Grand siècle heliot extrait

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Johan Héliot

Grand Siècle L'Académie de l'Éther

EXTRAIT Épreuves non corrigées

Éditions Mnémos | Sortie mai 2017

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Un trait de feu coupa la nuit en deux, d’un bord à l’autre de l’horizon. Il fut accompagné d’un grondement d’orage furieux, sans aucun nuage visible à des lieues à la ronde. La coque et la mâture de la Superbe en tremblèrent longuement. La frégate parut s’ébrouer et secouer sa mâture, comme un cheval agacé agite sa crinière. L’équipage endormi sortit de la torpeur pour assister à l’embrasement de la voûte céleste. — On nous attaque ? s’étonna un matelot. Pourquoi la vigie n’a pas donné l’alerte ? — Parce qu’il n’y a aucune voile en vue, rétorqua un des hommes restés de quart sur le pont. Et ce n’était pas un coup de canon. — Quoi, alors ? L’irruption des officiers mit un terme à l’échange. Le capi­ taine et son lieutenant, accompagnés d’un bleu ayant tout juste accédé au grade d’enseigne, se précipitèrent sur le gaillard d’avant, juste à temps pour voir enfler une gerbe d’écume, à quelques milles cap nord-nord-ouest, sous le regard ­impavide d’une lune presque pleine. 3


La mer fut violemment secouée, ainsi que la Superbe. Chacun s’agrippa comme il le pouvait, qui au bastingage, qui à la barre ou à un bout. Mille jurons s’envolèrent, noyés dans un fracas de tonnerre, peu à peu mué en sifflement de bouilloire tandis qu’un panache de vapeur moussait à la surface des flots. Tout revint vite à la normale, exception faite d’une drôle de lueur bleu-vert à l’endroit où venait de s’abîmer l’objet tombé du ciel. — Qu’est-ce que c’était ? demanda l’enseigne. Le capitaine garda un moment le silence, un œil collé à l’embout de sa lunette de longue-vue. — Je l’ignore, monsieur, finit-il par répondre en glissant l’instrument à sa ceinture. Mais nous ne tarderons pas à l’ap­ prendre. Faites dévier notre course et mettre le cap sur cet étrange lumignon ! Des ordres furent lancés en conséquence. La frégate vira de bord et, toutes voiles gonflées, ne tarda pas à atteindre son objectif. Une fois la Superbe en panne, une chaloupe fut mise à l’eau. L’enseigne et trois matelots prirent place à son bord. Tandis qu’ils souquaient, chaque coup de rame les rapprochant de la drôle de lune miniature, ballotée par une faible houle, l’équipage entier retenait son souffle. Chacun, du mousse au capitaine en passant par le bosco, les charpentiers ou le coq, se rendait compte du caractère insolite de la trouvaille. Le lieutenant, féru de sciences, fort bien instruit en la matière, échafaudait déjà des théories ; parfois, des pierres ­jaillissaient de l’Éther étoilé, détachée de quelque comète, avant de s’écraser sur terre ou bien couler à pic dans les pro­ fondeurs des mers. Mais on n’avait jamais entendu parler d’un aérolithe capable de flotter ! Deux matelots s’emparèrent du globe luminescent à l’aide d’une gaffe et le hissèrent sans difficulté par-dessus le ­plat-bord. Il roula jusqu’aux pieds de l’enseigne, qui en éprouva la solidité 4


d’abord de la pointe de sa botte. Puis, s’enhardissant, l’officier frappa un grand coup avec son talon. L’objet produisit un son étouffé, à peine perceptible, avant de s’éteindre soudainement. Des exclamations s’élevèrent du pont de la Superbe. Le ­capitaine jura à voix basse. — L’imbécile, maugréa le lieutenant. Pourvu qu’il ne l’ait pas endommagé. Il songeait en effet à présenter la découverte devant quelque savante assemblée, et pourquoi pas la Cour ­elle-même ? On disait le jeune roi curieux par nature. Louis avait pour le moment maille à partir avec les princes Frondeurs et l’armée de Condé, son cousin. Une distraction serait la bienvenue. Déjà, le lieutenant s’imaginait recevoir un compliment, sinon une charge en récompense. Encore fallait-il passer outre ­l­’autorité de cette bête de capitaine, le dissuader de s’ac­caparer la petite lune. Le lieutenant n’était pas inquiet à ce sujet. D’ici leur retour à l’arsenal de Brest, il trouverait le moyen ­d’intriguer dans le sens de son intérêt. La chaloupe de nouveau amarrée au navire, on t­ransporta avec précaution la sphère désormais d’un noir profond jusque dans le carré des officiers, en l’enrobant dans un filet de hamac. Elle ne pesait pas si lourd qu’il suffisait d’une paire de matelot pour la déplacer. Un coffre fut vidé de sa vaisselle pour ­l’accueillir en toute sécurité. — Je n’ai jamais vu de métal pareil, avoua l’enseigne. La pièce a été coulée d’un bloc, abrasée à la perfection. — Cela ressemble à un boulet, remarqua le capitaine, mais ce n’en est sûrement pas un. Quel canon aurait la bouche assez vaste pour l’engloutir ? Le lieutenant ne disait rien, absorbé dans sa contem­ plation. Un trouble l’envahissait, dont la nature lui échappait. Ses pensées devenaient confuses à force de concentration sur l’absolue noirceur de la sphère. Il eut l’impression de 5


perdre pied, lui que ni roulis, ni tangage ne déséquilibraient jamais… — Vous vous sentez bien, monsieur Rochet ? s’inquiéta l’enseigne.Vous êtes si pâle ! La voix du jeune homme semblait parvenir de très loin. Le lieutenant dut fournir un effort conséquent pour s’arracher à la vision du contenu du coffre. Il se sentit aussitôt ragaillardi. — Un égarement passager, rien de plus. J’avais la tête ailleurs. C’était, pour partie, la vérité. Un bref instant, Baptiste Rochet, lieutenant de frégate, officier du roi, avait abandonné le carré de la Superbe pour voguer sur une mer de ténèbres, avec pour horizon des constellations fantaisistes, composées de myriades d’étoiles désordonnées, le privant de tout repère. — C’en sera tout pour cette nuit, fit le capitaine. Je ­retourne me coucher. Monsieur Rochet, puisque vous avez recouvré vos esprits, vous assurerez le prochain quart. Il rabattit le couvercle du coffre, puis le referma à double tour, empochant la clé. Le lieutenant salua avant de rejoindre le pont. Là, il ­s’appuya au bastingage et resta à sonder la nuit confondue à la mer, son parfait reflet d’obscurité piquetée d’éclats dia­ mantins. Pour la première fois de son existence, Baptiste Rochet s’interrogea sur la nature exacte de l’Éther et des corps astraux, l’influence de la course des planètes sur le fond de la sphère céleste, et autres comètes sur la destinée des hommes. Quelque chose en lui avait changé, il pouvait le sentir, depuis que le globe noir avait tenté de l’attirer… Il sourit à cette idée, effrayante et ridicule. Ce n’était qu’un objet, certes des plus singuliers, mais pas plus doté d’âme ou de pensée que n’importe quel outil, caillou ou animal de la Création. Il ne possédait évidemment aucune forme d’intention ! Plutôt qu’à ce genre d’élucubrations, mieux valait songer au stratagème qui permettrait de le soustraire à l’attention du 6


capitaine au moment d’accoster le royaume de France, d’ici une à deux semaines, si aucune avarie ou mauvaise ­rencontre – des pirates, par exemple, ou un vaisseau espagnol – ne ­menaçaient l’avenir proche de la Superbe. Ce à quoi Baptiste Rochet, lieutenant de frégate, officier du roi, s’employa aussitôt avec toute l’ingéniosité requise.

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