Mengzhi Zheng - Aplatir le ciel

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MENGZHI ZHENG APLATIR LE CIEL

MENGZHI ZHENG APLATIR LE CIEL

EXPOSITION 18.06 ‑ 06.11.22

Pour cette exposition personnelle, Mengzhi Zheng propose une approche immersive autour de ses œuvres. A travers un parcours savamment pensé, le visiteur découvrira au fil des salles, la diversité des techniques utilisées et la multiplicité des approches thématiques liées à son art (espace, habitations, sculpture, architecture…). Déambulation de couleurs et de formes, jouant sur les limites et les oppositions, l’exposition est une invitation à la réflexion et à l’observation.

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Le château de Tournon-sur-Rhône est un édifice classé au titre des Monuments Historiques qui sert d’écrin à un musée labellisé « musée de France ». Construit entre le XIVe siècle et le XVIe siècle, son architecture témoigne de l’évolution de la société du Moyen Âge à la Renaissance. Dans cet édifice, vécurent les seigneurs de Tournon jusqu’au milieu du XVIIe siècle, période à laquelle le site est transformé en prison.

Le musée du Rhône s’installe en 1927. Depuis, les collections se sont enrichies et diversifiées : elles présentent à la fois des collections liées aux beaux-arts et des collections rhodaniennes.

Tout au long de la saison, le site propose une programmation culturelle variée, proposant tout à la fois des expositions temporaires, des animations, des visites adaptées aux différents publics, des ateliers artistiques en lien avec les expositions.

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Aplatir le ciel, Mengzhi Zheng

Suite à sa découverte des espaces architecturaux du Château-musée de Tournon-sur-Rhône, imprégné de ce qu’il y a ressenti, Mengzhi Zheng propose diverses expériences perceptives d’espaces. L’artiste réunit des œuvres issues de différentes recherches plastiques, qui se répondent et restent en mémoire au fur et à mesure de l’exploration des lieux. Ses dessins, sculptures, installations, inspirent le mouvement, une translation.

Comment habiter l’espace ?

Un ensemble de gestes et de postures constitue les clefs de lecture des associations entre ses œuvres. Ouverture/fermeture, éloignement/ proximité, plein/vide, ces oppositions induisent des dialogues, des suites à envisager entre ses constructions, qu’elles soient de l’ordre du dessin ou du volume. Mengzhi Zheng laisse à celui qui regarde la possibilité de se raconter une histoire, d’imaginer une situation. Tout un chacun peut y ressentir diverses sensations et se projeter dans un paysage, dans un milieu en transition. « Habiter ne signifie pas être entouré de quelque chose ni occuper une certaine portion de l’espace terrestre. Cela signifie tisser une relation interne avec certaines choses et certaines personnes au point de rendre notre bonheur et notre respiration inséparable.1 » affirme Emanuele Coccia. Tout au long de notre déambulation dans les salles du château, des souvenirs de passages, d’une situation vécue à une autre, peuvent naître en nous.

Pas à pas, la traversée de ses œuvres se fait à la fois mentalement et physiquement. En nous déplaçant, notre perception s’aiguise et nous prêtons attention à notre propre corps. Les œuvres habitent les salles tout en nous incitant à nous positionner de diverses manières, attirés par les lignes et les couleurs.

Travaillant à la fois dans son atelier et dans l’espace public, Mengzhi Zheng présente des œuvres qui témoignent de son approche sensible de la ville. Ses dessins incitent à nous projeter dans des espaces ou à cheminer entre des

éléments, obstacles et mobiliers, propices aux jeux et à toutes formes d’appropriations.

Dans la salle des gardes, ses Maquettes abandonnées renvoient à des constructions précaires, à des espaces entre dedans et dehors. Les couleurs vives dans ses séries de dessins et de sculptures font écho à celles des maisons possiblement abandonnées qu’il a photographiées. Faites de papier, de carton, de tarlatane, de petits bois, ses sculptures résultent de gestes rapides, d’une improvisation. L’artiste met en place des protocoles, construit avec peu, de manière spontanée et dans une énergie du moment. L’urgence de créer se lit au travers de ses œuvres. Se sentir protégé, à l’abri, tout en pouvant avoir accès à l’extérieur, telle est la pensée qui survient face à ses sculptures. Gilles A. Tiberghien écrit : « Mais la construction de la cabane en tout cas n’obéit à aucun ordre, elle est faite de matériaux hétérogènes, très différents les uns des autres, souvent des rebuts, des choses abandonnées, trouvées sur place2 .» Cette pensée résonne avec la démarche et la méthode de construction de l’artiste. Ses Maquettes abandonnées réveillent nos désirs de créer, d’inventer des habitatshabitables. Notre regard circule et nous songeons à de possibles constructions. Les dessins de la série (Dé)coller, 2021, présentent différentes strates de recouvrement et d’effacement qui résonnent aux sculptures.

Au fil du parcours, des formes géométriques apparaissent récurrentes. Couleurs vives et teintes naturelles nous conduisent à un va-etvient du regard. Plier, aplatir, décoller, ces verbes font écho à des intentions potentielles, à des manières d’expérimenter divers supports.

Des lignes, des architectures, un paysage, différents points de vue

L’œuvre de Zheng tient du dessin. De ses gestes de sculpteur à son expérience physique des salles, l’artiste s’interroge sur les perceptions que nous pouvons avoir des intérieurs comme des extérieurs. Dans l’espace Broët, il reconfigure un cheminement par un jeu de plis et d’élévation de sol. Pli-Depli, 2015, son installation déploie

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1 Emanuele Coccia, Philosophie da la maison , Editions Payot, 2021, p.13 2 Gilles A. Tiberghien, De la nécessité des cabanes , Editions Bayard, 2019, p.24

des lignes et des ouvertures, qui rappellent des fenêtres. D’autres formes ouvertes se greffent à l’architecture, la transforment et proposent alors une multitude de cadrages. En s’immergeant dans cet espace, nous débutons un parcours labyrinthique. Nous nous créons notre propre chemin, attirés par les Petites chutes (2019), sculptures réalisées en différentes essences de bois, disposées sur une cimaise renversée, devenue plan d’une potentielle ville. De part et d’autre de cet espace reconfiguré, les sérigraphies Aplatir le ciel suggèrent des vues d’en haut, des ébauches de places ou d’aménagements urbains.

Dans la salle dite de l’Atelier, au milieu du parcours, un paysage vertical où chaque plan appelle vers un autre, propose un temps propice à la contemplation… Inspiré par la perspective dans de la peinture chinoise shanshui (montagne-eau), l’artiste nous invite à regarder du bas vers le haut, de la terre, de l’eau, entre les vallées, les montagnes et le ciel, à cheminer comme dans un jardin. Bien qu’en retrait, nous sommes incités à traverser, à accéder, à aller au-delà. Telle une scène, tel un décor, l’installation Aplatir le ciel nous conduit à nous déplacer et à découvrir une infinité de perspectives.

Au rez-de-chaussée de la Tour Beauregard, les Inhabitats, entre ouvertures et fermetures nous confrontent à des cloisons, face auxquelles des souvenirs d’être enfermés peuvent émerger. Posées sur des tables, ces quatre sculptures blanches, tels des corps s’imposent à nous. En en faisant le tour, nous recherchons les percées de lumière et percevons les jeux d’assemblage de formes géométriques.

Prendre de la distance pour percevoir la ville, telle est l’expérience proposée au premier étage de cette tour. L’installation Dessousdessus nécessite un temps long, du recul. Les plus curieux et attentifs y verront des formes géométriques suggérant de possibles nuages ou une vue d’une ville en plan. Dans ses gravures, ici impressions agrandies, le traitement des maisons et des éléments de l’espace urbain rappelle les graphismes des plans d’architectes ou de paysagistes. Des liens subtils et un équilibre se créent entre les vues en contreplongée de ses gravures – eaux-fortes de sa Chine de 2008 – ainsi qu’avec les lignes dessinées par cette construction, ouverte, potentiel abri ou observatoire du paysage urbain.

Contemplation et mémoire des espaces

« Habiter, ce n’est pas seulement être quelque part, c’est y être d’une certaine manière et pendant un certain temps. Nous sommes habitant, au principe présent, dans nos activités quotidiennes ou exceptionnelles, nos gestes, nos habitudes, nos façons différentes d’être présents à l’espace et de nous y conduire, voire de nous laisser imprégner par les lieux dans lesquels nous nous tenons régulièrement.3 » écrit JeanMarc Besse. Les lieux où nous vivons influent sur notre sensibilité et sur notre bien-être. Quête des habitats où se sentir chez soi, où le bonheur est possible… Comment y trouver refuge, telle est la question que nous pouvons nous poser lors de migrations. Ses œuvres ont une apparence ludique et invitent à se les approprier. Dans celles-ci, le vide favorise la respiration, la sensation d’une liberté de mouvement. Ombres et lumières recréent de nouvelles lignes et formes tout au long des heures de la journée.

Ainsi, ralentir notre marche, prêter attention aux détails des espaces architecturaux, à leur transformation dans le temps, ces expériences sont au cœur de cette exposition. Constructions, déconstructions, transformations, squelettes de bâti ou échafaudages d’habitats et d’espaces dans lesquels se créer son propre monde, se perçoivent au gré de l’exploration des salles de ce lieu patrimonial. Le paysage est ici à la fois contemplé de manière frontale autant que vécu. Nous prenons conscience des interactions entre notre corps et l’architecture, de la nécessité de passages, d’ouvertures pour nous évader et être pleinement disponibles, réceptifs à nos sensations.

Mengzhi Zheng nous offre un moment de silence, un temps de pause et d’observation. Il nous convie à respirer, méditer, à nous évader, à rêver. Nos sensations sont activées et tout comme lors d’une promenade ou d’une exploration architecturale. Formes et couleurs pourraient activer de possibles recompositions d’habitats ou d’espaces publics, certains gardés en mémoire, d’autres à venir.

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Pauline Lisowski, juin 2022 3 Jean-Marc Besse, Habiter Un monde à mon image , Flammarion, 2013, p.10.

Espace Broët

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Décalque spatial A , 2018, couleur sur bois, accrochage murale, 64 x 75 x 50 cm.

Petites Chutes , 2020, suclptures bois.

Aplatir le ciel , 2022, sérigraphie, tryptique A, n°3/3, 20 exemplaires, 70 x 50 cm.

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Pli / Déplis, 2015, sculpture, structure bois, 224 x 550 x 375 cm, collection IAC, Institut d’art contemporain, Villeurbanne.

Kuća, N°1 / N°5, 2018, photographies d’une série de 34, N° 1/3, 80 x 60 cm.

Série Des Maquettes abandonnées, 2015-2017 sur support table.

Cabachon-O , 2021, série de crayon de couleur sur papier, 24 x 32 cm.

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Salle des gardes
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16 L’atelier
Aplatir le ciel , installation in situ, couleur sur bois.

Tour Beauregard RdC

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Inhabitats, 2017, 4 sculptures sur table, pvc expansé blanc, 80 x 120 x 80 cm chaque, sur support table.

Beauregard 1er étage
Tour

Dessous-dessous, installation in situ,bois, planche polycarbonate.

6 impressions numériques agrandies des eaux-fortes de la série 2009-2011, 70 x 50 cm.

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Conversation

Mengzhi Zheng / Pauline Lisowski

L’artiste mène un travail artistique qui se déploie à différentes échelles et nous invite à ressentir les lieux. Ses dessins, sculptures et installations in situ interrogent l’habitat et invitent à rêver à de possibles refuges…

Quelles sont tes sources d’inspiration et de quelle façon tes expériences de différentes villes ont-elles guidé ta démarche artistique ?

Je me suis imprégné de ma Chine. J’ai grandi jusqu’à sept ans dans un village où tout le monde se connait, où l’on vit souvent dehors. Lorsque j’ai habité Paris avec ma famille, nous avons logé dans de très petits appartements. On sortait peu si ce n’est que pour prendre le chemin de l’école ou rendre visite à mes cousins… ou aller à la boutique de mes parents, grossiste en maroquinerie rue au Maire, s’entourer de cartons. Ce contraste entre intérieur et extérieur, le dedans et le dehors, ici làbas , a été source d’appréhension du monde extérieur, de crainte. Je suis immigré et enfant d’immigré. Ce mal-vécu en France a été déclencheur d’une sorte de mal-être. En 2008, étudiant en école d’art en 2e année, j’avais besoin de me situer personnellement, je suis reparti revoir ma Chine. Je n’ai pas reconnu le village au bord de l’eau dans lequel j’ai grandi. Je voyais de nouveaux bâtiments en train d’être construit et d’autres construits, mais j’avais l’impression que c’était déjà une architecture du passé. Le tableau architectural avait complètement été remodelé, de la maisonnette aux immeubles que je jugeais sans ancrage, d’une histoire quelconque. Notre maison où j’ai vécu avec mes grands-parents avait subi de grandes rénovations et modifications avec un confort moderne d’aujourd’hui.

J’ai commencé un travail de gravure à la pointe sèche une fois de retour, d’après des photographies. En même temps, je crée mes premières installations en carton et baguettes de bois.

J’ai une relation au temps cyclique. Mon travail se déploie dans un présent constant en expansion. Les liens se font.

Petit à petit, au fur et à mesure de mes déplacements et de mes voyages en ville et en milieu rural, j’ai découvert des villes qui m’ont fortement intéressé. À Amsterdam, j’ai été marqué par un paysage d’habitats sur l’eau, une diversité d’architectures. Quand je me promène dans les rues, j’ai toujours la tête en l’air et j’essaie de m’imprégner de sensations, d’idées, de ce que j’ai ressenti. La ville et mes promenades me parlent.

J’ai besoin de voir les lieux pour me projeter. Les résidences artistiques où j’étais invité m’ont aussi beaucoup marqué. L’histoire des lieux, mon histoire personnelle et ma culture activent un peu tout mon travail artistique. J’ai une intention/intuition spatiale sur ce que je veux produire. J’essaie de transcrire des espaces.

Quels furent les étapes et les rencontres qui ont compté et t’ont permis d’avancer dans ta pratique artistique ?

Ma première grande décision fut de quitter Paris pour mes études en école d’art à la Villa Arson de Nice. J’avais préparé les concours d’entrée avec une artiste peintre Annette Huster alors que j’étais en dernière année de graphisme.

À l’école, Burkard Blümlein a bien suivi ma pratique, puis Pascal Pinaud avec une exigence certaine comme il aime le dire. Basserode a été d’un grand soutien durant toutes mes années d’études, nos échanges ont continué par la suite à Lyon. Il m’avait présenté à Philippe Cazal dont j’ai été son assistant durant quelques temps à Paris alors que j’étais toujours étudiant, j’ai beaucoup appris. Puis avec Marc Desgrandchamps et Valérie à Lyon dont je reste les plus proches aujourd’hui. Ils m’ont merveilleusement soutenu dans des moments pas toujours faciles et sont toujours présents.

Chacun à leur manière, ces artistes m’ont fait comprendre qu’une vie d’artiste est possible, et qu’il vaut la peine de croire

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en un travail artistique. Nathalie Ergino, directrice de l’IAC de Villeurbanne et ses expositions ( Fabricateurs d’espaces , 2008 et plus récemment Apichatpong Weerasethakul qui a su merveilleusement diluer le temps dans l’espace, 2021, le projet du Laboratoire Espace Cerveau…) m’ont également beaucoup apporté. Voir l’espace de l’IAC réagencé à chaque exposition est inspirant.

La rencontre avec Georges Verney-Carron fut très riche pour le développement de ma pratique artistique. Avec bienveillance, il a toujours eu un regard depuis et me suit encore. C’est un grand ami, un intime. Nous avons bon nombre de discussions sur la position de l’artiste, de l’art dans l’espace public, du couple artiste/architecte. Il m’a offert ma première exposition personnelle en 2015 dans sa galerie à Lyon. La même année, Georges et Archibald, son fils, m’invitent à concourir sur le projet du parking des Halles, inauguré en 2019.

Mon passage à la Städelschule de Francfort en 2009 a été déclencheur d’un questionnement plus profond sur les espaces et l’habitat, où j’ai continué un travail photographique sur les lieux de vie (dont j’avais commencé lors d’une résidence en Suisse, workshop de groupe, puis dans ma chambre de la Villa Arson où j’ai vécu dans un 12m2 durant mes cinq années d’études). J’ai mis à plat ma chambre et construit mes premières grandes installations qui seront par la suite la série de Pli / Dépli .

Mes invitations à des résidences (Centre Hospitalier Daumézon en partenariat avec le Frac Centre-Val de Loire, 2017 dans le cadre de la biennale d’Architecture d’Orléans #1 ; Solarium Tournant dans les anciens termes nationaux à Aix-les-Bains) m’ont fait beaucoup avancer. Le constat est simple : les conditions de vie et d’espaces déterminent une réflexion et amorcent le travail.

Chen Zhen m’avait beaucoup interpelé sur son idée de faire un de deux mondes. « En tant que médecin, mon rêve est de devenir médecin » disait-il. Celui de Dan Graham sur l’architecture, de Matta-Clark sur la découpe et de soustraire pour sculpter un bâtiment ont également été marquant. J’ai appris à

regarder les architectures et à découvrir certains architectes. Les travaux de Daniel Buren, Sol Lewitt, Krijn De Kooning, Kawamata, Yona Friedman m’ont parlé, tout comme les courants du Bauhaus, du Constructivisme, de Stilj et du minimalisme et conceptuel. Le déconstructivisme. Kandinsky, Cézanne ou Van Gogh pour la couleur.

De quelle façon ton regard sur les constructions t’a-t-il amené à construire des dispositifs de perception ?

Je crois qu’avant tout, c’était un besoin de me situer dans l’espace, dans une nouvelle situation. Dans ma vie, il s’agit de rendre l’espace manipulable à mes yeux. De se mettre à la place du visiteur et de visiter une exposition qui n’est que pour le moment dans ma tête. Il s’agit de jouer des contraintes architecturales et des possibilités de circulations qu’offrent ces lieux. Donner une autre lecture du lieu. Le composer sous un angle différent avec mes interventions spatiales en plus de mes travaux de l’atelier. Je tente de transposer des dualités.

Tes œuvres ont trait avec l’architecture. Quelle expérience de l’habiter, de la place qu’occupe notre corps dans un espace souhaites-tu nous faire prendre conscience ?

J’ai dû habiter toutes mes sculptures et mes installations avant de les rendre possibles aux autres ainsi que de les exposer. Mon expérience de l’habiter est simple, je ne me suis jamais senti chez moi nul part depuis que j’habite en France. Excepté depuis peu où je pense et ai pris conscience qu’un chez soi se travaille. C’est notre intérieur.

Tu proposes des expériences du regard et invite les visiteurs à laisser venir des projections mentales. De quelle façon tes œuvres peuvent-elles nous amener à regarder à travers et à interroger les relations entre intérieur et extérieur ?

Je donne des fragments d’une histoire personnelle, mais c’est avant tout le dialogue que je crée avec l’espace d’accueil qui entame une relation intime avec ce lieu. Le visiteur est spectateur dans un premier

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temps et très vite, devient intimement acteur – j’espère. Mon langage plastique peut être celui de tout le monde puisque fait à partir de matériaux du quotidien, mais chacun le sensibilisera à sa manière. C’est peut-être un point de départ d’un extérieur vers un intérieur et d’intérieur vers un extérieur.

Accueillir l’autre, c’est aller vers soi.

Tes œuvres expriment une certaine légèreté, un équilibre, une certaine fragilité. Comment ton attention à l’espace urbain, à l’espace rural inspire-t-elle ton choix des matériaux et tes gestes de construction ?

Il m’est arrivé par moment de penser à une personne ou à une situation. C’est drôle. Je me dis parfois, que ce sont des allégories de la vie, de nos rêves, de nos désirs, et notre profonde intimité. Une façon d’être au monde. De cette fragilité bancale qu’on ressent de mes sculptures, je me dis que finalement tout se tient debout, chacun trouve son équilibre face au monde extérieur.

Quand je fais une sculpture, je me raconte une histoire durant le moment où je crée. J’explore beaucoup de possibles. J’épuise des gestes. Les choses viennent vers moi et je les accueille. Je me mets des contraintes. J’ai mes règles, je suis des protocoles. Je ne force pas le geste, j’ai une vague idée et je me laisse guider, comme un dessin/geste automatique.

Ma série des Maquettes abandonnées relève d’une ambigüité entre fini et non-fini. Proche de l’esquisse d’une sculpture, ces sculptures tiennent grâce à un assemblage d’éléments issus de l’atelier.

Dans quelle attitude te mets-tu pour les créer ?

Tout est à portée de mains dans mon atelier et mes mains s’activent pour trouver des liens et puis je vais très vite.

Les Maquettes abandonnées sont traversantes, entre bien fait-mal fait ( Filliou) , intérieur-extérieur, dedans-dehors… Le geste est rapide, lorsque je commence, je finis. Je m’impose différentes contraintes et une fois

que le plan de travail est là, j’ai une idée et je me laisse guider dans l’expérimentation des matériaux. Je me sers de ce qui est déjà là, les plis des cartons, par exemple. Les idées viennent.

C’est une forme d’expérimentation d’avec tout ce que j’ai sous la main, je tente de créer des liens. Le geste fait appel au geste précédant et ainsi de suite. La courbe, dans mes sculptures et mes dessins, est venue doucement après tout comme le travail de la couleur.

Pendant des années, les Maquettes abandonnées furent des refuges du quotidien, des rêves, des espaces que je me fabriquais.

C’est à nous de voir les choses et de les révéler. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme », cette phrase d’Antoine Laurent de Lavoisier m’est restée en mémoire.La maquette est fixe à mes yeux.

Tu travailles à la fois in situ en prenant appui sur l’architecture ou dans des contextes d’espaces publics, d’environnements extérieurs, également dans ton atelier. De quelle manière ces différents lieux t’amènent-ils à expérimenter divers dessins en 2D et dans l’espace ?

J’ai expérimenté la petite échelle, l’échelle moyenne et l’échelle monumentale. D’abord, il est question de la sculpture et d’espace et ensuite je m’interroge sur le fait d’inscrire une œuvre dans la ville et de sortir du cadre – ou lors d’une invitation à exposer. J’essaie d’être à la juste échelle de l’architecture, de l’existant, sans jamais aller à la confrontation, souvent en opposition. Je me risque dans mes projets, j’ai toujours ce besoin d’avancer, cette nécessité d’aller de l’avant. Ce n’est pas les idées qui manquent, l’important est de faire sens.

Il y a toujours un va-et-vient incessant entre le plat et le volume. Du plat peut émerger un volume, un volume combine de multiples images. Comme je le disais, c’est l’imprégnation du lieu à la première visite qui guide mon travail pour la suite.

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Les couleurs sont très importantes dans tes œuvres. Comment expérimentes-tu les potentielles expériences sensibles qu’elles permettent ?

Le noir et blanc ou la non-couleur marquait mon travail à l’école, comme si je ne m’autorisais pas la couleur. J’en avais peur. J’ai osé la couleur pour une commande au siège de la tour ENEDIS (ex-ERDF) à Paris La Défense en 2014 (invitation Cazal, directrice artistique Maïa Paulin), j’ai compris que je devrais assumer la couleur et l’amener petit à petit dans mon travail.

Mon expérimentation de la couleur a toujours été à travers un écran mais jamais de la main. Elle est venue par les matériaux à l’atelier. Aujourd’hui, je me sens à l’aise pour travailler la couleur de mes sculptures sur mon ordinateur. Elle fait partie intégrante de mon travail, elle vient donner une force visuelle. Car la couleur influence mes formes, les sculpte davantage. Le basculement formel peut se faire à ce moment une fois que la forme est définie.

Tu nommes ta prochaine exposition au Châteaumusée de Tournon-sur-Rhône « Aplatir le ciel ». Quelle expérience de découverte progressive souhaites-tu proposer aux visiteurs ?

Les mots sont importants dans ma pratique artistique. Le titre de l’exposition vient de l’idée d’un geste sculptural. Cette exposition réunit presque dix ans de travail donc j’y tiens beaucoup.

Dans l’exposition, il y a cinq salles, comme cinq expositions. Ce serait une métaexposition. Je sollicite des postures différentes du regard et du corps. L’exposition va s’activer par l’expérience sensorielle qu’en feront les visiteurs. Ils seront acteurs de leur propre expérience spatiale face à une proposition pour chaque salle.

Cinq salles, cinq expositions, cinq attitudes, cinq regards différents.

Que cherches-tu à provoquer chez les visiteurs et ceux qui pratiquent tes installations in situ ?

Je suis heureux lorsqu’il y a de belles réceptions de mes projets in situ, ou lorsque des personnes gardent des empreintes émotionnelles de mes œuvres. C’est une belle satisfaction personnelle. Si ce que je crée fait sens avec le lieu, et que j’ai le sentiment d’avoir fait de mon mieux, j’ai gagné un combat. Quand je travaille dans l’espace public, j’abandonne une partie de moi.

Tu utilises l’expression « Espaces non fonctionnels » et crée des sculpturesinstallations qui redessinent des lignes dans l’architecture : la série Pli / Dépli propose des passages ouverts, des découpes pour observer et cadrer des points de vue dans l’espace. Quels principes de travail te donnes-tu pour poursuivre cette série notamment à l’occasion de ta prochaine exposition solo ?

Je ne suis pas architecte. Une fonction différente que celle que pourrait entendre un architecte en sort : simplement expérimenter un espace sans avoir à l’habiter.

La série de Pli / Dépli s’adapte à l’espace. Chaque exposition peut être question d’un nouveau déploiement. Pour la salle Broët, il a fallu fabriquer d’autres éléments pour Pli / Dépli , 2015. L’installation centrale dirige le reste des œuvres dans l’espace.

Remerciements : Ville de Tournon sur-Rhône, Château-musée de Tournon sur-Rhône, département de l’Ardèche, Institut d’art contemporain de Villeurbanne ; équipe du Château-musée : Christine Laflorentie, Gérard Jolivet, Emmanuelle Arlot, Anne-Sophie Petit, Sébastien Buffat ; Daniel Barbaut, assistant stagiaire, étudiant de la Villa Arson, Nice ; journée peinture : Hélèna De Jong, Anne Percher du GAC, Annonay Mise en page Mengzhi Zheng, Photo © Cyrille Cauvet

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EXPOSITION 18.06 ‑ 06.11.22
MENGZHI ZHENG APLATIR LE CIEL

PRESSE

Le Monde 01.09.2022

PHILIPPE DAGEN

JTT Tain-Tournon 11.08.22

HÉLÈNE DE MONTGOLFIER

Dans l’Ardèche, Mengzhi Zheng dévoile ses anti-architectures. Divers travaux sont exposés : constructions allant de la maquette à l’installation monumentale in situ, collages, eaux-fortes et sérigraphies

Exposition inattendue dans un lieu inattendu : Mengzhi Zheng, qui est né à Ruian (Chine) en 1983, mais vit en France depuis 2000*, prend possession de plusieurs salles du château de Tournon-sur-Rhône (Ardèche). Celui-ci, commencé au XIVe siècle en style forteresse, fut par la suite modifié pour plus de légèreté et des fenêtres ouvertes dans ses murailles au XVIe siècle. Si l’on précise ces points d’architecture, c’est parce que celle-ci est le sujet principal des travaux de Mengzhi Zheng et que ceux qu’il présente dans les tours et les salles répondent aux espaces qui les reçoivent. Ce sont des constructions, dont les dimensions vont de la maquette à l’installation monumentale in situ, et des suites de collages, eaux-fortes et sérigraphies qui entrent en résonance avec elles.

Sens de la dérision

Conformément aux habitudes de l’architecture, elles sont déterminées par la géométrie, les lignes parallèles, les angles droits, la symétrie et admettent parfois le cercle et la courbe. Le carton, le polycarbonate et le bois en sont les matériaux. Ainsi sont matérialisés les plans et les structures de ces constructions. Mais ce qui apparaît d’abord, avant même de savoir qu’une série se nomme « Inhabitats » et une autre « Maquettes abandonnées », c’est que ces propositions ne sauraient être raisonnablement réalisées, car elles sont inutilisables d’un point de vue pratique.

Les « édifices » de Mengzhi Zheng, si tant est que ce mot convienne ici, sont tantôt absurdement incomplets, tantôt beaucoup trop fragiles, tantôt encore impénétrables. Ce qui serait une charpente s’interrompt à l’improviste et ce qui serait une poutre faîtière s’avance dans le vide, inutile. Les

surfaces qui seraient des toits et des murs ne se rejoignent pas ou manquent et le regard passe à travers un spectre de maison comme il passerait à travers une ruine.

Ou, à l’inverse, on se heurte à des volumes compacts et hermétiques : de beaux modèles de blockhaus, qui seraient séduisants s’il ne s’agissait de fortifications destinées à tuer.

Ces sculptures-assemblages-constructions ne peuvent être regardées sans y attacher des références et des récits. Pour les bunkers, c’est immédiat : les guerres, de la première guerre mondiale à aujourd’hui. Pour les plus frêles montages de chutes de planchettes et de débris, c’est tout aussi immédiat : les bidonvilles, les favelas et les camps de réfugiés, partout dans le monde, accumulent de telles cabanes de récupérations, improvisées et insalubres. Les maquettes les plus propres, par leur blancheur et leur netteté, font, quant à elles, penser aux publicités qui cherchent à vendre des habitations standardisées pour villes nouvelles et au film Le Couple témoin dans lequel, en 1977, William Klein parodiait déjà cette industrie.

Les architectures de Mengzhi Zheng sont donc des anti-architectures, comme l’était aussi la New Babylon utopique dont le situationniste Constant bricolait les entrelacs dans les années 1960. L’artiste s’inscrit ainsi à son tour dans cette histoire artistique et politique, à sa manière, sobre et froide, fondée sur un sens très développé de la dérision et de la frustration.

Cette dernière est à son comble dans l’installation la plus immense de l’exposition, qui occupe une grande salle haute et profonde. Elle est, quand on la découvre, très attirante : des poutres aux longueurs et aux angles variés se croisent et soutiennent des cloisons découpées et percées. Tout cela peint dans les couleurs les plus chatoyantes – rouge, rose, jaune, vert vifs. Mais il est impossible d’aller plus loin que le seuil, car ces éléments sont disposés de telle sorte que l’on ne peut circuler entre eux. L’éden est interdit.

*depuis 1991

Le Monde 01.09.2022
PHILIPPE DAGEN

Oui, Mr Zheng, étonnez-nous !

Réjouissez-vous, il est encore temps de s’étonner ! La chose est aussi rare qu’un instant de grâce. On se surprend même à avoir envie de dire merci et on s’entend le faire. L’invité du château pour l’été, Mengzhi Zheng est un artiste déjà assis sur une certaine notoriété. Il a exposé un peu partout, a participé à de grands projets publics tels l’œuvre monumentale de la tour ERDF à la Défense à Paris et au toitterrasse du parking des Halles à Lyon. L’homme, moins jeune qu’il n’en a l’air, aussi français que chinois, plus doué à contrarier les repaires qu’à chercher à plaire, est capable d’affirmer avec aplomb que « le présent est horizontal […] que le ciel a autant d’importance qu’il n’en a pas […] que confiné, il s’est bien amusé […] » que les formes portent en elles une force, qu’il est en son pouvoir d’aplatir le ciel.

La poétique du non

Mengzhi Zheng entretient un flirt passionnel avec l’architecture, l’approche, l’attouche, tourne autour et alentours pour mieux la troubler. Il affectionne toutes sortes de non-habitations : celles dont on serait incapable de dire si elles sont habitées ou non (photos des Kuca, maisons bosniaques), celles offrant aux vents, violents ou caressant, leur émouvante fragilité, (« Maquettes abandonnées » et « Cabachons » « Frêles esquifs ») celles design, urbaines et colorées des vertus d’Amsterdam, celles inachevées au blanc carcéral, marquant l’inquiétude du vide (« Les Inhabitats »).

Couché/collé sur le papier, l’art de Mengzhi Zheng apparait non-objectif mais le discours de l’artiste écarte ce qualificatif : les formes géométriques des triptyques correspondent à « une vue d’en haut » et sont bien issues du concret. Néanmoins, disposés sur un fond blanc ces carrés, rectangles, cercles, triangles et croix qui se touchent, se superposent ou s’ignorent, convoquent le grand Malevitch et le suprématisme.

L’intuition spatiale

Le vaste espace d’exposition du château de Tournon offre cinq pièces aux affectations, fonctionnements et typologies fort différents autant de contraintes avec lesquelles les

artistes doivent composer. Lors de sa première visite Mengzhi Zheng se soumet. Imprégnation, impression, intuition… « le jeu des contraintes que m’impose les conditions extérieures ou que je m’impose […] déterminent une réflexion et amorcent le travail ». Cette intuition spatiale, l’artiste l’accueille en pleine confiance depuis toujours, elle est à la source de son intention : transcrire des espaces, trouver les possibles circulations, transposer des dualités extérieur/ intérieur, équilibre/ bancal, fini/non fini, bienfait/mal-fait, pli/dépli, plat/ volume, va/vient. « Même si je suis un protocole, je me laisse guider, c’est un peu comme un geste automatique. […] Les idées viennent et je me laisse aller à l’expérimentation des matériaux » dit-il.

La juste échelle

Le visiteur est impliqué, voire « immergé ». Sa perception des catégories spatio-temporelles sont mises à l’épreuve dès la première salle avec « Pli/Dépli », œuvre minimaliste entre sculpture et installation « où le public peut se promener, traverser l’espace architectural ».

Tour beauregard, « Les Inhabitats », sont portés à hauteur d’yeux pour une confrontation voulue frontale. Les pans manquants, des structures répondent-ils au partiel vide mental des internés, la hampe couchée sur le faîte des toits est-elle une menace ? Les murs-guillotines inquiètent, comme le blanc clinique… « c’est la pièce la plus froide, et c’est tant mieux ! », commente l’artiste, heureux de cette dimension supplémentaire offerte à l’œuvre.

A l’étage, la transparence du toit de l’installation « Dessus-Dessous » sollicite une mise à distance, il faut lever la tête et tendre le cou : l’œuvre, tableau éphémère, apparait à la faveur de la lumière.

Ce sont les chutes de la pièce maîtresse. Celle qui se trouve au-dessus de la première salle : cette époustouflante peinture-paysage, ce clin d’œil à la perspective chinoise shanshui. Sculpturale, monumentale, originale, découpée, colorée, l’installation est saisissante. Le mental se projette, l’œil fait le reste.

Œuvre conçue in situ et réalisée pour le lieu, « Aplatir le ciel » donne à l’exposition, son nom et au visiteur, sa plus grande émotion.

JTT Tain-Tournon 11.08.22
HÉLÈNE DE MONTGOLFIER

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