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CAPITAL
« Les billets d’un dollar n’ont absolument aucune valeur, sauf dans notre imagination collective, mais tout le monde croit au billet d’un dollar »
Yuval Noah Harari, Historien
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Photo du film Pour une poignée de dollars avec Clint Eastwood
LA CHRONIQUE DE HIGHWAVE CAPITAL
LE DOLLAR, UN PRIVILÈGE EXORBITANT !
Guerre, crise sanitaire et énergétique, inflation et intempéries boursières, malgré un contexte international tendu, le dollar caracole en tête des actifs les plus performants en 2022. Malgré les crises récentes, l’attrait pour le billet vert ne tarit pas. Est-ce une question de croyance, ou bien la valeur accordée au dollar dépend-elle de fondements plus robustes ? Explications.
Texte David Furcajg
Juillet 1944, alors que les GI’s débarquent un mois plus tôt sur les côtes normandes, et que la guerre fait rage, les alliés se réunissent à Bretton Woods, dans l’État du New Hampshire aux USA, pour fixer les contours d’une nouvelle architecture financière mondiale. Les américains, grands gagnants de la seconde guerre mondiale, vont inscrire dans le marbre leur leadership monétaire pour de nombreuses années : le plan de l’américain Harry Dexter White l’emporte alors sur celui du fameux économiste britannique John Maynard Keynes, et place le dollar au centre du système monétaire international.
Les accords de Bretton Woods prévoyaient également la création de deux institutions financières majeures: la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International. Fondés fin 1945, ils siègent à Washington. Ainsi, le système monétaire international post seconde guerre mondiale se structure largement autour des volontés américaines. Charles De Gaulle évoque alors un « privilège exorbitant » au profit des États-Unis. Visionnaire, l’histoire lui donnera raison : le dollar et l’économie américaine jouissent encore aujourd’hui d’une rente de situation issue de l’après-guerre. Principale monnaie de réserve, qui permet aux États-Unis de financer facilement l’endettement américain, le billet vert est également une arme économique alors même que la convertibilité en or du dollar est abandonnée sous l’ère Nixon, en 1971. Le dollar, monnaie du commerce international, constitue le prolongement de la politique par d’autres moyens. À ce titre, l’extraterritorialité du droit américain - les dispositions du droit américain qui s’appliquent en-dehors des frontières des États-Unis - s’exerce dans le domaine monétaire : toutes transactions ou paiements en dollars entrent potentiellement dans le radar de la justice américaine. À ce titre, la liste des procès menés contre des entreprises non américaines au cours des vingt dernières années est impressionnante et rappelle que le dollar est une arme redoutable. Principale victime française, la banque BNP Paribas avait « violé » l’embargo américain à l’encontre du Soudan, de Cuba et de l’Iran, en faisant transiter des dollars vers ces pays. Le procès qui se déroula à New York, en 2014, condamna alors la banque française à 9 milliards de dollars d’amende. En l’absence d’un réel challenger monétaire, à savoir une devise qui pourrait supplanter le rôle qu’occupe le dollar dans l’architecture monétaire internationale, l’extraterritorialité américaine et l’hégémonie du dollar se prolongeront incontestablement. Ces dernières années encore, les chocs et les crises multiples, dans les champs économiques et sanitaires, ou encore la guerre, n’affectent pas l’attrait pour le dollar qui défit toutes les lois de la gravité monétaire. En 2022, les grandes devises sont en berne, depuis l’euro jusqu’à la livre britannique ou encore le Yen japonais. Dans le même temps, le dollar a progressé de 10% et s’accorde même un match gagnant contre l’or qui affiche un rendement sensiblement négatif.
Près de 75 ans après les accords de Bretton Woods, le dollar reste la tête de proue de la toute puissance économique américaine. Non, sa valeur n’est pas une question de croyance, mais relève bien d’un écrin juridico-économique sans équivalent que nulle devise ne peut lui contester. Un privilège exorbitant, pour quelque temps encore.