Mémoire d'architecture. Métamorphoses des métropoles arabes, Le Caire. PARTIE 1/4

Métamorphoses des métropoles arabes

Je tiens, tout d’abord à remercier Nils Le Bot, directeur de recherche de ce mémoire. Je le remercie pour sa grande disponibilité et toutes les clés qu’il m’a transmise pour mener à bien ce travail. Je le remercie pour tous les échanges qui ont enrichi cette recherche.

Merci à Monika, Marie, Noa, Ömer, Cyrille, Samia et Nathan pour m’avoir relu et pour m’avoir apporté leur aide précieuse à la rédaction de ce mémoire.

Un grand merci à ma famille, merci à Hanane, Marianne, Catherine, Marie qui m’ont énormément soutenu.

Merci Samir pour m’avoir accompagné en Égypte. Merci à mes oncles pour leurs implications et leur bonne humeur.

dans ce travail, ont apporté une contribution directe ou indirecte à sa réalisation.

SOMMAIRE AVANT-PROPOS INTRODUCTION

1. UNE GRANDE ATRACTIVITÉ DE LA CAPITALE EGYPTIENNE LA RUEE VERS LA CAPITALE

1.1 Une attractivité soudaine du Caire, raisons et effets sur la capitale

1.3 Une incapacité d’accueil, une réponse politique lente et désorganisée

1.4 Une réponse citoyenne, les ashwa’iyat

2. DÉCENTRALISER L’HÉGÉMONIE CAIROTE

D’UNE REPONSE SOCIALISTE A UNE OUVERTURE NÉOLIBÉRALE

2.1 La réponse socialiste schéma directeur de 1956 – cités nassériennes

2.2 Une politique troublée par la guerre, schéma directeur 1970 – villes nouvelles étranger, schéma directeur de 1981 – new settlements

2.4 Le plein pouvoir sur le désert par les organismes privés, la réponse néo-libérale – années Moubarak

urbaine ?

2.6 L’état actuel de la politique des villes nouvelles – 1ère, 2ème, 3ème et 4ème génération

2.7 Les métropoles arabes et la mondialisation – « global Dubaï ou Dubaïsation » ?

3. WEDIAN CITY, UNE NOUVELLE CAPITALE ADMINISTRATIVE EN CONSTRUCTION

3.1 Caractérisation d’une ville nouvelle en Égypte – étude de cas de Sheikh Zayed (Al Jeera compound), New Cairo (ElRehab)

3.2 Sheikh Zayed - Jeera compound

3.3 New Cairo - El-Rehab 3.3.3 Un modèle tout-automobile

SHEIKH ZAYED

6TH OCTOBER

15TH MAY

AVANT-PROPOS

questionné mon territoire natal.

J’ai alors voulu le regarder de plus près avec le nouveau regard

J’ai un attrait tout particulier à la compréhension des formations d’un territoire. J’éprouve une grande satisfaction à connaitre les

à poser question dans un environnement urbain et de repenser leur intégration. Le cas des villes nouvelles cairote est particulier car elles ont été pensées sans relation avec Le Caire pour éviter d’être phagocytée par cette dernière. A terme, ces nouvelles aires urbaines dans le désert seront amenées à communiquer avec leur ville-mère, et à ce moment-là il faudra penser leur intégrer au tissu cairote.

incontrôlée et qu’elle était constamment proche d’un point de plus près.

que ce soit mon pays natal. J’ai été très surpris de voir l’ampleur des dégâts que peuvent causer des idéologies politiques. Je ne pensais pas que le célèbre désordre cairote était le fruit d’une cacophonie politique.

et de ces aspirations à comprendre les territoires vécu.

INTRODUCTION

« Sortir de l’étroite vallée [du Nil] et se déployer, de manière nécessité incontournable. Face à ces constats, la conquête

faut, ce n’est pas un exode symbolique vers le désert, mais une reconsidération complète de la répartition de la population à travers le pays. »1

L’Égypte, depuis quelques décennies concentre tous ses efforts à

Le Caire, par ses problématiques, témoigne de son pouvoir centripète. Elle concentre à elle seule 20% de la population totale égyptienne et 35% de la population urbaine.

tourments. L’Égypte mène cette conquête du désert de manière assumée et quasi-obligatoire.

Les problématiques Cairotes sont devenues incontrôlables durant

entrainé le pays vers un chaos certain. La population a augmenté de 600% en un siècle passant de 15M d’habitants à 105M2. Les désordres du Caire sont bien connus : congestion, densités record, quartiers informels.

des terres agricoles qui garantissaient la souveraineté du pays. La population, qui se retrouve sans réelle réponse politique, a été contrainte de se débrouiller et d’apporter des solutions par elle-même. De multiples quartiers informels ont surgi des terres agricoles entrainant une paralysie politique, qui ne savait pas

November 1997, p. 2.

comment considérer et intégrer ces fronts bâtis au territoire

évoquée comme une étroite vallée le long du Nil. La totalité de la population égyptienne est installée sur seulement 4% du territoire, les 96% restants ne sont que des vides désertiques.

La géographie égyptienne fait que le désert n’est pas un environnement hostile comme nous pourrions l’entendre. Contrairement à ses voisins nord-africains, le désert fait partie

L’Égypte ne peut tourner le dos à ces vastes réserves foncières qui pourraient, en apparence, apporter des réponses à toutes les problématiques que pose son développement urbain.

La ville nouvelle paraît inévitable pour soigner Le Caire.

Depuis maintenant 60 ans, le développement des terres désertiques occupent les discours politiques. L’Égypte voit le

est possible. Une nouvelle vie loin du chaos et des désordres cairotes. Le développement du désert est vu comme, étroitement lié au développement d’une Égypte moderne, renouvelée et restructurée.

Les tentatives menées dans le désert se comptent par dizaine, malheureusement aucune n’a apporté de grande réponse et le désert est la solution.

Ce qui serait intéressant, c’est de regarder qu’est-ce que le gouvernement égyptien construit dans le désert et voir si ce qui Caire.

Cette période de construction massive dans le désert est corrélée

lancé par le président Al-Sadate guide l’Égypte vers un dessein

une décennie plus tard.

L’Égypte à travers Le Caire veut se montrer au monde, souhaite touristique.

Figure 2.

Figure 3.

L’Égypte cherche à attirer le regard mais aussi les richesses économiques. C’est alors qu’elle verra le désert comme l’élément

en plus d’être le possible remède du Caire, le terrain politique d’une nouvelle Égypte mondiale, mondialisée et puissante.

économiques que l’État cherche à véhiculer.

Tout d’abord, qu’est-ce qu’une ville nouvelle ?

La ville nouvelle est un noyau urbain, en périphérie ou non, de grandes villes, fruit d’une politique volontariste. La ville nouvelle permet de partir d’une page blanche pour essayer des modes rêvée.

En Égypte, la ville nouvelle est vue différemment. La ville nouvelle

représente l’ordre, le calme, tout ce que nous ne retrouvons pas au Caire. La ville nouvelle égyptienne cherche à rompre avec sa

les problèmes du Caire actuellement.

Dans cette lignée, l’Égypte, sous l’égide du président actuel, AlSissi s’est entreprise de se lancer dans le chantier d’une nouvelle capitale administrative (NAC).

kilomètres à l’est de la capitale actuelle. Notre but sera de saisir

Son ambition va au-delà des problématiques cairotes. L’Égypte se cherche une stature mondiale et utilise l’architecture et l’urbanisme

et émiratis qui grâce à leurs architectures spectaculaires, ont réussi à assouvir leurs ambitions économiques.

Comment ont-ils réussi à devenir des villes mondiales ? Les villes du golfe persique ont fait appel à un urbanisme spectaculaire et instantané faisant usage de superlatif ; « le plus grand… ».

L’Égypte souhaite se hisser au même rang que ces nations qui ne partent de rien et qui se construisent une réputation et une image

Yasser Elsheshtawy nommera la « Dubaïsation » des métropoles arabes. L’essor et le dynamisme économique des Émiratis sont remarqués dans le monde entier qu’on parle de « modèle Dubaï »3

consommations et des ventes. L’architecture permet de fabriquer une image, elle peut devenir le symbole d’une nation. L’urbanisme

Nous vivons peut-être l’instant d’une société qui ne veut que d’urbanisme s’aligne sur tous ces codes.

Le gouvernement égyptien décidera alors de délaisser, petit à

La soif d’une posture internationale a permis un laisser-faire dans la production urbaine.

Le désert est le théâtre qui pourrait voir naître le spectacle que le

Quelles problématiques et quels enjeux les nouvelles aires urbaines du désert égyptien convoquent-elles ?

Cette recherche souhaite retracer le spectre des politiques

en 1952. Elle a pour ambition de comprendre les dynamiques de conception urbaine en Égypte.

Nous choisissons de débuter en 1952 car, c’est à partir de cette -

ledge, 251 p.

Avant cette date, les politiques en place menaient plutôt des actes d’embellissements et de restructuration sans grand massif. Dans un premier temps, nous ferons un constat, un état des compte du frein géographique qu’est la vallée du Nil face à également l’occasion d’aborder l’immense réseau informel qui s’est constitué tout autour de la capitale et qui en fait le principal

Ce premier temps permettra d’avoir une vue d’ensemble sur les

Dans un second temps, nous mènerons une analyse historique, post-révolution, dans le but de comprendre quelles ont été les attitudes politiques qui ont encouragé un désordre urbain incontrôlable dans la capitale. Cette période est constituée de diverses orientations politiques – d’un socialisme prôné par le président Nasser à un néolibéralisme enclenché par Moubarak et poursuivi par Al-Sissi avec un activisme sans pareil.

désert pour comprendre leurs caractéristiques et y déceler des permanences structurales prédominantes. La gated community

ses tenants et aboutissant pour comprendre ce qui se construit

Zayed, ville nouvelle de 2ème génération à l’ouest du Caire ainsi que New Cairo, ville nouvelle de 3ème génération à l’est. Nous analyserons plus précisément 2 gated communities qui nous permettront d’avoir un large spectre sur la politique de la ville nouvelle égyptienne. Nous regarderons la gated community sous l’angle de la privatisation spatiale qu’elle engendre ainsi

dans la NAC.

MÉTAMORPHOSES DES MÉTROPOLES ARABES : LE CAIRE AU SEIN D’UNE FABRIQUE URBAINE GLOBALISÉE | 17

1 UNE GRANDE ATTRACTIVITÉ DE LA CAPITALE ÉGYPTIENNE La ruée vers la

capitale

4,4 milliards.4 Un chiffre peut être anodin de prime abord. certaines nations de ce monde.

En 2007, pour la première fois de l’histoire de l’humanité, la population urbaine est plus importante que la population rurale (FNUAP Fonds des Nations Unies). Certaines mégapoles, ayant

L’ONU prévoit un accroissement de la population urbaine, qui atteindrait son apogée en 2050 avec 6.7 milliards de personnes vivant dans les villes.5

En Afrique, ce phénomène serait plus soutenu car l’on estimerait que la population des villes africaines triplerait d’ici cette échéance – 1,3 milliard d’Africains vivront dans les aires urbaines, soit 21% de la population urbaine mondiale.6

un poids prépondérant dans les décisions économiques. Les impacts peuvent être à l’échelle du pays et pour d’autres de tout un continent. ce mouvement, elles deviennent des polarités attractives, dans

revanche, les réserves immobilières sont, elles, limitées et régies par la temporalité de leurs constructions. Ce décalage de temporalité crée une pression foncière dans les centres urbains. La plupart ne pourront pas habiter tout près de leurs centres d’intérêts. Les gouvernements essayent d’apporter certaines réponses, en

4 Estimations de la Banque mondiale utilisant les perspectives de l’urbanisation Contested Future of Urbanisation, Urban Studies 55/6 (2018), 1223–1241: 1224.

Malheureusement, d’autres nations n’arrivent pas à répondre à modestes se débrouillent et bâtissent leurs habitations dans les espaces disponibles pour répondre à un besoin immédiat.

pauvreté

Marcuse et van Kempen, dans Globalizing Cities, appelleront « tower and the citadel ».7

7 MARCUSE Peter, VAN KEMPEN Ronald, éd. Globalizing Cities : A New Spatial

1.1. UNE ATTRACTIVITÉ SOUDAINE DU CAIRE, FRUIT DES CHOIX POLITIQUES

décennies, ce qui a entraîné un bouleversement total de son paysage urbain. Nous verrons que les gouvernements qui se sont succédé, ont tenté d’apporter plusieurs réponses pour contenir mondiales ont connu ce phénomène, mais, le cas égyptien est tout particulier et témoigne du pouvoir centripète qu’à Le Caire sur toutes les autres villes égyptiennes voir même de manière plus d’opportunités qu’elle offre.

L’Égypte couvre environ 1 million de kilomètres carrés sur le métropolitain. Sa particularité est que 96% de son territoire est inoccupé. Les Égyptiens occupent intensément la vallée et le delta

voie de coalescence, la rurapolis, qui s’étire de part et d’autredu

La coalescence, en géographie, est un modèle de forme urbaine –c’est une formation linéaire de plusieurs grandes villes qui forme une conurbation.9 de plus près les images satellites égyptiennes. Tout le delta du Nil est parsemé de petites villages ou villages. Ces urbanités s’étalent pour se rapprocher les unes des autres.

Nil en raison de la géographie particulière du pays. En effet, au développement de la vie humaine sont toutes concentrées le long du Nil. La géographie égyptienne est marquée par un désert aride. Le désert libyque, situé au sud-ouest du territoire égyptien, est même considéré comme la partie la plus aride du Sahara. La pluviométrie du pays est très disparate, allant

société avant révolution. Éditions Sindbad-Actes Sud, pp.1200, 2011, coll. page 77.

de 5 millimètres à Assouan (sud de l’Égypte). Nous comprenons rapidement pourquoi ce pays est très dépendant du Nil, et pourquoi les Égyptiens s’en rapprochent le plus possible. Le Nil est le seul apport hydrique.

économique du pays, avec les quelques 105 millions d’égyptiens qui en dépendent. Cette rareté et la croissance démographique, du niveau de stress hydrique conventionnel11 de 1 000m3/hab/an avec une disponibilité de l’ordre des 637m3/hab/an12. La croissance démographique impacte les ressources d’eau disponibles mais, son usage serait aussi responsable d’un retrait net des ressources disponibles.

Le Nil est, par ailleurs, une ressource très convoitée, en amont du ce que le Soudan et l’Égypte voient d’un mauvais œil13. L’Égypte

éthiopiens14

10

société avant révolution. Éditions Sindbad-Actes Sud, pp.1200, 2011, coll. page 79.

11 Le stress hydrique ou indicateur Falkenmark mesure les zones touchées par le manque d’eau. Cette mesure se fait m3/hab/an. Des seuils indiquent le niveau de stress hydrique, dans notre cas, l’Égypte est confrontée au seuil « rareté de l’eau ».

12

duction, Volume 198, 2018, Pages 1526-1535.

13

raison d’une crainte d’une diminution des débits d’eau dans les pays tributaires de cette 14

theast African Studies 6, n°1(1999) : 141-69. https://doi.org/10.1353/nas.2002.0002.

1.2 UNE DÉMOGRAPHIE EXPONENTIELLE

Ainsi, la démographie est au centre de toutes les discussions politiques. Nous verrons qu’elle a été le point de départ et la raison pour laquelle l’État égyptien s’est empressé de trouver une de logements.

En l’espace d’un siècle (1925 – 2021), la population égyptienne a augmenté de 600% passant d’environ 15 000 000 d’habitants à plus de 105 000 00015 actuellement.

Éric Denis, docteur en géographie, directeur de recherche au CNRS établi un parallèle avec les Pays-Bas dans qui nous permet

Toute la population égyptienne se concentre dans un territoire aussi vaste que celui des Pays-Bas, soit environ 41 000 kilomètres carrés. L’Égypte compte environ 6 fois plus d’habitants que ce

« La seule augmentation absolue de la population égyptienne durant la dernière décennie (1996-2006), soit 13,3 millions de personnes, est équivalente à la population totale des Pays-Bas en 1970 (16 millions en 2006) et à celle de l’Egypte en 1920 ! »16

dire que tous les 30 ans, la population est multipliée par 2.

les chiffres en témoignent et rendent compte de l’ampleur. De 3 millions d’habitants en 1950 à plus de 22 millions – en prenant en compte le Grand Caire – la capitale centralise plus de 20% de la population totale égyptienne.

17 en Égypte est tardif, il commence durant les années

société avant révolution. Éditions Sindbad-Actes Sud, pp.1200, 2011, coll. page 80.

rurales à destination des villes, motivé par la recherche d’un travail ou de meilleures

MÉTAMORPHOSES DES MÉTROPOLES ARABES : LE CAIRE AU SEIN D’UNE FABRIQUE URBAINE GLOBALISÉE | 25

administratives des Pays-Bas

la vallée du Nil dans laquelle nous

croissance démographique, les changements politiques mais aussi l’urbanisation croissante du pays.

Libres18 guidés par Gamal Abdel Nasser, président de la République arabe d’Égypte de 1954 à 1970, qui ont renversés la monarchie de

ans. Nasser transforme le régime monarchique en une république présidentielle et mena une politique socialiste visant à reformer l’Égypte.

Le gouvernement égyptien a encouragé la migration, malgré lui, en cherchant à embellir la capitale. La création d’un bon nombre d’industries au sein et autour de la capitale a créé des opportunités économiques bien trop grandes pour être ignorée.

Le schéma directeur de 1956, que nous regarderons plus vocation industrielle à une trentaine de kilomètres autour du Caire – industries agro-alimentaires, du cuivre, du sucre entre autres.

Ces concentrations dans les centres urbains ont donné lieu à un étalement important sur des terres agricoles, qui elles, sont très limitées. Nous estimons la perte de terres agricoles à plus de 30 000 hectares par an dans la région du delta du Nil en raison

poussés à les quitter en raison de l’augmentation des coûts de été confrontés à des problèmes d’irrigation et à une mauvaise gestion des ressources en eau, ce qui a rendu leur travail encore

Les zones rurales en Égypte ont été fortement négligées par les pouvoirs publics, qui ont préféré concentrer leur attention et

troupes britanniques de se retirer de la capitale et du Canal de Suez.

leurs investissements sur les villes. Cela a entraîné un manque de développement économique et de modernisation dans les zones rurales. De fait, la population commence à quitter ces régions pour trouver des opportunités ailleurs.

« L’urbanisation est étroitement liée à la migration. Les processus d’urbanisation créent des inégalités dans le développement incitation naturelle à la migration. Autrement dit, les déséquilibres vers des zones plus développées qui offrent des salaires plus

La migration interne est comme un effet boule de neige que l’état égyptien a fortement négligée. Le Caire n’était absolument pas préparé à absorber la quantité considérable migrant en son logements, d’équipements et infrastructures. La population urbaine égyptienne est passée de 24.4 millions en 1990 à 43.7 millions en 2021, plus de 44% de la population vit

1.3 UNE INCAPACITÉ D’ACCUEIL, UNE RÉPONSE POLITIQUE LENTE ET DÉSORGANISÉE

de migrants au Caire. Elle ne dispose pas d’infrastructures, d’équipements ni de logements nécessaires à l’accueil de cette migration soudaine. C’est alors que les personnes qui se retrouvent dans l’incapacité de se loger, se tournent vers d’autres moyens : les quartiers informels, nommés les

La plupart de la périphérie cairote est investie par des quartiers bâtis de manière illégale. La construction illégale est le premier moteur d’urbanisation égyptien.

Pour chiffrer ce mode d’urbanisation, il abrite plus de 65% des

tout de même présente. Selon Éric Denis dans une grande

et c’est la capitale qui en fait les frais.

1950. Ces migrants étaient attirés par le dessein économique et tente alors d’endiguer cette urbanisation illégale et incontrôlée en proposant des (logements populaires) mais, la politique socialiste n’est pas à la hauteur et n’arrive pas à répondre

Les guerres israélo-arabes de 1967 et 1973 ont fait cesser tous les investissements des pouvoirs publics en lien avec la construction

dans la région du Grand Caire sont des constructions illégales (ABT et al., 1982).

C’est d’ailleurs durant cette décennie que la phase d’urbanisation est la plus importante. C’est aussi durant cette décennie que le président Sadate lancera la politique des villes nouvelles avec le Schéma Directeur de 1982.

La politique urbaine n’est pas à la hauteur ni même en adéquation avec la demande réelle des cairotes. Ces villes nouvelles sont très éloignées des centres (50km de la capitale) et prônent le tout automobile.

Pour rappel, l’Égypte a un ratio car/people20 Data, 2021), à titre de comparaison la France a 668 véhicules pour 1000 habitants. Durant les années 1990, ce chiffre était d’autant plus bas, comptant 27 véhicules pour 1000 habitants (S.L & K.P.B

que comprendre la réticence d’aller habiter des espaces aussi éloignés de la capitale.

1.4 UNE RÉPONSE CITOYENNE, LES ASHWA’IYAT

véritable normes », « spontanés », il désigne les quartiers

des pouvoirs publics à construire des logements. En Égypte, les ont surgi dans les villes, en particulier au Caire, à 1960 et 1970 comme nous venons de le voir.

Ces quartiers sont généralement constitués en dur, en béton, en briques rouges, construites sans autorisation et sans respecter les normes de construction.

logement dans les quartiers formels et qui se tournent vers les terres à cultiver à terrains à bâtir. Très souvent, nous y retrouvons des balcons, plus ou moins investis par les habitants.

des sols et l’alignement des bâtiments.

Nous nous retrouvons très vite avec des rues très étroites, ne dépassant pas les 4 mètres de large, des immeubles hauts dépassant souvent la dizaine d’étages.

Ce qui pose aussi un problème, c’est l’absence de titre légal de propriété. Les transactions sont effectuées entre le constructeur de l’immeuble et le futur acquéreur, les pouvoirs publics n’en ont retrouve vite freiné, car parfois, il n’a même pas connaissance de

l’élargissement et le raccordement nord-ouest de la Ring Road

tout bonnement impossible. Rien n’indique qui est propriétaire, de quoi est-il propriétaire ni depuis quand il en est propriétaire.

L’État se mettait alors à indemniser les habitants pour permettre

Les ont accentué et accéléré le grignotage des terres agricoles, limitées en Égypte en raison de la géographie du pays. En voyant ce grignotage incontrôlé et accéléré, l’État tente d’endiguer ces constructions informelles en interdisant l’urbanisation de ces dernières à l’aide de la loi n° 53 de 1966.22 Elle n’aura que peu d’effets tant la demande de logements est grande.

Les sont vues comme des quartiers pauvres et sont souvent confrontées à des problèmes de surpeuplement, de manque d’infrastructures et de services de base tels que l’accès

L’absence d’offre immobilière ne laisse pas de grande possibilité de se loger ailleurs dans la capitale.

très peu ou pas entretenues en raison d’un manque de moyens. Néanmoins, au fur et à mesure du remodelage de ces derniers, les cadre de vie de chacun. Cependant, malgré leurs présences, ces massif sur des lignes électriques.

Ce qui renforce cette sensation de pauvreté sont les infrastructures

comme les revêtements des routes ou le service de ramassage des déchets. Les routes ne sont que très peu asphaltées dans ces

ping the Legal Framework Governing Urban Development in Egypt, p.40. « Aucun bâtiment ou établissement ne peut être construit sur des terres agricoles et aucune procédure ne doit être prise à l›égard de la division de ces terres pour y construire des bâtiments. »

quartiers (bien évidemment, ce n’est pas une généralité), elles ne sont pas lisses et cela rend la circulation automobile lente et dans ces zones, qu’ils appellent m’kassar, pour ne pas abîmer leurs véhicules.

Nous pouvons alors parfois tomber sur des montagnes de

d’assainissements.

23, nous découvrons qu’ils sont porteurs d’une hétérogénéité sans pareil. Effet accentué dès lors que nous d’habitations de classes moyennes, de fonctionnaires, d’ouvriers, mais aussi de familles modestes.

dans le supérieur sont sensiblement les mêmes que dans les pas – du moins pas dans les chiffres – mais c’est plutôt une règle

2006)24

»

services primaires nécessaires. 23

24

SEJOURNE Marion, Les politiques récentes de «traitement» des quartiers illé-25

118). Éditions Sindbad-Actes Sud, pp.1200, 2011, coll.

2 Décentraliser l’hégémonie cairotE

d’une réponse socialiste à une ouverte néo-libérale

cairotes, de Gamal Abdel Nasser (1954 – 1970) en passant par Anouar El-Sadate (1970 – 1981), Hosni Moubarak (1981 – 2011) et Abdel Fattah Al-Sissi (2014 –), tout le paysage politique a accordé volonté commune : moderniser la capitale égyptienne pour lui donner une réelle stature nationale mais aussi internationale.

au sein de la capitale (El Kadi, 1990).

Libres – c’est-à-dire 1952 – car c’est durant cette période que le nouvelle naît. Dès lors, les politiques égyptiennes accorderont une mondiales qu’il y a une tendance de la ville nouvelle, Chandigarh et Brazilia en auront inspiré plus d’un.

Partir d’une page blanche pour ne pas reproduire tout le désordre urbain que l’on peut trouver au Caire séduit toutes les politiques de

de se frayer une place parmi les plus grosses agglomérations mondiales.

La période 1850-1950 a été traité par Mercedes Volait, directrice de recherche au CNRS et architecte de formation, dans « 18501950, un siècle d’aménagements urbains au Caire », Les Cahiers

2.1 LA RÉPONSE SOCIALISTE SCHÉMA DIRECTEUR DE 1956 – CITÉS NASSÉRIENNES

Au lendemain de la révolution, dès 1953, plusieurs organismes de une stratégie de développement économique sur tout le territoire égyptien. Un des organismes réunissait environ une trentaine de professionnels d’urbanisme, d’architectes, d’ingénieurs et dessinateurs qui décideront d’établir des schémas directeurs pour l’ensemble des villes égyptiennes, à commencer par Le Caire. (El Kadi, 1990)

Très rapidement, un programme sera publié dans lequel 11 points seront considérés comme prioritaires au développement

l’industrialisation26. Nous avons vu que c’était en parti ce point-là décennies 1960-1980.

Le nouveau pouvoir présidé par Gamal Abdel Nasser voulait mettre la main sur la réalité urbaine du territoire égyptien, qui

d’avoir une palette complète de la compréhension des tendances

« […] l’industrie comme moyen de développement et de redéploiement de la population. » 27

Dès 1956, alors que la croissance démographique était plutôt faible, du moins relativement moins qu’à la décennie 70-80, nous population du Caire.

26

27 Schéma Directeur de 1956

ABDEL MALEK Anouar, L’Egypte société militaire, Paris, Seuil, 1965.

de 30 kilomètres autour de la capitale. Tout un ensemble de

- Qaha, au nord, industries agro-alimentaires

- Abou Zaabal, au nord-est, industries des chemins de fer et automobiles

- Helwan, au sud, industries du cuivre

- Hawamidéya, rive ouest au sud, Birkash au nord et El Tebbin au sud (pas d’informations sur leurs fonctions)

- El Bassatine au sud des cimetières de Katameya à Gizah serviront à accueillir les industries polluantes du centre-ville cairote.

L’équipe en charge du schéma directeur intégrait fermement la question du logement :

industrielles satellites, autonomes, avec tous leurs équipements

sociales défavorables et des conditions économiques prématurées

logements affecteraient l’environnement social ainsi que des problématiques de congestion.

Galila El Kadi fait remarquer qu’il n’y a aucune proposition sur urbains du Caire, la solution est forcément ailleurs. Cela peut étroitement urbanisée. Les terres arables se font rare contrairement kilomètres du Caire. Elles peuvent donner envie de partir d’une contrôlable.

dur que de partir d’une page blanche.

différemment, or en Égypte ce n’est pas le cas étant donné la quantité de réserves foncières désertiques dont ils disposent.

l’achèvement de ce dernier – des organismes de suivi, organismes

Caire tout proche de Helwan30, et ce bien plus tard (en 1979) installées.

des services et des équipements étaient les conditions sine qua

En parallèle, un pôle industriel pétrolier et chimique à Shubra El Kheima (7,5 kilomètres au nord) s’est installé sur les terres

perd des ressources très importantes qui lui permettaient de garder sa souveraineté mondiale. Nous rappelons que chaque année, l’Égypte perd environ 400 ha de terres arables, soit 1/25 de Paris (un peu plus de la moitié du 13ème arrondissement).

Néanmoins, le président Nasser essayera d’oeuvrer à l’amélioration du cadre de vie des plus modestes par la construction d’environ

tome 31, n°121, 1990. Égypte : années 80. Éléments pour un bilan de l’« ouverture ». p.

contrôle sur la classe ouvrière et que les disperser à chaque coin de la capitale serait

50 000 logements populaires, en arabe, qui constitueront les cités nassériennes.

Ces cités nassériennes étaient généralement des immeubles de plusieurs étages construits en béton, dotés de toutes les commodités nécessaires, comme de l’eau courante et de l’électricité. Elles ont permis à de nombreuses familles de

On ne dénombre pas moins de 29 opérations de ce type de logements.

- Al-Amiriyya (renommée Borg El-Arab), au nord du Caire, comptant 180 blocs

- Zawyat al-Hamra (150 blocs, au nord de la ville) ;

-

- Helwan (240 blocs, au sud du Caire)

- Ayn al-Sira (144 blocs), non loin du centre-ville Au total, on compte 1 722 blocs de 4 à 5 étages environ. (Kohler, 1989).

Outre, la tâche compliquée à laquelle ils étaient assignés, les Samak livre dans une interview en 198331 des données et l’impossibilité de déléguer les tâches – données sociologiques, économiques – tant l’État égyptien les considérait sortie des postes de travail (El Kadi, 1990).

informations complètes sur la nouvelle capitale administrative.

les en avertissait. Qu’en est-il de la mobilité lorsque nous nous éloignons des centres d’intérêts ? Si le souhait est d’attirer un grand nombre, comme le prétendent ces villes satellites, il faut qu’elles aient la capacité de répondre et de comprendre les besoins de ses futurs habitants.

2.2 UNE POLITIQUE TROUBLÉE PAR LA GUERRE, SCHÉMA DIRECTEUR 1970 – VILLES NOUVELLES

Entre le premier schéma directeur et celui-ci, le paysage urbain cairote a énormément changé causé par les raisons que nous avons évoquées plus tôt ; accroissement démographique, habitations spontanées, étalement urbain…

schéma de 1956 et les nouvelles ambitions que devait affronter la un rapport préliminaire et non pas un plan d’action comme le premier schéma directeur de 1956.

Un bilan a été dressé pour rendre compte de la dégradation de la capitale : des densités record dans certains quartiers,

énormément de constructions spontanées.

Une nouvelle structure sera créée permettant la concertation et la collaboration de tous les partenaires économiques impliqués

L’étude et la publication du schéma directeur seront compliquées par des événements politiques qui ont marqué le pays à savoir la

a été donnée à la reconstruction des villes du canal de Suez ainsi qu’à la réouverture du canal à la navigation internationale.

regagne du terrain. D’une part pour freiner l’étalement sur des

L’Égypte craint d’être à nouveau attaquée sans avoir le contrôle

Sont alors proposées quinze nouvelles villes à travers toute l’Égypte. Parmi ces quinze villes, il faut différencier la ville nouvelle autonome (à 90km d’une agglomération) de la ville satellite (à

La ville autonome devait être assez éloignée de la capitale pour ne économiques et industrielles.

La ville satellite quant à elle, est dans la sphère économique du Caire. Elle cherche à attirer de futurs habitants pour régler les problématiques de la capitale.

Au Caire, quatre villes autonomes sont envisagées :

- El-Obour (nord-est), proposée en 1970

- 10th Ramadan (sud-ouest) proposée en 1970,

- 15th May (rive droite) proposée en 1974,

- 6th October (rive gauche) proposée en 1974

- Madinet-Sadate en 1974.

entrepris dès son annonce sera celui de 15th Ramadan, en 1978. Cette décennie verra une nouvelle politique tournée vers une libéralisation de l’économique égyptienne lancée par le président Anouar El-Sadate

Une ouverture sur le monde

La politique du qui veut littéralement dire « ouverture ». fait référence à la loi de 1974 qui encourage l’ouverture de

Dans cette optique, les schémas directeurs des villes nouvellesth Ramath October à des Américains. (Sims, 2015)

Nous notons un retrait progressif de l’État des affaires urbaines de la capitale. C’est à partir de ce moment qu’une grande confusion

sont mis en chantier dans le désert sans consultation et de cette manière nous assistons à nouveau à un désordre incontrôlé, mais cette fois-ci de la part des politiques. Les sont pointées du doigt en raison de leur étalement des terres agricoles, pour

faisant de même sur les espaces désertiques.

En 1979, un cadre législatif et institutionnel32 est donné à la ville nouvelle par la création de la New Urban Communities Authority (NUCA). Cette institution aura la charge du développement urbain

33 et ceci en dehors de la vallée du Nil, autrement dit, son périmètre d’action est le désert.

La NUCA sera vivement critiquée en raison de ventes de terres

compound Dreamland, à 6th October, de 900ha (9km²) aurait été vendu pour seulement 0.30LE/m², à un promoteur immobilier privé, Baghat Group34 soit à peu près 900 000$ américain. (Denis, 2006)

32 https://www.cc.gov.eg/ legislation_single?id=424863

33 NUCA, Tadamun (initiative citoyenne qui centralise les informations concernant

http://www.tadamun.co/?post_type=goventity&p=10150&lang=en&lang=en#.

34 of Urban Liberalization», Revue Tiers Monde, vol. 206, no. 2, 2011, pp. 139-158.

2.3 L’OUVERTURE PROGRESSIVE DU PAYS AUX INVESTISSEMENTS ÉTRANGER, SCHÉMA DIRECTEUR DE 1984 – NEW SETTLEMENTS

schéma directeur de 1970 mais qui n’a été démarré qu’en 1982.

urbaine en Égypte ont tendance à réactiver des concepts précédemment énoncés.

peine abouties et à peine habitées.

En 1982, un diagnostic, « Egypt : The National Urban Policy Study

35 – mena une étude pour établir un rapport conscient

cinq volumes ont été publiés. Elle recommanda de se concentrer

pour permettre la création d’emplois et ainsi une croissance économique. Elle attirait l’attention de l’État égyptien à porter un regard sur les agglomérations de Haute-Égypte et du canal de Suez pour leur apporter une réponse à leur croissance démographique (en somme comme au Caire).

Surtout, elle déconseillait à l’État égyptien de s’investir dans le

L’étude n’a pas été prise en compte et aucune suite n’a été donnée par le ministère de la Reconstruction.

36. Elle aboutira à une nouvelle conclusion : les « new settlements », qui seront comme des banlieues à quelques kilomètres de la capitale.

35

le développement international. En 1980, l’agence cherche à s’investir dans des pays en développement, comme l’Égypte, elle cherche à « stabiliser les politiques et les sys-

création des conditions d’un transfert massif des processus

» Au Caire, cette nouvelle recommandation se décline par la construction de quatre new-settlements :

- El Shorouk, au sud d’Obour

- Fifth Settlement, au sud d’Obour

- Kattameya, tout proche de Fifth Settlement

- Sheikh Zayed, au nord-est de 6th October

Leurs constructions n’ont débuté qu’en 1995. Ces news settlements avaient pour ambition de proposer à une population à faibles et

est à quelques kilomètres de 6th October, ce qui peut perturber

En revanche, cette période voit une nette amélioration des cairote) est mise en chantier et les premières tranches sont livrées en 1988. Nous voyons aussi l’aboutissement de la première ligne à celui qui était proposé par le schéma directeur de 1970, ce qui

autonomes) ont été souvent critiqués pour leurs emplacements.

37

tome 31, n°121, 1990. Égypte : années 80. Éléments pour un bilan de l’« ouverture ». p. 203