Ambiances et Architecture contemporaines 2011 Séminaire Master 2 Architecture et Cultures Sensibles de l’Environnement
De l’hospitalité Par Isis Roux-Pagès,
En contrepoint à la standardisation liée à la production massive des espaces contemporains, de l’architecture et de l’urbanisme génériques, cet article se propose d’explorer les notions de domestique, de familier ou d’hospitalier dans les contextes urbains occidentaux. « Les villes contemporaines sont-elles, comme les aéroports contemporains, toutes les mêmes ? » questionne Rem Koolhaas en introduction de son essai La Ville Générique1. Bien sûr, ni les aéroports, ni les villes contemporaines ne sont exactement semblables, mais on peut souligner les caractères communs de ces espaces que la modernité a produit : homogénéisation, aseptisation, dilatation de l’échelle, interchangeabilité, anonymat, etc. L’homme, le temps et la matière, en résumé, ce qui faisait l’histoire et l’identité des lieux, ont en quelque sorte disparu des projets de construction. En contraste de cette vision fonctionnaliste de la ville, essayons de voir par quels moyens la forme et l’usage urbains peuvent retrouver un caractère spécifique, vivant, que nous nommerons « familier » ou « hospitalier ».
Cadre théorique Si ce qui est standard est ce qui est conforme à un type, à une norme de fabrication, qu’est-ce qu’un urbanisme normalisé ou standardisé ?
1 La ville générique, in Junkspace, Rem Koolhaas, éditions Payot et Rivages
C’est l’apparition de formes construites reproduites, similaires partout dans le monde, d’espaces franchisés soumis aux règlements d’urbanisme, à l’hégémonie économique et aujourd’hui aux impératifs du développement durable. Le terme « urbanisme générique » fut démocratisé par l’ouvrage S. M. L. XL. de Rem Koolhaas et plus particulièrement par son essai La Ville Générique, paru en 1995. L’urbanisme générique décrit un paysage urbain non spécifique, manquant d’identité.
maquette d’urbanisme -‐ Madentreprises
La ville générique ne contient aucun point de référence spécifique, ne se raccordant ni à son histoire, ni à ses habitants. « La Ville Générique […] n’est rien d’autre qu’un reflet des besoins actuels et des moyens actuels. Elle est la ville sans histoire. Elle est assez grande pour tout le monde. Elle est commode. Elle n’a pas besoin d’entretien. […] Elle est partout aussi attirante – ou sans attrait. Elle est superficielle – comme un studio hollywoodien, elle peut produire une nouvelle identité du jour au lendemain. […] C’est un lieu de sensations faibles et distendues, d’émotions rares et espacées, un lieu discret et mystérieux, comme un vaste espace qui serait éclairé par une lampe de chevet. »2
2 idem.
Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble Encadrement : Grégoire Chelkoff (responsable), Magali Paris et Céline Bonicco
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Cette description de Koolhaas fait écho à la définition des non-lieux de Marc Augé : « Si un lieu peut se définir comme identitaire, relationnel et historique, un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique définira un non-lieu.
Terminal d’embarquement Eurostar à Waterloo
Plus précis, Marc Augé ajoute : « Dans les non-lieux, cette lecture (celle des lieux anthropologiques) n'est plus possible : ce sont des espaces de coexistence contingente et éphémère, concrètement des espaces de circulation, de consommation et de communication. Ces espaces se multiplient en même temps que l'histoire s'accélère, que la planète rétrécit et que l'individu consommateur s'isole. »4
Construzioni per una Metropoli Moderna, Mario Chiattone, 1914
L’hypothèse ici défendue est que la surmodernité est productrice de nonlieux, c’est-à-dire d’espaces qui ne sont pas eux-mêmes des lieux anthropologiques et qui, contrairement à la modernité baudelairienne, n’intègrent pas les lieux anciens : ceux-ci, répertoriés, classés et promus ‘’lieux de mémoire’’ y occupent une place circonscrite et spécifique. »3 Un non-lieu est donc un espace détaché du lien anthropologique, il existe par lui-même et pour lui-même, espace de présence simultanée, succession de moments indifférenciés.
Non Lieux, une anthropologie surmodernité, Marc Augé, éditions Seuil
3
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la
Ces phénomènes de mutation de la ville contemporaine sont aujourd’hui largement connus et critiqués, aussi bien des spécialistes de l’aménagement que d’une partie de la société civile, et font l’objet de recherches et d’analyses, aussi bien que de profondes remises en question. Un consensus se forme autour de l’idée de replacer l’Homme dans la ville, de revaloriser les identités et les pratiques culturelles, de reconquérir une urbanité oubliée. « Dans la ville contemporaine, la fabrication de l’espace public et privé se pose de manière complexe. Le discours des décideurs est souvent enfermé dans la sphère d’une pensée instituée. […] En réaction à cet état de choses, cette exposition présente une série de tactiques spatiales conçues
4 Idem.
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avec et pour les habitants dans un souci de démocratisation des procédures urbanistiques. Il ne s’agit pas de projets architecturaux et urbains au sens propre, mais d’événements construits le temps d’une action pour révéler les potentialités d’usage des lieux et pour sensibiliser les habitants à la définition de leur cadre de vie. » Enrico Chapel, commissaire de l’exposition Urbanités Inattendues qui s’est tenue à Toulouse au printemps 2011, expose ici clairement quelles sont les préoccupations d’un grand nombre de professionnels et de fabricants de la ville depuis une grosse décennie. Face à l’urbanisation mécanique et fonctionnelle des espaces de vie, ainsi qu’à la perte de l’échelle humaine et du savoir-vivre ensemble, on recentre, depuis une dizaine d’années, les projets d’architecture et d’urbanisme sur les notions de citoyenneté et de participation. Partout dans le monde, et avec un air d’urgence dans les pays dits « du Sud » qui souffrent de la brutalité des logiques économiques, l’être humain est sensé se ressaisir de son rôle d’acteur principal de la vie de la ville. Dans la pratique, bon nombre d’architectes, d’urbanistes, mais aussi d’artistes, d’acteurs des politiques de la ville, de collectifs interdisciplinaires, comme Alejandro Aravena et son équipe pluridisciplinaire « Elemental ! » qui sont à l’origine du projet du quartier de Quinta Monroy, au Chili, réfléchissent à la mise en place d’outils qui favorisent les interactions, refont vivre les délaissés urbains, et participent à rendre la ville plus écologique (dans le sens d’écosystème urbain) et plus démocratique (accessible à tous). La participation des citoyens est d’ailleurs une thématique récurrente aujourd’hui dans les discours sur la fabrication de la ville.
Logements de Quinta Monroy, Elemental & Alejandro Aravena, 2005, Iquique, Chili Les éléments d’ambiances qui nous intéressent ici ont trait à cette nouvelle aspiration citoyenne où l’importance du bien-être urbain prend fréquemment une signification collective. Si les notions de « familiarité » ou d’ « hospitalité » urbaine sont intéressantes dans ce contexte, c’est justement parce qu’elles introduisent un paradoxe : elles juxtaposent les intentions d’accueil et d’hébergement avec le caractère collectif et peuplé de la ville. Comme un clin d’œil à l’étymologie du mot ville – villa, en latin, désignait ces maisons de campagnes qui, ayant gagné en importance, ont fini par accueillir l’équivalent de la population d’un village entier – l’urbanité familière permet de récupérer collectivement, sans tomber dans l’universalisme, ce qui est du domaine du connu, voire de l’intime. Supposons que le rôle de l’architecture ici réside dans l’expression et la matérialisation du lien social, alors la problématique des ambiances se pose franchement : si des dispositions et des dispositifs architecturaux sont pensés pour favoriser l’hospitalité urbaine collective et pour correspondre à une vision partagée par tous et par toutes, quels sont les paramètres ou les données d’ambiances qui fabriqueront ce sentiment d’appartenance ? On peut d’emblée présenter quelques caractéristiques génériques qui participent à la création d’un climat de familiarité dans la ville. L’idée défendue ici est que paradoxalement, l’extraordinaire et l’inattendu dans la ville
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peuvent être sources d’un sentiment de familiarité et de bien-être, même si le processus pour y parvenir ne va pas de soi (incompréhension, réticence première). On peut citer également les actions relevant de la perturbation et de la subversion comme origines de sentiments de surprise et de décalage propices à l’appropriation intellectuelle et à l’adhérence inconsciente des usagers de la ville. L’événement, lui aussi, et si petit soit-il, crée la surprise, rompt l’habitude et la monotonie des parcours urbains quotidiens pour proposer une image, une idée, une action, une réaction. Le danger étant, dans notre monde saturé d’images, de ne pas surenchérir sur cette « immense accumulation de spectacles » que proposent nos sociétés modernes, mais au contraire d’offrir un espace où la réflexion et l’action sont rendues possibles et accessibles.
d’une vision fonctionnelle et durable du projet. Il faut à cela ajouter que bien souvent, ces dispositifs ne sont inscrits dans le contexte urbain que pour une temporalité courte, voire éphémère, dans le cadre d’évènements ayant souvent un caractère de manifeste. Comme si la contestation et la réponse à la diffusion de la ville générique ne pouvaient prendre place que dans un temps circonscrit, délimité, conjoncturel. Une autre constante transversale à la tentative de fabriquer des lieux conviviaux réside dans le fait de s’intéresser aux délaissés urbains et plus particulièrement aux interstices. Stratégie d’optimisation foncière, investissement de lieux oubliés, banalisés, tombés dans l’inconscient urbain pour les « réactiver », l’intérêt de l’interstice se trouve dans l’espace de liberté qu’il offre, auquel personne n’avait pensé avant. Il devient potentiellement support de nouvelles relations, de partages et d’échanges entre voisins, citoyens, habitants. La conformation typique d’un interstice urbain fait que l’espace disponible est protégé sur deux, voire sur trois côtés, que son accès est souvent fermé par une clôture et donc à l’abri des regards du trop grand nombre, et qu’il présente fréquemment des traces du passé, ce qui le rattache à l’Histoire et le rend appropriable.
Anwohnerpark plan 06, Office for Subversive Architecture, Cologne, 2006
C’est là que l’architecture et l’urbanisme s’hybrident avec l’art, se risquant à en utiliser les codes et les finalités politiques ou esthétiques, au détriment parfois
Le 56/Eco-‐interstice, Atelier d’Architecture Autogérée, Paris, 2006
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Mais le caractère événementiel, subversif ou non, d’une action urbaine, et l’interstice, co-géré ou squatté, ne suffisent pas à définir et à qualifier les attributs de lieux accueillants, familiers, ou hospitaliers. Nous nous proposons par conséquent de passer en revue plusieurs types de dispositifs et de dispositions architecturaux, examinés sous trois angles : 1. La dimension physique : renvoyant à la mesure du corps, à l’intimité, à la proximité physique 2. La dimension sensible : entendue comme le coutumier, la sensation familière, le connu 3. La dimension sociale : liée au foyer, aux tâches quotidiennes, à la communauté
Études de cas
Amélioration du marché de Whitecross Street, Muf + Arup, Londres, 2005
La matérialisation d’une frontière, délimitation d’un espace Une des marques les plus ténues, les plus minimales que pourrait prendre l’expression matérielle d’un espace hospitalier réside dans la matérialisation, souvent au sol, d’une ligne. Une ligne qui, au sein du vaste continuum urbain dans lequel nous évoluons, départage un dedans d’un dehors ; une ligne qui dessine les contours d’un proto-territoire ; une frontière qui caractérise deux espaces aux propriétés distinctes.
Physiquement, peu de matérialité se dégage de ce principe spatial, mais un sens intuitif émane du dessin crée par ces contours : « pièce » rectangulaire, « chemin », ou « patate » n’influeront pas les démarches des gens de la même manière. Pourquoi les piétons intuitivement affectionnent-ils marcher sur les pistes cyclables peintes au sol ? L’échelle de ce territoire virtuel invite également à la rencontre, au resserrement, ou au contraire à l’évitement des personnes. C’est dans l’inconscient des gens que se forme cette information sensible de la pénétration d’un espace ou d’un autre, à partir d’un bref changement de sol, ou d’une marque peinte. L’œil voit cette différenciation sans transmettre l’information consciente au cerveau, ce processus s’insérant dans la grande quantité d’images perçues. L’espace dit « de sécurité » tenu par la ligne jaune des quais de train et par la bordure de la voie est un retrait instinctivement observé par l’essentiel des gens, et pourtant il est
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le théâtre d’attitudes particulières à la montée et à la descente des trains. Les usages liés à ce type de marquages sont certes ténus mais existent bel et bien et plutôt que d’être du ressort du « chez soi » vs. « chez nous », ils témoignent plutôt d’un entre-deux public/privé, où l’anonymat des trajets quotidiens est remplacé par un fragile sentiment communautaire.
Le type « bulle » La transposition de l’archétype de la maison dans l’espace public est certainement l’expression de la familiarité la plus emblématique et en même temps la plus paradoxale. S’apparentant à l’image de l’habitat primitif type igloo, les dispositifs architecturaux déclinés de l’idée de bulle, insérés dans les espaces publics ouverts (rues, places…) comme dans des édifices publics (musées, écoles..) transmettent immédiatement le sentiment d’accueil et de logement (au sens d’abriter) et simultanément en individualisent l’expérience. Sur le plan matériel, on est, comme précédemment, dans la délimitation d’une frontière, cette fois en 3D. Il s’agit simplement d’avoir un toit au dessus de la tête et d’être entouré de parois, plus ou moins opaques et donc plus ou moins en lien avec l’extérieur. La permanence visuelle avec le contexte urbain participe à cette sensation d’intimité, puisque l’on peut vérifier qu’on est protégé, coupé de l’extérieur, au moins thermiquement.
Küchenmonument, Raumlabor, Hambourg, 2006
Paradoxalement, les installations de type bulle dans l’espace public sont à la fois des espaces de protection, de repli sur soi et à la fois des espaces conçus pour le collectif, pour la rencontre, l’exposition ou l’expérience inédite. Est-ce que les ambiances de familiarité et de proximité que dégagent ces projets ne naissent pas justement de la juxtaposition forcée et directe d’une fonction domestique et d’un espace de passage ?
L’engagement du corps et le mouvement Face à la banalisation des espaces publics et surtout à leur monofonctionnalité (bancs, trottoirs, potelets…), de plus en plus de projets d’aménagement urbain intègrent des dispositifs mobiles, qui en plus d’offrir une diversification des usages, engagent concrètement le corps humain. Le passant, l’usager, retrouvent une prise sur l’environnement construit, et cette interactivité est souvent source d’une nouvelle relation à la ville. Par une simple participation du corps et du geste, le lieu
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devient un socle à de nouvelles pratiques collectives.
tous, le temps d’un court instant, unissent leurs forces et leurs sensations.
Les assises
Lent Space, Interboro Partners, New York, 2009
A l’échelle du corps humain, ces objets montés sur des systèmes mobiles (rotation, translation, pli et repli, fermeture et ouverture) sont laissés au soin des citoyens, qui se retrouvent inconsciemment responsables par défaut de leur protection. Ainsi, l’individu est « engagé » deux fois : par l’usage et par la préservation de l’objet. Ceci implique un flot de sensations thermiques et mécaniques pour activer l’objet, conséquences d’un effort qui peut être réalisé seul ou à plusieurs. Cette petite « communauté » sensible créée autour d’un simple objet urbain constitue un point de départ à une familiarité, où
Rappelons ici la définition de l’hospitalité, qui résonne particulièrement avec la composante abordée : « charité, générosité, qu’on exerce en recevant ou en logeant gratuitement les étrangers et les passants ». Retrouver la ville hospitalière, la ville qui accueille avec bienveillance, c’est insister sur cet objet banal et qui a perdu de sa superbe initiale : le banc, ou l’assise publique. Spontanément, des millions d’usagers improvisent, parfois en des configurations incongrues, ces assises : marches, murs, murets, rebords, etc. Et cela paraît étrange comme parfois les bancs destinés à cet usage sont délaissés. Serait-ce qu’ils ne conviennent plus aux usages et attitudes contemporains ? Comme un contrepoint à la ville mobile, passante, à l’urbanisme des flux et de la vitesse, l’utilisation et la mise en place de dispositifs d’assises répondent à un besoin naturel de l’organisme, celui de la pause, de la station assise, à un transfert du poids et de la gravité du corps vers un objet indépendant. Points de repères, moments de contemplation, de prise de recul par rapport au spectacle urbain, les assises de rue permettent aussi de reconsidérer la rue comme une destination en soi. Elles deviennent le siège d’une posture singulière, celle de la contemplation de la routine, du va-et-vient familier des autres passants.
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de son expérience. À l’architecture de béton, de verre et d’acier sont opposés l’épaisseur, le chatoiement, la densité, la couleur, la consistance, la brillance de matières plastiques, textiles, végétales ou composites.
Assises éphémères, Arno Piroud, lieux multiples, 2007-‐2010
Evénement inattendu, Madrid, photo personnelle
Have a seat, Caroline Woolard, New York, 2003 – 2006
La matérialité : l’ordinaire et le surprenant Ce qui se sous-entend dans La Ville Générique de Rem Koolhaas est la dématérialisation de la ville, sa dissolution dans l’univers numérique et dans les flux, la perte de son essence physique, corporelle. Un levier d’action, manié parfois de manière virtuose pour, au contraire, retrouver une ville aimable, réside justement dans l’emphase faite sur la matérialité des objets construits, comme un reflet de la matérialité de l’homme et
Des techniques d’assemblage, de superposition, de patchwork, permettent de faire ressurgir des aspérités, des irrégularités, des imperfections qui redonnent à la ville un visage humain. Cette fantaisie et cette rugosité contribuent à restituer l’espace urbain quotidien aux gens, à leur en faciliter l’accès et, comme dit plus haut, leur rendre une prise sur le cadre bâti. De plus, l’agencement de matières diversifiés et chaleureuses amorce un élan physique automatique : envie de toucher, de frotter, de s’asseoir, voire de s’allonger. C’est toute une palette de sensations tactiles, thermiques, palpables qui est offerte aux citadins et leur permet d’instaurer une relation d’intimité avec la ville et les autres.
Présence de l’eau et fonction sociale L’eau est un élément que nous considérons comme essentiel dans la composition de la ville. Utile pour
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contrebalancer l’excès de matières minérales dans la cité aseptisée, on la trouve heureusement toujours, coulante ou stagnante, des caniveaux aux fontaines d’ornement. Malheureusement souvent non potable, elle joue bien trop fréquemment le rôle de décorum, quand elle ne sert pas à geler les trottoirs et bancs publics en hiver pour déloger les S.D.F. Lui redonner une place estimable, précieuse, au sein de l’écosystème urbain convierait peut-être les hommes à la respecter et en retour rendrait la ville véritablement hospitalière. En plus de la considérer comme une ressource désaltérante, beaucoup d’interventions urbaines contemporaines usent de l’eau afin de renouer avec la fonction ancestrale que les bains publics jouaient dans la ville ancienne : lieux d’hygiène mais aussi lieux de rencontres et même de business. Lorsqu’on voit le succès que remporte Paris-Plage, ainsi que les miroirs d’eau du Parc André-Citroën à Paris ou des quais de Bordeaux, on sent bien l’attente sociale qu’ont les citadins vis-à-vis de l’eau et des jeux aquatiques.
Isla Ciudad, Exyzt, Madrid, 2010
Sous forme de baignoire, de pataugeoire, de sauna, de hammam, de mini plage ou de vraie piscine, l’eau est le corollaire d’un moment ludique qui fait défaut dans nos quotidiens d’asphalte et de poussière. Le rapprochement des corps et le début d’une nudité qu’elle induit permet de lever les inhibitions qu’ont les inconnus parcourant la même ville, les uns envers les autres, d’oublier un temps leur individualité au profit d’une détente rafraîchie. Associé au massage et au soin, le bain force la proximité, l’intimité, véhicule même une certaine forme de sensualité. C’est ce qui semble se passer dans un grand nombre d’évènements urbains grand public, mais ces phénomènes de mélange social ou générationnel ne se limitent-ils pas à certains groupes sociaux, sachant subtilement s’éviter ou se retrouver ?
Conclusion Lieux du Possible, Le Bruit du Frigo, Bordeaux, 2008
Enième élément aidant à retrouver un lien avec le corps et l’intimité, l’eau apporte à la ville un aspect naturel, primaire, hospitalier puisque c’est une ressource gratuite et accessible à tous.
Tenter de définir ce qui fabrique des espaces urbains conviviaux, domestiqués – plutôt que domestiques ou hospitaliers est un peu imprécise car elle se heurte, entre les lignes, à la définition d’un caractère urbain spécifique, impalpable, difficile à saisir et à disséquer. Même si une amorce de typologie a été entreprise ici, elle est de loin incomplète et il faudrait un relevé systématique des lieux « qui marchent » pour en comprendre les ambiances. On peut quand même relever en arrièreplan de cette analyse, deux grandes
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notions qui pourraient fonder la base de la fabrication d’ambiances urbaines familières ou hospitalières. Afin de retrouver les points de référence nécessaires à la vie de la cité, perdus dans la ville générique contemporaine, deux rudiments sont à reconstituer : la fabrication d’un territoire, à la fois individuel et collectif, microscopique ou macroscopique, un ancrage au lieu anthropologie, presque même un terroir, avec tout ce que cette notion contient de culturel. On voit souvent que les projets cités – et bien d’autres encore – détournent les usagers de l’accélération du flux pour les ramener à la présence et à la pause dans un lieu. Le temps peutêtre, de retrouver une civilité et une urbanité inattendues. La deuxième notion à réinjecter dans l’environnement bâti a trait à la matière, vivante ou synthétique, aux éléments –eau, air, terre, feu - à ce qui constitue primairement notre monde vivant et qui permettrait aux villes de se débarrasser de leur image de sanctuaires artificiels de béton et de verre. On peut néanmoins questionner les limites du désir affiché, pour la ville, de retrouver une certaine urbanité, ou politesse, quand par ailleurs les métropoles contemporaines sont le théâtre d’antagonismes sociaux et de crises économiques graves partout dans le monde. Il est aisé de parler de développement désirable et d’urbanisme utopique dans le cadre du débat actuel sur les villes françaises, mais il est plus difficile de convaincre les habitants de logements sociaux ou de gated communities des bienfaits de la mixité sociale. Cette ville hospitalière doit être créée, ardument, pour tous et par tous, en évitant les écueils de l’entre-soi et de l’utopie et du communautarisme.
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Bibliographie
Interboro Partners, agence d’architecture, d’urbanisme et de planification territoriale, New York
Ouvrages LA CECLA, Franco, Contre l’architecture, février 2010, Paris, Éditions Arléa, 128 pages
http://www.interboropartners.net/
KOOLHAAS, Rem, Junkspace, repenser radicalement l’espace urbain, traduction française, 2011, Éditions Payot et Rivages, Paris, 121 pages
http://www.starnocity.com/index.php
KOOLHAAS, Rem, MAU, Bruce, SIEGLER, Jennifer, WERLEMANN, Hans, S, M, L, XL, 2ème édition, 2000, Monacelli Press, New York, 1355 pages AUGÉ, M. Non-lieux, une anthropologie de la surmodernité, 1992, Éditions Seuil, Paris, 149 pages
Arno Piroud, artiste
Caroline Woolard, artiste http://carolinewoolard.com/ Lieux Possibles, Ville créative et développement désirable, juin 2010 à septembre 2011, Bordeaux http://www.bruitdufrigo.com/
Internet
Isla Ciudad, installation temporaire sur un terrain en attente, par Exyzt, Plaza de la Cebada, Madrid
Wiktionnaire, dictionnaire libre, gratuit et collaboratif
http://lanocheenblanco2010.esmadrid.co m/lneb/en/evento/574/isla-ciudad
http://fr.wiktionary.org/wiki/Wiktionnaire:P age_d%E2%80%99accueil
http://www.exyzt.org/2010/09/city-islandin-progress/
Exposition « Urbanités Inattendues », du 5 mars au 4 juin 2011, réalisée par l’ENSA Toulouse, en partenariat avec l’AERA et le CCA – Centre Canadien d’Architecture. Curateur : Enrico Chapel, docteur et chercheur au LET – Laboratoire Espace Travail http://urbanites-inattendues.overblog.com/ Equipe Chilienne « Elemental », concepteur du quartier de Quinta Monroy, à Iquique http://www.elementalchile.cl/ Office for Subversive Architecture, Londres, Berlin, Frankfort, Vienne, Darmstadt http://www.osa-online.net/ Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Grenoble Encadrement : Grégoire Chelkoff (responsable), Magali Paris et Céline Bonicco