L’info pacifiste : www.mvtpaix.org La paix en mouvement
3,20 euros / N° 618 / Janvier 2017
USA : Entre inquiétude et incertitude
Musique
Divan Oriental-Occidental, un vecteur de paix
(P.22)
Moyen-Orient
Dossier (P.11-15)
Syrie, Irak, Yemen : l’urgence de la paix (P.17)
Rassemblement pour la Paix en Syrie
REGARD SUR...
Le 20 décembre 2016 à Nevers
re à Toulouse Le 20 décemb
Le 19 décemb re 2016 à Cah ors
Un refugié irakien dépose des fleurs devant le memorial en hommage aux victimes de l’attentat de Berlin le 19 decembre.
Planète Paix présente ses condoléances aux victimes des attentats et leurs famille. 2
N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
l’Édito
Sommaire Planète Paix n° 618 - Janvier 2017
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Se rassembler pour la paix
Actualité
ARMES ATOMIQUES
E
P.6
Un sondage à contrecourant de la position française ZIAD MEDOUKH
P.7
Tournée européenne De Gaza-la-vie Grenoble
P.8/9
Des ONG israéliennes pour les Droits de l’Homme et la paix
11
dossier
USA : entre inquiétude et incertitude Opinion
P.12/13
Roland Nivet
Les inquiétantes incertitudes PEACE ACTION
P.14
Le changement pourrait être dans la continuité Désarmement nucléaire
P.15
Sombre perspective
17
‘‘
La paix nécessite
plus que jamais la convergence, en France et dans
mondialiser la paix
le monde, de nos
MOYEN-ORIENT
P.17
Syrie, Irak, Yemen : l’urgence de la paix Syrie
P.18/19
Une paix impossible ? UNION Européenne
P.20/21
aspirations et de nos luttes pour les droits humains. ’’
Le naufrage moral face à l’accueil des réfugiés Réfugiés
P.21
Histoires de vie au Soudan
22
culture
Musique GEne Sharp
P.23
La lutte non-violente. Pratiques pour le XXIe
Mensuel édité par 9, rue Dulcie September, 93400 Saint-Ouen Tél. 01 40 12 09 12 planete.paix@mvtpaix.org
Cette bonne nouvelle n’enlève pas notre révolte face aux guerres et à leurs milliers de victimes civiles innocentes, mais elle indique le chemin. Ce chemin passe par le rassemblement de tous ceux qui aspirent à vivre en paix dans un monde de justice, de solidarité et de fraternité. En effet, comme l’a dit le secrétaire général de l’Onu « lorsque les gens se sentent capables de subvenir aux besoins de leur famille, lorsqu’ils ont accès aux ressources dont ils ont besoin pour vivre en bonne santé et lorsqu’ils se sentent intégrés dans leur société, les conflits sont moins susceptibles de surgir ».
P.22
Divan Oriental-Occidental, un vecteur de paix
le mouvement de la paix
nfin une bonne nouvelle ! Le 24 Décembre 2016 l’Assemblée Générale des Nations Unies a voté une résolution en faveur de négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire et de la rédaction en 2017 d’un traité d’interdiction des armes nucléaires. C’est le résultat des luttes incessantes menées dans le monde entier par une multitude d’acteurs, d’organisations et de réseaux soutenus par l’ONU. Pour transformer cet acquis en succès définitif il faut stopper les programmes de modernisation des armes nucléaires. Cette lutte est nécessaire car au sein de l’ONU, la France, les USA, la Russie, Israël, la Grande Bretagne et tous les membres de l’OTAN (à l’exception des Pays Bas) ont voté contre. En France nous devons stopper le processus visant à doubler en quelques années les crédits consacrés aux armes nucléaires.
Directrice de la publication : Annie Frison Rédacteur en chef : Pierre Villard Conception maquette : Chérif Beldjoudi Graphiste - maquettiste : Laurence Leclert Comité de rédaction : Raoul Alonso, Alexandre Dicko, Nadia Dorny-Bennad, Giselle El Raheb, Guillaume du Souich, Annie Frison, Nicolas Pitsos, Roland Nivet, Alain Rouy, Pierre Villard, Jean-Paul Vienne. Photos et illustrations : Tous droits réservés - Onu Ont participé à ce numéro : Roland Nivet, Pierre Villard, Yves-Jean Gallas, JeanPaul Vienne, Jeannick Leprêtre, Joseph Gerson, Kevin Martin, Jackie Cabasso, Samia Meziane, Nicolas Pitsos, Giselle El Raheb, Annie Frison, Raoul Alonso. Gestion des abonnements : Nassera Macrez, tél. 01 40 12 09 12 ISSN 1773-19241. Numéro de commission paritaire : 0317G85601 Imprimeur : Compédit Beauregard - 61600 La Ferté-Macé
Les marches pour la paix du 24 septembre 2016 organisées par le collectif national « En marche pour la paix » ont montré que les forces existent pour emprunter ce chemin, malgré l’opposition du complexe militaro-industriel et de ses relais médiatiques engagés dans des actions de désinformation visant à justifier la militarisation des relations internationales et l’augmentation des budgets militaires en occultant les vraies causes des guerres. La paix nécessite plus que jamais la convergence, en France et dans le monde, de nos aspirations et de nos luttes pour les droits humains.
Bon d’abonnement à Planète Paix page 16 N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
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Agenda
Opinions, Suggestions, Observations ! Envoyez-nous vos messages pour qu’ils soient diffusés dans le journal et sur le site Internet du Mouvement www.mvtpaix.org. écrire à : Mouvement de la Paix 9 rue, Dulcie September, 93400 Saint-Ouen. Courriel : planete.paix@mvtpaix.org Les réflexions suivantes sont destinées au débat et n’engagent donc que leurs auteurs.
Conférence Internationale « Vers une nouvelle course aux armements ? » Paris, lundi 23 janvier 2017 Assemblée nationale, salle Victor Hugo, immeuble Chaban-Delmas, 101 rue de l’Université, 75007 Paris • 9h15 : Ouverture par Claude Bartolone, Président de l’Assemblée Nationale et Paul Quilès, ancien ministre de la Défense, Président d’Initiatives pour le Désarmement Nucléaire. • 9h45 : Session 1 « Retour sur le sommet Reagan - Gorbatchev de Reykjavík » • 10h30 : Session 2 « Modernisation » des arsenaux nucléaires : quelle nécessité, quels risques pour la prolifération nucléaire ? » • 14h : Session 3 « Grands Témoins » • 14h45 : Session 4 : « Sécurité internationale et désarmement nucléaire » • 16h15 : Session 5 : « L’arme nucléaire et la campagne présidentielle ». • 17h30 : Clôture Ce colloque est organisé par Initiatives pour le désarmement nucléaire en partenariat avec NTI (Nuclear Threat Initiative), ONG dont l’objet est d’agir pour une réduction et une élimination des armes de destruction massive et prévenir les risques d’accidents nucléaires, biologiques, radiologiques, chimiques et cybernétiques. Inscription obligaroire : contact@idn-france.org
ça se passe près de chez vous • Gap (05) Vendredi 27 janvier à 18h. Vœux du Comité du Gapençais et du Comité départemental Mouvement de la Paix, Salle Dum’Art, 14 avenue du Commandant Dumont. • Laragne-Montéglin (05) Samedi 28 janvier à 14h. Assemblée générale du Comité de Laragne/ Vallée du Buëch du Mouvement de la Paix suivie des vœux du comité à 18h - Salle des Fêtes d’Eyguians, Garde-Colombe. • Caunes-Minervois (11) Vendredi 20 janvier à 18h. Exposition « Jaurès et les pacifistes de 1914/1918 » suivie d’une conférence, dans le cadre des commémorations de la grande guerre 1914 /1918, Salle du Petit Foyer. Organisé par le Comité Audois du Mouvement de la Paix (04 68 86 49 5206 84 75 55 25). • Marseille (13) Lundi 30 janvier à 18h. Vœux du Comité départemental des Bouchesdu-Rhône du Mouvement de la Paix, 45 rue de Forbin, Marseille 2ème. Portes-ouvertes à la Maison de la Paix de 15h à 20h. • Toulouse (31) Semaine kurde organisée par le Collectif de Solidarité avec le Peuple Kurde. Mardi 17 janvier, à 20h, à la Maison de Quartier de Bagatelle. Réunion publique sur la lutte des femmes du Rojava avec Nursel Kiliç, représentante du KJA (Congrès des Femmes Libres) en Europe, animée par la Marche mondiale des Femmes Midi-Pyrénées. Mercredi 18 janvier, à 12h30, à l’UT2J, et jeudi 19 janvier, à 12h30, à l’IEP. Réunions publiques sur les combats de la jeunesse kurde, avec Yekbun Eksen, représentant de l’Union des Étudiants Kurdes de 4
N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
France, Animées par les organisations de jeunesse du CSPK. Mercredi 18 janvier, à 20h, à la Bourse du Travail, place SaintSernin. Réunion publique sur les combats des travailleurs de Turquie contre la répression, avec Mesut Firat, représentant du syndicat des fonctionnaires KESK Education de Turquie, animée par les organisations syndicales du CSPK, CGT, Solidaires et FSU. Jeudi 19 janvier, à 20h30, à la Bourse du Travail, place Saint-Sernin. Meeting de solidarité avec le Kurdistan, avec un représentant du Parti Démocratique des Peuples (HDP) de Turquie et Pierre Barbancey, grand reporter à L’Humanité, animé par la Maison FrancoKurde Midi-Pyrénées. • Blois (45) Samedi 25 Février à 20h30. Soirée culturelle pour la paix, Salle Beauce, Maison municipale de Vienne, 1 rue Dupre. Avec la participation de Mathis Poulin, jeune auteur interprète (16 ans) et du groupe « la Cie Shamrock ». Chants et musiques d’Irlande. Entrées à 8€ (pré-réservation au 02 54 70 35 27) ou 10€ (sur place). Organisée par le Comité du Loir et Cher du Mouvement de la Paix. • Paris (75) Mardi 7 Février à 19h. Projection de « Mon Algérie » de Raymond Mourlon. Centre culturel Algérien, 71 Rue de la Croix Nivert, Paris 15ème. • Bobigny (93) Lundi 6 février de 19h à 21h30, Conférence « Les discours dominants précédant les conflits, Histoire des conflits dans le monde » avec la participation de Anne Morelli, Historienne, professeure à l’Université de Bruxelles, Lycée W.A.Mozart, 10 avenue du Général de Gaulle. Organisée par le Forum Arts et Culture des Citoyens du Blanc-Mesnil, en partenariat avec le Comité du Blanc-Mesnil du Mouvement de la Paix.
REPÈRES ... Livre
Livre
‘‘Sauver l’Europe’’
‘‘Mémoire de paix pour temps de guerre’’
Hubert Vedrine Éd. Liana Levi, 2016, 96 pages, 10€
Dominique de Villepin Éd. Grasset, 2016, 672 pages, 24€
La vision bien-pensante de la construction d’une Union européenne dépassant les identités « dans l’intérêt des peuples » a dominé la scène politique pendant des décennies. L’intégration européenne se heurte pourtant, depuis plus de vingt ans, à une résistance croissante, passive ou active. Une résistance qui s’est exprimée lors de divers référendums, et qui a culminé en juin 2016 avec le Brexit, symptôme d’un mal plus large. Avec arrogance, les élites ont condamné le vote britannique comme populiste et aberrant. Ne faudrait-il pas, pourtant, que celles-ci se décident à entendre la colère qui gronde et qu’elles acceptent de se réconcilier enfin avec les peuples pour sauver, avec eux, le projet européen ? Avec une parole libre et sans détour, Hubert Védrine explicite les ressorts de la crise de confiance dans l’Union européenne et développe des propositions claires pour la surmonter.
Depuis quinze ans, le monde semble emporté dans une folle course à la guerre. Le virus de la guerre est en nous, rendu plus agressif par les peurs, les humiliations et les colères. La crispation des nations occidentales sur leurs privilèges et sur une vision du monde dépassée ne peut qu’aggraver les maux. Le moment est venu de s’atteler au travail de la paix, d’ouvrir les yeux sur les blessures du monde et de nous doter des outils pour construire un nouvel ordre, stable et juste. Pour contrer les épopées mensongères de la guerre, nous avons besoin d’un récit de la paix, qui constitue le grand défi, le seul héroïsme possible de notre temps. L’ancien Premier ministre réfléchit aux moyens diplomatiques d’œuvrer en faveur de la paix dans le monde. Il dresse un bilan critique de la guerre contre le terrorisme menée ces dernières années, délivrant des idées pour améliorer la coopération entre les États et les peuples.
Le réalisateur Avi Mograbi et le metteur en scène Chen Alon partent à la rencontre de demandeurs d’asile africains que l’État d’Israël retient dans un camp en plein désert du Néguev. Ensemble, par le biais d’un atelier inspiré du « Théâtre de l’Opprimé », ils questionnent le statut de réfugié. Ce film est soutenu par l’ACAT dans le cadre de sa campagne « Osons la fraternité, accueillons les étrangers », dont l’objectif est de proposer des outils d’information et de réflexion sur les réalités migratoires d’aujourd’hui et d’hier, et sur les responsabilités légales et morales à l’égard de ceux que l’on qualifie d’étrangers, de migrants, de réfugiés. Il est possible d’organiser des projections-débats partout en France pour contribuer à la sensibilisation en faveur de l’accueil, et contre la tentation de repli. http://urlz.fr/4yDH
Film
‘‘Entre les frontières’’ Avi Mograbi En salle le 11 janvier
IMAGE DU MOIS
Serpent Arc-en-ciel
163 nouvelles espèces découvertes dans la région du Grand Mékong, fleuve d’Asie du Sud-Est prenant naissance sur les hauteurs de l’Himalaya pour finir sa course au Vietnam. Parmi elles, le parafimbrios lao, un serpent qu’on trouve dans les régions karstiques du nord du Laos. Il a pour particularité que les écailles de sa tête reflètent les couleurs de l’arc-en-ciel. La région est menacée en particulier par la construction de routes et de barrages ainsi que par le trafic illégal d’animaux sauvages. N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
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ACTUALITÉ ARMES ATOMIQUES
Un sondage qui contredit la position française Les médias français
U
France sont quant
n sondage commandé par l’association IDN1 « les Français et la résolution de l’ONU sur l’interdiction des armes nucléaires » vient de confirmer que le gouvernement français n’est pas en phase avec son opinion publique sur le sujet. Par un sondage réalisé par l’institut Opinion Way les 30 novembre et 1er décembre 2016, IDN a souhaité interroger les Français pour mieux situer leur position relative à l’armement nucléaire, et pour recueillir leur opinion sur la position que devrait prendre le gouvernement français à l’ONU sur l’ouverture de négociation d’interdiction de l’arme nucléaire.
à eux en phase avec
Cartes sur table
semblent refuser de voir le séisme planétaire en train de se produire. Les citoyens de
la grande majorité des dirigeants de la Planète qui s’engagent résolument dans un processus pouvant aboutir à l’élimination et l’interdiction complète des armes atomiques.
Un échantillon de 1073 personnes, représentatif de la population française, a été interrogé selon la méthode des quotas. Deux questions ont été posées : « l’Assemblée générale de l’ONU se prononce dans quelques semaines sur une résolution afin de préparer et de négocier un Traité d’interdiction des armes nucléaires en 2017. Lors d’un premier vote, 123 pays ont voté pour l’interdiction, 38 pays ont voté contre (dont la France) et 16 pays se sont abstenus (dont la Chine, l’Inde le Pakistan et la Corée du Nord). Selon vous, ce Traité d’interdiction des armes nucléaires est-il favorable ou pas favorable à la paix et à la sécurité mondiale ? », et « Lors du vote de confirmation de cette résolution en décembre, la France s’apprête à voter à nouveau contre cette résolution interdisant les armes nucléaires. Selon vous, la France doit-elle réviser sa position au sujet de cette résolution ? ».
Les résultats dans le détail
EN SAVOIR PLUS • www.idn-france.org/ • https://issuu.com/mvtpaix/ docs/pp571 6
N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
Les résultats sont sans appel. 7 Français sur 10 considèrent qu’un traité d’interdiction des armes nucléaires sera favorable à la paix et à la sécurité mondiale. Les Françaises le plébiscitent davantage que les Français. Les nouvelles générations de 18 à 24 ans (77%) et les 25 ans à 34 ans (80 %) se situent
également dans une tendance plus favorable que les générations de 35 ans et plus. Les électeurs d’EELV (87 %) et du PS (82 %) distancent nettement ceux des Républicains (63%) et, dans une moindre mesure, du PCF et du Parti de gauche (70 %). Pour 68%, la France doit réviser sa position. Une majorité (51%) s’exprime en faveur d’un vote pour la résolution d’interdiction. Les générations de moins de 34 ans sont les plus fermes (80 % de 25 à 34 ans, 77% de 18 à 24 ans). Toutes les proximités partisanes sont en faveur d’une révision du vote : EELV (84 %), PS (77%), PCF/ Parti de gauche (75%), les Républicains (60 %). Pour Paul Quilès « Ces résultats confirment l’intérêt que portent les Français à “l’appel au Président de la République” que nous avons lancé et qui a rassemblé à ce jour plus de 25 000 signataires ».
Agir pour en finir Il n’en demeure pas moins qu’un sondage ne constitue pas plus une mobilisation qu’une élection. Si le sondage d’IDN vient conforter celui initié par le Mouvement de la Paix2, en mars 2012, il ne suffira pas en lui-même à lever la chape de plomb qui empêche tout débat public sur ce sujet primordial. Il vient cependant confirmer que malgré cette interdiction de débat, le bon sens amène les français à soutenir très majoritairement le processus en cours à l’ONU. Cette nouvelle extrêmement importante doit donner des ailes à tous ceux qui agissent pour prémunir les générations futures du fléau de la guerre. Il est temps d’en finir avec l’arme atomique qui menace les êtres humains et la planète depuis plus de 70 ans. Cet objectif utopiste est enfin à portée de lutte, dès 2017. Pierre Villard 1
Initiatives pour le désarmement nucléaire est présidée par
l’ancien ministre de la Défense socialiste Paul Quilès. 2
En partenariat avec Planète Paix, l’Humanité et Témoignage
chrétien. Voir Planète Paix n°571 avril 2012.
ACTUALITÉ Ziad Medoukh
Tournée européenne De Gaza-la-vie Nombreux sont ceux qui ont entendu ce prénom de Ziad sans pouvoir le rencontrer, sauf en Palestine. Mais Ziad est prolixe de donner des nouvelles de la situation à Gaza, et de sa propre situation, par ses courriels à la fois explicatifs et pleins de la volonté de son peuple de sortir de la condition qui lui est faite.
Z
iad Medoukh est le responsable du département de français à l’Université Al-Aqsa de Gaza en Palestine. Il aura fallu 4 ans pour qu’il puisse avoir un visa de sortie pour venir en Europe et répondre à ses nombreuses invitations pour une tournée de conférences. Ce qui aura sans doute été déterminant est qu’il est le lauréat du concours international de poésie organisé par l’Académie européenne des Sciences, des Arts et des Lettres EuroPoésie. Il est arrivé le matin même de la remise du prix, après 72 heures d’un voyage exténuant. Nous n’avons connu son arrivée que 3 jours auparavant. Car cet artisan infatigable de la paix est aussi un poète reconnu : ce prix lui a été remis le 22 novembre 2016 à la mairie du 9ème arrondissement de Paris. Il a fait l’objet d’une manifestation spontanée d’amitié de la part de ses amis qui étaient présents dans la salle. Un de ses poèmes a été lu par une jeune participante. Son voyage l’a amené ensuite dans de nombreuses villes où il a fait plus de 15 conférences. Une rencontre a été organisée à Malakoff le 1er décembre. Malgré les faibles délais, 40 personnes environ ont pu être présentes. Ziad a fait un tour d’horizon général de la situation de la population de Gaza qui résiste avec résolution à la pression continuelle de l’armée israélienne. Parmi les sujets abordés, celui de la campagne internationale BDS : Boycott Désinvestissement Sanctions envers Israël. C’est un débat complexe qui est loin de faire l’unanimité. Ziad a fait la remarque que dans les entreprises israéliennes faisant du
commerce à l’exportation, nombreux sont les salariés palestiniens qui perdraient leur emploi et leur salaire, faible, en accentuant la misère. Il est apparu évident qu’il était indispensable de discuter en profondeur de ce sujet avec les palestiniens comme cela avait été en son temps avec l’Afrique du Sud de l’Apartheid. Comme certains participants évoquaient les difficultés sociales et politiques, en France mais aussi dans beaucoup de pays, Ziad a invité ces interlocuteurs à venir à Gaza pour retrouver l’espoir dans la lutte et la solidarité. Yves-Jean Gallas Ziad Medoukh reçoit le prix EuroPoésie
Extraits du message de Ziad le 19 décembre à son retour à Gaza « … Le sentiment qui m’habite, c’est qu’avec ce retour, je suis plus que jamais attaché à ma ville, un attachement qui dépasse toutes les difficultés, toutes les souffrances et toutes les injustices subies par ma population sous occupation israélienne. J’existe au travers de ma résistance au quotidien, j’existe, même dans cette ville sous blocus, enfermée, isolée … Après ces trois semaines extraordinaires passées en France et en Suisse, avec des rencontres, des colloques, et des conférences universitaires, associatives et publiques très bien organisées - j’ai donné plus de 15 conférences et interventions à Grenoble, Tarare, Genève, Lausanne, Malakoff, Périgueux, le Havre, et Saint-Nazaire -, je reviens continuer le combat avec mes citoyens pour exiger la levée du blocus israélien inhumain contre la population civile de la bande de Gaza, et pour participer via l’éducation, la culture et la résistance au quotidien à la libération de la Palestine. Je remercie toutes les personnes rencontrées pour leur accueil très chaleureux. Je suis rentré à Gaza rassuré de cette solidarité francophone de plus en plus large et massive avec la Palestine et sa cause de justice. Amitiés de Gaza les difficultés, Gaza la souffrance, Gaza le blocus, mais Gaza la vie, Gaza l’avenir et Gaza l’espoir. » N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
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ACTUALITÉ Grenoble
Des ONG israéliennes pour les Droits de l’Homme et la paix Le 26 novembre, le Cercle Bernard Lazare de Grenoble conviait
L
es militants de la paix n’ont pas souvent l’occasion de se réjouir lorsqu’il est question du Proche-Orient, et d’Israël en particulier. La situation diplomatiquement bloquée, la politique brutale d’expansion territoriale menée par le gouver-
militantes. Elles font partie d’un ensemble bien plus vaste, le Forum des ONG israéliennes pour la Paix, qui regroupe, paraît-il, plus de 150 organisations et se fixent pour but de mettre un terme à la domination sans partage d’Israël sur le peuple palestinien et de construire une paix qui
nement israélien, le mépris ostensible du droit international, la multiplication des colonies, la relégation de la population palestinienne dans des réserves sont autant de facteurs qui justifient leur pessimisme ordinaire. La rencontre avec des organisations israéliennes, voire israélo-palestiennes, s’investissant pour les droits de l’Homme et la paix, chacune à sa façon, chacune avec son histoire, qui s’est tenue à Grenoble le samedi 26 novembre, apporte néanmoins quelque lueur dans ce paysage bien sombre. Cette belle initiative, due au Cercle Bernard Lazare, et activement relayée par le Comité de l’Isère du Mouvement de la Paix, a rassemblé 8 organisations
garantit la sécurité, la liberté, la justice, la dignité pour tous, et, plus simplement, d’instaurer un bon voisinage, une meilleure connaissance réciproque des deux nations jusqu’ici ennemies. Elles agissent dans les deux directions, en exerçant une pression citoyenne sur les responsables politiques israéliens d’une part, en apportant un soutien logistique, juridique, médical, scolaire, etc… aux populations palestiniennes d’autre part. Sans compter un patient travail d’explication auprès de la population israélienne, peu informée (et pas toujours désireuse de l’être). Toutes ont souligné la très grande difficulté de leur tâche, dans un environnement politique
8 personnalités israéliennes engagées dans le Forum des ONG israéliennes pour la Paix. L’occasion d’une vision inhabituelle du conflit du Proche-Orient, notamment du point de vue de la société civile israélienne.
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N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
souvent hostile, qui les oblige à s’affronter aux colons extrémistes, aux religieux obtus, aux politiques bornés, dont elles ont dénoncé le tragique manque de vision politique pour l’avenir du pays. Au demeurant, les organisations représentées aux rencontres de Grenoble ne se connaissent guère entre elles sur place, et ont quelquefois fait utilement connaissance les unes des autres dans nos Alpes. On peut ainsi citer : Givat Haviva : la plus ancienne (fondée en 1949, quasiment à la naissance d’Israël, à l’initiative de kiboutzim laïques). Elle se fixe pour objectif de contribuer au dialogue intercommunautaire, autour de partenariats entre municipalités, d’actions publiques et culturelles et, surtout, de l’éducation. Elle se vante ainsi d’offrir le meilleur enseignement de l’arabe de la région… Shalom Akhshaw (La Paix Maintenant) : le plus ancien des mouvements proprement pacifistes. Il œuvre pour une solution politique et négociée au conflit israélo-palestinien, sur la base de « Deux peuples, deux états » et défend des valeurs démocratiques pour Israël. Shalom Akhshaw a mis en place un « Observatoire des colonies » collectant toutes les données possibles. Women Wage Peace (Femmes pour la Paix) : Le mouvement le plus récent. Il rassemble déjà 20.000 femmes (et même quelques hommes !) arabes autant que
juives, qui entendent dialoguer par delà leurs divergences et imposer une solution politique. Leurs mots-clés : la vie et l’espoir. Association for Civil Rights in Israel (ACRI), créée en 1972:. Elle entreprend un travail essentiellement juridique dans les territoires occupés, défendant les droits civiques des Palestiniens face à la justice et à l’armée d’Israël et n’hésitant pas à dénoncer les violations du droit auprès des instances juridiques et de l’opinion publique. Hotline for Refugees and Migrants : C’est la principale association de défense des droits des réfugiés, travailleurs immigrés et victimes des trafics humains. Veut faire d’Israël un état de droit, notamment auprès des personnes les plus vulnérables. B’Tselem (ou Centre d’Information Israélien pour les Droits Humains et les Territoires Occupés), peut-être la plus connue de toutes. Rassemblant des personnalités de premier plan (par exemple, les écrivains Amos Oz et David Grossman), l’association entend dénoncer toutes les atteintes au droit, aussi bien en Israël que dans les territoires occupés, lutter contre le désintérêt de l’opinion publique israélienne quant au sort réservé à la population palestinienne, promouvoir une culture du respect des droits de l’Homme. Médecins pour les Droits Humains (PHRIsraël) : Fondée en 1988, et regroupant près de 2000 médecins et personnels de santé, elle
s’occupe, bien sûr, d’apporter des soins médicaux aux populations palestiniennes, souvent abandonnées, mais pas seulement. Elle dénonce aussi l’occupation militaire comme une violation des droits humains, voire du droit international. Sa réalisation la plus emblématique est la « Clinique mobile », composée de médecins autant arabes que juifs, tous bénévoles, qui soignent les habitants de Cisjordanie, surtout dans les villages, car les plus délaissés. Ils assurent également une tâche de formation des personnels locaux. Tous les intervenants israéliens ou israélo-palestiniens ont, ensemble, entrouvert une porte sur la possibilité d’un destin commun pour les deux peuples de cette région. Avec cette conviction que le respect du droit et de la dignité des personnes et du peuple palestinien tout entier est la clé d’un avenir de paix, donc de sécurité pour tous. Mais, si toutes ces associations ont, en conclusion, été vivement encouragées par le public français à poursuivre leurs efforts, elles ont aussi été exhortées à rassembler leurs énergies, à se fédérer pour une plus grande efficacité opérationnelle, une plus grande lisibilité politique. Une lumière dans l’obscurité, en somme.
Jean-Paul Vienne
Elles marchent pour la Paix Le collectif Women Wage Peace réunit des femmes musulmanes, juives, chrétiennes et athées d’Israël, de Palestine et d’ailleurs. Ce mouvement est né en 2014 après une offensive particulièrement meurtrière lancée par gouvernement israélien contre la bande de Gaza. Face à l’horreur, les «mères» des peuples décimés par ce conflit ont choisi de mener leur propre combat pour que l’amour remplace les bombes et les balles. Apolitique, le collectif manifeste régulièrement pour appeler à la paix et la tolérance. Pour faire entendre leur beau message, ces femmes unies par le désir de voir la guerre et les souffrances qu’elle engendre disparaître au profit de la tolérance, ont organisé ces derniers mois des marches «de l’espoir» auxquelles elles étaient à chaque fois des centaines, voire des milliers à participer. Toutes vêtues de blancs, elles se tiennent la main et avancent pacifiquement, parfois en chantant, parfois en priant. La dernière en date a eu lieu ce 21 décembre pour exhorter les gouvernements d’Israël, de Palestine et de Cisjordanie de trouver un accord et de mettre fin à un conflit qui a déjà fait près de 10 000 victimes depuis 2000 et déchire ces pays depuis des décennies. Une magnifique initiative pour la paix qui n’a cependant pas bouleversé les dirigeants concernés autant que la Toile où le collectif a été vivement applaudi. Deux jours après, le Conseil de sécurité des Nations unies adoptait une résolution condamnant la colonisation par l’État d’Israël des territoires palestiniens, dont Jérusalem-Est, mettant «gravement en danger la viabilité de la solution à deux États».
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Au jour le jour Israël : l’ONU adopte une résolution réclamant l’arrêt de la colonisation dans les Territoires palestiniens
Vendredi 23 décembre, pour la première fois depuis 1979, le Conseil de sécurité a demandé à Israël de cesser les implantations dans les territoires palestiniens et à Jérusalem-Est, dans une résolution rendue possible par la décision des États-Unis de ne pas utiliser leur droit de veto. Les États-Unis se sont abstenus alors qu’ils avaient toujours soutenu Israël jusqu’ici sur ce dossier extrêmement sensible. Les 14 autres membres du Conseil ont voté en faveur de ce texte initialement proposé par l’Egypte. M. Trump avait appelé à imposer un veto comme Washington l’avait toujours pratiqué. Face à ce camouflet, le Chef du gouvernement israélien a annoncé qu’il ne se conformera pas à la résolution.
Solidarité : des militants lancent une marche civile de Berlin jusqu’à Alep
Le lundi 26 décembre, un groupe de militants a quitté Berlin et va marcher, pendant plusieurs mois, en direction d’Alep en Syrie. Ils sont une centaine de citoyens européens à avoir 10
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organisé cette marche civile qui suivra la route des migrants dans le sens inverse. Cette initiative, lancée par la journaliste polonaise Anna Alboth et son conjoint photographe rassemble des personnes de différentes nationalités et de différentes religions. Ils se sont déjà impliqués ( manifestations, envoi d’argent pour des organisations humanitaires, pétitions aux dirigeants politiques) mais face au sentiment d’ impuissance, ils se mettent en marche considérant que les citoyens ordinaires peuvent avoir un impact s’ils agissent ensemble. Tous les « citoyens ordinaires » sont invités à les rejoindre le long du parcours pour faire preuve de solidarité avec le peuple syrien.
La résolution L41 de l’ONU : un processus pour interdire les armes nucléaires!
Malgré la très forte opposition des puissances nucléaires, plus de 75% des États (123) ont décidé de lancer en 2017 un processus pour interdire les armes nucléaires. Cette décision historique annonce la fin de 20 années de paralysie dans les efforts multilatéraux de désarmement nucléaire. Cette résolution doit faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire par la mise en place à l’ONU à partir de Mars 2017 d’une conférence pour négocier un « instrument juridiquement contraignant pour interdire les armes nucléaires » afin de conduire à leur élimination totale.
Cette décision intervient après l’adoption par le Parlement européen de sa propre résolution 415 voix en faveur et 124 contre, avec 74 abstentions -invitant les États membres de l’Union européenne à « participer de façon constructive » dans les négociations de l’année prochaine.
Traversée de la Méditerranée : en moyenne, 14 personnes sont mortes chaque jour en 2016
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a annoncé le 23 décembre qu’une centaine de personnes auraient trouvé la mort par noyade la veille en mer Méditerranée. Ces toutes dernières tragédies portent le nombre de victimes en Méditerranée en 2016 à plus de 5000. « C’est le pire bilan jamais observé pour une année », a déclaré le porte-parole du HCR, William Spindler lors d’un point de presse à Genève. « Cette situation rappelle aux États le besoin urgent d’accroître les voies d’admission des réfugiés », a déclaré M. Spindler soulignant que la réinstallation, le parrainage privé, le regroupement familial et les programmes de bourses d’études, entre autres permettraient que les individus n’aient pas recours à des traversées périlleuses et à des passeurs.
Le projet ‘‘Équations’’ Nomade « Équations Nomades » est un projet basé sur la rencontre d’artistes français et maliens qui
repose sur la mise en place d’ateliers de formation et d’initiation des enfants dans les domaines
de la musique, de la danse, du théâtre et de la photographie. Il y est également présenté des conférences, Master Class et spectacles début janvier 2017 à la Cité des Enfants, à l’IFM et au Conservatoire des Arts et Métiers Multimédia Balla Fasséké Kouyaté. La première formation proposée a été animée par Reza Deghati, Le travail photographique mené par les enfants durant cette formation donne lieu à une restitution sous la forme d’une exposition à l’Institut Français du Mali. Ce lieu accueille également une exposition de deux artistes engagés dans la transmission de la paix à travers le monde, par le biais des arts-plastiques et de la calligraphie arabe : Hassan Massoudy grand calligraphe né en Irak et Alex Berlian. artiste peintre né au Liban et ayant passé son enfance à Alep.
Haïti : le fonds d’urgence de l’ONU pour le rétablissement des services éducatifs Le Fonds central pour les interventions d’urgence des Nations Unies a octroyé 3,5 millions de dollars pour rétablir des services éducatifs sûrs et des activités de secours dans le sud-ouest d’Haïti, touché par l’ouragan Matthew. L’UNICEF a identifié 1.633 écoles ayant besoin de réparations, affectant environ 190.000 enfants. Lors de l’ouragan, les écoles ont servi d’abris temporaires pour les personnes évacuées.
DOSSIER
• Opinion
Les inquiétantes incertitudes • PEACE ACTION
Le changement pourrait être dans la continuité
USA : Entre inquiétude et incertitude
• Désarmement nucléaire
Sombre perspective
Le 20 janvier, les États-Unis investiront leur nouveau président Donald Trump. Une telle personnalité paraît anachronique, vu de ce côté si de l’Atlantique. Quelle incidence pour la planète ? Que fera réellement ce nouveau président ? Faut-il se réjouir ou s’inquiéter de cette situation ? Pour tenter d’y voir plus clair, Planète Paix a souhaité donner la parole à des citoyens des États-Unis engagés de longues dates dans les luttes pour la paix. Ils sont partenaires du Mouvement de la Paix en France. Joseph Gerson est directeur de l’American Friends Services Committee et viceprésident du Bureau international de la Paix. Kevin Martin est directeur de Peace Action. Jackie Cabasso est présidente de Western States Légal Foundation. Traductions réalisées par Pierre Villard. Les textes originaux peuvent vous être transmis sur demande. N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
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DOSSIER
U S A : en t re i n q i ué
Opinion
Les inquiétantes incertitudes
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le 9 novembre 2016.
our l’éditorialiste du journal allemand Der Spiegel « avec l’élection de Donald Trump, les États-Unis ont renoncé à leur rôle de leader du monde démocratique occidental ». Charles Blow, du New York Times, le dit autrement : nous pouvons être « au premier stade d’un basculement historique, lorsque la République glisse vers quelque chose de méconnu et négatif sans s’en rendre compte, accumulant des jugements anodins alors qu’elle est au bord du gouffre, remettant gravement en cause ce qui nous est le plus cher et que nous pensions ne jamais voir disparaître ». Comme nous l’avions anticipé, des forces, qui se sont sentis libérées par la campagne électorale de Trump, ont mené des attaques physiques et des menaces contre des personnes de couleur, des immigrés et des musulmans. Beaucoup d’écoliers et leurs parents vivent dans la peur des expulsions, des attaques, des humiliations quotidiennes et des droits humains perdus.
Le New Deal1 initié
Les réactionnaires au pouvoir
Joseph Gerson
Il semble qu’aux USA on se soit réveillé dans un nouveau pays
par le président Roosevelt il y a un siècle n’est plus qu’un souvenir. Les états-uniens devront agir avec vigueur pour maintenir ce qu’ils pourront des avancées du XXème siècle et rétablir la démocratie. EN SAVOIR PLUS • www.afsc.org 12
N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
Les premières nominations de Trump envoient le message que son thème de campagne blanche, misogyne, islamophobe, anti-immigrée, militariste et autoritaire reflète bien la vision limitée et destructrice de cet homme. La nomination du président du Parti Républicain Reince Priebus comme chef d’état-major, et la nouvelle alliance de Trump avec le président de la Chambre Paul Ryan, tous deux républicains de droite traditionnelle, révèlent les efforts du nouveau président pour ressouder le parti républicain. Mais on retrouve également au centre du pouvoir Steve Brannon, le second personnage le plus influent à Washington, l’inquiétant général Michael Flynn comme conseiller à la sécurité nationale et le représentant du Ku Klux Klan, le sénateur Jeff Sessions, comme procureur général. Brannon, dernier chef de campagne de Trump, était autrefois président de Breitbart News, un puissant vecteur de la haine et de la pensée néo-fasciste. Flynn a été renvoyé de son poste de chef de l’Agence de la Défense pour ses « faiblesses en tant que directeur et penseur stratégique », dont l’approche de la vérité et la véracité des informations étaient au mieux limitées. Flynn développe une crainte irrationnelle des musulmans conduisant à une phase d’obsessions militaires des États-Unis au Moyen-Orient. Il a été le premier adversaire de la réforme de l’immigration au Sénat et nous risquons d’assister à des expulsions massives d’immigrants.
Solidarité outre-Atlantique Tout ce que les gens en France pourront faire pour arrêter la montée des droites extrêmes de Fillon ou Le Pen nous sera utile aux États-Unis. Aussi, nous apprécions le message de la chancelière Merkel à Trump : « Démocratie, liberté, respect du droit et de la dignité humaine, quelles que soient leur ascendance, leur couleur de peau, leur religion, leur sexe, leur orientation sexuelle ou leur orientation politique ; sur la base de ces valeurs, j’offre au futur président des États-Unis d’Amérique, Donald Trump, une étroite coopération ». On y retrouve le même esprit que la critique du Premier ministre suédois Olaf Palme à l’égard de la guerre américaine au Vietnam. La réaffirmation des valeurs démocratiques et du bon sens de l’Europe renforcera la résistance ici.
Une politique étrangère incertaine Nous ne savons pas encore exactement à quoi s’attendre sur les fronts des politiques étrangères et militaires. C’est devenu un peu plus clair depuis que Trump a nommé son secrétaire d’État à la Défense. Promoteur immobilier et star de télévision, Trump n’a aucune expérience de politique étrangère ou militaire. Lors d’un débat des primaires républicaines, il ne savait même pas ce que signifie la triade nucléaire2. Son petit cercle de conseillers en politique étrangère vient de l’extrême droite. Le courant dominant du Parti républicain, le Pentagone et « la sécurité nationale » peuvent ainsi limiter la portée des engagements encourageants de Trump vis-à-vis de Poutine. Beaucoup de républicains de haut rang, qui se sont opposés publiquement à la campagne de Trump, refusent maintenant de s’engager sur ce qu’ils considèrent comme des dangers sur lesquels il est susceptible de travailler. L’ancien candidat à la présidence républicaine Mitt Romney, qui a présenté Trump comme une menace pour notre système politique pendant les primaires, espère maintenant devenir son secrétaire d’État. Tout comme le secrétaire d’État Rogers pendant l’ère Nixon-Kissinger, Romney servira probablement de vitrine pour atténuer l’axe autoritaire et militariste de Trump-Flynn. On trouve en compétition avec Romney pour ce poste, le raciste et militariste Rudy Giuliani tenant d’une ligne dure. Lors d’un débat présidentiel, Donald Trump a dit qu’il allait rappeler les principaux généraux. Pourtant, au lieu d’honorer cette tradition de contrôle
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Les militants de American Friends Service Committee lors d’une manifestation de soutien aux immigrants et réfugiés
civil de l’armée, le principal candidat pour le secrétariat d’état à la Défense est le général Mad Dog Mattis, un homme qui a reconnu qu’il aimait tuer des gens.
Quelles relations avec la Russie ? Avec des relations américano-russes décrites comme les pires qu’elles aient été depuis que les forces nucléaires des États-Unis ont été placées en alerte nucléaire en 1973, il est clair qu’il est nécessaire de rapprocher les deux superpuissances. Mais il n’y a pas de consensus au sein du Parti républicain. ‘‘Donald’’ a exprimé à plusieurs reprises son admiration pour ‘‘Vladimir’’. Il a critiqué l’OTAN sur la valeur et les coûts financiers de l’alliance. Son ancien directeur de campagne Paul Manafort a été forcé de démissionner quand il a été révélé qu’il avait reçu des versements secrets de la République de Donestk en Ukraine, contrôlée par les russes. Tout cela semblerait indiquer une nouvelle ère de détente entre la Russie et les USA, et peut-être de nouvelles négociations sur le contrôle des armements. Cependant, le complexe militaro-industriel et les Républicains du Congrès tenteront de limiter ce que Trump peut faire avec la Russie. Dans ces cercles, il y a plus qu’une petite inquiétude au sujet des interventions russes dans l’élection présidentielle et de la confession d’un haut dignitaire du Kremlin de contacts avec les responsables de son équipe de campagne qui a triomphé.
Déchirer l’accord avec l’Iran ? Au Moyen-Orient, Trump et les républicains du Congrès semblent renoncer à leur menace de déchirer l’accord nucléaire avec l’Iran. Il est de plus en plus reconnu que, étant donné le soutien de l’accord conclu par l’Europe, la Rus-
sie, la Chine et les États-Unis, son abrogation serait autodestructrice. Optant pour un temps plus long, les opposants utiliseront toutes les violations iraniennes de l’accord comme autant d’occasions de faire valoir qu’il est devenu nul et non avenu. Trump va modifier la politique cherchant le renversement du gouvernement d’Assad en Syrie et, avec l’encouragement du général Flynn, intensifiera la guerre contre ISIS3 probablement avec des forces terrestres traditionnelles et non des forces spéciales. Cela se fera sans intervenir sur les causes sousjacentes qui ont permis sa naissance, comme celle d’Al-Qaïda ou d’autres forces de ce type. Il semble également probable que Trump annule cinquante ans de politique américaine en reconnaissant Jérusalem comme capitale d’Israël et accorde la légitimité des colonies israéliennes sur les terres conquises en 1967.
Quoi de neuf en Asie ? Tandis que les tensions avec la Russie peuvent être réduites, ce ne sera pas le cas avec la Chine. Trump s’est engagé à augmenter les droits de douanes et à sanctionner la Chine comme manipulatrice de devises. Dans le pire des cas, cela pourrait conduire à une guerre commerciale désastreuse. De plus, la Chine est bien placée pour tirer profit des négociations du Partenariat Trans-Pacifique et de la prise de distance avec les USA du président philippin Dueterte. En réponse à cette réduction de l’influence en Asie et dans le Pacifique, Trump ferait monter les tensions militaires avec la Chine afin de préserver son influence sur l’Asie de l’Est. Revenant sur ses menaces de campagne de réduire les engagements militaires des USA au Japon et en Corée du Sud, Trump a réaffirmé ses engagements à ces alliances, depuis son élection. Il a envoyé des signaux mitigés à la Corée du Nord.
S’il est ouvert à la rencontre avec Kim Jung-un, il continue de considérer comme « fous » les dirigeants nord-coréens et d’affirmer que c’est à la Chine de résoudre « le problème ».
Intensifier la lutte pour la paix Les bonnes nouvelles sont cependant que des gens très divers expriment déjà leur refus de la politique annoncée. Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes du pays. Les acteurs de Broadway ont défié le vice-président Elect Pence avec l’expression publique de leurs craintes et de l’espoir qu’il protégera le pluralisme et la démocratie, éléments si essentiels de la vie et des valeurs américaines. De nombreux immigrants sans papiers affirment : « Nous allons rester ». L’ACLU4 et d’autres organisations engagées dans la démocratie se préparent à relever de grands défis juridiques. Une marche d’un million de femmes est organisée pour la Journée d’Investiture à Washington le 20 janvier 2017. Les dirigeants du mouvement pacifiste sont clairs. Notre première priorité doit être de faire tout ce que nous pouvons pour soutenir et protéger ceux qui sont les plus vulnérables. Et nous nous préparons à une longue lutte pour contrecarrer l’intensification du militarisme américain, défendre et rétablir les droits de l’homme, la justice sociale et économique, un environnement durable et la paix. Joseph Gerson 1
La République libérale et démocratique issue du nou-
veau contrat initié par le président Roosevelt. 2
Composantes : aérienne, maritime et terrestre.
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Islamic State of Irak and Syria : acronyme anglais de
DAECH. 4
American Civil Liberties Union : Union américaine des
libertés civiles. N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
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DOSSIER
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PEACE ACTION
Le changement pourrait être dans la continuité
P Kevin Martin est directeur de Peace Action, la principale association pacifiste des États-Unis présente dans la plupart des États. Il répond aux questions de Planète Paix.
lanète Paix : Quelles étaient les grandes différences entre les candidats sur les questions internationales ?
Kevin Martin : Comme c’est souvent le cas, la politique étrangère n’a pas été un grand thème de la campagne. Donald J.Trump a eu des propos intéressants concernant l’amélioration des relations avec la Russie, critiquant l’OTAN et les guerres de changement de régime au Moyen-Orient. Hilary Clinton et certains de ses conseillers n’étaient pas toujours cohérents ; ils alimentaient les craintes du renforcement de la présence militaire américaine en Syrie.
PP : Devrait-on s’attendre à d’importants changements dans l’engagement des États-Unis sur la scène internationale ? KM : C’est très difficile à prévoir bien que les généraux et les milliardaires que le nouveau président sélectionne pour son Cabinet soient très troublants. S’il poursuit de meilleures relations avec la Russie et une approche plus directe avec le MoyenOrient, cela pourrait être bienvenu, mais les sceptiques sont nombreux. A l’arrivée, il peut bien finir par être plus dans la continuité que dans le changement. Il y aura beaucoup de controverses autour des questions intérieures, ce qui pourrait conduire à une plus grande continuité de la politique étrangère. Il peut aussi créer une crise étrangère qui détourne l’attention des questions intérieures, du moins temporairement.
PP : En France, Trump est plutôt considéré comme un nationaliste isolationniste. Est-ce une bonne opinion ? KM : C’est probablement la réalité. Certaines des personnes qu’il nomme sont des brigands militaristes, interventionnistes. Il y a la réelle préoccupation que nous pourrions avoir à faire face au fascisme.
PP : Trump envisage-t-il la ratification du TICE ? Pensez-vous qu’il sera en mesure de soutenir le traité d’interdiction des armes nucléaires ?
EN SAVOIR PLUS • www.peace-action.org/ 14
N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
KM : Non. Je ne vois pas cela comme réaliste dans le contexte politique américain, ni comme priorités de son équipe de politique étrangère.
PP : Comment Trump considère-t-il l’avenir des bases américaines en Europe ? KM : Il n’a pas été très clair sur cette question bien qu’il ait fait quelques déclarations positives très générales à cet égard. Cela pourrait être un choix en termes d’économies à réaliser.
PP : Quelle place donne-t-il à l’OTAN ? KM : Trump n’apportera pas de grands changements aux liens entre l’OTAN et les États-Unis, malgré ses critiques à l’égard de l’alliance et de ses relations avec la Russie. Celles ci peuvent également ne pas autant changer, malgré la relation supposée positive de Trump avec Poutine. Rex Tillerson, nommé secrétaire d’État semble vouloir améliorer les liens avec la Russie, bien que la plupart des personnes qu’il nomme soient des faucons militaristes.
PP : En conclusion, l’élection de Donald Trump est-elle une chance pour la paix ? KM : La plupart des militants pour la paix aux États-Unis sont très préoccupés, même si nous n’avons pas soutenu Hilary Clinton. Nous devrons pousser fortement la nouvelle administration Trump sur les questions de paix, mais aussi sur des questions intérieures comme le racisme, le sexisme, l’islamophobie, la politique anti-immigrants et bien sûr ne pas accepter les coupes financières dans les programmes sociaux et environnementaux. Bien que Trump et ses coéquipiers soient très dangereux, je crois qu’il y a un terrain fertile pour rassembler une majorité progressiste et pro-pacifique afin d’empêcher Trump de détruire le pays. L’accent peut être mis sur les opportunités locales, plutôt que nationales, pour construire une société plus juste. Propos recueillis par Pierre Villard
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Désarmement nucléaire
Sombre perspective
D
Unis. Elle y dirige
ans son discours d’adieu à la nation en 1961, le président américain Dwight Eisenhower avait averti : « Dans les conseils de gouvernement que je peux vous donner, prémunissez-vous d’une influence injustifiée du complexe militaro-industriel. » Avec Donald J. Trump, c’est à la perspective d’un cabinet présidentiel militaro-industriel que nous sommes confrontés. Durant la campagne électorale, les indications du candidat étaient claires sur des dangers imminents concernant les libertés civiles et les droits humains des populations les plus vulnérables aux États-Unis, ainsi que les graves menaces au sujet de l’environnement. Les objectifs de la politique étrangère de Trump étaient restés flous et contradictoires. Maintenant qu’il s’entoure d’ex-généraux intransigeants, et de chefs d’entreprise milliardaires - comme le choix du directeur général d’Exxon Mobil au poste de secrétaire d’État - il y a lieu de s’inquiéter.
la Western States
La spirale atomique
Jackie Cabasso est une activiste de l’ouest des États-
Legal Foundation. Impliqué notamment dans
Pendant la campagne, la profonde ignorance de Trump au sujet des armes nucléaires était visible. Que fera-t-il une fois au pouvoir ? Car malgré des conditions géopolitiques radicalement changeantes, la politique de sécurité des États-Unis a été remarquablement cohérente après la Seconde Guerre mondiale
être un moyen de dissuasion efficace ». Les dangers de guerres entre les États dotés d’armes nucléaires se sont accrus. Les tensions entre les États-Unis et la Russie ont atteint des niveaux inédits depuis la guerre froide. Les deux géants nucléaires se confrontent en Ukraine et en Europe de l’Est. En Syrie, les États-Unis, la Russie et la France bombardent à la fois côte à côte et séparément. S’ajoutant aux conflits entre les puissances nucléaires, les ÉtatsUnis font face à la Chine dans les mers où d’autres nations asiatiques contestent les revendications territoriales chinoises. Un incident militaire accidentel ou intentionnel pourrait entrainer le monde dans une désastreuse confrontation nucléaire.
Méconnaissance géopolitique Alors que Trump s’est bruyamment exprimé sur l’amélioration des relations avec la Russie, son intention déclarée de déchirer l’accord nucléaire avec l’Iran démontre son ignorance des relations internationales. Il oublie qu’il s’agit d’un accord multilatéral, voire que la Russie et l’Iran sont des alliés.Concernant la Chine, il a proféré des accusations outrageusement provocantes : « la Chine viole notre pays » avec les déficits commerciaux. Il est allé jusqu’à dire qu’il ne maintiendrait pas nécessairement la politique des États-Unis d’une seule Chine. Manifestation dénonçant les essais nucléaires des États-Unis depuis 1945, devant le Site de test du Névada
Abolition 2000 et United for Peace and Justice, elle développe les liens entre les mouvements abolitionnistes et ceux des droits humains.
EN SAVOIR PLUS • www.wslfweb.org/
et après la guerre froide. La menace de l’utilisation des armes nucléaires comme pierre angulaire de la politique de sécurité a été réaffirmée par chaque président, républicain ou démocrate, depuis que le président Harry Truman, un démocrate, ordonna les bombardements atomiques d’Hiroshima et de Nagasaki en 1945. Alors que le président Obama se prépare à quitter le pouvoir, les États-Unis sont prêts à dépenser mille milliards de dollars au cours des 30 prochaines années pour moderniser à l’infini leurs arsenaux1 nucléaires. Selon le site Internet Trump transition : « D.J.Trump veillera à ce que notre triade2 nucléaire stratégique soit modernisée pour qu’elle continue à
Là encore, il semble faire comme si la Russie et la Chine n’étaient pas des alliés.Les récentes informations et contre-informations indiquant que la Russie aurait piraté les élections des États-Unis pour aider Trump à en être victorieux confirment que les eaux entourant le nouveau président des États Unis ne sont pas si limpides. C’est la réalité géopolitique avec laquelle le président élu Trump devra agir. Jackie Cabasso 1
Ogives, sous-marins, missiles et bombardiers.
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On entend par triade la référence aux trois composantes :
aérienne, maritime et terrestre. N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
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On peut agir sur les causes des guerres et des violences… … surtout si on les connaît
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MONDIALISER LA PAIX MOYEN-ORIENT
Syrie, Irak, Yemen : l’urgence de la paix Le martyr des populations civiles doit cesser. L’urgence est dans la mise en œuvre de négociations internationales pour une solution politique et diplomatique conduite sous l’égide des Nations Unies.
L
a bataille d’Alep a confirmé une fois de plus l’atrocité de la guerre et en particulier des guerres modernes qui tuent avant tout des
cessez-le-feu. Cette déclaration appelle « à lancer un processus politique dirigé par les
civils. Une des premières victimes aura été la vérité. Ainsi pour ne prendre qu’un exemple, le 12 décembre sur les réseaux sociaux l’information a circulé que l’armée syrienne avait investi l’hôpital Al Hayat en tuant malades et personnels soignants, pour apprendre au milieu d’un article page 14 du Figaro du Mercredi 14 Décembre qu’il s’agissait d’une fausse nouvelle puisque l’hôpital avait été évacué.
Nous ne partons pas de rien Le carnage doit cesser tant en Syrie, qu’en Irak et au Yémen écrasé sous le tapis des bombes saoudiennes dans l’indifférence quasi générale. Après la bataille d’Alep l’urgence est dans la mise en œuvre de négociations internationales pour une solution politique et diplomatique conduite sous l’égide des Nations Unies dans le respect de la Charte des Nations Unies et du droit international. Nous ne partons pas de rien puisque le conseil de sécurité des Nations Unies a déjà établi un plan accepté par tous ses membres en 2015 pour une transition politique en Syrie contrôlée et décidée par les Syriens eux-mêmes. Ainsi la déclaration présidentielle du Conseil de sécurité sur la situation politique en Syrie en date du 17 août 2015 reprend les termes des accords de Genève de 2012 et prévoit des négociations impliquant tous les acteurs concernés, y compris la Russie et des représentants du régime de Bachar Al Assad afin de conduire à une transition démocratique pour la Syrie, et à un
Syriens en vue d’une transition politique qui réponde aux aspirations légitimes du peuple syrien et lui permette de décider en toute indépendance et de manière démocratique de son propre avenir, y compris en mettant en place une autorité transitoire sans exclusive et dotée des pleins pouvoirs exécutifs, formée sur la base du consentement mutuel et assurant la continuité des institutions de l’État ».
Solidarité et responsabilité La nécessaire solidarité avec toutes les victimes ne doit cependant pas conduire à passer sous silence la responsabilité de ceux qui ont armé Daesh, directement ou indirectement, ni de ceux qui ont contribué par leurs guerres à mettre le Moyen-Orient à feu et à sang et sont responsables du chaos que connaît cette région. A cet égard les Usa à travers l’invasion de l’Irak en 2003, avec la coalition codirigée avec la Grande Bretagne en violation du Droit international, ont une responsabilité écrasante dans ce chaos. La France, a également sa part de responsabilité, à travers la guerre en Li-
bye conduite dans le non- respect du mandat de l’ONU mais aussi par ses ventes d’armes à l’Arabie Saoudite et au Qatar et une mansuétude inacceptable pour les terroristes islamistes d’Al Nostra dont L. Fabius1 vantait « le bon travail » fait sur le terrain Aussi nous sommes en droit d’attendre de ces États qu’ils s’engagent dans la mise en œuvre d’une solution politique fondée sur l’isolement et le démantèlement de Daesh (en particulier en le privant des aides financières et militaires dont il bénéficie), une transition démocratique pour la Syrie, la préservation et la consolidation des États de la région, le respect des droits légitimes des kurdes et des minorités, l’arrêt immédiat des bombardements du Yemen. Les intérêts géostratégiques divergents des États intervenant dans cette région directement ou indirectement, (y inclus pour le tracé des oléoducs) ne peuvent exonérer les Nations Unies et en particulier le Conseil de Sécurité de mettre en œuvre les solutions politiques cidessus mentionnées. Enfin la reconnaissance de l’État de Palestine serait un élément positif supplémentaire pour un processus de paix global au proche et au moyen orient porté par une conférence internationale dédiée. Ce sont autant d’éléments qui contribueraient aussi à accroitre la sécurité sur le territoire français. Roland Nivet 1
Ministre des affaires étrangères du 16 mai 2012 au
11 février 2016.
EN SAVOIR PLUS • www.un.org/fr/documents/view_ doc.asp?symbol=S/PRST/2015/15 N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
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MONDIALISER LA PAIX Syrie
Une paix impossible ? Entre 250 000 à 500 000 syriens ont perdu la vie en plus de 5 ans de conflit sanglant opposant les forces loyalistes du gouvernement Baathiste de Bachar EL Assad, aux « rebelles » formés par plusieurs factions, aux intérêts et buts parfois divergents. Brève analyse du contexte pour comprendre l’actualité.
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N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
L
a guerre civile syrienne prend, dans un premier temps, son origine en 2011 dans la continuité du printemps arabe. De nombreux appels à manifester pour réclamer une « démocratisation du régime » sont été lancés, sans réelle suite. Tout part d’une marche pacifiste organisée à la suite de l’arrestation de 15 adolescents. Ils ont inscrit des slogans pro printemps arabe sur les murs. Ces derniers sont emprisonnés et torturés. Parmi eux, Hamza Al Khateeb âgé de 13 ans, est mort sous la torture. En réponse aux manifestations qui ont suivi, le gouvernement Syrien de Bachar Al Assad, a répondu aux doléances démocratiques des citoyens par une répression meurtrière, faisant des centaines de morts. Des milliers d’autres furent jetés dans ses geôles. Ce sont l’absence de libertés (individuelles et collectives), les conditions économiques déplorables, qui sont le moteur de cette révolution citoyenne, devenue guerre civile. La répression sanglante n’a fait que confirmer aux syriens leur volonté d’aspirer à un État respectueux des droits de l’homme, et le printemps arabe a prouvé que contrairement aux paradigmes d’analyse traditionnellement appliqués aux pays du Sud, un « printemps des peuples » est possible dans la région MENA1.
Quels acteurs au cœur du conflit ? En 2011, des transfuges de l’armée Syrienne annoncent la formation de l’Armée Syrienne Libre2. C’est un groupe de rebelles qui ont pour mission de « renverser le gouvernement ». C’est l’acte inaugural de la guerre civile. Des groupes islamistes sont également opposés au gouvernement de Bachar. Les acteurs au cœur du conflit sont divers, ce qui ne facilite pas la compréhension de ce conflit. Partant d’une noble volonté de démocratisation et de réhabilitation de la dignité humaine, ce conflit se retrouve être instrumentalisé par de nombreuses factions pour des raisons diverses. Allant de l’envie farouche de s’emparer du pouvoir, à des tentatives de ce que certains ont appelé des guerres par « proxy », à savoir l’affrontement de nombreuses puissances de manière indirecte, en soutenant financièrement ou matériellement d’autres puissances. D’après Milad Jokar, analyste spécialiste de l’Iran et du Moyen-Orient,
d’un côté nous retrouvons la Russie, allié historique depuis la Guerre Froide, et l’Iran pour des raisons confessionnelles, qui soutiennent le régime Baathiste, et enfin la Turquie pour faire avorter les revendications nationalistes Kurdes. Contre le Régime, c’est une coalition où se distingue l’Arabie Saoudite, avec des intérêts évidents. Tantôt pour endiguer une « influence chiite iranienne » dans une région majoritairement sunnite, tantôt pour continuer une lutte commencée déjà sous le « règne » du père de l’actuel président, Hafez Al Assad, qui était considéré et démonisé par l’Arabie Saoudite, comme « un libéral et un laïque ».
La communauté internationale Face à cette escalade de violence en Syrie, la communauté internationale semble impuissante. De nombreuses résolutions ont été prises, et une pléthore de missions d’observation ont été envoyées. Malgré la réussite des négociations menées par Koffi Annan, en Avril 2012, l’impact de ces dernières est resté de courte durée. L’utilisation d’armes chimiques par Bachar contre son peuple, n’a pas été assez alarmante pour que cette communauté agisse et sorte de sa léthargie. Le Royaume-Uni ne cesse de réclamer « une réunion d’urgence », dans un climat délétère. Nous sommes face à un bel exemple d’immobilisme d’une organisation, dont le but humaniste de sauvegarde de la paix, ayant mené à sa création, se retrouve limité, sinon menacé, par des luttes d’egos, et des intérêts géopolitiques bornés. Les Américains et les Russes se renvoient tour-à-tour la responsabilité du blocage d’une résolution effective de paix. La Russie, membre plénier et permanent du Conseil de Sécurité, a fait usage à ce jour plus de 6 fois de son veto.
Chronologie : Retour sur les temps marquants de la crise syrienne
Un bilan lourd en pertes humaines Face à une telle immobilisation des instances compétentes et de la communauté internationale, le bilan de victimes de ce conflit s’en va croissant. Il est difficile de vérifier le nombre exact des victimes à cause du manque d’accès au terrain. Le Haut-commissariat pour les Droits de l’Homme, a depuis 2014, cessé de recenser les victimes. La présence d’observateurs sur le terrain est dangereuse, car ces derniers ont été menacés par l’armée syrienne au début de la guerre civile en 2012. Néanmoins des chiffres remontent des ONG présentes sur place, évaluant ainsi le nombre de morts entre 250 000 à 500 000. C’est donc un conflit qui a causé la mort de plus de 12% de la population syrienne.
Des conséquences au-delà du terrain syrien : la crise des réfugiés L’impact de la guerre ne se limite pas à la Syrie. Comparable à n’importe quel autre conflit armé, cette guerre civile a causé l’exode massif de millions de personnes, fuyant une mort certaine. La crise des réfugiés est partie intégrante du conflit. Les réponses des instances internationales doivent s’adapter et ces dernières doivent réagir pour permettre à des populations de trouver refuge. Plus de 12 millions de personnes sont concernées. Les pays du Proche-Orient (qui accueillent 95% des réfugiés), ainsi que l’Europe, font face à un « drame humain », et sont incapables de gérer des flux, par manque de moyens et parfois par manque de volonté, avec l’essor des discours de rejet et de xénophobie. Beaucoup de ces réfugiés n’ont pas survécu à leur traversée de la mer méditerranée plus de 3500 ont péri. C’est à une véritable « crise migratoire » à laquelle nous assistons, joignant ainsi d’autres conflits (Afghanistan, RCA, RDC…) en dressant le tableau d’une crise humanitaire sans précédent. Samia Meziane 1
Middle East and North Africa : littéralement, « Moyen-Orient et Afrique du Nord ».
2
ASL ou FSA en anglais.
• Mars 2011 : Premières manifestations populaires dans la ville de Daraa (Sud-ouest), suite à l’accusation de jeunes. Manifestations à Damas le 15 mars. Le 18, les forces de l’ordre ouvrent le feu à Daraa, tuant 4 personnes. • Juillet & septembre 2011 : Création de l’ASL (Armée syrienne libre) par le colonel Riyad Al Asaad. 22 brigades réparties sur tout le territoire, entre 8000 à 15000 hommes. L’ASL considérée comme modérée, n’hésite pas à s’allier avec des groupes plus radicaux. Le CNS (Conseil national Syrien) est le pendant politique de l’ASL. Son but : unifier les nombreuses forces dissidentes, pour penser l’après Assad. • Juillet 2012 : Bataille de Damas, offensive rebelle sur la capitale. • 30 avril 2013 : Engagement du chef des troupes du Hezbollah aux côtés du régime de Damas (entre 5000 à 8000 hommes). En juin 2013 ils reprennent la ville de Qousseir (chiite/ouest). • 21 août 2013 : Offensive lourde dans la banlieue de Damas, alors que des propositions de dialogue avec Bachar divisent l’opposition. • Janvier 2014 : Début de luttes intestines entre les « rebelles ». Divers groupes anti-Bachar se positionnent contre la nouvelle entité dissidente au sein d’Al Qaida : l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL). • Janvier/février 2014 : Genève II - Seconde conférence pour la paix conduite par le médiateur onusien Lakhdar Brahimi. Négociations entre l’opposition et le gouvernement syriens. Echec, suite au rejet de l’ordre du jour par le gouvernement syrien. • Été 2014 (juin) : EIIL devient EI, proclamation du «Califat» suite à des offensives victorieuses en Syrie et en Irak. En janvier, l’EIIL s’empare de villes irakiennes à majorité sunnite, Fellouja et Ramadi. En Juin, l’EIIL s’empare de Moussoul (deuxième ville d’Irak). Les prétentions d’EIIL comme « représentant des musulmans » sont largement rejetées par les groupes musulmans. • Septembre 2014 : USA et alliés étendent leurs frappes au nord-est du pays contre EI. Coalition internationale aux acteurs d’intérêts divers. • Janvier-février 2015 : Reconquête de la ville de Kobané. Les forces kurdes approchent la province de Raqaa (siège du « Califat » proclamé par l’EI). Les forces Kurdes se forment en 2012 pour défendre leur territoire (Nord de la Syrie). La moitié des combattants sont des femmes. • Mai 2015 : Les combattants de l’État Islamique s’emparent de la cité Antique de Palmyre au centre de la Syrie, et détruisent des monuments millénaires considérés par l’UNESCO comme faisant partie de l’héritage mondial de l’humanité. • Septembre 2015 : Première frappe aérienne russe sur la Syrie pour « combattre les groupes affiliés de l’État Islamique ». Pour l’opposition les russes aident Bachar en visant majoritairement les groupes rebelles. • Décembre 2015 : Suite aux attaques de Paris, la Grande-Bretagne rejoint la coalition menée par les États-Unis pour des raids contre EI. L’armée Syrienne permet aux rebelles de se retirer de la région de Homs, permettant le passage sous le giron du gouvernement de la troisième plus grande ville de Syrie, après 4 ans de combats. • Février 2016 : Accord de cessez-le-feu négocié par les États-Unis et la Russie. Échec. D’autres connaitront le même sort. • Mars 2016 : Le gouvernement syrien reprend Palmyre à EIIL. • Août 2016 : Les troupes turques entrent en Syrie, pour aider les rebelles face à EIIL et pour contrer les rebelles kurdes. • Novembre/décembre 2016 : Le gouvernement Syrien saisit plusieurs sites environnants Alep de la main des rebelles, avec l’aide Russe.
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MONDIALISER LA PAIX UNION Européenne
Le naufrage moral face à l’accueil des réfugiés
2016 marque un nouveau bilan tragique du nombre de noyés en Méditerranée. Ce sont les valeurs fondatrices de l’Union Européenne qui coulent face à sa politique dans le domaine d’accueil des réfugiés. EN SAVOIR PLUS • www.migreurop.org/IMG/pdf/ detention-migrants-eu-fr.pdf 20
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L
e durcissement des dispositifs en matière d’immigration extracommunautaire, de la part de gouvernements de l’Union Européenne, repose de plus en plus, sur la triade de refoulement, enfermement, confinement. Il va de pair avec un processus de militarisation des frontières extérieures et de criminalisation/ stigmatisation des demandeurs d’asile. Dans cette perspective, la politique des « hotspots1 » promue par la Commission européenne a progressivement été mise en œuvre à partir de février 2016. L’ouverture de camps d’identification et de ‘tri’ sur les îles grecques et en Italie, avait un double objectif : d’un côté, augmenter, ne serait-ce que de manière expéditive et arbitraire, le taux de retour vers des pays voisins des migrants arrivant en tant que demandeurs d’asile sur les territoires de l’UE. D’un autre côté, il s’agissait de « relocaliser », autrement dit, de répartir dans différents États membres de l’UE, certains des demandeurs d’asile arrivés en Grèce et en Italie.
Le leurre des hotspots Cette procédure, s’est révélée un leurre, destiné à masquer la logique ‘concentrationnaire’ des « hotspots ». A la fin du mois de septembre 2016, seules 5 600 personnes - soit moins de 5% du nombre initialement « prévu » (120 000) - avaient
été « relocalisées ». À la même date, plus de 13 000 personnes étaient bloquées sur les îles grecques de la mer Egée, comme résultat de l’entrée en vigueur du traité avec la Turquie, interdisant à l’État grec de les transporter vers la partie continentale du pays, avant que leur demande d’asile ne soit examinée. D’après, Iverna McGowan, d’Amnesty International, les dirigeants de l’UE, souhaitent garder les réfugiés et migrants, cantonnés sur les îles grecques, loin de leur champ de vision et de leur mauvaise conscience. Par ailleurs, des dizaines de milliers de personnes restent entassées dans des camps surpeuplés ou isolés, vulnérables à des attaques racistes et xénophobes, privés de leurs droits fondamentaux, tels que l’accès à des conditions de logement, de restauration, d’hygiène, dignes d’êtres humains, sans parler de leur isolation et l’absence de consultation juridique ou de soutien psychologique. De surcroît, les restrictions diverses et variées concernant leur libre circulation, à l’intérieur des camps de détention, ou d’autres structures désignées parfois de manière euphémique, comme « d’accueil », sont de plus en plus suivies d’une privatisation des services censés leur être destinés afin de les protéger ou d’assurer leur survie quotidienne.
Le business migratoire A propos de cette tendance des gouvernements européens de se dédouaner de leurs responsabilités régaliennes, en déléguant, à des degrés divers et variés, la gestion de camps/centres de réfugiés à des sociétés privées, Michael Flynn2, s’alarmait déjà en avril 2014, en affirmant que : « la gestion privatisée de ces lieux va mécaniquement mettre l’accent sur les bénéfices des entreprises, qui capitalisent sur le non-respect des droits des détenus, mais aussi des travailleurs qu’elles emploient. C’est inévitable, c’est la nature même du business »3. Sans que la violation des droits des réfugiés, ne soit l’apanage de sociétés privées, vu que des accusations concernant la brutalité d’agents d’État ont déjà été répertoriées à maintes reprises, le phénomène d’actes et de comportements violents contre les réfugiés, ainsi que l’impunité dans laquelle, il se déroule, semble s’aggraver dans un contexte pareil.
La faute des autres Un autre phénomène susceptible de porter préjudice aux conditions de vie des réfugiés, c’est l’implication d’une pléthore d’acteurs, aussi bien d’institutions étatiques, que des ONG ou d’instances internationales, dans l’organisation des lieux de séjour. Dans une telle configuration, de multiplication d’intervenants et d’éparpillement de ressources financières, la responsabilité se dilue et chacun des acteurs, a tendance à accuser ses partenaires des tergiversations ou autres complications concernant l’avancement des travaux censés améliorer les conditions de vie des réfugiés. Anette Groth, chargée des questions liées au respect des droits humains au sein du parti Die Linke, dénonce quant à elle, la dilapidation ou mauvaise distribution de ressources financières attribuées à des ONG. En visite sur un camp de réfugiés à Kavala, en Grèce, elle s’étonne qu’une ONG norvégienne organisait des cours de yoga et d’aérobics, alors qu’en même temps, les conditions alimentaires laissaient à désirer et que le camp en question, manquait d’électricité4.
Des contingences électorales Enfin, la situation des réfugiés semble être de plus en plus liée aux rythmes du calendrier électoral, au sein des différents pays de l’UE. Quand le sort des individus persécutés et traumatisés par des conflits dévastateurs dans leur pays, commence à être instrumentalisé par des hommes et femmes politiques soucieux de se faire (ré)-élire, quand le respect des droits humains, cautionnés par des traités internationaux ou européens, commence à être négocié dans la balance de calculs électoralistes, penchant plutôt vers des terrains dangereux où prospèrent les rhétoriques racistes et xénophobes, et où les principes de citoyenneté inclusive et d’État de droit sont bradés, le risque est d’éloigner encore davantage l’UE des principes humanistes constituant son socle axiologique de départ. Nicolas Pitsos 1
Littéralement « point chaud » en anglais, il représente
dans une approche européenne un lieu servant à identifier, enregistrer et prendre les empreintes digitales des migrants arrivant. 2
Responsable du projet « Global detention project ».
Cette personne n’a aucun lien avec son homonyme au sein du gouvernement de Donald Trump. 3
Lydie Arbogast (dir.), « La détention des migrants dans
l’Union Européenne : un business florissant. Soustraitance et privatisation de l’enfermement des étrangers », rapport du Migreurop, juillet 2016. 4
Annette Groth, « S’agit-il là, de l’Europe des droits
de l’Homme ? » (en grec), Efimerida ton sintakton, 8 novembre 2016.
Réfugiés
Histoires de vie au Soudan Ceux que l’on nomme communément « les réfugiés » sont d’abord des femmes et des hommes. Ils ont une vie et notamment un passé. C’est pour avoir un avenir qu’ils sont contraints de partir sur des chemins parsemés d’embûches. Afin de mieux les connaître, Planète Paix leur donne la parole. Giselle El Raheb vous donne ainsi rendez-vous avec quelques-uns d’entre eux, pendant plusieurs mois.
D
’après l’ONU, on dénombre 3 000 000 de déplacés depuis le début de la guerre civile qui a commencé il y a 3 ans au Soudan, soit en décembre 2013. Ces histoires de vie pourraient s’intituler « Traversées des enfers ». Ils sont jeunes, entre 18 et 28 ans. Certains viennent du Darfour (Soudan), d’autres ont traversé beaucoup de pays pour partir d’Afghanistan. Tous ont souffert. Seuls, sans famille. D’ailleurs, leur reste-t-il de la famille ? Souvent, ils ont vécu en direct le massacre de leurs proches. Et un jour, peut-être une nuit, ils sont arrivés en France, terre d’accueil. Alors, ils ont fini par atteindre Calais, la Jungle, comme ils disent. Le gouvernement français a décidé de tendre la main à ces nouveaux ou anciens réfugiés que leurs gouvernements respectifs pourchassent et qui, s’ils retournent dans leurs pays, les tortureront et les abattront sans aucune forme de procès comme cela a déjà été le cas pour la majorité d’entre eux. Ces réfugiés demandant l’asile politique à la France, remettent leur destin entre les décisions préfectorales et les acteurs économiques et politiques de cette terre de paix, comparée à leur pays de naissance. J’ai rencontré certains de ces réfugiés qui sont avides d’apprendre la langue française et qui sont conscients de la chance donnée par la
France à travers le Programme PILOT1. Pour comprendre ces demandeurs d’asile politique, nous devons connaître leurs raisons d’affron-
ter la mort des centaines de fois pour partir, plutôt que de se résoudre à rester et mourir sous les génocides gouvernementaux des uns et les conflits armés des autres. Nous vous proposons de découvrir, en exclusivité dans « Planète Paix », les témoignages, histoires de vie de ces réfugiés qui ont accepté volontiers de saisir les belles opportunités offertes par la France pour y vivre. Pacifistes, nous gardons espoir de transformer cet essai en point gagnant.
Giselle El Raheb 1
Programme d’Insertion par le Logement, l’Orienta-
tion et le Travail
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CULTURE Ed
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aïd et D a niel B ar
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Divan Oriental-Occidental un vecteur de paix Le West-Eastern Divan Orchestra est né de l’initiative du chef d’orchestre Daniel Barenboïm d’origine israélienne, et du professeur et critique
B
arenboïm et Saïd auraient pu suivre le cours commun des choses et des conséquences regrettables de l’histoire et laisser cours aux passions humaines intolérantes. Mais malgré leurs différences, ces deux amoureux de musique classique ont trouvé un moyen de faire de leur passion un élément unificateur. Saïd, n’était pas un musicien professionnel, mais jouait à la perfection au piano. Cet intellectuel palestino-américain né à Jérusalem, était considéré de son vivant comme une des « voix des plus puissantes dans la défense de la cause palestinienne ». Barenboïm, enfant prodige et argentin de naissance, s’est installé jeune avec sa famille d’origine juive en Israël. Ces deux amis, et grands humanistes décidèrent en 1999, de créer un orchestre nommé Divan
littéraire d’origine palestinienne Edward Saïd1. Il regroupe des musiciens israéliens et arabes, et donne un bel exemple de ce que ses fondateurs nomment une « expérience unique de paix ».
EN SAVOIR PLUS • www.west-eastern-divan.org/ 22
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L’Orchestre du Divan Oriental-Occidental
Oriental-Occidental2, pour réunir des musiciens israéliens et arabes, à l’occasion du 250ème anniversaire de Goethe à Weimar (Allemagne). Mettant ainsi l’accent sur la portée et l’ambition universelle d’un tel projet, qui ne se limite pas à la volonté de réunir des Israéliens et des arabes, mais bien de déconstruire l’antagonisme classique construit qu’est l’Occident à l’Orient, vice versa. Si l’ambition de départ était d’effectuer une seule représentation, cet orchestre s’est vite institué et imposé comme une réussite d’un modèle de dialogue novateur entre les peuples, pour la promotion de la paix dans une région troublée et bien au-delà. Depuis 2002, c’est à Séville en Andalousie que l’orchestre a décidé de poser ses bagages. Dans une ville symbolisant l’essor de la
pensée humaine au Moyen-âge, qui n’aurait pas été permis sans la tolérance et la coopération entre les divers groupes, transcendant ainsi les clivages religieux, ethniques… pour une production d’élévation commune.
La réalité d’une légende Le West-Eastern Divan Orchestra3 a prouvé depuis sa création que la musique peut être un outil pacificateur, un outil dont on peut user pour construire des ponts entre les peuples, et créer du lien là où il y a de la division. C’est un réel laboratoire, un laboratoire social. Selon Barenboïm, « le débat peut être vif entre les musiciens, mais il permet de se questionner mutuellement, de sortir de ses retranchements ». D’après Saïd et Barenboïm, leurs deux destins sont intimement liés. Barenboïm et Saïd universalisent leur vécu personnel, car il n’est que le reflet de celui de millions d’autres, qui connurent l’exil, et les injustices historiques et politiques. Barenboïm parle en ces termes de la coexistence des Palestiniens et des Israéliens « Devant tout ce qui se passe (conflit) soit notre vie ensemble est une bénédiction, soit une malédiction. Personnellement je penche vers la première ». Si aujourd’hui son ami n’est plus, Barenboïm continue de répandre leur message et leur idéal communs à travers le monde. Ce n’est plus une simple prestation musicale à laquelle assiste le mélomane, mais à une réelle entreprise humaniste vivante sur scène. Prouvant ainsi au passage que le dicton platonicien « la musique adoucit les mœurs », n’est pas qu’une légende. Samia Meziane 1
Décédé en 2003.
2
Divan Oriental-Occidental est le titre d’une collection de
poèmes de Goethe, que Saïd considérait dans son célèbre ouvrage Orientalism, comme une œuvre d’une incroyable ouverture à l’autre, en avance sur son temps. 3
L’Orchestre du Divan Oriental-Occidental (en anglais : nom
d’origine de l’orchestre).
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m
Musique
CULTURE Gene Sharp
La lutte non-violente Pratiques pour le XXIe siècle La non-violence a inspiré de nombreux acteurs des mouvements de libération au 20ème siècle. De l’OLP à l’ANC, et plus près de nous les FARC ou l’ETA dernièrement. Théoricien des États-Unis, Gene Sharp en a fait la matière première de nombreux ouvrages. Jean-Paul Vienne nous fait découvrir son dernier livre. sur les causes de leurs succès comme de leurs échecs. L’ouvrage, qui confronte les théories passées de l’auteur aux réalités du terrain actuelles, se présente comme une somme de la réflexion de toute une vie de penseur de la non-violence. Un ouvrage qui, à coup sûr, mérite d’être connu des militants de la paix. Quelquesunes de ses propositions peuvent bien susciter le scepticisme ; elles nourrissent, en tout cas, très utilement la réflexion.
G
ene Sharp (1928) est un penseur étatsunien, théoricien reconnu de la non-violence, auteur assez prolifique, quelquefois contesté (son anticommunisme basique ne convient pas forcément à tout le monde). On l’a même présenté comme un agent des services américains, œuvrant en douceur pour la déstabilisation de régimes qui n’avaient pas la faveur de Washington. C’est peut-être lui prêter beaucoup d’influence. Il n’empêche que son œuvre, qui fait toujours autorité parmi les non-violents, a influencé nombre de mouvements de par le monde et, à ce titre, mérite d’être connue. Son ouvrage le plus connu, qui fait encore référence, est certainement Les politiques de l’action non-violente (The Politics of Nonviolent Action - 1973). A la base de sa pensée : l’obéissance des peuples ou, du moins, leur acceptation de l’autorité en place, encouragée par tout le système du pouvoir. Il suffit
Jean-Paul Vienne
que ce système se heurte à la désobéissance généralisée, même passive, pour que toute la structure d’oppression se retrouve peu à peu réduite à l’impuissance. Il paraitrait que l’ouvrage aurait été pour beaucoup dans les soulèvements du « Printemps arabe »... A voir. C’est son dernier ouvrage « La lutte nonviolente - Pratiques pour le XXIe siècle », traduit par B. Lazarevitch (Éditions Ecosociété - Montréal), qui retient aujourd’hui l’attention. Il se veut pragmatique, à l’anglosaxonne, sans appel aux sentiments. Il y planifie l’action non-violente quasiment comme une campagne militaire, organisant avec stratégie la paralysie progressive du pouvoir despotique en place, parant à toute politique de répression possible. Son esprit méthodique, qui en est quelquefois impressionnant, ne laisse aucune place à l’improvisation. Il s’appuie, à cet effet, sur une cinquantaine d’années de luttes non-violentes (une vingtaine de cas analysés par le menu), revenant N° 618 - Janvier 2017 - Planète PAIX
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