MPS N°8 - SOLITUDES ET ISOLEMENTS

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MPS MEN PORTRAITS SERIES n° 8 Octobre 2020

SOLITUDES ET ISOLEMENTS

menportraits.blogspot.com © Francis Rousseau 2011-2020


MEN PORTRAITS __________________________ SOLITUDES & ISOLEMENTS Diogène est l’exemple, le mythe incarné de l’isolement social revendiqué. Il fut peint à de multiples reprises surtout par les peintres romantiques qui pouvaient s’identifier facilement à son personnage sombre et solitaire ! Le philosophe grec, dont le nom complet était Diogène de Sinope (404-323 av. J.-C.) est souvent représenté assis dans son humble logis du quartier Métrôon à Athènes alors qu'il allume sa lanterne en plein milieu de la journée, avant d'aller, nu, la brandir sous le nez des passants interloqués en les invectivant de sa célèbre phrase : " Je cherche un homme " qu’il faut interpréter comme : "Y a-t-il dans cette ville un seul homme qui soit bon, sage et honnête ? " Dans cette composition de Jules-Bastien Lepage, le philosophe est représenté seul avec sa lanterne. Mais d’autres peintres, comme Gérôme, l’ont représenté avec ses chiens qui selon la légende, étaient ses seuls compagnons ; ils donnèrent d’ailleurs leur nom à la doctrine philosophique de Diogène : le cynisme (du grec kynikos, « pareil au chien »). Cette doctrine prônait entre autres, la liberté sexuelle totale, l’indifférence à la sépulture une fois le corps mort, l’égalité entre hommes et femmes, la négation du sacré, la remise en cause de la cité et de ses lois, la suppression des armes et de la monnaie, l'autosuffisance.... On perçoit à quel point Diogène de Sinope était moderne ! Par ailleurs, Diogène considérait l'amour comme absurde : selon lui, on ne devait s'attacher à personne. Apres son décès, certains stoïciens, pourtant proches du courant cynique, semblent avoir préféré dissimuler et oublier cet héritage jugé « embarrassant » et son œuvre Politeia (La République) tomba dans un oubli presque total.

JULES-BASTIEN LEPAGE (1848-1884) Diogène, 1877 Musée Marmottan-Monet


ORTRAITS ____________________ OLITUDES & ISOLEMENTS

Dans le statut de moine, il y a une solitude mystique représentée aussi bien en Occident qu’en Orient…

PETER CHRISTUS (? – 1475//76 Portrait d’un moine Chartreux, 1446 The MET, New York

En Occident, la figure du moine ermite solitaire est incarné par le moine Chartreux. Ce portrait qui ne néglige pas le moindre détail de chevelure, de barbe ou de robe innova en son temps, en ce qu’il proposait un cadre en trompe- l’œil faisant partie intégrante de l’œuvre. Le moine se retrouvait ainsi enfermé dans son cadre comme il l’était dans la règle stricte instaurée en 1084 par Saint Bruno pour cet ordre contemplatif. Enfermer dans son cadre comme sans son couvent ! Pourtant ce moine sans tonsure et rasé autour de la bouche, ne serait pas tout à fait un moine mais un plutôt un frère lai ou frère convers dans sa longue période de probation avant l’isolement total. La mouche posée sur le bord du cadre, signe de pourrissement dans les natures mortes, a donné lieu à de multiples interprétations.

En Orient, les komusō étaient des moines mendiants de la secte Fuke du bouddhisme zen japonais, actif sous la période d'Edo (1600-1868). Les Komusō se distinguaient par le tengai, un panier de paille de jonc qu'ils portaient sur la tête afin de montrer leur absence d'ego. Ces moines étaient aussi connus pour la façon virtuose dont ils jouaient du shakuhachi (flûte de bambou japonaise). Les pièces de musique, honkyoku qu’ils interprétaient dans les rues, illustraient une pratique méditative (Suizen) pratiquée à titre d'aumône ou comme moyen d’atteindre l'illumination, ou encore comme procédé de guérison. Après la période Edo, la secte Fuke fut abolie ; en effet le port du panier garantissant l'anonymat des komusō eut tendance à être détourné de son usage pour servir de camouflage aux samouraïs et aux ninjas.. Le répertoire musical des komusō a survécu à l'abolition de la secte, et il est à nouveau donné en concert depuis le milieu du 20e siècle.

VASILY VERASHAGIN (1842-1904) Moine Komuso, 1904 The Russian State Museum, St. Petersbourg, Russie.


MEN PORTRAITS __________________________ SOLITUDES & ISOLEMENTS A l 'occasion de l'Exposition universelle de Paris de 1889, l’artiste peintre française Rosa Bonheur invita Buffalo Bill, de son vrai nom William Frederick Cody (1846-1917) à venir séjourner dans son vaste domaine de By en Seine-et-Marne. Il faut dire que le personnage, symbole mythique de la Conquête de l’Ouest américain avait statut de Héros ! C’est donc une véritable légende vivante qui arrive chez Rosa Bonheur avec un cadeau inattendu : une panoplie de Siou ! On lui avait assuré que Mademoiselle Bonheur, véritable garçon manqué qui fumait le cigare et portait le pantalon, l’apprécierait hautement. Et elle l’apprécia en effet, portant sa tenue Siou à de nombreuses occasions, suscitant de multiples commentaires… ce qu’elle adorait. C’est lors de cette visite en 1889 que Rosa Bonheur fit ce portrait du « grand héros de l’Ouest américain » dont le surnom de Buffalo Bill, était du à deux raisons. La première, à sa profession qui était de vendre de la viande de bisons aux employés du chemin de fer Kansas Pacific Railway, après avoir lui-même chassé les bestiaux, ce qui n’a rien de particulièrement héroïque ! La seconde était due au fait que lors d’un duel privé avec un certain Bill, il avait réussi à tuer en une seule journée 69 bisons contre 48 pour son adversaire. Ce qui n’a rien de particulièrement héroïque non plus !

ROSA BONHEUR (1822-1899) Portrait du Col.William F. Cody dit Buffalo Bill, 1889 Buffalo Bill Historical Center

Toujours est il que lorsqu’il arriva en France, Buffalo Bill n’était plus du tout vendeur de viande de bisons mais organisateur de son propre spectacle à succès, le Buffalo Bill’s Wild West dans lequel apparaissaient toutes les grandes figures de l’Ouest américain comme par exemple le grand chef indien Sitting Bull. Donné aux pieds de la Tour Effeil, le spectacle attira jusqu’au 3 millions de spectateurs… ce qui ne s’était jamais vu ! C’est un double portrait de célébrité que réalise ici Rosa Bonheur : celui du héros en veste de cuir frangée et Stetson rivé sur sa longue chevelure, mais aussi celui de son cheval blanc Isham, aussi célèbre que lui. Ce portrait va permettre à l’artiste de faire partie de la délégation de femmes françaises présentées et regroupées dans le Women's Building lors l'Exposition universelle de 1893 à Chicago. La gloire de Buffalo Bill va alors rejaillir sur la peintre française à l’allure de garçon ! Mais alors que la gloire solitaire de Buffalo Bill ne s’éteignit plus jamais (il fut le créateur du Parc naturel de Yellowstone), celle de Rosa Bonheur spécialisée dans les peintures avec animaux, faiblit rapidement après sa mort, sa peinture étant trop éloignée du modernisme ! Certaines biographies l'associent aux débuts du féminisme en raison de la vie émancipée qu'elle mena, ce qui n’apparait pas non plus dans ce portrait du roi des Machos !


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HANS HOLBEIN LE JEUNE (149 -1543) An Unidentified Man c.1535Royal Collection Trust / Her Majesty Queen Elizabeth II

Il existe une isolement liée à l’anonymat tout comme il existe une solitude liée à la célébrité. C’est précisément le cas de ce tableau qui interroge le spectateur non seulement par la beauté intemporelle de son modèle que par le fait que l’on ne connaisse pas l’identité du jeune homme peint par Holbein. A partir de là, l’imagination commence à naviguer. Toutes les supputations sont possibles et c’est justement ce qui fait un des grands intérêt de ce genre de portrait. Qui était-ce ? Le fait que que l’œuvre se trouve encore de nos jours dans les collections royales britanniques, peut laisser supposer qu’il s’agissait d’un gentilhomme de la cour d’Henry VIII, roi pour lequel et pour l’entourage duquel, Hans Holbein le Jeune peignit beaucoup de portraits. Ce portrait n’ayant pas été acquis par les collections royales, cela signifie qu’il ne les a jamais quittées. Comment se peut-il alors que l’on ne sache pas (ou plus) de qui il s’agit ? Spécialisé dans les portraits, Hans Holbein Le Jeune devint à partir de 1536 peintre-valet de chambre d’Henry VIII, puis très rapidement peintre officiel de la cour d'Angleterre. Ce portrait a donc été peint un an avant cette charge officiel. Il date de l’époque où Henry VII était marié avec Ann Boleyn la deuxième de ses six femmes, pour laquelle il venait de rompre tout lien avec Rome et l’Espagne. Se pourrait- il que ce jeune inconnu au regard si limpide et à l’impeccable mise ait fait partie de la cour d’Ann Boleyn, une cour restée célèbre pour son exubérance, son élégance, sa sophistication et son goût des beaux arts ? Il y a quelques probabilités…. Se peut-il que ce jeune inconnu à la barbe si soignée ait été un de ces poètes ou musiciens que la reine affectionnait tant… trop même au point de tomber enceinte de l’un deux, Marc de Smedt, et d’être conduite sans autre forme de procès à l’échafaud ! Se pourrait-il qu’ils agisse de ce musicien qui fit tomber la tête d’une reine, musicien dont il ne reste aujourd’hui aucune représentation visuelle ? Supputation ! Car il pourrait tout aussi bien s’agir riche marchand … On a dit de ce dessin qu’il était trop abouti pour ne pas être celui de quelqu’un - si ce n’est d’importance - du moins d’important. Et en effet, avec cette perfection dans tous les domaines (du dessin aux coloris et à l’expressivité) on a du mal à croire que ce jeune homme ait été simplement… personne ! Seul le modèle détient, dans sa solitude éternelle, la réponse.


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JOHN SIMPSON (1782-1847) The Captive Slave, 1827 Art Institute of Chicago

Joseph, dit le Nègre (1793-1827) (renommé Joseph le Maure en 2019 par le Musée d’Orsay) est un très célèbre modèle noir du 19e siècle. Joseph quitte son île natale de Saint-Domingue en 1804, au moment de l'indépendance d’Haïti. Arrivé à Marseille, il se rend à Paris où il est recruté en 1808 comme acrobate dans la troupe de cirque de Madame Saqui. De grands peintres remarquent alors son physique athlétique, qui évoque à la fois le « mythe du sauvage » et du héros de l'Antiquité. A partir de 1818, Géricault, dont il devient l'ami, lance sa carrière de modèle en donnant ses traits à trois personnages de son célèbre Radeau de La Méduse, (cf. les 3 ronds bleu ci-dessous). Géricault le peint aussi dans de nombreux portraits. À partir de 1832, Joseph est l’un des trois seuls modèles masculins professionnels de l’École des beaux-arts de Paris. Il perçoit, à ce titre, un salaire de 45,89 francs et il ne chaume pas ! Il est de toutes les séances où l’on apprend aux élèves à rendre les diverses nuances des peaux noires, peintes auparavant dans un teinte uniforme (sauf chez Rubens). Pour le compte d'Ingres, Théodore Chassériau peint aussi plusieurs études de Joseph. En 1838, Ingres envisageait en effet, un Jésus chassant Satan où Joseph prêterait ses traits au démon. L’ œuvre ne vit jamais le jour, mais la beauté incandescente et le grand charisme de Joseph en firent rapidement une célébrité du Paris d’alors où il décida de se fixer définitivement. En 1865, Adolphe Brune le représente une dernière fois THEODORE GERICAULT (1791-1824) vieilli, dans un tableau qui porte son sobriquet : Portrait de Joseph c.1818-19 Getty Center Joseph le Nègre. Après ce tableau, Joseph ne posa plus. Pour ne pas se retrouver dans un isolement que la différence accentuerait, il accepta d’aider dans de menus tâches son grand ami le peintre suisse Charles Gleyre, dans sa nouvelle Académie du n° 69 rue de Vaugirard où il fut mis en contact avec la nouvelle génération de peintres qui la fréquentait : Sisley, Monet, Bazille, Whistler et Renoir… Tel fut le destin du beau Joseph. THEODORE GERICAULT(1791-1824) Le Radeau de la Méduse Musée d’Orsay, Paris


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FELIX NUSSBAUM (1904-1944) Selbstporträt mit dem jüdischen Reisepass, 1940 MAHJ – Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, Paris

Felix Nussbaum est un peintre juif allemand habituellement rattaché au courant de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit). Son travail s'inspire des œuvres de Giorgio de Chirico, d'Henri Rousseau et de Van Gogh. Réfugié en Belgique après l'arrivée au pouvoir des Nazis, il est déporté et assassiné à Auschwitz. La date précise de sa mort n'est pas connue, mais il a été enregistré à l'infirmerie du camp d'Auschwitz le 20 septembre 1944, ce qui laisse supposer qu'il est mort entre ce jour et celui de la libération du camp, le 27 janvier 1945. Tout au long de sa vie, Félix Nussbaum s'est représenté dans une impressionnante série d'autoportraits, dont le plus célèbre est cet Autoportrait au passeport juif . Dans tous ses autoportraits, la pose est quasi identique : de trois quart à la manière des premiers autoportraits d'Albrecht Dürer, il fixe un regard dur sur le spectateur. Le regard est central chez cet artiste qui a vécu du début à la fin la persécution des juifs par le régime nazi. On peut interpréter ce regard de plusieurs manières différentes. Il y a d'abord le regard de celui qui prend à témoin : se représentant toujours à l'écart dans les tableaux de groupes, Felix Nussbaum est celui qui appelle le spectateur à prendre conscience de ce qui se passe (s'est passé). Il place aussi le spectateur dans une position ambigüe lorsqu'il se représente montrant son passeport, comme si le spectateur était l'acteur même de sa persécution, comme si le spectateur était un officier nazi. Derrière les murs à l’intérieur desquels il est à l’isolement : un paysage, un immeuble bourgeois banal avec des fenêtres garnies de petits rideaux et puis sur la droite de la composition, des poteaux télégraphiques, un arbre mort aux branches coupés, un oiseau solitaire, un manadier en fleurs, un gors nuage gris menaçant, peut être de la fumée…


MEN PORTRAITS __________________________ SOLITUDES & ISOLEMENTS C’est bien connu la lecture est un plaisir solitaire ! Le peintre anglais Harold Knight dans ce tableau représentant son collègue le peintre Alfred Munnings ne cherche pas à exprimer autre chose. Connu comme n’étant pas un partisan du Modernisme, Alfred Munnings est surtout célèbre pour avoir été l’un des plus grands peintre équestre et peintre de guerre britannique. Engagé par la Canadian War Memorials Fund, il gagna après la Grande Guerre plusieurs commissions prestigieuses, qui le rendirent riche et célèbre. En 1944, Munnings est ennobli au rang de Chevalier, et la même année il est élu président de la Royal Academy of Art, un poste qu'il conserve jusqu'en 1949. Sa présidence resta célèbre pour son opposition farouche à tous les mouvements artistiques modernistes qu’il rejetait en bloc. C’est donc le portrait de cet artiste ultra-conservateur, comblé de récompenses et

HAROLD KNIGHT (1874-1961) Alfred Munnings reading alone outside on the grass (1911). Pricvte collection

d’honneurs (et n’en refusant aucun), spécialisé dans les tableaux de charges de cavalerie peints d’ une touche vaguement impressionniste mais pas trop, qu’Harold Knight fait ici. Il ne le représente pas pinceaux en mains ou devant un chevalet en train de retoucher une des ses batailles tourmentées… non il le représente hors contexte peut on dire, en train de fait visiblement une lecture de plein air à haute voix en direction d’un interlocuteur invisible (la main gauche suspendue l’atteste) ! On ne peut imaginer plus splendide isolement… on peut difficilement imaginer plus factice aussi ! Le plus amusant de l’histoire étant qu’Harold Knight fut avant d’être peintre élu à la Royal Academy en 1937 - un objecteur de conscience pendant la Première Guerre mondiale - c’est-à-dire au moment même où Munnings s’illustrait si brillamment sur les champs de bataille !

Mais à l’époque où ce tableau est conçu (1911), on est loin des champs de bataille !!! La bonne société vit encore dans l’insouciance de la fin du 19e siècle et les artistes s’appliquent le plus souvent à détailler la douceur de vivre de cette époque sous tous les angles. Personne ne peut imaginer alors que l’assassinat d’un archiduc de la maison de Habsbourg au fin fond de la Serbie, ouvrira la scène mondiale à une des plus grandes boucheries de l’Histoire, démembrera littéralement quatre des plus puissants empires de la planète et fera définitivement basculer le monde ancien de la guerre en dentelles dans celui de l’horreur de la guerre chimique à outrance. Oui, décidemment nous sommes bien éloignés de tout cela dans ce tableau, isolés dans un quiétude champêtre que rien ne semble devoir venir troubler…. Isolés des réalités en somme.


MEN PORTRAITS __________________________ SOLITUDES & ISOLEMENTS Isolement collectif ! C’est paradoxal mais c’est une réalité : la solitude à plusieurs existe bel et bien ! Le tableau ci-contre en est une belle illustration. Ces personnages semblent être ensemble, mais il émane de cet ensemble une étrange sentiment d’individualité. A quoi cela tien- il ? Bien que tous soient tendus vers un même but - L’Affût, qui donne son titre au tableau - chacun suit, dans son coin, sa propre voie. Tous sont à l’affût de quelque chose d’important qui doit apparaitre dans ou sur le mer… sans doute le retour d’un bateau à l’horizon. A la seconde saisie sur la toile, c’est la vague qui semble mener la danse. Le propre de l’affut étant d’être un moment suspendu, un moment d’attente extrême qui se nourrit de lui-même, chacun le vit à sa façon. Un seul a choisi de l’exprimer de façon différente, illustrant ainsi par cet isolement extérieur, un flagrant isolement intérieur, une solitude vécue au milieu de tous.

EILIF PETERSEN (1852-1928) On the look out (A l’Affût), 1889 Bergen Kunstmuseum, Norvège


MEN PORTRAITS __________________________ SOLITUDES & ISOLEMENTS Du temps de l’ U.R.S.S., le sport était souvent considéré comme un instrument de diplomatie. Il contribuait à vanter la bonne santé du pays et la performance de ses habitants… Le pays avait mis en place une culture physique populaire (la fizcultura) en totale opposition avec la pratique bourgeoise du sport. Avec cette nouvelle pratique destinée aux masses, l’Etat voulait façonner « l’homme nouveau soviétique » : un homme fort, avec une hygiène de vie saine, véhiculant le sens du collectif et l’amour de la Patrie. L’Etat commença à créer, sous la houlette du Ministère de la Santé, des organisations sportives capables d’allier diététique et sport. Apparurent alors des programmes de gymnastique thérapeutique spécifique au lieux de travail pour : stimuler la productivité, réduire l’absentéisme et diffuser de bonnes habitudes hygiéniques…

L‘homo sovieticus devait être équilibré, productif et surtout discipliné… À partir des années 1920, changement de programme. L’Etat voit désormais deux filons à exploiter dans le sport : la compétition et la théâtralisation de l’exploit. L’athlète (considéré d'ores et déjà comme un futur champion) devient très vite le nouveau « héros normatif » du pays et de la culture soviétique. Tout à fait l’image de l’athlète ci-contre, resté d’autant plus anonyme qu’il n’a peut être jamais existé ! L’idée est de produire des champions dans tous les sports possibles. L’Etat lance alors un programme d’innovations techniques dont la généralisation de l’assistance médicale sportive est l’aspect le plus novateur. L’URSS devient dès lors un pays très en pointe sur les publications scientifiques de suivis médicaux des performances sportives.

OLEG LOMAKIN (1924-2011) Athlète Russian State Museum

À partir de 1931, le régime se met à instrumentaliser aussi les défilés sportif ; il deviennent désormais annuels. Dans les cortèges on entonne « fizcultura – ura – ura », en chœur sur toute une série de chorégraphies. Dès lors, le régime pense avoir réussi à démontrer la supériorité de son modèle et pense pouvoir affirmer la suprématie soviétique au monde entier et, enfin, internationaliser les valeurs communistes. Le sport devient une sublimation de la guerre, une métaphore de l’affrontement entre le bloc de l’Ouest et le bloc de l’Est. Les slogans sportifs de l’époque ne laissent pas de doutes sur les intentions : « Gardien de but, prépare-toi à la bataille. Tu es une sentinelle devant tes buts. Imagine qu’ils sont la frontière de l’Etat ». Mais au contraire, cette politique contribua à un plus grand isolement intérieur comme extérieur du pays.


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Le mythe du marin solitaire a été très souvent traité dans les beaux arts, y compris par le mouvement réaliste soviétique. Dans cette toile, Henry Scott Tuke, décrit un moment très particulier et critique de la vie à bord du marin qui navigue en solitaire :celui du sommeil. Mais comment et quand dormir en mer sans laisser le bateau partir à la dérive? C’est toute la question ! Généralement le sommeil est fractionné en plusieurs siestes de 20 à 40 mn, produisant un type de sommeil connu des scientifiques sous le nom de sommeil polyphasique. Le conseil aux marins qui naviguent en solitaire est généralement de multiplier ces micros siestes par 3 à 6 par 24 heures. Tout le problème est de permettre de récupérer tant au niveau physique que psychique avec des temps aussi courts par rapport aux cycles de « sommeil normal » à Terre.

HENRY SCOTT TUKE (1858 - 1929) Sleeping Sailor (1905) Private collection

La régénération physique ne se faisant pas avant 40 mn sur Terre et la « régénération psychique » pas avant les 90 mn qui permettent d’atteindre le sommeil profond. Le matin solitaire va donc devoir ruser pour ne pas prendre de risques. Le sommeil polyphasique avec sa fourchette de 3 à 6 phases de repos est le plus adapté, à condition de respecter le chiffre minimum de 3 phases de siestes par 24 heures. Sinon c’est l’accident assuré. En effet les dangers inhérents au manque de sommeil en mer deviennent des risques mortels lorsqu'on est seul. Le premier risque c'est d'être plongé dans ce qu'on appelle « l'inertie du sommeil » : le marin se retrouve littéralement happé par le sommeil qui nous fait lâcher prise. Le marin risque alors s'endormir pour un cycle normal de 5 à 6 heures durant lesquelles le bateau est livré à lui-même.

C’est pour éviter cet écueil fatal que le marin du tableau cicontre dort en équilibre sur son mât, une jambe pendante dans le vide, prêt à tomber et à être immédiatement réveillé en cas de glissement dans un sommeil trop profond. Le second danger est d'ordre psychique. Ce sont les hallucinations hypnagogiques qui résultent du manque de sommeil paradoxal. Les marins peuvent avoir des visions très troublantes qui vont de la vue d’un proche sur le bateau, à celle d’autres bateaux alentours qui n'existent pas ou, comme Ulysse, à celle de sirènes et autres créatures improbables surgies des fonds marins. Ces visions peuvent littéralement faire perdre la tête au marin. A fortiori lorsqu'il s'agit d'une course en solitaire où personne n'est là pour prendre soin de lui.


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GUSTAVE CAILLEBOTTE (1848-1894) Homme au bain (1866) Museum of Fine Arts Boston

La solitude de l’intime est celle qui est la mieux comprise et la mieux admise dans les sociétés occidentales. Sans doute parce que chacun en a eu la conscience, répétée à de nombreux moments. L’homme au bain de Gustave Caillebotte exprime très élégamment cette nécessité de l’isolement. Le pantalon soigneusement plié sur la chaise et les bottines parfaitement rangées de même que la minutie avec laquelle le peintre décrit les cinq empreintes de pas humides au sortir de la baignoire et la façon dont le personnage s’essuie le dos en le frottant vigoureusement avec sa serviette, expriment tout ce qu’il y avait de plus accompli dans ce rituel solitaire du « bain hygiénique » au 19e siècle. Dans la toile Homme au cabinet de Bernard Buffet, l’expression est plus directe, à la fois dans le titre et dans la composition, avec un volonté manifeste de « choquer ». Le personnage, pantalon et slip baissé jusqu’aux chevilles se présente nu face au peintre plutôt que de dos ou de profil dirigé vers la cuvette lunette baissée, ce qui manque sérieusement d’égard vis-à-vis de la personne qui le suivra dans ces lieux. Le terme de cabinet employé par Buffet est tombé plus ou moins en désuétude dès la fin du 20e siècle et désigne plutôt aujourd‘hui un meuble ou une structure administrative attachée à un avocat, un notaire, un médecin ou un ministre, plutôt que des « toilettes » !

BERNARD BUFFET Homme au cabinet (1947) Fond de Dotation Bernard Buffet Galerie Maurice Garnier, Paris.


MEN PORTRAITS __________________________ SOLITUDES & ISOLEMENTS La solitude ressentie au moment d’accomplir des routines et des rituels quotidiens peut être à la fois génératrice de sérénité ou d’angoisse. La régularité de retour à la réalité consciente après une nuit de sommeil, tous les jours à la même heure (et éventuellement au même endroit), l’accomplissement des mêmes gestes pour se lever, se laver, s’habiller vêtement après vêtement, se coiffer, se chausser… ne va pas forcément de soi. A l’enfant, ces gestes routiniers apparaissent souvent comme insupportables et sont la plupart du temps refusés en bloc ou vécus avec mauvaise humeur ; ce n’est qu’après une éducation longue, répétée avec obstination, suivi avec minutie, que l’adolescent puis le jeune adulte les adoptent comme un rituel immuable jusqu’au la fin de leurs jours… dans le meilleur des cas ! Car beaucoup ne se plie jamais à ces rituels. Certains sautent des étapes, d’autres ne peuvent réaliser le rituel que s’ils sont accompagnés de leur conjoint ou de professionnels (majordomes, femmes de chambre, infirmières…).. Lorsque la nécessité d’accomplir ces rituels d’autonomie n’apparait plus à un être humain, on considère qu’il entre dans un état mélancolique, un état dépressif profond. Un veuvage, un divorce peuvent accentuer cette instabilité intérieure. C’est pourquoi se plier à ces rituels à la fois à la façon d’un automate mais aussi en réfléchissant chaque geste accompli, comme le préconise une certaine philosophie Zen, peut être salvateur.

MAXIMILIEN LUCE Matin, intérieur, 1890 The MET, New York


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Qui est plus seul qu’un artiste… surtout au moment de faire son propre portrait ? Quel est le moment le plus difficile à vivre ? Celui où il commence le portrait, celui où il se voit prendre forme, ou celui où il doit mettre la touche finale et le terminer ? Seul l’artiste peut le savoir ! Mais l’angoisse de ce questionnement (souvent inconscient ressenti par beaucoup) finit par apparaitre dans le résultat final. C’est ce qui a pu pousser certains peintres à réaliser plusieurs fois leur autoportrait… quelquefois de façon compulsive comme Dürer qui en réalisa une quantité phénoménale entre le début de sa carrière et la fin. Combien de fois un spectateur regardant un autoportrait de son peintre préféré, ne s’est-il pas dit : « Qu’est ce qu’il a l’air angoissé » Peut être s’agit-il simplement de l’angoisse de se représenter soi-même qui a prévalu ? Une angoisse légitime sachant que l’on ne se perçoit jamais tel que l’on est jamais tel que l’on est. Ce reflet familier de lui-même que le peintre aperçoit dans le miroir et qu’il va devoir rendre comme s’il s’agissait de celui d’un parfait inconnu, se révéler plein de surprises. Entre l’idéal de soi que l’on préfère souvent percevoir et la réalité de soi que l’on préfère souvent ignorer, la balance n’est pas facile à obtenir. L’autoportrait touche à la question de l’identité. L’identité de soi par rapport aux autres et

PEDER SEVERIN KROYER (1851-1909) Self portrait, 1897 Collection Hirschsprung, Copenhague

surtout l’identité de soi par rapport à soi. La question du « Qui suis-je ? » et encore plus la question du « Qui suis-je maintenant a ce moment de ma vie ? » peut rapidement prendre une tournure dramatique que l’on ne soupçonnait pas en s’attaquant à pareille œuvre. Un autoportrait est toujours une recherche de soi, un quête dans laquelle on peut se perdre aisément ; on pense à cet autoportrait de Courbet se peignant en « dément », les yeux exorbités, les deux mains s’arrachant les cheveux, ne songeant même plus à représenter sa propre main qui le peint, perdu corps et âme (on peut le dire!) dans la recherche désespérée son moi ! C’est peut-être pour toutes ces raisons que dans tous les autoportraits, de Dürer ou Rembrandt à Van Gogh, Botticelli ou de Raphaël à Picasso transparait si nettement ce doute omniprésent, sous la forme d’une question directe et simple : « C’est moi ça ?« ! Même dans la toile ci-contre, chez ce peintre de la bourgeoisie danoise si respectueux des conventions de son époque que fut Peder Severin Kroyer, le doute apparait. Il s’agit de la même solitude, de la même recherche de sa propre existence qui transparait aujourd’hui dans les millions (pour ne pas dire les milliards) de « selfies » diffusés aujourd‘hui à longueur de réseaux sociaux .


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Dans son Prince (1532), véritable Précis à l’usage de ambitieux de tout poil qui veulent se frotter à l’exercice du pouvoir, Machiavel avertit clairement le lecteur : » Au sommet il n’y pas de place pour deux. Au sommet on est seul «. Cette phrase attribuée par Machiavel à Cesare Borgia (1575-1507) fils du pape Alexandre VI, aurait pu parfaitement être prononcée par Sigismond Malatesta (1417-1468), l’un des autres modèles qui ont servi à l’écriture du Prince. Cette solitude liée à l’exercice du pouvoir s’exprime de façon assez spectaculaire dans ce splendide portrait de profil de Sigismond Malatesta, célèbre prince et condottiere de la Renaissance, peint par Piero della Francesca, l’un des artistes avec Agostino du Duccio et Leone Battista Alberti qui jouissaient de la protection sans faille du prince ! La rose figurant sur ces armoiries (symbolisant l’amour des lettres et des beaux arts) et l’éléphant (symbolisant la férocité) en disaient assez long sur le personnage. Sigismond Malatesta illustre descendant quoiqu’illégitime - de la famille Malatesta, seigneurs de Rimini de 1295 à 1500, fut prince certes mais surtout mercenaire (condottierre) au service (entre autres) des papes vénitiens Eugène IV et Nicolas V, combattant aussi bien l’autorité pontificale romaine que les ottomans ou ses cousins proches, les parents de ses épouses ou même son propre frère.

PIERO DELLA FRANCESCA (1412-1492) Ritratto de Sigismondo Pandolfo Malatesta Musé́e du Louvre, Paris

A ce degré là de cynisme, ce n’est rien de dire que l’on se retrouve absolument seul,… même si l’on est constamment entouré d’une foule de courtisans. Sigismond est resté célèbre à la fois pour son génie militaire parfaitement adapté à l’avènement de l’artillerie, ses trahisons quasi permanentes, son amour des beaux arts (il fut le grand mécènes de l’art des médailles héritées de l’Antiquité et réactivé par Pisanello), son intérêt pour la philosophie néoplatonicienne (Cyriaque d’Ancône était un habitué de la Cour de Rimini) et… pour ses mœurs dissolues, l’un des domaines où sa grande solitude psychologique s’exprima sans doute de la façon la plus sinistre ! Excommunié par le pape romain Pie II qui le considérait comme l’incarnation de Satan, les historiens reconnaissent en effet aujourd’hui qu'il se complaisait dans « le viol, l'adultère et l'inceste ». Ses abus sexuels atteignirent même ses propres enfants, ce qu’il n’ hésita pas à revendiquer ! Souvent décrit comme un « ennemi de la paix et du bien-être », Sigismond était pleinement conscient de ses péchés et s'en vanta constamment, comme pour les exorciser, notamment dans ses Sonnets érotiques dédiés à l’une de ses épouses, Isotta. Des recherches récentes montrent qu'il a agi selon ses idéaux - ceux de la Renaissance étant plus complexes que notre vision simpliste de l’Humanisme en restant populaire auprès de ses sujets, sans jamais pouvoir être chassé de sa principauté de Rimini par les papes de Rome.


MEN PORTRAITS __________________________ SOLITUDES & ISOLEMENTS Les précurseurs ont la réputation d’être souvent des solitaires incompris, mais dans le cas d’Alan Turing devenu au 21e siècle un véritable héros, l’isolement fut provoqué, volontairement par ses « employeurs ». Mathématicien et père de l’informatique moderne, il eut le malheur de commencer sa carrière en s’ enrôlant dans l’armée britannique au service des chiffrements pendant la Seconde Guerre mondiale. Là, il se fit très vite remarquer (trop sans doute) car il était le seul capable de décrypter les messages « top secret » de la machine nazie Enigma, un travail considérable qui ne sera pas connu avant 1970. Tout de suite après la guerre, il invente le tout premier ordinateur et avance des travaux (les Tests de Turing) dans le domaine de l’Intelligence Artificielle, à tel point qu’il est désormais considéré comme le fondateur de l’informatique moderne. Pourtant ce génie qui, s’il vivait aujourd’hui, serait milliardaire et aurait eu le destin des plus grands de la Silicon Valley, passa sa vie, reclus, véritablement séquestré à l’isolement par l’armée britannique qui ne voulait surtout pas que son homosexualité puisse être connue. Victime d’une cabale et poursuivi en justice en 1952 pour la même raison (l’homosexualité était alors considérée comme un crime au Royaume Uni), il choisit, pour éviter la prison, d’ajouter un isolement plus terrible encore à sa solitude déjà grande, celui de la castration chimique par la prise d'œstrogènes. Forcé à des traitements médicaux d’hormonothérapie lourds, tout au long de sa vie pour guérir de ce « mal qu’est l’ homosexualité » , il a fini par se suicider le 8 juin 1954 en croquant dans une pomme imbibée de cyanure… faisant naitre au passage la (fausse) légende de la pomme croquée qui sert aujourd’hui de logotype à la firme Apple. Il a fallu attendre l’année 2013 (oui 2013!!!) soit 60 ans après sa mort pour que la reine Elizabeth II le « gracie » et le reconnaisse comme héros de guerre à titre posthume et l’élève au rang d’officier de l’Empire britannique et membre de la Royal Society.

ALAN MATHISON TURING (1912-1952) Hero


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PHILIP DE LÁSZLÓ (1869 -1937). Francis Wright Fabyan Jr. painted in 1931 Massachusetts Institute of Teechnology Museum, Boston

La destinée de Philip de László n’est pas moins extraordinaire que celle de beaucoup de ses modèles. Fils aîné d'un modeste tailleur juif de Budapest du nom de Laub (changé pour une consonance plus hongroise en « László ») Philip va devenir le portraitiste mondain le plus en vue du début du 20e siècle au point de peindre quelques 2700 portraits, du roi Edouard VII à Theodore Roosevelt, François-Joseph I d’Autriche et sa femme l’impératrice Elizabeth (Sissi), le pape Léon XIII, la maharané Indira Devi de Baroda en passant par Armand de Grammont, la comtesse Greffulhe qui passait pour la femme la plus élégante de Paris, la marquise Noailles, la baronne Marguerite de Rothschild, Marcel Proust, etc … Tous les riches et célèbres personnages de la première moitié du 20e siècle, quel que soit leur lieu de résidence, se devaient de demander leur portrait à László qui s’arrangeait toujours pour ne pas être en position de refuser. Quand cela lui arrivait, il prétextait une maladie soudaine. En 1900, il épousa la riche héritière Lucy Madeline Guinness et dans la foulée il fut anobli par l'empereur d’Autriche et roi de Hongrie François-Joseph Ier, ce qui lui vaudra d’être soupçonné de trahison pendant la Première Guerre Mondiale. Sa réputation paradoxale de peintre à la fois l’élégance et de la vérité ne faillira jamais jusqu’à son dernier souffle. De ces portraits, il a dit : « Chacun a le visage qu’il tourne vers le monde, mais derrière ce masque, se cache un ego intérieur jalousement gardé qui garde les espoirs et les terreurs, les aspirations et les limites, et qui constitue l’atmosphère de sa personnalité ». En faisant peindre son portrait par Lázsló, Francis Wright Fabyan (1871-1936), membre de l’Algonquin Club et figure majeure des milieux d’affaires de Boston, entrait par le simple fait de cette peinture, dans le monde très fermés des grands de ce monde ! Si Lázsló avait accepté de le peindre, son entrée dans grande société internationale était entériné ! Né cadet dans une famille de cinq enfants, d’une père industriel qui fut en son temps le roi du textile américain, à la tête de la puissante Bliss, Fabayna & Co, Francis Wright Fabyan n’hérita ni de l’affaire ni de la maison familiale, la fameuse Villa Fabyan, construite par Franck Lloyd Wright à Geneva (Illinois). Qu’à cela ne tienne, suffisamment riche spour faire ce que bon lui semblait, il fut un des premiers administrateur (et mécène) apprécié du M.I.T. (Massachusetts Institute of Technology) de Boston, en même temps qu’un homme connu pour sa grande élégance et sa grande beauté ce que Lázsló, parvient à rendre à la perfection dans ce magnifique portrait aux allures d’inachevé.


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ANTONIO MANCINI (1852-1930) Autoportrait au Panier (circa 1883)

Mancini n’était pas fou même si son Autoportrait au Panier sur la Tête, le présente comme quelqu’un pour qui tout ne tourne pas complètement rond ! Cela tient peut-être à ce que toute sa vie durant et jusqu’à la fin, il ai fui la célébrité dès qu’elle se présentait (et elle se présenta plusieurs fois) pour lui préférer la douceur d’une vie d’insouciance… dont il n’avait pourtant absolument pas les moyens ! C’est exactement le comportement que définit l’expression avoir la tête dans le panier. Pour Antonio Mancini, tout commença dès son plus âge lorsque sa précocité et son habilité artistique remarquée le font admettre dès l'âge de 12 ans à l'Académie des beaux-arts de Naples. Là, sous la direction des se maîtres (Domenico Morelli, Stanislao Lista et Filippo Palizzi) son art évolue rapidement. En 1872, âgé de seulement 20 ans, il expose déjà deux tableaux au Salon de Paris. C’est dire le talent du personnage !Il décide alors de se consacrer au portrait et à la peinture de genre anecdotique. Sa façon de peindre est alors rapprochée du courant vériste. Ses créations dépeignent des pauvres, des enfants, des jeunes filles, de jeunes artistes de cirque, des musiciens qu'il observ dans les rues de Naples… autant de sujets qui ont plus leur place dans les gazettes que sur les murs d’un salon, même si ce courant commence à essaimer dans toute l’Europe à la faveur des divers mouvements sociaux et révolutions de l’époque. Mancini reste à Naples jusqu'en 1873, puis il part pour Paris où il travaille pour Adolphe Goupil (membre éminents d'une dynastie de marchands d’art et d’éditeurs d’art parisiens bien connus, actifs de 1827 à 1920). Toujours à Paris, il travaille aussi auprès de Hendrik Willem Mesdag, qui fera don de nombreuses œuvres de Mancini à l'État néerlandais, dans le cadre de la Collection Mesdag (La Haye). Pendant son fructueux séjour parisien, Mancini fait la connaissance des impressionnistes Edgar Degas et Édouard Manet, ce dernier ne cachant pas son admiration pour lui. Il devient aussi l'ami de John Singer Sargent qui le considère comme « le meilleur peintre vivant ». Venant de Singer Sargent ce n’était pas un mince compliment ! Ces compliments venant d’artistes aussi éminents pour un jeune peintre de son âge attireront plus sur lui les jalousies que les bienveillances. Quand il rentre soudainement à Naples pour être hospitalisé pendant 4 ans dans une maison de santé pour une étrange et grave maladie nerveuse, il va pouvoir compter ses véritables amis sur les doigts… d’une seule main ! Très démuni, il a besoin de l'aide de ses amis et d'amateurs d'art pour survivre. Peu réagiront. Seuls les plus mondains et réputés les plus superficiels (comme Singer Sargent) sont présents et lui permettent, par leur discrète attention, de survivre ! Pas en lui faisant l’aumône mais en vendant ses œuvres laissées ici et là, un peu n’importe où, dans des couloirs de galeries d’arts, des ateliers amis, ou dans les remises de certains marchands. Ainsi, quand Mancini, sort de l’isolement sa maison de santé napolitaine et reprend son travail en repartant à Paris et surtout pour Londres, il s’aperçoit qu’il est devenu un artiste célèbre !!! A Londres ,grâce à l’action de Singer Sargent, il est accueilli en véritable célébrité. Cela lui fait si peur qu’il quitte Londres ! Le prétexte est que le soleil et la verve son Naples lui manque trop. Il y retourne dès 1879 ! Puis sur un coup de tête (plus que jamais dans le panier!) il déménage à Rome. Là, il obtient un contrat avec deux mécènes (le baron Otto Eugen Messinger et Fernand du Chêne de Vèr,) ce dernier le logeant dans sa propre résidence à la Villa Jacobini (Casal Romito) à Frascati pendant près… de onze années, jusqu'en 1918. Après la Première Guerre mondiale, sa situation se stabilise et il a atteint de nouveau le niveau de sérénité nécessaire pour faire son travail. En 1929, il fait partie des premiers membres, nommés par décret, de la Reale Accademia d'Italia, fondée trois ans plus tôt par Mussolini. Antonio Mancini meurt à Rome en 1930 et est enterré près de la nef droite de la Basilique des Saints-Boniface-et-Alexis sur l'Aventin.


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GUIDO RENI Polyphemus 1628c. Musei Capitolini, Rome.

Polyphème, le Cyclope solitaire, apparaît au Chant IX de l’Odyssée d’Homère lorsqu’Ulysse et ses compagnons mettent pied à terre au « pays des Cyclopes ». Confiants dans les dieux immortels (qui sont accessoirement leurs parents), ces Cyclopes ne pratiquent pas l'agriculture et naviguent pas. Vivant de ce que la nature leur procure, ce sont des pasteurs, mangeurs de fromages et grands consommateurs de viande… jusques et y compris celle de leurs semblables, ce qui les rend tout à coup moins aimables ! À son retour des pâturages et enfreignant toutes les règles de l'hospitalité due aux étrangers, le cyclope Polyphème enferme ses hôtes (Ulysse et ses compagnons) dans la caverne où il vit, en roulant une grande pierre devant l’entrée. Le soir même, en guise de dîner, il décide de dévorer deux compagnons d'Ulysse... puis le lendemain matin, en guise de petit déjeuner, deux autres ! Pour Ulysse c’en est trop ! Il décide d’enivrer Polyphème pour tenter de l’empêcher de nuire et lui offre une barrique d'un vin particulièrement puissant. Quand Polyphème demande son nom à Ulysse, pour le remercier de son cadeau (avant de le dévorer dans doute) Ulysse lui répond : « Je m’appelle Personne ». Une fois le géant ivre et endormi, Ulysse et ses hommes utilisent un pieu pour lui crever l’unique œil opérationnel que tout Cyclope possède au milieu du front. Lorsque les autres cyclopes accourent en lui demandant qui l’avait rendu aveugle, Polyphème ne peut que répondre : « Personne ! » Forts de cette réponse incompréhensible, les Cyclopes - qui bien que fils de Poséidon n’ont pas inventé l’eau chaude - abandonnent leur frère à son triste isolement. On connaît la suite : Ulysse profita de la cécité du géant pour s’accrocher avec ses hommes sous ses brebis , sortir ainsi de la caverne et rejoindre son bateau. Mais dans une ultime raillerie, Ulysse crut bon de révéler à Polyphème sa véritable identité : « Je suis Ulysse, le fils de Laërte, le roi d'Ithaque » déclenchant ainsi contre lui - un peu sottement - l’acharnement éternel de Poséïdon, le dieu de la mer… et père de Polyphème!

1892 - The MET Museum, New York


MEN PORTRAITS __________________________ SOLITUDES & ISOLEMENTS Ce tableau qui représente un isolement générationnel avec le père de l’artiste (l’orfèvre Pierre Gérôme) assis sur son banc distant du fils de l’artiste (l’enfant timide sur le seuil de la porte) est à l’image même de ce que fut la vie du peintre. La distanciation sociale avant l’heure ! Sans doute le plus célèbre et le plus honoré de son temps (il eut de son vivant, son buste dans la cour de l’Institut de France), JeanLéon Gérôme, finit dans une totale solitude due principalement à son incompréhension du futur. Unanimement reconnu pour ses multiples scènes orientalistes, historiques, religieuses et surtout mythologiques, il fut l'un des principaux représentants de la peinture académique du Second Empire. À partir de 1878, il réalisa aussi des sculptures, en polychromie, à l’image des sculptures médiévales ayant souvent pour sujet des scènes de genre, des personnages ou des allégories. Promu grand officier de la Légion d'honneur, membres de l’Académie des beaux-arts, Gérôme fut distingué lors de toutes les expositions universelles auxquelles il participa au point de faire figure de peintre officiel non seulement du Second Empire mais aussi de toute la fin du 19e siècle.

JEAN-LÉON GÉROME (1824 – 1904) Le père de l’artiste et son fils sur le seuil de sa maison de campagne , 1866-1867 Musée des beaux-arts de Rouen

Très tôt comblé d’honneurs donc, il fut aussi professeur à l’École des beaux-arts durant près de 40 années, pendant lesquelles il enseigna le dessin. Jean-Léon Gérôme forma à lui seul plus de 2 000 élèves. Après avoir connu de son vivant un succès et une notoriété dont on a peu idée aujourd’hui, son hostilité violente vis-à-vis des avantgardes naissantes et principalement du mouvement impressionniste, qu’il tenait comme « le déshonneur de l'art français «, le précipita dans un oubli quasi total. Son œuvre fut redécouverte au 20e siècle et rencontra une postérité inattendue en devenant une source d'inspiration et de documentation constante pour le cinéma et surtout le genre hollywoodien et italien du Peplum. Le fait que ses toiles aient été collectionnées principalement aux Etats Unis n’est pas étranger à cet attrait documentaire pour son œuvre qui attient une sorte d’apogée au début des années 1930. Post mortem, le réalisme orientaliste pompeux d’Hollywood et de ses mythiques productions aurait consolé Gérôme de sa « déception » vis-à-vis des mouvements modernistes émergents qui menèrent pourtant à l’avènement du cinématographe…

1892 - The MET Museum, New York


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FRANK ALBERT RINEHART (1861-1928) Portrait du chef indien Vapore de la tribu des Maricopa, 1899 Boston Library, USA

Le chef Vapore de la tribu Maricopa porte sur le visage, en guise de marques tribales, deux tatouages de larmes de sang, gravées dans la peau et coulant le long de ses joues. Il voulait exprimer par ce signe, les souffrance que sa tribu Maricapoa, très ancienne et implanté de longue date sur son territoire, eut à subir à partir du milieu du 19e siècle. Souffrances de tous ordres : épidémies meurtrières, famines, guerres, isolement… que ces deux traits sur son visage résume mieux qu’un long récit. A l’origine, les Maricopa vivaient en petits groupes sur les berges de la rivière Colorado. Au 16e siècle, ils migrèrent vers la rivière Gila pour éviter les attaques des Quechans et des peuples Mojaves. Dans les années 1840, des épidémies décimèrent une partie de la population et ils se regroupèrent en confédération avec les Pimas. En 1857 à la bataille de Pima Butte, ils réussirent à vaincre les Quechans et les Mojaves. En 1870, ils devinrent agriculteurs et produisirent jusqu’à trois millions de livres de blé. La sécheresse et le détournement de l’eau par les colons provoquèrent par la suite de si mauvaises récoltes qu’ils durent abandonner cette activité pourtant pacifique.. A la fin du 19e et au début du 20e siècle, le Bureau des Affaires Indiennes des Etats-Unis tente de les assimiler dans la société américaine, aidés en cela par des missionnaires presbytériens. En 1914, le gouvernement fédéral éclate les exploitations tribales en parcelles individuelles. En 1926, la création du Conseil Consultatif Pima leur permet de parler au nom des communautés Pima et Maricopa. En 1936, Pimas et Maricopas sont d’accord sur une constitution pour rétablir une autogouvernance. bien que la perte de la rivière Gila soit une grande souffrance pour le peuple. Habiles vanniers et tisserands, ils sont surtout connus pour leur poterie traditionnelle qui connaît un regain d’intérêt dans les années 1937 à 1940. Leur symbole traditionnel, la croix gammée, est abandonné dans les années 40 en raison de son usurpation par les nazi en Europe. Au début du XXe siècle, la tribu Maricopa a été isolée dans deux réserves constituées par celle de la Communauté indienne Pima-Maricopa de Salt River et celle de la Communauté indienne de la rivière Gila. Leur langage commun est le maricopa, une langue de la famille des langues yuman et sont liés d’ailleurs au peuple Yuman. En 1990, Les deux tribus réunies comptaient 800 personnes.


MPS MEN PORTRAITS SERIES n° 8 © Francis Rousseau 2020 Tous droits réservés

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