Atypique

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ATYPIQUE

A

Roland Dubillard

Samuel Beckett

Jean Christophe Rufin

Albert CaMUS

Adrian Schiegl

Oliver sacks

n째1 / Automne 2012



ATYPIQUE

A

n째1 / Automne 2012

out of hand / Adrianismyname.


« On imagine assez bien un dieu, ayant créé un univers absurde, y jetant un être pensant pour voir si celui-ci trouverait un sens à tout cela. » Jacques Sternberg


Edito Voilà le ton est donné! Bienvenue dans le premier numéro de Atypique. Le premier magazine littéraire qui met en lumière les auteurs connus, contemporains ou anciens. Ils ne sont pas méchants, mais ils demandent une grande attention. En effet, l’absurde, c’est ce qui est contraire et échappe à toute logique ou qui ne respecte pas les règles de la logique. C’est les difficultés de l’Homme à comprendre le monde dans lequel il vit. C’est avant tout un degré de comique très élevé. Il signifie ce qui n’est pas en harmonie avec quelqu’un ou quelque chose, par exemple, une conduite absurde est un comportement anormal, un raisonnement absurde est quelques choses de complètement illogique. Mais à y regarder de plus près, qu’on s’attarde quelques secondes sur les textes que nous vous proposons, on y décèle une poésie, un art a part entière. Ainsi vous découvrirez à travers les textes, les joies et les malheureux de l’absurde. Encore une chose, vous avez du sûrement remarquer qu’il n’y avait pas de photos et à la place des encarts grisé. Pour notre nouveau magazine nous avons laissé champs libre à un photographe en devenir et qui a du talent, Adrian Schiegl. Celui-ci a imaginer pour rendre notre magazine plus «atypique» un concept spécial... Si vous vous attardez à la page «photographies» de l’artiste et que vous mettez la main à la pâte vous pourrez vous même placer les photos de ce jeune homme. Atypique est plus qu’un magazine, c’est un concept, un état d’esprit, à vous de le découvrir...

Chloé Michel.


Sommaire

Jean Christophe Rufin

Des murs entre les hommes 9

Oliver sacks

L’homme qui tombait de son lit 12 Les possédés 14

Albert Camus

Le cycle de l’absurde 16


atypique

A

Roland dubillard

Cherche, mon chien, cherche... 27

Samuel BecketT

En attendant godot 36

Adrian Schiegl

Photographies



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Jean Christophe Rufin Des murs entre les hommesÂ


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Les murs que les hommes dressent entre eux résistent à tout sauf au temps. Créés pour être éternels, ils ne sont que d’éphémères constructions humaines. C’est une des rares lois de l’histoire qui ne souffre pas d’exception.

Extraits de L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau et autres récits cliniques par Oliver Sacks, Éditions du Seuil, 1988.


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Pourquoi les murs ne peuvent-ils atteindre le but qu’ils se sont assigné et qui consiste à dresser durablement contre l’autre un obstacle infranchissable ? La principale raison de cet échec est à mes yeux un malentendu : ceux qui construisent ces remparts pensent qu’ils accomplissent un acte de puissance, que le mur est une manifestation de la force. En réalité, il est un signe de faiblesse. La raison d’être d’un mur, c’est la peur. Un mur est, sans qu’on en soit bien conscient, un pavillon que l’on hisse et qui proclame à tous ceux qu’il prétend retenir que notre camp est menacé. Le mur est une provocation, car la nature humaine est de vouloir immédiatement franchir cette limite posée devant sa liberté. Sitôt son sillon tracé, Romulus voit son frère l’enjamber. Cette provocation est d’autant plus forte que le besoin même de l’accomplir est un constat d’échec. Si l’on n’a pas peur de l’autre, il n’est nul besoin de le tenir à distance. Le secours d’un mur est un constat d’impuissance. À la fois chiffon rouge et drapeau blanc, le mur est le signe d’un combat perdu d’avance. Selon la qualité de la peur qui l’a fondée, un mur peut revêtir des formes différentes.

Le deuxième type de mur est plus intéressant car plus actuel et promis, je le crains, à un plus grand avenir. Il s’agit des murs qui ne séparent plus une force d’une autre force mais plutôt un lieu de puissance d’un côté et de l’autre rien ou presque. C’est le mur que l’on bâtit pour marquer le début du territoire que l’on renonce à conquérir, territoire vierge, vide ou peuplé de groupes sans force que l’on ne juge pas nécessaire de soumettre. D’un côté du mur, le citoyen, le semblable, nous; de l’autre, le vide, le sauvage, les barbares. Les empires universels de l’Antiquité ont tous marqué ainsi la limite de leur territoire. Du limes romain à la Grande Muraille de Chine, l’histoire est semée d’exemples de tels murs.

Il y a d’abord les frontières armées, celles qui séparent d’une puissance clairement identifiée, d’un ennemi organisé, égal en force, voire supérieur : ligne Maginot, mur de Berlin, mur entre les deux Corées. Ces murs sont fortement militarisés, édifiés pour résister à une attaque frontale menée « par le fer et le feu ». Ce sont des fortifications classiques qui ont probablement existé depuis l’aube des temps, dès que les hommes en troupes ont défendu leurs grottes ou leur campement avec des lignes d’épineux ou des palissades hérissées de pointes. Figure militaire statistique, la fortification a peu à peu perdu de sa raison d’être dès que la guerre est devenue une guerre de mouvement. Elle réapparaît périodiquement, mais on comprend qu’elle ne survit pas au rapport de force qui l’a créée et dont elle est, en quelque sorte, la matérialisation.

À la différence des fronts militaires, ces limes ne sont généralement pas des structures fortifiées. Ce sont plutôt des bornes, des points de contrôle et paradoxalement, des lieux d’échange. Il arrive qu’ils se renforcent, se crispent. En Europe centrale, le limes romain a fini par prendre des allures militaires. Partout ailleurs, il était plutôt frontière que front, limite que rempart. Aujourd’hui, ces murs asymétriques fleurissent de par le monde. Le long du Rio Grande entre Mexique et États-Unis, sur le pourtour méditerranéen face aux migrants venus d’Afrique, dans les steppes d’Asie centrale entre monde russe et monde sino-mongol. Les murs d’aujourd’hui empruntent à la technologie moderne leurs caractères propres − surveillance aérienne ou maritime, système de détection infrarouge, radars, tout concourt à rendre ces murs électromagnétiques plus virtuels que visibles. Ils sont pourtant là et, de temps en temps, se crispent, s’exacerbent, prennent un aspect plus matériel : ainsi le mur longtemps subtil qui sépare Israël du territoire palestinien, et qui prend désormais l’aspect d’une construction concrète de métal et de béton. L’histoire des murs, c’est la nôtre. En tirant ce fil, c’est toute l’aventure humaine qui se déploie. Affrontement, échecs, séparations, retrouvailles, les murs sont des affaires humaines. Ils sont même peut-être révélateurs de la seule chose qui compte dans le monde humain : la relation à l’autre, le désir de vivre entre soi et sa tragique impossibilité. La nécessité inéluctable de faire place à la différence et à l’altérité, nécessité qui rencontre bien des résistances – les guerres, la violence, les murs – mais qui finit toujours par triompher.


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Oliver sacks Les possédés Mon attention fut attirée par une femme aux cheveux gris d’une soixantaine d’années, qui était apparemment le centre d’un incroyable tumulte; je ne compris cependant pas tout de suite la nature de ce qui était en train de se passer et semblait si troublant.

Extraits de L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau et autres récits cliniques par Oliver Sacks, Éditions du Seuil, 1988.


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Mon attention fut attirée par une femme aux cheveux gris d’une soixantaine d’années, qui était apparemment le centre d’un incroyable tumulte; je ne compris cependant pas tout de suite la nature de ce qui était en train de se passer et semblait si troublant. Avait-elle une attaque ? Qu’estce qui la convulsionnait ainsi, et, par une sorte de contagion ou sympathie, convulsionnait aussi tous ceux qu’elle dépassait, qui se mettaient à grincer des dents et à tiquer ? Me rapprochant d’elle, je vis ce qui se passait. Elle imitait les passants – si « imitation » n’est pas un mot trop pâle, trop passif. Car, en fait, elle caricaturait tous ceux qui la croisaient. En un rien de temps, en l’espace d’une seconde, elle les « croquait » tous. Bien souvent, dans ma vie, j’avais vu des mimes et des imitateurs, des clowns et des bouffons, mais ils n’avaient aucun rapport avec l’atroce phénomène auquel j’étais en train d’assister, avec l’inquiétante faculté qu’avait cette femme de réfléchir instantanément, automatiquement et convulsivement, les visages et les silhouettes. Il ne s’agissait d’ailleurs pas seulement d’une imitation, si extraordinaire qu’elle fût déjà en elle-même, car cette femme ne se contentait pas de saisir et de faire siens les traits des passants ; elle les caricaturait. Chaque imitation était aussi un pastiche, une moquerie, une exagération des expressions et des gestes les plus marquants, exagération en elle-même tout aussi convulsive qu’intentionnelle, et résultant des violentes accélérations et distorsions de tous ses mouvements. Par exemple, un léger sourire allait devenir, sous l’effet d’une monstrueuse accélération, une féroce grimace d’un millième de seconde ; un geste large, sous l’effet d’une accélération, allait devenir un mouvement convulsif grotesque. Sur la longueur d’un petit pâté de maison, cette vieille femme forcenée caricatura frénétiquement les traits de quarante à cinquante personnes, en des imitations kaléidoscopiques rapides comme l’éclair, d’une ou deux secondes chacune, quelquefois moins, l’ensemble de ces scènes vertigineuses durant à peine deux minutes.

Il y avait aussi des imitations grotesques au second et au troisième degré, car les passants, effrayés, outragés, ahuris par ses imitations, adoptaient en retour ses expressions, lesquelles étaient à nouveau réfléchies, renvoyées, redéformées par la tourettienne, ce qui avait pour effet d’accroître encore le choc et l’indignation. Cette résonance grotesque, cette réciprocité par laquelle chacun était entraîné dans une interaction qui s’amplifiait de façon absurde, était la source du tumulte que j’avais vu de loin. Cette femme, en prenant l’apparence de tout le monde, perdait son propre soi et finissait par devenir personne. Cette femme aux mille visages, masques, personae – que pouvait-il bien se passer pour elle dans ce tourbillon d’identités? La réponse ne tarda pas à venir – et juste à temps. La tension était à son comble, tous les protagonistes de la scène approchaient du point de rupture. Soudain, la vieille femme tourna dans une ruelle adjacente. Et là, désespérément, donnant l’impression d’être violemment malade, elle expulsa, à une vitesse vertigineuse, un bref raccourci de tous les gestes, tous les airs, toutes les postures, toutes les expressions, tout le comportement des quarante ou cinquante personnes qu’elle venait de dépasser dans la rue. Elle lança une énorme régurgitation mimétique, dans laquelle elle vomit les identités engorgées des cinquante dernières personnes qui l’avaient « habitée ». Et, si l’ingurgitation avait duré deux minutes, l’expulsion, quant à elle, ne fut qu’une simple exhalation – cinquante personnes en dix secondes, soit un cinquième de seconde au maximum pour le répertoire éclair de chaque personne. Par la suite, je devais beaucoup apprendre des patients de Tourette; je passais des centaines d’heures à parler avec eux, à les observer, à les enregistrer. Pourtant, rien ne fut jamais pour moi aussi instructif, en si peu de temps et d’une façon aussi pénétrante, irrésistible, que ces deux fantastiques minutes passées dans la rue, à New York.


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Oliver sacks L’homme qui tombait de son lit Un jour, il y a des années, à l’époque où j’étais étudiant en médecine, une infirmière m’appela. Elle était dans un état de profonde perplexité et me raconta cette curieuse histoire au téléphone ...

Extraits de L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau et autres récits cliniques par Oliver Sacks, Éditions du Seuil, 1988.


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Un jour, il y a des années, à l’époque où j’étais étudiant en médecine, une infirmière m’appela. Elle était dans un état de profonde perplexité et me raconta cette curieuse histoire au téléphone : un nouveau patient venait d’arriver – un jeune homme – qu’ils avaient admis le matin même. Il avait paru très gentil, très normal, tout au long de la journée – jusqu’à ce qu’il se réveille d’un petit somme quelques minutes plus tôt. Il avait pris alors un air étrange et excité – en fait, il ne semblait plus être lui-même. Il avait trouvé le moyen de tomber de son lit et se trouvait assis par terre où il faisait des scènes, vociférait et refusait de réintégrer son lit. M’était-il possible de venir et d’essayer d’arranger la situation ? En arrivant, je trouvai le patient par terre près de son lit, regardant fixement l’une de ses jambes. Son expression était faite de colère, d’inquiétude et d’ahurissement – d’ahurissement surtout, auquel se mêlait une certaine consternation. Je lui demandai s’il pouvait retourner dans son lit ou s’il avait besoin d’aide ; manifestement bouleversé par mes suggestions, il fit non de la tête. Je m’accroupis près de lui et écoutai son histoire. Il me dit être venu ce matin-là pour faire des tests. Il ne se plaignait de rien, mais les neurologues avaient trouvé sa jambe gauche « paresseuse » – c’était exactement le mot qu’ils avaient employé – et avaient décidé de l’hospitaliser. Il s’était senti bien toute la journée et s’était endormi dans la soirée. Quand il s’était réveillé, tout allait encore bien, jusqu’à ce qu’il bouge dans son lit. Il avait alors trouvé « la jambe de quelqu’un » dans son lit – une jambe humaine coupée, une chose horrible! Il avait d’abord été stupéfait et même dégoûté – jamais il n’avait fait une expérience semblable ou imaginé une chose aussi incroyable. Puis il se résolut à tâter la jambe avec précaution. Elle semblait parfaitement normale, mais « drôle » et froide. Et, tout à coup, une idée lui était venue à l’esprit. Il avait soudain compris ce qui s’était passé : tout cela n’était qu’une plaisanterie ! Une plaisanterie plutôt monstrueuse et de mauvais goût, mais très originale ! C’était le réveillon du Nouvel An et tout le monde faisait la fête. La moitié du personnel était ivre; les bons mots et les pétards volaient  : une vraie scène de carnaval. Une des infirmières ayant sans doute un sens macabre de l’humour s’était glissée dans la salle de dissection et y avait chapardé une jambe qu’elle avait glissée sous ses couvertures pendant qu’il dormait profondément. Cette explication l’avait beaucoup soulagé ; mais cela avait beau n’être qu’une plaisanterie, elle était tout de même un peu exagérée ; il avait donc jeté ce sacré truc hors de son lit. Mais – et à ce moment-là il cessa de parler sur un ton badin, devenant blême et se mettant à trembler –, quand il l’avait jetée du lit, il l’avait suivie – et maintenant elle était attachée à lui.

— Regardez-la ! Criait-il, dégoûté. Est-ce que vous avez déjà vu quelque chose d’aussi horrible ? Je pensais qu’un cadavre était seulement mort. Mais en fait c’est étrange et même épouvantable : on dirait que c’est collé à moi! Il saisit alors sa jambe des deux mains, avec une violence extraordinaire, et essaya de l’arracher de son corps. N’y parvenant pas, il se mit à cogner dessus dans un accès de rage. — Du calme ! dis-je. Du calme. Ne cognez pas comme ça sur votre jambe. — Et pourquoi pas ? demanda-t-il avec colère, agressivité. — Parce que c’est votre jambe, répondis-je. Vous ne reconnaissez donc pas votre jambe ? Il me jeta un regard stupéfait, incrédule, terrifié, mais non dépourvu d’une certaine suspicion amusée. — Ah, docteur, dit-il, vous vous payez ma tête ! Vous êtes de mèche avec cette infirmière – vous ne devriez pas faire marcher vos patients comme ça ! — Mais non, je ne plaisante pas, dis-je. C’est bien votre jambe. Il lut sur mon visage que j’étais parfaitement sérieux – et il prit une expression terrifiée. — Vous dites que c’est ma jambe, docteur  ? Ne disiez-vous pas qu’on peut reconnaître sa propre jambe ? — Absolument, répondis-je. On doit pouvoir reconnaître sa propre jambe. Je ne conçois pas qu’on en soit incapable. Mais ne serait-ce pas plutôt vous qui essayez de nous faire marcher ? — Je vous jure que non, si je mens je vais en enfer, je n’ai pas… On doit reconnaître son propre corps, ce qui en fait partie ou non, mais cette jambe, cette chose (il frémit à nouveau de dégoût) n’est pas normale, n’est pas réelle et elle n’a pas l’air de faire partie de moi. — Mais de quoi fait-elle partie alors ? demandai-je, aussi stupéfait que lui. — De quoi fait-elle partie ? répéta-t-il lentement. Je vais vous le dire. Elle ne fait partie de rien du tout. Comment une chose pareille pourrait-elle m’appartenir ? Je ne sais pas à quoi appartient une chose pareille… Sa voix s’éteignit. Il avait l’air terrifié et bouleversé. — Écoutez, lui dis-je, ça ne va pas très bien. S’il vous plaît, laissez-nous vous remettre dans votre lit. Mais je voudrais vous poser une dernière question. Si ça – cette chose – n’est pas votre jambe gauche (au cours de la conversation il l’avait appelé une « contrefaçon » et s’était étonné que quelqu’un ait réussi à « fabriquer un « fac-similé »), alors où est passée votre jambe gauche? Une fois de plus, il devint extrêmement pâle, je crus qu’il allait s’évanouir. — Je ne sais pas, répondit-il. Je n’en ai pas la moindre idée. Elle a disparu. Elle est partie. Il faut la retrouver…


« L’absurde naît de cette confrontation entre l’appel humain et le silence déraisonnable du monde. »


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ALBERT CAMUS Le cycle de l’absurde Caligula — L’étranger — Le malentendu — Le mythe de Sysiphe —


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caligula Acte I, scène 4

CALIGULA Oui. Enfin ! Mais je ne suis pas fou et même je n’ai jamais été aussi raisonnable. Simplement, je me suis senti tout d’un coup un besoin d’impossible. Un temps. Les choses, telles qu’elles sont, ne me semblent pas satisfaisantes. HÉLICON C’est une opinion assez répandue. CALIGULA Il est vrai. Mais je ne le savais pas auparavant. Maintenant, je sais. Toujours naturel. Ce monde, tel qu’il est fait, n’est pas supportable. J’ai donc besoin de la lune, ou du bonheur, ou de l’immortalité, de quelque chose qui soit dément peut-être, mais qui ne soit pas de ce monde. HÉLICON C’est un raisonnement qui se tient. Mais, en général, on ne peut pas le tenir jusqu’au bout. CALIGULA, se levant, mais avec la même simplicité. Tu n’en sais rien. C’est parce qu’on ne le tient jamais jusqu’au bout que rien n’est obtenu. Mais il suffit peut-être de rester logique jusqu’à la fin. Il regarde Hélicon. Je sais aussi ce que tu penses. Que d’histoires pour la mort d’une femme ! Non, ce n’est pas cela. Je crois me souvenir, il est vrai, qu’il y a quelques jours, une femme que j’aimais est morte. Mais qu’est-ce que l’amour ? Peu de chose. Cette mort n’est rien, je te le jure ; elle est seulement le signe d’une vérité qui me rend la lune nécessaire. C’est une vérité toute simple et toute claire, un peu bête, mais difficile à découvrir et lourde à porter. HÉLICON Et qu’est-ce donc que cette vérité, Caïus ? CALIGULA, détourné, sur un ton neutre. Les hommes meurent et ils ne sont pas heureux. HÉLICON, après un temps. Allons, Caïus, c’est une vérité dont on s’arrange très bien. Regarde autour de toi. Ce n’est pas cela qui les empêche de déjeuner. CALIGULA, avec un éclat soudain. Alors, c’est que tout, autour de moi, est mensonge, et moi, je veux qu’on vive dans la vérité ! Et justement, j’ai les moyens de les faire vivre dans la vérité. Car je sais ce qui leur manque, Hélicon. Ils sont privés de la connaissance et il leur manque un professeur qui sache ce dont il parle.


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Acte I, scène 8

Caligula s’assied près de Caesonia. CALIGULA Je ne t’ai pas encore donné la parole. À raison de nos besoins, nous ferons mourir ces personnages dans l’ordre d’une liste établie arbitrairement. A l’occasion, nous pourrons modifier cet ordre, toujours arbitrairement. Et nous hériterons. CAESONIA, se dégageant. Qu’est-ce qui te prend ? CALIGULA, imperturbable. L’ordre des exécutions n’a, en effet, aucune importance. Ou plutôt ces exécutions ont une importance égale, ce qui entraîne qu’elles n’en ont point. D’ailleurs, ils sont aussi coupables les uns que les autres. Notez d’ailleurs qu’il n’est pas plus immoral de voler directement les citoyens que de glisser des taxes indirectes dans le prix de denrées dont ils ne peuvent se passer. Gouverner, c’est voler, tout le monde sait ça. Mais il y a la manière. Pour moi, je volerai franchement. Ça vous changera des gagne-petit. Rudement, à l’intendant. Tu exécuteras ces ordres sans délai. Les testaments seront signés dans la soirée par tous les habitants de Rome, dans un mois au plus tard par tous les provinciaux. Envoie des courriers. L’INTENDANT César, tu ne te rends pas compte... CALIGULA Écoute-moi bien, imbécile. Si le Trésor a de l’importance, alors la vie humaine n’en a pas. Cela est clair. Tous ceux qui pensent comme toi doivent admettre ce raisonnement et compter leur vie pour rien puisqu’ils tiennent l’argent pour tout. Au demeurant, moi, j’ai décidé d’être logique et puisque j’ai le pouvoir, vous allez voir ce que la logique va vous coûter. J’exterminerai les contradicteurs et les contradictions. S’il le faut, je commencerai par toi. L’INTENDANT César, ma bonne volonté n’est pas en question, je te le jure. CALIGULA Ni la mienne, tu peux m’en croire. La preuve, c’est que je consens à épouser ton point de vue et à tenir le Trésor public pour un objet de méditations. En somme, remercie-moi, puisque je rentre dans ton jeu et que je joue avec tes cartes. Un temps et avec calme. D’ailleurs, mon plan, par sa simplicité, est génial, ce qui clôt le débat. Tu as trois secondes pour disparaître. Je compte : un... L’intendant disparaît. Tiré de Caligula de Albert Camus, Éditions Gallimard, Paris, 1944.


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L’étranger Incipit du roman Aujourd’hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. J’ai reçu un télégramme de l’asile : « Mère décédée. Enterrement demain. Sentiments distingués. » Cela ne veut rien dire. C’était peut-être hier. L’asile de vieillards est à Marengo, à quatre-vingts kilomètres d’Alger. Je prendrai l’autobus à deux heures et j’arriverai dans l’après-midi. Ainsi, je pourrai veiller et je rentrerai demain soir. J’ai demandé deux jours de congé à mon patron et il ne pouvait pas me les refuser avec une excuse pareille. Mais il n’avait pas l’air content. Je lui ai même dit : « Ce n’est pas de ma faute. » Il n’a pas répondu. J’ai pensé alors que je n’aurais pas dû lui dire cela. En somme, je n’avais pas à m’excuser. C’était plutôt à lui de me présenter ses condoléances. Mais il le fera sans doute après-demain, quand il me verra en deuil. Pour le moment, c’est un peu comme si maman n’était pas morte. Après l’enterrement, au contraire, ce sera une affaire classée et tout aura revêtu une allure plus officielle. J’ai pris l’autobus à deux heures. Il faisait très chaud. J’ai mangé au restaurant, chez Céleste, comme d’habitude. Ils avaient tous beaucoup de peine pour moi et Céleste m’a dit : « On n’a qu’une mère. » Quand je suis parti, ils m’ont accompagné à la porte. J’étais un peu étourdi parce qu’il a fallu que je monte chez Emmanuel pour lui emprunter une cravate noire et un brassard. Il a perdu son oncle, il y a quelques mois. J’ai couru pour ne pas manquer le départ. Cette hâte, cette course, c’est à cause de tout cela sans doute, ajouté aux cahots, à l’odeur d’essence, à la réverbération de la route et du ciel, que je me suis assoupi. J’ai dormi pendant presque tout le trajet. Et quand je me suis réveillé, j’étais tassé contre un militaire qui m’a souri et qui m’a demandé si je venais de loin. J’ai dit « oui » pour n’avoir plus à parler.

Tiré de L’étranger de Albert Camus, Éditions Gallimard, Paris, 1942.


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Le malentendu Acte III, scène 3 MARTHA, qui a atteint la porte, se retournant brusquement. Cette folie a reçu son salaire. Vous recevrez bientôt le vôtre. Avec le même rire. Nous sommes volés, je vous le dis. A quoi bon ce grand appel de l’être, cette alerte des âmes ? Pourquoi crier vers la mer ou vers l’amour ? Cela est dérisoire. Votre mari connaît maintenant la réponse, cette maison épouvantable où nous serons enfin serrés les uns contre les autres. Avec haine. Vous la connaîtrez aussi, et si vous le pouviez alors, vous vous souviendriez avec délices de ce jour où pourtant vous vous croyiez entrée dans le plus déchirant des exils. Comprenez que votre douleur ne s’égalera jamais à l’injustice qu’on fait à l’homme et pour finir, écoutez mon conseil. Je vous dois bien un conseil, n’est-ce pas, puisque je vous ai tué votre mari ! Priez votre Dieu qu’il vous fasse semblable à la pierre. C’est le bonheur qu’il prend pour lui, c’est le seul vrai bonheur. Faites comme lui, rendez-vous sourde à tous les cris, rejoignez la pierre pendant qu’il en est temps. Mais si vous vous sentez trop lâche pour entrer dans cette paix muette, alors venez nous rejoindre dans notre maison commune. Adieu, ma sœur ! Tout est facile, vous le voyez. Vous avez à choisir entre le bonheur stupide des cailloux et le lit gluant où nous vous attendons. Elle sort et Maria, qui a écouté avec égarement, oscille sur elle-même, les mains en avant. MARIA, dans un cri. Oh ! mon Dieu ! je ne puis vivre dans ce désert ! C’est à vous que je parlerai et je saurai trouver mes mots. Elle tombe à genoux. Oui, c’est à vous que je m’en remets. Ayez pitié de moi, tournez-vous vers moi ! Entendez-moi, donnez-moi votre main ! Ayez pitié, Seigneur, de ceux qui s’aiment et qui sont séparés ! La porte s’ouvre et le vieux domestique paraît. Acte III, Scène 4 LE VIEUX, d’une voix nette et ferme. Vous m’avez appelé ? MARIA, se tournant vers lui. Oh ! je ne sais pas ! Mais aidez-moi, car j’ai besoin qu’on m’aide. Ayez pitié et consentez a m’aider ! LE VIEUX, de la même voix. Non. Rideau. Tiré de Le Malentendu de Albert Camus, Éditions Gallimard, Paris, 1944.


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Le mythe


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De sisyphe Chapitre 1

Chapitre 4

Il arrive que les décors s’écroulent. Lever, tramway, quatre heures de bureau ou d’usine, repas, tramway, quatre heures de travail, repas, sommeil et lundi mardi mercredi jeudi vendredi et samedi sur le même rythme, cette route se suit aisément la plupart du temps. Un jour seulement, le « pourquoi » s’élève et tout commence dans cette lassitude teintée d’étonnement. « Commence », ceci est important. La lassitude est à la fin des actes d’une vie machinale, mais elle inaugure en même temps le mouvement de la conscience. Elle l’éveille et elle provoque la suite. La suite, c’est le retour inconscient dans la chaîne, ou c’est l’éveil définitif. Au bout de l’éveil vient, avec le temps, la conséquence : suicide ou rétablissement. En soi, la lassitude a quelque chose d’écœurant. Ici, je dois conclure qu’elle est bonne. Car tout commence par la conscience et rien ne vaut que par elle. Ces remarques n’ont rien d’original. Mais elles sont évidentes : cela suffit pour un temps, à l’occasion d’une reconnaissance sommaire dans les origines de l’absurde. Le simple « souci » est à l’origine de tout. (…) Un degré plus bas et voici l’étrangeté : s’apercevoir que le monde est « épais », entrevoir à quel point une pierre est étrangère, nous est irréductible, avec quelle intensité la nature, un paysage peut nous nier. Au fond de toute beauté git quelque chose d’inhumain et ces collines, la douceur du ciel, ces dessins d’arbres, voici qu’à la minute même, ils perdent le sens illusoire dont nous les revêtions, désormais plus lointains qu’un paradis perdu. L’hostilité primitive du monde, à travers les millénaires, remonte vers nous. Pour une seconde, nous ne le comprenons plus puisque pendant des siècles nous n’avons compris en lui que les figures et les dessins que préalablement nous y mettions, puisque désormais les forces nous manquent pour user de cet artifice. Le monde nous échappe puisqu’il redevient lui-même. Ces décors masqués par l’habitude redeviennent ce qu’ils sont. Ils s’éloignent de nous. De même qu’il est des jours où sous le visage familier d’une femme, on retrouve comme une étrangère celle qu’on avait aimée il y a des mois ou des années, peut-être allons-nous désirer même ce qui nous rend soudain si seuls. Mais le temps n’est pas encore venu. Une seule chose : cette épaisseur et cette étrangeté du monde, c’est l’absurde.

Les dieux avaient condamné Sisyphe à rouler sans cesse un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où la pierre retombait par son propre poids. Ils avaient pensé avec quelque raison qu’il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir.

(…)

(…) On a compris déjà que Sisyphe est le héros absurde. Il l’est autant par ses passions que par son tourment. Son mépris des dieux, sa haine de la mort et sa passion pour la vie, lui ont valu ce supplice indicible où tout l’être s’emploie à ne rien achever. C’est le prix qu’il faut payer pour les passions de cette terre. On ne nous dit rien sur Sisyphe aux enfers. Les mythes sont faits pour que l’imagination les anime. Pour celui-ci on voit seulement tout l’effort d’un corps tendu pour soulever l’énorme pierre, la rouler et l’aider à gravir une pente cent fois recommencée; on voit le visage crispé, la joue collée contre la pierre, le secours d’une épaule qui reçoit la masse couverte de glaise, d’un pied qui la cale, la reprise à bout de bras, la sûreté tout humaine de deux mains pleines de terre. Tout au bout de ce long effort mesuré par l’espace sans ciel et le temps sans profondeur, le but est atteint. Sisyphe regarde alors la pierre dévaler en quelques instants vers ce monde inférieur d’où il faudra la remonter vers les sommets. Il redescend dans la plaine. C’est pendant ce retour, cette pause, que Sisyphe m’intéresse. Un visage qui peine si près des pierres est déjà pierre lui-même! Je vois cet homme redescendre d’un pas lourd mais égal vers le tourment dont il ne connaîtra pas la fin. Cette heure qui est comme une respiration et qui revient aussi sûrement que son malheur, cette heure est celle de la conscience. À chacun de ces instants, où il quitte les sommets et s’enfonce peu à peu vers les tanières des dieux, il est supérieur à son destin. Il est plus fort que son rocher. Si ce mythe est tragique, c’est que son héros est conscient. Où serait en effet sa peine, si à chaque pas l’espoir de réussir le soutenait ? L’ouvrier d’aujourd’hui travaille, tous les jours de sa vie, aux mêmes tâches et ce destin n’est pas moins absurde. Mais il n’est tragique qu’aux rares moments où il devient conscient.

Tiré du Mythe de Sisyphe de Albert Camus, Éditions Gallimard, Paris, 1942.



25

Roland dubillard cherche, mon chien, cherche...


26

UN —

DEUX

Je n’ai rien dit de semblable. —

Pas forcément un cheval. Pour me reposer ; je marche peu.

Vous trouveriez facilement un cheval qui ne marche pas. —

Non. Ce qu’il me faudrait, c’est un chien. Un chien pour me reposer, me sortir de moi, m’asseoir. Un chien qui me servirait de fauteuil. Pas pour m’asseoir dedans, bien entendu. Qui serait mon compagnon, rien de plus, quand j’aurais envie de m’asseoir. Je n’ai pas de fauteuil. Si j’en avais un, du reste, je ne m’asseyerais pas dedans, je m’asseyerais plutôt à côté. C’est une détente plutôt morale que je cherche. Dans ce sens-là un chien fera beaucoup mieux mon affaire qu’un fauteuil, pour m’asseoir à côté. D’autant que : attention ! vous parlez d’un fauteuil ! Mais qui parle d’un fauteuil, c’est nécessairement d’un fauteuil mort, qu’il parle. Car. Et s’il y a un point sur lequel je me montrerai inflexible...


27

UN —

DEUX

Alors faites-moi signe, quand vous aurez décidé ça, de vous montrer, là ! Sur un point, debout! Et inflexible en plus. Sur un point. Inflexible. Je ne voudrais pas manquer ça. —

Quel point ce doit être, pour que vous teniez tellement à vous montrer inflexible dessus ? —

Je sais me montrer inflexible, quand je sais ce que je veux. Et sur n’importe quel point que vous voudrez, à condition qu’il soit solide.

Ce point le voici. J’ai dit un chien. Je ne dis pas un chien n’importe comment. Le chien que je veux, il est absolument indispensable que ce soit un chien vivant. C’est un chien vivant que je veux…

Ça se trouve. Je pense même qu’il est beaucoup plus difficile de se procurer un chien mort qu’un chien vivant.

C’est une mauvaise idée que j’ai eue, de vous faire venir. Quand j’ai quelque chose à dire, il vaut mieux que vous ne soyez pas là.


28

UN —

DEUX

Je vous écoute. Un chien vivant. Pourquoi cette préférence ? —

J’ai besoin d’un chien vivant, parce que j’ai besoin de me reposer de vivre, parfois. Voilà. À l’opposé je ne veux pas, vous m’entendez ? Je ne veux absolument pas d’un chien qui dorme.

Non.

Je le regarderais dormir, tandis que moi, forcément, je ne dormirais pas. À ce compte-là, autant faire chambre à part. Mieux vaudrait même pas de chien du tout.


29

UN —

DEUX

Voilà déjà beaucoup d’exigences pour un seul chien, et nous ignorons toujours de quelle race. —

Savez-vous siffler ?

Je le choisirai d’une race qui lui permettra de supporter mes exigences. Passons. Entre toutes les qualités que j’apprécie chez un chien, il en est une dont je ne saurai me passer. C’est la prévenance. Je veux un chien prévenant. Qui me prévienne. Qui par exemple me surveillera quand je serai fatigué, et qui m’aboiera au nez pour m’empêcher de dormir. Prévenant, dans ce sens-là du verbe, oui ! Je le veux prévenant comme un tambour. Mais dans l’autre sens du verbe aussi, je veux qu’il me prévienne, qu’il prévienne mes pas, qu’il me précède dans mes intentions. J’ai donc absolument besoin d’un chien qui aille plus vite que moi. Pour être sûr, j’aimerais qu’il sache courir.


30

DEUX —

UN

Taisez-vous. Attention, attention : je ne veux pas le nourrir moi-même. S’il a faim, il faudra qu’il se trouve tout seul et ailleurs quelque chose d’autre à manger. Je veux dire : quelque chose d’autre que moi. Maintenant : en ce qui concerne les rapports de mon chien avec l’eau, il faudra qu’ils les aient en dehors de ma baignoire. J’aime un chien qui n’aime pas se baigner. Je ne veux pas courir le risque de me trouver nez à nez avec lui dans mon bain. Je tiens beaucoup à ce que mon chien soit symétrique. Par rapport à un plan qui le traverserait de la tête à la queue. Je ne supporterai pas un chien symétrique par rapport à un point, c’est-à-dire un chien d’apparence sphérique, qui passerait son temps à rouler sous les meubles. S’il s’était mis en tête, depuis son enfance, de devenir un chien sphérique, tant pis pour lui. Il devra consentir à ce sacrifice. Je serai bon avec lui. Pour adoucir ses regrets, je lui achèterai un ballon, qu’il fera rouler, et dans lequel il pourra se regarder avec complaisance, comme dans un miroir convexe où son image lui semblera revêtue d’illusoires rondeurs. Il en sera consolé pour un temps. Mais enfin, il faudra bien qu’il en vienne à s’assumer dans son objectivité. Je tiens à ce que mon chien soit un chien symétrique de part et d’autre d’un plan, un demi-chien à droite, un demi-chien à gauche.

Avez-vous pensé à la symétrie par rapport à un axe longitudinal? J’ignore si elle existe chez les chiens ; je précise : chez les chiens vivants.


31

DEUX —

UN

Je crois qu’à ce chien symétrique par rapport à une tringle, je préférerais encore le chien sphérique. Me voyez-vous traînant derrière moi dans les rues ce boudin vivant, de forme allongée, et dont les yeux répartis circulairement autour de leur axe me regarderaient, tournoyant ; à la circonférence du museau plat et rond comme une assiette de Limoges ? Croyez-vous que l’on puisse tolérer la compagnie de ce boudin palpitant, conçu pour arracher des larmes à tout cœur un peu pitoyable ? De ce cylindre semblable à un long rosbif, un rosbif vivant, quelle horreur, un rosbif. Et le soir s’enroulant dans mes tapis, m’hypnotisant de la rotation de ses milliers d’yeux ? Car moi, si je le veux symétrique à un plan mon chien, c’est pour qu’il ait deux yeux, pas un de plus. Deux yeux que je pourrai regarder avec les deux miens. Car, voyez-vous, c’est cela que je n’arrive pas à comprendre : pourquoi les chiens nous regardent-ils si spontanément dans les yeux ? Comme si c’était naturel.

Et nous aussi, cher ami, nous les regardons dans les yeux...

Tiré de Les nouveaux diablogues de Roland Dubillard, Éditions Gallimard, Paris,1998.


Adrian Schiegl

18. Caligula - not good enough

20. l’étranger - exist

22. Le mythe de sysiphe - missing

22. Le mythe de sysiphe - skinny soul

13. Les possédés - the imitator


Photographies

15. L’homme qui tombait de son lit - blanck

11. des murs entre les hommes - the wall

21. Le malentendu - splitted

17. le cycle de l’absurde - inside


biographie Auteurs

Jean Christophe Rufin (1952–) Jean-Christophe Rufin est un médecin, globe-trotter, écrivain et diplomate français. Docteur en médecine, diplômé de l’Institut d’études politiques, il possède une connaissance de terrain sur l’humanitaire : président d’Action contre la faim, ancien administrateur de la Croix Rouge française et ancien vice-président de Médecins sans frontières, son discours sur ce secteur économique est assez critique. Il a passé plus de vingt ans de sa vie à travailler pour les ONG à travers le monde. Ces expériences l’ont conduit à examiner le rôle des ONG dans les situations de conflit, notamment dans l’essai Le Piège humanitaire (1986), et dans son troisième roman, Les Causes perdues (1999). Ses romans d’aventures, historiques, politiques, sont de la veine des récits de voyage et d’anticipation. Il a été élu membre de l’Académie française en 2008.

Oliver sacks (1933–) Oliver Sacks, neurologue et écrivain, décrit dans L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau (1985) les affections les plus bizarres, celles qui atteignent un homme non seulement dans son corps, mais dans sa personnalité la plus intime et dans l’image qu’il a de lui-même. Profondément humaniste, il essaie de percevoir ces affections non comme un manque, mais comme une différence enrichissante, l’être humain ayant une incroyable capacité d’adaptation à des accidents aussi graves que des lésions cérébrales. Il nous fait pénétrer dans le monde intérieur du patient, et nous voyons les choses par ses yeux : nous suivons la façon dont il s’est adapté à son mal, ainsi que les tentatives du Dr Sacks pour comprendre et améliorer la situation. Tentatives aussi pour poser les jalons d’une médecine nouvelle, plus complète, qui, traitant le corps, ne refuserait pas de s’occuper de l’esprit, et même de l’âme.

Albert Camus (1913–1960) Albert Camus est un écrivain, journaliste, philosophe et dramaturge français, né en 1913 en Algérie et mort en 1960 en France. Résistant pendant la Seconde Guerre mondiale, il ouvre avec Le mythe de Sisyphe le « Cycle de l’absurde », qui développe dès 1942 ses réflexions sur la perte de sens de l’existence humaine face au rejet des dogmes religieux et aux catastrophes humaines de cette première moitié du XXe siècle, des massacres de 14–18 à l’occupation nazie. Dans la même veine, le roman L’étranger, ainsi que les pièces de théâtre Le malentendu et Caligula, viendront illustrer sa pensée de l’absurde dans plusieurs genres littéraires. En 1957, le prix Nobel est décerné à Camus pour son œuvre et ses combats.


Roland dubillard (1923–2011) Roland Dubillard est un auteur dramatique, acteur et poète français. À la base écrits pour la radio, ses Diablogues seront ensuite adaptés pour la scène, où leur humour déroutant et loufoque leur vaudra un grand succès. Emprunts d’une fausse nonchalance, ses personnages s’empêtrent comme à dessein dans les mots les plus simples : la phrase la plus banale provoque des catastrophes en chaîne de malentendus, ouvre des gouffres d’incompréhension et déclenche un vertige majeur: car il n’y va pas d’autre chose, dans cette œuvre apparemment bafouillante et incontrôlée, qu’une interrogation essentielle sur l’identité.

Samuel BecketT (1906–1989) Samuel Beckett est un écrivain, poète et dramaturge d’origine irlandaise. D’abord auteur d’un série de roman qui déconstruisent les notions de personnage et d’intrigue, il est surtout célèbre pour ses pièces de théâtre, notamment En attendant Godot, qui illustre la difficulté de communication et la cruauté entre les êtres humains. Les deux sans-abri Vladimir et Estragon deviendront les célèbres figures de clowns tristes, dans l’attente interminable et vaine d’un secours du destin. Allant vers toujours plus d’austérité, il ne se départira pas, dans toute sa carrière, d’un humour grinçant associé à un pessimisme certain. Il reçoit le prix Nobel de littérature pour son œuvre en 1969.

Adrian Schiegl (1993–) Adrian Schielg, de son pseudonyme: Adrianismyname, est un jeune photographe talentueux. D’origine autrichienne, et vivant maintenant en Australie, il prend des photos depuis plus d’un an. Il pourrait vous parler de musique toute la journée, une de ses sources d’inspiration. Il a besoin de créer car il ne peux garder une idée en tête bien longtemps dans son esprit. Quand il fait quelque chose, c’est pour une période courte et excessive, il se donne à fond. Il aime aussi comprendre ses choses qu’il a en tête et qu’il veut exprimer. C’est pourquoi il est à la recherche de réponses dans les livres de philosophie. Mais il semble qu’il n’ai trouvé que peu de réponse à ses questions. Ainsi s’est-il lancé dans les absurdités du monde, pour peut-être trouvé les réponses qu’il cherche tant...


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