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LÉGENDE | ELVIS

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Quarante-cinq ans après sa mort, alors qu’Austin Butler crève l’écran devant la caméra de Baz Luhrmann en entrant corps et âme dans sa peau, Elvis reste le King. Retour sur l’histoire du Roi.

Texte Anne Ciancanelli Illustration David Bail

Derrière les raz-de-marée de fans qu’il mobilise, derrière ses déhanchés sulfureux, controversés mais mythiques, il est l’une des révolutions les plus spectaculaires qu'a connues la culture musicale américaine au siècle dernier. Star des stars, sa contribution dans la musique est telle qu’il inspire aussi les plus grands. « L'entendre pour la première fois était comme sortir de prison » , disait de lui Bob Dylan.

Car Elvis n’est pas seulement ce crooner au succès retentissant dans le monde entier, il endosse un autre rôle bien plus substantiel que la décadence qu’il représente : il est un passeur. En s’inspirant des communautés afro-américaines qu’il côtoie dans son fief à Memphis, il va écrire sa propre légende et faire découvrir le blues et le rythm’n blues à toute une génération.

Des inspirations afro-américaines

Né dans le Mississippi en 1935, Elvis fait ses cartons avec sa famille en 1948 direction Memphis, dans le Tennessee, berceau des plus grands artistes du blues et du rock. Alors que la ségrégation raciale gangrène la société américaine, les pauvres blancs vivent dans la même misère que les pauvres afro-américains ; c’est le cas de la famille Presley. Tiraillé par cette envie, identique, de revanche sur la vie, le jeune Presley se sent proche de cette communauté qu’il n’aura de cesse de fréquenter et de s’en inspirer. Passionné de musique, il se forme rapidement au gospel qu’il pratique dans les églises noires et reste fasciné par la gestuelle scénique afro-américaine. Ce côté assumé, débridé, extravagant, le subjugue et façonnera l'artiste talentueux, à part, qu’il deviendra. Il n’a rien du jeune américain type qui arbore t-shirt, jeans, coupe à la brosse et mâche du chewing-gum. Le style d’Elvis est singulier, mais en même temps pluriel et coloré : il peut passer du look western, rockabilly, chemise amplement ouverte, à des tenues étincelantes et toutes en strass. Il est à l’opposé de ces crooners “statiques” alors en vogue ; le King est dans la performance. Son expression corporelle sur scène est vive, suggestive ; sa voix est chaude et envoûtante. À cette époque, la musique n'était pas censée être si fervente et à la fois si sensuelle. Elvis fascine mais excède aussi tout une partie de la population américaine puritaine et conservatrice. Il est ce jeune blanc américain, séduisant, qui va rendre cette musique “noire” populaire.

A gauche, Elvis dans Jailhouse Rock en 1957

À droite, photo de promotion de la première apparition télévisée nationale d'Elvis Presley le 28 janvier 1956 sur la chaîne CBS.

« J'AI TOUT DE SUITE SENTI QU'ON TENAIT QUELQUE CHOSE. CE N'ÉTAIT PAS LA CHANSON À PROPREMENT PARLER MAIS BIEN CE QU'EN FAISAIT ELVIS. POUR MOI C'ÉTAIT UN CHOC. »

Sa rencontre avec Sam Phillips

1953. Elvis réalise son premier disque amateur au Sun Studio de Sam Phillips. À cette époque, de nombreux labels indépendants offrent la possibilité d'enregistrer un disque pour quelques dollars. Avec ce pécule rassemblé grâce à des petits boulots qu’il a cumulés, Presley décide d'enregistrer deux chansons - My Happiness et That's when your heartaches begin - afin d’offrir cet opus à sa mère adorée en guise de cadeau d’anniversaire. La prestation d’Elvis interpelle la secrétaire de Sam Phillips, qui, convaincue qu’il ferait "un bon chanteur de ballades'', attire l’attention de son patron. Le producteur le recontacte et lui fait passer un casting. En dépit du fait que cette première audition est clairement peu convaincante, Phillips s'étonne de la mémoire du jeune musicien qui connaît un large répertoire par cœur ; il décide de lui faire passer un second casting, mais cette fois-ci accompagné du guitariste Scotty Moore et du bassiste Bill Black. Ce 5 juillet 1954 est sans doute le jour qui a révolutionné la musique moderne. Alors qu’Elvis entame son audition avec des chansons sentimentales qui semblent laisser Phillips de marbre, le chanteur se lance dans une interprétation personnelle de la chanson That’s all right, Mama pendant une pause. Accompagné de sa guitare, il se déhanche et revisite ce succès de Arthur “Big Boy” Crudup en lui donnant un rythme plus rock et en y ajoutant des intonations hillbillies. Instinctivement, le guitariste et le bassiste l’accompagnent. Sam Phillips avoua plus tard : « J'ai tout de suite senti qu'on tenait quelque chose. Ce n'était pas la chanson à proprement parler mais bien ce qu'en faisait Elvis. Pour moi c'était un choc » .

Phillips est un petit producteur qui, initié aux musiques afro-américaines, réalise les premiers enregistrements de quelques légendes du blues comme BB King ou Bobby Bland, mais tant l’Amérique noire est un marché de niche, la situation n’est pas viable financièrement. En cette période d’après-guerre, le marché afro-américain ne représente que 10% de la population et son pouvoir d’achat est rudement limité. Sam a toujours été persuadé qu’il fallait trouver un musicien qui serait capable non pas d’imiter, mais bien d'interpréter avec la même ferveur et la même charge émotionnelle que les musiciens noirs de blues. Et c’est exactement ce qui s’est passé ce jour-là lorsque Elvis s’est approprié Crudup. Il l’enregistre dans la foulée et le succès se fait vite sentir à Memphis.

Écrire la légende du King

Sous l’aile du controversé Colonel Parker depuis 1956, qui est alors son impresario exclusif, le jeune Elvis affiche une success story sans précédent. Presley a la particularité de toucher un public ignoré jusqu’alors : les adolescents. Il devient la “coqueluche” de tous les jeunes alors même que, bien souvent, leurs parents le détestent. La vérité est qu’il fait s'étrangler de rage les conservateurs bien-pensants à cause de ses déhanchements jugés immoraux et de sa musique à dominante afro-américaine en pleine période de suprématie blanche. Mais une chose est sûre, cette belle gueule ne laisse personne indifférent. Aux côtés de la radio, la télévision débarque dans les foyers américains et relaie soudainement cet impact visuel inouï. Certaines de ses interprétations resteront à jamais gravées dans les annales du rock, comme cette fameuse prestation lors de l’émission télévisée “Milton Berle Show” en 1956, où il entonna pour la première fois sa version de Hound Dog. Derrière son petit écran, l’Amérique puritaine de l’époque n’était pas forcément prête à découvrir un jeune blanc-bec danser, bouger et chanter comme les artistes noirs. À la fin de sa prestation scénique déchaînée, Elvis ralentit la cadence de la chanson pour se livrer à ses déhanchements très suggestifs, au point de faire rougir la gent féminine du public, alors électrisée. L’émission bat tous les records d’audience, mais elle est source d’un scandale cataclysmique. C’est cette liberté-ci, cette expression corporelle, qui va pourtant participer à écrire la légende du King. Au cœur de cette Amérique puritaine qui n’aime pas changer ses codes, Elvis marque un tournant dans l'histoire musicale des États-Unis : il explose littéralement tous les records, tant par ses ventes de disques, son premier film Love Me Tender (1956), que par ses prestations qui provoquent l’hystérie générale. C’est surtout que ce jeune prodige va finir par séduire tous les publics, blancs, afro-américains, jeunes et moins jeunes, latinos, aux ÉtatsUnis et dans le monde. Tout comme le blues et le rythm’n blues, le rock and roll est à la base une musique fondamentalement afro-américaine qu’Elvis s’approprie et revisite avec des notes de country. Grâce à son interprétation et au son de la guitare électrique de son guitariste Scotty Moore, il donne vie à un nouveau genre musical : le rockabilly. “Sur disques, Elvis alterne rock, blues, gospel et même chansons de Noël. Il entre ainsi dans chaque foyer américain. Il bat dans le cœur de chaque Américain. Chacun peut se retrouver en Elvis, chacun aime un morceau d'Elvis. C’est au moyen de ce métissage des genres musicaux, de son timbre mat et chaleureux, et de son style singulier à la fois désinvolte et marqué, qu’Elvis a fait sauter les barrières ethniques et sociales de l’époque. Considéré comme l'un des musiciens les plus célèbres et les plus influents du XXe siècle, Presley restera, dans l’industrie et dans l’histoire, ce jeune blanc qui a popularisé la musique afro-américaine... C’est à se demander si un Jimi Hendrix ou un Michael Jackson auraient pu être si Elvis n’avait été. À ce jour encore, Elvis Presley, surnommé “The King”, est l'artiste solo le plus vendu dans l'histoire de la musique avec près d’un milliard de disques vendus estimés.

Elvis provoque la frénésie chez ses fans lors de son direct au MississippiAlabama Fairgrounds à Tupelo le 26 septembre 1956.

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