Planète Paix (Avril 2016)

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L’info pacifiste : www.mvtpaix.org La paix en mouvement

3,20 euros / N° 611 / Avril 2016

La Tunisie, 5 ans après…

Thêatre Le maniement des Larmes, Compagnie ‘‘Un pas de côté’’ (P.23)

Corée du Sud et Viêtnam

Dossier (P.11-16)

Une convergence de ‘‘résistances’’ ? (P.20/21)


REGARD SUR...

Le Mouvement de la Paix s’est invité, le 1er Avril, à la course transatlantique Concarneau - Saint Barthélémy. Au défi sportif, ont été joints les défis de la paix et de l’abandon de l’arsenal militaire atomique maritime des SNLE (sous marins lanceurs d’engins, basés à L’Ile-Longue en rade de Brest).

Mobilisation sociale à Marseille (13) - 9 mars 2016.

Mobilisation sociale à Quimper (29) - 9 Mars 2016. 2

N° 611 - Avril 2016 - Planète PAIX

Mobilisation sociale à Paris (75) - Mars 2016.


l’Édito

Sommaire Planète Paix n° 611 - Avril 2016

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Actualité

Europe

P.6

Les réfugiés face à une UE désorientée Loi travail

Un bol de fraîcheur ?

P.7

C

Culture de Paix et Justice sociale Armes nucléaires françaises

P.8

Imposer le débat ! DROITS DES FEMMES

P.9

Un monde pensé au féminin

11

dossier

La Tunisie, 5 ans après… Slimane Ben Slimane

P.12/13

Un grand dirigeant tunisien pour la paix et la liberté Fethia Saidi

P.14

Une tunisienne de combats Rencontre

Nicole Bouexel P.15

Pour un partenariat renforcé entre le Maghreb et l’Europe

17

social qui se

Portrait

développe en

Première partie : Alfred Nobel

P.17

Ces capitalistes qui investissaient dans la paix

18

‘‘ Le mouvement

la loi El Khomri fait revivre

mondialiser la paix

Les élections américaines

France contre

P.18/19

mon espoir . ’’

Comment ça marche ? Corée du Sud et Viêtnam

P.20/21

Une convergence de ‘‘résistances’’ ?

22

Histoire

RENCONTRE DE KIENTHAL, AVRIL 1916

P.22

‘‘A bas la guerre ! Vive la Paix !’’

23

culture

THÊATRE

P.23

Le maniement des Larmes, Compagnie ‘‘Un pas de côté’’

Mensuel édité par le mouvement de la paix

9, rue Dulcie September, 93400 Saint-Ouen Tél.  01 40 12 09 12 Fax : 01 40 11 57 87 planete.paix@mvtpaix.org

Directeur de la publication : Guillaume du Souich Rédacteur en chef : Pierre Villard Secretaire de rédaction : Nicolas Lavallée Conception maquette : Chérif Beldjoudi Graphiste - maquettiste : Laurence Leclert Comité de rédaction : Raoul Alonso, évelyne Aymard, Nicole Bouexel, Alexandre Dicko, Nadia Dorny-Bennad, Guillaume du Souich, Annie Frison, Jeannick Leprêtre, Nicolas Pitsos, Roland Nivet, Pierre Villard, Jean-Paul Vienne. Photos et illustrations : Tous droits réservés - Onu Ont participé à ce numéro : Nicole Bouexel, Nicolas Pitsos, Raoul Alonso, Arielle Denis, Annie Frison, Habib Kazdaghli, Nicolas Lavallée, Nguyen Dac Nhu-Mai, Jean-Paul Vienne, Jeannick Leprêtre. Gestion des abonnements : Nassera Macrez, tél.  01 40 12 09 12 ISSN 1773-19241. Numéro de commission paritaire : 0317G85601 Imprimeur : Compédit Beauregard - 61600 La Ferté-Macé

haque matin, écoutant les infos en prenant mon petit déjeuner, j’ai envie de hurler ! Il y a eu le démantèlement de la jungle de Calais et l’évacuation de milliers de migrants. Destination ? Inconnue ! En France, 6ème pays le plus riche du monde, on laisse vivre des êtres humains dans la boue ! Selon une ONG, 129 mineurs non accompagnés auraient disparu pendant le démantèlement ! Des « naufragés du fol espoir » sont parvenus en Grèce au péril de leur vie, épuisés, hagards. Suite à l’accord honteux passé par l’Union européenne avec la Turquie, ils vont y être transférés. Ce pays touchera, dans ce marchandage, 6 milliards d’euros et verra son entrée dans l’UE et la circulation de ses ressortissants facilités. Les bus, les bateaux embarquent déjà des centaines de personnes qui seront bientôt des milliers. Mais quel endroit pour les accueillir ? Des associations montent des tentes, mais sans eau, ni électricité, ni sanitaires. Les journalistes sur place évoquent les sinistres souvenirs de la déportation. Quant à l’Europe, elle accueillera 72.000 syriens pour un continent de 742 millions d’habitants ! Touillant mon café, j’ai entendu aussi que François Hollande décorait de la Légion d’honneur un prince saoudien après une tournée des plus cordiales dans ce pays réputé pour les droits de l’Homme (sic !). Et puis, des journalistes courageux dévoilent les « Panama papers ». Permettront-ils de moraliser la Finance ? Cette enquête mondiale issue de documents émanant d’un cabinet d’avocats fiscalistes panaméens révèle les abîmes de malhonnêteté, d’égoïsme, et de cynisme de nos élites qui ne songent qu’à planquer leurs magots pour se soustraire à l’impôt et au devoir de solidarité nationale... De quoi sombrer dans la dépression devant sa tasse... Mais le mouvement social qui se développe en France contre la loi El Khomri fait revivre mon espoir avec, en première ligne, ces jeunes vêtus de « rêve général ». Ce mouvement est porteur des valeurs revendiquées par l’Europe et la France et contredites par nos gouvernements. Le désir de justice, de démocratie, de paix qui y sont présents, la fraternité, la solidarité, c’est ce qui refera de la France le pays des droits de l’homme et une terre d’asile. D’un coup, mon croissant a retrouvé du goût…

Bon d’abonnement à Planète Paix page 16 N° 611 - Avril 2016 - Planète PAIX

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Courrier des lecteurs

Les armes sont produites avant tout pour et par les faiseurs de profit. On ne vend pas des armes que pour soutenir des combats légitimes, mais on crée aussi des combats et des guerres pour pouvoir vendre des armes, là où on pourrait user simplement de diplomatie pour régler les problèmes. La plus grande arme de l’homme restera toujours la parole. Certains États et coalitions internationales créent des conflits au nom de prétendus « droits de l’homme piétinés » précisément là où ils entendent s’accaparer des ressources de nations pourtant dites démocratiques. Pour que cela cesse, ne rêvons pas d’un monde où toutes les nations se désarmeraient volontairement le même jour... Exigeons de tous les concep-

Opinions, Suggestions, Observations ! Envoyez-nous vos messages pour qu’ils soient diffusés dans le journal et sur le site internet du Mouvement www.mvtpaix.org. écrire à : Mouvement de la Paix 9, rue Dulcie-September, 93400 Saint-Ouen. Courriel : planete.paix@mvtpaix.org Les réflexions suivantes sont destinées au débat et n’engagent donc que leurs auteurs.

teurs, fabriquants et vendeurs d’armes que l’entièreté de leurs bénéfices soit reversée à des associations humanitaires, et non pas à des actionnaires qui empochent les dividendes. Exigeons la transparence. Lorsque la création et la vente d’armes auront perdu de leur pouvoir attractif pour l’investissement et le profit, nous parviendrons peut-être enfin à parler d’une culture de paix. » Jean-Marc Labois Un discours de renoncement « Je sais que je vais être à contrecourant, des millions de personnes se félicitent aujourd’hui du discours du président de la République à Papeete... mais ce discours n’est ni plus ni moins un discours de renoncement total aux valeurs de Paix et de vivre ensemble... Pire, un renoncement au progrès de l’Humanité ! comment peut-on dire au 21ème siècle que

« sans la force de dissuasion qu’est l’arme nucléaire, la France ne serait pas une nation respectée dans le monde et n’aurait pas la capacité à être une nation pleinement indépendante et capable de se faire entendre partout » ???? Après l’année 2015 que nous venons de passer, peut-on vraiment dire que nous sommes indépendants et respectés ??? Comment peut-il dire aux Polynésiens : « vous avez contribué à la paix à travers les essais nucléaires » ??? Quel progrès est-ce pour l’humanité que des gens meurent pour la Paix ????? Parce que oui ces essais nucléaires en Polynésie signifient des milliers de morts par différentes maladies... Est-ce cela que nous voulons pour nos enfants ? Pour l’avenir de l’homme ??? Le président de la République est un faussaire ! Sous couvert de bons sentiments il fait passer l’idée qu’aucune voie n’est possible hormis la guerre... c’est inacceptable ! »

Sur notre page… FACEBOOK Yves Gazala : « La paix est une qualité et un thermomètre de l’état de santé d’un pays. Malheureusement, dans pas mal des pays de l’Afrique centrale, les peuples manquent de liberté et sont mêmes otages dans leur propre pays. Je suis partisan de la paix et rien ne peut entraver mon combat. La paix égale développement et croissance. Que nos dirigeants profitent de ce gage universel. » Ida Kuyonduka : « La paix c’est l’affaire de tous. Qui veut la paix travaille contre les inégalités. » Samuel Cadet : « La paix est un fruit de l’esprit. » Abdelwaheb Zheni : « Il Faut combattre le phénomène du terrorisme par l’éducation. »

Anne-Laure Perez

Marseillaise de la Paix C’était en juin 1944. Dans le petit bourg rural d’Ille-et-Vilaine où, rescapé du bombardement de Fougères, j’étais réfugié avec mes parents, un groupe de Résistants est arrivé. Nous les avons accueillis au son de « La Marseillaise ». Je ne me souviens pas l’avoir rechantée depuis tant je partage le sentiment qu’exprime Christine dans le « Planète Paix » de janvier 2016. J’ai retrouvé une « Marseillaise de la Paix » écrite en 1893* et qui, je pense, a toute sa place dans notre revue pacifiste. L’auteur dont j’ignore le nom a conservé le caractère très XVIIIème de la version d’origine dont il fait, à contre-pieds, un véritable décalque. Je reconnais que le style est aussi « pompier » que la « vraie » Marseillaise. Mais, à choisir, je préfère le « pompier pacifiste » qui essaie d’éteindre les conflits au « pompier pyromane » qui attise la haine des « va-t-en guerre » de tout poil ! De l’universelle patrie Puisse venir le jour rêvé De la paix, de la paix chérie Le rameau sauveur est levé (bis) 4

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On entendra vers les frontières Les peuples se tendant les bras Crier : il n’est plus de soldats ! Soyons unis, nous sommes frères. Refrain : Plus d’ armes, citoyens ! Rompez vos bataillons ! Chantez, chantons, Et que la paix Féconde nos sillons ! Quoi ! d’éternelles représailles Tiendraient en suspens notre sort ! Quoi, toujours d’horribles batailles Le pillage, le feu, et la mort (bis) C’est trop de siècles de souffrances De haine et de sang répandu ! Humains, quand nous l’aurons voulu Sonnera notre délivrance ! (Refrain) Plus de fusils, plus de cartouches, Engins maudits et destructeurs ! Plus de cris, plus de chants farouches Outrageants et provocateurs (bis) Pour les penseurs, quelle victoire ! De montrer à l’humanité, De la guerre l’atrocité

Sous l’éclat d’une fausse gloire. (Refrain) Debout, pacifiques cohortes ! Hommes des champs et des cités ! Avec transport ouvrez vos portes Aux trésors, fruits des libertés (bis) Que le fer déchire la terre Et pour ce combat tout d’amour, En nobles outils de labour Reforgeons les armes de guerre. (Refrain) En traits de feu par vous lancée Artistes, poètes, savants répandez partout la pensée, L’avenir vous voit triomphants (bis) Allez, brisez le vieux servage, Inspirez nous l’effort vainqueur Pour la conquête du bonheur : Ce sont les lauriers de notre âge. Claude Simon - Caen (14) *Cette Marseillaise a en fait été écrite en 1892, par les élèves de l’école primaire de Cempuis, Oise.


REPÈRES ... Livre

Livre

‘‘Foutez-nous la paix ! ’’

‘‘La pensée extrême, comment des hommes ordinaires deviennent des fanatiques ’’

Isabelle Saporta - Éd. Albin Michel 336 pages - 19,80€

Gérald Bronner - Éd. PUF 348 pages - 19€

Savez-vous quelle pression écologique un âne exerce sur son pâturage ? Votre carrelage est-il réglementaire ? Connaissez-vous le supplice de la pédichiffonnette ? La hauteur de votre « végétation concurrentielle » - l’herbe ! - est-elle conforme ? Vous êtes perdu ? Eux aussi ! Ils s’appellent Gérard, Nelly, Jean-Baptiste, Anaëlle… Isabelle Saporta, journaliste et auteur notamment du Livre noir de l’agriculture et de VinoBusiness, les a rencontrés. De Tracy-sur-Loire à Créances, de Noceta à Eygalières, ils sont éleveurs d’agneaux de pré-salé ou de poules de Marans, fabricants de bruccio, de beaufort ou de roquefort, vignerons… Vous mangez leurs viandes, leurs fromages. Vous dégustez leurs vins. Leurs produits sont servis sur les plus grandes tables du monde. Et pourtant… l’administration les harcèle en permanence, transformant leur quotidien en enfer. Quant à l’agrobusiness, il attend tranquillement son heure. Son arme pour mettre à mort ces défenseurs du terroir ? Les asphyxier sous d’innombrables normes formatées par et pour les multinationales. Ceux qui résistent ne demandent qu’une seule chose : qu’on cesse d’assassiner en toute impunité la France de la bonne chère !

Comment expliquer la rationalité paradoxale de ceux qui s’abandonnent à la folie du fanatisme ? Gérald Bronner défait un certain nombre d’idées reçues sur leur profil et leurs intentions, à travers l’exploration d’un univers mental mal connu et qui, à juste titre, fait peur. En convoquant les travaux les plus récents de la sociologie, des sciences politiques et de la psychologie cognitive, son texte dessine un portrait inédit d’un mal qui ronge les démocraties contemporaines : la radicalisation des esprits. S’appuyant sur de nombreux exemples et expérimentations de psychologie sociale, il propose un descriptif des étapes qui conduisent au fanatisme et quelques solutions pour aider à la déradicalisation. Bronner ne fait pas qu’analyser la pensée extrême des terroristes actuels, il s’intéresse aussi à ces professeurs, scientifiques qui vont basculer dans la pensée sectaire par exemple… Gérald Bronner est professeur de sociologie à l’université Paris-Diderot et membre de l’Académie des technologies. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les croyances collectives, dont La démocratie des crédules, qui a obtenu de nombreuses distinctions.

IMAGE DU MOIS

Quand les oiseaux apportent la Paix

« C’est une photo qu’on ne peut faire qu’une fois dans sa vie. Je l’ai prise le 19 mars à Bohuslän, dans le sud-ouest de la Suède. Spécialiste des photos de nature, j’ai aperçu ce vol d’oies sauvages de loin, et ai enclenché mon appareil. En m’approchant, je les ai vues former une sorte de grand oiseau en vol, qui m’a fait immédiatement penser à un grand signe de paix envoyé par la nature contre la terreur et les maux du monde. » Photo : Axel Hagstrom Photograph

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ACTUALITÉ Europe

Les réfugiés face à une UE désorientée Au lendemain de l’accord entre l’UE et la Turquie, au sujet des demandeurs d’asile, et sur fond de conditions misérables dans lesquelles vivent des milliers de réfugiés aux frontières grécomacédoniennes, la décision du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés ou celle de Médecins sans Frontières, de s’en retirer partiellement, tombe comme un coup de tonnerre. 6

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A

ux côtés des citoyens solidaires et, face à un État grec paralysé par une politique ayant dévasté les services publics suite à six ans d’austérité et de suppressions de dépenses sociales, les institutions et organisations internationales, représentent les véritables piliers de l’action humanitaire sur place. Leur décision reflète leur critique de l’accord conclu. Criant haut et fort qu’elles ne souhaitent pas devenir complices des politiques de coercition ou d’exclusion en opposition flagrante avec leurs principes fondateurs ainsi qu’avec ceux du droit international, elles dénoncent à la fois la transformation des structures d’accueil ouvertes en centres de détention, ainsi que la politique du renvoi systématique des demandeurs d’asile arrivant désormais aux frontières égéennes de l’UE. Il y a quelques jours, les représentants de la Commission Européenne, se félicitaient de l’aboutissement des négociations avec la Turquie. Les pays de l’UE, après avoir généralisé la pratique de fermeture de leurs frontières aux migrants, entamée avec la construction d’un mur entre la Grèce et la Turquie en 2011 ont aussi plus ou moins tacitement, abandonné le principe d’une solidarité à l’intérieur de l’Union. La répartition équitable des réfugiés, entre les différents pays membres de l’Union, est remise en question. Cela représente une atteinte au principe de la proportionnalité, tout en constituant la preuve de capitulation des gouvernements européens face aux forces sociopolitiques, prônant des discours xénophobes et racistes à l’intérieur de leurs sociétés. Ce rejet d’une politique d’accueil, se traduit par une volonté d’étanchéisation des frontières extérieures de l’UE, en l’occurrence des frontières maritimes grécoturques. Outre la nature techniquement impossible d’une telle opération, elle est surtout humainement et moralement condamnable. Une telle démarche augmenterait le risque d’accidents le long des frontières entre les deux pays, touchant des réfugiés cherchant désespérément à franchir la mer en défiant tout obstacle. Une telle politique est aussi légalement intenable, car en contradiction et violation directe des conventions internationales que les États de l’UE ont signés, garantissant la libre circulation d’individus et l’accueil de demandeurs d’asile.

En invitant l’OTAN dans la politique de repoussement et de cantonnement des réfugiés en Turquie, cette évolution entraîne une militarisation de leur prise en charge. Cette coalition militaire, loin d’être connue pour son caractère pacificateur, a aussi été impliquée dans le déroulement de plusieurs conflits déstabilisant la région du Moyen-Orient et de l’Afghanistan, d’où sont originaires la plupart des réfugiés . La reconnaissance de la Turquie comme pays susceptible de garantir en l’état actuel des choses, les droits des réfugiés, soulève plusieurs questionnements. D’un côté, le gouvernement turc se voit impliqué de manière plus ou moins implicite, dans le déroulement des opérations militaires en Syrie. D’un autre côté, la République turque n’a ratifié la Convention de Genève pour les réfugiés, que pour des ressortissants européens, prévoyant dernièrement, un statut particulier pour les réfugiés originaires de Syrie. Enfin, la situation des droits humains et des libertés démocratiques dans ce pays, est préoccupante. Les réactions des différents gouvernements de l’UE face aux tragédies humaines des réfugiés, témoignent d’une volonté de rejeter la responsabilité de chacun sur son voisin, sans nécessairement prendre en considération l’aspect moral ou légal de telles décisions. Égoïstes et cyniques, ils montrent combien cette Union traverse une crise existentielle profonde, tant en termes de fonctionnement collectif que de respect de ses fondements axiologiques. Nicolas Pitsos


ACTUALITÉ Loi travail

Culture de Paix et Justice sociale Plus personne ne conteste le lien étroit qui existe entre le maintien de la paix sociale et la qualité de la vie sociale, l’équité dans la répartition des richesses produites par l’activité humaine.

L

a Culture de la Paix y contribue en rée de travail, leurs droits, la qualité de leurs ciblant des domaines d’action qui contrats, leurs emplois deviennent complèterecouvrent pour l’essentiel tout le ment la seule variable d’ajustements aux aléas champ des relations humaines, insystémiques de l’économie, aux difficultés dues terpersonnelles, socio-économiques, géosaux erreurs de gestion, au bon vouloir et à la tratégiques pour tenter de les orienter vers recherche du profit immédiat et maximum des l’écoute, la négociation, la résolution pacidonneurs d’ordre. Cela signifie être à la merci fique des conflits dans l’intérêt et le progrès de ceux qui se disent « l’entreprise », au mépris des populations. La remise en cause des acquis sociaux, l’inversion des normes régissant le droit du travail ne peuvent que nous interpeller. Ce que la loi dite « Travail » veut faire entériner par l’Assemblée nationale et par les représentants syndicaux des salariés, amène une très forte opposition dans la société de notre pays. Elle appelle l’expression de notre soutien si nous analysons l’esprit et la lettre du projet de loi initial puis son évolution après les manifestations, déclarations et un début, tardif, de Mobilisation sociale à Marseille (13) - 31 mars 2016 négociations. de celles et ceux qui créent les vraies richesses, Le rapport contractuel entre le salarié et font véritablement vivre l’ensemble, sont au son employeur, tout comme le rapport de plus près des vraies nécessités d’améliorations, force entre le salariat dans son ensemble et de développement et d’investissement, de rel’autre partie des entreprises que représentent cherche, d’innovation pour la sauvegarde et le patronat, les actionnaires et les dirigeants à l’avenir de l’outil de travail, son utilisation raleur service, payés à prix d’or, seraient bouletionnelle, son entretien, son renouvellement et versés dans un sens rétrograde. sa modernisation. Des acquis historiques sont attaqués, des La « flexi-sécurité » prônée par le texte droits sont bafoués. Dans la logique absurde donne une flexibilité accrue comme levier de la politique de « libéralisation » à outrance, d’action pour les uns et une insécurité accrue d’entêtement dans l’austérité dont l’impasse comme avenir subi pour les autres. économique et sociale n’est plus à démonLa jeunesse ne s’y est pas trompée alors trer, les salariés, tant isolément que pris dans qu’elle galère déjà dans les insuffisances du leur ensemble, leur rémunération, leur du-

système éducatif, dans le chômage massif, avec des pointes dépassant les 50% dans les zones défavorisées, les stages à répétition mal ou non payés, l’exclusion des minima sociaux. Préoccupée de son avenir, de sa formation, de sa reconnaissance dans l’emploi et dans la rémunération, de ses droits dans l’activité professionnelle, de la citoyenneté et du respect du salarié dans les entreprises, elle a pris le relais de ses aînés qui ont déjà dû se battre contre le « smic-jeunes », le Contrat de première embauche (CPE). L’angle d’attaque patronal, par la situation des jeunes, était déjà là : les salaires, les conditions d’emploi, les contrats croupions, les abandons de statuts, la précarité. Cela préfigurait l’offensive actuelle qui concerne maintenant l’ensemble du monde du travail. Les salariés, les privés d’emploi, les futurs salariés, les retraités qui ont tant lutté pour les acquis sociaux à préserver, s’engagent pour un droit du travail en progression et non en régression sur la situation actuelle Il appartient à leurs syndicats, à leurs représentants dans les structures démocratiques qu’ils se donnent dans la lutte, de mener les étapes successives du conflit social pour qu’il débouche positivement en ce sens. Le mouvement social est solidaire, les porteurs de Culture de Paix aussi. Raoul Alonso

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ACTUALITÉ Armes nucléaires françaises

Imposer le débat ! Le 17 mars dernier sur France 5, la dissuasion française était en débat dans l’émission ‘‘Le monde en face’’ au travers d’un film suivi d’un débat. C’est assez rare pour être souligné et analysé car même si le contexte mondial sur les armes nucléaires a radicalement changé, la France, ses médias et ses responsables politiques semblent surtout rejouer inlassablement un vieux film des années 60.

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S

ouvent en France, quand les médias veulent traiter de l’arme nucléaire, ils invitent un militaire ou un de ces « experts » prétendument neutre, mais que l’on retrouve immanquablement dans le casting des rédactions des Livres Blancs de la Défense et parmi les conseillers de l’Elysée, toute tendance confondue. Souvent encore, dans la formulation, l’arme nucléaire perd son caractère de grosse bombe dangereuse, pour se couler dans le moule poétique de la « Dissuasion ». Ce soir-là sur France 5, tout y était, mais pour une fois, la voix des opposants à l’arme nucléaire était aussi conviée. Pour ouvrir le débat, la chaine a diffusé un film sobrement intitulé « La France, le Président, la bombe » et… financé par le service communication des armées : une illustration parfaite de la liturgie de la dissuasion ! On n’y apprend pas grand chose, sinon que le Président qui a le pouvoir exorbitant de déclencher le feu nucléaire désigne secrètement « une personne de son choix » pour appuyer sur le bouton si lui-même en était empêché, effrayant ! Mais ce qui m’a frappé dans ce film, c’est le fond du propos : tout au long des 52 minutes, son seul objet est de RASSURER : dormez braves gens, nous contrôlons tout, il n’y a aucun risque !

L’arme la plus dangereuse du monde En effet, c’est là que s’effondre la belle religion de la dissuasion et que le roi est nu : aucune activité industrielle ne présente un risque zéro, cela tout le monde le sait, et malgré la chape de silence qui entoure les activités nucléaires en France, c’est une évidence que je me suis efforcée de communiquer pendant le débat avec François Géré qui a suivi le film. Cela, et aussi que les armes nucléaires font partie intégrante des relations internationales et ne peuvent se penser dans le seul contexte français n’en déplaise à ceux qui croient que leur sort, comme le nuage de Tchernobyl, s’arrête à nos frontières.

Je ne sais pas si je suis parvenue à faire passer ces messages lors du débat ce soir-là sur France 5, mais il me semble que les militants de l’abolition des armes nucléaires ont d’excellents arguments à faire valoir et que cette année 2016 peut ouvrir de nouveaux horizons si nous diffusons ces messages. L’argument du danger et des risques a changé en quelques années le paysage mondial, déplaçant le débat d’un ancrage stratégico-sécuritaire vers l’inquiétude sur les conséquences terrifiantes de ces armes. Ces arguments sont en train de gagner du terrain et il nous faut continuer à informer nos concitoyens : la collision si improbable des sous-marins nucléaires britanniques et français dans la Manche aurait pu avoir des conséquences incalculables, ou l’accident du camion qui transportait des têtes nucléaires sur la base d’Istres, ou les innombrables intrusions dans les sites sensibles, relatées notamment dans un article intitulé “Dimension humanitaire du désarmement nucléaire et danger du nucléaire militaire en France’’. De même, l’étude sur les conséquences d’une bombe atomique de 100 kt sur Lyon2 peut ouvrir les yeux sur les dangers des armes nucléaires et sur leur absolue immoralité. La France n’a pas participé à la première session des discussions du Groupe de travail à l’ONU à Genève destiné à examiner « les nouvelles mesures légales et les nouvelles normes nécessaires pour atteindre et maintenir un monde sans armes nucléaires ». Comment la convaincre de participer de bonne foi à la suite des débats qui se tiendront jusqu’en août 2016 ? Montrer le danger et l’urgence d’agir peut créer ce mouvement d’opinion qui l’y contraindra. Arielle Denis 1

www.grip.org/sites/grip.org/files/NOTES_ANALYSE/2015/

NA_2015-09-16_FR_JM-COLLIN.pdf 2

fr.ican.org


ACTUALITÉ DROITS DES FEMMES

Un monde pensé au féminin Dans tous les pays du monde, le 8 mars, journée internationale de luttes des femmes pour leurs droits est incontournable. L’aspiration à vivre dans un monde de paix, de solidarité, d’égalité et de non violence affleure à chaque propos. Les droits des femmes sont universels, et quand une avancée se fait jour dans un pays, toutes les femmes prennent des forces et l’humanité entière en profite.

Arrestation d’une suffragette au Royaume-Uni - 1912

L

e 8 mars 2016 fut davantage relayé dans les médias non plus comme la journée des femmes, des mères ou des grands mères mais comme une journée où certaines injustices criantes envers les femmes sont manifestement incontestables : salaire moins élevé à travail égal, nombre de femmes élues plus faible que celui des hommes, au niveau national, sénatorial, régional ou départemental… Cette journée permet de mieux faire comprendre à l’opinion publique que les combats actuels en France touchent particulièrement les femmes : celui contre le projet de loi sur le travail qui, si la loi est adoptée, aggravera leur précarité et leur paupérisation ; celui pour des conditions de vie humaines des femmes migrantes qui séjournent dans notre pays car elles sont encore plus souvent victimes de multiples formes de violences. Aussi ne peut-on que se réjouir de la diversité et du nombre de débats, de projections de films, de conférences, de concerts ou tout simplement d’échanges avec des femmes du monde entier venues parler des combats de celles qui luttent au quotidien dans leur pays. Des initiatives très diverses sont ainsi organisées par un panel du monde associatif, syndical, politique et institutionnel dans lequel les associations

féministes jouent un rôle essentiel comme Femmes Solidaires, Initiatives féministes Européennes IFE, la Marche Mondiale des Femmes MMF. Les jeunes femmes kurdes, engagées en Syrie au sein des Unités de protection du peuple pour mettre Daesch hors d’état de nuire et pour construire un Kurdistan indépendant et laïc, interrogent tout en forçant l’admiration car leur engagement dans la guérilla est la seule voie de l’émancipation pour s’affranchir du poids des traditions. Elles nous renvoient, cent ans en arrière, quand les suffragettes anglaises s’engageaient avec conviction dans la violence pour obtenir le droit de vote. Elles nous renvoient aussi l’image, plus proche de nous, de Sakine Cansiz, co-fondatrice du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan), Fidan Dogan, représentante du KNK (Congrès National du Kurdistan) et la militante Leyla Soylemez retrouvées le 9 janvier 2013 exécutées, une balle dans la nuque, dans le siège du bureau d’Information Kurde en plein cœur de Paris. Comme pour Dulcie September représentante de l’ANC elle aussi assassinée, les assassins ne sont toujours pas retrouvés. Mais sont-ils vraiment recherchés ? Ces femmes sont le symbole de toutes les femmes anonymes qui luttent pour l’indépendance du peuple kurde. Le Mouvement de la Paix a inauguré dans différentes régions de France l’exposition intitulée « Femmes ambassadrices de Paix » qui rend hommage à celles qui, célèbres ou non, ont agi et continuent à agir pour un monde de paix. Cette exposition est un formidable outil pour proposer des débats, des soirées à tous nos partenaires, municipalités, médiathèques, centres culturels, centres de vacances…Elle met en évidence que les femmes sont généralement l’élément moteur pour développer des coopérations en faveur de la paix, du développement durable et des droits des êtres humains. Annie Frison

Cette journée est née au début du 20ème siècle d’une initiative des socialistes allemandes, dont Clara Zetkin, qui a l’idée d’unir chaque année les femmes autour des revendications fondamentales. Cette journée fut célébrée dès 1911, reconnue officiellement par les Nations-Unies en 1975 et par la France en 1982. N° 611 - Avril 2016 - Planète PAIX

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Au jour le jour Radovan Karadžić reconnu coupable de crimes contre l’humanité

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) vient de condamner l’ancien président de la République serbe de Bosnie, Radovan Karadžić, à 40 ans de prison. Dix chefs d’accusation ont été retenus contre l’ancien psychiatre dont ceux de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Il a notamment été reconnu responsable du massacre de Srebrenica durant lequel plus de 8.000 hommes et adolescents bosniaques (bosniens musulmans) ont été tués par le général Ratko Mladic. Ce crime, qualifié de génocide, est considéré comme le plus important massacre en Europe depuis la Seconde guerre mondiale. Il avait vu les troupes serbes abattre lors d’exécutions de masse les civils de l’enclave démilitarisée de la ville de Srebrenica. Les troupes de l’ONU déployées sur place dans le cadre du maintien de la paix avaient été prises en otage. Karadžić a également été reconnu coupable d’autres crimes contre l’humanité, notamment la persécution de la population civile bosniaque entre 1992 et 1995. La condamnation de Radovan Karadžić marque l’une des dernières affaires à traiter pour le TPIY qui devrait bientôt être dissous. 10

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Fortes contestations post-électorales en République du Congo Evariste Boshab, ministre de l’intérieur et de la sécurité congolais est apparu au milieu de la nuit du 24 mars à la télévision publique pour égrainer les résultats officiels durant plus de deux heures. Il a conclu par la victoire dès le premier tour de Denis Sassou-Nguesso avec 60,4% des suffrages. Guy-Brice Parfait Kolelas arrive en deuxième position avec 15% des voix, suivi de Jean-Marie Michel Mokoko, 13,89%. Ces derniers contestent les résultats rendus par la Commission électorale nationale indépendante (CENI) attribuant la victoire au président sortant. Le premier entend utiliser « les voies légales de recours reconnues par la loi ». Le second en appelle à « la désobéissance civile ».

La Cour Constitutionnelle congolaise avait avalisé la « mascarade référendaire » d’octobre dernier lorsque Denis Sassou Nguesso a modifié la Constitution afin de pouvoir se représenter à un troisième mandat après 32 ans de pouvoir. Le pays a été privé de télécommunications pendant plus de quatre jours, les autorités ayant coupé Internet et le téléphone à

la veille du scrutin empêchant l’opposition de publier ellemême les résultats de l’élection. Des journalistes de l’AFP et du quotidien français « Le Monde » couvrant l’élection présidentielle au Congo ont été agressés le mercredi 23 mars à Brazzaville. Depuis l’annonce des résultats, la capitale vit dans un climat explosif : de jeunes gens font face aux forces armées dans divers quartiers de la capitale et attendent les consignes des leaders politiques.

Colombie : report de la signature d’un accord de paix

Le 23 septembre 2015, à La Havane, une poignée de main historique entre le président Juan Manuel Santos et le chef de la délégation des FARC, Rodrigo Londoño, alias « Timochenko », laissait penser que la fin des négociations approchait à grands pas. Le président Santos avait d’ailleurs annoncé une dernière ligne droite de 6 mois avant de signer l’accord final, au plus tard, le 23 mars 2016. Depuis, de nouvelles avancées ont eu lieu comme la conclusion d’un préaccord sur la justice transitionnelle en décembre 2015 ou la validation, par le Conseil de sécurité de l’ONU, de l’envoi d’une mission internationale d’observateurs non armés pour surveiller la mise en œuvre des accords après leur signature et le désarmement effectif des acteurs armés. Cependant, l’échéance du 23 mars ne sera pas respectée : le processus s’est ralenti, alors

que des questions majeures restent sans réponse à ce jour et que la situation sur le terrain demeure critique. Alors que 12 leaders sociaux et politiques de gauche ont été assassinés depuis le 1er janvier 2016, le report de l’accord final semble lié à des divergences sur les « zones de concentration destinées au dépôt des armes » ainsi que sur les modalités pour soumettre l’accord de paix au peuple colombien.

Tunisie : Appel à une participation massive à la première rencontre internationale sur l’éducation à la paix

La présidente de l’association Sawtouna (qui œuvre pour l’éducation des enfants d’aujourd’hui), Hédia Ben Jemaa El Bhiri, a appelé le gouvernement, les partis politiques, la société civile et les parents à participer à la première rencontre internationale sur l’éducation à la paix qui se tiendra à Tunis au mois de juillet prochain. Elle a précisé que l’objectif d’une telle manifestation est d’examiner le rôle de l’éducation dans l’enracinement des valeurs de dialogue, de tolérance et de paix chez les jeunes générations. Il s’agit aussi de donner une vision prospective sur l’avenir de l’éducation à l’horizon 2030. La diffusion de la culture de la paix au sein des établissements scolaires figure parmi les priorités du ministère des affaires de la femme et de la famille, a indiqué le chef de cabinet de Samira Merai (ministre de la femme, de la famille et de l’enfance.)


DOSSIER

La Tunisie, 5 ans après…

• Slimane Ben Slimane

Un grand dirigeant tunisien pour la paix et la liberté • Fethia Saidi

Une tunisienne de combats • Rencontre

Pour un partenariat renforcé entre le Maghreb et l’Europe

Le 17 décembre 2010, la ville de Sidi Bouzid (centre de la Tunisie) connait le deuxième événement important de son histoire. Après la bataille de février 1943 entre les forces fascistes italo-allemandes et les Alliés, l’immolation d’un vendeur de légumes victime d’une saisie arbitraire va faire naître une révolution menée par la jeunesse, les femmes et toutes les forces de progrès. Durant un an l’ancien protectorat français vit au son d’une révolte qui fera 338 morts et 2.174 blessés. Le 14 janvier 2011, Zine Ben Ali fuit vers l’Arabie Saoudite. Il aura régné 23 ans, 2 mois et 7 jours. Reprenant le drapeau du combat de Slimane Ben Slimane dans les années 70 et 80, les démocrates tunisiens comme Fethia Saidi veulent mettre la liberté et la paix au centre de la société. Cinq ans après, secouée par des attentats meurtriers comme l’an passé au Bardo, la « révolution de la dignité » est toujours en construction… N° 611 - Avril 2016 - Planète PAIX

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DOSSIER Slimane Ben Slimane

Un grand dirigeant tunisien pour la paix et la liberté A l’initiative de l’Association Lam Chaml, de la Fondation Hassen Saadaoui pour la Démocratie et l’Égalité et l’Association Méditerranéenne pour la Promotion de la Paix, une commémoration du 30ème anniversaire du décès de Slimane Ben Slimane, militant tunisien de la lutte pour la paix et la liberté a été organisée le mercredi 24 février 2016 au siège des Archives nationales tunisiennes. 12

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utre la présence de plusieurs personnalités tunisiennes ainsi que des dirigeants politiques et syndicaux, trois délégations représentant des mouvements de la paix en Espagne, Belgique et France s’étaient associés à cette journée de célébration.

Qui est Slimane Ben Slimane (1905-1986) ? Médecin ophtalmologiste, Ben Slimane a fait ses études à Paris au cours des années trente où il adhéra au Néo-destour (parti nationaliste tunisien qui dirigeait à l’époque la lutte anti-coloniale du peuple tunisien). Élu membre du Bureau politique au second congrès du Néo-destour, tenu en novembre 1937, il fut parmi les premiers militants arrêtés par les autorités coloniales au début du mois d’avril 1938. Pendant plus de cinq ans, il partagea avec Bourguiba et les autres dirigeants patriotes, différentes prisons, notamment le Fort Saint Nicolas. Au lendemain de la Seconde guerre, il participa

au renouveau du mouvement national. Après le retour de Bourguiba d’Egypte en septembre 1949, il refusa d’obéir au diktat de ce dernier de choisir entre le Mouvement de la Paix- créé au début de la même année dans le cadre d’un rapprochement entre destouriens et communistes- et le Néo-destour. Sa positon lui vaudra d’être écarté du Néodestour en mars 1950, Il fut désigné président du Comité Tunisien pour la Paix et la liberté. Durant la lutte nationale, le Docteur Slimane Ben Slimane sera connu comme le « destourien » ami des communistes tunisiens. Au lendemain de l’indépendance, il fonda avec ces derniers le journal progressiste « Tribune du progrès » et sera au centre de plusieurs initiatives de la gauche démocratique et anti-impérialiste, parmi lesquelles la création, en 1968, du Comité de soutien au Vietnam dont il assura la présidence. Son action lui vaudra tracasseries policières et procès. Docteur Slimane Ben Slimane restera pour les Tunisiens, une des rares figures historiques qui fut à la fois un leader du mouvement nationaliste et du mouvement démocratique et progressiste.

Inauguration d’une rue portant le nom Slimane Ben Slimane Le combat de Ben Slimane fut longtemps exclu de l’histoire officielle bien structurée autour d’un récit qui ne voulait intégrer dans la lutte contre le colonialisme français qu’un seul parti « le Néodestour » et qu’un chef « Bourguiba ». Même si son combat et celui du comité tunisien de la paix avaient eu un sort meilleur à travers les recherches universitaires, force est de constater que ce genre de recherches étaient peu connu du grand public. Aussi était-il important que de tels noms deviennent plus visibles dans l’espace public. Pour parer à un tel déficit, la mairie de la ville de la Marsa où le défunt allait passer ses vacances, a pris l’initiative de donner le nom de Ben Slimane à une de ses rues. Une cérémonie s’est déroulée le matin du mercredi dans une rue de la Marsa, en présence du maire de la ville et d’un public nombreux au cours de laquelle fut dévoilée la plaque portant le nom de Slimane Ben Slimane.


Honorer la mémoire des victimes du musée Bardo

Passé et présent de la lutte pour la Paix en Tunisie et dans le monde

Une partie du public présent et notamment les représentants des associations de lutte pour la paix en France, en Espagne et en Belgique, se donnèrent rendez-vous devant le musée du Bardo, haut lieu conservant les joyaux des 3.000 ans de l’histoire de la Tunisie. Avant d’entamer la visite de ce musée et de suivre les explications données par Elhem Hammami, une ancienne étudiante de la Faculté de La Manouba, les participants déposèrent des gerbes de fleurs au chevet d’une plaque mémorielle portant les noms d’une vingtaine de touristes originaires d’Italie, de France, de Pologne, de Russie, tombés le 18 mars 2015 par les balles des terroristes qui sont venus les tuer sur des lieux renfermant les joyaux de la civilisation tunisienne. Par ce geste symbolique, la visite du musée du Bardo fut un message à la mémoire des victimes tombées sous les balles du terrorisme en Tunisie, en France, en Espagne et partout dans le monde mais aussi un message de solidarité avec la Tunisie, un appel aux touristes à reprendre leurs voyages en Tunisie pour défier et mettre en échec les plans diaboliques des terroristes qui par leur sinistre geste pensaient pouvoir isoler la Tunisie et mettre un terme à sa transition vers la démocratie et pour un monde meilleur et plus juste.

Un autre moment fort de cette journée de commémoration fut la rencontre scientifique internationale qui s’est tenue au siège des archives nationales tunisiennes. Après les mots d’accueil prononcés par les représentants des trois associations ayant initié la commémoration, deux exposés présentés respectivement par Moncef Ben Slimane, fils du défunt, et par l’historien Habib Kazdaghli retracèrent aussi bien le parcours du premier président du comité tunisien de la paix et la liberté que les conditions de la lutte pour la paix dans un contexte colonial. Outre les intervenants tunisiens, la rencontre fut enrichie par trois allocutions des représentants venus des mouvements de la paix de France (Roland Nivet), de Belgique (Pierre Galand) et d’Espagne (Manuel Lorenzo Villar), expliquand les luttes menées dans leurs pays. Le parcours de ce militant historique est retracé dans un ouvrage auto-biographique paru en 1989 et intitulé « Souvenirs politiques », épuisé depuis. Une décision est prise pour le rééditer, la nouvelle édition est en cours de préparation, et la vente aura lieu au cours de prochaines semaines. Disparu en février 1986, Slimane Ben Slimane demeure l’une des grandes

figures du mouvement national tunisien et un héros de la lutte pour la paix et la liberté. Habib Kazdaghli, doyen de la Faculté de la Manouba (Tunis)

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DOSSIER

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Fethia Saidi

Une tunisienne de combats La journaliste et sociologue Tunisienne Fethia Saidi, militante politique, mène un travail au quotidien pour imposer les femmes, la paix et la démocratie dans son pays. Cinq ans après, le chantier reste ouvert en Tunisie…

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nvitée à des débats à Paris et dans des comités de province, Fethia Saidi, secrétaire générale du parti politique Al Manssar, a pu expliquer combien « face à ce mouvement international qu’est Daesh, pour le déconstruire, il faut en créer un autre qui s’appuiera sur des valeurs humanistes et le respect de la différence ». A Concarneau (Finistère), la journaliste et sociologue a rappelé combien la démocratie et la société civiles sont des armes pour lutter face au fléau de l’islam politique. « Daesh se nourrit de la pauvreté et de la faible connaissance civique et religieuse des jeunes, a-t-elle insisté. Les Droits de l’Homme sont mal intériorisés. Nous devons diffuser la culture du vivre ensemble et de l’égalité, mobiliser l’ensemble des institutions de socialisation. Nous laissons à l’État les solutions sécuritaires » Cinq ans après la Révolution de Jasmin, la Tunisie reste un pays instable et les femmes constituent le moteur des luttes sociales, comme elles l’ont été dans toutes révolutions. Signataire de la Déclaration pour la paix, contre le terrorisme, Fethia Saidi explique sa démarche : « Avec cinq femmes, elles aussi engagées, nous avons rédigé une déclaration de solidarité internationale (disponible sur notre site, NDLR). C’est une stratégie pour contrer le terrorisme qui gangrène nos pays, une façon de créer un contrepoids. » Mais elle met en garde aussi : « Le terrorisme, l’obscurantisme et les violences se propagent un peu partout dans le monde. Aucun pays n’est à l’abri. Les cibles les plus visées sont les femmes et les jeunes. Ils subissent toutes les formes de violences, de pressions et de manipulations. ». A Paris, aux côtés de Shura Dumanic militante des Balkans pour le droit des femmes, elle a insisté sur le

sentiment d’ « abandon de la jeunesse tunisienne ». Celle-ci représente près de 30% de la population mais seulement 53% des 18-40 ans ont voté, contre un taux de participation nationale de 63%. Dans une interview au quotidien Ouest-France à l’occasion de sa participation à Rennes à la conférence-débat « Femmes debout contre la paix » initiée par Le Mouvement de la Paix, elle a indiqué : « Le Centre d’étude et de formation sur la citoyenneté et la culture en Tunisie va travailler en synergie avec le Mouvement pour la Paix. Notre objectif est de rassembler les jeunes et les moins jeunes au sein d’un réseau pour mettre en place des actions visant à prévenir la radicalisation. » Et comme on pense déjà à l’avenir, « l’étape suivante sera de travailler dans le cadre d’un petit collectif d’associations en Tunisie, en France, en Algérie, en Allemagne et dans les Balkans, ajoute la militante pacifiste et féministe. La première rencontre est prévue en septembre. Elle débouchera sur une plateforme commune répertoriant les actions à mener sur différentes thématiques. Nous préparons aussi un guide pour vulgariser ces idées au niveau international ». Cinq ans après la mort de Mohamed Bouazizi, modeste vendeur ambulant qui s’immolera par désespoir, déclenchant les mouvements de protestation amenant à la chute du système Ben Ali, Fethia Saidi entend bien mettre les femmes au cœur du printemps arabe. Comme pour rappeler que les hirondelles ne connaissent pas de frontières… Nicolas Lavallée

,


5

ans

après

Rencontres

Pour un partenariat renforcé entre le Maghreb et l’Europe Invité fin février à Tunis par des acteurs majeurs de la jeune démocratie tunisienne, le Mouvement de la Paix a pu rencontrer des personnalités bien décidées à réussir la

«

transition dans leur pays. Avec les libertés et la paix en ligne de mire.

Nous devons dépasser les meurtrisété résolus ». Et de souligner « que les attenle pire après la victoire des islamistes en ocsures de l’histoire, sans oublier les tats successifs ont contribué à faire chuter les tobre 2011 avec 41 ,7 % des sièges à l’assemdouleurs que nous avons vécues en recettes touristiques de 60%, rendant plus difblée constituante (90 sièges sur 217). Heureutant que peuple colonisé », a résumé ficile la mise en œuvre de plans en direction sement, les Tunisiens par leur mobilisation Moncef, directeur d’une maison d’édition prode la jeunesse ». D’autres responsables syndidémocratique ont réussi à stabiliser les instigressiste en Tunisie. « Nous avons besoin les uns calistes et avocats ont mis en avant combien tutions à travers l’adoption de la constitution des autres, [je veux] parler en particulier des l’argent des réseaux islamistes leur permet de et à structurer la vie politique tunisienne en peuples des deux côtés de la méditerranée », s’incruster au coeur de la société tunisienne et réduisant la puissance des islamistes au sein a t-il précisé au cours d’une rencontre avec le de tenter de formater la jeunesse qui constitue de l’Assemblée nationale tunisienne puisque Mouvement de la Paix invité dans ceux-ci sont les grands perdants des la capitale tunisienne. « Les jeunes élections de 2014 qui a vu la victoire aujourd’hui vivent dans l’espacede Nida Tounès*. Tout cela contrimonde. Dans la situation internabue à remettre l’État tunisien sur tionale actuelle, nous n’avons en les rails malgré les difficultés qui fait pas d’autres choix les uns les l’assaillent toujours. autres sur les deux rives de la médiLes dangers de la situation actuelle terranée que de travailler ensemble doivent inciter à construire une sopour construire un avenir commun lidarité active et partenariale entre meilleur ». Si la délégation du Moules sociétés civiles des deux côtés vement de la Paix reçue à Tunis les de la méditerranée. La présence de 24 et 25 février a tenu à rendre homFethia Saidi en France durant 15 mage aux victimes de l’attentat du jours à l’invitation du Mouvement musée du Bardo du 18 mars 2015, de la Paix dans le cadre de la journée elle a aussi voulu insister sur la né- Le Mouvement de la Paix rend hommage aux victimes de l’attentat du Bardo (Tunis) internationale pour les droits des cessaire coopération entre mouve- avant une rencontre avec les forces progressistes tunisiennes en mars 2016. femmes est un premier acte concret. ments progressistes français et tunisiens. leur cible privilégiée. Féthia saidi, secrétaire La préparation d’un séminaire sur la question L’exigence d’un partenariat renforcé entre nationale d’Al Massar, journaliste et sociolode la culture de la paix dans l’espace Euro-méles sociétés civiles et les états d’Europe pour gue, alerte sur la remise en cause des droits diterranéen en septembre ou octobre à Tuaider la Tunisie à avancer dans son processus des femmes qui est un objectif des forces de nis sera une nouvelle étape importante pour démocratique a été confirmée par toutes les régression à la tête desquelles sont les islaavancer concrètement dans la construction de rencontres faites au cours du séjour. mistes et le parti Ennhada. Si les femmes ont ce partenariat pour la paix entre l’Europe et Ainsi Habib Kazdaghli, doyen de l’universiobtenu des victoires dans la constitution, au le Maghreb. té La Manouba, a fait part de son combat avec niveau des mentalités la bataille fait toujours les enseignants, face à l’occupation illégale de rage, et la recrudescence des violences en parRoland Nivet locaux de la faculté par des islamistes. ticulier sexuelles à l’encontre des femmes est *Résultats des élections de 2014 Pour Mohammed, qui achève des études un signe inquiétant. Bloc Nahda islamistes : 69 - Nida Tounès : 84 - Front d’économie, « la situation de la jeunesse qui Tous les militants démocrates présents sont pop : 15 - Union nationale libre : 14 - Bloc des démoconstitue 60 % de la population est difficile préoccupés par les attentats, la participation crates sociaux : 10 - Afek Tounès : 10 - Sans appartecar les principaux problèmes qui ont été à de jeunes à Daesh, la détérioration de la situanances à un bloc : 15 - Total : 217 l’origine de la révolte de 2010-2011 n’ont pas tion en Libye. Ils ont le sentiment d’avoir évité N° 611 - Avril 2016 - Planète PAIX

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On peut agir sur les causes des guerres et des violences… … surtout si on les connaît

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Portrait Première partie : Alfred Nobel

Ces capitalistes qui investissaient dans la paix

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l n’est pas dans la vocation du mouvement pacifiste de faire l’éloge du capitalisme. Il ne serait néanmoins pas déplacé de rappeler les noms, connus ou pas, de quelques fortunes industrielles ou financières qui ont jugé utile, voire indispensable, de mettre leurs fortunes souvent considérables au service de la paix. Nulle prétention d’en dresser une liste exhaustive - nous laisserons ce soin à quelque doctorant bien inspiré - mais seulement de rappeler le parcours et l’action de trois d’entre eux, souvent surprenants, parmi les plus marquants. Ils se situent, pour la plupart, dans la période qui précéda la Première Guerre Mondiale. Ils furent soucieux d’asseoir leur action en suscitant des fondations ou instituts, voire des musées, destinés à pérenniser leur œuvre. Les rares grandes fortunes qui, aujourd’hui, se mettent au service de l’humanité donnent la préférence à l’action humanitaire mais oublient la cause de la paix conditionnant pourtant tout le reste. Leurs ancêtres d’avant 1914 pouvaient avoir une vision plus juste des urgences.

Nobel (Alfred, 1833-1896) Industriel suédois, inventeur d’explosifs et notamment de la dynamite, ce qui fit sa fortune. On peut s’étonner que ce fabricant d’explosifs se soit tant intéressé aux moyens d’assurer la paix dans le monde. Mais ses productions avaient surtout un usage civil : mines et carrières, construction de lignes de chemin de fer, de tunnels et de routes. Très cultivé, parlant cinq langues, il écrivit des poèmes et même une pièce de théâtre. Cet homme décrit comme introverti réfléchissait depuis longtemps à la meilleure façon d’établir la paix dans le monde, fit à Paris en 1876 la connaissance de Bertha von Suttner. Tous les deux voulaient très sincèrement travailler à la consolidation de la paix, mais leurs avis divergeaient quant aux causes des guerres et aux moyens d’y parer. Éprouvant l’un pour l’autre la plus profonde estime mutuelle (et, de la part de Nobel, une inclination manifeste à l’endroit de B. von Suttner), il en résulta un

long échange d’idées et d’analyses, nourrissant une correspondance qui reste des plus instructives1. Nobel imaginait - avec quelque naïveté - que seul le pouvoir infiniment destructeur des nouveaux explosifs et des nouvelles armes pouvait avoir un effet dissuasif sur les responsables tant civils que militaires, face à des conflits aux conséquences si dévastatrices. Bertha von Suttner put le convaincre qu’aucun chef militaire, aucun dirigeant politique n’hésite à recourir aux dernières inventions des techniques de destruction, si effroyables soientelles, quand il s’agit d’anéantir l’adversaire le plus rapidement possible. Enthousiasmé par la lecture de « Bas les armes ! » (1889), le célèbre roman pacifiste de B. von Suttner, Nobel se rapprocha de l’action militante des sociétés de paix, et se rendit au Congrès de la paix de Berne en 1892 pour en suivre les travaux. Il se rangea alors à l’avis de son amie : ne pas rendre la guerre impossible par la dissuasion (para bellum), mais par des accords internationaux, l’arbitrage, la disparition des causes des guerres, la déconstruction de l’image de l’ennemi, l’amitié et les liens entre les peuples à grande échelle, et par la propagande en faveur de la paix (para pacem). Elle put, dès lors, le convaincre que seules les associations de paix étaient en mesure, en fonction de leur activité et de leur poids public, de peser sur les orientations politiques pour empêcher les guerres. Elle put ainsi l’inciter, lui qui n’avait pas d’enfants, à mettre son immense fortune au service des forces de paix et leur apporter un soutien financier significatif. Il finança, au départ, des actions ponctuelles, tel le Congrès International de la Paix de Rome en 1891. Puis il apporta son concours, notamment aux congrès et rencontres pacifistes de diverses associations : « J’entends, si je suis vraiment convaincu par la cause de la paix, faire moi aussi quelque chose pour elle. je voudrais remettre aux gens qui peuvent s’en-

gager pour la cause une petite somme, disons 200.000 francs, afin qu’ils soient en mesure de s’y consacrer pleinement, voire verser cette somme sous forme de salaire à quiconque obtiendrait des résultats ». Mais Alfred Nobel est surtout passé à la postérité par son testament. Bertha von Suttner sut le convaincre de fournir un appui décisif et durable aux forces de paix et de progrès. Il stipula ainsi par testament la création d’une Fondation (dotée de 32 millions de couronnes-or suédoises, soit 94% de sa fortune !) qui attribuerait un soutien substantiel à toute personne ou institution qui, indépendamment de sa nationalité, aurait permis à l’humanité d’accomplir un pas significatif vers un avenir meilleur, à ceux qui, selon ses termes, « ont œuvré au mieux pour la fraternisation des peuples et la suppression ou, du moins, la diminution des armées existantes, tout comme pour la tenue ou la promotion des congrès de la paix », mais aussi à ceux qui auraient apporté une contribution capitale aux sciences et aux lettres, considérées, elles aussi, comme facteurs de progrès, donc de paix. C’est le Comité Nobel norvégien, une commission du Storting (le parlement norvégien), qui fut, à partir de 1901, et reste chargé, de cette attribution. Bertha von Suttner fut, au reste, l’une des premières lauréates (en 1905) de ce prix, prestigieux dès sa création. Certaines attributions du prix Nobel de la paix restent contestées, mais il continue à imposer un respect inégalé lorsqu’il s’agit de reconnaître la valeur d’un grand acteur de la paix. Et, dans de nombreux cas, il a apporté un soutien substantiel et efficace à ses lauréats. Jean-Paul Vienne 1

Cf. Correspondance entre Alfred Nobel et Bertha von

Suttner (Éditions Turquoise), récemment paru. N° 611 - Avril 2016 - Planète PAIX

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MONDIALISER LA PAIX Les élections américaines

Comment ça marche ? Rachel Long est étudiante à la Boston University et effectue un stage au sein du Mouvement de la Paix, au siège national. Dans le cadre des élections américaines, elle nous permet de mieux comprendre le fonctionnement et les enjeux de son pays. Avec l’accent US…

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L

e gouvernement des États-Unis est composé de trois branches indépendantes: le législatif, qui crée les lois et est dirigé par le Congrès ; l’exécutif qui réalise et applique les lois et est dirigé par le président des ÉtatsUnis et le judiciaire qui évalue les lois par le système judiciaire. Les chefs de deux des branches - Congrès et Président - sont élus dans une élection législative. Depuis plus de 150 ans, ces élections ont été dominées par deux partis politiques : les Républicains et les Démocrates. Les élections législatives ont lieu en novembre, mais avant cela, chacune des deux parties tient une série d’élections primaires afin de sélectionner leurs candidats pour l’élection présidentielle, l’élection au Congrès, et d’autres fonctions (chefs de partis, délégués à la convention nationale du parti,…). Ce processus se produit dans chaque état individuellement. Par exemple, les Démocrates en Floride votent pour les candidats Démocrates et les Républicains en Floride votent pour les candidats Républicains. Les candidats présidentiels sont choisis par les partis dans une convention spéciale de parti politique, dans lequel les délégués choisissent un candidat sur la base du résultat des élections primaires. Le candidat choisi par chaque parti aura son nom sur le bulletin de vote dans chaque État à l’élection législative. Cependant, remporter les élections présidentielles ce n’est pas seulement obtenir le plus de voix

à l’échelle nationale, mais plutôt au collège électoral. Le collège électoral est une institution nationale composée d’un nombre différent de Grands électeurs de chaque État. Le nombre de Grands électeurs que chaque État reçoit est proportionnel à sa population. Le Texas, par exemple, a 38 Grands électeurs pour 27 millions d’habitants, la Floride 29 (20 millions d’habitants), et le Connecticut seulement 7 (3,7 millions d’habitants). Chaque Grand électeur a un vote, mais tous les états sauf deux (le Maine et le Nebraska utilisent un système différent qui est plus proportionnel), ont un système dit du « Gagnant remporte tout » qui signifie que tous les électeurs d’un état doivent voter pour la même personne : si Clinton reçoit le plus de votes en Floride, tous les électeurs du collège électoral de la Floride doivent voter pour Clinton. Cela signifie que celui qui reçoit le plus grand nombre de voix dans chaque État obtient les votes de tous les électeurs de cet État. Ainsi, si l’élection se joue entre Trump et Clinton, et que Clinton remporte la Floride avec 51% des voix, elle obtiendra les 29 électeurs du collège électoral et Trump aucun. À la fin, celui qui reçoit 270 électeurs ou plus dans le collège électoral remporte l’élection présidentielle. Voilà pourquoi, lors de l’élection de 2000, Al Gore contre George W. Bush, Gore a reçu plus de voix que Bush, mais a perdu parce que Bush a reçu plus de voix dans le collège électoral. Le président est élu pour 4 ans et doit affronter des élections à mi-mandat aux deux assemblées.

Les candidats Hillary Clinton (Démocrate) Hillary Clinton est l’ancienne secrétaire d’État américain, ex-première dame, et ex-sénatrice. Elle soutient les plans du président Obama de renoncer à l’expulsion de ceux qui sont arrivés aux États-Unis quand ils étaient petits, ou ceux dont les parents sont des résidents légaux, et elle veut faciliter l’accès à la citoyenneté juridique. En ce qui concerne l’économie, Hillary Clinton veut mettre en œuvre une série de réductions d’impôts pour la classe moyenne en augmentant les impôts sur les gains du capital et combler les niches fiscales. Militairement, elle croit en l’appui aérien des États-Unis pour lutter contre ISIS (Daesh) sans envoi de troupes pour combattre sur le terrain, et elle propose de compter sur les forces régionales, comme l’Irak, pour fournir des troupes au sol.


Hillary Clinton

Donald Trum p

Bernie Sanders

Bernie Sanders (Démocrate) Décrit lui-même comme un « socialiste démocratique, » le sénateur Bernie Sanders est le candidat le plus libéral (de gauche, au sens américain du terme) en lice pour cette élection présidentielle. Il a critiqué les politiciens Républicains et Démocrates comme étant liés aux donateurs et aux industriels riches. Dans les années 1960, Sanders a participé à l’activisme antiguerre et pro-droits civils. Il a participé à la Marche sur Washington en 1963. Il s’est opposé à la guerre d’Irak et considère que les États-Unis ne devraient pas mener la lutte contre ISIS, mais plutôt se concentrer davantage sur les questions intérieures. Il croit en la possibilité d’obtenir la citoyenneté pour les immigrants sans papiers. Bernie Sanders a soutenu le plan du président Obama d’abandonner l’expulsion pour certains immigrants, y compris ceux arrivés aux États-Unis quand ils étaient jeunes, et la loi du Sénat sur l’immigration, augmentant la sécurité des frontières et délivrant le statut d’immigration provisoire à des millions de résidents sans papiers. Il fait campagne pour un système d’impôts progressifs. Il augmenterait les impôts sur le revenu pour les couples mariés qui gagnent plus de $250.000 par an ou les célibataires qui gagnent plus de $200.000 par an, et il taxerait ceux qui gagnent plus de $10 millions par an de 52%. Aujourd’hui il y a 7 tranches d’imposition.

Les niveaux de revenu de chaque tranche varient d’année en année, mais il y a un taux d’impôts sur le revenu de 10% pour les couples mariés qui gagnent jusqu’à environ $20.000, 15% pour ceux qui gagnent entre environ $20,000 et $75,000, 25% pour leurs qui gagnent entre environ $75.000 et $150.000, 28% pour ceux qui gagnent entre $150.000 et $230.000, 33% entre $230.000 et $400.000, 35% entre $400.000 et $450.000 et 39,6% pour ceux qui gagnent plus de $450.000. Donald Trump (Républicain) Un magnat d’affaires, un promoteur immobilier et une personnalité de la télévision, Trump n’a jamais été élu et, représentant la droite extrême, il est le candidat le plus radical en lice des élections présidentielles. Enregistré comme un Républicain avant 1999, mais comme un Démocrate entre 2001 et 2009, s’il est élu président, il veut expulser tous les immigrés sans-papiers, et temporairement interdire aux musulmans d’entrer aux États-Unis, et fermer la frontière mexicaine par un mur de beton qu’il ferait payer par le Mexique. Il instituerait une réforme des tranches d’imposition, les diminuant de sept à quatre avec des taux d’imposition plus faibles, dont le plus élevé serait un impôt sur le revenu de 25% sur les couples mariés qui gagnent plus $3000.000 et les célibataires qui gagnent plus de $150.000. Il est également

Ted Cruz

en faveur de l’envoi de troupes américaines au Moyen-Orient afin d’obtenir le contrôle des régions qui produisent et vendent le pétrole, et ne serait pas opposé à envoyer un nombre limité de troupes au sol pour lutter contre ISIS. Ted Cruz (Républicain) Sénateur, ancien procureur et fils d’un émigré cubain, Ted Cruz est un acteur majeur de la droite, comme Trump, et était membre du « Tea Party », très à droite. Il s’oppose aux actions d’Obama sur l’immigration clandestine et a bloqué tout effort qui permettrait à des immigrés sans-papiers de rester légalement aux États-Unis ou de recevoir la citoyenneté juridique. Il a appelé à un régime fiscal plus simple : une « taxe forfaitaire et simple » de 10% pour tous les revenus supérieurs à $36.000 et une « taxe forfaitaire d’affaires » de 16% sur la consommation. Il ne croit pas en l’envoi de troupes américaines au sol en ce moment, mais il soutient que cela peut être nécessaire à l’avenir. Il utiliserait des bombardements aériens massifs et des tapis de bombes pour combattre Daesh. Rachel Long

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MONDIALISER LA PAIX Corée du Sud et Viêtnam

Une convergence de ‘‘ résistances’’ ? En Asie aussi les peuples désirent prendre leur destin en mains. Face à l’expansionnisme chinois et la montée du libéralisme économique au Viêtnam et la puissance de celui établi en Corée du Sud, les résistances s’organisent.

D

ans son éditorial du mensuel sud-coréen Résistance, Lee Sang-jun, rédacteur en chef, nous invite à nous lancer dans le mouvement de Résistance du XXIème siècle (The 21st Century Resistance Movement begins in Resistance, November 2015 pp.22-24). Pour le faire, il me semble utile de donner une signification à ce terme avant de prendre toute envolée. Dans le cas qui nous intéresse, « la Résistance » peut désigner tout mouvement social et politique s’opposant à un phénomène précis du libéralisme économique et de l’ingérence étrangère. En 2016, les mouvements de résistance au Vietnam et dans la République de Corée comme exemples de Résistance interne et externe pourraient susciter un rapprochement des luttes de la société civile dans ces deux pays.

milles défavorisées et bénéficiaires de politiques sociales dans l’ensemble du pays ainsi que les victimes de l’Agent orange/dioxine ont-elles bien pu toutes bénéficier de cette aubaine ? Fin 2015, 100% des districts étaient raccordés au réseau électrique national. Dans les zones reculées, la plupart des foyers d’ethnies minoritaires sont reliés au réseau électrique national. Alors, les pauvres, les victimes de l’Agent orange/dioxine, les ethnies, les chômeurs, les jeunes diplômés sans travail et surtout les femmes « violentées » vont-ils compter les rayons de la roue du réseau électrique national pour résister au phénomène précis du libéralisme dans le contexte de la mondialisation ? Vont-ils entamer une résistance silencieuse ? Et pour combien de temps ? Contrairement à ce qu’a dit Gustave Flaubert, la société vietnamienne (démunie ou nantie) cherche à compter les rayons d’une roue qui tourne.

Les deux volets de la résistance au Vietnam

Résistance explosive versus expansionnisme chinois en mer méridionale

Au Vietnam, le premier volet est la résistance au libéralisme économique, qui devient « silencieuse » par nécessité de croissance nationale. L’expansionnisme de la Chine en mer méridionale est le deuxième volet de la résistance contre l’ingérence étrangère. Elle pourrait devenir « explosive ».

Résistance silencieuse versus libéralisme économique En 2016, la population après avoir souffert de toutes les carences et privations durant deux conflits et 30 ans de guerre, se retrouve maintenant à faire face au fossé entre riches et pauvres. Les dirigeants tablent sur la solidarité nationale. La presse et les médias montrent qu’à l’occasion de la Fête du Têt Binh Thân de 2016 (Nouvel An du Singe), des activités caritatives traduisent une belle tradition du peuple vietnamien, permettant de renforcer la grande union nationale et d’apporter un Têt plus agréable aux personnes démunies. Pour cela, la Croix-Rouge du Vietnam, a fait appel aux dons auprès des collectivités et des individus riches dans l’ensemble du pays pour que les familles défavorisées puissent jouir d’un Têt heureux comme il se doit. Dans le cadre de la campagne intitulée «Vêtements chauds pour l’hiver» les familles pauvres des régions montagneuses et les fa20

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Plusieurs pays voisins de la Chine, le Vietnam, le Japon, la Corée du Sud, les Philippines, et la Malaisie sont confrontés aux visées expansionnistes et aux démonstrations de force sur les espaces maritimes en mer méridionale. La Chine revendique comme siennes les moindres émergences de terre à la surface des mers bordées par son territoire continental : mer du Japon, mer orientale, mer méridionale. Concernant le Vietnam, il s’agit des îles Truong -Sa et Hoàng Sa. Le conflit avec la Chine devient un conflit international car chaque pays revendique ses propres intérêts. La Chine a une vision particulière de la propriété territoriale. Le partage des eaux devrait être historique et non pas territorial. Le Vietnam, depuis le XVème siècle, défend 2.000 km de côtes et contrôle des eaux territoriales. Sa vocation maritime l’a alors poussé à découvrir des terres plus lointaines comme les archipels de Truong-Sa et Hoang-Sa, c’est-à-dire les actuels Spratleys et Paracels. Des documents de l’Institut de recherches historiques de Saigon ont montré que l’archipel de Paracels était déjà sous le règne de l’Empire vietnamien au XVIIIème siècle. Mais la Chine affirme que des textes vieux de plus de 2.000 ans évoquent ces archipels comme Chinois, et que des pièces de monnaie, des poteries y ont été découvertes.


Photos : Thi Hien Tran, Fonds d’alerte contre l’agent orange/dioxide

Dans ce conflit, il sera probablement impossible de savoir qui le premier a posé les pieds sur ces îles. Ce manque de coopération et de bonne foi crée des situations insensées rendant le conflit très complexe. En effet, le 26 mai 2011, le bateau vietnamien Binh Minh 02 mène des études sismiques au large du Cap Dai Lanh. Il y détecte trois navires chinois. Ces patrouilleurs chinois entrent dans la zone d’étude et sectionnent les câbles tendus par le navire vietnamien. Les deux parties affirment être dans leurs propres eaux territoriales. Le premier ministre vietnamien Nguyen Tan Dung a alors réaffirmé “l’incontestable souveraineté” de son pays sur ces îles quand la Chine déclare que celles-ci lui reviennent de droit. Par ailleurs, les Philippines en juin 2011 ont décidé de rebaptiser la Mer de Chine Méridionale, “Mer des Philippines de l’Ouest”. A Paris, une manifestation contre l’expansionnisme chinois a eu lieu le 23 janvier 2016 au Champs-de-Mars.

Les deux volets de la résistance en République de Corée Résistance des acteurs de la société civile contre les régressions de liberté en République de Corée. Les deux exemples sont : le syndicat coréen des enseignants et des travailleurs de l’éducation (KTU) menacé d’interdiction, ainsi que l’interdiction du Parti progressiste unifié (PPU) de décembre 2014 et l’emprisonnement des membres de l’Alliance coréenne. Dans le contentieux qui l’oppose aux auto-

rités sud-coréennes, le KTU a perdu en appel le 21 janvier 2016. Créé en 1999, c’est le syndicat d’enseignants le plus revendicatif et les manœuvres des autorités sud-coréennes à son encontre s’inscrivent dans une démarche plus large de répression antisyndicale - la confédération KCTU étant tout particulièrement dans le collimateur du gouvernement de Mme Park Geun-hye, en fonction le 25 février 2013. Le KTU entend à présent porter l’affaire devant la Cour suprême. Par ailleurs, depuis l’interdiction du Parti progressiste unifié (PPU) en décembre 2014, le Comité international pour les libertés démocratiques, en Corée du Sud (CILD) alerte l’opinion publique internationale et organise la solidarité avec les militants sud-coréens pour les droits de l’homme et la démocratie. Parmi les militants de l’ex-PPU, les membres de la tendance Corea21 du PPU de l’Alliance coréenne ont été emprisonnés. Le CILD appelle à leur libération immédiate, ainsi qu’à l’abrogation de la loi de sécurité nationale, instrument des régimes autoritaires en Corée du Sud depuis 1948. En conséquence, le 20 janvier 2016, Maina Kiai, rapporteur spécial des Nations Unies pour les libertés d’association et de réunion pacifique, a effectué une visite officielle en République de Corée. Résistance versus l’ingérence des États-Unis en Corée du Sud : 60 ans après l’armistice de Panmunjom, la péninsule coréenne, après les espoirs suscités par les rencontres de Kim Jong Il et des présidents sud-coréens en 2002

et 2007, de nouveau la guerre menace en particulier de par le fait, que les États-Unis n’ont jamais accompli certaines clauses des accords d’armistice comme le départ de leur troupes de la péninsule en 1954, et qu’au contraire ils ont soutenu les dictatures successives, pratiquant la corruption du personnel politique. L’élection de la fille du chef de la dictature militaire, Park Geun-hye le 19 décembre 2012 s’inscrit dans ce contexte.

Perspectives Le Vietnam a commémoré les 40 ans de la réunification. Mais le prix de la victoire devenant trop lourd à supporter en vies et en dollars, les Américains ont laissé les Vietnamiens payer la facture en particulier celle concernant les victimes de l’Agent orange/dioxine qui continuent leur combat pour le droit à la justice avec l’Association vietnamienne pour les victimes de l’agent orange/dioxine (VAVA). L’invitation à « Résistance » prend une signification particulière. Pour les Coréens, en devenant des partisans de la paix et de la réconciliation en vue de la réunification, ils instaurent la Résistance, un mouvement épris de paix et de démocratie dans le monde d’aujourd’hui. Et la communauté internationale est invitée à soutenir une telle résistance pour de tels enjeux. Nguyen Dac Nhu-Mai - Historienne

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Histoire RENCONTRE DE KIENTHAL, AVRIL 1916

‘‘A bas la guerre ! Vive la Paix ! ’’ Il y a un siècle les socialistes européens pacifistes et internationalistes se rencontraient en Suisse bien décidés à arrêter l’engrenage militariste et chauviniste qui faisait rage entre les grandes puissances en guerre.

EN SAVOIR PLUS • « Raffin-Dugens et le mouvement pacifiste en Isère avant et pendant la remière Première Guerre Mondiale » par le comité d’Isère du Mouvement de la Paix. 22

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Sceau de la police sur une liasse de tracts pacifistes saisis en 1916. Il s’agit de tracts du Comité de Reprise des Relations Internationales (CRRI) publiant le Manifeste adopté par la Conférence socialiste internationaliste de Kienthal (symboliquement daté du 1er mai 1916).

D

eux ans avant le déclenchement du premier conflit mondial, dans la cathédrale de Bâle (Suisse), près de 10.000 socialistes européens se réunissent. La guerre des Balkans fait rage et menace de s’étendre à l’Europe. Une résolution présentée par Jean Jaurès sera adoptée à l’unanimité, et la paix signée quelques mois plus tard en 1913. Cela n’empêchera pas, un an après, que la plupart des congressistes se rallient à des gouvernements d’union nationale, prêts à s’engager dans la guerre1. Mais une minorité reste fidèle à la doctrine internationaliste percevant la nature du conflit déclenché en août 1914 comme le résultat de concurrences opposant les grandes puissances européennes de l’époque pour l’hégémonie politique, économique, culturelle, en vue d’une nouvelle répartition des sphères d’influence. Rassemblés à Zimmerwald en septembre 1915, ces socialistes s’attelleront à arrêter l’engrenage militariste et chauviniste. L’année suivante, du 24 au 30 avril, à Kienthal (canton de Berne), sous la coordination de Robert Grimm, figure emblématique du socialisme helvétique, Lénine, Angelica Balabanova et Gregori Zinoviev rejoignent une quarantaine de délégués venus d’Allemagne, d’Italie, de Portugal,

de Russie, de Pologne ou de Serbie. A leurs côtés, trois députés de la SFIO (Section Française de l’Internationale Ouvrière) ont bravé les interdictions de leur gouvernement : Pierre Brizon, Alexandre Blanc et Jean-Pierre Raffin-Dugens. Les socialistes affichent leur désaccord avec la politique interventionniste de leurs partis, dénonçant comme responsables de ce conflit long et meurtrier, « les institutions du régime capitaliste qui disposent du sort des peuples, les gouvernements (monarchiques ou républicains), la diplomatie secrète, les puissantes organisations patronales, les partis bourgeois, la presse capitaliste, l’Église »2. Se dressant contre le jusqu’au-boutisme des gouvernements belligérants, ils démentent auprès de leurs concitoyens, que cette guerre, censée être la der des ders, doit faire disparaître le militarisme : « jamais la guerre n’a tué la guerre. (…) En excitant les sentiments et les intérêts de ‘revanche’, la guerre prépare la guerre, la violence appelle la violence ». Ainsi, se fixent-ils comme objectif, la conclusion d’une paix immédiate sans indemnités ni annexions. Ils souhaitent mobiliser les moyens traditionnels du syndicalisme révolutionnaire, incitant les travailleurs à faire grève et à manifester massivement. Regroupés autour de Lénine, certains se prononcent pour des initiatives plus radicales, comme le renversement de l’ordre établi, par une révolution. Connue déjà sous le nom de la ‘gauche de Zimmerwald’, cette tendance annonce la Révolution d’octobre (1917) et la scission au sein du mouvement socialiste, avec l’avènement d’une nouvelle Internationale sur les ruines laissées par la Grande Guerre. Nicolas Pitsos 1

Les principes pacifistes de la IIe Internationale ont été remis

en question dès le déclenchement de la guerre. En Allemagne et en France, les parlementaires socialistes ont voté Union Sacrée. En décembre 1914, Karl Liebknecht refuse de voter les crédits de guerre ainsi qu’Otto Rühle en janvier 1915. Héritant de cette opposition à la guerre, la Ligue spartakiste naît en 1915 sous la direction de Rosa Luxembourg et de Liebknecht. 2

Voir « Aux peuples qu’on ruine et qu’on tue », Manifeste de la

conférence de Kienthal, 1916.


CULTURE THÊATRE

Le maniement des Larmes, Compagnie ‘‘Un pas de côté’’ Entretien avec

P

lanète Paix : Pourquoi ce triptyque ’’Bleu Blanc Rouge’’ ?

Larmes’’, troisième

Nicolas Lambert : Le Bleu pétrole correspond à la pièce « Elf la pompe Afrique » sortie en 2004, le Blanc concerne la question du nucléaire avec « Avenir radieux, une fission française » et le Rouge a pour sujet les ventes d’armes. Mon propos est de traiter ces questions sous l’angle de l’état français. Je ne pouvais présager il y a plus de 10 ans combien le rouge serait « réaliste » mais l’actualité de ces derniers mois est aussi à replacer dans les dédales des politiques d’armement.

volet d’une trilogie

PP : Quel est le fil conducteur de votre démarche ?

Nicolas Lambert à l’issue de son spectacle ‘‘Le Maniement des

intitulée ’’Bleu Blanc Rouge’’ qui donne à voir la face cachée de gouvernements français peu scrupuleux aux prises avec les ventes d’armes.

N.L. : Le théâtre d’investigation que je pratique en articulant les informations recueillies a pour objectif de permettre à un public large de comprendre le monde. En France, on a un problème avec les medias qui sont détenus par six ou sept grands groupes industriels, voire fabricants d’armes (Bolloré, Bernard Arnaud, Serge Dassault, Bouygues,…). Nous devons avoir présente à l’esprit la réflexion du CNR (Conseil National de la Résistance): le pire peut arriver quand le peuple n’a pas la possibilité de comprendre le monde. Je suis un militant du service public du théâtre qui, dans le champ de l’éducation populaire, est un autre mode d’information. Pour chacun de ces thèmes le fil conducteur est ‘‘l’a-démocratie’’ en d’autres termes l’absence de démocratie.

PP : Le ‘‘Maniement des Larmes’’ traite des ventes d’armes, encore un sujet difficile… dans lequel vous jouez, non sans humour, plus de 20 protagonistes !

EN SAVOIR PLUS • www.unpasdecote.org/lesspectacles-2/rouge/ • Compagnie « Un Pas de Côté » administration@unpasdecote.org Tél. 07 62 03 91 44

N.L. : L’essentiel du travail se situe en amont, un travail journalistique autour du recueil de données, entre autre sur les propos issus des écoutes téléphoniques, d’où le choix du studio d’écoute qui est le cadre d’évolution de la pièce. Le matériel recueilli permet de donner lecture des attentats de Karachi, des relations de la France avec le Qatar, en passant par l’affaire Kadhafi et les conséquences de la guerre en Libye ; autant de scandales politico-financiers sur fond de ventes de matériel de guerre. La France est depuis longtemps l’un des premiers exportateurs

d’armement au monde, mais où est l’humanité dans l’industrie de mort ? J’incarne les différents personnages pour leur donner force d’authenticité : Ziad Takieddine, Nicolas Sarkozy, Edouard Balladur, Brice Hortefeux, Thierry Gaubert, etc. Le spectacle n’est scénarisé qu’à partir de propos réellement tenus.

PP : Et vous proposez une chute toute en sagesse avec Michel Rocard… N.L. : Son intervention à l’Assemblée Nationale est éloquente. Il expose les enjeux, les défis, les dangers de l’absence de politique de défense de la France entre les ventes d’armes et la place de l’arme nucléaire. C’est un appel à l’urgence du réveil citoyen quand la démocratie est bâillonnée sur des sujets aussi essentiels par le pouvoir exécutif et ce depuis 1939 ! Cette pièce rythmée, aux rebondissements multiples, agréablement pondérée par l’intervention d’Eric Chalan à la contrebasse acoustique mérite d’être vue et d’être programmée tant elle donne à comprendre, à réfléchir et -surtout- à réagir. Jeannick Leprêtre N° 611 - Avril 2016 - Planète PAIX

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Avec des armes vous pouvez tuer des terroristes

Avec l’Êducation, vous pouvez tuer le terrorisme

Malala


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