Missions Étrangères : pour la vie des peuples du monde

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Avril 2015

Pour la vie des peuples du monde

Échos de l’Assemblée régionale d’Asie Quel avenir pour la SMÉ ? Jonas, un missionnaire malgré lui


3 MOT DE BIENVENUE Kokeshi, vous avez dit?

4 ÉCHOS DE L’ASSEMBLÉE RÉGIONALE D’ASIE 5

Catastrophes et évangélisation

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La grandeur de la vie

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Chrétiens en pays bouddhiste

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Être moi-même au milieu d’eux

16 MESSAGE DU CONSEIL CENTRAL Quel avenir pour la Société des Missions-Étrangères?

18 JEUNES MISSIONNAIRES

19 Février 2015, volume 37 no 2

Esther Chacón

19 DÉCOUVRIR LA BIBLE

Jonas un missionnaire malgré lui

24 PROFIL

Jean-Yves Isabel Proche du monde ordinaire

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28 SANTÉ ET SPIRITUALITÉ

Une ville, un fleuve, des arbres : finie la malédiction!

30 NOUS NOUS SOUVENONS

Direction Marie-Hélène Côté Équipe de rédaction Marie-Hélène Côté, Claude Dubois, Martin Laliberté Révision François Gloutnay Photos Marie-Hélène Côté, Sandy Lutz Correction maquette Marie-Hélène Côté, Claude Dubois, François Gloutnay Service aux abonnés Hélène Perreault Graphisme folio&garetti Impression Impression Idesign

Mgr André Vallée, p.m.é.

TITRE LÉGAL : «La Société des Missions-Étrangères de la province de Québec». Pour les provinces mari­times et les États-Unis : «La Société des Missions-Étrangères».

31 CLIN D’OEIL

DÉPÔT LÉGAL : Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada (ISSN 0026-6116)

Itadakimasu à la maternelle

Membre de l’Association des médias catholiques et œcuméniques Magazine d’information missionnaire publié cinq fois par année par la

PAGE DE COUVERTURE Poupée Kokeshi, originaire du nord du Japon. CRÉDIT PHOTO

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Marie-Hélène Côté

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Société des Missions-Étrangères 160, place Juge-Desnoyers, Laval (Québec) H7G 1A5 Tél. : 450 667-4190 Tél. sans frais : 1 888 667-4190 Téléc : 450 667-3006 revueme@smelaval.org // www.smelaval.org Numéro d’enregistrement d’organisme de charité : 10798 8511 RR0001

Abonnement : Hélène Perreault / helene@smelaval.org 1 an : 15 $ 1 an soutien : 20 $ 2 ans : 25 $ 2 ans soutien : 30 $ Le numéro : 3$ Envoi de Poste-publications - N° de la convention 00400 62 800 Tirage : 9 500 Nous reconnaissons l’appui financier du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du Canada pour les périodiques, qui relève de Patrimoine canadien.


MOT DE BIENVENUE par Marie-Hélène Côté

Kokeshi vous avez dit?

A

u cœur de notre Maison centrale, directement sous la chapelle, se trouve une pièce à laquelle on accède par un corridor peu passant. Le long des murs, sur des étagères protégées de la poussière par de larges vitres, des objets hétéroclites s’entassent. Ici, de minuscules sandales japonaises côtoient une flûte andine. Là, des pagaies de bois des Philippines avoisinent un bas-relief représentant un village hondurien.

Plus que de simples souvenirs rapportés des quatre coins du monde par nos missionnaires, ce bric-à-brac ordonné n’évoque-t-il pas l’histoire des peuples, l’habileté des artisans, les amitiés nouées au fil du temps? Oui, la salle du musée, comme on l’appelle à Pont-Viau, en a plus à dire qu’on pourrait le croire! Parfois, en panne d’inspiration, je viens m’y réfugier pour écouter ce que les habitants des lieux ont à me dire. C’est ainsi qu’un jour, de petites figurines de bois, posées

pêle-mêle sur le dessus d’une armoire, ont éveillé ma curiosité. Originaires du nord du Japon, les poupées kokeshi sont aujourd’hui offertes en gage d’amitié. Mais en discutant avec Jean Gaboury, p.m.é., j’ai réalisé que cela n’avait pas toujours été le cas. Avant de devenir des jouets ou des souvenirs, les kokeshi symbolisaient le vœu d’avoir un enfant en bonne santé ou le rappel d’un nouveau-né décédé en période de famine. J’en ai fait plusieurs photos. L’une d’elles se trouve en page de couverture et une autre, en ouverture de dossier. Les objets parlent. Et quand les voix se taisent ou que la mémoire s’effrite, ils prennent le relais. Traduisant dans le bois, le métal ou la pierre, l’objet de notre espérance, la source de nos bonheurs ou de nos misères, notre désir d’aimer et d’être aimé. C’est ce que chaque fois me raconte la salle du musée. ¿

Jean Gaboury, p.m.é., m’a envoyé dernièrement cette photo d’une kokeshi qui le représente. Il a reçu ce cadeau des parents d’enfants fréquentant la maternelle de Kuroishi, une ville de la préfecture d’Aomori. Le missionnaire, qui vit depuis une trentaine d’années au Japon, a été directeur de celle-ci de 2011 à 2014. CRÉDIT PHOTO Jean

Gaboury

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Échos de l’Assemblée régionale d’Asie Par Marie-Hélène Côté Chaque année, nos missionnaires qui œuvrent au Cambodge, en Chine, au Japon et aux Philippines réfléchissent ensemble sur le sens de leur présence en Asie. En octobre dernier, c’est au Japon, le pays du Soleil-Levant, qu’ils se sont réunis pour discuter de spiritualité. « Mis à part les Philippines, où la population est majoritairement chrétienne, les gens que nous côtoyons pratiquent en général une autre religion. Il nous semblait donc important d’évaluer notre approche à la lumière de cette réalité », explique Jean Gaboury, missionnaire au Japon depuis une trentaine d’années. Voici quatre articles qui se veulent un écho de l’Assemblée d’Asie. Deux Japonais, l’un chrétien et l’autre bouddhiste, présentent leur vision du monde. Robert Piché, p.m.é., et Yessica Guzmán, missionnaire laïque associée, racontent ensuite leur adaptation à la réalité cambodgienne. J’ai demandé à Jean Gaboury ce qui l’avait le plus marqué lors de cette rencontre. « Le moment de prière animé par So Asakura, prêtre bouddhiste, dans l’église d’Ipponsugi, demeure pour moi une expérience spirituelle qui dépasse les mots et donne le goût d’être ensemble sur ce chemin d’un nouveau royaume à construire », m’a-t-il répondu sans hésiter. Espérons que ces articles pourront tout autant vous inspirer. CRÉDIT PHOTO Marie-Hélène Côté 4

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Assemblée régionale d’Asie par Mgr Isao Kikuchi, S.D.V.*

Catastrophes et évangélisation Générer des changements intérieurs : voilà désormais la ligne directrice de Mgr Isao Kikuchi. À partir de son expérience missionnaire et de son travail dans le domaine des mesures d’urgence, l’évêque de Niigata explique pourquoi il est important d’être une présence significative auprès des personnes vers qui on est envoyé. Voici un résumé de sa conférence. (la rédaction)

J

aponais, missionnaire du Verbe Divin et ordonné prêtre en 1986, j’ai été envoyé au Ghana. Durant huit ans, j’ai travaillé dans une paroisse de brousse (une église et vingt dessertes) comprenant plus de 3000 paroissiens. Malgré la pauvreté, les maladies, des lacunes en matière d’éducation et le peu d’emplois pour les jeunes, les gens que je côtoyais gardaient espoir dans le futur. Chaque semaine, l’église débordait, que ce soit pour les messes du dimanche ou pour toutes les autres célébrations qui duraient en moyenne deux ou trois heures. Je célébrais chaque année plus de 100 baptêmes d’adultes. De plus, nous étions engagés en éducation et nous dispensions des soins médicaux et d’autres services afin de faciliter la vie des gens. Vu sous cet angle, travailler au Ghana était valorisant : une participation massive aux messes, des villageois qui attendaient ma visite, un nombre impressionnant de catéchumènes et beaucoup de baptêmes. J’avais l’impression de faire une différence et je croyais que j’évangélisais très bien. Mais avaisje tort? Dans un camp de réfugiés En mars 1995, à titre de bénévole de Caritas Japon, je me trouvais à Bukavu, au Zaïre comme on l’appelait à l’époque. Dans cette ville,

Mgr Isao Kikuchi est président de Caritas Japon. Relevant de la Conférence des évêques catholiques du Japon, l’organisme offre de l’aide humanitaire d’urgence, collabore à des projets de développement et pilote des campagnes nationales de sensibilisation. CRÉDIT PHOTO

300 000 personnes s’entassaient dans un camp de réfugiés. Toutes avaient fui le Rwanda au moment du génocide de l’année précédente. Je savais que les Rwandais étaient, en majorité, des chrétiens. Même que 60% de la population était catholique. N’est-il pas révoltant d’apprendre que, durant le génocide, des chrétiens s’entretuaient? Cinq ans auparavant, en septembre 1990, le pape Jean-Paul II avait visité le Rwanda. Durant cette visite, il avait louangé le travail des

Caritas Japon

missionnaires qui, en 100 ans de pratique d’évangélisation, avaient baptisé tant de gens. Pourtant, j’en suis venu à la conclusion que la foi chrétienne et la moralité chrétienne ne peuvent empêcher les gens de s’entretuer. Au Rwanda, même des religieux étaient engagés dans cette tuerie. Où était donc passé l’esprit chrétien? Au Rwanda, la priorité de l’Église était-elle de baptiser des gens et non de les évangéliser? missions étrangères ¿ avril 2015

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en réponse aux besoins des gens affectés par des conflits armés ou des désastres naturels. Quand une catastrophe survient, les médias arrivent en masse, suivis de près par les Nations Unies et d’autres acteurs importants de l’aide internationale. Quand l’usure de compassion s’installe, on abandonne des gens en position précaire en leur faisant comprendre qu’ils sont maintenant rétrogradés dans notre liste de priorités. Ils sentent que nous les avons oubliés, occupés que nous sommes à accourir vers les victimes de la plus récente catastrophe à faire les manchettes.

De jeunes bénévoles de Caritas Japon prennent part au nettoyage d’un champ couvert de débris laissés par le tsunami de mars 2011. CRÉDIT PHOTO

La force du témoignage Comment pouvons-nous influencer l’humanité pour qu’elle puisse être transformée de l’intérieur? Je crois que c’est par notre témoignage du message évangélique, par nos mots et nos gestes quotidiens. Rappelons-nous que Jésus a mangé avec les pécheurs, guéri les malades, pardonné les fautes et rendu la vie à Lazare. Il a proclamé la miséricorde de Dieu à travers ses paroles et ses actes. Comme missionnaires, quand nous parlons de nos œuvres d’évangélisation, nous devons d’abord et avant tout prendre conscience de nos priorités. Ces priorités viennentelles de notre désir d’atteindre des succès mesurables ou faisons-nous les efforts nécessaires pour que le message évangélique pénètre dans le cœur des gens? Ensuite, accomplissons-nous ce travail par notre propre témoignage, avec nos mots et nos gestes, ou essayons-nous d’instruire les gens comme le font les professeurs, avec des livres? Retour à Bukavu En août 1995, je suis retourné à Bukavu. Pour des raisons de sécurité, les camps où travaillait Caritas Japon avaient été fermés, mais j’ai visité d’autres camps de la région. Lors 6

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Ever Amador

d’une rencontre avec des leaders, je leur ai demandé quels étaient leurs besoins les plus pressants. Ils ont mentionné les problèmes habituels : pénurie de nourriture et de matériel médical. Mais l’un d’entre eux a dit ceci : « Tout le monde nous a oubliés ». Ensuite, il a ajouté : « Père, vous dites que vous venez du Japon. Quand vous y retournerez, dites aux gens que nous sommes toujours ici dans les camps. Tout le monde semble nous avoir oubliés! » Ces mots m’ont littéralement transpercé le cœur. Sans espoir dans le futur, comment pouvaient-ils donc supporter les conditions dans lesquelles ils vivaient? Six mois étaient à peine passés et déjà ces gens avaient l’impression qu’on les oubliait. Les services d’urgence, les policiers et les pompiers étaient désormais en nombre réduit. La plupart des membres des forces armées s’étaient retirés. Plusieurs ONG réduisaient leur engagement. Ces gens, dont la présence était un symbole d’espoir et une assurance de survie, étaient envoyés ailleurs les uns après les autres. Telles sont les conséquences de ce qu’on appelle l’usure de compassion. Au fil des ans, la communauté internationale s’est engagée dans des projets de développement,

Une autre tragédie Je suis né à Miyako, au Japon, dans la préfecture d’Iwate, mais j’ai grandi à Morioka qui en est la capitale. C’est pourquoi le tsunami de mars 2011 a eu une telle importance pour moi. Il a complètement transformé le paysage de mon coin de pays. Plusieurs de mes bons amis ont vu leur vie chamboulée. Dans les jours qui ont suivi la catastrophe, plusieurs Caritas de différents pays ont commencé à offrir leur aide. Il n’y a pas de doute que l’assistance matérielle directe est importante immédiatement après un désastre. Mais les bienfaits d’une telle aide sont toutefois limités. Pour afficher notre désir d’être avec les personnes en difficulté et leur montrer que nous ne les oublions pas, que devons-nous faire? Bien sûr, il importe de continuer à passer du temps auprès d’eux. La présence physique doit être une priorité. Mais le plus important est de générer des changements intérieurs chez les gens par notre présence auprès d’eux. Sans cela, nous perdons notre temps. Une aide qui procure des changements intérieurs a des effets plus importants et à plus long terme chez les personnes. Elle apporte de l’espoir et elle génère du courage. Les victimes peuvent ainsi découvrir leur propre manière d’aller vers l’avant. Ainsi, lorsque nous disons aux gens que nous n’allons pas les oublier, nous ne planifions pas seulement de demeurer plus longtemps auprès d’eux. Nous cherchons la meilleure manière de créer des relations avec eux. Nous devons


être des animateurs qui créent des changements intérieurs. La nouvelle évangélisation Au lendemain de la catastrophe, les bénévoles participaient à des activités comme le ramassage de débris laissés par le tsunami ainsi que le nettoyage de maisons. Avec le temps, nous avons ajouté la visite des habitations temporaires et nous avons tenu des cafés communautaires pour aider les personnes évacuées à retrouver une certaine forme de stabilité. L’Assemblée des évêques du Japon a voté l’an dernier le maintien de ces activités de soutien pour les trois années à venir. Au cœur de cette aide, il y a toujours eu ce dialogue avec les communautés locales et les associations de résidents des habitations temporaires. Bien sûr, ces gens ne sont pas chrétiens. Et nous n’avons pas affiché notre identité catholique. Nous utilisions le nom Caritas Japon seulement. Nous ne voulions pas que nos activités soient associées à du prosélytisme. Mais le tsunami est survenu alors que toute l’Église du Japon discutait

de nouvelle évangélisation. Et aujourd’hui, l’Église considère le travail charitable comme un véritable témoignage de foi. Voici pourquoi.

les religieuses étaient des témoins vivants de la Parole de Dieu. Voici à quoi ressemble, de nos jours, l’évangélisation au Japon.

Le relais des sœurs Dans la première année de nos activités, des religieuses ont été envoyées pour demeurer dans les camps où logeaient les bénévoles. Elles prenaient en charge les tâches domestiques comme la préparation des repas. Les religieuses travaillaient quelques semaines et elles étaient ensuite remplacées par une autre équipe. Elles appelaient cela le relais des sœurs. Par leurs moments de prière et de partage quotidiens – des activités auxquelles personne n’était forcé d’assister – ces religieuses ont transformé l’atmosphère des camps. Plusieurs bénévoles, incluant des non-chrétiens, ont y trouvé du sens. Ils ont découvert, à travers ces activités, une certaine paix dans leur esprit et dans leur cœur. Je crois que cela est un parfait exemple d’évangélisation par le témoignage de la foi. Nous ne parlions pas de christianisme, mais

Témoins de l’amour de Dieu Monsieur et madame Caritas, comme nous appellent les gens d’ici, demeurent sur les lieux du désastre et cherchent, comme animateurs de communauté, à créer l’espoir dans le futur. Ils sont des témoins du message évangélique. Le dialogue entrepris ne cherche pas une conversion en tant que telle. Mais la manière dont nous nouons des relations avec les gens fait que nous devenons des témoins de l’amour de Dieu. Par notre attitude envers les victimes, nous sommes témoins de la miséricorde de Dieu. Voilà l’essence de la nouvelle évangélisation au Japon. ¿ Traduction et adaptation de l’anglais : Marie-Hélène Côté * Isao Kikuchi est évêque de Niigata au Japon. Il est également président de Caritas Japon, le pendant de Développement et Paix au Canada.

Les participants de l’Assemblée régionale d’Asie. Rangée du bas: José González (invité), Maria Teresa Dalisay, Silvia Pucheta, Fabiola Gómez, Yessica Guzmán et Jean-Charles Loiselle, p.m.é. Rangée du haut: Jean Isabelle Samong, Maurice Labbé, p.m.é., Ana María Jara, Beatriz Millena, Gilles Poirier, p.m.é. (membre du Conseil central), Melissa Simmons, Marie-Laure Joly (directrice du Service de l’animation missionnaire), Jean Gaboury, p.m.é., Grégoire Vignola, p.m.é., So Asakura (conférencier), Sylvie Brazeau, Risa Asakura (épouse du conférencier), Paul Too, p.m.é., Émile Étémé, p.m.é., Jean Lebeau, p.m.é., Charles-Aimé Bolduc, p.m.é., Miguel Granados et Ever Amador. CRÉDIT PHOTO

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SMÉ Japon

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Assemblée régionale d’Asie par So Asakura, prêtre bouddhiste

La grandeur de la vie La représentation du monde des Japonais repose essentiellement sur des conceptions bouddhistes. C’est ce qu’affirme So Asakura, prêtre bouddhiste invité à prononcer une conférence dans le cadre de l’Assemblée régionale d’Asie. Une intervention de Miguel Granados, missionnaire au Cambodge, étonnera toutefois le jeune orateur. (la rédaction)

J

e me nomme So Asakura. Je travaille dans un temple bouddhiste au Japon. Même si on y trouve plusieurs temples, plusieurs Japonais disent qu’ils ne croient en aucune religion. Comme prêtres bouddhistes, nous sommes préoccupés par une telle indifférence.

So Asakura et son épouse Risa en compagnie de Jean Gaboury, p.m.é. CRÉDIT PHOTO

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Ever Amador

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Mais quoi qu’en disent les gens, la manière dont les Japonais se représentent le monde repose en grande partie, selon moi, sur des conceptions bouddhistes. Voici un exemple. Savez-vous ce que nous, Japonais, faisons juste avant de prendre un repas? Nous joignons nos mains et disons itadakimasu, ce qui veut dire « je reçois ceci avec reconnaissance ». Que recevons-nous et à qui adressonsnous ces remerciements? Bien sûr, nous recevons ce repas et exprimons notre reconnaissance à la personne qui l’a cuisiné. Mais la signification de itadakimasu est beaucoup plus large. Bouddha nous a enseigné que la vie se retrouve en toute chose. Il n’y a pas seulement les vaches, les cochons et les poules qui accueillent la vie, mais aussi les légumes et les fruits. Même le riz est habité par la vie. Alors, quand nous disons itadakimasu avant de manger, nous reconnaissons que nous recevons la vie d’eux et nous leur exprimons notre reconnaissance pour cette vie qu’ils nous donnent. Des grains de riz Il y a plusieurs années, j’ai participé à la récolte du riz avec des amis et des gens de la localité. À la fin de notre récolte, nous avions rempli un plein camion. J’étais satisfait de la quantité de riz recueillie et je placotais avec des amis. À un moment donné, j’ai remarqué une vieille dame qui ramassait les grains de riz tombés près du camion. Je ne l’ai pas aidée, car ce qu’elle faisait me semblait ridicule. Après quelques

minutes cependant, je me suis rendu compte qu’une petite montagne de riz s’était accumulée dans sa main. Cette image m’a fait réaliser à quel point ce riz était précieux pour elle. Cette femme n’avait-elle pas pris soin de la rizière durant plusieurs mois? La récolte du riz était le résultat de tous ses efforts. Pour elle, le riz était comme son bébé et elle voyait la vie à l’intérieur de chaque grain. C’est pourquoi elle ramassait ces grains, même si le camion débordait de riz. De plus, Bouddha nous enseigne que nous recevons notre vie d’Amida-Bouddha, qui est en quelque sorte, le dieu des bouddhistes. Amida-Bouddha nous offre le salut et nous introduit à son univers appelé Terre pure. Selon le bouddhisme, notre vie ne nous appartient pas. Notre vie est celle d’Amida-Bouddha. Quand nous mourrons, notre vie retourne à la Terre Pure. Ainsi, notre vie n’est pas notre possession, elle nous est plutôt prêtée par Amida-Bouddha. Alors quand nous disons itadakimasu avant un repas, qui veut dire « je reçois ceci avec reconnaissance », ce que je reçois c’est la vie en moi. J’exprime alors ma reconnaissance à cette vie et à Amida-Bouddha. Non seulement ma vie, mais aussi celle des autres, est donnée par Amida-Bouddha. Toute vie est importante Pour les bouddhistes, toute vie est donc égale et spéciale. Depuis que j’ai découvert cela, quand je ne m’entends pas avec quelqu’un, je suis tout de même capable de


réaliser l’importance de sa vie. C’est pourquoi j’affirme que la représentation du monde des Japonais repose essentiellement sur des conceptions bouddhistes. Au mois d’octobre dernier, alors que je prononçais ces mots lors d’une conférence donnée à des membres et à des associés de la Société des Missions-Étrangères, un missionnaire m’a fait la réflexion suivante : « Peut-être suis-je, moi aussi, bouddhiste! Ce que vous nous avez dit est tout à fait similaire à ce que j’ai appris. La religion catholique nous enseigne que notre vie vient de Dieu et que nous allons au ciel lorsque nous mourrons. De sorte que le catholicisme et le bouddhisme semblent partager des points en commun. » Il m’a dit cela avec un sourire si chaleureux! Son commentaire m’a tout simplement laissé sans voix. Ce missionnaire semblait heureux de découvrir des similarités entre le catholicisme et le bouddhisme. Pour ma part, j’avais l’habitude de regarder nos croyances en faisant ressortir les différences. Je me disais que sur tel ou tel point, le bouddhisme est différent du christianisme ou de l’Islam. Je crois que je voulais me distinguer en soulignant nos différences. Mais c’est probablement parce que ce missionnaire possède une foi bien ancrée qu’il a pu percevoir des similarités avec le bouddhisme et les apprécier. Cela m’a donné une leçon de vie. J’ai compris que nos propres expériences religieuses nous amènent à accepter les autres personnes et leur religion. Ces missionnaires, rencontrés cet automne, resteront dans mon cœur pour toujours. À mon tour, si vous avez pu trouver quelque chose dans ce que j’ai affirmé qui vous nourrit, j’en serais heureux. ¿ Traduction et adaptation de l’anglais : Marie-Hélène Côté

> À lire

Itadakimasu à la maternelle

CRÉDIT PHOTO

Marie-Hélène Côté

Une histoire relatée par Florent Vincent, p.m.é., en page 31.

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Assemblée régionale d’Asie par Robert Piché, p.m.é.*

Chrétiens en pays bouddhiste Robert Piché, p.m.é., vit au Cambodge depuis près de 18 ans. Comment le missionnaire, aujourd’hui responsable du séminaire de Phnom Penh, voit-il les relations entre chrétiens et bouddhistes? Sa réponse a de quoi nous surprendre. (la rédaction)

S

ae Sat est un jeune homme brillant, dévoué, au rire sonore. Il est né au sein d’une famille bouddhiste du Cambodge. Il est l’aîné de six enfants, deux garçons et quatre filles. Le père est fermier et cultive le riz. Lorsqu’il était jeune, Sat allait fréquemment à la pagode afin d’accompagner les moines bouddhistes qui quêtaient leur nourriture aux maisons du village. Il a étudié jusqu’en 12e année et il a obtenu son diplôme. Ensuite, il a travaillé deux ans dans la construction. En l’an 2000, il a décidé de retourner à l’école afin de devenir professeur. Il a alors rencontré une religieuse et, sous son influence, il a commencé à lire la Bible. Suivirent des leçons de catéchèse, non pas pour devenir chrétien, mais pour comprendre davantage ce qu’il lisait. Il continuait d’avoir des contacts avec les moines de la pagode. Mais la Parole de Dieu prit racine dans son cœur. Sat croyait aux vérités de chaque leçon qu’il entendait. Il a donc décidé de devenir chrétien. Son cheminement s’est poursuivi jusqu’au moment de son baptême, en 2005. Devenir prêtre Un jour, un jeune lui lance de façon anodine : « Sat, est-ce que tu veux devenir prêtre? » Les choses en sont restées là. De fait, il n’avait jamais pensé à devenir prêtre parce qu’il se considérait pécheur. « Sat,

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Le parcours de Sae Sat est plutôt atypique dans un pays comme le Cambodge. En 2005, le jeune homme est devenu chrétien et il sera bientôt ordonné prêtre. CRÉDIT PHOTO

tu es encore célibataire, pourquoi ne pas penser à la prêtrise? », lui dit plus tard un catéchiste. Il a lu la Bible en entier et a observé les prêtres qu’il connaissait. Une parole de Jésus l’a alors interpellé : « Si tu veux être mon disciple, quitte tout, porte ta croix et suismoi ». Sa décision de devenir prêtre était prise. Il en a donc informé ses parents qui, pendant trois ans, se sont opposés à l’idée. Ils ont fini par accepter. Sae Sat termine présentement sa dernière année de théologie avant son ordination sacerdotale.

Robert Piché

Voici donc l’exemple d’un jeune qui est passé du bouddhisme au christianisme dans la plus grande liberté. Des cas comme celui-ci sont très rares au Cambodge. Une Église minoritaire Après plus de 400 ans de présence chrétienne, l’Église ne compte que 25 000 fidèles sur une population de 14 millions. De ce nombre, 75% sont d’origine vietnamienne. Pourquoi si peu après tant d’années? La réponse n’est pas facile à donner, mais voici deux raisons possibles. Une première est que, tra-


ditionnellement, le roi est considéré ici comme le père de la nation. À ce titre, il sait tout, a toujours raison et on doit se soumettre à ses décisions. Dans l’histoire, plusieurs rois ont invité des chrétiens à venir au Cambodge, non pas pour des raisons religieuses, mais pour obtenir l’appui de pays étrangers, militairement plus avancés. Ils ont eu de bonnes

relations avec les chrétiens, mais le roi n’est jamais devenu chrétien. Le peuple non plus. Une deuxième raison allègue que les chrétiens étrangers n’appréciaient pas les Khmers. Les Vietnamiens et les Français avaient un certain mépris pour les gens du pays. Il faut dire qu’à cette époque, on croyait la culture vietnamienne ou européenne

supérieure à celle du Cambodge. Cela n’a pas incité les Khmers à s’intéresser à la religion des étrangers. Aujourd’hui, les chrétiens khmers sont des chrétiens de vieille souche ou encore des jeunes qui viennent récemment d’entrer dans l’Église. On estime à environ 150 le nombre d’adultes qui reçoivent le baptême chaque année. Pourquoi le font-ils? Pour les jeunes qui étudient dans les écoles dirigées par des sœurs ou des prêtres, il y a le contact quotidien avec des religieux. Plusieurs sont impressionnés par la façon d’agir des chrétiens, par les relations cordiales, le respect de l’autre, le sérieux de l’éducation et la qualité de la formation. Ceux qui montrent de l’intérêt à en savoir davantage suivent une longue formation (le catéchuménat) qui dure au moins trois ans. Cela leur permet de connaître la doctrine et d’acquérir les attitudes de base d’un chrétien.

Très répandus au Cambodge, les stoupas sont des structures architecturales dont la forme évoque le Bouddha assis en méditation. On y dépose les cendres des personnes décédées. Plutôt imposant, ce stoupa est réservé aux moines. Il faut savoir que, dans la religion bouddhiste, on n’enterre pas les gens, on les incinère. CRÉDIT PHOTO

Robert Piché

Trahir sa religion Cependant, il faut faire attention aux motivations de ces catéchumènes. Un jour, quelqu’un m’a dit : « Je vais devenir chrétien si tu me donnes du travail ». Je lui ai répondu que cela ne fonctionnait pas ainsi. Certains veulent devenir chrétiens pour nous remercier de l’aide que nous leur avons apportée. Cette démarche est toutefois plus profonde que ce qu’en disent les gens. Dans le livre L’impertinent du Cambodge, le missionnaire François Ponchaud affirme : « Oui, devenir chrétien pour un Khmer, ce n’est pas seulement changer de religion, mais c’est aussi changer d’univers

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spirituel et de vision du monde. Pour un certain nombre, c’est une véritable déchirure, parfois physique, car on peut être mis à l’écart de sa famille, de la pagode, de son village, ou être accusé d’avoir trahi la religion de ses ancêtres ». Les Cambodgiens ne connaissent pas le christianisme. Ils savent cependant que c’est la « religion de Jésus ». Les chrétiens sont bien vus et acceptés dans l’ensemble; le bouddhiste est soucieux d’avoir de bonnes relations avec les autres et de vivre en harmonie avec tous. De

D’ailleurs, la religion officielle du pays est le bouddhisme.

son côté, l’Église fait son possible pour s’adapter à la culture khmère. Ainsi, la date de la fête des Morts – très importante ici – a été devancée pour correspondre à celle des bouddhistes et ainsi permettre aux chrétiens de se joindre à l’ensemble de la population. L’Église doit aussi relever le défi d’adapter le langage chrétien à la mentalité et à la sensibilité khmère, ce qui est difficile car certains concepts chrétiens n’existent pas dans le bouddhisme. Cependant, les bouddhistes n’aiment pas qu’un étranger ou un membre d’une autre croyance religieuse déprécie leur religion, car pour eux le bouddhisme est le seul chemin de salut qu’ils connaissent et il est important et vital. Parfois ils peuvent mépriser un khmer qui est devenu chrétien. Ils disent qu’il a renié son identité de khmer dont le bouddhiste fait toujours partie.

ples. Le bouddhiste se sauve par lui-même en gagnant des mérites par de bonnes actions. S’il agit bien, il finira par briser le cercle des réincarnations pour finalement entrer dans le nirvana, un état de bonheur parfait. Afin d’être heureux, il faut se libérer de tout désir, source de souffrance, par la méditation. La personne n’existe pas comme sujet, chaque individu étant l’union temporaire d’agrégats de sensations qui, lors de la mort, transmigrent pour former un autre être. Par contre, pour nous, le salut vient de Jésus, par grâce, et est donné gratuitement et librement. Jésus est venu nous libérer du mal qui empêche de vivre heureux. Pour un chrétien en milieu bouddhiste, Jésus nous libère du karma (loi de causalité qui enferme la personne dans un cadre donné) et nous rend libres, de la liberté des enfants de

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Similitudes et différences Lorsque je rencontre des bouddhistes et que je leur dis que je suis chrétien, ils me répondent souvent que les deux religions sont semblables. De fait, si on compare la moralité des deux religions (ne pas voler, ne pas tuer, être juste, ne pas mentir, etc.), il y a beaucoup de similitudes. Cependant, les deux religions sont fondamentalement différentes. En voici quelques exem-

Dieu. Alors que le bouddhiste vit sa foi seul et par lui-même, le chrétien entre dans une communauté, dans un peuple, dans la famille des enfants de Dieu. Il chemine avec des frères et des sœurs. Respect et liberté Entrer dans le monde bouddhiste, c’est pénétrer dans un mode de pensée totalement différent. De plus, le bouddhisme khmer a ses variantes particulières qu’il est bon de connaître pour mieux comprendre. En tant qu’étranger dans ce pays, il faut respecter leur foi, le seul chemin de salut qu’ils suivent depuis des siècles. Il faut être prudent, dans nos gestes et nos paroles, pour ne pas heurter les gens dans leurs sensibilités. En tant que missionnaire, mon but n’est pas de les convertir, mais de leur faire connaître la Parole de Dieu, révélée par Jésus. Ils réagiront avec liberté à cette Parole. Cela peut les aider à devenir de meilleurs bouddhistes. Peut-être même que certains voudront se joindre à nous pour suivre Jésus. Le choix est laissé à leur liberté. Ainsi, nous pouvons apprendre les uns des autres et nous entraider à devenir de meilleures personnes. Nous pouvons les influencer et ils peuvent nous influencer aussi en nous motivant à bien vivre notre foi. Un jour, lors d’un voyage en voiture, nous nous étions arrêtés sur le bord de la route pour nous détendre – et certains fumer une cigarette. Nous étions tous des étrangers. Une jeune fille, qui allait à bicyclette, s’est arrêtée pour nous demander si nous avions besoin d’aide. À notre réponse négative, elle a poursuivi son chemin. J’ai trouvé le geste beau, gentil et délicat. ¿ *Originaire de Contrecœur, il a été missionnaire aux Philippines (1969-1991) et membre du Conseil central (1991-1997). Au Cambodge depuis 1997, il est le supérieur de la Région d’Asie. bobmiscam@yahoo.com


Assemblée régionale d’Asie par Yessica Guzmán, missionnaire laïque associée

Être moi-même au milieu d’eux En devenant infirmière et missionnaire, Yessica Guzmán souhaite réaliser son rêve d’aider les autres. Mais au Cambodge, la jeune Hondurienne de 28 ans doit d’abord trouver sa place au sein d’une culture bien différente de celle qui l’a vue naitre. Saura-t-elle s’y prendre? (LA RÉDACTION)

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adette d’une famille de dix enfants, j’ai sept frères et deux sœurs. À part moi, tous sont mariés et ont des enfants. Ils sont chrétiens, mais dans les faits, je suis la seule catholique pratiquante. Depuis ma tendre enfance au Honduras, j’ai toujours senti le besoin d’aider les autres. Je crois que cela me vient de ma mère. Elle était infirmière. Aujourd’hui, elle est à la retraite. Mais je me souviens de l’avoir vue, à plusieurs reprises, faire un geste aimable ou recevoir un sourire en échange d’une aide apportée à un malade. C’est à cause de cela que j’ai voulu devenir médecin. J’ai commencé mes études en médecine à l’université. Pour les payer, je travaillais en même temps auprès d’une organisation d’aide aux jeunes en difficulté. Mais hélas, j’ai dû abandonner ce projet universitaire parce que je ne gagnais pas assez d’argent pour payer mes études. J’ai dû ajuster mes rêves à la réalité. Des années de formation Mais comme je voulais à tout prix travailler dans le domaine hospitalier, j’ai choisi de devenir infirmière auxiliaire. Mes études seraient alors plus courtes et moins coûteuses, tout en me permettant, par la suite, de m’inscrire au Centre de formation et d’animation missionnaire (CFAM) afin d’y suivre la formation qui me permettrait d’aller en mission.

L’auteure en compagnie d’Ever Amador et de Melissa Simmons, missionnaires laïques associés, lors de l’Assemblée régionale d’Asie. CRÉDIT PHOTO

Mes études d’infirmière terminées, j’ai travaillé un an à l’hôpital San Felipe de Tegucigalpa. J’y ai donné le meilleur de moi-même. Après ma formation au CFAM et avant de devenir missionnaire laïque associée à la Société des Missions-Étrangères, j’ai cru bon offrir mes services, durant une année, à ma paroisse d’origine. Après tout ce temps, ma motivation était intacte. Je voulais toujours aider. Comme disait ma

SMÉ Japon

mère : « Le bonheur ne se trouve pas dans l’acquisition des choses matérielles, mais plutôt dans le fait de voir naitre un sourire quand tu donnes ». C’est cela qui remplit ma vie. Le bonheur de voir le visage de Dieu chez tous ceux et celles que je rencontre chaque jour. Présence au Cambodge Dès mon arrivée au Cambodge, je me suis retrouvée face à un défi de taille : prendre ma place dans missions étrangères ¿ avril 2015

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Yessica a rejoint les rangs de l’équipe de soccer de l’École pour personnes sourdes de Phnom Penh. CRÉDIT PHOTO

ce nouveau milieu. Cela supposait d’accepter les différences, de connaître de nouvelles personnes et d’apprendre une autre langue vous vous en doutez bien, le khmer, ce n’est pas facile! Après quelques mois d’apprentissage de cette langue, j’ai senti que mon cerveau allait exploser. Je me suis donc inscrite comme bénévole au Catholic Church Students Center (CCSC), là où, tout en aidant les étudiants cambodgiens à perfectionner leur anglais, je recevais en retour leur aide pour pratiquer et mieux prononcer le khmer. Heureusement que j’ai eu cette possibilité! J’ai aussi eu la chance de servir la messe en anglais et d’y recevoir une courte formation pour devenir ministre de l’Eucharistie et lectrice des textes bibliques. J’aime rendre ce genre de services. C’était une autre façon de faire ma place au milieu d’une culture bien différente de la mienne. Après un an au Cambodge, je dois admettre que j’y ai vécu des choses assez surprenantes et cela même dans le quotidien de la vie. Les ali14

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Yessica Guzmán

ments, les gens, la langue, les coutumes, le trafic et les messes cambodgiennes… tout était tellement différent! De plus, ce sont des gens qui ont connu la guerre. Leurs façons de penser et d’agir sont particulières.

Au Cambodge, tout est permis. On peut manger un œuf cuit dur dans un autobus, conduire en sens inverse du trafic et même se déplacer en motocyclette avec un sérum intraveineux attaché au bras! Ce qui m’a le plus impressionnée, c’est qu’au Cambodge, tout est permis. On peut manger un œuf cuit dur dans un autobus, conduire en sens inverse du trafic et même se déplacer en motocyclette avec un sérum intraveineux attaché au bras et encore bien d’autres gestes… saugrenus.

Tout comme il est sans doute étonnant de me voir jouer au soccer… avec des personnes sourdes. Le fait de communiquer ou non par la parole ne pose aucun problème à mes nouveaux amis. Il n’y a aucune différence entre sourds ou nonsourds, m’ont-ils appris. Ces gens sont d’une admirable tolérance! Cette mission m’a permis de me découvrir moi-même. J’ai constaté, par exemple, que ma patience et ma sérénité s’étaient grandement améliorées. Le monde n’a pourtant pas changé. C’est plutôt moi qui ai modifié ma façon de voir les choses. Je sais maintenant que ces changements intérieurs ne peuvent venir que de Celui qui m’a envoyée servir le peuple cambodgien. Je suis tout simplement heureuse de pouvoir être moi-même au milieu de cette population. ¿ Traduction et adaptation de l’espagnol : Frank Bélec, p.m.é.


Se préparer pour

la mission

dans le dialogue interreligieux… entre les cultures et les Églises… avec les exclus… au service de l’Évangile…

La Société des Missions-Étrangères continue son engagement d’envoyer des hommes et des femmes soutenir les aspirations des peuples du monde. Le Programme intercommunautaire de formation missionnaire (PIFM) permet à toute personne âgée de 20 à 40 ans de vérifier les motivations sous-jacentes à son désir d’engagement missionnaire à l’étranger comme prêtre, prêtre associé ou missionnaire laïque. Il offre le discernement, l’accompagnement et la formation pour donner des bases solides à un engagement, au nom de sa foi, au service de frères et sœurs en Asie, en Amérique latine et en Afrique.

Pour plus d’information

Marisol Cañas, missionnaire laïque associée au Kenya. CRÉDIT PHOTO

Sonia Allaire

Région de Montréal Jean Binette, p.m.é. 8055, avenue Casgrain Montréal (Québec) H2R 1Z4 Tél. : 514 383-3694 jean_binette@yahoo.ca Région de Québec Christian Busset 867, rue Rochette Québec (Québec) G1V 2S6 Tél. : 418 527-3273 smerochette@videotron.ca

Une deuxième vie

pour vos timbres vos us faire parvenir Mille mercis de no bres. tim de s on cti lle vos co r vieux timbres ou ce an fin nous permet de Votre générosité s. re ai missionn les projets de nos s timbres à Faites parvenir vo ns-Étrangères io iss M s de Société p.m.é. t, a/s Florent Vincen noyers es -D ge Ju 180, place 1A4 G H7 c) be ué (Q Laval ste 124 po 0 19 Tél. : 450 667-4 mail.com @g 99 t19 en nc fvi Courriel:

missionnaire au Japon Florent Vincent, p.m.é., onnaire l Dionne, p.m.é., missi (1956-2005), et Marce -2009 ). 93 (19 ) et au Honduras en Argentine (1963-67

Lorsque vous nous faites parvenir vos timbres, prenez soin d’en conserver la dentelure, sans quoi ils perdent toute leur valeur. missions étrangères ¿ avril 2015

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Message du Conseil central par Gilles Poirier, p.m.é.*

Quel avenir pour la Société des Missions-Étrangères? Depuis quelque temps, nous réfléchissons sérieusement, comme Conseil central, à l’avenir de la Société des Missions-Étrangères. L’évolution rapide de notre groupe missionnaire nous oblige à nous poser bien des questions sur le visage qu’il aura dans 10 ans. Bien malin qui pourrait le prédire. Mais je tenterai ici de décrire notre réalité actuelle, afin de comprendre dans quelle direction nous nous acheminons.

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ertes, on peut regarder notre situation de différentes façons. Si on la regarde du point de vue de l’âge, on peut être préoccupé. En effet, dans une dizaine d’années, tous les confrères d’origine canadienne auront plus de 72 ans, sauf un. On peut bien dire qu’on demeure missionnaire toute notre vie, mais notre nombre et nos énergies diminueront. L’image de la SMÉ change Mais faut-il regarder notre avenir de cette manière? Ou faut-il l’évaluer en termes de dynamisme, de charisme missionnaire, de témoignages et de projets communs? Si nous regardons notre futur dans cette perspective, l’image change. L’an dernier, nous avons accepté dans la Société dix nouveaux laïques associés. De plus, quatre jeunes ont entrepris une démarche de formation en vue du sacerdoce missionnaire. Ces signes de vie ne s’arrêtent pas là. Depuis un certain nombre d’années, la SMÉ a commencé à donner des sessions de formation missionnaire à des jeunes dans la plupart des pays où elle œuvre. Cette initiative porte actuellement

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ses fruits, car un bon nombre de jeunes adultes partagent de plus en plus notre charisme missionnaire, soit en partant pour la mission à l’extérieur, soit en demeurant dans leur pays d’origine, en collaborant avec nous sur le terrain (en milieu paroissial, par exemple) ou en donnant eux-mêmes des sessions de formation. On pourrait les appeler des affiliés, des partenaires de la mission, des amis de la SMÉ. Les noms changent selon les endroits où nous sommes présents.

Nous ne nions pas que nos effectifs diminuent, que même parfois notre situation est précaire, mais nous mettons l’accent sur une autre façon de faire la mission. Dans différents endroits, s’ajoute l’appui des familles. Des parents et des amis des jeunes missionnaires et associés se réunissent pour prier et appuyer de différentes

façons leurs jeunes qui veulent aller annoncer la Bonne Nouvelle en d’autres horizons. C’est le cas du Kenya, des Philippines, du Canada et d’autres endroits où nous avons des projets missionnaires. Notre Société attire non seulement de nouveaux membres, mais aussi des partenaires, ce qui montre que notre famille s’élargit et qu’on peut être missionnaire même si on reste chez soi. Une présence distincte En mentionnant cette nouvelle réalité, nous ne nions pas que nos effectifs diminuent, que même parfois notre situation est précaire, mais nous mettons l’accent sur une autre façon de faire la mission. Nous avons, comme SMÉ, de moins en moins d’œuvres propres, de moins en moins de paroisses. Mais nous bâtissons l’Église en collaborant avec d’autres groupes missionnaires, en œuvrant davantage dans des secteurs comme la promotion humaine, l’éducation et la santé, ou encore auprès de groupes marginalisés. Notre façon d’être présents, comme missionnaires, sera aussi de plus en plus distincte. Dans presque


On peut même se demander s’il convient encore que les membres en autorité, comme ceux de l’animation missionnaire, de l’économat et même du Conseil central, continuent de vivre au Canada, comme ce fut le cas depuis notre fondation. Ne serait-il pas préférable que les responsables vivent dans les différents endroits de nos missions?

Vitrail de la chapelle de notre Maison centrale, à Pont-Viau. CRÉDIT PHOTO

Marie-Hélène Côté

Dans notre façon de travailler, il y a parfois une ligne très fine entre une équipe missionnaire et un organisme humanitaire. Les projets missionnaires devront toujours inclure la dimension du témoignage du Christ et être porteurs de valeurs spirituelles, morales et humaines. tous les pays, nous formons de petits groupes ou des équipes missionnaires. Prêtres et laïques, hommes et femmes, tentent de donner un témoignage de vie communautaire et apostolique à l’image des disciples de Jésus. Cette façon de faire sera notre avenir. Voici un autre défi. Les membres et les associés, venant d’autres pays que le Canada, seront bientôt plus

nombreux que les membres canadiens. Ceci nous appellera à effectuer de profondes transformations, de gros réaménagements dans nos structures actuelles. Il nous faudra modifier nos façons de fonctionner afin que les structures de notre Société missionnaire ne soient pas un poids pour les nouveaux membres. Et surtout qu’elles leur permettent de garder le cap sur la mission.

Fidélité aux enjeux de la mission Face à toutes ces questions, le défi principal ne sera pas d’abord celui des structures. Il viendra de notre façon d’exercer le leadership et d’être fidèles aux enjeux de la mission. Comme autorité, il nous faudra maintenir vivante la dimension de foi, nécessaire à tout groupe missionnaire. Dans notre façon de travailler, il y a parfois une ligne très fine entre une équipe missionnaire et un organisme humanitaire. Les projets missionnaires devront toujours inclure la dimension du témoignage du Christ et être porteurs de valeurs spirituelles, morales et humaines. Il faudra enfin maintenir vivante notre vocation commune. Cela veut dire que les prêtres et les laïques ont d’abord une vocation missionnaire avant d’être prêtres, comptables ou infirmières. Nous pouvons affirmer que le futur de la SMÉ sera différent, compte tenu du nombre de ses membres. Mais au-delà de cet aspect, il sera essentiel que nous soyons toujours des témoins au service des Églises locales, en nous efforçant d’ouvrir ces Églises à la dimension missionnaire et à la nécessité d’être solidaires avec les autres. Nous donnerons ainsi un témoignage du Jésus vivant. ¿ *Originaire d’Alfred en Ontario, il a été missionnaire en Argentine (1969-1985) et a collaboré à la formation au Canada (1986-1990). Il a également été missionnaire au Soudan (1990-1999) et au Kenya (2000-2013). Il est actuellement membre du Conseil central où il occupe le poste de premier assistant. gpoirier@smelaval.org

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Jeunes missionnaires par Esther Chacón, missionnaire laïque associée

Plonger dans la réalité des autres Esther Chacón a longtemps fréquenté l’école. Aujourd’hui, c’est en Amazonie brésilienne que la jeune Hondurienne fait ses classes. Au contact de la population locale, elle apprend à devenir missionnaire. Voici son parcours. (LA RÉDACTION)

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e me nomme María Esther Chacón Vallecillo, mais tout le monde m’appelle Esther Chacón. C’est plus court, très musical et, je le crois, cela colle bien à ma personnalité. En ce moment, je travaille dans l’archidiocèse de Manaus qui compte deux millions de personnes. Nous desservons notamment la périphérie, là où personne ne veut aller parce que c’est un milieu pauvre. Eh bien, moi, je m’y rends volontiers! Valeurs de jeunesse Je suis née, en 1978, à San Pedro Sula, une petite ville au nord du Honduras. Mon père, aujourd’hui décédé, était originaire de la république de Panama. Ma mère est du Honduras. Mes parents étaient des gens simples qui avaient toujours vécu à la campagne. Pour gagner sa vie, mon père a travaillé dans une plantation de bananes jusqu’au moment où une entreprise a fait l’acquisition du terrain attenant au nôtre. Mes parents ont alors décidé d’aller vivre à la ville. Moi, je n’avais que cinq ans lorsqu’ils sont partis avec armes et bagages, poules et cochons compris. Ce fut un recommencement très difficile, sans eau potable ni électricité. Mes parents ont mis trois ans avant de reprendre le dessus. Toujours préoccupés par notre bien-être et notre éducation, ils n’ont cessé de nous inculquer leurs valeurs éthiques, morales et chrétiennes afin que nous devenions de bonnes per18

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Photo d’Esther à l’âge de 14 ans, en compagnie des membres de sa famille. À l’avant : Esther, Cesar Augustus et Lorraine. À l’arrière : José, María Elena (sa mère) et Nicolas (son père aujourd’hui décédé). CRÉDIT PHOTO

Esther Chacón

sonnes. Et c’est ce que nous sommes devenus. Nous leur en sommes reconnaissants. Mon père nous répétait souvent : « Je ne vous laisse pas de richesse, mais je veux que vous ayez une bonne éducation ». Après mon primaire, j’ai pu obtenir des bourses pour acquérir différentes techniques. J’ai étudié la couture, la cuisine et la boulangerie. Rendue à l’université, j’ai fini par décrocher un baccalauréat en sciences et lettres, puis un diplôme en informatique et un autre en orientation éducative. J’ai trimé dur pour obtenir tout ce bagage!

Formation missionnaire En 2005, tout à fait par hasard, j’ai mis la main sur un numéro en espagnol de la revue Missions Étrangères. Dès la lecture des premiers articles, j’ai eu le coup de foudre. Je me suis donc inscrite au programme de formation de la SMÉ. En 2009, je me suis associée à la Société des Missions-Étrangères. L’année suivante, j’étais en Amazonie brésilienne. Après quatre années passées à Manaus, je peux affirmer que vivre ici n’a pas été de tout repos. La culture y est différente, le quotidien aussi, sans oublier le climat chaud et humide de l’Amazonie. Bref, je me sens souvent étrange en cette terre étrangère. Vulnérable et parfois hésitante, j’avance en me repositionnant sans cesse. Ce chemin missionnaire est un apprentissage rempli de questionnements, souvent sans réponses, m’obligeant à changer ma façon de voir les choses à tout moment. Je me dis qu’être missionnaire, c’est être envoyée par l’Esprit dans un monde aux réalités fort différentes des miennes. Être missionnaire, c’est se plonger dans la réalité des autres, c’est épouser leur vie, non pas en surface, mais en profondeur. Ce n’est pas une fuite de soimême, mais plutôt une ouverture aux autres. ¿ estherchaconvallecillo@hotmail.com Traduction et adaptation de l’espagnol: Frank Bélec


découvrir la Bible par André LeBlanc, p.m.é.

Jonas un missionnaire malgré lui Jésus a trouvé dans le « signe de Jonas » l’annonce symbolique de son destin et un appui à sa prédication (Mt 12, 38-41). Et nous, que pourrions-nous y découvrir?

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ès qu’on prononce le nom de Jonas, l’antique baleine remonte aussitôt à la surface, avec nos rêves d’enfants et nos questionnements d’adultes empressés à n’y voir qu’une légende. Pour éviter toute dérive, il faut retourner à la source, c’est-àdire la Bible. En y cherchant le livre de Jonas, on le trouve avec surprise parmi les douze petits prophètes de l’Ancien Testament. (Ils sont appelés

En cherchant le livre de Jonas, on le trouve parmi les douze petits prophètes de l’Ancien Testament. Ce constat donne une clé de lecture : l’auteur est un prophète.

petits à cause de leur nombre restreint de chapitres, contrairement aux trois grands - Isaïe, Jérémie et Ézéchiel - qui en ont respectivement 66, 52 et 48.) Ce constat donne une clé de lecture indispensable: l’auteur est un prophète. Un prophète Mais qu’est-ce qu’un prophète? L’approche populaire le confond avec un devin. En réalité, le mot

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C’est toujours avec plaisir que le bibliste André LeBlanc replonge dans la lecture des textes de l’Ancien Testament. Le missionnaire, qui a travaillé au Chili, au Honduras et au Guatemala, replace dans son contexte l’histoire de Jonas, ce personnage méconnu. CRÉDIT PHOTO

vient du grec pro phèmi et désigne toute personne qui parle au nom d’une autre. Dans la Bible, le prophète parle au nom du Tout Autre. Ainsi quand le jeune Jérémie reçoit son appel, le Seigneur lui dit : « Voici que j’ai placé mes paroles dans ta bouche » (Jr 2, 9). Malgré l’anonymat de l’auteur, son œuvre illustre le rôle principal des prophètes d’Israël. Mémoires vivantes de l’alliance entre l’Éternel et un groupe d’esclaves en fuite, témoins de son infinie miséricorde, les prophètes discernaient avec 20

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Marie-Hélène Côté

charisme le sens des événements et des situations en temps de crise. La restauration de Jérusalem Contemporain de la domination perse (538-333 av. J.-C.), donc longtemps après la destruction de Jérusalem et le demi-siècle d’exil à Babylone, notre auteur devait être témoin d’un autre événement qui le laissa perplexe et inquiet : la restauration de Jérusalem. Celle-ci fut imposée par l’autorité impériale lasse d’attendre que Jérusalem et la

région ne parviennent à se prendre en main. La mission fut confiée à deux Juifs, hauts fonctionnaires de l’État, à Persépolis, la capitale : un prêtre et un laïque.

Le texte adopte le style d’un conte, selon un procédé pédagogique prisé par les Juifs de l’époque et assez proche des paraboles de Jésus. Le premier, Esdras, imposa une nouvelle structure à la ville sainte et au territoire environnant. Il la


mité. Au contraire, dans les chaumières, on se posait de nombreuses questions. Par exemple: « Avec ces murailles et ces contrôles, Jérusalem allait-elle devenir une communauté fermée sur elle-même? » Ou encore: « Comment et pourquoi peut-on rompre si froidement des liens conjugaux et parentaux tissés dans la générosité et la fidélité? »

C’est du bout des lèvres qu’il prononce son prêchi-prêcha. Il a si peu confiance en l’efficacité de la Parole que Dieu lui a confiée qu’il anticipe un échec total.

fit reposer sur trois piliers: la race, le Temple et la Loi. Voilà pourquoi il ordonna à ses compatriotes qui avaient pris femme à Babylone de les retourner chez elles avec leurs enfants (Esd 9-10). Quant au second, Néhémie, il se hâta de relever les murailles de Jérusalem et d’assurer la stricte observance du Sabbat par l’ajout de nombreuses règles. Il facilita le retour d’autres exilés, mais il expulsa trois fonctionnaires non juifs avec mépris : « Vous n’avez ici à Jérusalem ni part, ni droit, ni souvenir » (Né 2, 20). Une contestation polie Les deux co-missionnaires ne manquaient certes pas de foi ni de zèle, mais ils furent loin de faire l’unani

La grogne populaire reçut un appui de taille de deux écrivains inspirés. Ils se gardèrent bien d’exprimer une contestation musclée envers les autorités. Ils choisirent plutôt de faire appel à l’intelligence et aux intuitions de l’humble peuple croyant. Ainsi apparut d’abord le petit livre de Ruth. On y rappelle l’histoire d’une jeune femme païenne, qui très tôt devenue veuve, s’attacha tendrement à Noémie sa belle-mère. Apprenant la fin de la famine dans son pays, cette dernière décida de retourner chez elle, à Bethléem, où vivait Booz un lointain parent. Noémie recommanda à ses deux brus de rester dans leur pays, mais Ruth insiste pour l’accompagner: « Où tu iras, j’irai; où tu demeureras, je demeurerai; ton peuple sera mon peuple et ton Dieu sera mon Dieu » (Rt 1, 16). Quand il aperçut la jeune étrangère, Booz eut le coup de foudre et le mariage suivit de près. Ruth devint ainsi l’aïeule du roi David et l’ancêtre du Messie. Comment ne pas voir l’action de Dieu dans cette union interethnique si bien réussie? L’entêtement de Jonas L’autre texte adopte plutôt le style d’un conte, selon un procédé pédagogique fort prisé par les Juifs de l’époque et assez proche des paraboles de Jésus. Il créé un personnage, à qui il donne le joli nom de Jonas

(colombe en hébreux), mais il le décrit comme un individu mesquin, étroit d’esprit et irascible. L’histoire va se développer autour de deux appels du Seigneur en vue d’une mission à l’étranger : « Lèvetoi, va à Ninive, la grande ville, et annonce aux gens que leur méchanceté est montée jusqu’à moi. » Mais il refusa d’obéir parce qu’en fin de compte il juge que le Seigneur se trompe! N’est-il pas le Dieu du seul peuple juif? Les païens n’ont droit à aucune faveur de la part d’un dieu qu’ils n’invoquent même pas. Alors loin de se diriger vers l’est, Jonas s’embarque sur un bateau en partance pour Tarsis, dans le lointain Occident. On connait la suite : la tempête, les efforts des matelots pour sauver la cargaison, la découverte du coupable tapi au fond de la cale et son amerrissage forcé dans les flots déchainés. Or voici que dans sa grande miséricorde, le Seigneur commande à une baleine de ramener le fugitif à la grève du départ, après un long et inconfortable voyage sous-marin de trois jours et trois nuits.

Le missionnaire s’était éloigné de la ville et se préparait à observer une terrible catastrophe divine. Mais le spectacle n’aura pas lieu. Vers Ninive Malgré tout, le Seigneur lui réitère sa confiance et lui ordonne de nouveau de se rendre dans la grande cité. Cette fois, il se met en marche, non par conviction, mais pour éviter de vivre une autre mésaventure. C’est du bout des lèvres qu’il prononce son prêchi-prêcha. Mais il a si peu confiance en l’efficacité de la Parole que Dieu lui a confiée qu’il anticipe déjà un échec total. Avec un malin plaisir, il se remet en mémoire les récits du déluge, du feu du ciel sur Sodome, de l’armée du pharaon engloutie dans la mer Rouge. Pendant ce temps, il ignore que ses auditeurs ont fait bon accueil à sa prédication. Le roi lui-même missions étrangères ¿ avril 2015

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part lui offre un peu d’ombre pour protéger son crâne dégarni contre le soleil implacable. Or dès l’aube du jour suivant, il l’aperçoit complètement défolié, œuvre d’un ver qui empoisonna la tige. Voilà donc Jonas sans défense contre les bourrasques d’un vent torride et les rayons d’un soleil de plomb. L’inévitable se produit : une insolation accompagnée d’un terrible mal de tête, plus qu’il n’en fallait pour que n’éclate sa mauvaise humeur. Il clame haut et fort qu’il veut mourir.

Supposons un Jonas nouvelle version. Cette fois, il partirait sans crainte d’éventuels naufrages, comme le font depuis toujours les vrais marins.

Durant ses temps libres, le capitaine J.-N. LeBlanc, père d’André, fabriquait des bateaux miniatures. Nous voyons ici un des rares rescapés de cette flotte... C’est Bruno LeBlanc qui est aujourd’hui en possession de cette réplique du Stella Maris et dont les hublots sont fabriqués avec des œillets de chaussure. Pilote fluvial et portuaire, le neveu d’André était aux manœuvres du Queen Mary 2 lorsque le bateau de 23 étages s’est amarré à Québec, il y a quelques années. CRÉDIT PHOTO

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donna l’exemple : descendu de son trône, il voit de proche l’iniquité qui règne partout. Il proclame un jeûne général avant d’entreprendre les réformes nécessaires. La leçon de l’arbuste Déjà le missionnaire malgré lui s’était prudemment éloigné de la ville et se préparait à observer une terrible catastrophe divine. Mais le spectacle n’aura pas lieu. En attendant, un arbuste sorti de nulle

Loin de céder à un tel chantage enfantin, Dieu lui montre encore une fois sa grande bonté. Comme une maman pédagogue, il l’amène à réfléchir et à ouvrir son cœur. « As-tu raison de te fâcher pour ce ricin? Il répondit : oui, j’ai bien raison d’être fâché à mort ». Yahvé répondit: « Toi, tu as de la peine pour ce ricin qui ne t’a coûté aucun travail et que tu n’as pas fait grandir, qui a poussé en une nuit et en une nuit a péri et moi, je ne serais pas en peine pour Ninive la grande ville où il y a plus de 120 000 êtres humains qui ne distinguent pas leur droite et leur gauche ainsi qu’une foule d’animaux? » (Jon 4, 9-11) Ainsi prend fin cette parabole du prophète anonyme, où Dieu a le premier et le dernier mot. Ne pourrions-nous pas lui ajouter une fin réconfortante? Supposons un instant un Jonas nouvelle version, converti au Dieu de miséricorde sans frontières. Il est à parier qu’il répondrait spontanément : « Me voici, Seigneur, envoie-moi » (Is 6, 8). Cette fois, il partirait confiant, inspiré par les paroles et les gestes du pape François qui ne cesse de nous inviter à prendre le large, sans crainte d’éventuels naufrages, comme le font depuis toujours les vrais marins.


André LeBlanc – L’appel du grand large

P

ar mon père, j’appartiens à une longue lignée de marins qui, de l’Acadie puis de la Gaspésie, a pris racine à Kamouraska. À cet endroit, on parle du Saint-Laurent comme de la mer, ce que justifient ses 20 kilomètres de largeur et ses grandes marées. Je suis né le matin de Pâques, le 5 avril 1931, et baptisé l’après-midi du même jour, car papa devait aussitôt partir pour une autre saison de navigation. La maison familiale étant située à quelques dizaines de mètres de la grève, j’ai grandi dans un contexte marin, sans pour autant oublier la terre ferme, puisque maman était fille de cultivateur. Pendant les mois d’été, le fleuve était notre principal terrain de jeu. Bien au courant de la fluctuation des marées, nous profitions de la mer haute pour naviguer et nous baigner, et, quand elle était basse, nous marchions vers l’Île aux Corneilles,

la plus proche de l’archipel, à un kilomètre du rivage. Nous y allions pique-niquer et, en même temps, contempler du côté nord, là où il y a toujours beaucoup d’eau, les chorégraphies de bélugas. Cadet d’une famille de 13 enfants (9 garçons et 4 filles), j’ai vite appris à manier les rames et l’aviron, et j’étais tellement heureux d’accompagner mes frères s’initiant à la voile. Car, sage complice de nos loisirs, maman en avait confectionné une avec de l’authentique toile de voilier, pour être fixée au mat d’une petite embarcation construite, avec brio, par des frères plus ou moins sortis de l’adolescence. Quand, à la fin de mes études collégiales, j’ai annoncé à mes parents que je me sentais appelé à devenir prêtre et missionnaire, je reçus de mon père une lettre qui, écrite de son bateau, témoignait d’une foi profonde. Pouvait-il en être autrement quand les capitaines sont conscients d’être

maîtres après Dieu? Quant à ma mère, sans me livrer le fond de sa pensée, elle a eu ce commentaire plutôt laconique : « Comme plusieurs de tes frères, tu as entendu l’appel du grand large! » À la plume facile, elle avait pesé ses mots. Et elle avait raison. La vie s’est chargée de me faire découvrir graduellement la nature et l’extension de cet appel du grand large. En souvenir d’elle, fille de la terre, j’aime dire : « Le Seigneur est mon berger ». Mais en fidélité à mon père, j’ajoute facilement cette autre invocation : « Le Seigneur est mon capitaine et mon pilote. Il saura bien, dans son amour, me conduire à bon port ». ¿ aleblancpme@gmail.com

André LeBlanc est le cadet d’une famille de 13 enfants. On le voit ici sur une chaise, appuyé contre sa sœur Mariette. Cinq des frères du missionnaire ont suivi les sillons de leur père et sont devenus marins. Juste avant que notre numéro d’avril soit mis sous presse, Jules-Paul (à l’extrême gauche dans la rangée du bas) s’est endormi dans la mort après avoir parcouru toutes les mers du monde et piloté sur le Saint-Laurent toute sa vie. CRÉDIT PHOTO André LeBlanc

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Profil par Claude Dubois, p.m.é.*

Jean-Yves Isabel Proche du monde ordinaire

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e prime abord, Jean-Yves peut impressionner par son physique et par l’air sérieux qu’il affiche parfois. Mais c’est un homme chaleureux et généreux. Il a beaucoup d’entregent. C’est un bon communicateur et il a de la facilité à se faire des amis. Tout cela va l’aider tout au long de sa vie missionnaire qui commence le 21 août 1966 alors qu’il part pour les Philippines. Il a alors 27 ans. Il avait été ordonné prêtre pour la Société des Missions-Étrangères (SMÉ) l’année précédente, en l’église Saint-Philippe de Trois-Rivières, son milieu d’origine.

Ministères et engagements très variés Jean-Yves va travailler comme missionnaire dans quatre pays différents : huit ans aux Philippines, huit ans en Indonésie, 14 ans à Hong Kong et 18 ans jusqu’à maintenant au Canada. Dans ces différents endroits, il assume des ministères et des engagements très variés. Prêtre de paroisse aux Philippines et plus tard au Québec. Présence en milieu musulman en Indonésie. Expérience d’évangélisation parmi des travailleurs à Hong Kong puis au Québec. Responsable du Service de la Formation initiale pour l’ensemble de la SMÉ. Il y a deux ministères qu’il va particulièrement aimer : la présence en milieu musulman à Banda Aceh, dans le nord de l’île de Sumatra, en Indonésie, et le regroupement Evangelization Family, la famille de 24

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CRÉDIT PHOTO

l’évangélisation, qu’il a mis sur pied pour les travailleuses migrantes des Philippines à Hong Kong. Les étudiants de Banda Aceh Les musulmans du nord de l’île de Sumatra étaient considérés par les chrétiens comme des ennemis, un danger. Il y avait beaucoup de rivalité entre les deux groupes. Et on voyait les musulmans de la ville de Banda Aceh, tout-à-fait au nord de l’île, comme particulièrement hostiles au christianisme. C’est dans cette ville que JeanYves est nommé curé en 1976. Les curés hollandais qui l’avaient

Gilles Dubé

précédé étaient des prêtres âgés. Ils ne sortaient pas beaucoup du presbytère et ils limitaient leur action à la petite communauté de l’endroit, formée surtout de chrétiens d’origine chinoise. Tous ceux qui connaissent Jean-Yves, y compris l’évêque, savent qu’il ne passera pas sa vie au presbytère et à l’église. Malgré tout, même si on a peur qu’il se mette en danger et après maintes invitations à la prudence, on le laisse partir pour Banda Aceh. « J’y suis allé, raconte Jean-Yves, et, non seulement je ne me suis pas fait tuer, mais je me suis fait beaucoup d’amis. »


Comme point de contact avec l’Islam, il choisit l’université. Au début, il s’assoit simplement sur un banc à l’intérieur du campus, en regardant passer les étudiants et en fumant quelques cigarettes. Les gens l’ignorent apparemment. En y retournant quelques fois par semaine, il finit par faire partie du décor. Des jeunes s’approchent pour lui poser des questions et converser avec lui en indonésien ou en anglais. Des liens se tissent peu à peu. Un dialogue dans l’informel Un jour, une étudiante portant le voile, comme toutes les étudiantes d’ailleurs, lui dit que son père veut lui parler. Jean-Yves se demande bien ce que celui-ci lui veut. Cet homme est le doyen de ce qu’on peut appeler la faculté de théologie. Il demande à Jean-Yves d’être l’accompagnateur de thèse de jeunes qui étudient les religions comparées. Jean-Yves sera la personne-ressource en ce qui concerne le christianisme. Il accepte avec plaisir et il peut ainsi présenter et expliquer sa foi à plusieurs jeunes, tout en connaissant mieux la leur. Ils apprennent à se respecter mutuellement dans leurs croyances différentes, ce qui fait tomber beaucoup de préjugés et ouvre bien des portes. JeanYves devient avec le temps l’ami d’une centaine d’étudiants. Il peut avoir avec eux de petits dialogues sur différents sujets concernant la culture, les traditions et la religion. Cette expérience dure trois ans. Un moment d’épreuve Comme la SMÉ fermait sa mission en Indonésie, Jean-Yves se retrouve à Hong Kong en 1983. Malheureusement, après un trimestre et demi d’étude de la langue chinoise, le cantonnais plus précisément, il arrive à la conclusion qu’il ne pourra pas apprendre à parler décemment cette langue. Il n’a pas trop de difficulté à accepter cette épreuve. Il abandonne l’étude de la langue et, en tant que responsable du groupe, il assume des tâches qui vont permettre à ses trois confrères de continuer à étudier et de s’insérer dans le monde chinois. Pour sa part, il fait du ministère en anglais.

La mosquée de Banda Aceh, en Indonésie. CRÉDIT PHOTO

Jean-Yves Isabel

Durant son séjour en Indonésie, Jean-Yves Isabel visite de petites communautés chrétiennes situées à quelques heures de route de Banda Aceh. Ici, Takengon, un village abritant une communauté chinoise. CRÉDIT PHOTO

Jean-Yves Isabel

À Banda Aceh, avec des chrétiens d’origine chinoise. CRÉDIT PHOTO

Claude Dubois

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À l’époque, les personnes qui viennent de Chine occidentale n’ont pas l’autorisation de s’installer à Hong Kong. Elles demeurent sur ces bateaux. Elles vivent de la pêche et du travail de journalier au port. CRÉDIT PHOTO

Jean-Yves Isabel

À Hong Kong, Jean-Yves Isabel loue un appartement situé au cœur d’un quartier populaire. D’une superficie d’environ 450 pieds carrés, le petit trois-pièces sert également de maison régionale. Tous les lundis, ses confrères se joignent à lui pour célébrer l’eucharistie dans une partie du salon aménagé en chapelle. CRÉDIT PHOTO Jean-Yves Isabel

La pointe de Kowloon, où l’on peut admirer les nombreux gratte-ciels de Hong Kong. CRÉDIT PHOTO

Jean-Yves Isabel

Une famille pas comme les autres En 1987, Jean-Yves commence à fréquenter un Centre qui regroupe des émigrantes des Philippines travaillant à Hong Kong. Elles se retrouvent à ce centre le dimanche surtout. La religieuse qui est responsable est dépassée par la tâche et elle demande de l’aide à JeanYves. Celui-ci commence à donner les « séminaires d’évangélisation » préparés et lancés par Roger Bégin, p.m.é., aux Philippines. Il s’agit d’un programme de catéchèse d’adultes en 12 sessions, une par semaine. On l’enrichit en ajoutant à chaque conférence une activité de prière qui permet 26

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aux participantes de vivre le thème à un autre niveau. Il y a aussi des groupes de discussion. Ce programme restructuré attire beaucoup de monde, car il répond à des besoins à la fois religieux et sociaux : se retrouver autour de la foi commune. C’est ainsi que naît Evangelization Family. Préparer des missionnaires 90% des participantes sont des employées domestiques dans des familles chinoises et 80% de cellesci ne sont pas chrétiennes. L’employée vit et travaille avec les enfants. Ceux-ci posent des questions, ce qui donne à l’employée l’occasion de leur expliquer les symboles

religieux et surtout les valeurs du christianisme. Les parents en général réagissent bien, car ils considèrent que les valeurs présentées (amour, harmonie, pardon, etc.) aident leurs enfants. Après les 12 sessions du séminaire, trois activités spéciales préparent les participantes à vivre la mission dans leur milieu de travail et ailleurs. Lorsque les participantes ont terminé leur séminaire et ces trois activités, elles sont invitées à se joindre à une Équipe de Nouvelle Évangélisation de leur choix. Celle-ci va les aider à devenir des témoins du Christ auprès d’une catégorie déterminée de personnes : les malades des hôpitaux, les handicapés, les itinérants, etc. Elles se réunissent chaque semaine par équipes. Elles donnent ainsi des suites à leur séminaire et elles continuent à faire partie d’Evangelization Family. On sent que cette réalisation, qui en est à sa 27e année d’existence aujourd’hui, est celle qui réjouit davantage le cœur de Jean-Yves. Dans les Services généraux de la SMÉ En 1997, il rentre au pays, car il est élu membre du Conseil central


Jean-Yves Isabel anime le repas de Noël des employés de notre Maison centrale. CRÉDIT PHOTO

de la SMÉ (1997-2003) et il le sera pour un deuxième terme consécutif (2003-2008). Il assume aussi la fonction d’économe général de 2003 à 2010. En tant que tel, en lien avec le Conseil central, il administre les biens et les capitaux que possède la SMÉ. C’est un grand défi, mais un défi qu’il aime relever, car, ditil, il sent que, « dans ce domaine, il y a des possibilités et de nouvelles avenues à expérimenter ». C’est ce qu’il fera avec grande compétence pour le plus grand bien de la SMÉ et des œuvres qu’elle appuie. Depuis qu’il est de retour au pays, en plus d’assumer des responsabilités dans les Services généraux de la SMÉ, Jean-Yves exerce un ministère pastoral. Il collabore successivement avec trois paroisses. Un ministère surprenant Cependant, un ministère particulièrement original lui est confié en 2004 : celui de « responsable de la promotion des valeurs humaines et spirituelles » dans une entreprise bien connue qui fabrique des conserves de produits alimentaires.

Gilles Dubé

Une fois par semaine durant 10 ans, Jean-Yves s’y rend pour faire des contacts personnels et animer des activités qui vont dans le sens de sa responsabilité. Celles-ci consistent par exemple en un repas-partage (un mardi par mois), l’Eucharistie (une fois par mois), des initiatives pour aider des démunis à l’extérieur de l’usine (trois ou quatre fois par année), des témoignages de personnes invitées (tous les six mois), etc. Ces activités se réalisent généralement au moment de l’heure du dîner des employés, pour les personnes intéressées. Chaque fois qu’il va à l’usine, Jean-Yves se promène dans les bureaux, mais il va aussi sur le plancher, où la production a lieu. Comme il fait partie du décor maintenant, des gens le saluent et lui adressent quelques mots. Ceux qui désirent lui parler davantage peuvent le faire après s’être mis d’accord avec le superviseur. JeanYves les reçoit dans le bureau qui est mis à sa disposition. Ses services sont rémunérés par l’entreprise.

Et maintenant… Jean-Yves a mis fin à sa présence dans cette usine au début du mois de février 2015, après avoir accompagné durant un mois le prêtre qui le remplace. Le dimanche 8 février, il a célébré sa dernière Eucharistie comme responsable de la paroisse Holy Cross de Rosemère. Pour le moment, il veut « laisser retomber la poussière », comme il dit, et se concentrer sur sa fonction d’économe de la Maison centrale de la SMÉ. Quand on lui demande s’il a des projets d’avenir, il répond avec un sourire un peu malicieux qu’il ne s’en fait pas à ce sujet, car il sait que bien des personnes ont des projets pour lui. ¿ *Originaire de Saint-Rédempteur-de-Lévis, Claude Dubois a été missionnaire au Pérou et membre du Conseil central (1991-1997). Il est membre de l’équipe de rédaction de la revue Missions Étrangères depuis 2011. duboispme@yahoo.ca

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Santé et spiritualité par Claude Lacaille, p.m.é.

Une ville, un fleuve, des arbres : finie la malédiction! « Le messager me montra un fleuve d’eau de la vie resplendissant comme du cristal et qui jaillissait du trône de Dieu et de l’agneau. Au milieu de la place de la ville et des deux bras du fleuve, un arbre de vie fructifiait, douze fois : chaque mois il rend ses fruits, et les feuilles de l’arbre servent à guérir les nations. Il n’y aura plus de malédiction désormais » (Apocalypse 22, 1-2)

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urant les années 1990, j’ai été invité à Riobamba pour animer des ateliers bibliques avec des paysans autochtones quichuas. Ensemble, nous avons réfléchi sur les liens qui nous unissaient à la terre à travers leur spiritualité traditionnelle et les textes de la création dans la Bible. En Équateur, la Constitution de 2008 reconnait que la Mère-Terre (Pachamama) est sujette de droits, qu’elle a un droit fondamental à exister et à maintenir ses cycles naturels. Pachamama Pour les Quichuas, la nature est sacrée; elle engendre la vie en accueillant les semences dans son sein pour produire les aliments nécessaires aux êtres vivants qui la peuplent. Quand un enfant arrive au monde, on enterre le cordon ombilical et le placenta au pied d’un arbre qui fleurira, donnera des fruits et couvrira les vivants de son ombre. Quand la mort arrive, on retourne à la Mère-Terre en se réintégrant à elle. Toute leur vie est « religion »; par leurs jeûnes, leurs chants, leurs danses, ils perpétuent la création du monde, la vie et la culture. Ils ont pour la terre une attitude de révérence qui s’exprime à travers une variété de rituels et d’invocations. 28

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Au moment des offrandes, une jeune Quichua abreuve d’eau la Mère-Terre en reconnaissance pour la vie que celle-ci apporte à la communauté. CRÉDIT PHOTO

Claude Lacaille

Lors d’une célébration rappelant les 500 ans de l’invasion des Européens en Amérique en 1492, nous avons d’abord longuement marché dans une moraine constituée de grosses pierres rondes. Cette pérégrination malaisée nous obligeait à nous soutenir les uns les autres; elle remémorait les cinq siècles d’oppression que les Quichuas avaient subis depuis la période coloniale. Cette marche forcée était rythmée

par des complaintes évoquant les vexations et exploitations dont ils et elles avaient été victimes. Un exode symbolique! Puis nous arrivâmes devant une joyeuse rivière de montagne, vive et rapide. Il fallait la traverser pour accéder à de magnifiques parcelles de terre cultivée à flanc de montagnes. Nous laissions derrière nous ces temps d’esclavage et nous traversions du côté de la terre de


Sur les hauts plateaux des Andes, où les populations autochtones ont été refoulées, le Chimborazo proclame avec fierté la splendeur de la Création. CRÉDIT PHOTO

Claude Lacaille

liberté. C’est avec entrain que toute la troupe réalisa ce passage, les plus forts portant les plus faibles, tombant parfois à l’eau, déstabilisés par le courant, trempés par l’eau glacée, mais se soutenant les uns les autres pour que toute la communauté arrive sauve sur l’autre rive. La traversée du Jourdain! Le temps des offrandes Vint alors le moment de célébrer la Terre promise, la Pachamama, source de vie pour tous ses enfants. Vinrent les offrandes à cette Mère généreuse : un paysan ouvrit le sol d’un coup de bêche et une femme y déposa des semences. Une autre offrit de l’eau pour abreuver la terre. Nous étions assis au milieu d’un champ de maïs tout vert. Autour de nous, les flancs des Andes, découpés en courtepointe de différents jardins. En ce jour exceptionnel, Taita Inti, le Père Soleil, nous dévoilait sept splendides volcans enneigés. Un moment de révélation du sacré digne du Sinaï. Un ancien se leva et prit la parole, m’interpelant : « Padre,

as-tu déjà vu un temple plus beau que cela? Pourquoi vous, les prêtres, tenez-vous tant à nous enfermer dans des églises obscures pour prier le Créateur, Pachakamak? Nous vivons ici depuis des milliers d’années, les pieds nus sur la terre sacrée, nos orteils comme des racines s’agrippant au sol. Nous vivons ici, nous y travaillons en présence du Créateur. La Mère-Terre nous alimente fidèlement et nous passons nos journées à la remercier. Merci, merci, merci ! » Jamais je n’avais autant ressenti la sagesse inspirante de ces peuples, toujours marginalisés et écrasés, et qui sont, à n’en pas douter, ceux qui sauveront notre incivilisation de la destruction de la vie sur terre. Les peuples autochtones ont un rôle essentiel dans la lutte pour la protection de la nature, pour la défense des droits de la Mère-Terre. Ils ne se sont jamais perçus comme les maitres de la terre; au contraire les Premières Nations ont en commun de se sentir solidaires de tous les êtres vivants et de la nature dont ils font partie. L’évêque des

Indiens, Leonidas Proaño, grand prophète d’Amérique latine, disait être à la recherche de gens qui luttent pour la Paix et pour la Vie : « Nous devons agir avant qu’il ne soit trop tard, avant que l’ambition et la folie de quelques-uns ne convertissent notre planète terre en une lune morte, en un cimetière de l’espace. » ¿ claudelacaille@cgocable.ca

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Nous nous souvenons

Mgr André Vallée, p.m.é. (1930-2015)

André Vallée est né à Sainte-Anne-de-la-Pérade le 31 juillet 1930. Ordonné prêtre le 24 juin 1956, il part pour les Philippines le 30 septembre 1958 où il travaille comme missionnaire jusqu’en 1968. De 1970 à 1973, il est supérieur de la Circonscription des Philippines. Au Canada, il est supérieur du séminaire de Pont-Viau (1968-70), supérieur général de la Société des Missions-Étrangères (197379), puis secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques du Canada (1979-85). Il œuvre ensuite au Service de la formation permanente des Missions-Étrangères (1985-87). Le 28 janvier 1988, il devient évêque de l’Ordinariat militaire du Canada (1988-96), puis du diocèse de Hearst, en Ontario (1996-2005). De retour au Québec, et jusqu’en 2013, il fait du ministère dans sa paroisse natale de Sainte-Anne-de-la-Pérade. Il est décédé à Laval le 28 février 2015, à l’âge de 84 ans et 7 mois. Ses funérailles ont été célébrées à notre maison de Pont-Viau, le vendredi 6 mars. 2 Cor 4, 13-18 Jean 12, 23-26 Chers parents et amis, chers confrères, chères sœurs, chers frères dans le Christ, En 1973, je me suis retrouvé avec André au Conseil central de la Société, au terme de l’Assemblée générale la plus longue et la plus tourmentée de l’histoire de notre famille missionnaire. Réécrire les Constitutions a ébranlé les nôtres! Heureusement, cet homme merveilleux qu’a été André a su alors être un leader qui crée la communion et ouvre de nouveaux horizons. Lorsqu’il y avait un peu de tension, ses éclats de rire et son art de jouer des tours savaient détendre l’atmosphère. Mais d’où venait, chez André, cette joie de vivre? Certainement de son équilibre humain. Mais ça n’explique pas tout. La Parole de Dieu qui vient d’être proclamée nous aide à répondre à cette question. Dans l’Évangile, Jésus utilise l’image du grain de blé pour éclairer le sens de sa vie et de sa mort. Il nous rappelle que « qui aime sa vie la perd; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle ». La vie de notre ami André nous montre bien que le désir de donner sa vie est le désir le plus fondamental en nous, celui que Dieu a déposé en nos cœurs comme l’empreinte de sa présence. Tout le parcours de notre confrère André en témoigne. C’est ce désir de donner sa vie qui l’a conduit aux Missions-Étrangères, puis aux Philippines. Rapidement, il est devenu supérieur du petit séminaire de Davao puis supérieur de notre séminaire, ici à PontViau. Supérieur de la Circonscription des Philippines, il est ensuite élu supérieur général de la SMÉ. 30

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Secrétaire général de la Conférence des évêques catholiques du Canada, il sera chargé de la coordination de la visite, en 1984, du pape Jean-Paul II. En 1988, il devient le premier évêque de l’Ordinariat militaire du Canada. Dans une lettre aux fidèles des Forces armées canadiennes, l’actuel évêque de l’Ordinariat militaire Mgr Donald Thériault a écrit : « Notre ami Mgr Vallée a été pour nous, pendant ses huit ans de service, un pasteur exceptionnel et un missionnaire infatigable. Il a gagné le cœur de ses fidèles, de ses aumôniers et des personnes d’autres croyances ». À 66 ans, à l’âge où beaucoup songent à la retraite, il a été nommé au diocèse de Hearst. L’abbé René Grandmont, le chancelier de ce diocèse, écrit que « Mgr Vallée fut un évêque proche du peuple et du clergé... sa marque principale fut d’être un réel pasteur. Affable avec tous, il se faisait tout à tous... Tout l’épiscopat de Mgr Vallée fut une mise en pratique de sa devise épiscopale : Gaudium et Spes, Joie et Espoir. » En l’an 2000, il sera le premier évêque catholique et le premier francophone à devenir président du bureau de direction du Conseil canadien des Églises. Jusqu’à la fin, son visage a reflété la joie qu’apporte une vie qui n’est pas repliée sur elle-même, mais donnée pour les autres. Ordonné prêtre en 1956, c’est sûrement dans l’Eucharistie qu’il a trouvé la force d’offrir sa vie jusqu’à la fin. Nous croyons que la mort n’est pas le dernier mot de la vie. Dans sa seconde lettre aux Corinthiens, saint Paul partage les détresses et l’espérance du ministère apostolique. Il voit dans la croissance de la communauté de Corinthe le signe de la résurrection du Seigneur. Le renouveau des communautés où André a travaillé est signe de l’action du Christ qui est vivant, aujourd’hui. Paul termine en affirmant que « ce qui se voit est provisoire, ce qui ne se voit pas est éternel » (2 Cor 4, 18). Oui, nous croyons que le grain de blé qui tombe en terre produit beaucoup de fruits, que celui qui se détache de sa vie en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Extraits de l’homélie de Mgr François Lapierre, p.m.é.


Clin d’œil par Florent Vincent, p.m.é.

Itadakimasu à la maternelle

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Marie-Hélène Côté

Une histoire relatée par Florent Vincent, p.m.é., à la suite de la lecture de l’article de So Asakura (page 8). Itadakimasu disent en chœur les élèves de la maternelle Fatima No Maria avant d’entamer leur repas. Mais un jour, la distraction d’une maman va bouleverser le cours des choses. Nous sommes au début des années 1990. Comme directeur de notre école maternelle de Tokyo, il m’arrive d’aller saluer les enfants sur l’heure du midi. Il faut dire qu’au Japon, les femmes accordent beaucoup d’importance à la présentation des plats, même servis dans une boîte à lunch. Aussi, en circulant dans les classes, je m’émerveille souvent d’une portion de riz disposée en forme de cœur, de bâtonnets de carottes soigneusement alignés ou du poisson présenté de manière appétissante. Ce jour-là, alors que les élèves découvrent avec appétit le contenu de leur vento, le jeune Taro constate, lui, que sa boite est vide. Aussitôt, l’enfant de cinq ans éclate en sanglots. L’enseignante prend rapidement les choses en main : « Taro n’a pas de repas. Que pourrions-nous faire ? » En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, chacun prélève de sa boîte un peu de riz, un morceau de poisson ou encore un bout de carotte pour le donner à Taro. Comme la classe compte une vingtaine d’enfants, Taro se retrouve bientôt avec le repas le plus copieux! La bévue réparée, on peut maintenant dire le traditionnel Itadakimasu. Les enfants nous donnent parfois de bonnes leçons, n’est-ce pas?

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Dans le numéro de juin, joignez-vous à notre Super-Fête. Cet événement annuel rassemble la grande famille de la Société des Missions-Étrangères. CRÉDIT PHOTO

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