RAPPORT SUR UNE ANNEE D’ECHANGE A BANGKOK Université d’accueil: CHULALONGKORN UNIVERSITY
Mélusine Pagnier ENSAPB
SOMMAIRE P. 2
FANTASME
P. 10
TROPICALE
La plage La guere Etouffement Mes fantasmes
Architecture Futuriste Architecture traditionelle Etudes d’architecture Philosophie
P. 18
ECOLOGIE
P. 24
INTEGRATION
P. 34
LA FEMME
Urbanisme Conscience collective Production energetique L’ecologie comme mémoire
Voyages Solitude
Prostitution Mauvaises habitudes Sage comme une image Domination
Quand j'ai pris la décision de m'inscrire au bureau des échanges internationaux pour partir en Thaïlande, je ne savais pas vraiment ce que je faisais. N'ayant jamais mis les pieds en Asie du Sud Est, je devais me contenter de Google et de l'avis de mes proches pour imaginer ce qui m'attendait. A vrai dire, la Thaïlande, j'en entendais beaucoup parler. Il y avait ceux qui me décrivaient ce pays comme une immense plage paradisiaque où les filles sont belles et l'alcool coule à flot ; Mais aussi ceux qui me croyaient en danger de mort, car l'armée a pris le pouvoir ; Ceux qui n'aimaient tout simplement pas Bangkok parce que c'est une ville sale, qui pue, et très polluée ; Et enfin, ceux qui voyaient cette métropole comme un centre dynamique des musiques « underground », de l'art-moderne, et des événements visionnaires.
LA PLAGE
Thaïlande. « Tu penseras à mettre de l'anti-moustique, hein ? ». On ne peut le leur reprocher,
Mon voisin m'avait parlé de la Thaïlande. Il m'avait parlé de ces lagons magni-
surtout une fois que j'avais attrapé la « Denge Fever. »
fiques qui rendent les gens fous, comme
Les récents événements relatés dans les
Léonardo DiCaprio l'est devenu dans le très
journaux avant mon départ avaient tout de
renommé film, « The beach ». Il me racontait
même fait des vagues. On me parlait alors de la
comme l'eau avait l'air transparent, le sable fin,
prise de pouvoir par les militaires et de la
le temps radieux et les cocktails... mmmh...
corruption, du roi et de la censure...etc.
délicieux ! Il m'avait dit que c'était le pays du
J'essayais de garder à l'esprit que la Thaïlande en
sourire, et que contrairement à la France, là ba,
était à son 12ème coup d’état depuis 1932 et
on savait ce que voulait dire accueillir. Il allait
qu'il n'y avait donc pas matière à paniquer, mais
donc de soit que les fêtes en Thaïlande étaient
les manifestations faisaient rage à ce moment, et
incroyables. La « Full Moon », un des plus
mes proches ne manquaient pas de me faire
grands festivals du monde, l'excitait tellement
suivre des articles terrifiants à ce sujet. On m'a
qu'il se mettait à danser rien qu'en y pensant.
aussi prévenu du choc qu'on peut ressentir en
Aussi, Il ne faudrait surtout pas que j'oublie de
allant dans un pays pauvre. Mon père me parlait
lui rapporter un tee shirt du PSG, car les prix
de la nausée qu'il avait eu en voyant un lépreux
sont tellement bas en Asie ! Selon lui, les plats
la première fois de sa vie et ma cousine de la
thaïlandais étaient incroyables, et il faudrait
convoitise qu'elle générait autour d'elle quand
sûrement d'ailleurs, que je surveille mon poids.
elle sortait son appareil photo en Inde. Il
Mais peut importe, j'allai être heureuse, et vivre
faudrait donc que j'ai le cœur accroché, et que je
dans un pays magnifique. C'était globalement
sois prudente.
l'avis de mes amis :
« Mélusine s'en va au
paradis. »
Je n'ai pas échappé non plus aux sermons de certains sur les lois thaïlandaises, très différentes de chez nous sur quelques
LA GUERRE
points, et très sévères. Surtout, « ne fumes pas de pétards » ! Effectivement, j'encourrais la peine
Il y avait ceux qui s'inquiétaient, comme mes parents. C'est quand même loin la
de mort en consommant du cannabis. Et on m'expliquait par la même occasion qu'il ne
faudrait pas que je fasse confiance à n'importe qui: 80 % des condamnés par la justice, avaient été dénoncés par des civils. Les articles du Routard sur les arnaques réservées au touristes ne m'aidaient pas non plus à me calmer : Il ne faut jamais accepter le premier prix que l'on se voit proposer, toujours rétorquer de moitié ; Ne jamais monter dans un « touktouk » qui propose des visites gratuites... Et puis aussi : Ne pas manger trop épicé si l'on n'est pas habitué ; Ne jamais s’énerver contre quelqu'un...etc. L’ETOUFFEMENT Entre étudiants fauchés, on en parlait aussi. On veut tous trouver des bons plans, pour voyager sans trop dépenser. Nombre d'entre nous étaient alors déjà passé par Bangkok lors d'escales car les prix des billets d'avion dans cette région du monde sont très avantageux. Ils avaient donc aperçu un Bangkok sale, extrêmement pollué et ravagé par le tourisme. Ces voyageurs étaient généralement à là recherche de lieux introuvables, mais qu'ils auraient trouvés ; de paysages magnifiques mais inconnus et de civilisations primitives mais qu'ils pourraient comprendre. Il va sans dire, que ceux là détestaient Bangkok. On me parlait alors des buildings immenses qui cachent le ciel, du BTS (métro aérien) qui serpente dans les rues comme un énorme monstre de béton et de l'odeur de friture mélangée à celle des pots d’échappements des scooters qui émane des rues grouillantes de monde. L'odeur peut rester imprégnée dans les vêtements jusqu'à « 3 ou 4 lavages à 60° » me disait-on !
MES FANTASMES
La chaleur moite de Bangkok empêche de respirer, et la transpiration colle les tee-shirts à la peau. Le temps d'ailleurs n'est pas si radieux qu'on le dit : la mousson dure
Et puis il y avait moi, qui rêvait de découvrir un
de Juin à Octobre, provoquant inondations et mauvaise
pays où j'aurai tout à apprendre : la langue, la culture,
humeur. Bangkok n'est donc pas une destination de rêve et
l'amitié... et revenir avec une appréhension de l'architecture
mes conseillers espéraient sincèrement pour moi que je
complètement différente. Je voulais perdre mes repères pour
puisse souvent sortir du territoire pour me ressourcer dans
pouvoir construire des bases qui me soient propres, décon-
les pays voisins .
struire les règles que j'avais apprises, reconsidérer le beau, le confortable, le pratique... Je voulais chercher des preuves, et
UNDERGROUND
les rapporter pour prouver que l'on peut dessiner autrement l'architecture : faire face au fatalisme de notre société et
Selon les autres, les étudiants qui avaient
proposer de nouvelles idées... Rien que ça. J'écoutais attenti-
« compris » Bangkok dans toute sa complexité, la Thaï-
vement ce qu'on pouvait me dire de Bangkok, mais je ne
lande était le centre actif de l'Asie du Sud-Est, un fin
considérais pas ces données comme pouvant influencer ma
mélange entre la puissance de la culture bouddhiste et
quête, et participer ou non à mon bonheur pendant cette
l’adaptation à la modernité capitaliste, un lieu de poésie à la
année. Je savais que j'allais revenir différente et enrichie de
Enki Bilal et surtout un terrain de jeux pour les curieux et
cette expérience. Je savais qu'une année d'échange à l'étran-
les rêveurs. On me parlait alors des temples éparpillés dans
ger mûrissait beaucoup un étudiant et l'aidait à s'épanouir
la ville qui étaient autant pour les touristes que pour les
sur le plan architectural et affectif. Je savais que je n'aurais
thaïlandais, des points de repères géographiques. Certains
plus envie de rentrer une fois mon année d'échange finie. Je
étaient engloutis par la masse touristique et ce n'était
savais que j'allais créer des souvenirs inoubliables et fonder
d'ailleurs pas les plus intéressants, alors que d'autres, plus
des amitiés inaltérables. Je savais que ce voyage allait changer
petits, plus sobres, plus simples, laissaient transparaître
ma vie.
l'élégance de l'architecture locale.
Toutes ces attentes m'ont quelque fois plongé dans
On me parlait aussi des « klongs », ces canaux
la tristesse. A trop fantasmer mon voyage, j'ai eu tout au long
abandonnés qui sillonnent la ville, et des espaces résiduels
de mon séjour un amer goût d'échec. Entre la sensation de ne
qui laissent le promeneur rêver à des projets de réhabilita-
rien apprendre, du moins pas autant que je l'avais souhaité, et
tion au goût du jour. Selon eux, Bangkok regorgeait
mes difficultés d'intégration, je n'arrivais pas à comprendre la
également de lieu insolites et d’événements « underground »
culture thaïlandaise. Ces sévères constats m'ont hanté tout le
qui raviraient les assoiffés d'art-moderne et musiques
long de mon année, et c'est seulement en rentrant en France,
« electro-ethnico-acoustico-new-wave ».
que je me suis rendue compte de tout de ce que j'avais gagné.
Sur le plan architectural, j'ai d'abord été très étonnée. Je ne m'attendais tout de même pas à voir des architectures traditionnelles ou vernaculaires à chaque coin de rue mais je ne pensais pas qu'il serait si difficile de trouver des bâtiments anciens, préservés ou restaurés dans la capitale. A vrai dire, à Bangkok, ce qui est vieux est à jeter, comme si les thaïlandais n'étaient pas fiers de leur Histoire. Les français ont un faible pour le vieux, ce qu'ils appellent authentique, ils sont très attachés à l'ancien et Paris met en vitrine chaque petite pierre classée au patrimoine historique. A Bangkok, le vieux est désuet, obsolète, bon pour la poubelle, et si le marché de « Chatuchak » (où l'on trouve des téléphones à cadran, des montres à goussets, des lampes à huile...etc.) est toujours visité, ce n'est que pour reproduire la mode européenne.
ARCHITECTURE FUTURISTE Le rythme imposé par l'occident à la Thaïlande pour pouvoir espérer rivaliser avec les puissances mondiales l'oblige à sacrifier son Histoire. Pour plus de productivité, pour plus de compétitivité, pour plus de renommé, les thaïlandais préfèrent construire une tour qui défie les lois de la gravité plutôt que de préserver une maison traditionnelle en teck sculpté. Et personne ne pourra leur reprocher sachant que l'on parle de leur architecture seulement quand il s'agit de buildings immenses, et non quand il s'agit de techniques d'assemblage de teck ou de circulation naturelle de l'air dans les toitures. La Thaïlande renie tellement ses origines que j'ai entendu un de mes professeurs américain de Chulalongkorn, se permettre de faire remarquer, d'un œil « colonialo-patriarcal », que la Thaïlande, contrairement au monde occidental, n'avait pas d'Histoire. Ce qui me rappelle qu'en France, on pouvait encore entendre il y a peu de temps,
que l'Afrique noire n'avait pas d'Histoire
puisqu'elle ne savait pas écrire ou encore qu'elle n'était pas une Grande Civilisation. La Thaïlande n'a pas été colonisée, chose dont elle est très fière, mais l'odeur d'ultra-libéralisme qui règne à Bangkok ne trompe personne, et la Thaïlande est devenue d'elle même un bon petit soldat de l'occident. ARCHITECTURE TRADITIONELLE Les maisons Thaïlandaises traditionnelles se font donc très rares même si le style « pilotis / toit de chanvre » reste encore très utilisé pour les « bungalows » touristiques.
Malgré cette reprise du style traditionnel, le savoir faire n'est pas conservé. Les techniques d’aération et de ventilation naturelle sont oubliées, tout comme l'utilisation de matériaux qui deviens seulement esthétique. Nombre de « bungalows » sont montés en bois et recouverts de taule ondulée, alors que l’emploie de terre ou argile est peu coûteux, facile à mettre en place et très intéressant pour réguler la température. Suivre le cours sur l'Architecture Tropicale à Chulalongkorn m'aurait permis de perfectionner mes recherches mais malheureusement je n'ai pas pu y participer, (A. Lichtenberg et A. Leman ont eu la chance de pouvoir suivre ce cours). Néanmoins, j'ai tout de même réussi à pousser mes recherches sur les techniques de construction traditionnelle pendant le cours de Design Contemporain (étrange paradoxe). Le cours, étant basé sur l'analyse de bâtiments contemporains tout au long du semestre, j'ai choisi de m'intéresser à certains architectes qui reprenaient les techniques traditionnelles pour construire en Asie. J'ai pu me concentrer sur l'utilisation du bambou, plante sous estimée par beaucoup, qui possède de grandes qualités techniques et esthétiques. L'analyse de la « Green school » par Enora Hardy à Bali et de la « Payaden school » par Markus Roseliebe dans le Nord de la Thaildande, m'ont permis de découvrir beaucoup sur les différentes utilisations du bambou et de la terre. Ces recherches m'ont aussi poussé vers le côté politique de ces constructions. En effet, ce sont des européens qui ont conçus ces bâtiments, et peu d'architectes thaïlandais s'intéressent aux techniques de construction traditionnelle. Néanmoins, il ne faut pas oublier que des projets comme la «Green school» sont extrêmement coûteux et donc réservés
par la suite à des élèves très aisés (90 % sont blancs). Les
Samut Prakarn. Un des étudiant, a commencé sa présenta-
projets de ce type restent très rares à Bangkok et j'ai été très
tion avec une analyse grossière de la ville, expliquant à l'aide
déçue de ne pas pouvoir en visiter pendant cette année.
d'une carte sur laquelle on pouvait voir trois cercles, que dans le premier se trouvaient les « pauvres » ; dans le second,
ETUDE D’ARCHITECTURE
les « moyens-pauvres » et dans le dernier, les « riches ». Ceci étant dit, il proposa l'idée suivante : « construire une
Les exigences de Chulalongkorn University étaient très différentes de celles de l'ENSAPB. Dans l'école
forteresse pour empêcher les pauvres d'entrer, comme ça, il n'y a plus de problème ».
royale de Thaïlande, l'accent est mis sur la représentation. Les étudiants maîtrisent parfaitement l'outil informatique :
Heureusement pour lui, ce n'était pas son jury
Autocad, Archicad, Revit, tous les logiciels de la suite Adobe,
final. Les autres étudiants, bien sure, n'adhéraient pas à ce
3D Max... A chaque correction nous pouvions observer de
genre de projet mais néanmoins, ils y trouvaient toujours
magnifiques perspectives, plans graphiques et mise-en-page
de bons côtés. La philosophie thaïlandaise joue sûrement
parfaites. J'ai été très impressionnée par leurs présentations
un rôle dans leur tolérance. La sagesse, m'a-t-on expliqué,
qui, complétées par l'aisance avec laquelle ils parlent
ne se trouve ni dans le noir, ni dans le blanc : toujours dans
anglais, en aurait fait rêver plus d'un. Néanmoins, l'atten-
le gris. On ne peut pas être complètement en désaccord
tion qu'ils portaient à la représentation prenait parfois le
avec quelqu'un, c'est d'ailleurs très impoli. Et même sur des
pas sur la conception du projet. Quelques exemples me
sujets comme la Seconde Guerre Mondiale, Hitler ne
viennent à l'esprit : Un des studios de troisième année
pouvait pas avoir complètement tort... Le Nazisme est une
proposait de travailler sur le thème de la salle de conférence /
figure assez courante en Thaïlande, que l'on peut retrouver
réunion. Une étudiante de ce studio s'était donné le
sur des stickers, des décorations, qui réfèrent non pas à une
périlleux objectif de concevoir une salle de réunion pour
période de génocide, mais à une période de puissance. Dans
femme. Ce projet aurait pu être extrêmement intéressant,
le parc de notre école, une fresque avait été réalisée par des
quoi que facilement controversable mais l'étudiante a pris
étudiants qui mettaient en valeur des personnages célèbres
une toute autre voie. « Qu'est ce qu'une femme ? », « De quoi
: Hitler en faisait parti. Quand les médias sont allés interro-
à-t-elle besoin ? »... Et bien « de vernis à ongle » pardis !
ger un des étudiants sur la raison de la présence du dictateur
De « toilettes aussi grandes que la salle de réunion » car elles
dans la fresque, il a répondu qu'il ne connaissait pas
ont besoin de se remaquiller. Non, mais c'est bien aussi un
vraiment ce moustachu mais qu'il savait que c'était un
salon de coiffure... Celle-là a eu son diplôme de justesse.
grand homme.
Dans un autre studio, celui-ci sur l'urbanisme, le sujet était de re-dynamiser une ville de banlieue de Bangkok appelée
PHILOSOPHIE
Les corrections de nos professeur sont donc toujours extrêmement motivantes, ce qui est très rarement
Pour revenir a cette question de philosophie
le cas en France (où les critiques se font souvent sans
thaïlandaise, j'ai trouvé dans d'autres expériences, que l'on
retenue). J'ai été étonnée par les premières corrections qui
pouvait y trouver de vraies qualités. Car même si la prise de
m'étaient faites, les reproches de mes professeurs étant
position d'un professeur n'est donc jamais drastique, elle a
toujours accompagnés de compliments et les enseignants
l'avantage de mettre toujours en avant les qualités de notre
expliquant toujours aux étudiants ce qu'il y avait de bien
travail. Cette façon de faire et de penser est souvent jugée
dans leurs travaux. Je me sentais alors de plus en plus
par les occidentaux comme « hypocrite » et c'est pour cette
investie dans mon travail et je me faisait presque un devoir
raison que l'on entend beaucoup d'expatriés parler du
de citoyen de réussir mon exercice.
« faux-sourire thaïlandais ». Il est vrai qu'en Thaïlande, on ne provoque jamais un conflit. A l'inverse , en France, la peine n'existe pas en tant que telle : la provoquer n'est pas si grave. On apprend très tôt qu' « il faut souffrir pour être belle », qu'il faut constamment dépasser ses limites pour progresser (dans la souffrance), ou qu'un remède est efficace lorsqu'il fait mal. Une âme s'élève quand elle souffre : les artistes sont torturés et le christ s'est fait crucifier... En Thaïlande, la peine de l'autre compte, on ne veux pas la provoquer. Cela vient sûrement de la culture bouddhiste qui met l'individu et son ressenti en avant. En grossissant les traits, le bouddhisme a comme maxime : « soit bien avec toi même, pour être bien avec les autres ». Ce qui promeut les préoccupations du bien être d'une personne, de sa santé, de son moral...etc. La philosophie chrétienne du monde occidental donne a penser au contraire que le bien être d'une personne serait le résultat de ses bonnes actions : « soit bien avec les autres, et tu seras bien avec toi même ».
Depuis que j'ai commencé mes études d'architecture, quelque chose me chagrine. Comment se fait-il que nous, constructeurs de demain, n'en apprenions pas plus sur l'écologie. Certes, quelques studios proposent des enseignements qui prennent en compte cette donnée, mais ils restent très peu nombreux. A chaque fois que j'ai eu l'occasion d'approfondir mes connaissances dans ce domaine, je me suis exécutée de façon assidue. Mais mon savoir à ce sujet, malgré mes efforts, reste bien vague et très théorique. Je pensais que la Thaïlande m'offrirait d'autres perspectives à ce sujets et me donnerait de nouvelles motivations pour sauver la planète ! J'ai bien vite découvert qu'ici aussi, il y avait d'autres priorités. Les qualités écologiques de mes projets intéressaient beaucoup mes professeurs mais néanmoins, aucun d'entre eux n'avaient les connaissances pour m'apprendre des choses dans ce domaine.
URBANISME Au premier semestre, j'ai suivi le studio d'urbanisme de Aj. Komthat qui demandait d'analyser la ville de Samut Prakarn en banlieue Bakokoise et de proposer un réaménagement pour re-dynamiser le territoire. Cette ville était en déclin depuis plusieurs siècles, et plus précisément depuis qu'elle avait perdu son activité principale : la pêche. En effet, quelques siècle plus tôt, Samut Prakarn était la première ville à vendre des fruits de mers à Bangkok, et son nom était presque digne d'un label en matière de qualité de poissons. J'avais donc conçu un réaménagement du territoire pour permettre aux pêcheurs de revenir s'y installer, exercer leur métier et enfin vendre le poisson (exemple : marchés flottants). Accompagné de ces transformations, je proposais un programme de sensibilisation à l'écologie qui donnerait du crédit à leurs activités, comme pour promouvoir le label ''Samut Prakarn''. Je liais donc à cela, un programme de bains à filtres naturels, qui puiseraient l'eau utilisée dans les anciens canaux de la ville. L’eau passerait par plusieurs bassins de décantations agrémentés de plantes dont les attribues naturels permettaient 20
d'obtenir une eau saine et claire. Je proposais également de re-végétaliser les sols asphaltés qui, empêchant l'eau de s'infiltrer dans la terre, entraînaient une grosse partie des déchets et beaucoup de pollution dans le Chao Praya River, l'ancien lieu de pêche. J'avais également pensé à réhabiliter une usine désaffectée du centre ville, en musé rappelant l'histoire de Samut Prakarn et pourquoi pas y installer des jardins collectifs qui inciteraient la population à en apprendre plus sur la nature et l'écologie. Toutes ces idées furent extrêmement bien reçues par mon professeur mais malheureusement, ses conseils restèrent assez vagues car il avait peu de connaissance dans ce domaine. Comme je le disais précédemment, l'écologie n'est pas une réelle préoccupation en Thaïlande mais quand mes professeurs s'y intéressaient, c'était avec beaucoup de curiosité : L'écologie représente pour eux un enjeux occidental. CONSCIENCE COLLECTIVE Une de mes colocataire travaillait pour l'agence Agora, un collectif d'architecte qui construit des camps de réfugiés pour Birmans aux frontières
thaïlandaises et me parlait alors de leur façon de promou-
quatrième année de licence. Je me suis aussi penché sur les
voir l'écologie dans leurs projets. Il faut savoir que, question
énergies renouvelables lors de mon second semestre avec Aj.
consommation d'énergie et production de déchets, la
Sivichai qui proposait de travailler sur la conception d'un
Thaïlande bat des records. Dans les Seven Eleven (marque
showroom de voiture, au bord d'un canal en pleins centre
mondialement connue de petits commerces implantés
de Bangkok. Le choix de la marque étant laissé à l'étudiant,
partout en Thaïlande) chaque produit acheté est emballé
je me suis concentrée sur les voitures électriques de Tesla.
dans un sac plastique, même les paquets de cigarettes. Il se
Mon but était de promouvoir à la fois un espace de décou-
trouve que ces sacs plastiques finissent non pas dans des
verte de la marque et de ses voitures, mais aussi de créer un
poubelles de recyclages mais, abandonnés dans les rues.
système qui permettrait aux conducteurs de recharger les
L'agence d'architecture d'Agora avait compris que la
batteries dans le showroom en utilisant les énergies renou-
conception de l'écologie en Thaïlande était très différente
velables. J'ai donc calculé de façon précise le rendement
de celle d'Europe. Plutôt que de créer des lieux de sensibili-
d'un panneau solaire en fonction de son emplacement, de
sation, ou installer des poubelles de tris (qui avaient déjà été
sa position, et la surface qu'il me faudrait atteindre pour
implantés sans succès dans certains quartiers), l’équipe
charger ces voitures. Complétée par une salle de sport qui
décida de réutiliser les déchets dans l'architecture pour à la
récolterait l'énergie produite par les vélos d'appartements et
fois, servir la cause écologique et en même temps, montrer
autres engins sportifs, j'ai obtenu un rendement énergé-
comment ces éléments pouvaient être utiles dans la
tique important. Pendant ce semestre j'ai donc beaucoup
construction. Ils réutilisaient par exemple les bouteilles en
appris sur la création d'énergie et compris la complexité de
plastique, qui tantôt leur servaient d'isolant quand elles
la mise en place de ce genre de système.
étaient remplies de sacs plastiques, tantôt de baie pour laisser passer la lumière et créer une aération. PRODUCTION ENERGETIQUE
ECOLOGIE COMME MEMOIRE J'ai également participé au work shop « Prince Naaris » avec Jean-Baptiste Cannone, un étudiant en
Bien que la Thaïlande ne soit pas le pays le plus
architecture de l'ENSAV, et là encore, nous avons recherché
avancé en matière d'écologie et mes professeurs, peu rensei-
ensemble à relever certains défis écologiques. Le site se
gnés sur le sujet, cela ne m'a pas empêché de continuer mes
trouvait en pleins centre de Bangkok, dans un terrain
recherches par moi même. J'ai alors pu présenter plusieurs
verdoyant qui accueillait une école de danse renommée et
projets écologiques ou énergiquement auto-suffisants
les habitations des descendants de la famille royale, qui
pendant l'année. Le premier exemple que j'ai cité se
possédaient le terrain. Le jury attendait nos propositions
trouvait être mon studio de premier semestre rattaché à la
pour dynamiser et rentabiliser ce lieux, tout en respectant
l'histoire du site, et conserver les archives du Prince Naaris (célèbre architecte du siècle dernier). Nous (Jean-Baptiste et moi même) proposions des systèmes de ventilation, de contrôle de la température et production d 'énergie de façon naturelle et non polluante. Ces installations serviraient l'économie de Ban Plainern (le site) mais attirerait aussi l'attention des visiteurs. En exposant toutes ces installations, Ban Plainern pourrait devenir une sorte de musée de l'écologie. Pour rester dans le contexte historique, nous avions respecté les désirs du Prince Naaris, qui avait de son vivant fait venir certaines plantes spécifiques comme le « Kaew » et le « Piku » . Toutes ces plantes et le jardin serait traités en permaculture, le but étant de rendre cet endroit éternel dans le sens matériel (grâce aux équipements écologiques) mais aussi dans le sens immatériel, pour faire perdurer la mémoire du Prince Naaris et son intérêt pour la nature. Ces installations seraient exposées et cela attirerait plus de visiteurs et amènerait à Ban Plainern une plus grande renommée. Notre idée a beaucoup plut au jury, qui n'était autre que les habitants des lieux, les descendants de la famille royale et nous avons donc gagné le premier prix. L'écologie étant notre intérêt commun, nous nous sommes poussé pendant toute l'année à approfondir nos recherches dans ce domaine et s'instruire mutuellement de nos différentes expériences et connaissances en matière de développement durable.
L'intégration est un point que je voulait traiter dans ce rapport car il a joué un rôle conséquent dans mon appréciation de la Thaïlande. Comme l'on peut s'en douter, les prix étant très avantageux comparés aux prix français, j'ai put me permettre de voyager dans tout le pays. Ayant peu de cours dans la semaine, j'ai pu partir en week-ends prolongés pendant certaines semaines, à la découverte d'autres régions de la Thaïlande. J'ai pu donc visiter un grand nombre de ville, plus ou moins peuplées, plus ou moins touristiques, plus ou moins pauvres... etc. A l'inverse de mes compatriotes et camarades de classes qui profitaient des vacances pour aller explorer les pays voisins, je décidais, têtue comme un âne, de rester sur le territoire toute l'année durant. Je voulais mettre toutes les chances de mon côté pour m'intégrer, comprendre ce que je ne comprenais pas et apprécier ce que je n'appréciais pas. Je partais alors seule, pensant doubler mes chances de rencontre.
LE SUD
LE NORD
Mes premières expéditions m'ont mené aux
Je suis aussi allée visiter le Nord de la Thaïlande
plages paradisiaques de Thaïlande, surpeuplées par les
vers le mois d'octobre, une fois la mousson passée. Alors
touristes blancs qui viennent ici pour faire tout ce qu'il est
que sur les plages du Sud, il est rare de rencontrer un
interdit de faire chez eux. La beauté des paysages était à
thaïlandais, le Nord reste bien plus protégé, moins touris-
couper le souffle, et aucun de mes dessins, pourtant
tique, plus traditionnel, plus frais et plus vert. On peut
appliqués, n'arrivaient à leur rendre hommage. La faune et
alors visiter une multitude de temples, plus dorés les uns
la flore, démesurée dans les pays tropicaux, étaient
que les autres et tourner autour du bouddha immense qui
fascinantes, et je n'ai pas manqué de passer plusieurs
trône à l'intérieur de chaque sanctuaire. La location de
niveaux de plongée pour explorer la vie sous-marine.
scooter m'a aussi permis de visiter des lieux reculés dans les
Certaines spécialités comme la plongé de nuit, la plongée en
montagnes, offrant de vertigineux panoramas, comme celui
épave, ou la plongée profonde, m'ont permis de découvrir des
du Triangle d'Or que j'ai pu observer à la frontière de la
espèces animales dont j’ignorais tout et que j'ai pu observer
Thaïlande, de la Birmanie et du Laos. C'est ici que j'ai fait
dans leur milieu naturel. Étant en plongée d'apprentissage,
une des seule rencontre avec un sentiment amicale sponta-
et non récréative, mes professeurs m'apprenaient beaucoup
né partagé avec des thaïlandais. Nous n'avions pas de
sur la vie aquatique, en passant par la digestion des
langue en commun, eux ne parlaient que très peu anglais, et
méduses, le cycle de vie des algues, ou bien encore les
moi, très peu thaï. Mais la musique n'a pas besoin de
qualités de chaque espèces dans la chaîne alimentaire.
langage, et c'est comme ça que nous nous sommes retrou-
La découverte de ce sport fut pour moi une formation extrêmement enrichissante, autant sur le plan de
vés à échanger nos guitares, nos djembés et autres instruments durant toute la nuit.
l'analyse de la nature que sur le plan anatomique du corps humain et de ses capacités. Je pense qu'un étudiant en
L’EXTREME SUD
architecture, qui pense constamment aux espaces et à ses perceptions, ne peut qu'être intéressé par les sensations que
J'ai aussi visité l’extrême Sud de la Thaïlande, près
procure la plongé. L'introduction du corps humain dans
de la frontière de la Malaisie pendant le mois de décembre.
un milieu qui n'est pas le sien, qui s'adapte et qui découvre
Cette région était déconseillée par tous les guides touris-
de nouvelles capacités comme le mouvement vertical
tiques. Je pense que c'est là que j'ai pu observer les paysages
possible dans l'eau ou le contrôle de la respiration comme
les plus incroyables et sauvages. C'est également dans cette
moteur de déplacement, peuvent être de grandes sources
région que se trouvent les bâtiments les plus originaux de
d'inspiration.
Thaïlande car, disons le, sur le plan architectural et urbain,
toutes les villes de Thaïlande se ressemblent beaucoup.
L’OUEST
Dans ces villes, restaient encore de petits villages de pécheurs, de vielles bâtisses en teck sculptés, et des temples
A l'Ouest, l'ambiance des villes est encore
aux couleurs étonnantes. Même dans les centre-ville
complètement différente. Je suis allez rendre visite à mon
modernes, faits de maisons en béton, l'architecture tirait
ancienne colocataire de Bangkok qui habitait maintenant à
légèrement sur un côté arabisant, qui pouvait à certain
Mae Sot, une ville proche de la frontière entre la Thaïlande
moment me rappeler la Turquie. La présence de
et la Birmanie. Elle effectuait un stage dans l'agence Agora
nombreuses mosquées et les appels à la prière résonnants
travaillant entre autre, sur les camps de réfugiés. Les
dans la ville assignaient une toute autre ambiance aux villes
migrants birmans, très peu appréciés en Thaïlande, arrivent
et m'ont donné la sensation de changer de pays.
par les frontières terrestres pour la plus part, ce qui explique la présence importante des forces de l'ordre dans cette
LE CENTRE
région. Les contrôles d'identité sont quotidiens. Les camps de réfugiés rythment la frontière et les agences d'architec-
Le centre de la Thailande est intéressant pour ses
ture (comme Agora) redoublent d'effort pour améliorer les
vielles ruines comme les vestiges d'Ayuthaya. Semblables en
conditions de vie de leurs habitants. J'ai pu aussi observer
nombreux points aux temples Khmers, ces anciens
dans cette ville des combats de muai-thai (boxe
sanctuaires sont laissés à l'abandon, donnant à la ville des
thaïlandaise) très renommés. Les coups sont violents et les
ambiances fantomatiques. Malheureusement peu d'expli-
cris d'encouragement assourdissants. Les combats aux
cations sont données aux visiteurs et il est difficile d'en
frontières sont toujours très appréciés car ils confrontent les
apprendre plus que sur les photos qu'on trouve sur Google.
deux pays mitoyens et le gouvernement profite alors de ces
Mais grâce à Armelle Ninin, étudiante à l'ENSAPB qui
spectacles médiatisés pour faire des apparitions et passer
effectuait un stage à l'EFEO (Ecole Française d'Extrème
l'hymne national. Les grandes marques ont aussi compris la
Orient), j'ai pu en apprendre un peu plus sur ces monu-
combine, et entre chaque combat, les boxeurs défilent avec
ments historiques. En effet, son travail consistait à mettre
divers produits qui finissent même parfois envoyés dans la
en lien des documents qui n'avaient pas encore été classés
foule en guise de cadeaux. C'est comme ça que j'ai reçu ma
par les archives, et réunir des informations pour corroborer
superbe casquette Singha (marque de bière locale).
les recherches d’archéologues qui étudiaient les vestiges de l'Asie du Sud-Est. C'est comme ça qu'en visitant ces
L’EST
temples, j'ai pu comprendre l'utilité de chaque pièce, de l’emploie de la pierre volcanique ou encore de l'implantation de temples dans certaines parties de la ville.
Enfin, L'Est de la Thaïlande, près de la frontière cambodgienne, est sûrement le lieux le moins fréquenté par
les touristes que j'ai pu visiter. Personne ne parle anglais, mais on reçoit d'autant plus chaleureusement. C'est un des seuls endroits ou j'ai vraiment senti que l'on essayait de communiquer avec moi, malgré toutes les difficultés. Avec du recul, je regrette de ne pas avoir visité plus tôt cette partie de la Thaïlande car je suis sure que j'aurais bien plus appris le thaïlandais. Les bords du Mékong, selon ses crues, offrent de splendides paysages de pierres érodées formant d'impressionnantes crevasses et les Parcs Naturels Protégés ne manquent pas. Le climat étant plus sec, on respire mieux et la chaleur semble moins accablante, même au mois de mai qui approche des 50°C. Néanmoins, il est difficile de voyager dans cette région car le tourisme n'y étant absolument pas développé, les bus sont rares et trouver une carte reste de l'ordre du miracle. SOLITUDE Durant ces voyages, j'ai fait la connaissance de beaucoup de voyageurs mais très peu de thaïlandais. Les discutions n'en sont évidemment pas moins intéressantes mais ce n'est pas ce que je recherchais. J'ai été très déçue tout au long de mon année de ne pas réussir à nouer de liens forts avec des thaïlandais. Alors bien sure, il y avait mes camarades de classe, qui étaient polis, gentils, serviables et très cordiaux. Mais il a fallu que nous attendions 7 mois, avant que ceux-ci acceptent de venir dîner chez nous. Avant cela, pas une sortie, pas un rassemblement extra-scolaire n'avait été organisé, malgré nos incessantes
propositions. Et même une fois ce cap passé (et nous sentions que c'était déjà un immense pas que nous avions franchis), nous avons compris qu'il serait difficile d'aller plus loin. En dehors de l'école, les rapports que nous avions avec les thaïlandais étaient exclusivement
commerciaux.
Flagrantes
conséquences : je sais négocier un prix en thaïlandais,
demander
mon
chemin,
expliquer où je veux aller, commander un plat...etc et je ne sais pas comment entamer une discussion amicale. Je me suis donc sentie très seule pendant cette année d'échange, restant une touriste dans ce pays qui ne voulait pas de moi, ou alors seulement de mon argent. Les rencontres entre expatriés sont fréquentes mais je m'en suis très vite ennuyée ; car le rejet ne se passe pas que dans un sens, et les « expats » sont généralement désobligeants et hautains à l’égard de leur pays d’accueil.
Au niveau des relations humaines, j'ai vécu un bouleversement gigantesque par rapport à la place de la femme dans la société. La scène festive de la Thaïlande m'a très vite dégoûté quand je me suis rendu compte de l'étendu des dégâts dans les coulisses. Quand je suis arrivée à Bangkok et que je suis sortie de l'Aéroport, la première chose qu'on m'a demandé était « Madame ! Ping-Pong show ? ». Qu'étais-ce donc que cette proposition incongrue ? Je savais les asiatiques renommés pour leur adresse au ping-pong, mais à ce point... C'est en sortant du taxi pour rejoindre mon hôtel que j'ai commencé à douter du sens de cette phrase. A tous les coins de rues, on me répétait cette même question. Et avec insistance ! En arrivant à l’hôtel, j'ai regardé sur internet ce que voulait dire ping-pong show et j'ai alors compris qu'il ne s'agissait nullement du très renommé sport a raquette, mais de spectacles mettant en scène des prostitués qui, selon le site, réalisaient d'extraordinaires performances avec leurs parties intimes. Ce fut le début d'une longue révolte, lente et progressive qui grandit en moi.
PROSTITUTION Durant un de mes week-end prolongés, j'ai voulu partir visiter les alentours de Pataya pour voir le fameux Sanctuaire de la Vérité qui était un gigantesque temple construit uniquement en teck et dont chaque pièce de bois étaient sculptées jusqu'à un niveau de détail ahurissant. J'arrivais alors le soir à Pataya pour passer la nuit, avant de repartir le lendemain en direction du temple. Le bus me déposa à la gare et je me suis alors dirigée en direction du centre ville pour pouvoir chercher un endroit ou dormir. Quelques rues plus loin, je me retrouvais dans une grande rue, éclairée de milles néons clignotants en cadence sur le brouhaha de musiques techno qui jaillissaient de chaque devantures de magasin. En quelques secondes, je me rendis compte que ces magasins n'étaient autre que des bars et des boites de nuit dont sortaient et rentraient une foule de vieux occidentaux et quelques jeunes voyageurs. Oui, il y avait aussi des filles, mais qui appartenaient au bar. A moitié nues, elles agitaient leurs avantages aux yeux des clients saouls, qui ne savaient plus où donner de la tête. Je pris le temps de marcher dans cette rue, amère spectatrice des insanités qu'on pouvait apercevoir à chaque portes, et provoquant à mon passage, le miaulement de la douzaine de prostituées postées devant leur enseigne respective. Une fois que j’eus atteint le bout de la rue, je fut prise de nausées : Je me retrouvait à un carrefour de rues, encore plus grandes, encore plus lumineuses, encore plus bruyantes et encore plus bondées. En fait, Pataya est un bordel, à l'échelle d'une ville.
MAUVAISES HABITUDES Je n'ai jamais osé m'aventurer à l'intérieur de ces maisons closes mais tout le monde sait que devant le rideau, il y a des femmes (ou ce qui y ressemble d'ailleurs), et derrière, il y a des enfants. J'ai rencontré par hasard un tenancier de bar à « hôtesse » comme il aimait les appeler, qui me racontait qu'officiellement, « il y a 10 % de tourisme sexuel en Thaïlande ». Mais selon lui, le chiffre réel approcherait des 80 %. Ce chiffre semble démesuré, cependant si l'on compte les touristes qui ne viennent pas pour ces raisons, mais qui se « laissent tenter », nous ne sommes pas loin du compte. La prostitution fait donc partie du paysage quotidien de la Thaïlande, et je ne m'y suis jamais habituée. J'entendais des expatriés m'expliquer que c'est par ce que j'étais trop enfermée dans mes codes occidentaux, qu'ici, la prostitution n'avait rien de dérangeant et que c'était un métier comme un autre, voir une vocation. Bien évidemment, j'ai pu constater pendant mon séjour à quel point c'était faux, et que ce genre d'arguments leurs étaient utiles seulement pour pouvoir continuer de se regarder dans une glace. SAGE COMME UNE IMAGE La prostitution n'a pas été pas le seul élément déclancheur de ma réflexion sur les femmes. Jai été confronté par exemple à l'uniforme de Chulalongkorn qui m'imposait de porter la jupe, alors que les hommes portaient le pantalon. Uniforme qui, au passage, avait été élu comme le plus sexy au monde il y a quelques années de cela. Une campagne anonyme avait été menée par une étudiante quelques années plus tôt à ce sujet. Elle avait placardé dans tout le campus des affiches mettant en scène des étudiants portant l'uniforme dans des positions suggestives, surmontées de
slogan comme « je suis une fille, mais je vais à l'école pour
cherchait-elles à faire passer et comment, par de
travailler ». Personne n'a jamais su qui elle était mais les
minutieux indices, elles essayaient de braver les règles
médias s'étaient intéressés à ses actions. C'est une de mes
qu'on leurs imposait. Et il était alors intéressant de
camarades de classe qui m'a parlé pour la première fois de cet
comparer la place de la femme artiste en France et en
événement. Elle m'expliquait aussi son point de vue sur la
Thaïlande. Prenons l'exemple du métier d'architecte,
femme en thailande, et même si elle n'eut jamais osé
qui même s'il nécessite des connaissances scientifiques
prononcer le mot « feministe », elle en revendiquait tous les
importantes, demande également un bon apprentis-
préceptes. Elle m'expliquait qu'elle n'avait jamais eu de « thaï
sage et une bonne maîtrise des Arts. Alors que notre
boyfriend », qu'elle ne les intéressait jamais. En effet, J. était
génération d'étudiants français en architecture vit un
grande, J. était ronde, elle parlait fort, elle ne se laissait pas
basculement de la majorité du genre, et que les
faire, elle était divorcée. Elle me disait qu'ici, la femme
femmes sont actuellement plus nombreuses en école
n'existait pas au même titre qu'un homme : « Quand on
d'architecture que les hommes ; le nombre d'étu-
cherche une femme en thailande, on cherche une peinture. »
diantes en architecture en Thaïlande reste très faible. Comme me le confirmait J. , la place des femmes est
DOMINATION
encore dans la cuisine et elle s'en accommode très bien, voir le réclame. J'ai essayé de trouver des écrits
Je lisais en parallèle « Le 2eme sexe » de Simone De
féministes en Asie traduits en anglais ou en français,
Beauvoir qui, aussi controversé soit-il, m'a bouleversé. Et
mais en vain. Peut être était-ce aussi lié avec la liberté
même si la description de la domination masculine de
d'expression, qui n'a pas autant d’importance que
madame De Beauvoir est occidentale, il est curieux de
dans nos pays occidentaux, et avec la censure, qui n'a
constater que l'on peut retrouver certains problèmes à ce
pas l'air de vraiment déranger la population (dans tous
sujet partout dans le monde. Ces amères constats et ces
les cas, ils n’auraient pas le droit de faire part de leur
lectures engagées m'ont parfois plongé dans de profondes
point de vue à ce sujet). Il m'a été très douloureux de
tristesses. Et en ouvrant la portes aux multiples questions
constater comme les femmes du monde entier, y
que je me posais sur la place de la femme dans la société, j'ai
compris moi, acceptent leur sors, et finissent par y
pu constater que ces problèmes ne sont pas seulement
trouver des avantages. Mais toutes ces questions m'ont
récurents partout dans le monde, mais aussi dans tous les
aussi passionnée, et en continuant mes lectures, en
sujets. La lecture de « Femme au mirroir » relate par exemple
regardant des documentaires et en écoutant des confé-
l'histoire de l'autoportrait feminin depuis le 15eme siècle.
rences, j'ai pu trouver le sujet de mon mémoire qui
On y apprend donc comment les femmes avaient le droit de
portera sur la femme et l'architecture.
se représenter selon les époques, quels messages
CONCLUSIONS Pour conclure mon rapport que j'ai du beaucoup raccourcir par rapport à tout ce que j'avais à dire, je voudrais parler du bénéfice de cet exercice d'écriture. J'ai mis beaucoup de temps a commencer ce rapport, et pourtant, je pourrais parler de mon séjour pendant des heures. Mais ce que j'y ai vécu n'a rien eu de doux, de simple, de logique ou de naïf. Alors je n'ai cessé de me questionner sur ce qu'il était possible de raconter, ou ce qu'il valait mieux garder pour moi. Il était donc très difficile de trouver les bonnes formules pour répondre à cet exercice scolaire : le lecteur n'est pas là pour lire mes épanchements. Je n'ai pu néanmoins m’empêcher de transmettre mes expériences personnelles qui sont, je le reconnais, très subjectives. L'objectivité étant une illusion, je ne voulais pas avoir la prétention d'annoncer quelques vérités que ce soit, si ce n'est celles que je me suis appropriée cette année. La subjectivité de mon rapport n'altère pas pour autant la rationalité de mon récit, et c'est par choix délibéré que j'ai préféré raconter mon échange à Bangkok sous cette forme. Cet exercice m'a aussi permis de me réconcilier avec certaines expériences, ou du moins comprendre ce qu'elles m'ont apportée. J'ai pu retracer les choses émouvantes, amusantes et excitantes qui avaient été balayées par de moins bonnes expériences, ou de tristes états d'âme passagers. J'ai du rapporter mon voyage, et cela m'a permis de
38
faire le point.