontre, il doit y avoir architecture. 19

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Ces propos sont très subjectifs et propres à ces habitants. À Saint-Martind’Hères, une partie des occupants, propriétaires ou locataires, perçoivent ce contenu abstrait, nous en parle mais sans jamais le définir clairement. Toutefois, la majorité des habitants ne partage pas cet avis et habitent là par contrainte ou par convenance. Les opinions cités précédemment excluent une catégorie d’habitant : ceux qui sont contraints d’habiter dans ces logements sociaux, car ils n’ont pas les moyens de choisir leur logement, comme en témoigne Nicole, locataire d’un appartement du quartier depuis plus de 30ans : Moi si ça ne tenait qu’à moi j’habiterai pas ici, hein, je partirai si je pouvais. Y a du béton partout c’est dégueulasse. NICOLE (Saint-Martind’Hères/CONTRAINT/78ans)

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Le béton est une notion qui revient souvent dans les entretiens que j’ai mené, la plupart le critique. Dans l’imaginaire collectif, le béton brut renvoit souvent à des termes négatifs comme « sale », « triste », « lugubre », etc. De plus, le béton brut est souvent rattaché aux banlieues. Ce matériau, laissé brut en extérieur, a un impact significatif sur l’image que se font les gens du quartier. Toutefois à Ivry, les habitants apprécient le béton même s’il a noirci car cela représente le compromis entre la ville et la verdure des terrasses jardins mais aussi le compromis entre la maison individuelle et l’habitat collectif, à quelques kilomètres de Paris. Armelle, une habitante d’Ivry-sur-Seine, nuance les propos radicaux de Saint-Martin-d’Hères en disant que là-bas la verdure déborde sur le béton et ramène plus de chaleur à l’ensemble : Le problème du béton c’est que ça vieilli mal quoi. [...] Mais dans le quartier, c’est vrai qu’avec la pluie ou le mauvais temps, ça devient noir quoi, ce qui donne cet aspect triste. Quand le temps est triste, c’est lugubre. Les extérieurs sont lugubres, on peut dire ça comme ça. Quand on arrive dans Ivry, je pense que les gens doivent être un peu choqués par tout ce béton. C’est massif et heureusement qu’il y a les terrasses et que ça déborde un peu. Y a du vert quand même qui déborde un peu de partout, parce que ça ne doit pas être terrible l’entrée quand on rentre comme ça dans le béton. ARMELLE (Ivry-surSeine/INITIE/51ans) 23 Cependant, même si les opinions des habitants ne sont pas unanimes, ils s’accordent finalement en un point : s’ils ne se soucient pas des problèmes du quartier, il est clair qu’ils se sentent tous très bien chez eux. Les propriétaires (et certains locataires) décrivent facilement ce qui leur fait ressentir cette sensation de bien-être. Contrairement aux personnes qui ont été obligé de vivre dans ces logements sociaux, qui, eux, ne parviennent pas à le décrire. Ainsi, malgré les aspects négatifs qui entachent l’image du quartier, même les plus réticents s’adaptent avec les années et y trouvent tout de même leur tranquillité, comme le souligne une habitante qui est contrainte d’habiter le quartier Renaudie : Moi j’ai attendu 20 ans avoir d’avoir cet appartement. […] Je voulais celuilà parce qu’il y a plein de fenêtres partout et qu’il en bout de quartier, ici, je suis tranquille j’ai pas tout les problèmes du quartier et j’ai la vue sur la prairie derrière, je suis tranquille moi ici. NICOLE (Saint-Martind’Hères/CONTRAINT/78ans)


Fig. 31 -

Crédit photo : Léopold Lambert – Paris, 21 Mai 2018. Site internet : THE FUNAMBULIST

Quand nous vivons dans notre logement, en plus des considérations purement fonctionnelles, il en est d’autres qui ont leur importance. C’est celles qui ne sont pas mesurables, ce que l’on pourrait appeler le « contenu abstrait » ; les sensations produites par l’espace et la liberté d’agir quand il nous le permet. 25

Pour les habitants que j’ai pu rencontrer au cours de cette recherche, vivre dans une architecture aux formes atypiques n’est pas chose facile, il faut alors apprendre à voir la beauté là où on ne l’a voit pas, car ce qui fait qu’une architecture est belle ou réussie n’est pas toujours perçu au premier regard.

53 LE CONTENU ABSTRAIT

Encore aujourd’hui, l’architecture de Jean Renaudie divise les habitants, comme elle a pu les diviser aussi à Ivry-sur-Seine. Toutefois, j’ai pu remarqué que tous s’accorder sur les qualités intrinsèques des appartements. Tous m’ont dit qu’ils se sentaient bien chez eux, en dehors des problèmes de quartier. En cela, on peut dire que l’ambition de Renaudie a été atteinte : l’espace qu’il a conçu produit des sensations pour ses usagers, comme il l’écrit dans le recueil La ville est combinatoire :


Fig. 32 - CrĂŠdit

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photo : MĂŠlanie Mottier


CONCLUSION

Au delà de l’analyse de cette opération, je me suis également aperçue qu’il existait des différences entre Ivry-sur-Seine et Saint-Martin-d’Hères, notamment en terme d’usage, même si l’architecte a eut les mêmes intentions lors de la conception de ces deux projets. Les terrasses est un des exemple le plus significatif : à Ivry elles sont un atout pour les habitants qui les mettent en avant dans leurs discours. Dans le quartier étudié pour ce mémoire, les terrasses sont rarement utilisées et deviennent un espace de stockage ou une source d’eau stagnante lorsqu’il pleut, cela étant dû aux infiltrations des eaux, comme ce mémoire l’a démontré en quatrième partie.

55 CONCLUSION

Pour rappel, ce mémoire tente de répondre aux questions suivantes : Comment l’architecture de Renaudie est ressentie et appréhendée par les habitants ? Comment l’espace conçu interagit avec l’espace vécu ? Je reviendrai sur l’analyse faite à travers les concepts pour répondre à ces questions. Les six concepts sont les suivant : une vision organique de la ville, l’articulation entre espace privé et espace public, le refus de l’angle droit, l’appropriation, requalifier le rôle de l’architecte dans la société et enfin le contenu abstrait. Ils m’ont permis de comprendre comment l’architecture peut influencer les habitants, leur quotidien, à différentes échelles : qu’il s’agisse des coursives entre les habitations ou de l’utilisation des angles. La différence entre espaces conçus et espace vécus est remarquable dans le quartier. Il y a des écarts entre les usages imaginés et les usages réels : l’organisation organique du quartier est aujourd’hui source de problème, la proximité entre les espaces privés et les espaces publics créée des conflit d’intérêt entre les habitants et les services publiques, les angles générateurs de lumières et de perspectives pour l’architecte sont finalement producteurs de recoins pour les habitants, etc. Néanmoins, certaines ambitions de l’architecte se sont réalisées : la sensation d’avoir une petite maison plutôt qu’un appartement, l’appropriation de la part des habitants qui s’adaptent aux angles aigus et les aménagent, ou encore la complexité des ruelles qui donne l’impression de vivre dans un petit village.


La réception du projet au regard des habitants

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L’analyse des entretiens avec les habitants du quartier Renaudie à Saint-Martin-d’Hères a révélé que les habitants se regroupaient en trois catégories. La recherche de Sabrina Bresson rend compte de cette classification à Ivry-sur-Seine : les primo-habitants, appelés les convaincus ; les habitants arrivés après les années 80-90, ou captifs ; et enfin les nouveaux habitants qui se sont installés dans les années 2000, nommés les adeptes. Ainsi, les catégories sont définies principalement par le moment où ils sont arrivés dans l’immeuble à Ivry-sur-Seine. Cependant, cette recherche démontre qu’à Saint-Martin-d’Hères, les catégories sont plus nuancées et ne suivent pas un schéma temporel fixe. Ici, les habitants se regroupent selon leur attachement au quartier : - Les INCONDITIONNELS : Il s’agit en général de couple avec enfants, aujourd’hui retraités et propriétaires de leur logement. Pour la plupart, ce sont des anciens employés de la mairie, qui connaissaient les projets de l’architecte Jean Renaudie. Ils ont emménagé dès la livraison du projet et sont, encore aujourd’hui, très investis dans la vie de leur quartier. Ils représentent environ 30 % des habitants du quartier ; Par exemple : Jean-Marc Morel et sa femme ont emménagé dès la livraison du projet. Travaillant tout deux à la mairie de Saint-Martin-d’Hères à l’époque, ils connaissaient bien les travaux de Renaudie. Pour eux, c’était un privilège d’habiter dans une architecture et ça l’est encore aujourd’hui. Ce couple d’habitants, très impliqué dans la vie de leur quartier, est révélateur de l’engouement qu’ont certains propriétaire pour leur lieu de vie. - Les CONTRAINTS : Il s’agit généralement de familles en situation précaire pour qui ce n’est pas un choix d’habiter à Renaudie mais plutôt une contrainte dû au fait que ce soit des logements sociaux. Ils sont actuellement locataires, et l’ont déjà été dans le passé, en général. Ces personnes ne s’investissent pas, ou peu, dans la vie de quartier. Pour les entretiens, ce sont les habitants les plus difficiles à rencontrer puisqu’ils ne se sentent pas concernés par ce qui se passe dans leur quartier, ils ne s’en préoccupent pas. En moyenne, il s’agit d’environ 50 % des habitants du quartier ; Par exemple : Nicole habite à Renaudie depuis plus de trente ans et a été locataire de deux appartements. Elle considère qu’elle ne peut pas vivre ailleurs qu’ici car elle n’en a pas les moyens mais que si elle pouvait elle partirait sans hésité, car selon elle « il n’y a rien à faire ici. »


Les premiers habitants sont généralement attachés à leur lieu de vie, tout comme les personnes venues habiter à Saint-Martin-d’Hères pour les commodités (financières, proximité, etc.) , contrairement à ce qui habitent là par obligation. Une habitante du quartier d’Ivry explique clairement que les réactions sont divisées, comme à Saint-Martin-d’Hères : Effectivement, je pense qu’il n’y a pas d’architecture sans conséquence et moi, je trouve très intéressant de voir, euh, le lien qu’il y a entre tout ça, toutes ces choses que Jean Renaudie a expliquées, et ça aboutit à une expérience, moi je crois que, lui, il était presque à la limite de l’utopie, enfin Renée Gailhoustet aussi d’ailleurs. C’est une espèce d’utopie mais pas tant que ça, parce qu’ici ils ont prouvé que quand même l’architecture peut changer le rapport entre les gens. LOUISA (Ivry/INCONDITIONNEL/72ans) La co-présence de ces catégories d’habitants met en évidence une inégalité dans l’aptitude d’appropriation. Ces inégalités ont été observées dans les manières d’utiliser l’espace, à l’échelle du logement, mais aussi à plus grande échelle, dans l’investissement dans la vie du quartier. L’architecture renaudienne ne changent pas systématiquement la façon qu’ont les gens d’habiter un espace : pour la majorité des habitants de Saint-Martin-d’Hères l’aménagement de leur logement n’a pas été si difficile, contrairement à d’autres qui ne se sentent pas à l’aise dans ces angles. Ces écarts créent une différenciation prononcée entre les usagers : les inconditionnels et initiés, d’un côté, et les contraints de l’autre.

57 CONCLUSION

- Les INITIES :Généralement ce sont des couples avec enfants bientôt ou déjà à la retraite, appartenant à la classe moyenne. Ils ont emménagé dans le quartier par convenance, du fait des loyers bas et des qualités de vie agréables sans être trop éloigné de la ville. C’est avec le temps qu’ils ont appris à voir les qualités de leur logement et de leur quartier, passant ainsi d’un appartement en location, au départ, à une propriété après quelques années passées dans le quartier. Aujourd’hui, ils sont généralement investis dans le quartier et ouverts d’esprit. Ils représentent environ 20 % des habitants. Par exemple : J’ai rencontré Madame X qui m’a tenu un discours quelques fois paradoxal en m’expliquant : « Moi aujourd’hui je pourrai pas habiter dans un logement classique, je trouve ça trop triste. » mais qui dit également « On est bien, on est bien … On essaie d’être bien parce qu’on a pas le choix madame. On est dans du social ici. » Ou encore le couple d’habitant Mr. et Mme. ZUBERT qui ont emménagé dans le quartier car le prix de vente de l’appartement était très intéressant et que le cadre leur convenait, ce n’est qu’avec le temps qu’ils ont appris à découvrir les atouts de vivre à Renaudie. Aujourd’hui ce sont des habitants impliqué dans leur quartier qui lutte contre l’image négative qu’en ont les martinérois.


Suffit-il de regrouper des personnes pour faire groupe ?

58

Depuis de nombreuses années, le terme de mixité a ordinairement été utilisé en architecture. Pourtant, la mixité sociale n’est pas toujours la meilleure façon de promouvoir l’égalité. Comme le rappelle Eric Charmes dans un article39, l’inclusion de toutes les classe sociales est une valeur importante depuis plusieurs années dans milieu de l’architecture et elle est à juste titre recherchée par une grande partie des architectes. Selon les politiques publiques, elle permettrait de contribuer à dynamiser l’économie et la culture, réduire des inégalités, ou encore favoriser l’intégration. Cependant, de nombreuses confusions persistent lorsqu’on parle de mixité sociale. Évitons de lui donner un rôle qu’elle n’a pas, comme de faire disparaître les inégalités et injustices ou de penser que tous les citoyens français veulent vivre ensemble. Selon Monique Eleb et Jean-Louis Violeau dans Entre voisins: dispositif architectural et mixité sociale , « la mixité sociale n’amenuise par les différences des classe. Elle peut même quelques fois les exacerber quand les signes du luxe deviennent trop ostentatoires. »40

Fig. 33 -

Crédit Photo : Mélanie Mottier.

39 CHARMES Eric, « Pour une approche critique de la mixité sociale. Redistribuer les populations ou les ressources », in La vie des idées, le 10 mars 2009. [En ligne] consulté le 1er mai 2019 sur http://www.laviedesidees.fr/Pour-une-approche-critique-de-la-mixite-sociale.html 40 ELEB Monique, VIOLEAU Jean-Louis, « Entre voisins: dispositif architectural et mixité sociale », in Diversité sociale, ségrégation urbaine, mixité sous la direction de JAILLER Marie-Chritine, PERRIN Evelyne et MENARD François, Paris – France, éd. Plan urbanisme Construction Architecture, 2000, collection « Recherche » PUCA, p.87.


À Saint-Martin-d’Hères, la mixité ne s’exprime pas par strates, selon les étages, mais par îlot d’habitation. Les habitants qui sont adeptes du projet, les inconditionnels et les initiés, sont généralement propriétaires de leur logement, contrairement aux contraints qui sont, eux, locataires. Un détail signifiant révèle les îlots appartenant à un promoteur et ceux étant des copropriétés puisque récemment, l’OPAC a nettoyé l’intégralité des façades de leurs îlots. On assiste ainsi à une certaine forme de ségrégation positive dans le quartier puisqu’il suffit de regarder quelques instants les façaces pour comprendre où habitent les propriétaires mais surtout, où logent ceux qui aiment vivre ici. On peut facilement le comprendre avec la photographie ci-contre, l’ilôt de droite appartient à l’OPAC et l’ilôt de gauche est une copropriété.

Messieurs les architectes, soyez un peu moins sculpteurs un peu plus sociologue. 41

Fig. X -

Courrier du 27 Mars 1968 de Jean Renaudie à l’intention du maire d’Ivry.

41 tat, p.27

ELEB Monique, Habitat(s), Questions et Hypothèses sur l’Evolution de l’Habi-

59 CONCLUSION

Depuis quelques années, les démarches participatives ré-apparaissant comme une forme de démocratisation de la fabrication de la ville. Il est important que l’architecte prenne conscience que l’usager, bien que non initié à l’architecte, à la capacité et qu’il ne peut être réduit à un « occupant » de l’espace – comme en témoigne Monique Eleb :


60


BIBLIOGRAPHIE

Article en ligne : - CHAMDOREDON Jean-Claude et LEMAIRE Madeleine, « Proximité spatiale et distance sociale, Les grands ensembles et leur peuplement » in Revue Française de Sociologie, [En ligne] consulté le 02 Mars 2019, https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1970_num_11_1_1610 ; - DEBARRE Anne, « Quand les architectes exposent des intérieurs habités », in Journal des anthropologues, 2013, p.79-108, [En ligne], mis en ligne le 15 octobre 2015, consulté en Novembre 2018 http://journals. openedition.org/jda/4747 - LEFEBVRE Henri, « Utopie expérimentale : pour un nouvel urbanisme » in Revue française de Sociologie,1961, de la page 191 à 198, [En ligne] mis en ligne en 2005, consulté le 2 Mai 2019, https://www.persee.fr/ doc/rfsoc_0035-2969_1961_num_2_3_5943 - PINSON Daniel, « L’habitat, relevé et révélé par le dessin : observer l’espace construit et son appropriation. » in L’observation et ses angles, 1 (164-165), p. 40-67, Paris – France [En ligne] https://hal.archives-ouvertes. fr/halshs-01519649

61 BIBLIOGRAPHIE

Ouvrages : - BERTHIER Nicole, Les techniques d’enquête en sciences sociales, Méthodes et exercices corrigés, Paris – France, éd. Armand Colin, nouvelle présentation 2016. - BUFFARD Pascale, ZEVI Bruno, Jean Renaudie, Sous la direction de LEFEBVRE Jean-Pierre, Paris – France, éd. Institut français d’architecture, 1993. - ELEB Monique, NIVET Soline, VIOLEAU Jean-Louis, L’Architecture entre goût et opinion, construction d’un parcours et construction d’un jugement , Paris – France, éd. Ministère de la Culture et de la Communication, 2005. - FERNANDEZ Hélène, HENAULT Philippe et VINCE Agnès, La cité des étoiles, Givors 1974-1979 : architecte Jean Renaudie , Paris – France, éd. Ministère de la Culture et de la Communication, Direction générale des patrimoines, cop. 2015. - GROSJEAN Michèle, THIBAUD Jean-Paul, L’espace urbain en méthodes, Marseille – France, éd. Parenthèses, 2001. - JAILLER Marie-Chritine, PERRIN Evelyne et MENARD François, « Diversité sociale, ségrégation urbaine, mixité » sous leur propre direction, Paris – France, éd. Plan urbanisme Construction Architecture, 2000, collection « Recherche » PUCA. - LUGASSY Françoise, Les réactions à l’immeuble DanièleCasanova à Ivry, Paris – France, éd. Plan Construction Secrétariat permanent, 1974. - RENAUDIE Jean, La logique de la complexité , Paris – France, éd. Institut français d’architecture, 1992. - RENAUDIE Jean, La ville est une combinatoire , Ivry-sur-Seine – France, Movicity ed., impr. 2014.


62

Article dans un ouvrage collectif : - ELEB Monique, VIOLEAU Jean-Louis, « Entre voisins: dispositif architectural et mixité sociale », in Diversité sociale, ségrégation urbaine, mixité sous la direction de JAILLER Marie-Chritine, PERRIN Evelyne et MENARD François, Paris – France, éd. Plan urbanisme Construction Architecture, 2000, collection « Recherche » PUCA. - GIARD Noémie, « Habiter les étoiles, conception, appropriation, exposition. Le cas du projet de Jean Renaudie à Ivry-sur-Seine » in Vivre la modernité acte du colloque « Vivre au 3e millénaire dans un Immeuble emblématique de la modernité » sous la direction de GUILLOT Xavier, ed. Université de Saint-Etienne, 2006. Thèse : - BRESSON Sabrina, Du plan au vécu, Analyse sociologique des expérimentations de Le Corbusier et de Jean Renaudie pour l’habitat social, Thèse de doctorat, soutenue le 10 fèvrier 2010 en Sociologie sous la direction de S. Denèfle à Tour, 448 p. [En ligne] Consulté le 15 Novembre 2018, http:// www.applis.univ-tours.fr/theses/2010/sabrina.bresson_2602.pdf - CHALJUB Bénédicte, Les œuvres des architectes Jean Renaudie et Renee Gailhoustet, 1958-1998, Théorie et pratique. Thèse de doctorat, soutenue en 2007 à l’École doctorale Ville et Environnement – Université à Paris VIII – Vincennes – Saint-Denis, 331 p. [En ligne] Consulté le 5 Janvier 2019, http:// octaviana.fr/document/134096258#?c=0&m=0&s=0&cv=0 - ROMAIN Nina, Être(s) Humain(s) - Concevoir et Habiter le Logement Social en France, Mémoire de master, ENSAB, 2016, 228p. [En ligne] Consulté le 1 Mai 2019, https://issuu.com/ninaromain/docs/nina_ romain_-__etre_s__humain_s__-_ Filmographie : - Raphaël CORDRAY et Benjamin VANDERLICK, Etoiles : Création sonore et visuelle autour de la parole des habitants du quartier de Saint-Martin-d’Hères, Microphone – porter la parole, 2011, 29min. - KNAPP Hubert, Mon quartier est ma vie III : Les étoiles de Givors, TF1 et Euroscop, 1979, 59min., https://www.dailymotion.com/ video/xw8k9m Exposition : - « Jean Renaudie, architecte, 1925-1981 », espace Gérard Philippe, centre Jeanne Hachette, Ivry-sur-Seine, sept.-nov. 2002 réalisée conjointement


par la ville d’Ivry et le centre Georges Pompidou.

Entretien : - Mr et Mme MOREL, dans le quartier et leur appartement, le Lundi 1er Avril 2019, 2h; - Eric et Monique ZUBERT, dans leur appartement, le Vendredi 12 Avril 2019,1h20; - Nicole, dans son appartement, le Vendredi 3 Mai 2019, 1h; - Madame X et Madame Albert, dans les ruelles du quartier, le Samedi 4 Mai 2019, 30min.

63 BIBLIOGRAPHIE

Autres : - Colloque « Urbanisme, Mode de vie, Consommation collective », 1978. [En ligne] consulté le 3 Mai 2019, http://jeanrenaudie.fr/wp-content/ uploads/2016/10/colloque_1978.pdf - Lettre de Jean Renaudie adressé au Maire d’Ivry-sur-Seine, le 27 Mars1968, Paris – France. [En ligne] consulté le 3 Mai 2019, http:// jeanrenaudie.fr/wp-content/uploads/2016/10/JR-27-03-1968.pdf - RENAUDIE Jean, « Intégration à l’Université : pour une pratique nouvelle de l’architecture », [En ligne] consulté le 3 Mai 2019, http:// jeanrenaudie.fr/wp-content/uploads/2016/10/INTEGRATION-A-LUNIVERSITE.pdf - Travaux étudiants de HOUYEZ Alice, SAUVAGE Julie, ROUX Vincenne, ROLLAND Suzie et VOLPI Jeoffrey en MASTER 1 – Architecture, Villes, Ressources – 2017/2018


64


65 ANNEXES

ANNEXES


ANNEXE 1 - LEXIQUE Carré : Les formes que j’emploie sont un peu inattendues, surtout lorsqu’on est habitué à l’angle droit, qui, lui, n’est jamais considéré comme outrancier. Il y a pourtant beaucoup à dire sur le contenu idéologique attribué au carré, en tant qu’affirmateur d’ordre et générateur d’axes.1 Combinatoire : La ville est une combinatoire, où à tous les échelons d’organisation, s’établissent sur une structure complexe des phénomènes de communication dans tous les sens.2

66

Complexité : Pour Renaudie, il ne peut y avoir de bonne solution que dans la mesure où elle tient compte d’une certaine complexité, car les relations sociales en milieu urbain ne sont jamais simples et jamais juxtaposées les unes sur les autres. Elles s’interpénètrent et se superposent. 2 Diversité : Reconnaître et admettre la complexité de l’organisation de la ville dans la pratique de l’architecture, c’est pour moi, attribuer à l’architecture le rôle de satisfaire la beauté humaine. 2 Diversité : L’inattendu, la découverte, la diversité dans l’organisation des formes du logement sont des conditions favorables pour que nous devenions acteurs, et il ne peut y avoir de perception de l’espace autrement que dans l’action. L’importance de la diversité à l’intérieur du logement, favorisant son appropriation, grandit avec le fait que celle-ci est appliquée à l’ensemble, et fait en sorte que tous les logements sont différents les uns des autres et non plus conçus sur le principe de l’appartement-type.2 La notion d’espace privé ou public peut prendre un autre sens que celui de l’opposition où elle est maintenue par des considérations économiques, sociales, politiques et idéologiques. 1 Ce souci d’imbrication, cette projection des logements finalement sur l’organisation de la ville, sur la vie, sur l’environnement si l’on veut. Le souci de produire de la diversité au niveau des espaces, je ne prétends pas que ce n’est pas faisable en utilisant uniquement la géométrie de l’angle droit, mais je considérais là que l’utilisation des directions autres que les deux directions orthogonales donnaient dans l’organisation des formes et dans les espaces qui étaient produits des possibilités autres. 1

1 Jean Renaudie, La ville est une combinatoire , Ivry-sur-Seine – France, Movicity ed., impr. 2014. 2 Jean Renaudie, La logique de la complexité , Paris – France, éd. Institut français d’architecture, 1992


Intégrer, ce n’est pas enfermé dans un volume donné un certain nombre d’éléments différents ou complémentaires, c’est organiser leur interpénétration et leur articulation. 2 Plaisir : L’important dans un logement n’est pas tellement ce qu’on a considéré jusqu’à maintenant de déterminant, c’est-à-dire des considérations de pur fonctionnement, mais davantage des facteurs relativement indéfinissables, ce qu’on pourrait baptiser le contenu abstrait, c’est-à-dire le fait d’éprouver du plaisir dans un espace, dans un logement. 1 Rencontre : C’est du pouvoir de l’architecture de faire naître des impressions et des sensations sur des espaces qu’elle ne contient pas. Comme la musique, elle dispose de la magie pour nous entraîner en dehors d’elle-même. La rencontre avec l’architecture ne laisse jamais indifférent, évidemment s’il y a rencontre. Et, pour qu’il y ait rencontre, il doit y avoir architecture. 2

Le statut de l’architecte comporte des critères de compétences et de savoir, c’est indéniable. Toutefois, mon statut comporte aussi un certain nombre de système de différenciation et de rapport avec les autres individus, ou groupes d’individus qui ont eux-mêmes leurs statuts. 1 Les terrasses-jardins jouent un rôle très important pour les habitants. Pratiquement tous les habitants de ces appartements (en parlant des logements de Givors) en ont eu envie, dans la mesure où l’idée d’un jardin se rattache à toutes sortes de rêves d’enfance. Plaisir qui fait tout l’attrait du pavillon : pouvoir s’approprier l’espace, le marquer à ses goûts, etc. 2

3 BRUN Jacques, « La ségrégation urbaine : état de la question en France vers le début des années 1990 », in Diversité sociale, ségrégation urbaine, mixité sous la direction de JAILLER Marie-Chritine, PERRIN Evelyne et MENARD François, Paris – France, éd. Plan urbanisme Construction Architecture, 2000, collection « Recherche » PUCA, p.21

ANNEXES

La ségrégation désigne un comportement, le plus souvent institutionnellement reconnu, ou du moins considéré comme légitime par une fraction dominante de la population d’un Etat, visant à la protéger du mélange et des contacts avec une autre catégorie de population. En de sens, la ségrégation est d’abord une pratique, ou plutôt un ensemble de pratique, volontaires, conscientes, voire affichées. 3

67


ANNEXE 2 RELEVE D’HABITAT N°1

68

Les spécificités de l’appartement : A) Le jardin d’hiver, situé au centre de la pièce, permet d’apporter de la lumière tous les jours de façon diffuse. La végétation tombant de la toiture terrasses et apportant de la vie dans cet espace. B) Le salon, où se trouve le canapé courbé. C) Le bureau, où l’on retrouve la bibliothèque crée par Jean-Marc. → La facilité d’ameublement malgré les formes et d’appropriation de l’espace saute aux yeux quand on rentre dans le logement. Tous les meubles sont adaptés à l’architecture, même si celle-ci n’est pas vraiment contraignante, mis à part les angles arrondis.


ANNEXE 3 RELEVE D’HABITAT N°2

69 ANNEXES

Les spécificités de l’appartement : E) La grande baie vitré, située dans le salon, qui permet d’apporter de la lumière dans l’appartement mais aussi d’avoir un rapport direct avec l’extérieur : la végétation et les montagnes Grenobloises. F) Les chambres, où se trouve les angles de l’appartement. Ces pointes n’ont pas été une contrainte pour la famille qui habite ici. G) Les rangements fait sur-mesure par les habitants, que l’on retrouve dans de nombreuses pièces comme les chambres, la salle à manger ou le salon. Le meuble fait sur-mesure est coloré en jeune sur le croquis (F). → La facilité d’ameublement malgré les formes et d’appropriation de l’espace saute aux yeux quand on rentre dans le logement. Tous les meubles sont adaptés à l’architecture. De plus, maintenant que leurs enfants n’habitent plus chez eux, j’ai remarqué qu’avec le temps les habitants ont fait évoluer leur appartement, transformant le sous-sol en studio pour étudiant.


ANNEXE 4 RELEVE D’HABITAT N°3

70

Les spécificités de l’appartement : B) Les quelques marches installées par l’habitante elle-même afin d’accéder à sa terrasse. La porte fenêtre est situé à plus de 40 cm du sol et empêche la personne âgée habitant dans l’appartement de sortir aisément. E) La chambre, située au bout de l’appartement dans la pointe, qui est relativement petite et étroite. Des fenêtres, dans l’angle, permettent au chien de l’habitante d’avoir un regard sur les deux versants de l’appartement : côté rue et côté jardin. F) La terrasse jardin, en pointe, qui est indispensable à l’habitante. C’est une des rares terrasses que j’ai pu constaté mitoyenne à l’appartement et toujours utilisée. → La difficulté d’aménager l’appartement saute aux yeux lorsqu’on rentre dans l’appartement. Les meubles envahissent l’espace car l’habitante souhaite caché les angles le plus possible.


ANNEXE 5 PARCOURS COMMENTE

71 ANNEXES


ANNEXE 6 L’histoire de vie des quartiers Renaudie, GRILLE D’ENTRETIEN La question de la perception habitante. PRÉSENTATION : Personnelle ➔

Pourriez-vous vous présenter? (Age, cursus scolaire, profession, origines familiale, social et

géographique, niveau de vie)

Familiale ➔ ➔ ➔

Serait-il possible que vous me parliez de votre situation familiale ? Avez-vous des enfants ? Age, niveau scolaire, etc. Vivez-vous seul(e) ici ?

Résidentiel

72

Serait-il possible que vous me parliez de votre parcours résidentiel? Où avez-vous vécu ➔ avant d’emménager dans cet appartement ? Était-ce un appartement, une maison, en ville, en campagne, etc. ➔ Depuis combien de temps vivez-vous ici ? Je vous propose de parler de votre histoire, dans un ordre chronologique. Dans un premier temps votre déménagement, puis nous parlerons de votre logement et votre appropriation de celui-ci.

DÉMÉNAGEMENT Où viviez-vous avant ? Pourquoi avoir changé de logement ? Est ce que quelqu’un vous avez déjà parlé du quartier ? La première fois que vous êtes venu là, comment avez-vous perçu ces immeubles ? Est ce que vous connaissiez l’immeuble avant d’y venir ? Est ce que vous en aviez déjà une image ? Aviez-vous des a priori / des attentes avant de vivre dans ce logement ? ➔ En quelle année avez-vous emménagé ? ➔ Comment cela ça s’est passé ? ➔ Pourquoi avez-vous choisi d’habiter ici ? ➔ Quelles étaient vos premières impressions au début ? ➔ Avez-vous eu le choix entre plusieurs appartements ? Quel type souhaitiez-vous ?La ➔ Avez-vous choisi l’emplacement de l’appartement dans l’immeuble (orientation, étage) ? ➔ Avez-vous occupez plusieurs appartements dans l’immeuble ?

➔ ➔ ➔ ➔

On va maintenant parler un peu plus de votre logement ….

LOGEMENT Quelle surface fait-il ? Quel étage ? Quelle orientation ? Quelle est votre pièce préférée ? Pourquoi ? Celle que vous utilisez le plus ? Celle qui vous pose le plus de problème ? Dans quelle pièce passez-vous le plus de temps quand vous êtes seul / avec vos amis / avec votre famille ? ➔ Si vous deviez le comparer à vos précédents logements, qu’en diriez-vous ? ➔ En comparaison avec d’autres appartements, quels sont pour vous les avantages et inconvénients de cet appartement ? ➔ Comment est ce que vos amis / famille perçoivent votre logement ? ➔ ➔ ➔ ➔ ➔


➔ ➔ ➔ ➔ ➔

Ou hébergent-ils quand ils vous rendent visite ? Trouvez vous les pièces assez grande/spacieuses ? Que voyez-vous de votre fenêtre ? La vue est-elle dégagée ? Votre appartement est-il bien ensoleillé ? Jusqu’à quelle heure avez-vous du soleil ? Pourriez-vous me parler des angles / des coins dans l’appartement ? Qu’en pensez-vous ? Les utilisez-vous ? Si oui, comment ?

APPROPRIATION

Avant de passer au parcours commenté, on peut peu-être parlé de votre rapport au quartier …

RAPPORT AU QUARTIER ➔ Est ce qu’il y a des parties collectives dans l’immeuble où vous passez du temps ?

Rencontrer des gens ? Etc.

➔ Pensez-vous que les couloirs / les rues / les entre-deux sont propices à la rencontre ? Si

non, où prenez-vous le temps de d’échanger avec vos voisins ?

➔ Avez-vous une place de parking ? Ou deux ? ➔ Utilisez vous les commerces / café / asso du quartier ? ➔ J’ai pu lire que de plus en plus de commerce fermés, qu’en pensez-vous ? Savez-vous à

quoi est-ce dû ?

➔ (Si la personne est là depuis longtemps) Avez-vous remarqué une différence d’ambiance

dans le quartier depuis votre arrivée ? Selon vous, à quoi est-ce dû ? ➔ Faites-vous parti d’une association du quartier ? ➔ Êtes-vous actif dans la vie du quartier ? ➔ Quels sont vos relations avec le voisinage ? Comment les définiriez-vous ? ➔ Selon vous, existe t-il une certaine forme de promiscuité dans le quartier ? Promiscuité : Situation qui oblige des personnes à vivre à côté et à se mélanger malgré elles, voisinage choquant ou désagréable par exemple. ➔ Pouvez-vous me parler des différents problèmes qu’il y a dans le quartier? Nuisances sonores ? Trafic ? Délinquance ? ➔ Avez-vous déjà été confronté à des problèmes ? ➔ Depuis quand ça existe ? Quand est ce que c’est apparu ? Seriez-vous dire pourquoi / comment / à cause de quoi ?

73 ANNEXES

Lorsque vous avez emménage, avez-vous acheté beaucoup de nouveaux meubles ? Avez-vous eut des problèmes pour aménager, meubler, décorer votre appartement ? Utilisez-vous les terrasses-jardins ? Qu’est-ce que vous y faites ? A quelle fréquence les utilisez-vous ? (tous les jours, une fois par semaine, rarement, quelle saison?) ➔ Quel rapport à la nature / au jardinage avez-vous ? ➔ La forme de l’appartement vous a t-elle embêter pour aménager l’appartement ? ➔ Avez-vous réalisé des travaux depuis que vous avez emménagé ? Si oui, pourquoi ? Quels sont-ils ? ➔ ➔ ➔ ➔


RAPPORT À L’ARCHITECTURE ET AUX ARCHITECTES : •

Connaissances sur l’immeuble → Connaissez-vous l’histoire de l’immeuble ? → L’histoire du quartier ? → Que pensez-vous de l’architecture des bâtiments ? → Connaissez-vous les travaux de Jean Renaudie ? → Intérêt pour l’architecture en général ?

PROJETS RESIDENTIELS : → Souhaitez-vous déménager ? → Pour quelle forme d’habitat ? → Que valoriserez-vous le plus dans le choix d’un futur logement ?

74 URBAIN : •

Rapport à la ville et au quartier → Quelles sont vos déplacements et/ou parcours dans le quartier ? Pour aller au travail, dans les commerces du quartier, loisirs, etc.) → Quel mode de transport utilisez-vous ? → Fréquentez-vous les commerces du quartier ? Si oui, lesquels, Pourquoi ? → Rapport à la ville de Saint-Martin-d’Hères ?

Les représentations du quartier → Comment vous sentez vous dans votre quartier ? En (in)sécurité ? (Mal) à l’aise ? → Quels sont les éléments du quartier que vous trouvez les mieux conçus ? (équipements collectifs, commerces, services, parking, voies de circulation,etc.) → Selon vous, que manque t-il au quartier ? → Quel lieu fréquentez-vous le plus ? // Quel lieu fréquentez-vous le moins ? Des endroits que vous évitez ? → Y a t-il des endroits où vous vous sentez moins en sécurité ?


ANNEXE 7 Note sur la présentation des entretiens aux lecteurs Pour faciliter la lecture sans encombre le texte, les extraits d’entretiens cité dans le mémoire sont différenciés selon quelques variables : - Le prénom de l’enquêté ; - La ville de résidence : « Ivry », « Saint-Martin-d’Hères », ou « Givor» - La catégorie d’habitant : « INCONDITIONNEL », « CONTRAINT » ou « INITIE », - L’âge de l’enquêté ; - Le sexe est indiqué par le genre du prénom. Exemple : «JEAN-MARC (Saint-Martin-d’Hères / INCONDITIONNEL/ 70ans) » signifie que l’enquêté est un homme de 70 ans, résidents à SaintMartin-d’Hères.

des expérimentations de Le Corbusier et de Jean Renaudie pour l’habitat social.1

Les extraits de témoignages des résidents de Saint-Martin-d’Hères, cités dans ce mémoire, ont été extrait d’enquêtes réalisées personnellement dans le quartier entre Avril et Mai 2019. La mention « Habitant de Saint-Martin-d’Hères en 2012 » signifie que le témoignage est extrait du travail de Benjamin VANDERLICK et Raphaël CORDRAY, dans Etoiles, création sonore et visuelle autour de la parole des habitants du quartier de Saint-Martin’d’Hères.2 De plus, les mots ou phrases en caractère gras dans les extraits d’entretien indiquent que nous désirons attirer l’attention du lecteur dessus. Les indications [mises entre crochets] indiquent que nous souhaitons apporter une précision. Les points entre crochets […] indiquent que nous effectuons une coupure dans la citation.

1 Thèse de Sabrina Besson, Du plan au vécu, Analyse sociologique des expérimentations de Le Corbusier et de Jean Renaudie pour l’habitat social, Thèse de doctorat, soutenue le 10 fèvrier 2010 en Sociologie sous la direction de S. Denèfle à Tour, 448 p. 2 Raphaël Cordray et Benjamin Vanderlick, Etoiles : Création sonore et visuelle autour de la parole des habitants du quartier de Saint-Martin-d’Hères, Microphone – porter la parole, 2011, 29min.

ANNEXES

Les extraits de témoignages des résidents d’Ivry, cités dans ce mémoire, ont été extrait de la Thèse de Sabrina Besson, Du plan au vécu, Analyse sociologique

75


ANNEXE 8

Tableau des habitants interviewés à Saint-Martin-d’Hères et à Ivry (par le biais de la thèse de S.Bresson pour les habitants d’Ivry) Jean-Marc Localisation

Saint-Martin-d'Hères

Eric

Monique

Saint-Martin-d'Hères Saint-Martin-d'Hères

Nicole

Madame X

Madame Albert

Saint-Martin-d'Hères

Saint-Martin-d'Hères

Saint-Martin-d'Hères 56 ans

Age

70 ans

57 ans

55 ans

78 ans

53 ans

Sexe

H

H

F

F

F

F

Situation matrimoniale

Couple

Seule

Couple

Seule

Métier

Retraité

Propriétaire ou locataire ?

PROPRIETAIRE

LOCATAIRE

LOCATAIRE

LOCATAIRE

Couple Dans le social PROPRIETAIRE

Type d'appartement

T4

T3

F2

Catégorie

INCONDITIONNEL

INITIE

CONTRAINT

INITIE

CONTRAINT

Année d’arrivé

1983

2005

1990

2007

2014

Superficie de l’appartement

130 m²

115m²

68m²

Nombre d’enfants

4

2

2

1

1

Nbre d’enfants résidents

0

1

0

1

0

Nbre d’appart. habités

2

2

2

3

3

14

30 ans

12 ans

5 ans

non

non

non

Années passées dans l’immeuble

36

Membre actif du quartier

oui

Particularité

Logement pour étudiant

oui Habite à l'éatge +Logement pour étudiant

Jeanne

Irene

Eloïse

Louisa

Georges

Axelle

Armelle

Localisation

Ivry-sur Seine

Ivry-sur Seine

Ivry-sur Seine

Ivry-sur Seine

Ivry-sur Seine

Ivry-sur Seine

Ivry-sur Seine

Age

65 ans

63 ans

40 ans

72 ans

68 ans

42 ans

51 ans

Sexe

F

F

F

F

H

F

F

Situation matrimoniale

Seule

En couple

Couple

Seule

Couple

Couple

Seule

Métier

Retraité

Retraité

Professions intermédiaires

Retraité

Retraité

Cadre et profession intellectuelles supérieures

Employé

Propriétaire ou locataire ?

ILN

ILN

ILN

ILN

ILN

ILN

ILN

Type d'appartement

T4

T5

T4

T4

T4

T4

T2

Catégorie

PRIM

PRIM

MED

PRIM

PRIM

NEO

NEO

Année d’arrivé

1976

1978

1999

1976

1976

2004

2004

Superficie de l’appartement

130m²

107m²

92m²

85m²

90m²

90m²

60m²

Nombre d’enfants

3

3

1

3

1

2

1

0

0

2

1

Nbre d’enfants résidents

1

0

1

Nbre d’appart. habités

1

2

2

2

1

1

2

Années passées dans l’immeuble

34 (en 2010)

32 (en 2010)

11 (en 2010)

34 (en 2010)

74 (en 2010)

6 (en 2010)

6 (en 2010)

Membre actif du quartier

oui

oui

non

oui

non

oui

oui

Particularité


77

ANNEXES


Vers une VILLE RESSOURCE, mémoires 2018.2019

78

- «Accueil et hospitalité dans les bidonvilles et camps en France», Adrien Berton; - «Aires d’autoroutes et patrimoine», Maryne Noury; - «Build in my back yard 10 ans après», Robin Perrier; - «Construire en zone à risques multiples: quelles cultures du risque?», Claire Lebreton; - «De l’habitabilité du souterrain, fiction», Garance Paillasson; - «Du squat au tiers-lieu», Margot Chanut; - «L’architecture commerciale en milieu urbain, une nouvelle expérience pour les consommateurs», Sophie Allard-Jacquin; - «La culture de la résilience», Daniel Schafer; - «La Métropole de Grenoble, une Smart City ?», Alexane Latouille; - «La reconquête des territoires portuaires», Diaeddine Khaled; - «La trame d’ecochard une ville intelligente avant la smart city», Salma Moqadem; - «La reconversion des couvents en France», Marine Berger; - «Les ressources du rafraîchissement», Julie Cuvelier; - «Les camps de déplacés », Yaëlle Logié; - «Les transformations de la conception spatiale des écoles élémentaires de la fin du XIXe à nos jours», Sophie Borde; - «L’histoire de vie du quartier Renaudie à Saint-Martind’Hères, La question de la perception habitante», Mélanie Mottier; - «Malgré la catastrophe», Farah Ben Slimen; - «Mutations des espaces muséaux 2019», Phuc Nguyen; - «Saint-Étienne territoire d’innovation sociale», Elodie Fournel.



Au delà des pointes qui caractérisent son architecture, Jean Renaudie s’est distingué par sa réflexion sur les manières de vivre. En plus d’avoir remis en question l’architecture et l’urbanisme de son époque, il réinterroge le place de l’usager dans l’architecture. Il ne peut concevoir qu’il existe une solution-type, qui réponde à la complexité qu’est l’être humain. Au travers d’enquêtes, menées auprès des habitants du quartier Renaudie de Saint-Martin-d’Hères, ce mémoire cherche à comprendre comment l’architecture de Renaudie est ressentie et appréhendée par les habitants ? Comment l’espace conçu interagit avec l’espace vécu ? Il s’agit ici d’analyser le travail de Jean Renaudie du point de vue des usagers de son architecture. Ce sont eux qui créent l’architecture, puisque comme le disait souvent Jean Renaudie : une fois que le chantier est fini, il reste tout à construire.

Juin 2019 . Ecole Nationnale Supérieure d’Architecture de Grenoble


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