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Connecter le fleuve aux montagnes

mots :: Geoffrey Dirat

Les animaux aussi vont devoir s’adapter aux changements climatiques, en migrant progressivement vers le nord pour trouver des températures plus propices à leur survie. Sauf que les routes qui parcourent nos forêts ainsi que les chalets disséminés dans les montagnes constituent des obstacles, trop souvent mortels, à leurs déplacements. Un enjeu auquel s’attelle Éco-corridors laurentiens, un organisme de conservation de la nature qui travaille à la création d’un réseau d’aires protégées entre Oka et Mont-Tremblant.

Connecting the River to the Mountains

words :: Geoffrey Dirat

Wildlife will also need to adapt to climate change by gradually migrating northward to find temperatures more conducive to their survival. But the roads that run through our forests and the developments scattered across the mountains too often become deadly obstacles. Éco-corridors laurentiens, a non-profit nature-conservation organization working to create a network of protected areas between Oka and Mont-Tremblant, is addressing the issue.

BERNARD BRAULT

En ce matin de février 2019, Isabelle Grégoire a eu de la difficulté à se rendre jusqu’à Sainte-Agathe. « Il avait neigé jusqu’à 5 h du matin ; une grosse, grosse tempête », se souvient la formatrice en environnement qui se déplaçait ce jour-là dans les Laurentides pour animer une journée d’initiation au pistage faunique, organisée par Éco-corridors laurentiens. Sur place, ses élèves étaient contrariés, persuadés que la neige tombée durant la nuit avait recouvert toute trace animale. La pisteuse aguerrie était quant à elle confiante.

Après une matinée en salle consacrée à la théorie, elle a donc emmené ses apprentis s’exercer sur le terrain, dans un boisé de conifères. « L’hiver, on voit loin dans la forêt, et la neige est un substrat idéal pour imprimer tous les passages et révéler des indices », indique la responsable des programmes éducatifs de la Fiducie foncière de la vallée Ruiter, un organisme environnemental dans les Cantons-de-l’Est.

La jeune femme avait vu juste. Dans une trouée, le groupe repère rapidement les empreintes fraîches d’un renard roux. Ses traces les mènent jusqu’à un bosquet de sapins baumiers au pied desquels l’animal a déposé des sécrétions odorantes dans le but d’attirer les femelles alentour. « Un peu plus loin, il y avait plein de traces, un vrai party de lièvres, à l’abri sous des sapins », se remémore Isabelle Grégoire, qui se rappelle aussi les yeux émerveillés de ses élèves pisteurs.

« Des traces, il y en a toujours. Il faut savoir où regarder, en se mettant à la place de l’animal, et se demander où il a pu aller se protéger durant la tempête. » “There are always tracks. You need to know where to look, put yourself in animals' shoes, and ask yourself where they might have sought cover during the storm.”

On a February morning in 2019, Isabelle Grégoire had a hard time getting to Sainte-Agathe. “It snowed until 5:00 a.m. It was a big, big storm,” recalls the environmental educator, who was travelling that day in the Laurentians to lead a day-long introduction to wildlife tracking organized by Éco-corridors laurentiens. When she arrived, her students were upset, convinced that the overnight snowfall had covered all animal tracks. The expert tracker was confident though.

After a morning in the classroom devoted to theory, she took her apprentices out into the field for practice in a grove of evergreens. “In winter, you can see far into the forest, and snow is an ideal substrate for imprinting all movements and revealing clues,” says the educational program manager for the Ruiter Valley Land Trust, an environmental organization in the Eastern Townships.

She was right. In a gap in the vegetation, the group quickly spotted fresh red fox tracks. These led them to a grove of balsam fir trees. The animal had left scent marks at the base of the firs to attract nearby females. “A little farther on, there were lots of tracks, a real snowshoe hare party under the shelter of some fir trees,” says Grégoire, who also remembers the amazement in the eyes of her tracking students.

En 2016, 5 600 collisions avec des animaux ont été rapportées au Québec, dont 549 dans la région de Mont-Tremblant; 89 % des collisions surviennent avec les cerfs de Virginie. Les plus petites espèces, qui ne causent pas de dommages importants, ne sont malheureusement pas comptabilisées. Les panneaux de signalisation ne réduisent les collisions avec les animaux que de 1 %, contre 83 % pour les passages fauniques et les clôtures d’exclusion. Sous l’autoroute 10, 21 espèces ont été observées traversant des passages inférieurs (tunnels, passages aménagés sous des viaducs, etc.). À Banff, en Alberta, ainsi qu’en Ontario, les passages fauniques ont réduit de 85 à 94 % les collisions avec les ongulés et les grands mammifères.

In 2016, 5,600 animal collisions were reported in Quebec, including 549 in the Mont-Tremblant area.

White-tailed deer were involved in 89 per cent of

the collisions. Smaller species, which do not cause significant damage, are unfortunately not counted. Signs reduce animal collisions by only 1 per cent compared to 83 per cent for wildlife crossings and fencing. Under Highway 10, 21 species were observed using underpasses (tunnels, travel-ways set up under overpasses, etc.). In Banff, Alberta and Ontario,

wildlife crossings have reduced collisions with ungulates and large animals by 85–94 per cent. Coureurs des bois 2.0

Pour Éco-corridors laurentiens, ces formations au pistage n’ont rien de folklorique. Les participants sont invités à partager leurs découvertes sur l’application mobile Stop Carcasses ! lorsqu’ils croisent des animaux morts au bord des routes, ou via la plateforme Pistage Québec, où sont colligées des données sur les indices de présence faunique au Québec. « C’est de la science citoyenne et participative. Ces gens deviennent nos yeux sur le terrain », explique la chargée de projet de l’OBNL, Josianne Lalande, qui souligne l’aspect mobilisateur de ces activités. « Ils participent à quelque chose de plus grand qu’eux ; leurs observations vont compter, dans les bases de données. »

Par exemple, elles serviront à dénombrer les animaux sur un territoire vaste et diversifié. Les Laurentides sont composées de plaines, de vallées et de montagnes parmi lesquelles les petits rongeurs côtoient certes de grands mammifères comme le loup, le lynx ou le coyote, mais où 41 espèces fauniques – tels la tortue des bois ou le faucon pèlerin – sont en situation précaire.

Ces inventaires permettent surtout à Éco-corridors laurentiens d’identifier les endroits où les animaux passent, l’objectif de l’organisme étant de créer un réseau de corridors naturels, protégés et interconnectés entre eux, qui relieraient le parc national d’Oka, sur les rives du lac des Deux-Montagnes, à celui du Mont-Tremblant, au nord. Un peu à l’image du travail accompli depuis 20 ans par l’organisme Corridor appalachien, qui a réussi à protéger 15 000 hectares de milieux naturels en reliant la région des Appalaches nordiques, à cheval entre les États-Unis et le Québec, et celle de l’Acadie, dans l’est du pays.

Citizen Science

For Éco-corridors laurentiens, which celebrated its 10th anniversary this year, the tracking courses go beyond learning traditional skills. When the members of the public come across dead animals on the side of the road, Éco-corridors laurentiens invites them to share their findings on the Stop Carcasses! mobile app or on the Pistage Québec platform, which compiles data on signs of wildlife in Quebec. “It's citizen and participatory science. They become our eyes in the field,” says Éco-corridors laurentiens project manager Josianne Lalande, who underscores how these activities can be mobilizing: “They are taking part in something bigger than themselves; their observations are going to make a difference in the databases.”

For example, they will be used to count animals in a vast, diverse territory. The Laurentians are made up of plains, valleys and mountains where small rodents live alongside large mammals, such as wolves, lynxes and coyotes. But 41 wildlife species, including the wood turtle and the peregrine falcon, are at risk.

The inventories enable Éco-corridors laurentiens to identify the places where wildlife travels. The organization's goal is to create a network of natural, protected, interconnected corridors that would link Oka National Park, on the shores of Lac des Deux-Montagnes, with Mont-Tremblant National Park to the north. This work is much like that accomplished over the past 20 years by the non-profit conservation organization Appalachian Corridor, which has succeeded in protecting 15,000 hectares of natural environments by linking the northern Appalachian region (which straddles the United States and Quebec) with the Acadian region of eastern Canada.

Parc national du Mont-Tremlblant Mont Tremblant National Park

Légende / Legend

Corridors

Noyaux de conservation Conservation areas

Passages fauniques

« La région des Laurentides est le terrain de jeu des Montréalais. C’est vert, il y a des rivières et des lacs, mais c’est une des régions les moins protégées au Québec et c’est un territoire très fragmenté », signale la biologiste Kim Marineau, cofondatrice d’Éco-corridors laurentiens. Entre l’agriculture, l’exploitation forestière, l’accélération du développement urbain et l’engouement pour la villégiature, la pression s’accentue inexorablement sur les milieux naturels.

Que ce soit la route 117, les autoroutes 15 et 50, les routes secondaires ainsi que les nombreux chemins d’accès aux boisés privés et aux chalets ayant poussé comme des champignons, le territoire est extrêmement morcelé. « Ça semble anodin, mais une route, c’est une barrière qui a de grosses conséquences sur les déplacements journaliers des animaux et ça a un impact sur l’ensemble des écosystèmes », précise la vice-présidente de l’OBNL qui a célébré ses 10 ans cette année.

À court terme, l’organisme fait la promotion des passages fauniques, c’est-à-dire de ponts ou de tunnels passant au-dessus ou en dessous des routes et des autoroutes qui permettent aux animaux de les traverser en toute sécurité, pour eux comme pour les automobilistes. À Ivry-sur-le-Lac, une caméra infrarouge a ainsi montré que des orignaux empruntaient un ponceau sous l’A15. Afin d’installer la bonne structure, de la bonne façon et au bon endroit, le travail de pistage des bénévoles s’avère ainsi crucial pour savoir précisément quelles espèces tentent de traverser et à quels emplacements.

Mais « ça reste un pis-aller », pour Kim Marineau, qui voit à plus long terme. « Un millier d’espèces devront progresser de 400 à 500 km vers le nord pour s’adapter au réchauffement climatique. Avec les Grands Lacs à l’ouest et le fleuve Saint-Laurent à l’est, les régions de l’Outaouais et des Laurentides constituent une plaque tournante pour tous ces animaux. » Une raison de plus d’étudier leurs déplacements actuels afin d’envisager leurs migrations futures à travers un réseau d’aires naturelles protégées et connectées entre elles.

Parc national d'Oka Oka National Park

JEAN-CHRISTOPHE LEMAY

Wildlife Crossings

“The Laurentians region is Montrealers' playground. It's green, and there are rivers and lakes, but it's one of the least protected regions in Quebec. It's a very fragmented area,” says biologist Kim Marineau, cofounder and vice-president of Éco-corridors laurentiens. Between agriculture, forestry, accelerated urban development and the craze for cottages, the pressure is relentlessly increasing on natural environments.

Because of the highways (15, 50 and 117), secondary roads or the numerous access roads to private woodlots—and cabins that have sprung up like mushrooms—the landscape is extremely fragmented. “It seems harmless, but a road is a barrier that has a big impact on the daily movements of animals, and it has an impact on all ecosystems,” adds Marineau.

In the short term, Éco-corridors laurentiens is promoting wildlife crossings—bridges or tunnels over or under roads and highways that allow wildlife to cross in a way that's safe for both animals and motorists. In Ivry-sur-le-Lac, an infrared camera showed that moose were using a culvert under A15. To set up the right structure in the right way in the right place, and to know which species are attempting to cross in which location, volunteers' tracking work is crucial.

But “it's still a stopgap,” says Kim Marineau, who is looking at the longer term. “A thousand species will need to move 400 km to 500 km north to adapt to climate change. With the Great Lakes to the west and the St. Lawrence River to the east, the Outaouais and Laurentian regions are a hub for all these animals.” That's one more reason to study their current movements in an attempt to facilitate their future migrations through a network of protected, connected natural areas.

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