Projet de Fin d'Etude - Part I: Analyse historique

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L’ARCHITECTE ET LE LOGEMENT SPÉCIALISÉ

OU COMMENT REPENSER LES MÉTHODES DE CONCEPTION / CONCERTATION

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LE FOYER DES MÛRIERS ET LE LOGEMENT SPÉCIALISÉ Nous pouvons considérer trois types de logement social en France : le logement social « HLM », le logement social dit « de fait » ou encore « tiershabitat » et le logement social spécialisé (foyers de travailleurs P. 2

immigrés, d’étudiants, personnes âgées, etc).

pour

Nous nous intéresserons ici à la question des foyers de travailleurs migrants, et de leur réhabilitation en résidence sociale. Pour déterminer une problématique détaillée, nous allons essayer de comprendre leur histoire, à travers différents niveaux de lecture (historiques, sociaux, architecturaux, médiatiques,


etc). Cet ensemble de données recueillies à été mis en récit pour « raconter » notre objet d’étude, le foyer des Mûriers, situé dans le 20ème arrondissement de Paris.

TISSER UN IMAGINAIRE AUTOUR D’UN RÉCIT ET D’UNE IMAGE

L’histoire générée découle de différentes recherches, à travers des articles de journaux, des rencontres avec les habitants, des études statistiques, des écrits théoriques, des événements historiques, etc ; et tisse alors une maille d’informations qui définit le foyer des Mûriers, dans son contexte historique, architectural et politique. Le récit est ici une traduction consciente de l’évolution de l’architecture P. 3


du bâtiment et l’habille des différents regards qui s’y sont posés. Pour représenter cette maille d’informations, et pour que le lecteur puisse trouver des repères et images mentales au gré du récit, une frise chronologique illustrée à la main sert alors de support à ce discours. Ces dessins représentent un imaginaire ancré dans un réel subjectif, définit sur la trame de la narration. On y retrouve P. 4

alors des éléments informatifs (personnages, bâtiments et événements historiques), mais aussi des interprétations plus sensibles. Celles-ci déterminent alors les différents plans de représentations, la taille de chaque entités dessinées, où les symboles et images nécessaires pour déchiffrer ces informations. Elles représentent en quelque sorte le regard de l’architecte sur la complexité


des points d’appuis analytiques nécessaires à l’élaboration d’un projet de logement spécialisé.

TABLEAU MENTAL L’entremêla du récit et de l’image fabrique alors une cohérence de l’ensemble « architecture », « histoire » et « société ». Alors que ces différents degrés de

lecture dialoguent entre eux et se confrontent, le récit prend toute son intensité. À la façon d’un peintre cubiste, nous pouvons alors dresser un tableau mental du foyer des Mûriers, qui apparait sous une logique subjective présentant de multiples angles de vue. Ce livret donne à lire ces enquêtes pour prendre connaissance une première fois de l’histoire du foyer des Mûriers, et plus généralement, de ce type de logement spécialisé. P. 5


HISTOIRE DE LA CONSTRUCTION DES FOYERS EN FRANCE LES PREMIERS FOYERS ET LA GUERRE D’ALGÉRIE La guerre d’indépendance divise l’Algérie, et la France accueille alors un certain nombre d’immigrés Algériens. Au cours de ces huit années de conflit (1954-1962), le nombre d’Algériens présents sur le territoire métropolitain passe de 211 000 en 1954 à 350 000 en 1962 (déclaration d’indépendance de P. 6

l’Algérie) puis à 460 000 en 1964. En 1982, la population algérienne vivant en France passe la barre des 800 000. La France, en période de reconstruction après la 2nd guerre mondiale, a besoin de main d’œuvre bon marché et emploie alors beaucoup d’immigrés dans le bâtiment et la construction automobile. Cette immigration massive, couplée à l’exode rural constaté depuis la fin de la guerre,

occasionne la naissance de nombreux bidonvilles en France, et notamment aux portes de Paris. En 1964, 43% des Algériens de France vivent dans des bidonvilles. Celui de Nanterre, l’un des 89 de la région parisienne, abrite 14 000 personnes. Le contexte de décolonisation des années 60 y conduira également beaucoup de migrants des différentes colonies africaines françaises, comme le Sénégal et le Mali.

Près de 40 années ont été nécessaires pour reloger les habitants et résorber totalement les bidonvilles de Nanterre, qui connurent moult incendies et descentes policières meurtrières. La construction de «cités» pour faire face au développement de ces constructions informelles a souvent donné lieu à des expressions architecturales de qualité médiocre: 20 ans plus tard, certaines sont déjà très dégradées.


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BAILLEURS SOCIAUX:

L’AFTAM ET LA SONACOTRAL

On assiste alors à la naissance de plusieurs associations «à but non lucratif» ou de sociétés publiques, comme la SONACOTRAL - Société Nationale de Construction de Logement de Travailleur (aujourd’hui ADOMA) et l’AFTAM - Association pour la Formation des Travailleurs Africains et Malgaches (Aujourd’hui P. 8

COALLIA). Stephane Hessel, philosophe et historien Français fait parti des membres fondateurs de cette dernière. L’association avait alors pour but en 1962 «d’aider les ressortissants des anciennes colonies à acquérir par la formation, une qualification utile au développement de leur pays lors de leur retour au village d’origine». Selon l’écrivain, il fallait «Inventer un type d’hébergement collectif qui sauvegarde les traditions villageoises et donner la possibilité aux travailleurs immigrés de vivre simplement

mais dignement pour soutenir financièrement leurs compatriotes restés au pays.» La SONACOTRA est en revanche une Société d’Économie Mixte d’état, comme son nom l’indique. Elle émane d’une idée du Ministère de l’Intérieur, avec qui elle garde toujours des liens très étroits. Cette SEM n’avait alors pas seulement un but humanitaire mais également celui de maintenir l’ordre. Selon le sociologue Marc Bernardot, «la construction et la gestion de

logements FTM est le résultat d’une politique mixte visant à la connaissance et au contrôle politique, administratif et social d’une population aux contours flous.» Il ajoute qu’ «à défaut de statistiques et d’autres dispositifs, la SONACOTRA sert à la fois d’instrument d’infiltration, de comptage et de surveillance des collectivités de travailleurs algériens isolés». En 1957, sous les auspices du Ministère de l’Intérieur, naît alors une structure pour loger les immigrés.


«C’est ça l’objectif de venir en France. Si on est venu ici, ce n’est pas un hasard: il y a une histoire derrière tout ça. Pourquoi n’est-on pas parti en Australie ? Pourquoi n’est-on pas parti en Allemagne ? Pourquoi n’est-on pas parti au Brésil ? [...] On n’est pas venu ici pour jouer, mais pour travailler. Après la guerre mondiale, la France avait besoin de main-d’œuvre et c’est elle qui est venu nous chercher.» Ladji Sakho, délégué du foyer des Mûriers STEPHANE HESSEL P. 9


LE CAS DU FOYER DES MÛRIERS ORGANISATION DES ESPACES

maghrébins), s’y installeront en grande majorité.

La construction du foyer des Mûriers, propriété d’Emmaüs Habitat et géré par la C.A.S.V.P. (Centre d’Action Social de la Ville de Paris), s’achèvera en 1975. Des travailleurs d’Afrique Subsaharienne, qui ne sont généralement pas hébergés par la SONACOTRA (spécialisée dans l’accueil de travailleurs

En 1974, André Postel Vinay devient Ministre de l’Immigration et permet à L’AFTAM, dont il est alors le président, de se développer très rapidement. Beaucoup de foyers furent donc construis dans cette période.

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Les foyers n’avaient pas vocation à être habités sur le

long terme mais à héberger temporairement la population immigrée, qui était sont alors considérée comme une force de travail et donc traitée avec une politique de main d’œuvre. Le foyer des Mûriers était constitué de chambres collectives et individuelles mais également de grands espaces collectifs permettant l’installation de diverses activités.

Concernant sa fonction principale, l’hébergement , le foyer proposait donc: • 177 chambres individuelles à 335€, • 4 chambres doubles à 286€, • 32 chambres triples à 201€. D’autres foyers, comme celui de Bara à Montreuil, possédait des dortoirs bien plus importants, proposant jusqu’à 20 lits par


«Avant, quand je finissais le travail, je courais pour rentrer au foyer. Je te jure, je voulais retrouver tous les jeunes de mon âge pour me réunir dans les parties communes. On discutait, on faisait du thé, on partageait pleins de choses. On pouvait aussi se réunir dans les chambres qui étaient plus grandes pour jouer à la PlayStation. On regardait des vidéos du pays. On invitait des amis extérieurs du foyer. Les femmes faisaient la cuisine en bas, et on allait manger ensemble pour manger un bon plat en discutant. On était heureux. À l’époque on était bien, on avait de l’ambiance à fond. Nos amis du quartier venaient jouer aux cartes, aux dames. On avait des parties communes. Il y avait un cap verdien qui donnait des cours aux jeunes du quartier. On écoutait de la musique et on regardait la télé. Nos cuisines n’étaient pas chères et on avait l’esprit ouvert.» Ladji Sakho et Brahma Sylla, délégués du foyer des Mûriers P. 11


chambres. Dans un soucis économique et spatial, les sanitaires et les douches sont collectifs et regroupés sur quelques étages. Les espaces collectifs permettaient aux travailleurs de s’organiser. Au rez de chaussé, des cuisines collectives sont installées, permettant une restauration peu coûteuse et offrant un travail et une rémunération à certains habitants. Une économie solidaire officieuse se met en P. 12

place, et les plus démunis du foyer (chômeurs, personnes âgées, etc.) se voient alors les repas offerts, comme gage d’entraide communautaire. Une caisse de solidarité est également mise en place pour aider les plus pauvres. De plus, ces cuisines offraient la possibilité d’organiser les horaires de restauration en fonction des horaires de travail des habitants, qui varient beaucoup selon le type de métier exercé.

Une salle de prière de 200m² était également mise à leur disposition pour permettre au travailleurs, dont la grande majorité est musulmane de pratiquer leur religion. Enfin, une salle de réunion, aux multiples usages leur déférait un espace de sociabilité et de détente. Ils y regardaient collectivement la télévision, mais rendait également possible leur organisation collective. Des cours d’alphabétisation y étaient régulièrement donnés,

tout comme leurs réunions avec les délégués du foyer. Les associations d’aide aux travailleurs migrants y étaient souvent invitées et les informaient par exemple sur les luttes contre les violences policières et les expulsions.

DÉGRADATION DES LOCAUX Les constructions «vites-faites mal-faites», conçues dans cette période de mal-logement,


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commencèrent très vite à se dégrader, et le refus de l’état d’entretenir correctement les locaux accéléra l’altération du bâtiment. Les proches des travailleurs étant souvent hébergés dans le foyer (en 2010, le surnuméraire augmente de 100 % la population du foyer des Mûriers), la surpopulation participera également à la détérioration des locaux. Le parc immobilier public des HLM étant inaccessible aux travailleurs migrants et la crise P. 14

du logement étant de plus en plus forte, le déménagement de ces derniers n’était alors pas envisageable. En l’espace de 20 ans, la majorité des foyers sont considérés comme insalubres et l’on peut voir des chambrées surpeuplées, des sanitaires cassés, des inondations régulières et des cuisines envahies par les rats.


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TRANSFORMATION DES FOYERS EN RÉSIDENCE SOCIALE DÉCRET ET PLAN QUINQUENNAL En 1994, l’État annonce un décret qui voue tous les foyers de travailleurs migrants à être rénovés pour devenir des «résidences sociales». La politique de l’immigration ayant basculé en parallèle de l’évolution des pensées sur la mixité sociale, l’immigration, jusqu’ici différenciée du public P. 16

défavorisé, se voit englobée dans celui des «démunis» (regroupant alors les SDF, handicapés, défavorisés, etc.) Pour faire rentrer les travailleurs migrants dans la «politique du droit commun», le décret permit alors à une généralisation des besoins du public admissible à la résidence sociale. La définition de la résidence sociale n’a alors rien à voir avec

celle du foyer. Le public visé n’est plus le même : alors que le foyer était «réservés aux travailleurs immigrés vivant séparés de leur famille restée au pays d’origine», alors que la résidence sociale est un «logement ouvert à toute personne rencontrant des difficultés pour se loger dans le logement de droit commun, privé ou public et ayant de très faibles revenus». On constate également que les types d’espaces proposés

sont très différents. Dans les résidences sociales, les dortoirs sont remplacés par des chambres de 11m², toutes individuelles et qui intègrent des toilettes, sanitaires et « kitchenettes » privées, ce qui diminue fortement l’espace de la chambre. De façon exceptionnelle, certaines chambres sont plus grandes (27m²) et réservées à des familles.


ESPACES PRIVÉS

REDEVANCES

ESPACES COLLECTIFS

REPRÉSENTANTS

FOYER

RÉSIDENCE SOCIALE

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Les espaces collectifs sont supprimés pour la plus part, ou fortement réduis. Alors que les foyers proposaient généralement des cuisines collectives, des salles de loisir, des espaces de réunion et des salles de prière, les résidences sociales n’offrent souvent plus qu’une petite salle polyvalente. Pour jouir de ce bien, les habitants des résidences sociales, qui ne sont pas plus «locataires» qu’avant, doivent verser une « redevance » qui leur coûte P. 18

entre 390€ et 470€, alors que celle de l’ancien foyer se situait entre 200€ et 300€. Quand bien même les aides aux logement remboursent une partie de la différence, les habitants paient tout de même plus cher. De par leur statut précaire, puisque les habitants n’ont pas de bail de location, le règlement intérieur édifie les lois du foyer. On y apprend qu’il leur est interdit de posséder le double de leurs clefs, et qu’en cas de perte le vendredi, ils doivent se payer à leurs frais, 3

nuits d’hôtel en attendant le retour du gérant le lundi. Les invitations sont également proscrites après 21h et le gérant ou ses représentants, qui ont un certain droit de regard sur la vie privée des travailleurs, peuvent entrer dans les chambres lorsqu’ils le désirent. Ces intrusions rendent alors parfois possibles certaines expulsions frauduleuses puisque les policiers, en charge de la sécurité du gérant, peuvent pénétrer dans les chambres sans mandat.

Les représentants et délégués du foyer, puisqu’il leur est impossible de se réunir avec les habitants depuis la disparition des espaces collectifs, n’ont également plus aucune influence auprès du bailleur social. Enfin, la politique de la ville voulant mettre fin à la différenciation entre les immigrés et les démunis, prévois d’accueillir dans 5 ans, dans cette même structure, des étudiants, qui remplaceront les immigrés petit-à-petit.


«Moi je paye 542€ pour 18m². Je gagne 1200€ par mois, j’envoie 500€ pour la famille pauvre au pays. Je paye ma nourriture, et les transports… il ne me reste rien à la fin. Mais si je n’ai pas d’argent, je vais voir Monsieur Sylla, je vais lui demander de l’argent. On vous accueille, on vous donne à manger. Bienvenu ! S’il n’était pas là, qu’est ce que je ferais? J’irai voir les associations qui donnent de la nourriture dans la rue?» Ladji Sakho, délégué du foyer des Mûriers

«Nous n’avons pas le droit de faire le double de nos clés jusqu’en 2023. Comme les clés sont spéciales, qu’elles ne ressemblent pas à des clés normales, les serruriers nous demandent des autorisations et nous ne pouvons pas les avoir.» Brahma Sylla, délégué du foyer des Mûriers «Franck Calderini nous empêche d’héberger des proches, alors que nous sommes des humains. Je ne laisse pas un frère dormir dehors alors que je suis sous un toit. C’est impossible ! Quand Coallia est arrivé, ils ont voulu casser cette vie sociale.» Ladji Sakho, délégué du foyer des Mûriers. P. 19


Le plan quinquennal déclaré en 1997 enracine le précédent décret, et propose alors un ordre de priorité sur les différents foyers qui tombent en ruine. Le foyer des Mûriers fait alors parti de la catégorie de première priorité. Malgré les demandes incessantes des habitants de voir leur foyer rénové, la situation continua d’empirer.

SANDALE ADOMA ET BRUNO ARBOUET En 2011, un scandale éclate P. 20

sur la SEM ADOMA (ancienne SONACOTRA). Au siège social, à deux pas de la tour Eiffel, le directeur général et trois de ses adjoints se partagent 300m² au douzième étage d’une tour de béton. Les caisses de la société sont-elles vraiment vides? En 2006, lorsque l’entreprise décide de se rebaptiser, elle organise une fête et trouve un nouveau logo, qui lui coûtera 900 000E. A cette époque, les privilèges des employés ne se comptent plus. On retrouve 300 voitures de fonction de luxe (Laguna, Citroën

C5, la C6 du patron à 40 000€), 800 téléphones portables (dont les factures peuvent monter jusqu’à 500€), 1500 imprimantes pour 2600 employés, etc. Le directeur général touche alors 150  000€ brut par an, et les salaires du comité de direction dépassent 100 000€. De lourds soupçons de malversations planent également sur plusieurs investissements. À Avignon, la direction régionale avait acquis en 2006 une résidence étudiante en très mauvais état pour 6 millions d’euros, soit près

du double de sa valeur estimée aujourd’hui. A Nice, Adoma a racheté une résidence près de la Promenade des Anglais pour 2 millions d’euros, alors qu’elle était valorisée à 1,6 million. Une expertise sur ces transactions est en cours. L’État, actionnaire à 57% de la société, n’y trouve néanmoins rien à redire, en dépit du rapport accablant rendu en 2009 par la Mission Interministérielle d’Inspection du Logement Social.


BRUNO ARBOUET

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PRESSIONS ET REVENDICATIONS GRÈVE DES LOYERS AU FOYER DES MÛRIERS Entre temps, le foyer des Mûriers continua de se dégrader et en 2006, les caisses de l’État étant vides, le C.A.S.V.P. revend le bâtiment au bailleur social « AFTAM ». Les habitants du foyer continue de réclamer une rénovation du bâtiment mais les dirigeants n’entendent rien. P. 22

En 2009, l’AFTAM propose un projet de réhabilitation aux habitants du foyer, qui refusent le début des travaux car le projet leur semble très éloigné de leurs besoins, et par ce que l’association prévoyaient de rassembler les habitants dans la moitié du bâtiment lorsque l’autre serait en travaux. Voyant que leurs revendications n’étaient pas entendues, les

travailleurs décident d’entamer une grève des loyers début 2010, sur le modèle de différents foyers ayant exercés cette pression sur leurs gestionnaires. La grève des loyer provoque de grandes pertes pour l’association, puisque chaque mois, c’est 70 400E que l’AFTAM ne touche plus.

DÉBUT DES TRAVAUX Forcée de céder aux revendications, l’AFTAM, devenue une Société Anonyme d’HLM depuis 2009 et qu’on ne peut alors plus considérer comme une association à but non lucratif, entame les travaux en 2012 en employant les architectes Daufresne et Legarrec.


A propos de Franck Calderini: «à peine arrivé il a supprimé tous les lieux de rencontres, les bancs publics, après ce sera le lieu de culte, la salle de réunion» Bocar, résident du foyer des Mûriers

«Il n’y aura plus de possibilité de solidarité envers les travailleurs au chômage (partager la nourriture), plus de possibilité de stocker les aliments, d’acheter groupé et donc moins cher, de s’organiser, de recevoir des amis et famille.» Compte rendu de Pascale Noizet, PCF XXème, membre du CN du PCF P. 23


Les gérants et les pouvoirs politiques se réclament alors d’avoir trouver « enfin » un accord avec les résidents, lors de « négociations » et « concertations » dont les habitants démentent l’existence. Franck Calderini, directeur général de COALLIA (anciennement l’AFTAM) justifie alors sa décision de transformer le foyer en résidence social : « Le vrai racisme, il est là: considérer que comme ces personnes sont noires, elles peuvent être soustraites aux règles de P. 24

protection de la république, pas de sécurité sociale, pas de retraite, et des repas à base de produits périmés. » Durant le temps des travaux, les travailleurs sont alors répartis dans différents sites en Île-deFrance, parfois très éloignés de leur lieu de travail, dont celui de Vincennes, géré par le bailleur social ADOMA. COALLIA en profite pour expulser des squatteurs associatifs de bâtiments désaffectés lui appartenant rue de Pyrénées à

Paris, sous prétexte d’y reloger les travailleurs, qui ne mettrons jamais les pieds dans ces locaux. Les travaux s’achèvent en 2014. Une vidéo de COALLIA sur l’inauguration de la résidence, en compagnie de Myriam El Khomri et de différents représentants nous montre des habitants très satisfaits. On peut alors entendre Jean Paul Garreau, adjoint de Franck Calderini, justifier de la mise en place de la résidence sociale par la question de la

« responsabilité ». En effet, selon lui, « C’est tout l’enjeu de la transformation des foyers en résidence sociale. La difficulté qu’on avait avant, au foyer, c’est que la responsabilité était diluée, puisque c’était des chambres collectives. Impossible d’aller chercher la responsabilité d’un résident! » Cette surveillance mise en place depuis la résorption des bidonvilles est donc garantie ici entre autre par la responsabilité et l’individualité de chaque résidents.


«Je tiens à remercier les mairies, par ce qu’on sait qu’il y a beaucoup de négociations à mener, et ceci ne peut se faire qu’avec les résidents, que je remercie vivement également !»

MYRIAM ELKHOMRI P. 25


Outre la responsabilité, les changements sont notoires. Comme le reste des résidences sociales, on assiste à la disparition des espaces collectifs et les chambres sont maintenant équipées de sanitaires, douches et « kitchenettes » privées. Cette disparition ne laisse pas plus de place aux habitants puisqu’on remarque un manque de 41 résidents officiels. Un «restaurant solidaire», qui remplace les cuisines collectives, est tenu par une association P. 26

extérieure au foyer, plus cher, et ouverte seulement 4 heures par jours. Une salle de prière a également subsisté mais sa capacité d’accueil a été fortement réduite. Celle de l’ancien foyer mesurait environ 200m ² alors que la nouvelle ne peux accueillir que 40 personnes. Aujourd’hui, les inondations sont quotidiennes entre 19h et 01h du matin, les ascenseurs tombent en panne 3 fois par semaine et

beaucoup de rideaux électriques ne marchent déjà plus. Les habitants se plaignent de la taille de leur chambre et de leur impossibilité de se réunir ou se rencontrer. «Si Coallia continue de nous traiter comme ça, ça peut provoquer la non-réussite des Africains qui viennent en France. C’est mauvais pour ces Africains, mais c’est aussi mauvais pour le pays, parce qu’ils seront peut être au chômage, ou dealer, ou de mauvaises personnes. Si le

foyer est bien tenu, s’il est cadré, il s’en sortira. Si le foyer disparaît, ça va être très compliqué pour les jeunes Africains qui arrivent. Le foyer est aussi un lieu d’éducation et de cadre qui nous permet de bien nous comporter. Nos grands-parents nous éduquent ici. Un enfant croit ce qu’il voit et ce qu’il entend. Quand il est au foyer, il voit des gens qui vont travailler, des gens qui se respectent, qui se mobilisent. On doit tout faire pour garder les foyers.» Ladji Sakho, délégué du foyer des Mûriers.


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SYNTHÈSE ET PROBLÉMATIQUE Cette histoire nous permet de tirer un premier constat. Les foyers ont subi au fils des décennies, les idéologies et les considérations des politiques en place. Malgré une évolution du discours des décideurs de la ville, on remarque un vrai recul des libertés des travailleurs migrants. Il semble alors légitime de se poser la question de l’avenir de ces espaces et de leurs habitants. P. 28

Les résidences sociales étant vouées à être des lieux de mixité, puisqu’elles accueilleront bientôt des étudiants et des personnes en difficulté financière, le communautarisme des foyers (qu’on le regrette ou non) va disparaître. La notion de collectivité est néanmoins différente de celle de la communauté, et l’on peut se demander dans quelle mesure est-ce-que les habitudes

solidaires et organisées des travailleurs, ne pourraient-elles pas se coupler avec celles des futurs habitants de la résidence sociale. Est ce que l’accueil d’un public plus large engendre forcement une standardisation du logement? La ville de Paris semble vouloir faire disparaître du territoire intra-muros, la population des foyers. Il aurait peut être été possible de créer des espaces qui valorisent la

présence des habitants sur le site, et capable de générer une valeur économique. Ce que ce récit nous apprend également, c’est que dans le cas du foyer des Mûriers, le système de production architecturale ne marche pas. A logement spécialisé convient, semble-til, méthodes spécialisées. La transformation de l’association AFTAM en société anynome


d’HLM COALLIA, révèle également une normalisation des démarches de projet, dont découle peut être en partie le manque d’ajustement des logements à leurs locataires. Remplir et rentabiliser le produit architectural en forçant les habitants à l’investir (ou en jouant sur leur incapacité d’accès au reste du parc immobilier), ne peut pas être une réponse adaptée au besoin de logement.

Les architectes n’ont dans cette chaîne d’engrenage, qu’une faible marge de manœuvre. Nous allons donc imaginer comment repenser le modèle de conception architectural du logement spécialisé à travers le cas du foyer des Mûriers? En revoyant les démarches de conception architecturales classiques et en proposant des approches alternatives,

nous pouvons analyser les possibilités et les contraintes des architectes. L’objectif de ce projet est donc de présenter une méthode, par le biais de simulations, qui mettent en œuvre des outils imparfaits (puisque non-spécifiques au savoir de l’architecte: la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, le design de service...) pour expérimenter, étapes par étapes, la conception du projet.

Passé à travers des filtres et des protocoles expérimentaux, des prototypes pourront nous permettre de tirer des conclusions à chaque phase du projet.

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DÉROULÉ DE LA RÉFLEXION Concrètement, cette réflexion s’étend donc en trois temps. Le premier est historique et raconte le foyer des Mûriers et plus généralement, ce type de logement spécialisé. Le second est analytique et propose de comprendre les rouages du système de conception du logement spécialisé. Enfin, le dernier serait prospectif, et amènerait à ré-ouvrir le champs des possibles pour les architectes. P. 30

LIVRE A CHOIX MULTIPLE A la suite de l’exposé chronologique de l’histoire du foyer des Mûriers, que nous venons de traverser, nous plongerons dans la peau de la direction de Coallia, personnifiée par son Directeur Général, Franck Calderini. Nous reconsidérerons chacune de ses décisions pour comprendre les contraintes du marché locatif

spécialisé et le système dans lequel les architectes doivent s’intégrer. Nous y exposerons alors les influences de chaque acteurs du projet, explorerons leurs possibilités d’action et leurs limites.

MISE EN SITUATION Face à ses contraintes, nous imaginerons comment les architectes peuvent s’y

prendre pour élargir leur marge de manœuvre. Une mise en situation des méthodes exposées proposera une table ronde où l’on pourra entendre débattre les différents acteurs du projet. Chacune des propositions s’illustrera par une représentation de l’évolution du produit architecture. Les étapes de projet seront alors passées en revue et nous pourront prendre conscience


de l’impacte des décisions et propositions sur le bâtiment. Cette expérimentation illustre alors la conclusion de la démarche de ce travail.

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P. 35


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