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l’opéra du sensible

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UNE ESTHÈTE PARMI LES ATHLÈTES

Texte Baptiste Chassagne

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Pour la jeune photographe, débarquée dans cet univers par le jeu favorable du hasard, le sport est un opéra du sensible. Un théâtre des émotions à la dramaturgie d’une puissance incomparable. Une chorégraphie singulière où s’enchevêtrent la beauté de corps qui se dépassent, la magie d’un lieu qui palpite et la ferveur d’une liesse populaire qui rugit. À 33 ans, esthète plus qu’athlète, Pauline Ballet s’est fait une place à part dans le peloton des photographes de sport grâce à sa démarche artistique et son talent à capturer les coulisses de ce qui brille. En clair-obscur. Avec une préférence assumée pour le cyclisme, cette discipline où les danseurs étoiles corsetés dans leur cuissard de lumière valsent avec leur bicycle et les vertiges du public. Entretien avec la moto-photographe qui, d’un cliché, peut tout sublimer. Même une voiture-balai.

Embrasser le sport apres le Baiser de l HOtel de Ville

Pour commencer, il y a un élément assez peu conventionnel dans ton parcours qui a attiré notre attention car il se retranscrit aujourd’hui dans tes photos : tu as découvert le sport à travers la photographie, comme un univers propice aux belles images et non comme une passion mordante que tu pratiques assidument depuis toute petite…

Exactement, la photo est ma véritable passion. Une passion née lors de mes années lycée grâce à la photographie humaniste, ce mouvement apparu dans le Paris populaire des années 1930 et dont le but était d’immortaliser l’être humain dans sa vie quotidienne… J’avais une fascination pour ces cartes postales en noir et blanc dont le plus fameux cliché reste Le Baiser de l’Hôtel de Ville par Robert Doisneau. J’ai hérité de par mon père d’un vieil appareil qu’il tenait lui-même d’un oncle ; tapé sur Google « apprendre la photographie en noir et blanc » ; enchaîné les stages estivaux pour me former ; puis, finalement, je suis entrée à l’École Nationale Supérieure de la Photographie, à Arles.

À quel moment et comment s’opère ta découverte du monde du sport ?

J’ai d’abord exercé comme assistante-portraitiste pour la presse, puis en complément, j’ai trouvé un boulot d’iconographe chez ASO (Amaury Sport Organisation), une entreprise qui organise nombre d’évènements sportifs dont de très célèbres comme le Marathon de Paris, le Tour de France ou Paris-Dakar. J’étais assez profane à l’égard du sport. Hormis, le Maillot Jaune et les derniers vainqueurs de Roland-Garros, je ne connaissais pas grand-chose… Un jour, mon responsable me propose de m’amener sur le terrain pour shooter la Flèche-Wallonne féminine. J’étais décontenancée car sans aucune expérience sur la manière de gérer la lumière, la vitesse, les mouvements… mais j’ai instantanément adoré ce que j’y ai vécu !

On peut presque parler de coup de foudre pour la photo de sport. Qu’est ce qui a provoqué ce déclic ?

Je me souviens ce moment précis au sommet du Mur d’Huy, l’une des ascensions mythiques de la course. L’ambiance avec les supporters, l’atmosphère typiquement belge, l’impatience, puis la ferveur qui a saisi la foule à l’instant du passage des coureuses. C’était hyper intense. L’effort qu’elles produisaient était magnifique. Intuitivement, j’ai vu plein de petits détails qui auraient mérité d’être photographiés… Cette découverte a agi comme un déclic puisqu’en janvier 2015 je me suis lancée à mon compte. Mon premier client fût le magazine Rouleur, et désormais, je travaille pour des marques, des médias, des équipes cyclistes et des organisations.

L’EFFORT QUE CES COUREUSES PRODUISAIENT ÉTAIT MAGNIFIQUE

Dire le moins pour suggerer le plus

Qu’est ce qui t’attire dans la photo de sport et que tu ne retrouves pas dans d’autres univers ?

(Du tac o tac) L’histoire que cela raconte. Ce que l’image dit du contexte. J’adore valoriser l’endroit où l’on se trouve : un col de montagne, un court de terre-battue, le centre d’un village de campagne… J’aime aussi la notion d’effort que laissent transparaître un visage, un muscle. Un corps qui se dépasse, c’est magnifique !

Selon tes critères, qu’est ce qui fait une belle photo de sport ?

Pour moi, les meilleurs photographes sont les meilleurs conteurs : ceux qui racontent les plus belles histoires. (Un temps de réflexion) Oui, c’est un peu comme ça que je conçois notre métier : nous sommes des conteurs du sensible. Je n’aurai pas la prétention de me définir comme cela, mais en tout cas, c’est ce que j’aime (sourire) !

C’est-à-dire ? Comment concrètement « conter le sensible » ?

Certaines images sont belles car très propres, superbement exposées… et d’autres sont belles car elles racontent une émotion et suscitent l’imaginaire de ceux qui la regardent. Je préfère cette deuxième catégorie. Ce qui m’intéresse, c’est capturer le petit détail qui traduit quelque chose de plus grand. Trouver cet élément de prime abord anodin mais qui se révèle en réalité plus fort que l’action en elle-même. C’est un travail très métaphorique. En quelque sorte, je conçois la photo comme une figure de style qui dit le « moins » pour suggérer le « plus ». Ça se ressent dans mon évolution. Je reviens toujours plus vers l’essentiel, j’épure un maximum mes images, réduis le matériel autour pour ne me focaliser que sur cet élément qui interpelle mon attention…

On résume aussi souvent la beauté du sport à sa dramaturgie, à sa glorieuse incertitude…

La dramaturgie est un mot que j’adore. Et qui résume parfaitement ce qui me fascine dans le sport. Le sport est un formidable théâtre dont je me plais à documenter les coulisses. Mettre en lumière ce qui se trame dans l’ombre. Cette dramaturgie, c’est d’ailleurs peut-être la raison pour laquelle la défaite m’inspire et m’émeut plus que la victoire…

JE CONÇOIS LA PHOTO COMME UNE FIGURE DE STYLE QUI DIT LE « - » POUR SUGGÉRER LE « + » !

LA DÉFAITE M’INSPIRE ET M’ÉMEUT PLUS QUE LA VICTOIRE…

Au fur et à mesure, je me suis aussi rendu compte de la puissance de ce collectif qui œuvre dans l’ombre pour générer la performance et la lumière individuelle. Une course, c’est juste un magnifique orchestre qui joue de concert !

Quelles sont les contraintes liées à la photographie de sport et quelles sont les qualités nécessaires pour y répondre ?

La qualité primordiale, c’est l’adaptation. Contrairement aux shootings en studio, tu ne maîtrises absolument rien. Au début, dans l’action, tu penses perpétuellement à ce que tu pourrais et aimerais faire, jusqu’à en oublier de te concentrer sur ce qui est en train de se dérouler sous tes yeux. Et ça peut générer beaucoup de frustration. Il faut donc être capable de se préparer, sans trop prévoir. Se donner un cadre, mais pas trop rigide, afin de rester à l’affût et s’en remettre à son instinct. Capter cette silhouette qui se détache à l’horizon, cette goutte de sueur qui coule sur un visage, ce muscle tendu qui appuie sur une pédale…

Une signature, zEro genre

Tu as shooté nombre de disciplines différentes, mais le cyclisme semble avoir ta préférence. Comment tu l’expliques ? Qu’est-ce que tu retrouves nulle part ailleurs que dans le vélo ?

Dans le cyclisme, je ressens une proximité assez incroyable avec les athlètes qui font ce sport. Contrairement au football, au tennis ou au golf, il n’y a pas ce phénomène de starification qui nous éloigne de l’acteur ou de l’actrice au cœur de son élément. Ce qui me plait le plus dans ce sport, c’est l’intensité de l’effort, le côté populaire et cette itinérance que je ne retrouve nulle part ailleurs. C’est un univers très brut et accessible. Rien n’est scénarisé. J’aime cette authenticité.

Est-ce complexe de gagner la confiance préalable au fait d’entrer dans l’intimité d’une équipe cycliste, de surcroît lorsque l’on est une femme ?

La clé, c’est le temps. Ça peut paraître très bateau comme formulation, mais clairement, la confiance se gagne… Je crois que les coureurs et coureuses que j’accompagne ont appris à m’accepter. Désormais, intuitivement, je sens lorsque je suis de trop et que je dois m’évincer. L’autre-clé, c’est la discrétion. Ceci afin d’éviter que le modèle ne pose ou change son attitude naturelle s’il se sent épié ou entend le bruit de la rafale. Le fait d’être une femme n’a jamais eu d’influence sur mon travail. Je n’ai jamais ressenti de réticence à cet égard. Tant que tu restes professionnelle et respectueuse de leur intimité, ils ne considèrent que le photographe derrière l’objectif, et pas son genre. Quand je collabore avec une équipe, je ne me considère pas comme membre de cette dernière mais le témoin de ce qui peut se s’y passer. Grâce aux images.

Considères-tu le monde de la photographie sportive comme assez conservateur ? Ton profil de jeune photographe femme est-il atypique sur le Tour de France ?

Je n’ai ressenti jamais d’animosité ou de frein à l’égard du fait que je sois une femme. Par contre, effectivement, d’un point de vue très factuel, sur les 14 motos-photographes de la Grande Boucle, nous ne sommes que 2 femmes. Après cela peut aussi s’expliquer par les contraintes inhérentes à ce métier qui exige une certaine capacité d’adaptation en termes de planning. Une flexibilité pas forcément raccord avec une vie de famille. Moi, pour le moment, balader mes boitiers et mon baluchon partout dans le monde, c’est ce

LA SIGNATURE D’UN PHOTOGRAPHE NAÎT DE SON BAGAGE HUMAIN ET CULTUREL. PAS DE SON GENRE À LA NAISSANCE.

qui me plait le plus… Grâce à la photo, j’ai découvert des endroits absolument fabuleux où je ne serais jamais allée de moi-même : la Slovaquie, l’Arabie Saoudite, Shanghai ou même des régions moins touristiques de la France.

Selon toi, le sport féminin est-il plus esthétique que le sport masculin ?

J’ai eu la chance de shooter l’Open de France féminin, en golf. Et effectivement, j’y ai constaté une certaine grâce, des gestes d’une élégance rare, des mouvements singuliers ou des détails comme les mains qui rendent le sport féminin plus photogénique sur certains points. On peut aussi lier cette aspérité aux tenues souvent plus créatives des femmes. C’est plus osé, plus artistique… Au tennis par exemple, ces cheveux qui dansent, ces jupes qui volent… C’est magnifique. (À nouveau un temps de réflexion) Par contre, je ne pense pas que l’inverse soit vrai. Le fait d’être une femme n’influence pas ma manière de shooter. La signature d’un photographe naît de son bagage humain et culturel. Pas de son genre à la naissance.

QUESTIONNAIRE DE LA ROSE

Un shooting photo à organiser pour promouvoir le sport féminin ?

« Documenter l’épreuve cycliste Paris-Roubaix avec des portraits des coureuses juste avant et juste après la course. »

Une photographe qui t’a inspirée ?

Anne-Christine Poujoulat, une photographe reporter avec qui j’ai la chance de travailler sur le Tour et quelques autres courses et qui m’inspire beaucoup, tant humainement que professionnellement.

Une athlète que tu aimes photographier ?

Je trouve Serena Williams, la tenniswoman, totalement fascinante. Elle concentre tous les talents : l’audace, l’élégance, la grâce, la rage de vaincre, la sympathie… C’est une déesse du tennis.

Une émotion forte générée par une athlète ?

Le titre de championne du monde de la cycliste Annemiek van Vleuten en 2019, qui s’était imposée après un numéro en solitaire de plus de 100 km. Je l’avais trouvée incroyablement « badass ».

Une idée pour un sport plus paritaire ?

Je me suis prise d’affection pour l’un des sports, le cyclisme, où le décalage entre les femmes et les hommes est le plus grand. C’est en partie dû au nombre restreint de compétitions qui sont organisées pour elles… Donc, plus d’épreuves pour leur permettre de s’exprimer !

C’EST UN UNIVERS TRÈS BRUT ET ACCESSIBLE. RIEN N’EST SCÉNARISÉ. J’AIME CETTE AUTHENTICITÉ.

PAULINE BALLET

www.paulineballet.com

la tornade

UN PETIT BOUT DE FEMME AVEC DES CHEVAUX SOUS LE CAPOT

Texte Baptiste Chassagne

La « Tornade » ! C’est le surnom donné à Mickaëlle Michel, cette jeune femme jockey qui renverse tout sur son passage, la hiérarchie comme les conventions. Une cavalière d’exception à l’ascension fulgurante qui, à 25 ans, fait souffler un vent de fraîcheur sur un monde de traditions : les courses hippiques. La « Tornade ». Et pas Tornado. Même si cette compétitrice hors-pair partage avec le fantastique destrier de noir ébène, une rapidité, une aptitude au combat et une élégance rares. Rencontre au PMU. Non, on déconne. Rencontre rythmée avec une stakhanoviste qui n’a pas pris de vacances depuis 4 ans : il en va de la concrétisation de ses rêves.

J’AI REMPORTÉ 17 COURSES EN L’ESPACE DE 4 MOIS, SANS VRAIMENT ÊTRE ATTENDUE, EN DÉBARQUANT UN PEU DE NULLE PART.

CERTAINS JOCKEYS ONT D’AILLEURS TENDANCE À BANALISER LA VICTOIRE, PUISQUE L’ON COURT TOUS LES JOURS, ET CE PLUSIEURS FOIS PAR JOUR ! MOI, JE CÉLÈBRE CHAQUE VICTOIRE !

Ouragan record et Formule I

Dans le milieu, vous êtes surnommée « la Tornade ». D’où vient ce pseudonyme ?

Les médias spécialisés me l’ont donné suite à la progression assez fulgurante que j’ai connu à l’automne 2017. J’ai remporté 17 courses en l’espace de 4 mois, à l’âge de 22 ans, sans vraiment être attendue, en débarquant un peu de nulle part. Ces victoires très soudaines m’ont valu ce surnom de « Tornade ». Après, je vous rassure, ce fût également un ouragan dans ma vie, ça a bouleversé pas mal de choses…

Cette arrivée assez brusque sur le devant de la scène fût-elle facile à gérer ? Comment réagit-on lorsque le succès est aussi foudroyant ?

À vrai dire, j’ai essayé de ne pas me montrer trop cérébral, de ne pas tout intellectualiser. J’ai juste pris du recul et me suis attachée à profiter un maximum de ce rêve éveillé. J’étais animée de l’insouciance de ces enfants qui ne comprennent pas trop ce qui leur arrive. L’année 2018 fût fantastique en tous points puisque j’ai établi le record de victoires pour une femme jockey : 72 gagnes en 12 mois. Certains jockeys ont d’ailleurs tendance à banaliser la victoire, puisque l’on court tous les jours, et ce plusieurs fois par jour ! Moi j’ai pris le parti de kiffer à fond, car on ne sait jamais vraiment de quoi demain sera fait. Donc je célèbre chaque victoire !

La course hippique est un sport populaire. Tout le monde voit à peu près de quoi il s’agit et se montre capable de mettre des images sur des mots. Mais peu nombreuses sont les personnes qui savent combien cette discipline est à part. Pouvez-vous nous expliquer brièvement en quoi elle consiste et comme cela fonctionne ?

Très simplement, l’hippisme se définit comme une course de chevaux en départ groupé, sur des distances allant de 1000 à 3200 m, en hippodrome. Le système repose sur trois acteurs : le propriétaire du cheval ; l’entraîneur auquel il le confie au quotidien ; et nous, les jockeys, qui sommes en réalité des pilotes de courses disponibles à la demande. Comme en Formule 1, les plus talentueux sont les plus prisés. Et tout cela fait l’objet de paris, que l’on appelle plus communément le turf.

Stakhanovisme, pedale de frein & Bis repetita

Le rythme semble ultra-soutenu. En fait, vous êtes en permanence en compétition… Pas de place, ni pour l’entrainement, ni pour les vacances…

Les courses ne vous attendent pas ! C’est une mécanique qui vous oblige à performer constamment pour vous montrer auprès des entraineurs, bénéficier de meilleurs chevaux et par voie de conséquence créer un cercle vertueux de victoires… Je monte 7 jours sur 7 et effectue plusieurs courses par jour. C’est intense ! Je n’ai pas vraiment pris de vacances depuis mes débuts sérieux, en 2017. Seulement 4 jours cet hiver, pour les fêtes. Mais j’ai raté l’opportunité d’un cheval gagnant, ce qui m’a beaucoup contrarié… En s’arrêtant, on perd le rythme et la clientèle !

Pouvez-vous nous décrire une journée-type de ce quotidien trépidant ? Elle ressemble à quoi la vie de Mickaëlle Michel ?

C’est une vie haletante ! Menée à 100 à l’heure ! Je me lève à l’aube pour entrainer des chevaux sur un galop rapide dès 6h30. Ceci afin de m’offrir l’opportunité de pouvoir les monter ensuite en compétition. L’idée, c’est de leur faire effectuer un effort très intense qui simule la course. Cela me prend 30 minutes par galop. Ensuite, à 9h30, après mon petit-déjeuner,

JE MONTE 7 JOURS SUR 7 ET EFFECTUE PLUSIEURS COURSES PAR JOUR. C’EST INTENSE ! JE N’AI PAS VRAIMENT PRIS DE VACANCES DEPUIS MES DÉBUTS SÉRIEUX, EN 2017. SEULEMENT 4 JOURS CET HIVER, POUR LES FÊTES.

je pars pour l’hippodrome où se déroulent les épreuves du jour. Je concours ensuite toute la deuxième partie de journée. Les déplacements sont parfois longs, je rentre régulièrement tard le soir… Et le lendemain, bis repetita !

C’est une vie d’ascète, presque stakhanoviste. Hormis cette capacité à suivre ce rythme effréné, quelles sont les qualités qui fondent une bonne cavalière ?

La première des qualités, souvent rédhibitoires, c’est la rigueur que l’on est capable de s’appliquer dans son hygiène de vie. Car, on ne va pas le nier : le poids joue un rôle prépondérant. Si je suis trop lourde, je ne pourrai pas monter certains chevaux. D’une certaine manière, plus tu es légère, plus tu pourras t’aligner sur un large choix de courses. C’est donc un fort investissement mental au quotidien, qui nécessite une belle persévérance, permettant de s’astreindre à un régime alimentaire permanent. (Un temps de réflexion) Ensuite, j’évoquerais les aptitudes purement physiques et musculaires car une course, c’est un effort très violent et intense d’1 min 30 à 2 minutes qu’il faut être prête à assumer ! Enfin, un autre élément fondamental,

c’est la capacité d’adaptation. Les chevaux ne sont pas des voitures, ça reste du vivant ! Il s’agit d’apprendre à les connaître et à les apprivoiser pour qu’ils puissent exprimer la plénitude de leur potentiel en très peu de temps. Parfois, je les découvre seulement quelques minutes avant la course !

La course hippique requiert aussi de grandes facultés d’engagement ?

Oui, je considère d’ailleurs cela comme un sport extrême ! Sur un cheval lancé à 60 km/h, tu n’as pas de pédale de frein. Parfois, certaines montures peuvent se révéler très virulentes et dangereuses. Et pendant la course, le moindre écart d’un jockey peut envoyer son concurrent à la faute… Les chutes ne sont pas régulières, mais lorsque tu tombes, tu te fais mal ! Il faut savoir prendre des risques, c’est une certitude !

ON NE VA PAS LE NIER : LE POIDS JOUE UN RÔLE PRÉPONDÉRANT. SUR UN CHEVAL LANCÉ À 60 KM/H, TU N’AS PAS DE PÉDALE DE FREIN.

Arc de triomphe, sauna et tenue de combat

Vous avez seulement 25 ans mais vous semblez déjà tutoyer les sommets de votre sport. Quels sont vos objectifs à court et moyen termes ? Comment voyez-vous la suite de votre carrière ?

Au quotidien, mon objectif est de gagner tous les jours, le plus de courses possibles. Ces épreuves sont référencées par catégories, celles appartenant aux « Groupes » sont les plus prisées, sachant que le « Groupe 1 » réunit lui toutes les compétitions qu’un jockey rêve un jour de remporter. Clairement, lever les bras sur le Prix de l’Arc de Triomphe, l’un des « Groupe 1 » mythiques, ce serait magique. Le chemin à parcourir reste long. J’ai posé les premières pierres via deux belles premières victoires sur des « Groupe 2 », l’année dernière, en Italie. Cependant, pour cela, il faudrait que j’ai ma chance. Une chance équivalente à celle des hommes ! (À nouveau un temps de réflexion) Ça aussi, c’est un objectif de long-terme qui m’anime : ne plus être considérée comme une femme jockey, mais comme un jockey international, comme l’égale de mes pairs, sans disparité de genre.

Vous revenez d’une expérience concluante de plusieurs mois au Japon et avez prévu d’y retourner très prochainement vous y installer. Pourquoi ? La concrétisation de vos objectifs passent-elles nécessairement par une délocalisation, loin de la France ?

Il y a deux raisons à mon expatriation. La première, très positive, c’est le véritable coup de cœur que j’ai ressenti à l’égard de ce pays, lors de mon passage en 2020. Je bénéficiais d’une licence temporaire me permettant de concourir pendant 2 mois sur les compétitions nationales. J’y ai remporté 30 victoires. Un record sur ce laps de temps. Le Japon disposant d’une véritable culture hippique, très profondément ancrée, j’ai mené une vie de star tout au long de cette expérience, avec une sincère reconnaissance pour mon sport. La deuxième raison qui me pousse à y retourner, c’est l’ouverture d’esprit à l’œuvre là-bas et que je ne retrouve pas encore totalement en France.

C’est-à-dire ? Quelle ouverture d’esprit allez-vous rechercher au Japon que vous ne trouvez pas en France ?

Au Japon, peu importe le genre, ils valorisent le talent. Ici, l’hippisme a beau s’avancer comme un sport mixte, les mentalités sont assez fermées. Parfois à un point que l’on soupçonne difficilement. Dans les faits, dans les coulisses, bien qu’elle soit prônée dans les discours, la parité ne se retranscrit pas toujours dans les actes. C’est un long chemin de croix, semé d’embûches, que de percer en tant que femme jockey sur les hippodromes de l’Hexagone…

Concrètement, comment se manifeste ce manque de parité dans les courses hippiques ? Comment vous fait-on sentir votre statut de femme au quotidien ?

ICI, L’HIPPISME A BEAU S’AVANCER COMME UN SPORT MIXTE, LES MENTALITÉS SONT ASSEZ FERMÉES. PARFOIS À UN POINT QUE L’ON SOUPÇONNE DIFFICILEMENT.

CLAIREMENT, LEVER LES BRAS SUR LE PRIX DE L’ARC DE TRIOMPHE, CE SERAIT MAGIQUE.

Tout part de réflexions assez triviales. La classique, c’est que les femmes ont moins de force que les hommes et qu’il faudrait de la puissance pour diriger un cheval. Sauf que le pilotage, c’est aussi une affaire de sensibilité, de délicatesse, de souplesse… Souvent, lorsque mon agent, Frédéric Spanu, celui qui m’a révélé et fait confiance en 2017, démarche des entraîneurs pour leur proposer que je monte leur cheval, ils rétorquent que ce dernier n’est pas fait pour moi. (On sent la frustration poindre) D’autres éléments sont assez éloquents. Par exemple, certains hippodromes ne disposent que de vestiaires et saunas mixtes pour se changer et éventuellement perdre un peu de poids. Nous, les femmes, n’avons pas d’espace à part.

On sent de la hargne, presque de la rancœur, dans votre discours. Cette injustice constitue-t-elle un levier de motivation supplémentaire ?

Oui, entendre ces discours et passer autant d’énergie pour obtenir la parité, ça me frustre... Aujourd’hui, j’adopte donc une position de combattante. Peut-être que je vais essuyer les plâtres, mais au moins, la bataille que je mène bénéficiera aux générations futures de petites filles qui rêvent de devenir jockey !

QUESTIONNAIRE DE LA ROSE

La sportive qui vous a fait rêver enfant ?

Laure Manaudou. La femme forte par excellence, physiquement et mentalement.

La sportive que vous admirez aujourd’hui ?

Michelle Payne, une jockey australienne d’exception devenue entraineuse. Elle a prouvé qu’il était possible de réussir pour une femme jockey.

La sportive qui vous a marqué par son engagement pour la parité ?

Billie Jean King, la tenniswoman qui a battu un concurrent masculin. L’incarnation même du cran. Elle leur a mis une belle claque à tous.

Votre plus belle émotion en tant que spectatrice ?

Je suis allé au stade encourager l’équipe de France de football féminin, lors de la Coupe du Monde organisée dans l’Hexagone, en 2019. J’ai été émue par le talent de ces nanas.

Une idée pour un sport plus paritaire ?

Moins de bêtise et moins de machisme. L’hippisme a beau être l’une des seules disciplines mixtes, il demeure l’un des sports les plus en retard sur le principe de parité.

MICKAËLLE MICHEL

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