47 Textes d'Alexandre Bocquier Illustration de couverture réalisée en 2008 par Olivier Sanfilippo
Sommaire
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page : 4
Gaijin
page : 21
Présentation d'Alexandre Bocquier
page : 61
Présentation d'Olivier Sanfilippo
page : 62
Mentions Légales
page : 66
Résumé
page : 67
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47 1701, ère Edo. Japon. Depuis l’accession au pouvoir du shogunat Tokugawa, un siècle auparavant, le Japon était plongé dans une politique isolationniste. Ainsi protégé des perturbations extérieures, la paix semblait perdurer, mais la quiétude du pays du Soleil Levant n’était pas exempte de nuages. Les chrétiens nouvellement convertis étaient tourmentés, traqués, tués, et les samouraïs cherchaient leur place. Ces guerriers s’avéraient trop nombreux pour cette accalmie durable. Certains devenaient des fonctionnaires, d’autres louaient leurs services aux plus offrants. Mais la majorité restait fidèle à leur maître, n’hésitant pas à s’occuper des basses besognes pour lui. Ils le respectaient sans condition et pouvaient le suivre jusque dans la mort. Tels étaient les préceptes du Bushido. En ce qui concerne la valeur martiale, le mérite réside plus dans le fait de mourir pour son seigneur que dans le courage de vaincre ses ennemis.1 Cette année-là, de même que les précédentes, l’empereur envoya une ambassade composée de membres de la cour impériale, depuis Kyoto jusqu’à Edo, pour présenter ses vœux au shogun Tokugawa Tsunayoshi à l’occasion de Les passages en italique sont extraits du Hagakure, écrit par Yamamoto Tsunetomo (traduit par Josette Nickels-Grolier). Il s’agit d’un ouvrage didactique, originellement en onze tomes, à destination des samouraïs. 1
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la nouvelle année. Comme à l’accoutumée, le shogun désigna des vassaux pour se consacrer à la cérémonie de réception qui devait avoir lieu. Il choisit deux daimyos – seigneurs locaux du Japon féodal – respectivement nommés Date et Asano Naganori. Alors âgé de trente-six ans, ce dernier manquait d’expérience, ignorant les règles et les convenances à observer pour cette préparation. Il n’était que le daimyo du petit domaine d’Akô dans l’ouest du Honshu, la principale île du Japon. Il décida donc de demander conseil auprès d’un samouraï : Kira Yoshinaka. Ce grand maître des cérémonies de la maison du shogun s’avérait acrimonieux, pour ne pas dire insupportable, mais Asano n’avait pas le choix ; il ne pouvait décemment pas décevoir le shogun et encore moins revenir sur l’une de ses décisions. La collaboration entre ces deux hommes partit du mauvais pied et s’envenima rapidement. Asano était une personne d’honneur, un confucéen à la morale inflexible, tandis que Kira était un vieillard corrompu dont le goût pour l’argent et le pouvoir ne revêtait pas un caractère secret. « Monsieur Yoshinaka, je vous ai couvert de cadeaux comme vous le souhaitiez, dit Asano d’une voix obligeante. Maintenant, j’attends votre aide. Je vous en conjure, le temps presse. — Comment ?! Te moquerais-tu de moi, Asano ? Tu appelles cela des cadeaux ? J’appelle cela de la pacotille ! Je ne vois pas pourquoi je te rendrais service en échange. — Mais… — Pas de mais ! s’écria Kira. Je sais que tu es riche. Tu peux faire mieux. 5
— Je n’achète pas vos services. Je sollicite seulement votre aide. — Ramène-moi des objets plus précieux ! Des kimonos peints par un grand artiste d’Edo par exemple. Ensuite, peut-être, t’apporterai-je mon aide inestimable pour la cérémonie. » Il était jaloux de la fortune d’Asano et désirait plus de présents de sa part. Le daimyo se retrouvait dos au mur et estimait, à juste titre, que le vieillard abusait de la situation. Malgré tout, il continua de solliciter son appui avec déférence alors que le vieil homme refusait et allait jusqu’à l’insulter ouvertement. Un jour, acculé, à bout de nerfs, il dégaina son wakizashi2 et blessa Kira au front ainsi qu’à l’épaule. Celui-ci appela, cria à l’aide : « Au secours ! Asano est devenu fou ! Par pitié, venez… » Le daimyo fut maîtrisé et arrêté. Une simple éraflure avait résulté de cette attaque impulsive, poussée par l’arrogance du vieillard, mais le fait même de brandir un sabre à l’intérieur du palais shogunal constituait un grave délit. Tokugawa Tsunayoshi en fut informé et fit preuve d’une autorité rigoureuse, cruelle… Il rendit son verdict sans mener la moindre investigation, sans recueillir le plus petit témoignage. Beaucoup méprisaient Kira, mais le gong glacial de la justice devait résonner. Il fallait punir l’homme qui avait troublé la quiétude du palais. Asano fut condamné à mettre fin à ses jours par seppuku. Comme le voulait la coutume, ce rituel destiné à laver les fautes, à sauver l’honneur, eut lieu devant une audience restreinte. Le daimyo était digne et il ne chercha pas 2
Court sabre dont la lame varie entre 30 et 60 centimètres.
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à se dérober à la sentence. Vêtu d’un blanc immaculé, à genoux, face aux regards attisés des membres de la cour, y compris ce Kira corrompu, il s’ouvrit le ventre avec un poignard. Malgré la terrible souffrance, il ne laissa rien paraître, estimable jusque dans la mort. Il se pencha ; le silence l’embaumait déjà. Un homme s’avança vers lui, un katana à la main, et lui trancha la tête d’un coup sec, abrégeant ainsi la douleur qui s’emparait de tout son être. Kira esquissa un sourire morbide. Son importun avait payé sa droiture de son sang. Asano Naganori fut inhumé au temple Sengaku-ji d’Edo. Contre son gré, feu le daimyo apporta la honte sur sa famille. Son château et toutes ses possessions furent confisqués par le shogun qui les redonna ensuite au seigneur d’une autre famille. Cette mort soudaine laissait orphelins des enfants, mais aussi tout un clan, une garde de trois cent vingt et un samouraïs. Sans maître à servir, ces guerriers étaient devenus des sans-abri sans revenus, des rônins. Si quelqu’un n’a pas connu l’état de rônin au moins sept fois dans sa vie, il ne peut se targuer d’être un authentique serviteur. Sept fois déchu, huit fois relevé. La plupart des anciens samouraïs au service d’Asano se dispersèrent sitôt après sa disparition. L’un d’eux, cependant, ne pouvait se résoudre à tourner la page si vite et si aisément. Ôishi Kuranosuke savait qui était le réel responsable du décès de son maître ; personne n’aurait pu rester insensible aux affronts de l’insupportable vieillard.
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Maintenant, c’étaient à ses serviteurs d’honorer la mémoire du maître, d’obtenir vengeance. « Le bushido consiste à se débattre avec la force du désespoir entre les mâchoires de la mort 3 », répétait sans cesse Ôishi. Ce dernier chercha à réunir les individus les plus loyaux du clan révolu d’Akô. Quarante-six d’entre eux répondirent à son appel, prêts comme lui à donner leur vie pour venger leur maître. Quarante-sept hommes, une force non négligeable, mais impuissante face à une armée. Kira résidait dans le palais shogunal d’Edo, l’un des endroits les mieux gardés du Japon et même du monde entier. Qui plus est, il s’attendait à une possible attaque de la part des guerriers jadis au service d’Asano, « l’homme sans tête » comme il aimait à le nommer à présent. Les rônins, désormais sous le commandement officieux d’Ôishi, n’étaient pas idiots. Ils savaient que le vieil homme avait fait redoubler, voire décupler les gardes autour de sa demeure. Il aurait été stupide de s’en prendre à lui tête baissée. Leur nouveau meneur y avait déjà songé et il expliqua son plan à ses compagnons… En ce monde, rien n’est impossible. Il est dit qu’avec force et détermination, il est possible de remuer le ciel et la terre. Mais, comme l’homme manque de volonté, les choses semblent hors de sa portée, car, souvent, il ne peut résoudre son cœur à affronter les problèmes que posent les projets compliqués. Les quarante-sept rônins ne pouvaient approcher du palais shogunal. Trop protégé, trop dangereux… Ces samouraïs se sentaient même surveillés, comme des bêtes en 3
Maxime du daimyo Naoshige.
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cage. Ils avaient l’impression étrange, persistante et angoissante que Kira les guettait, attendant un faux pas de leur part pour lancer une armada de soldats à leurs trousses. Ils décidèrent donc de se séparer et quittèrent Edo pour reprendre une vie ordinaire, du moins en apparence. Chacun d’entre eux tentait de subsister comme ils le pouvaient. Certains jouaient les gardes du corps pour riches administrateurs ou commerçants itinérants. Quelques-uns étaient devenus des mercenaires qui louaient leurs services. Quant aux autres, ils menaient une existence misérable de vagabond solitaire. Ôishi Kuranosuke était de ceux-là. Il vivait dans les faubourgs malfamés de la grande Kyoto. Il dormait le jour, sortait la nuit. Il ne voyait et ne parlait à personne. Ses rares conversations se limitaient essentiellement à : « Du saké s’il vous plaît ». Ivrogne, il l’était assurément. Il titubait. Ses pensées aussi oscillaient, se faisaient moins claires, plus agitées. Noyait-il ses regrets de samouraï dans l’alcool de riz ? S’en voulait-il de ne pas être mort avec son maître ou de ne pas avoir réussi à le venger ? Les anciens nous enseignent que le samouraï doit se montrer excessif jusque dans son obstination. Lorsque la modération prévaut à la réalisation d’une action, les conséquences qui s’en suivent peuvent se révéler totalement insuffisantes. Ôishi s’avérait être un acteur exceptionnel. Les rônins et lui feintaient une vie d’errance, sans but, alors que leur objectif, au contraire, était parfaitement identifié. Leur détermination demeurait inaltérable. Les mois passèrent. Le peuple et la cour, le turpide Kira compris, finirent par oublier la mort d’Asano. Ses anciens 9
serviteurs étaient passés pour des lâches qui n’avaient osé le rejoindre dans la mort en se suicidant ou en tentant de s’en prendre au vrai coupable. Les cérémonies officielles avaient perduré au palais shogunal, les traîtrises et bassesses en tout genre également. Mais pour les quarantesept, le temps s’était figé. Les jours, les semaines, les saisons… Ils n’y prêtaient plus attention. Leurs esprits et leurs corps étaient des outils, des armes au même titre que leurs katanas. L’esprit d’un homme, dès lors qu’il a pris conscience de cette vérité, n’est obsédé par aucune autre pensée ni aucune autre envie : pour lui, la vie s’écoule guidée par sa seule ferveur. […] La loyauté est inhérente à la ferveur. Les rônins étaient déjà forts, mais ils s’entraînaient sans cesse pour devenir les meilleurs guerriers, se réunissant en secret chaque fois qu’ils le pouvaient, s’affrontant au shinai – un sabre en bois – ou à mains nues. Leurs techniques s’affinaient, leurs coups gagnaient en puissance et leurs mouvements en rapidité. À tour de rôle, la nuit, ils allaient inspecter les pourtours du palais. La construction de l’édifice avait été entreprise en 1590 et il s’avérait être, avec ses grands jardins zens, le plus vaste du monde. Cette tâche se montrait donc plus ardue qu’elle n’y paraissait. Elle devait être pratiquée avec minutie et précaution. Il fallait chercher les failles dans les gardes sans se faire remarquer au risque de voir échouer leur devoir solennel. Une partie du palais, l’Hyakunin Basho, abritait à elle seule une centaine de samouraïs préposés à la surveillance des lieux. Ces guerriers représentaient l’élite du Japon. Ils étaient entraînés depuis leur plus jeune âge et bénéficiaient de sabres confectionnés 10
par les meilleurs forgerons. Vaincre une telle garde avec un effectif nettement inférieur semblait impossible, mais les éviter n’était guère plus simple… 14 décembre 1702. Quarante-sept hommes, des compagnons d’armes, une famille faite de loyauté et de sueur… Un clan rugissant renaissait de ses cendres, illuminant cette nuit noire de ses ailes flamboyantes. Les étoiles étaient absentes, la lune dissimulée par d’épais nuages. Près de deux ans s’étaient écoulés depuis la mort d’Asano Naganori, pourtant la ferveur des quarante-sept guerriers se révélait intacte, fidèle au bushido. Ils s’étaient fait confectionner de nouvelles armes spécialement pour l’occasion, pour se hisser à la hauteur des sabres de leurs présumés attaquants. Leur daishô – l’union du wakizashi et du redoutable katana – était glissé sous leur ceinture, dans leurs fourreaux. Malgré leurs épais kimonos, noirs comme l’obscurité salutaire qui les encerclaient, le froid engourdissait leurs muscles et dressait leurs poils… à moins que ce ne fût la peur de trépasser ? Chaque matin, votre esprit doit recommencer à affronter l’idée que vous êtes déjà mort. Chaque jour, au cours de la matinée, alors que votre esprit est en paix, n’oubliez jamais de penser que vous êtes déjà mort. Non, aucun de ces rônins ne craignait de disparaître. Leur vie ne leur appartenait plus depuis longtemps, ils l’avaient confiée à leur maître. Seule l’éventualité de l’échec dans leur mission les effrayait. Peut-être qu’ils n’avaient pas suffisamment attendu, que Kira était tou11
jours autant sur ses gardes ? Ou pire, ce vieillard était peut-être alité, aux frontières de l’au-delà. Dans ce cas, sa mort n’aurait plus la même saveur, ce goût de justice. Mais cette peur n’était qu’une flammèche sur le point de s’éteindre. Ôishi fit un pas en avant. Derrière lui se dressaient sept groupes d’hommes qu’il commandait et qui le suivaient sans condition. « Premier groupe : Kataoka Gengoemon, dit-il d’une voix étouffée. — Oui, acquiesça le rônin qui venait d’être dénommé. — Deuxième groupe : Hayamizy Tôzaemon. — Oui. — Troisième groupe : moi-même, Ôishi Kuranosuke. Quatrième groupe : Horibe Yahee. — Oui. — Cinquième groupe : Horibe Yasubei. — Oui. — Sixième groupe : Ôishi Chikara. — Oui. — Septième et dernier groupe : Yoshida Chûzaemon. — Oui. » De front, en catimini, les samouraïs appelés par Ôishi avancèrent d’un pas vers lui. Baignés par l’ombre des murs entourant le palais shogunal, avec leurs chevelures noires et leurs tenues identiques, ils semblaient frères… Frères d’armes. « Tous vos hommes sont présents et prêts à passer à l’exécution de la mission ? » murmura Ôishi.
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Les six rônins face à lui acquiescèrent d’un hochement de tête. « Si l’un de vous voit sa volonté vaciller et qu’il souhaite renoncer, c’est le moment. Dans quelques secondes, il sera trop tard. Il n’y aura pas de fuite, pas de renoncement… Et pas d’échec. » Le lourd silence qui enveloppa Ôishi lui prouva la loyauté de ses compagnons. « Allons-y », conclut-il d’une voix basse et assurée. Quelle que soit la situation, le samouraï est dans l’erreur s’il se présente abattu et soucieux ; il ne peut être d’aucune utilité à moins d’être déterminé et prêt à entreprendre ce qu’il faut pour remporter la victoire. Les quarante-sept rônins se faufilèrent furtivement dans l’enceinte du palais. Ils passèrent par l’entrée la moins gardée, avançant d’un pas rapide mais silencieux, en brandissant leurs katanas. Danger ! Des samouraïs du shogun rôdaient dans les larges allées. À l’affût du moindre bruit suspect, ils aperçurent ces intrus presque immédiatement et s’élancèrent à leur rencontre en dégainant leurs sabres. « Par ordre du shogun, rendez-vous ! » s’écria l’un d’eux. Les rônins se dispersèrent aussitôt. Sept groupes d’hommes constitués par Ôishi en fonction de l’expérience et des habilités de chacun. Sept fois plus de chance pour eux d’atteindre leur but. Pourtant, la partie ne faisait que débuter, et leur parcours se révélait semé d’embûches faites d’acier, une muraille franchissable mais funeste. Courir. Courir toujours plus vite pour essayer de s’approcher un peu plus de leur cible. 13
Les cerbères du shogun, endormis ou enivrés par le saké pour moitié, se montraient désordonnés, décontenancés par la surprise et même par la panique pour certains d’entre eux. Leurs ennemis semblaient glisser sur le sol, longer les murs. À la lumière des braseros qui bordaient les allées, les ombres se retrouvaient projetées de toute part. Quelques rônins commençaient déjà à pénétrer dans les maisons endormies pour se dissimuler mais aussi pour chercher leur proie, Kira, tandis que leurs compagnons se battaient avec une rage impressionnante. Les lames s’entrechoquaient violemment. Le bruit glacial du métal se propageait et attirait d’autres samouraïs. L’un d’eux donna l’alerte. Malédiction ! Une partie du palais se réveilla brutalement de sa torpeur nocturne. Le glas venait-il de sonner pour eux ? Allaient-ils périr ici, maintenant, avant d’avoir accompli leur devoir ? Leur sort venait d’être scellé. Des renforts n’allaient pas tarder à rallier les soldats et former un tsunami que rien ni personne ne pourrait arrêter. Courir à toutes jambes. Ôishi était épaulé par deux de ses meilleurs hommes. À eux trois, il formait le plus petit groupe avec le septième. Ils paraissaient aux abois, accablés, submergés par une vague dévastatrice. Les chances d’échapper aux coups s’avéraient minces, pour ne pas dire ridicules, pourtant leurs forces et leurs expériences réciproques faisaient d’eux les plus redoutables guerriers qui fussent. Et leur meneur ne doutait pas, ni de lui, ni de ses compagnons. Leur entraînement et leur dévotion marquaient leurs adversaires au fer rouge. Les giclées grenat venaient se mêler aux 14
grondements. Les corps des soldats du shogun jonchaient le sol. Ils s’entassaient à une vitesse prodigieuse, et leur sang maculait les pierres. Ôishi étreignait la poignée de son katana de ses deux mains. La lame gouttait, déversant des larmes rouge vif. Le samouraï la fixa un instant avec des yeux flamboyants. Ce sabre n’était pas un simple objet. C’était le katana qui avait servi lors du seppuku de son maître, l’arme qui l’avait décapité, le symbole de la vengeance des quarantesept rônins, subtilisé par leurs soins quelques mois auparavant. Au loin, il entendait des cris sauvages d’agonie. Ses poils se hérissèrent et son sang se glaça. L’odeur âpre et persistante de la mort envahissait les lieux. Combien d’hommes étaient déjà morts depuis qu’il avait franchi l’enceinte du palais ? Et surtout combien des siens ? Il se sentit impuissant un bref instant, guère davantage, car il se ressaisit presque aussitôt comme il en avait coutume, fidèle à ses convictions. Ces cris ne pouvaient être ceux de ses compagnons. Ils avaient trop d’honneur pour se mettre ainsi à hurler, même pour les pires souffrances. En réalité, il s’agissait de domestiques trop zélés qui tentaient de ralentir l’avancée inexorable des rônins. Le chef aussi continuait de progresser, semant des samouraïs mortellement blessés sur son passage. Il en avait tué plusieurs, plus d’une dizaine. Pour lui, peu importait le nombre de ses adversaires passés et à venir tant qu’il se rapprochait de son but. Ôishi se mit à entendre des voix indistinctes, mais bientôt elles se firent plus claires, plus puissantes. Un groupe 15
venait de rejoindre la résidence de Kira. Peu après, il entra dans la maison à son tour, avançant entre les fusuma, les cloisons faites de bois et de papier, tandis que d’autres rônins le ralliaient. Les serviteurs demeuraient silencieux, debout ou à genoux. Aucun d’entre eux n’osait ou ne voulait s’en prendre aux guerriers, car ils avaient compris la raison de leur venue. Le chef traversa plusieurs pièces avant d’arriver dans la chambre. Une fraction de ses compagnons l’attendait déjà. Le vieillard hirsute, les yeux écarquillés, se tenait à genoux derrière la pile de vêtements dont il s’était servi en vain pour se dissimuler. « Demeurer silencieux et immobile, c’est faire preuve de lâcheté, lança Ôishi avec verve. Kira Yoshinaka, nous sommes là pour honorer notre maître Asano Naganori. — Cette… bredouilla le doyen. Cette affaire appartient au passé. Le shogun a rendu son jugement et Asano a été jugé coupable. Vous n’oseriez pas vous dresser contre la volonté du shogun Tsunayoshi tout de même ? — Cessez ce verbiage inutile, vieil homme. Aucun de vos arguments futiles ne pourra entraver notre détermination. Nous savons parfaitement pourquoi maître Naganori est mort. À présent, s’il vous reste une once de dignité, accomplissez ce qui doit être fait. » Il passa sa main gauche dans son dos, maintenant toujours son katana de l’autre. Il sortit un poignard jusqu’alors dissimulé et le tendit vers Kira d’une expression ferme. « Réclamez-vous mon suicide ? demanda ce dernier d’une voix entremêlée de raillerie et de crainte. 16
— Se-ppu-ku, martela l’un des rônins avant d’être repris en chœur par ses compagnons. — Fous ! Vous êtes fous ! C'est hors de question ! Et vous êtes encore plus fous si vous croyez pouvoir vous sauver de ce crime ! Les samouraïs du shogun vont vous mettre en pièces ! — Kira Yoshinaka, répéta Ôishi. Pour ne pas entacher davantage l’honneur de votre famille et celui de notre clan, prenez ce poignard. — Êtes-vous sourd ? Jamais ! Jamais je ne… » Du sang gicla sur l’une des cloisons et sur le kimono noir d’Ôishi. Il venait de décapiter le vieillard d’un geste rapide et précis, comme l’avait été Asano avec la même arme, en lui épargnant cependant la terrible douleur qu’il avait ressentie en s’ouvrant le ventre. Les rônins restèrent silencieux durant quelques secondes, non pas par respect pour ce fourbe de Kira, mais pour rendre hommage à leur maître. Puis l’un d’eux s’avança vers le cadavre gisant. Il saisit la tête tranchée par sa chevelure grise et la brandit en l’air comme un trophée. Ôishi se retourna vers les nombreux hommes présents dans la pièce et les sonda du regard. « Terasaka Kichiemon. — Oui, monsieur, répondit le garçon désigné par son chef. — Tu marches vite, n’est-ce pas ? — Oui. — Dans ce cas, je te charge d’une mission. Cours prévenir les membres du clan, tous ceux qui ne sont pas ici cette
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nuit et dont nous connaissons les lieux de résidence. Disleur que nous avons tué Kira Yoshinaka. — D’accord, monsieur. Je pars sur-le-champ. — Quittons tous cet endroit. Il nous reste une dernière chose à accomplir. » Ils fuirent le palais shogunal en un clin d’œil, sans nouvel affrontement, tandis que des renforts ennemis arrivaient. Des quarante-sept rônins, il en restait quarante-six. Un seul des leurs avait péri au cours de cette attaque qui s’était pourtant avérée périlleuse et inconcevable à plus d’un titre. Le jeune Terasaka partit de son côté ; les autres samouraïs du clan révolu d’Akô se rendirent sans tarder au temple Sengaku-ji. Ils y parvinrent avant le lever du soleil. Les rônins lavèrent symboliquement la tête de leur ennemi juré en la baignant dans le puits du temple et la posèrent ensuite sur la tombe de leur maître, sans faste ni discours solennel. Ils avaient réussi. Asano Naganori était vengé. Devenir pur et simple et garder son mordant, sans poursuivre plus d’un objectif à la fois, est une tâche très difficile à accomplir en une seule vie. Une fois leur mission parachevée, les rônins ne festoyèrent pas. Quant à s’enfuir, l’idée avait tout juste effleuré l’esprit de certains. Depuis le début, ils savaient que ce combat serait l’ultime de leur existence. Les samouraïs se rendirent d’eux-mêmes aux autorités dès les premières lueurs de l’aube. Point question de nouveau départ, il s’agissait de suivre les lois, respecter les règles de leur code, et ce malgré l’injustice évidente qui enveloppait le décès de leur maître. 18
L’histoire des quarante-sept rônins fit rapidement le tour d’Edo. Elle enflammait les foules, et les guerriers acquirent les faveurs du public. Le peuple désirait les voir libres, estimant que leur acte était empli de bravoure et d’honneur. Le shogun ne jugeait pas les choses ainsi… Certes, il admirait leur courage, mais s’il laissait cet acte impuni, il prenait le risque de faire éclore d’autres nids de vengeance à travers tout le pays. Il rendit donc un verdict implacable et condamna les quarante-cinq samouraïs restants au seppuku. 4 février 1703. Les rônins furent conduits au temple Sengaku-ji près de la tombe de leur maître. Ils semblaient sereins et n’opposaient aucune résistance aux gardes qui les escortaient. Au moment de mourir, un homme qui s’est toujours préparé à la mort peut mourir en paix lorsque la mort survient. Quarante-sept secondes, quelques battements de cœur, suffisamment de temps pour passer de vie à trépas… « Je suis fier d’avoir servi maître Naganori à vos côtés », dit Ôishi en regardant ses compagnons, un poignard à la main. Les uns après les autres, les rônins se suicidèrent face à la sépulture d’Asano Naganori. Une commémoration officielle s’ensuivit, célébrée en leur honneur. Ils furent inhumés juste à côté de leur défunt maître. Unis dans la vie, unis dans le combat, unis dans la mort. Plusieurs jours plus tard, un garçon entra, seul, dans le temple Sengaku-ji. Il avait l’apparat des samouraïs : katana et wakizashi. Perdu, rongé par ses remords, il s’agenouilla 19
devant la tombe de ses anciens compagnons et dégaina son wakizashi. Son visage parut subitement plus résolu, ses mains étreignant la poignée du sabre, et il enfonça la lame dans sa chair. Il rejoignait ainsi les hommes qui avaient vengé son maître, comme il l’avait souhaité sans parvenir à rassembler le courage nécessaire pour les accompagner. Puis ce fut au tour de Terasaka, le messager, de revenir à Edo et de se rendre aux autorités afin de subir le seppuku à l’instar de ses amis. Il comparut devant le shogun et ne dissimula aucune vérité. Ce dernier se montra clément. Estimant que le sang avait trop coulé, il le gracia. Terasaka fut l’unique survivant des quarante-sept rônins. Après ce jour, il mena une existence tranquille et mourut de vieillesse. Il fut enterré auprès de ses compagnons. Les artistes d’Edo ne tardèrent pas à conter cette aventure. Seulement deux semaines après leur décès, la première pièce de kabuki apparut sous le nom de « L’attaque de nuit à l’aube ». Elle fut immédiatement interdite par les autorités, mais les auteurs contournèrent cette censure en modifiant les patronymes des personnages, les lieux et les dates. Par la suite, de nombreuses autres pièces naquirent, suivies par des romans et quelques films. Aujourd’hui encore, les dépouilles mortelles de ces quarante-sept rônins reposent à Tokyo, l’Edo de naguère. Des pèlerins viennent fleurir leurs tombes chaque année, le 14 décembre. La loyauté de ces samouraïs perdure ainsi à travers la mémoire des Japonais qui les considèrent toujours, trois siècles plus tard, comme des héros. 20
Gaijin 外人
À l’époque du déclin des samouraïs, l’aube de l’ère Meiji (1868-1912), vivait un homme du nom de Sanyo Irochi. Ce samouraï de basse caste était surnommé le Gaijin4. Sa mère était une Japonaise, belle et douce, adulée par de nombreux hommes. Son père était un Hollandais venu commercer avec le Japon. Il était très bon, aimable et bienveillant, mais en dehors de sa femme et de son fils, peu l’appréciaient, tous les autochtones le méprisaient. Cette haine était ancienne ; elle prenait ses sources au mois d’août 1549, lorsque saint François-Xavier, un missionnaire espagnol, débarqua à Kagoshima et fit connaître le christianisme aux Japonais. La religion fut déclarée interdite en 1614, et 1635 marqua la fin des échanges libres. Le pays devenait de plus en plus xénophobe. Les étrangers n’étaient plus les bienvenus et ils étaient contraints de rester sur la petite île artificielle de Dejima, dans la baie de Nagasaki. Puis, en 1641, seuls les Chinois et les Hollandais furent autorisés à commercer avec le Japon. Le pays s’était refermé sur lui-même. Le temps passa et les persécutions Gaijin : littéralement « personne de l’extérieur », comprend une connotation péjorative ; signification originelle : « intrus » ou « ennemi ». 4
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chrétiennes s’intensifièrent. Kyoto, la capitale officielle, se fit surpasser en taille par Edo – l’ancien Tokyo – qui devint la première agglomération mondiale au début du XVIIIe siècle. Durant cette période, les samouraïs perdirent de leur influence. Interdit de posséder des terres, ils devaient vivre dans des quartiers fortifiés. Les parents de Sanyo s’étaient rencontrés dans les années 1830 par le fruit du hasard autant que par celui du destin. L’un vendait du poisson, l’autre en achetait. Le père avait immédiatement succombé au charme de la mère, et cette attirance passionnelle ne tarda pas à se faire réciproque. Après deux siècles d’une xénophobie intense, un tel amour était inconcevable. Ils décidèrent, malgré tout, de vivre ensemble, cachés du reste du monde. Ils s’enfuirent loin de l’île de Dejima et de ses remparts de torchis afin de s’installer dans un coin reculé, dans les montagnes à l’ouest de Kyoto. Ils vécurent heureux quelques années, période pendant laquelle ils mirent au monde Sanyo. Cet enfant avait hérité de la beauté de sa mère, de ses yeux obscurs et envoûtants ainsi que de sa passion pour le thé. Elle lui apprenait à lire et à écrire, lui transmettant indirectement son amour pour la poésie. De son père, Sanyo tenait sa chevelure châtain, sa grande bonté, mais aussi le mépris qu’on lui vouait. Et comme lui, une fois adulte, il se fit traiter en étranger, en gaijin. Cependant, son visage métissé s’avérait mieux accepté en public. Il attirait les regards mais rarement la haine, haine dont souffrait son père. Chasseur et fermier, ce dernier nourrissait sa famille comme il le pouvait. Parfois, il rentrait bredouille de ses battues, le corps couvert 22
de contusions après avoir été rossé par des badauds, des Japonais qui avaient croisé sa route. Mais il faisait tout pour épargner son fils de ses problèmes, à tel point que Sanyo méconnut le racisme durant la majorité de son enfance. Peu après ses dix ans, Sanyo fut confronté à la dure réalité de ce monde, d’une manière si brutale et si intense qu’elle conditionna en partie l’adulte qu’il deviendrait. Une nuit, alors que la famille Irochi dînait paisiblement, la porte de leur modeste foyer fut défoncée par trois hommes armés de katanas. Ils avaient également un wakizashi, une lame comparable au katana mais deux fois moins grande en moyenne. Ces deux sabres étaient considérés comme inséparables pour eux, les samouraïs. « On vient pour le gaijin ! » s’écria l’un d’eux. Aucune raison, autre que l’antipathie raciale, ne pouvait expliquer leur présence ou leur aversion envers cet individu dont ils ignoraient tout, en dehors de son apparence. Le père de Sanyo ne connaissait rien des arts martiaux, il savait tout juste se servir de ses poings. Aussi, il ne tarda pas à cracher du sang et à s’écrouler devant les regards apeurés de son fils unique et de sa femme. Cette dernière tenta de s’interposer en vain entre ces agresseurs et l’homme qu’elle aimait. « Par pitié ! Laissez-nous tranquilles ! Nous n’avons rien fait. » L’un de ces samouraïs s’approcha d’elle en ricanant. Ce rire glacial, l’enfant l’imprima à jamais dans sa mémoire. 23
« Tu n’as rien fait, hein ? Sale pute ! Tu n’as pas honte de renier ta patrie en couchant avec ce gaijin ? » Il se tourna alors vers Sanyo qui sanglotait dans un coin du salon. « Et en plus, tu as mis au monde un bâtard. — Pre… bredouilla le père. Prenez notre argent et allezvous-en. — Pff. Votre argent ? Quel argent ? Vous êtes des paysans. Tu n’as rien qui pourrait m’intéresser. À moins que… Cette pute a de beaux restes. — Mais Yoshima, elle a couché avec ce gaijin », ajouta un de ses comparses en désignant l’immigré du doigt. Sanyo, terrorisé, remarqua une cicatrice sur la joue gauche de cet homme tout juste sorti de l’adolescence. Le dernier samouraï, un quarantenaire aux longs cheveux grisonnants aussi crasseux que son visage d’ivrogne, fit un pas en avant. « Justement, répondit-il froidement. C’est à nous de la… purifier. » Il accomplit une autre foulée en direction de Sanyo et, tandis qu’il continuait de fixer cette mère si attrayante à ses yeux, amena lentement sa main sur son katana. « Laissez-vous faire, madame, et nous ne ferons pas de mal au gamin. » Crispant les mâchoires de rage, le père de Sanyo rassembla ses dernières forces. Il se leva d’un bond et plaqua cet homme au sol. « Cours, Sanyo ! » lui cria son père. L’enfant, hébété, était totalement dépassé par la situation. Son père ajouta avec désespoir : « Enfuis-toi aussi loin 24
que possible ! » avant d’être de nouveau roué de coups par les samouraïs. Avec sa vigueur juvénile, Sanyo bondit, se faufila entre les trois hommes, passa à travers la porte entrouverte et, en une fraction de seconde, glissa ses pieds dans les socques laissés à l’entrée. Il disparut rapidement dans l’obscurité de la montagne. Seul un quartier de lune et ses compagnes les étoiles éclairaient son chemin. Au dehors, il régnait un calme apaisant qui dissonait presque avec les bruits de violence en provenance de la maison. L’enfant courut jusqu’à ce qu’il n’entendît plus les hurlements de ses parents. Il se cacha derrière un rocher. Essayant de contenir ses larmes, il resta immobile durant plusieurs minutes sans qu’aucun son ne parvînt à ses oreilles. En son for intérieur, il se demandait si ce silence n’était pas plus effrayant que les cris. Ses appréhensions ne tardèrent pas à se révéler exactes. Deux samouraïs sortirent de la maison d’un pas lent, l’air décontracté, en échangeant quelques brèves paroles accompagnées de gloussements malsains. Sanyo demeurait terré dans sa cachette, tremblotant. Les hommes restèrent une minute à discuter sur place, une minute qui parut interminable pour l’enfant. Puis leur troisième comparse, l’individu au rire glacial, fit son apparition. Il tenait la lanterne disposée, un instant plus tôt, dans le salon de la modeste habitation. À peine avait-il posé les pieds à l’extérieur qu’il jeta avec vigueur la lanterne sur le plancher. Le feu se répandit aussitôt. Les corps inertes des parents de Sanyo reposaient près de ces flammes. Le père était défiguré, éventré, et il recouvrait le tatami avec son sang. La mère était nue, le visage marqué par les martèlements 25
répétés des poings. Mais bientôt les traces de ces crimes allaient disparaître… Les trois samouraïs n’attendirent pas que le feu fît son œuvre ; ils repartirent en direction de Kyoto. Sanyo n’avait pas bougé, impuissant et terrorisé. Découvrant cette sensation qu’était la haine, il se repassait en boucle la scène dont il avait été le tragique témoin. Devant lui, le feu crépitait. Il se nourrissait avec délectation du bois sec et du papier dont était constituée la maison. Ce doux foyer où l’enfant avait grandi disparaissait aussi vite que le vent emportait les fleurs des cerisiers.
Le lendemain, Sanyo fit ce que personne ne devrait avoir à faire, surtout pas à son jeune âge. Il fouilla dans les décombres à la recherche des dépouilles de ses parents. Après plusieurs minutes et des haut-le-cœur répétés, il découvrit leurs corps carbonisés. La vue et l’odeur macabre qui régnait lui étaient si insupportables qu’il ne put s’empêcher de vomir. Les spasmes le secouèrent autant qu’ils le soulagèrent. Il évacua ainsi une partie de sa peine et de sa douleur. Il lui fallut plus d’une heure avant de pouvoir se rapprocher de leurs restes et d’oser les saisir. Les outils de fermiers de son père avaient résisté à l’incendie. Parmi eux, Sanyo trouva une pelle. Il s’en servit, avec la force et le courage qui lui restaient, pour creuser la tombe de ses parents non loin de l’endroit où ils avaient vécu sereinement jusqu’à la veille. À chaque coup de pelle, il versait une larme. À chaque coup de pelle, son cœur se fendait. Une fois le trou rebouché, un poème que lui susur26
rait sa mère lui revint en mémoire et il le récita entre deux sanglots : « Le plaisir est enivrant, mais s'évanouit. Ici-bas, personne ne demeure. Aujourd'hui franchissant les cimes de l'illusion, il n'est plus ni de rêves creux, ni d'ivresse. » L’enfant qu’il était venait de mourir. Dès lors, il vécut dans le dessein de se venger de ces samouraïs sans-cœur. Il continua de fouiller parmi les vestiges de son enfance et il réussit à récupérer les maigres économies de la famille que ses parents avaient eu la bonne idée de dissimuler dans une boîte, sous le plancher. Il avait suffisamment pour se payer quelques repas et nuits à l’auberge, guère plus. Il ne lui restait que son kimono, ses socques en bois et une pelle. Armé de ce vulgaire outil, il se mit en route vers la ville la plus proche : Kyoto.
Le désir de vengeance guidait les pas de Sanyo à travers la capitale, lieu de résidence de l’empereur. Un enfant armé d’une pelle n’y passait pas inaperçu, et un métis à la chevelure châtain attirait encore davantage les regards sur lui, des regards le plus souvent méprisants. Il s’en souciait peu à cet instant. Et il marchait ainsi, dans des rues bondées de monde avec ses processions de marchands ambulants et d’autres postés sur le palier de leur commerce à l’affût du moindre client. Kyoto, qui venait de connaître un nouveau dynamisme au cours de ces dernières décennies, se transformait en foyer d’une production artisanale de haute qualité. Sanyo passa la journée à errer dans la cité comme un vagabond, sans destination précise. Il ne récoltait que des 27
insultes, se faisant traiter de gaijin ou de barbare. Il se savait trop faible pour battre ces trois samouraïs. Arriveraitil même à les retrouver ? Que savait-il d’eux ? Presque rien. Leur chef supposé s’appelait Yoshima. L’un de ses subalternes avait de longs cheveux gris et crasseux, l’autre une cicatrice sur la joue. Dans une ville qui comportait plusieurs centaines de milliers d’habitants, il était peu probable qu’il les recroisât, sans compter qu’ils n’étaient peutêtre pas originaires de la région. Le soir venu, il fit une découverte qui l’émerveilla. Elle se nommait kabuki. Pendant un temps, il retrouva son âme d’enfant et oublia la raison de sa venue en ce lieu voisin qui lui était pourtant inconnu et inhospitalier. Le kabuki était le nom d’un théâtre d’un nouveau genre apparu dans la région au XVII e siècle. Dans ce théâtre étincelant, les comédiens ne portaient pas de masques mais un maquillage élaboré et se transmettaient le flambeau de père en fils, les femmes n’y étant pas admises. Ce soir-là, ils interprétaient des samouraïs, sans peur et sans reproche, qui défendaient leur maître jusque dans la mort. Quant à la scène, elle disposait d’un rideau pour les changements de décors et de paravents derrière lesquels s’asseyaient le chœur et les musiciens. Le spectacle était si fascinant que, pour la première fois de la journée, personne ne semblait remarquer la présence du gaijin. Sanyo déambulait dans la foule, se glissant parmi les gens du public sans prendre réellement conscience du risque qu’il encourait à les frôler ainsi armé d’une pelle. Il s’arrêta quand ses yeux furent comme aimantés par quelqu’un… un samouraï. Il resta immobile, à quelques mètres de cet homme, à le scruter par 28
intermittence avec la scène. Rapidement, il acquit la certitude que cet individu n’était pas l’un des criminels à avoir sauvagement tué ses parents. Toutefois, une partie de lui le poussait à l’approcher davantage, à vouloir faire sa connaissance… À la fin de la représentation, il le suivit sans se faire remarquer. Il faisait nuit mais les rues, éclairées par les lanternes de certains commerces, étaient toujours animées. Les hommes se rendaient dans les restaurants, les centres de jeux clandestins, les auberges… D’autres allaient boire du saké en compagnie d’artistes professionnelles et multifacettes, des femmes élégantes, considérées comme les idéaux de la beauté japonaise, qui portent le nom de geishas. Cette nuit-là, Sanyo en croisa quelques-unes et chaque fois, il resta bouche bée devant ces femmes au visage blanc comme la neige et aux lèvres rouge sang. Après plusieurs minutes de marche, le samouraï fit halte devant un restaurant. Sanyo tenta en vain de se cacher dans l’ombre d’une venelle. Le jeune homme d’une vingtaine d’années se retourna vers lui ; il avait senti la présence de l’enfant depuis le début. Il avait une queue-decheval ainsi qu’une barbe noire, naissante. Son visage était disgracieux mais il attirait la sympathie et, de ce fait, une certaine confiance. C’était l’une des raisons, somme toute idiote, qui avait poussé Sanyo à prendre de tels risques et à suivre cet étranger plus entraîné et mieux armé que lui. « Inutile de te cacher, gamin. Je peux savoir pourquoi tu me suis ? » Sanyo s’avança lentement en direction de l’homme, stoïque, qui le considérait avec un regard amusé. 29
« Vous… vous êtes un samouraï ? — Oui. J’appartiens au clan Tsukamoto. Et toi, que faistu là avec ta pelle ? Tu crois que c’est avec ça que tu vas réussir à me tuer ? Tu peux toujours essayer si ça t’amuse, mais je préfère te prévenir. Je ne me laisserai pas faire. — Non. La pelle, c’est pour… — Pour ? — Pour d’autres personnes. — Oh, je vois. » Le samouraï éclata de rire avec excès, comme s’il s’était contenu depuis un moment. « Vous vous moquez de moi ? demanda Sanyo d’un ton légèrement colérique. — Mais non ! Je n’oserais pas me moquer d’un gamin armé d’une pelle. Et si tu venais me raconter ton histoire à l’intérieur, autour d’un plat de sashimis ? À moins que tu n’aies pas faim… » Par coïncidence ou pour manifester sa présence, l’estomac de Sanyo émit un gargouillement tonitruant que le samouraï à l’ouïe fine entendit sans peine. « Alors gamin, suis-moi. — Je m’appelle Sanyo Irochi. — Et moi Nobunaga Anada. Et laisse ta pelle dehors. Ça ferait désordre à l’intérieur. » L’enfant posa son outil contre le mur. Le samouraï poussa la porte coulissante du restaurant et y pénétra. Au contact de la multitude d’arômes qui s’entremêlaient et embaumaient la pièce, les narines de Sanyo frémirent. Ayant grandi à l’écart de la civilisation, il n’était pas coutumier de ces petits plaisirs qu’il savourait d’autant plus. 30
Un quarantenaire, vêtu d’un tablier, s’avança promptement vers ces nouveaux clients. En dehors d’eux, il y avait trois fidèles : l’un cuvait son saké, les deux autres discutaient bruyamment, ne prêtant guère attention au gaijin qui venait d’entrer. « Bonsoir, Nobunaga ! s’exclama le restaurateur avec entrain. — Bonsoir, chef. » Le patron des lieux s’attarda quelques secondes sur le visage de l’enfant avant de reposer son regard sur son fidèle client. « Depuis quand tu recueilles des étrangers ? — Depuis qu’ils me poursuivent avec une pelle, répondit le samouraï en esquissant un sourire. — Tu m’en diras tant… Enfin, si tu n’as pas peur d’avoir des ennuis. — Vous savez, chef, je commence à y être habitué. — Alors, ça sera quoi pour toi aujourd’hui, Nobunaga ? — Des sashimis. — D’accord. Allez vous asseoir dans le coin tous les deux. — Ça vaut mieux pour ta clientèle », conclut le samouraï à mi-voix. Le restaurateur retourna derrière son modeste comptoir tandis que Nobunaga et Sanyo vinrent s’asseoir sur le tatami, autour de la table basse placée dans la partie la plus ombragée de la pièce. « C’est un ami à vous ? s’enquit l’enfant. — Non. Je suis juste un habitué. — Et c’est quoi des sashimis ? 31
— Comment ? Tu ne sais pas ce que c’est ? » L’enfant hocha la tête de droite à gauche, les yeux baissés. « Mais tu débarques d’où ? — De la montagne. » Nobunaga éclata de rire, un rire encore exagéré, presque saccadé. « Quoi ? demanda Sanyo, à la fois déconcerté et légèrement furieux. — Rien. En attendant, raconte-moi ton histoire et la raison pour laquelle tu me suivais. » L’enfant s’exécuta, heureux qu’une personne lui prêtât une oreille attentive. La voix vibrante, il lui parla de ses parents, de l’éducation que lui donnait sa mère, des jeux qu’il faisait avec son père… En avançant dans son récit, il ne put s’empêcher de pleurer. Aucun sanglot, juste quelques larmes qui sillonnaient ses joues. Le samouraï ne le consola pas, il se contentait de le regarder et de l’écouter, mais c’était déjà beaucoup pour Sanyo. Ce dernier se reprit et continua son histoire jusqu’à ce matin-ci, lorsqu’il dut enterrer ses parents. Le flegme de Nobunaga commença à se briser. Lui, contrairement à nombre de compatriotes, ne craignait pas les étrangers. Ce qu’il redoutait par-dessus tout, c’était la folie des hommes. Même s’il ne souhaitait pas s’en vanter, de crainte d’être considéré comme un faible, il avait un grand cœur. C’est pourquoi il demanda à Sanyo ce qu’il pouvait faire pour lui… Le patron revint à leur table avec le plat commandé, accompagné d’une coupelle de sauce soja mélangée avec du wasabi. Si le samouraï venait dîner quotidiennement ici, 32
ce n’était pas pour l’ambiance ou la décoration sommaire, mais bien pour la cuisine succulente. Et l’enfant ne tarda pas à sourire en découvrant le plat en question. Le sashimi relevait d’une présentation esthétique de morceaux de poisson crus, de la taille d'une bouchée, régalant autant la vue que le goût. Nobunaga montra l’exemple et commença son petit rituel. Il saisit ses baguettes, attrapa un bout de poisson, le trempa dans la coupelle et l’engouffra dans sa bouche en émettant un doux bruit de satisfaction. Sanyo fit de même, au détail près. Une minute plus tard, le restaurateur leur apporta une carafe de saké. « Du saké pour le gamin ? s’étonna Nobunaga. Vous avez perdu la tête, chef ? » Le patron retira aussitôt la carafe qu’il venait de poser. « Eh ! Que faites-vous ? — J’enlève le saké. Je croyais que c’est ce que tu voulais. — Non. Vous laissez le saké et vous apportez du thé vert pour le gamin. — C’est toi qui vois, répondit-il en repartant vers son comptoir. — J’adore le thé, ajouta spontanément Sanyo. — Tu as raison, dit Nobunaga. Le thé éveille et apaise l’esprit. Tu sais ce que disent les samouraïs à propos du thé ? — Non. — Une vie, une rencontre. — C’est tout ? — Oui. Mais tu apprendras tous ces préceptes le moment venu. 33
— Vous voulez dire que… — Oui, j’accepte de t’entraîner pour que tu puisses un jour te venger, même si cette idée de vengeance ne me plaît guère. J’ai une certaine influence parmi mon clan. Avec mon appui, tu devrais pouvoir l’intégrer malgré tes origines. — Merci beaucoup, monsieur. Vous ne le regretterez pas. — Allons, allons, ne fais pas tant de manières et appelle-moi Nobunaga. — D’accord, Nobu. — Non, Nobunaga. Et n’oublie pas : dorénavant, tu auras un maître et tu devras le servir, quelles que soient les circonstances. — Oui, Nobu. C’est compris. — Nobunaga. » Cette nuit-là, Sanyo n’eut pas à dormir dans les rues de Kyoto.
L’honneur de Nobunaga ne faisait aucun doute et il tint parole. Usant de son influence, il réussit à imposer la présence du jeune apatride parmi les siens, dont les trois samouraïs assassins ne faisaient, bien évidemment, pas partie. En cette période de développement économique, les daimyos et les samouraïs éprouvaient souvent d’importantes difficultés financières. Beaucoup n’avaient d’autre choix que celui de s’endetter. Et le clan Tsukamoto ne faisait pas exception. Il était pauvre, méconnu et petit, peut34
être même le plus petit. Jadis il s’agissait d’une famille de puissants daimyos, mais le clan fut divisé et perdit de son importance après l'assassinat d’un de leurs anciens chefs. Les membres actuels, vestiges du clan d’antan, vivaient à travers tout le pays en quasi-clandestinité. Parmi eux, peu accueillirent Sanyo à bras ouverts. À cause de la couleur de ses cheveux et de son visage métissé, il récolta immédiatement indifférence, dédain, voire railleries. Mais il était à moitié Japonais, il était même né sur ce sol et, de ce fait, il inspirait rarement la haine. De surcroît, Nobunaga veillait sur lui, non pas en père, mais comme un grand frère. Il tenait à montrer l’exemple aux autres, espérant qu’ils devinssent plus tolérants avec le temps, que son utopie d’un Japon ouvert sur le monde pût se réaliser un jour ou l’autre. Mais Nobunaga n’était qu’un rouage du clan, il n’était pas le maître de Sanyo. Toutefois, cela ne l’empêcha pas de devenir son professeur attitré et la personne la plus importante à ses yeux. Ils se mirent rapidement au travail. La relation de professeur à élève s’installait durant la journée, même si, le soir venu, ils apparaissaient comme des frères. Nobunaga s’appliquait à transmettre à Sanyo son savoir de samouraï. Ces derniers étaient bien plus que de simples guerriers. Le bushido, né de la rencontre des préceptes confucéens et des valeurs guerrières traditionnelles, faisait d’eux des individus à part entière, des hommes érudits, des penseurs. En conséquence, certains d’entre eux accédaient au pouvoir, à d’importantes responsabilités, et se révélaient être d’efficaces administrateurs.
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Ainsi, Sanyo apprenait aussi bien à se battre qu’à améliorer sa compréhension du monde. Nobunaga et lui passaient des heures à s’aguerrir tantôt dans la salle d’entraînement du clan, tantôt dans le jardin-promenade que l’enfant adorait. Son cours d’eau sinueux, son étang et sa voûte de verdure l’apaisaient presque immédiatement, quelle que fût sa colère. Les jardins-promenades, sites à l’écart de la civilisation, parvenaient à donner l’illusion du naturel tout en le sublimant. Cet amour pour le zen, l’enfant le développa inconsciemment. C’est pourquoi, parfois, il se risquait à se promener seul dans les rues de Kyoto pour découvrir ces richesses que la nature et l’homme avaient su créer au fil des siècles. Il n’aimait pas les défauts humains si nombreux et si cruels à son goût, mais il admirait leurs créations, tel le temple Toji, la plus grande pagode du monde, ou encore celui de Nanzen-ji qui était au centre de l’histoire du pays depuis 1386. Nobunaga n’oubliait nullement les arts martiaux. Il enseignait le kenjutsu à Sanyo afin qu’il sût maîtriser le katana et le wakizashi. Mais pour le moment, l’enfant se contentait de s’exercer avec un shinai, un sabre en bois de la taille d’un katana. Nobunaga lui apprenait tant des techniques d’attaques que de parades. Il osa même se risquer sur l’un des styles les plus difficiles à maîtriser, le Niten ryu ou comment user simultanément de ses deux sabres… Enfin, il ne lésina pas l’aspect du combat à mains nues avec le ju-jitsu, art martial adopté par les samouraïs, dont le principe peut être résumé ainsi : « la souplesse peut triompher de la force ». Nobunaga fondait d’importants espoirs sur sa nouvelle recrue. Il comptait faire de son 36
élève le meilleur qui soit, le plus grand samouraï du clan et peut-être même du Japon. Dans le clan Tsukamoto, tout le monde finit par connaître Sanyo. Sa célébrité relative n’était, assurément, pas due à ses talents naissants mais à sa couleur de cheveux châtain. De par ses origines, certains hommes, samouraïs ou non, ne pouvaient s’empêcher de le considérer comme un barbare. Peu à peu, le surnom de gaijin se répandit et sembla faire l’unanimité. Durant ces longs mois de formation, Sanyo continuait de lire de la poésie. Parfois, il prononçait ces textes à haute voix, d’une voix qui, à l’image de son corps, commençait à muer : « Même si les couleurs embaument, elles finissent par faner. Qu'y a-t-il donc en ce monde de permanent ? Les profondes montagnes de la vanité, je les franchis aujourd'hui pour renoncer aux rêves superficiels et ne plus m'abandonner à leur ivresse. » C’était sa manière d’honorer la mémoire de sa chère mère et de ne pas oublier le but qu’il s’était fixé. À treize ans, comme le voulait le rituel de la cérémonie Genpuku, Sanyo devint officiellement un samouraï. Il reçut un wakizashi – lame d’honneur du samouraï dont il ne se séparait jamais – et obtint le droit de posséder un katana. À cette occasion, on lui donna également son nom d’adulte : Sanyo Gaijin. Malgré les trois années passées dans le clan, la majorité le considérait toujours en étranger. En parallèle de son entraînement, l’adolescent cherchait sans cesse les meurtriers de ses parents. Où qu’il allât, ou presque, il interrogeait les gens : commerçants, auber-
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gistes, restaurateurs ou simples badauds… Il ne privilégiait aucune piste. « Connaissez-vous un homme du nom de Yoshima ? Ou un samouraï avec une cicatrice sur la joue gauche ? Ou un autre, plus âgé, avec de longs cheveux gris et un nez d’ivrogne ? » Voilà les mots qu’il répétait des dizaines de fois par semaine qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige. En général, on ne lui disait rien ; soit on ne savait rien, soit on le considérait comme un barbare à qui on ne voulait pas parler. Mais sa position de samouraï inspirait le respect et, parfois, il acquérait de maigres indices qu’il se pressait de mettre bout à bout. D’une certaine manière, il sentait que le temps lui était compté. Le déshonneur s’abattrait à jamais sur lui s’il ne retrouvait pas ces hommes ou, pire, s’il les retrouvait – déjà – morts.
Il fallut cinq ans à Sanyo pour obtenir une vraie piste. En 1849, à l’âge de quinze ans, il put enfin mettre des noms sur les deux autres visages : Matsuo Toshiro l’ivrogne, Kusatao Yasunaga le jeune à la cicatrice. Mais des deux, il n’eut la localisation que d’un seul. Plusieurs personnes avaient aperçu Matsuo à Kyoto la semaine précédente, et un restaurateur communiqua à Sanyo le nom de la rue où résidait l’assassin désormais rônin. Il vivait dans une ville voisine, l’une des plus grandes du Japon. Avant de partir, Sanyo devait recevoir l’aval de son maître ; il désirait aussi le consentement de Nobunaga, même s’il n’osait lui en parler franchement. 38
« Nobu, je dois m’absenter quelques jours pour me rendre en mission à Osaka. — En mission ? s’étonna son ami professeur. — Oui, on m’a chargé de retrouver un criminel recherché. — Arrête de raconter n’importe quoi, gamin. Pas à moi. Je sais très bien ce que tu vas faire. — Et… ? Vous avez une objection ? — Non. Tu peux y aller. Mais fais attention à toi. Tout le monde ne retient pas ses coups. — Je sais. Encore merci. Pour tout. — Sayônara. » Contrairement à Nobunaga, le maître du clan ne connaissait pas la réelle histoire de l’adolescent, mais il voyait là une bonne occasion pour Sanyo de s’aguerrir. C’est ainsi que ce dernier partit pour Osaka avec une légère bourse, une gourde et ses deux inséparables compagnons : son katana et son wakizashi. Il tremblait à l’idée de devoir se battre, autrement qu’à l’entraînement, mais il se réjouissait aussi de savoir qu’il pourrait enfin prendre sa revanche, du moins en partie.
Moins de cinquante kilomètres séparaient les deux villes. En trois jours de marche et après de brèves haltes, Sanyo atteignit Osaka. Bien que d’une superficie inférieure à Kyoto, elle n’en était pas moins dense. Trouver son chemin dans ce dédale de la civilisation n’était pas chose aisée. Le garçon s’engouffra pourtant dans les rues et se mêla aux gens comme s’il était des leurs. 39
Le mois de juillet venait de débuter. Le ciel était limpide et la chaleur, mélangée à une forte humidité, se faisait plus pesante. Hommes et femmes portaient des kimonos légers, certaines Japonaises s’aéraient avec des éventails peints à la main. Avec les années, Sanyo ne se lassait pas d’admirer la beauté de ces femmes. Il tentait cependant de garder l’esprit clair, car sa mission originelle et sa vie de samouraï ne se prêtaient pas à de tels rapprochements. Après plusieurs heures, l’adolescent trouva l’habitation du samouraï qu’il pourchassait, une modeste demeure en bois semblable à tant d’autres. Durant de longues minutes, il resta à fixer la porte coulissante, adossé à un mur dans l’ombre d’une ruelle. Personne ne vint le déranger. Il s’agissait d’un quartier paisible ; sans doute l’une des raisons qui avait incité Matsuo à s’y installer. Mais Sanyo décida d’attendre avant de lui rendre visite. Il avait déjà patienté cinq ans, quelques heures de plus n’auraient rien changé. En premier lieu, il devait reprendre des forces. Au menu : onigiri, des boulettes de riz enveloppées dans une algue. Il prolongea la détente avec un bain chaud. La nuit était tombée lorsqu’il revint espionner la maison. Devinant l’absence de Matsuo, il en fit discrètement le tour. La rue était déserte, le ciel étoilé. Il retourna se cacher dans la pénombre de la venelle la plus proche, attendant et espérant l’apparition du samouraï. Pour passer le temps et éviter une pression qui le desservirait, il récitait de courts poèmes dans sa tête, des tankas.
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Et ronde lune Riant du bout des doigts Secrète le jour Qui de mes mains s’écoule Tel un chant de rivière.5 Matsuo apparut, armé, à quelques mètres de lui. Il se traînait d’un pas lent, titubant. Ivrogne et crasseux, il l’était assurément. Sanyo n’eut aucun mal à reconnaître cet homme qu’il n’avait fait pourtant qu’apercevoir, cinq ans auparavant. Le samouraï alcoolique prononçait des paroles confuses et, arrivé devant sa porte, il s’écroula. Il resta un moment allongé sur la passerelle de bois qui longeait la maison. Puis il se releva péniblement, chassa la porte coulissante sans prendre la peine de la repousser derrière lui, et disparut dans la pénombre de sa maison. Sanyo laissa passer cinq minutes avant d’y pénétrer à son tour sur la pointe des pieds, chaussé de ses sandales en cuir. La lueur nocturne filtrait à travers les cloisons de papier. Au cours de ces cinq dernières années, il avait affûté ses sens et parvenait à se diriger dans la pièce sans grande difficulté. Personne au rez-de-chaussée. Il monta lentement les escaliers. Silence. Il continua d’avancer et perçu enfin un son régulier, presque imperceptible : un ronflement. Il arriva dans la chambre du samouraï qui dormait profondément, affalé sur son futon. La fenêtre était ouverte et la lune éclairait faiblement la pièce. Sanyo distinguait tout juste les formes des objets, sans voir ce qui reposait dans les coins de la pièce. 5
De Liam.
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« Réveillez-vous ! » s’écria-t-il. Il asséna un coup de pied dans le tibia de l’ivrogne. Sa haine lui était revenue, plus forte que jamais, mais son enseignement de samouraï lui permettrait de refréner sa colère. « Quoi ? grommela Matsuo. Qu’est-ce… C’est quoi c’bordel ? » Il émergea de son sommeil sous la douleur et les coups de pieds répétés de Sanyo. « Que m’voulez-vous ? lui demanda-t-il sans prendre conscience de l’identité de son interlocuteur. — Ce que je veux ? Votre mort. » Matsuo se frotta les yeux et se leva, chancelant. « Vous z’êtes sérieux ? — Extrêmement sérieux. — Et on s’connaît ? — On peut dire ça. Printemps 1846, Kyoto, les montagnes, l’étranger… Ça vous dit quelque chose ? Vous vous souvenez de mes parents ? — Le rejeton du gaijin ? » Matsuo se tenait parfaitement droit. Il semblait avoir subitement dessoûlé et lorgnait déjà son katana qui reposait à deux pas de lui. « C’est toi l’enfant qui s’est enfui cette nuit-là ? Je savais qu’on aurait dû te tuer. — En effet. Vous auriez dû. Maintenant, prenez votre katana et défendez-vous. Je ne compte pas tuer un homme désarmé. — Tu te prends pour un samouraï ? — J’en suis un. C’est différent. 42
— On va voir ça. » Matsuo se précipita sur son katana et le brandit sans que Sanyo ne l’en empêchât. L’ivrogne bondit sur lui. Les lames s’entrechoquèrent violemment. Ce bruit métallique se répéta en rythme, encore et encore. Chacun parait les coups de l’autre, anticipant sur la prochaine attaque. Sanyo ne dévoilait pas toute l’étendue de ses capacités. Sa peur avait pris le pas sur la haine ; la situation le dépassait à présent. Matsuo enchaînait, en biais de haut en bas. L’alcool baissait ses réflexes mais inhibait tout sentiment de crainte et, plus robuste que l’adolescent, il parvint à le pousser dans un coin de la pièce. Surpris de se retrouver dos à la cloison, dans l’obscurité, Sanyo baissa sa garde un instant. Le katana de son adversaire lui taillada le bras gauche. Il lâcha un cri bref et le sang commença à s’écouler lentement. « T’aimes ça, hein ? s’exclama Matsuo avec jubilation. T’es comme ta mère… Quelle chienne, cette garce ! » Ces paroles immondes furent salutaires pour l’adolescent. La haine dominait de nouveau la peur. Il était droitier et la blessure peu profonde, mais il devait mettre un terme à ce combat au plus vite sous peine de se vider de tout son sang. « Pauvre petit orphelin qui saigne… » Empli de colère, Sanyo tenta alors un coup d’estoc, aussitôt suivi de mouvements répétés de haut en bas. Sa lame coupait l’air si rapidement qu’il sifflait. Doux chant et appel de la mort. Il transperça le ventre de Matsuo qui lâcha son katana en s’effondrant. Il l’attrapa par le col de son kimono et le souleva. L’ivrogne semblait encore respirer. 43
« Dites-moi où trouver Kusatao et Yoshima ! » Le souffle de Matsuo ne se fit plus entendre. « Parlez ! » s’écria l’adolescent à plusieurs reprises. Il était trop tard pour recueillir des informations, l’homme était mort. Sanyo fut le premier surpris de sa réaction. Il n’était pas heureux, ni même soulagé. Il n’avait pas de regret non plus. Non, tout ce qu’il désirait maintenant, c’était de passer au suivant. Qui de Kusatao ou Yoshima allait-il trouver et combattre en premier ? Après cet incident, Sanyo réintégra son clan. Il intensifia tant son entraînement que ses recherches.
L’année 1853 marqua le début d’une nouvelle époque. Le contre-amiral Matthew Perry pénétra dans la baie d’Edo, à la tête d’une flotte de neuf vaisseaux américains, afin de briser l’isolement du Japon. Contesté et affaibli, le shogunat s’inclina et signa le traité de Kanagawa qui ouvrit deux ports aux Américains. Mais certains Japonais ne voulaient pas que ces « barbares » foulent leur sol et ce fut alors la montée en puissance des mouvements xénophobes. Devant cette agitation croissante dans la cité impériale, Sanyo quitta son clan, devenant ainsi un rônin à tout juste dix-sept ans. En réalité, il partait se faire justice, suivant les maigres traces laissées par Kusatao, l’assassin à la cicatrice. Les autres avaient désormais une raison supplémentaire de le mépriser, car la honte pesait sur tous les rônins, ceux qui n’avaient plus de maître. Certains récits vantaient leurs exploits, les associant aux vertus habituelles du samouraï, mais au fond, ils avaient mauvaise réputation, 44
particulièrement auprès des samouraïs qui les traitaient avec dédain. Le jeune homme entreprit alors un long voyage qui prit rapidement les allures d’un parcours initiatique. Pendant des mois, il erra de ville en ville en direction du sud du Honshu, la principale île du Japon. À l’instar de la majorité des rônins, il ne tarda pas à louer ses services aux gens qu’il croisait. Entre faire l’aumône et utiliser ses talents de guerriers, il avait vite fait son choix. Parfois, on lui demandait d’escorter des bourgeois ou simplement d’effectuer de menus services. Mais le plus souvent, il devait user de son katana ; soit pour effrayer des voyous rackettant les commerces d’un quartier, soit pour arrêter – voire tuer – des criminels recherchés. Sa lame s’était ainsi recouverte de sang à de multiples reprises. Toutefois, la bonté de son père continuait, d’une certaine manière, de couler dans ses veines et il cherchait toujours à éviter la mort de ces individus, préférant les blesser ou les assommer lorsque cela lui était possible. Il n’exerçait pas cette activité pour s’enrichir. Pour lui, c’était un moyen honorable de subsister tout en ayant la possibilité d’améliorer ses techniques de guerrier. Aussi, il ne sollicitait qu’un ou deux bols de riz aux plus pauvres, tandis qu’il demandait de l’argent aux plus nantis. De Kyoto, son périple le conduisit à Kobe, Himeji, Inbe, Okayama, Fukuyama puis Hiroshima. C’est dans cette dernière ville où il fit escale le plus longtemps. Il avait alors atteint l’âge de dix-huit ans. Il y demeura plusieurs semaines durant lesquelles il oublia momentanément la raison de son voyage, sa haine et son désir de vengeance. 45
Sans s’y attendre, sans même y penser, il avait rencontré l’amour. Elle se prénommait Oyuki. Cette femme, d’un an sa cadette, était une paysanne à l’image de sa famille avec laquelle elle vivait. Plus d’un prétendant rôdait autour d’elle, mais elle n’avait encore cédé son cœur à personne… jusqu’au jour où elle rencontra Sanyo. L’attirance fut immédiate et réciproque, comme cela avait été le cas, plus de vingt ans auparavant, pour les parents du rônin. Le visage au teint laiteux d’Oyuki invitait à des caresses répétées inlassablement. Ses yeux bridés, noirs comme la nuit, lui donnaient un côté malicieux des plus séduisants. Sa chevelure soyeuse charmait autant que ses jambes fuselées. Elle était très belle, certes, mais pour Sanyo elle était la plus belle d’entre toutes, plus charmante que n’importe quelle geisha et plus apaisante qu’un jardin zen. Car ce qu’il adorait le plus en elle, c’était son extrême gentillesse et sa grande tolérance, en particulier à l’égard d’un apatride comme lui. Quoi qu’il fît, elle ne cherchait pas à le juger et ne lui vouait jamais le moindre dédain. Jusqu’alors, en dehors de son ami Nobunaga, personne ne l’avait traité ainsi, en égal, en être respectable et civilisé. Telle une feuille Qui, là, de l'arbre tombe Chantant le vide Que sont les certitudes À l'orée de l'automne ?6
6
De Liam.
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Mais il vint un jour où l’amour et la poésie s’estompèrent et où le désir de vengeance de Sanyo réapparut, lui ordonnant de reprendre la route en direction du territoire du clan Choshu, sa seule piste tangible. Et c’est ce qu’il fit. Il avança en luttant pour ne pas se retourner. Derrière lui restait une femme aimante, une femme encore plus exceptionnelle qu’il ne l’imaginait. Oyuki s’était contentée de l’embrasser tendrement et de lui dire « sayônara » à mi-voix. Elle attendait un enfant de lui, elle le savait mais elle s’était tue, persuadée de faire le bon choix. Si elle le lui avait dit, il ne serait pas parti et il aurait vécu le reste de son existence avec une boule à l’estomac, avec une haine latente qui l’aurait dévoré à petit feu. Et il aurait fini par la détester pour l’avoir ainsi retenu à ses côtés.
Quelques jours plus tard, Sanyo arriva à Tsuwano, une ville fortifiée située dans une vallée encaissée au sud-ouest de Hiroshima. Un samouraï avec une cicatrice logeait parfois dans cette petite cité. Selon les dires, il y possédait une résidence privée. Le reste du temps, il logeait à Hagi dans les quartiers réservés aux samouraïs de son clan. Sanyo se rendit à la résidence de Kusatao, mais il n’y était pas et ne semblait pas décidé à revenir. La situation actuelle du pays poussait les samouraïs à se réunir et à choisir leur camp : pro ou antioccidentaux. Concernant Kusatao, le rônin devina aisément quelle était sa position à ce sujet. Il n’avait pas attendu l’aval de son maître pour agir comme un criminel infâme.
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Sanyo se mit donc en route vers l’ouest, en direction de Hagi. En coupant à travers bois, il parvint à sa destination en seulement deux jours. Le ciel était clair, l’air relativement sec et le soleil à son zénith. L’hiver sonnait le glas. La cité, bordant la mer du Japon, était un petit port de pêche à l’origine. Elle devait son nom aux grappes de fleurs de lespédèzes qui couvraient les constructions, en particulier le cimetière. La principale préoccupation de ses habitants était les Occidentaux. Les samouraïs de la ville, sous contrôle du clan Choshu, étaient partagés sur la question. Sanyo se couvrit la tête avec un bout d’étoffe noir pour cacher sa chevelure ainsi qu’une partie de son visage. Il se dirigea au cœur de la cité : Teramachi, un quartier empli de temples et de sanctuaires. Il ne put s’empêcher d’y faire une halte afin de contempler la beauté de ce lieu. Malgré l’agitation qui commençait à se répandre dans le pays et en particulier dans cette ville, les rues étaient tranquilles et, surtout, personne ne faisait attention à lui. Il demanda même son passage à des badauds sans éveiller de crainte ni de mépris. « Savez-vous où se trouve le quartier des samouraïs ? Connaissez-vous en un avec une longue cicatrice sur la joue ? » Les gens lui répondaient aussi aimablement que possible. Peut-être étaient-ils pour l’ouverture du pays ou peut-être qu’ils le considéraient comme n’importe quel Japonais, tout simplement parce qu’ils ne voyaient pas la couleur de ses cheveux.
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Sanyo repartit en direction de l’ouest et il ne tarda pas à pénétrer dans le quartier des samouraïs, caractérisé par ses murs de torchis blanchis à la chaux, décorés de camélias et d’oranges. Il se mit à marcher vers la supposée résidence de Kusatao. Il y avait de nombreuses demeures, dont quelques-unes appartenaient à de riches familles. Sur sa route, il croisa plusieurs personnes, des samouraïs. Il ne pouvait s’empêcher de les dévisager, pistant la présence de la fameuse cicatrice. Avec le temps, il avait fini par oublier le visage de l’assassin, mais il ne pouvait oublier cette marque dessinée par la lame d’un katana. « Il paraît que tu me cherches, l’ami. » Le sang de Sanyo se glaça. L’homme qui venait de prononcer cette phrase, sur un ton outrageusement décontracté, se tenait derrière lui. Surpris, le rônin resta immobile un bref instant, puis il se retourna en dégainant son katana en pleine rue. « Kusatao Yasunaga ? s’enquit-il. — En personne, répondit le samouraï à la cicatrice. — Vous vous souvenez de moi ? — Laisse-moi réfléchir une seconde... » Kusatao leva la tête au ciel en tapotant son menton de l’index. « Non. Vraiment, je ne vois pas. Qui es-tu ? — Sanyo Gaijin. — Tu es un gaijin ? » De sa main gauche, le rônin enleva l’étoffe noire qui couvrait ses cheveux châtain. Trois hommes s’approchèrent d’eux à pas feutrés tandis que Kusatao semblait perdu dans ses pensées. 49
« Oui, confirma Sanyo. Et maintenant, mon visage ne vous dit toujours rien ? — Non. Tu sais, j’ai assisté et commandité plus d’un meurtre de gaijin. » Sanyo fit tournoyer son katana par la poignée. La haine et le ressentiment l’envahissaient, mais il continua de se maîtriser. « Je vois. Peu importe en fait. Préparez-vous à mourir. — C’est un beau jour pour mourir. Mais ce n’est pas moi qui perdrai ce combat, gaijin. » Les trois hommes, des samouraïs du clan Choshu, se placèrent silencieusement autour d’eux. En dehors de ces cinq personnes, la rue était déserte. Kusatao dégaina son katana et Sanyo, résolu, brandit le sien dans sa direction. Son voyage l’avait endurci : il s’était acclimaté aux combats et à la vue du sang. Kusatao fut le premier à porter un coup. Sanyo l’arrêta sans peine avec sa lame et le repoussa violemment. Il enchaîna aussitôt avec une coupe verticale, parée de justesse par Kusatao, puis avec une autre horizontale qui trancha l’abdomen du meurtrier dans toute sa largeur. Une gerbe de sang gicla sur son kimono et recouvrit une partie du sol. « Enfoiré ! » s’écria-t-il en tombant à genoux. Il fixait son adversaire d’un air à la fois ahuri et furieux. Sanyo l’avait mis au tapis en deux coups. Il se préparait à l’achever lorsque les autres samouraïs dégainèrent leurs armes et l’encerclèrent. Le rônin saisit son wakizashi. C’était le moment de recourir au style Niten ryu enseigné par Nobunaga. Les trois hommes l’attaquèrent conjointe50
ment. Allant de droite à gauche, sautant, roulant, Sanyo faisait preuve d’une rare agilité dans ses esquives, mais ainsi il se fatiguait prématurément. À l’aide de ses lames, il continua à parer les offensives de ses ennemis en cherchant des failles dans leurs gardes. Puis, d’un geste rapide et précis, il sectionna le bras de l’un d’eux en s’offrant le luxe de parer l’attaque d’un autre avec son socque gauche. Sitôt après, il asséna un violent coup de pied à ce dernier et le trancha au niveau des côtes avec son katana. Le samouraï encore debout tressaillit, mais il n’était point question de fuir pour lui ; cela ne faisait pas partie des habitudes d’un samouraï. Il s’acharna donc sur Sanyo jusqu’à son ultime souffle de vie… quelques secondes plus tard. Gorge tranchée. Les deux autres gémissaient, tandis que Kusatao tentait de comprimer la plaie qui déversait son sang. Le rônin s’approcha de lui, ses lames en main, sa détermination en tête. « Attends, ne me tue pas, gémit le meurtrier. Je n’y suis pour rien. C’est Yoshima qui organisait tous ces crimes. Si tu veux, je peux te dire où le trouver. — C’est trop tard pour jouer les délateurs, Kusatao Yasunaga. Je sais où trouver votre ami, le dénommé Yoshima Shikoro. — Par pitié, épargne-moi. — T’épargner ? Mes parents t’avaient imploré la même chose… » La tête de Kusatao roula au sol. La rue venait d’être repeinte en rouge. Bientôt, le quartier grouillerait de samouraïs prêts à venger les leurs. Sanyo remit l’étoffe noire sur ses cheveux et, se moquant des conventions, retourna son 51
kimono afin que personne ne remarquât les giclées de sang. Il ferait halte à la prochaine ville. Pour l’heure, il fallait partir d’ici au plus vite, de manière furtive, se glissant entre les ombres, devenant une ombre. Il n’en restait plus qu’un sur la liste et il savait où le trouver.
Sanyo continua vers le sud. Passant par Yamaguchi, il ne tarda pas à arriver au bout de l’île du Honshu. Il prit alors la voie des mers. À bord d’une simple barque, il emprunta le court détroit de Kanmon, large de moins d’un kilomètre par endroits. Puis il arriva à Kukura en Kyushu, la troisième plus grande île du Japon et considérée comme le lieu de naissance de la civilisation japonaise. Elle était notamment sous le contrôle des Shimazu – une famille de puissants daimyos – au sud. Yoshima Shikoro faisait partie de ce clan de samouraïs, plus connu sous le nom de leur fief : Satsuma. Sitôt arrivé sur cette terre inconnue, le rônin se mit en direction du sud. Parfois, il suivait les routes. D’autres fois, ils les coupaient, traversant bois et collines, sûr de son chemin. Il contourna le mont Aso, où siège le plus grand volcan actif du Japon, et fit halte à Yatsushiro, puis Hitoyoshi, avant de rejoindre sa destination finale : Kagoshima. Son périple à travers l’île dura plus d’une quinzaine de jours, quinze jours interminables pour Sanyo. Mais au fond, ils ne représentaient rien en comparaison des années passées à accroître patiemment son désir de vengeance et à s’entraîner dans ce dessein. Et l’ironie du sort avait voulu 52
que son long voyage s’achevât à Kagoshima, la cité où son histoire avait, d’une certaine manière, débuté plus de trois siècles auparavant avec l’arrivée de saint François-Xavier. Sanyo pénétra dans la cité, la capitale du clan Satsuma. Cette immense baie offrait une vue imprenable sur le volcan Sakurajima situé à huit kilomètres au-delà du détroit de Kagoshima. Ce dernier, encore actif, recouvrait parfois la ville d’un nuage de cendres. Le rônin admirait cette puissance naturelle et se délectait de la douceur qui régnait pour cette saison. Le climat chaud de l’île y était plus que jamais présent : les bambous ainsi que les pruniers se retrouvaient aux côtés de plantes semi-tropicales. Mais en avançant dans les rues animées par quelques marchands ambulants, il commença à avoir une boule au ventre. « Les couleurs sont parfumées, pourtant elles disparaissent, susurra-t-il en se souvenant subitement de cet ancien poème japonais. Qui peut dans notre monde rester sans changements. La haute montagne des aléas, aujourd'hui, j'irai audessus d'elle. Ni n'ayant les rêves vains, ni n'obtenant l'ivresse par le vin.7 » Allait-il remporter cet ultime combat ? La réputation de Yoshima n’était plus à faire. En enquêtant, il avait entendu bien des histoires à son sujet. Mais Sanyo était déjà allé si loin qu’il ne pouvait reculer, il se devait de réussir. Il le devait pour ses parents, pour lui, mais aussi pour Oyuki. Depuis qu’il l’avait rencontrée, sa vie avait pris un autre sens, une nouvelle saveur dont il n’avait soupçonné l’existence jusqu’alors. Il n’imaginait plus mourir. Il ferait honneur et justice à ses parents sans prendre de risques inconsidérés. 7
Auteur anonyme.
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Toutefois, en cet instant, il était trop fatigué, usé par la marche, les combats, la colère et le mépris des autres. Et surtout, il se trouvait en territoire hostile et souhaitait éviter de réitérer l’expérience de Hagi où, traqué par de nombreux samouraïs, il s’en était réchappé de justesse. Il préférait donc se reposer et préparer avec sérénité son futur combat. Le rônin entra dans un jardinet avec une barrière de bambous et des poteaux rustiques, puis il traversa le sentier bordé de plantes taillées qui conduisait au pavillon du thé. Il se déchaussa et s’introduisit dans la maisonnette en s’abaissant. Il salua l’hôte des lieux, une femme d’un certain âge, et se joignit aux autres convives. Le rituel du chadô – l’une des voies du zen permettant d’accéder à la paix intérieure – allait débuter. Un repas léger leur serait servi, accompagné d’un thé vert en poudre que les Japonais nomment matcha. Plus tard dans la journée, Sanyo paya un bol de riz à un vagabond afin que ce dernier allât porter une lettre en son nom dans le quartier où logeaient Yoshima et les samouraïs du clan Satsuma. Il lui donnait rendez-vous pour le lendemain, à l’extérieur de la ville.
Sanyo se tenait debout, bras croisés, à une dizaine de mètres du bord d’une falaise longeant l’océan Pacifique. Un vent frais, timide, provenait du large et rebondissait sur son visage. Ses joues, tout comme le sol rocailleux, reflétaient les premières lueurs de l’aube. Face à lui, au loin, se dressait le volcan Sakurajima. Le rônin se sentait minus54
cule devant l’immensité et la beauté de la nature. En songeant à cela et à son voyage qui s’apprêtait à prendre fin, un autre poème lui revint en tête. Les arbres eux-mêmes Qui, pourtant ne demandent rien, Ont frères et sœurs. Quelle tristesse est la mienne De n'être qu'un enfant unique !8 Il rêvassait sur son futur, sa nouvelle famille avec Oyuki, lorsque des bruits de pas se firent entendre derrière lui. Avec prudence, il se retourna et vit un homme, d’environ dix ans son aîné, s’approcher de lui. Ses courts cheveux noirs jouaient avec le vent. Il avait l’éclat et l’équipement des samouraïs. « Yoshima Shikoro ? s’enquit Sanyo. — En personne, répondit l’homme en s’arrêtant à quelques mètres de lui. — Merci d’être venu seul à ce rendez-vous. — Quel que soit mon adversaire, je sors toujours vainqueur. Importun, quel est ton nom ? — On me nomme Sanyo Gaijin. » Yoshima ricana brièvement, mais c’était plus que suffisant pour réveiller les mauvais souvenirs latents dans la mémoire du rônin. Ce rire, il l’abhorrait. « C’est un nom qui convient parfaitement à un barbare comme toi. 8
D’Ichihara.
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— C’est également ainsi que vous avez nommé mon père avant de le tuer. — Il faudrait que tu me rafraîchisses la mémoire, Gaijin. J’ai interpellé de nombreux barbares avec ce mot qui sonne si doux à mon oreille. — C’est ce que m’a dit votre ami Kusatao avant que je ne le tue. — C’est donc toi l’enfoiré qui as décapité Kusatao ! Je suppose que c’est toi aussi qui as tué Matsuo ? — Oui, vous supposez juste, assassin. — Dans ce cas, tu en as mis du temps pour parvenir jusqu’à moi. J’ai eu vent de tes actes depuis longtemps déjà. — Plus les assassins sont ignobles, plus ils sont lâches et plus ils se terrent. C’est vous qui êtes parti bien loin des montagnes de Kyoto. — Les montagnes de Kyoto… En voilà une précision. Tu ne serais pas le bâtard du gaijin ? Celui qui s’est enfui juste avant qu’on ne tabasse son barbare de père et qu’on ne viole sa garce de mère ? » Yoshima ricana encore et Sanyo, le visage impassible, dégaina son katana. « Votre mémoire vous est revenue. — Comment oublier ta mère ? Et ce final ! Quel beau feu de joie ! — J’ai attendu ce jour depuis tant d’années… Je vais prendre plaisir à vous tuer. — Je croyais que tu avais compris. Je n’ai jamais perdu un combat. — Il faut un début à tout. »
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L’assassin sortit son katana de son fourreau tandis que Sanyo courrait déjà dans sa direction. Il tenta un coup d’estoc, mais Yoshima l’esquiva sans peine. Ce dernier en profita pour passer à l’attaque et enchaîna les mouvements à une vitesse prodigieuse. Sa lame tournoyait et heurtait celle de son adversaire dans un bruit métallique répété, à la fois cinglant et crispant. Durant un moment, ils échangèrent leurs places, tantôt attaquant, tantôt défenseur ou simple esquivant. Ils semblaient de force égale. Même leurs techniques paraissaient comparables. Chacun étudiait les mouvements de l’autre, essayant d’anticiper sur son prochain coup. Subitement, Sanyo remarqua un espace béant dans la garde de Yoshima, une faille qu’il pouvait exploiter. De sa main gauche, il attrapa son fourreau et s’en servit pour frapper les côtes de son ennemi alors qu’il parait son katana. Le samouraï du clan Satsuma vacilla un bref instant, suffisamment pour que le rônin lui portât une large entaille sur le bras gauche. « Enfoiré ! s’écria-t-il en reculant. Je saigne par ta faute. — C’est le but recherché. » Yoshima retrouva son équilibre et brandit de nouveau son arme. « Tu ne t’es jamais dit qu’un jour quelqu’un fera comme toi ? grommela-t-il. Qu’il te traquera à travers tout le Japon pour venger un membre de sa famille que tu aurais tué… — Si, répondit Sanyo. Et je l’attendrai de pied ferme, katana en main. » Le meurtrier s’avança vers son adversaire, fit tournoyer son sabre dans sa main et l’attaqua de toutes ses forces. Le rônin restait sur la défensive et parait les coups sans 57
grand effort, tandis que le samouraï se fatiguait de plus en plus. Profitant d’une faiblesse dans sa garde, il le frappa à deux reprises en plein visage à l’aide de son fourreau. Puis avec son katana, il enchaîna avec une puissante coupe horizontale. Le sabre de Yoshima virevolta dans les airs, vrombissant sur son passage, avant de tomber au sol à plusieurs mètres de distance. Ces brèves secondes lui semblèrent défiler au ralenti. Pour la première fois depuis son adolescence, il avait peur, car sa vie allait prendre fin. Sanyo enfonça son katana dans la chair de l’ennemi et le transperça de part en part. Les deux hommes restèrent ainsi, figés un instant, le temps de quelques battements d’ailes. L’un savourait ce spectacle macabre, les mains étreignant la poignée de son arme, et l’autre redoutait le moment où la lame sortirait de son corps. Le rônin finit par retirer son katana et le sang vint gicler sur son kimono. Yoshima se retenait désespérément de hurler pour conserver un simulacre de dignité. Il fit quelques pas en arrière et s’écroula, la main droite dans le dos, l’autre placée sur la blessure à son abdomen. « Cette histoire touche à sa fin, dit Sanyo. Je vais t’infliger le coup de grâce. » Défense relâchée, sa lame pointée vers le sol, il s’approcha lentement de son adversaire. Yoshima rassembla ses dernières forces et sortit sa main droite de son dos. Il tenait un tantô – le couteau des samouraïs – qu’il lança d’un geste vif et précis en direction de Sanyo. Ce dernier n’eut pas le temps de l’éviter. Il fit un pas en arrière et posa une main sur son ventre. Il la retira aussitôt et constata le sang qui la recouvrait en partie. 58
« Non, murmura-t-il, la voix vacillante. Pas maintenant. » Abasourdi et horrifié, il recula encore, fixant sa main rouge. Il ne regardait ni devant, ni derrière lui, ni son futur, ni son passé, seulement ce liquide qui s’écoulait hors de lui… Sans s’en rendre compte, il était arrivé au bord de la falaise. « Oyuki, maman, papa. » La lumière du soleil levant l’éblouit. Il posa un pied dans le vide. Blessé, à bout de force, il perdit l’équilibre et glissa. « Je suis désolé. » Il tomba et disparut sans pousser le moindre cri, ne laissant derrière lui que des larmes de sang. Yoshima esquissa un sourire et émit un ultime ricanement avant de fermer les yeux. Il succomba de ses blessures quelques secondes plus tard.
En 1860, des samouraïs issus des clans Satsuma, Choshu et Tosa formèrent un mouvement antioccidental. Ils prônèrent l’expulsion des étrangers, ceux qu’ils considéraient comme des barbares, et se rallièrent à Kyoto autour de l’empereur qui osait enfin se dresser face au shogun. Grâce au soutien impérial, ils prirent l’initiative d’attaques militaires sur terre et sur mer, dirigées contre les navires européens accostés dans les ports japonais. Les défenseurs de l’ordre shogunal finirent par perdre à la bataille de Toba-Fushimi, à l’aube de l’année 1868. Le gouvernement était sur le point d’être réorganisé avec ces 59
guerriers haineux, mais l’ère de la restauration Meiji débuta et marqua un changement des mentalités. Ces samouraïs semblaient avoir tiré les leçons du passé : ils acceptèrent de mettre un terme définitif à l’isolationnisme du Japon et en profitèrent aussitôt pour étudier les techniques militaires modernes des Occidentaux… Plus personne n’entendit parler de Sanyo Gaijin. Cependant, à la même époque, un Sanyo Shijin 9 apparut dans les registres de mariage de Hiroshima. Son nom était inscrit en regard d’une certaine Oyuki.
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Poète.
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Alexandre Bocquier Alexandre Bocquier, nĂŠ en 1982, est originaire du sud de la France. Il est passionnĂŠ par la culture geek, le Japon, sa culture et son histoire.
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Olivier Sanfilippo Né à Menton en 1981, Olivier Sanfilippo, surnommé aussi "Akae", entre aux Beaux Arts après un Bac général. Il n'y reste toutefois que deux années avant de rejoindre l'Université pour s'adonner à sa seconde passion après l'art : l'histoire. Son cursus universitaire le mène jusqu'au doctorat. Toutefois il n'abandonne pas ses amours premiers et continue à dessiner dans son coin. C'est ainsi qu'il commence à œuvrer au sein de nombreux fanzines, webzines et autres supports amateurs dans le milieu du Jeu de Rôle (Manuscrits de Linzi, pro-zine Lance-Feu, etc.) et littéraire (Itinéraire, Nuits d'Almor, Hydromel, Piments et Muscade, etc.) notamment avec l'association de "la Voix de Rokugan" (les Parchemins Secrets de Rokugan). Ces participations vont finalement lui permettre de mettre un pied dans l'édition professionnelle essentiellement dans le JdR, milieu qu'il affectionne tout particulièrement. C'est ainsi qu'il est publié une première fois avec Anthéas : l'archipel des cîmes en 2008 (Icare ed.). Il intègre un collectif de créatifs (auteurs, illustrateurs, etc.) Forgesonges et c'est ainsi qu'il participe à la création des Ombres d'Esteren (Forgesonges/Agate ed.). En parallèle est publié le Recueil des Démiurges en Herbe (Forgesonges/Icare ed.) qu'il co-dirige. Il travaille aussi sur des jeux comme Alkemy RPG (XII Singes/Kraken ed.) et finalement sort en 2011 Mississippi : Tales of the Spooky 62
South (Forgesonges/XII Singes) pour lequel il a dirigé l'équipe graphique en plus de l'illustrer. C'est cette même année qu'il est invité pour sa double casquette de chercheur et illustrateur à rejoindre la première table ronde universitaire sur l'Histoire dans le Jeu de Rôle au Musée National de l'Education de Rouen où une partie de son travail est exposé. Tout juste deux mois plus tard c'est avec un grand honneur qu'il est nommé lauréat du Prix Jeune Illustration Zone Franche 2012. S’enchaîne alors diverses productions et sorties avec des ouvrages comme On Mighty Thews et Annalise (Boite à Heuhh), Le Royaume des Cieux pour le jeu Capharnaum (Deadcrows/ 7eme Cercle) et le reboot, Devastra-Réincarnation (Pulp Fever ed.), un jeu de ses deux amis Romain d'Huissier et Laurent Devernay. Il compose aussi les illustration intérieures de l'écran pour le jeu Tenga (John Doe ed.). Est aussi sorti un supplément de contexte qu'il a dirigé pour le jeu le Livre des 5 Anneaux (Edge/AEG), Sunda Mizu Mura ainsi qu'Islendigar, un jeu de Fabien Fernandez (Cendres de Sphinx). Il travaille aussi pour la presse "roliste" et est publié au sein des JDRmag, Di6dent ou encore Casus Belli (illustrations, articles ou interviews). En 2013 une partie de son travail est exposé au sein de la ville de Bagneux puis lors du festival Zone Franche 2013. Il est aussi invité à composer une fresque en live durant le célèbre festival des Imaginales à Epinal, invitation renouvellée en 2014.
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Aujourd'hui, il travaille sur divers projets personnels ou non comme La Geste des Dieux-Machines (avec l'auteur Christophe Valla et Aldo Pappacoda), Chiaroscuro (un jeu d'Aldo Pappacoda) ou encore Wulin (édité chez Game-Fu ed.). Il travaille aussi sur la suite de plusieurs gamme auxquelles il a contribué comme Les Ombres d'Esteren qui désormais s'exporte dans la langue de Shakespeare sur le marché anglo-saxon. Les Ombres d'Esteren ont remporté 3 Ennies Award en 2013 dont un d'or pour le prestigieux prix "Best Art Interior". En parallèle il intègre le Groupement d'Entre-Aide des Auteurs Rolistes (GEAR), co-dirige le pôle Jeux de Rôle du GRAAL au Festival International des Jeux de Cannes et finalement intègre en 2014 les organisateurs du Festival Nice-Fictions. Il signe plusieurs affiches dont celle d'Octogone 2014 et de Nice-Fictions. 2014 est aussi pour Olivier l'occasion de diversifier son activité. Il signe ainsi plusieurs couvertures de romans (Editions du Riez, Netscripteur, Mythologica, etc.) ou encore une carte géante pour les Editions Fei (Les Voyages vers l'Ouest) et d'autres projets actuellement en développement (jeu de société, jeu vidéo, etc.). Ses influences sont multiples, asiatiques notamment, avec le Japon et ses grands maîtres de l'estampe ou de l'animation (Miyazaki), Musha, ou encore les peintres romantiques européens. Citons encore des artistes contemporains comme Sergio Toppi, Briclot, et tant d'autres qu'il 64
affectionne. Mais il agit plus généralement comme une véritable éponge et, passionné de travail en équipe, c'est auprès des illustrateurs qui l'entourent (amis ou collègues de travail) qu'il puise le plus de matière, Yvan Villeneuve, Willy Favre, Remton, Lorhan, LG, etc. Vous pouvez retrouver son univers et son actualité sur son site : http://shosuroakae.wix.com/sanfilippo
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Mentions Légales Auteur : Alexandre Bocquier Illustrateur (2008) : Olivier Sanfilippo ISBN : 978-2-37227-012-0 Ebook publié en 2015 par © Mots & Légendes Comité de lecture et corrections : Malena Emo, Haldryc, Julie Rogani, Madeleine Staquet, Tatooa, Ysaline et Ludovic Païni – Kaffin Maquette : Ludovic Païni – Kaffin
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Résumé Textes d'Alexandre Bocquier Couverture d'Olivier Sanfilippo Présentation de la nouvelle 47 En 1701, le seigneur Asano, accusé d'avoir blessé le maître des cérémonies de la maison du shogun, est condamné à mort. Les serviteurs d’Asano deviennent alors des rônins, des samouraïs sans chef, dont l’unique dessein est de rétablir la justice en vengeant la mort de leur seigneur. Ces 47 rônins passeront deux ans à planifier minutieusement une attaque suicide du palais du shogun… Le récit des 47 rônins est décrit comme une « légende nationale » dans les manuels d’histoire japonais. Présentation de la nouvelle Gaijin Au XIXe siècle, à la fin de l’ère Edo, le Japon demeure replié sur lui-même, refusant la « perversion » du monde, malgré la pression de plusieurs pays. C’est dans ce contexte tendu que naît Sanyo, un garçon métis. À 10 ans, il assiste, impuissant, au massacre de ses parents par trois samouraïs xénophobes. Rongé par la tristesse et la colère, il se met en quête de ces trois hommes dans la grande cité de Kyoto. Par chance, il rencontre Nobunaga, un autre samouraï qui l’entraînera des années durant, jusqu’à ce que l’enfant devenu homme soit capable d’assouvir son désir de vengeance.
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