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Churchill, un expert dans l'art de la répartie.

AUTEUR | JULIEN COLLIAT L'ART DE LA RÉPARTIE

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Du silence méprisant à l'insulte, la meilleure riposte est la réplique. C'est l'enseignement que nous donne Julien Colliat, l'invité des Rencontres Stratégiques du Manager BSPK et auteur du livre ‘L'art de moucher les fâcheux’.

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Pour son 85e anniversaire, Churchill est convié à la Chambre des communes. Alors qu’il discute avec des amis, de jeunes freluquets chuchotent dans son dos : « - Il paraît que le vieux devient gaga... Sans se retourner, il leur répond : - Et il paraît même qu’il devient sourd ! »

Après son Anthologie de la répartie, Julien Colliat livre 37 stratagèmes pour faire taire les casse-pieds ou ceux qui manquent de délicatesse. Nous nous confrontons tous les jours à des personnes qui ont un talent inné pour nous faire des remarques désobligeantes ou déplacées. Ce petit livre de 200 pages se lit rapidement, facilement, et nous livre des trucs et astuces instructifs et raffinés pour retourner la situation par la ruse du langage et du verbe. L’ouvrage, riche d’exemples pépites pour chacun des stratagèmes évoqués, est léger et perspicace à la fois. Un exemple ? “- Me prenezvous pour un imbécile ? - Non, mais je peux me tromper.” Nous avons pu échanger avec Julien Colliat lors des Rencontres Stratégiques du Manager organisées par BSPK, où l’auteur est venu présenter le 6 octobre dernier au restaurant La Gaichel comment la contre-attaque est plus forte que l’attaque. Ce personnage aux allures de professeur est en fait un passionné d’histoire qui fait mouche sur Twitter avec son compte qui frise les 200 000 abonnés sur le seul thème de l’Histoire et de la répartie. Une éloquence bien travaillée, un langage maîtrisé, et voilà qu’il nous transporte dans une intervention rondement menée, ponctuée d’anecdotes croustillantes comme on les aime. On vous en partage une seule sortie lors de cette conférence pas comme les autres : “En visitant un cimetière, Sacha Guitry et Yvonne Printemps remarquent une tombe sur laquelle est inscrit : « Enfin libre ». Guitry lance alors : - Sur votre tombe, Yvonne, on écrira : « Enfin froide ». - Et sur la vôtre, Sacha, je ferai écrire : « Enfin raide ». Non, Guitry ne pipe plus mot. Voilà, c’est ça, l’art de la répartie.

: Dans votre ouvrage, vous abordez L'art de moucher les fâcheux, comme son titre l'indique. Y a-t-il un style de répartie adapté à chaque situation ? Julien Colliat : Dans mon livre, je propose 37 techniques de réparties, mais certaines sont adaptées à une catégorie spécifique de fâcheux. La technique du miroir, qui consiste à refléter une attaque, sert par exemple à clouer le bec des butors les plus injurieux. Comme ce quidam qui cria « Connard ! » devant Jacques Chirac et s’est entendu répondre : « Enchanté, moi c’est Chirac ! ». La technique de l’épithète est idéale pour moucher les geignards. L’un d’eux se plaint à vous : « On m’a traité de petit crétin. » Répondez : « Alors, portez des talons ! ». Une autre technique, celle du déshérité, est réservée aux flatteurs. Un tartuffe vous demande « Comment faites-vous pour être si intelligent ? ». Répliquez : « On a dû me donner votre part. »

: Quelle est la répartie la plus vive et la plus tranchante selon vous ? J. C. : Une bonne répartie doit répondre à trois critères. Premièrement, elle doit impérativement être originale et spontanée. Une répartie célèbre ne peut être reprise comme telle car son effet sur l’interlocuteur sera nul. Deuxième critère : la concision. C’est un héritage de Sparte (d’où le mot « laconisme ») : plus une répartie est brève, plus est elle est percutante. Parfois un mot peut suffire. Troisième critère : il faut qu’elle soit ironique ou formulée comme une question pour apparaître fine et subtile, et atténuer sa violence. Voici le meilleur exemple de répartie qui combine ces trois critères. En 1838, sur son lit de mort, le controversé Talleyrand se tourne vers LouisPhilippe 1er et lui dit : « Sire, je souffre comme un damné. » Réplique du roi : « Déjà ? »

: Vos meilleurs conseils pour affûter une riposte efficace? J. C. : L’une des techniques les plus simples consiste à filer une métaphore employée par l’interlocuteur. Celui-ci dit qu’il est un puits de science ? Ajoutez « Oui, mais à sec ». Le même affirme que ses mots ont dépassé sa pensée. Lui répondre : « Ils n’ont pas dû aller bien loin. » Toujours avec les métaphores, il est facile de transformer un négatif en positif et vice-versa. On vous traite de vipère ? Faites remarquer que cet animal n’est pas dénué de sang-froid. À l’inverse, s’il se proclame l’« as » d’une discipline, arguez qu’au tarot, l’as est la carte la plus faible. Jouez aussi sur le sens des mots. Au séducteur visqueux se vantant « Moi, les femmes m’ont toujours réussi », objectez aussitôt : « Sauf votre mère ! »

: Est-ce que l'art de la répartie est inné, où est-ce quelque chose sur quoi on peut travailler? J. C. : La répartie exige une qualité fondamentale qui ne s’acquiert que par l’expérience : la psychologie. Ce n’est pas tout d’avoir trouvé une réponse spirituelle. Encore faut-il savoir la placer au bon moment, face à la bonne personne, et dans le contexte qui s’impose. On peut s’entraîner entre amis ou même seul en lisant celles des plus illustres : Churchill, Guitry, Clemenceau, de Gaulle, Wilde, le prince de Ligne... Ou même en assistant à une pièce de théâtre de boulevard, en regardant un débat politique ou en écoutant sur Internet des archives de l’émission Les Grosses têtes de la grande époque, avec Jean Yanne et Jacques Martin. On comprendra intuitivement les nombreux ressorts sur lesquels repose l’art de la répartie.

: Votre anecdote préférée ? Et comment l’avez-vous dénichée ? J. C. : Pour mon premier livre (Anthologie de la répartie, cherche midi, 2019), j’ai consulté des centaines d’ouvrages afin de collecter les meilleures réparties prononcées par des personnages célèbres, de l’Antiquité à nos jours. Au XVIIIe siècle, il y avait des ouvrages de bons mots, très populaires, appelés anas. C’est dans l’un d’eux que j’ai découvert cette anecdote, qui, le hasard faisant bien les choses, met en scène un personnage lié à l’histoire du grand-duché : l’empereur Joseph II. Celui-ci aimait voyager incognito dans son empire, dissimulé sous les traits d’un simple valet. Un matin, alors qu’il est en train de se raser dans une chambre d’auberge, une femme de chambre venue lui apporter son eau, le questionne : « On raconte que vous êtes au service de l’empereur. Que faites-vous au juste pour lui ? ». Réponse de Joseph II : « J’ai l’honneur de le raser. »

: Pourquoi avoir accepté l’invitation d’Henri Prevost aux «Rencontres Strategiques du Manager BSPK » ? J. C. : Outre l’amabilité et le professionnalisme d’Henri Prevost, j’avais deux raisons supplémentaires d’accepter son invitation. La première c’est l’opportunité de rencontrer et d’échanger avec des décideurs du monde de l’entreprise, un univers qui m’est presque complètement étranger. Auteur/documentaliste indépendant, je travaille en solitaire, sans lien avec le milieu managérial. La seconde raison était de découvrir le Luxembourg, moi qui m’intéresse beaucoup à l’histoire des petits pays.

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