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MASTERCLASS
AUTEUR | CHRISTOPHE HAAG
LA RECETTE DE LA BARAKA
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Les Rencontres Stratégiques du Manager organisées chaque mois par la société BSPK ont accueilli en juin dernier Christophe Haag, parti à la découverte de cette faveur que l’on a, attend, ou espère éperdument : la chance. Il semblerait que l’on puisse la provoquer, mais comment ?
Interview Anne Ciancanelli
Alors que c’était précisément le sujet de ce rendez-vous ce 9 juin dernier, nous en avons eu, de la chance. Les nuages et la pluie semblaient s’être confortablement installés dans le ciel, et pourtant, le soleil a fait sa percée parmi la grisaille prononcée le temps de ce déjeuner. Certains vous diront que la chance n’existe pas, que ce n’est que du hasard, mais Christophe Haag, lui, est convaincu du contraire : « le hasard ne frappe jamais par hasard ». Contrairement au “coup de chance”, la “chance durable” peut se provoquer. Christophe Haag, spécialiste des comportements humains, professeur à l’Emlyon Business School et chercheur en psychologie, a mené l’enquête trois ans durant sur ces questions tant enracinées en nous : la chance se provoquet-elle ? Et si oui, comment ? Au détour de rencontres extraordinaires, de témoignages exceptionnels (sans superlatif exagéré) et de travaux scientifiques, Haag en est certain : on peut attirer la chance à nous. Alors, comment maîtriser cette loi de l’attraction ? Comment (re)mettre la baraka dans notre vie ? Son intervention et son ouvrage nous offrent quelques clés concrètes à appliquer dans notre quotidien, sans modération. La chance sourit aux audacieux, oui, mais pas que. “Et si tout était affaire de regard et d’attitude face à l’existence?”, comme le souligne l’animateur Frédéric Lopez.
PREMIUM : Quelle est votre définition de la chance ? Christophe Haag : La chance est selon moi le résultat d’une cohérence parfaite avec soi-même. Je m’intéresse dans mon dernier livre à la chance « durable », celle qui se répète dans le temps. Pas la chance « isolée » du gagnant du loto.
PREMIUM : Vous dites que “la chance, c'est une compétence”. Qu'entendez-vous par là ? C. H. : La chance est effectivement une compétence, celle de pouvoir apprivoiser l’inattendu, que l’inattendu soit une bonne ou une mauvaise surprise ! Les chanceux sont par exemple « capables » de recycler la malchance en chance, le négatif en positif, l’affreux en beau... J’essaie de donner un maximum de clés au lecteur pour booster cette compétence. Et il s’avère que ces clés sont souvent très simples (et redoutablement efficientes !) mais nous les avons chassées de notre esprit au fil du temps pour diverses raisons. Je crois sincèrement que les grandes vérités sur l’espèce humaine sont aussi les plus simples, aussi simples qu’un enfant puisse les comprendre.
PREMIUM : La chose que l'on se demande tous : y a-t-il un profil du serial poissard et du serial veinard ? C. H. : Gardez ici à l'esprit que chance et malchance, finalement, sont les deux faces d'une même pièce. Comme le sont l'optimisme et le pessimisme, ou l'extraversion et l'introversion. Ainsi, les facteurs qui provoquent la chance sont aussi ceux qui, si nous en sommes faiblement pourvus, produisent de la malchance ou du moins aimantent le « rien », maintiennent le statu quo. Dès lors, à travers les témoignages de chasseurs de trésor, de survivants de crashs d’avion ou d’attentats, j’ai pu identifier des « facteurs chance » que nous pouvons appliquer dans notre quotidien.
PREMIUM : Dans votre ouvrage, vous parlez de “pensée latérale”. Pouvez-vous nous expliquer davantage ce concept ? C. H. : Je vais vous raconter ici une anecdote que m’a livrée Mykel Hawke, un ancien des forces spéciales aux États-Unis et star de la TV avec ses émissions de survivalisme suivies par des millions de téléspectateurs. Il m'a confié : « Un jour, j'étais en mission spéciale avec un général, un colonel et un engagé senior des forces spéciales américaines afin d'effectuer l'inspection d'un futur camp de base. Ce jour-là, nous volions à bord d'un jet privé confisqué à un ancien baron de la drogue. Tout semblait aller bien jusqu'à ce que nous arrivions au-dessus des montagnes. À ce moment-là, l'un des moteurs s'est arrêté. Le pilote transpirait tellement qu'on avait l'impression que quelqu'un avait ouvert un tuyau d'arrosage au-dessus de sa tête. Il s'est alors retourné, liquéfié, vers nous et a dit en espagnol : « Je crois que nous avons un problème. » À peine avait-il fini sa phrase que l'autre moteur a lâché. La cata ! Il régnait alors un silence de mort. Nous avons tous regardé à travers les hublots. Il n'y avait rien d'autre que le vide, les montagnes aux sommets pointus, et aucun endroit sûr pour atterrir. J'ai alors commencé à raconter des blagues. Je riais en expliquant à quel point les gros titres des journaux seraient drôles le lendemain, lorsqu'ils parleraient de tous ces gradés de l'armée morts à bord de ce tout petit avion dans les montagnes... Pas très rigolo en y repensant, mais à ce momentlà, cela avait fait rire tout le monde, y compris le pilote ! Après un gros éclat de rire collectif, eurêka ! le pilote, reprenant un air sérieux, a eu une idée. Celle de repartir vers l'aéroport en volant avec le vent de face. Il y avait peu de chances que cela fonctionne mais, au final, nous avons atterri juste avant la piste, sur un terrain plat. Ce jour-là, nous avions plaisanté sur la mort, en l'occurrence notre propre mort, ce qui a modifié le paradigme et nous a mis en mouvement, donné l'énergie de tenter quelque chose. L'humour a permis notre survie. Pour faire court, je crois que l'humour est important, que ce soit dans la vie de tous les jours ou face à des enjeux de vie ou de mort, et qu'une petite note d'humour peut tout à fait faire tourner la chance en notre faveur. » L'humour, c'est l'essence même de la pensée latérale, cette idée d'Edward de Bono qui ne date pas d'hier, et selon laquelle nous pouvons trouver des solutions à un problème sans forcément se prendre au sérieux, sans devoir suivre le schéma classique, conventionnel. Ainsi, dans certaines circonstances, comme celles malchanceuses qu'a expérimentées Mykel Hawke, il nous faut, pour nous en sortir, pouvoir modifier notre perception du monde. Or cette dernière est souvent coriace tant notre cerveau, quelquefois crétin, s'accroche à des patterns, des schémas préconstruits, des raisonnements linéaires, traditionnels, stéréotypés. Le chanceux est celui qui saura trouver les moyens de forcer le système conventionnel en produisant un point de vue alternatif, en créant des liens peu évidents entre des idées, des éléments incongrus. D'un point de vue technique, l'humour aide à cela en activant différentes zones du cerveau (tronc cérébral, hypothalamus, cortex préfrontal, etc.) et notamment le cortex cingulaire antérieur (ACC2). Une région cérébrale impliquée en partie dans la gestion de l'attention. Face à un problème qu'il vous faut résoudre, l'activation accrue de l'ACC va aider le cerveau à se focaliser sur la recherche de nouvelles solutions en facilitant la production de pensées créatives. En résumé, l'humour permet de penser autrement, de manière inattendue. Ainsi, en développant notre sens de l'humour, nous appréhendons les problèmes sous différents angles, ce qui aide souvent à se sortir d'une situation malchanceuse.
PREMIUM : Au même titre que l'empreinte carbone, vous évoquez l'empreinte émotionnelle que les gens vont laisser sur Terre. Qu'est-ce qu'un pollueur émotionnel, et surtout comment ne pas en devenir un ? C. H. : Quelle empreinte émotionnelle vais-je laisser sur Terre ? C'est une question existentielle, avec celle de mon bilan carbone, qui me taraude depuis que je suis papa. Et qui tracasse bon nombre de personnes, souvent la quarantaine passée, qui regardent de plus en plus fréquemment leur vie dans le rétroviseur. Certaines d'entre elles sont alors rongées par les regrets, voire les remords, car elles se sont mal comportées avec les autres, ou car elles ne se sont pas assez investies affectivement, ou bien les deux à la fois. Que ces autres soient leurs enfants, leurs petits-enfants, leurs conjoints, leurs amis, ou leurs collaborateurs au boulot. Une bonne moitié des gens malheureux sur cette Terre le sont une fois qu'ils découvrent que leur empreinte émotionnelle est crasseuse ! Sachez que nos émotions peuvent rapidement se transmettre à autrui, en quelques millièmes de secondes. Et le problème, c'est quand on émet plus d'émotions toxiques que d'émotions bénéfiques, faisant ainsi pencher la balance du côté « pollueur ». Car émettre fréquemment des émotions toxiques, c'està-dire des émotions inappropriées qui placent l'autre en situation d'inconfort et / ou d'infériorité, pollue les relations que nous avons avec autrui. On s'isole alors de plus en plus, ce qui a pour effet de limiter le nombre d'opportunités à saisir et qui émanent du monde extérieur (la chance est aussi une affaire de connexion relationnelle avec les autres. Impossible de rencontrer la chance dans la solitude, l'isolement et l'absence de toute vie sociale).
PREMIUM : Dans une société modélisée par une poignée d'ultra-riches et de multinationales parfois sans peur ni reproche, par des réseaux sociaux qui médiatisent et démocratisent le narcissisme, vous vous attachez à réhabiliter la gentillesse. En quoi cette vertu est-elle reliée à la condition humaine et au facteur chance ? C. H. : L’un des parrains du livre est Frédéric Lopez, l’ex-animateur de Rendez-vous en Terre inconnue et connu pour sa gentillesse. La gentillesse est un pouvoir extraordinaire que les super chanceux que j’ai rencontrés possèdent. Je vous livre ici quelques bienfaits à être authentiquement dans ce registre. En étant gentil, on produit plus d'ocytocines, l'hormone de l'amour. Celle-ci est en plus cardioprotectrice car elle va provoquer une libération d'oxyde nitrique dans les vaisseaux sanguins, entraînant leur dilatation, ce qui aura pour effet de réduire votre tension artérielle, protégeant par la même occasion votre cœur des risques cardiovasculaires. La production d'ocytocine entraîne également la libération d'endorphines, permettant de réduire la douleur par une action sur le nerf vague. Agir de manière gentille peut aussi booster la production de dopamine, un messager chimique dans le cerveau qui peut nous donner une sensation d'euphorie, de bien-être. Celle de cortisol, l'hormone du stress, quant à elle, diminue chaque fois que l'on se montre gentil, ce qui permet à long terme de renforcer notre système immunitaire. Ainsi les gens constamment gentils sécrètent 23 % de moins de cortisol (comparativement au reste de la population) et vieillissent mieux. Tous ces effets chimiques entremêlés font aussi qu'une personne gentille est globalement en meilleure santé physique et psychique et a une espérance de vie plus grande. Un tacle à cette idée reçue selon laquelle les ordures sont les derniers à partir, et les « bons », malheureusement les premiers ! Chaque fois que vous êtes sincèrement gentil avec une personne, les centres de récompense de votre cerveau ainsi que certaines zones du cortex cingulaire antérieur sous-génital (sgACC) s'activent. Vous ressentez alors un état euphorique, du plaisir, puis une forme de béatitude. Un peu comme si vous étiez le destinataire de l'« action gentille », et non son émetteur. Ce phénomène s'appelle “le helper's high”. Les bonnes choses arrivent aux bonnes personnes, voilà un élément à prendre en compte dans l'équation de la chance !
PREMIUM : Quelle est la place de la foi, notamment en soi et dans les autres, sans qu'elle soit forcément religieuse ou dogmatique, dans la chance qu'on provoque ? C. H. : L’humain est capable, à condition d’y croire et de persévérer, de modifier intentionnellement le cours de sa vie. Ainsi sommes-nous tous des prophètes en puissance, capables d’auto-réaliser ce que nous prédisons. On parle ici d’auto-efficacité. Ce concept repose sur le simple fait de “croire”, croire que vous pouvez accomplir ce que vous voulez. Il s’agit là d’un des ingrédients les plus importants – sans doute le plus important – dans la recette du succès. Une personne avec un sentiment d’efficacité personnelle élevé se sentira toujours prête à affronter l’adversité et redoublera d’efforts. Elle gérera mieux son stress et sera moins sujette au burnout. Elle sera également plus susceptible de rebondir après un échec cuisant. Cette capacité vient booster notre résilience. Ces individus sont également en meilleure santé.
PREMIUM : Enfin, est-il possible selon vous “d'éduquer” la société à la chance ? C. H. : L’un des facteurs clés, commun à la plupart des serial chanceux que j’ai rencontrés, est qu’ils sont doués d’intelligence émotionnelle. Une forme d’intelligence qui permet de raisonner à partir des émotions et qui s’apprend... Selon la science, les individus doués de cette intelligence sont capables de mieux gérer leur stress, de prendre de meilleures décisions, d’augmenter la qualité des relations sociales, de réduire les maux de tête, de ventre et de dos, etc. Je pense qu’il est possible d’intégrer en France (puisque cela se fait ailleurs avec des résultats significatifs), et ce dès le plus jeune âge, des programmes de développement de ce type de compétences à l’école. Et en entreprise (séance de rattrapage !). Aux politiques de se montrer ambitieux !