Planète paix Mai 2016

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L’info pacifiste : www.mvtpaix.org La paix en mouvement

3,20 euros / N° 612 / Mai 2016

Dépenses militaires et commerce des armes

Afrique des Grands Lacs Fausse accalmie au Burundi (P.21)

Interview de Hussain Jawad

Dossier (P.11-16)

Des geôles du Bahreïn à la poursuite de la lutte (P.18/19)


REGARD SUR...

Manifestation du 1er mai

La manifestation du 1er mai à Paris était pleine de dynamisme, jeunes et moins jeunes manifestants au coude à coude. Un cortège qui a été plusieurs fois bloqué dans sa marche. Une vingtaine de militants du Mouvement de la Paix a distribué 2000 tracts, un recto-verso sur le communiqué contre le projet de loi El Khomri et sur la pétition « Pas de salon de l’armement à Paris ».

Grande journée de mobilisation contre le projet de loi El Khomri - Marseille - 28 avril

Les Nauticals - La Ciotat - 11 avril

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N° 612 - Mai 2016 - Planète PAIX


l’Édito

Sommaire Planète Paix n° 612 - Mai 2016

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Actualité

Pologne

P.6/7

Premier Forum Social de l’Europe Centrale et de l’Est Marches de la Paix

Nous avons le pouvoir d’agir

L

P.8

Rendez-vous en septembre Nucléaire iranien

P.9

Retour sur 12 ans de crise et le rôle des Nations Unies

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dossier

Dépenses militaires et commerce des armes Eurosatory

P.12

Le bon coin des armes Économie de Paix ? Économie de Guerre ?

P.13

Armement, science et technologie Dépenses d’armement

P.14

Les Belges refusent l’inflation militariste Dépenses militaires

P.15

Reprise de la course aux armements ?

17

‘‘ Porter au cœur

des luttes sociales actuelles l’exigence d’une politique de

Portrait

paix est un enjeu

Deuxieme Partie : Jean De Bloch

P.17

Ces capitalistes qui investissaient dans la paix

18

Roland Nivet

important.

’’

mondialiser la paix

INTERVIEW de Hussain Jawad

P.18/19

Des geôles du Bahreïn à la poursuite de la lutte AFRIQUE P.20 Des jeunes qui préparent le printemps de l’Afrique AFRIQUE DES GRANDS LACS

P.21

Fausse accalmie au Burundi

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Histoire

Institutions Internationales

P.22

De la SDN à l’ONU

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Science

L’Intelligence artificielle

P.23

Un défi démocratique

Mensuel édité par le mouvement de la paix

9, rue Dulcie September, 93400 Saint-Ouen Tél.  01 40 12 09 12 Fax : 01 40 11 57 87 planete.paix@mvtpaix.org

Directeur de la publication : Guillaume du Souich Rédacteur en chef : Pierre Villard Conception maquette : Chérif Beldjoudi Graphiste - maquettiste : Laurence Leclert Comité de rédaction : Raoul Alonso, évelyne Aymard, Nicole Bouexel, Alexandre Dicko, Nadia Dorny-Bennad, Guillaume du Souich, Annie Frison, Jeannick Leprêtre, Nicolas Pitsos, Roland Nivet, Pierre Villard, Jean-Paul Vienne. Photos et illustrations : Tous droits réservés - Onu Ont participé à ce numéro : Roland Nivet, Patrice Salzenstein, Michel Thouzeau, SPRIMUN, Jeannick Leprêtre, Édith Boulanger, Yves Deriennic, Yves-Jean Gallas, Jean-Paul Vienne, Nicolas Lavallée, Colette Braeckman, Ivan Lavallée, Annie Frison. Gestion des abonnements : Nassera Macrez, tél.  01 40 12 09 12 ISSN 1773-19241. Numéro de commission paritaire : 0317G85601 Imprimeur : Compédit Beauregard - 61600 La Ferté-Macé

Bon d’abonnement à Planète Paix page 16

’idée générale que la paix se construit à travers l’action pour la justice et la promotion des droits humains et non par la force des armes et l’augmentation des dépenses d’armement est largement partagée par la population. Cet accord s’accompagne cependant assez souvent d’une interrogation sur la capacité des peuples à obtenir des modifications conséquentes des politiques qui conduisent à cette aberration d’États consacrant au plan mondial, pour la plus grande satisfaction du lobby militaro industriel, au total 1800 milliards de dollars aux dépenses militaires alors que le budget mis à disposition des Nations Unies pour les opérations de maintien de la paix est seulement de 8,3 milliards. L’histoire nous permet de réfléchir sur cette interrogation car elle donne de nombreux exemples sur le pouvoir et la capacité des peuples à agir et à modifier l’ordre des choses en faveur de la paix. La mise en œuvre, à la Libération, du programme du Conseil National de la Résistance dans le cadre d’un rapport des forces sociales et politiques spécifique n’est- il pas un élément de réflexion très actuel ? Les peuples allemands et français qui ont vécu tant de guerres et de massacres n’ont-ils pas participé à la construction concrète d’une culture de la paix en réussissant à tisser des relations d’amitié et de paix ? Les peuples d’Amérique Latine et des caraïbes se sont débarrassés du joug de dictatures sanguinaires soutenues par les États-Unis d’Amérique. Bien sûr ils doivent toujours lutter contre les puissants d’hier qui essayent jour après jour de reconquérir des pouvoirs. Ces peuples ont gagné, à travers une déclaration commune de leurs 33 États, que la culture de la paix soit proclamée comme une de leurs boussoles politiques en tant qu’objectif et moyen d’agir. N’est-ce pas une belle avancée ? La voix des peuples à travers le monde a été assez forte pour obtenir qu’une grande majorité des États prenne position en faveur du désarmement nucléaire, que les ¾ de la surface du globe soient déclarées zones exemptes d’armes nucléaires, que les essais nucléaires soient interdits etc. Vous lirez que les mobilisations actuelles des jeunesses africaines viennent d’engranger des succès formidables. Tous ces succès parfois remis en cause indiquent que l’action des peuples pour construire un monde et une culture de la paix et de la non-violence est efficace et indispensable. Porter au cœur des luttes sociales actuelles l’exigence d’une politique de paix est un enjeu important. Les succès à venir nécessitent que nous ayons tous totalement confiance dans notre pouvoir individuel et collectif d’agir. N° 612 - Mai 2016 - Planète PAIX

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La liberté de la presse dans le monde en 2016

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REPÈRES ... Exposition

Livre

‘‘Les trois piliers de l’islam :

Lecture anthropologique du Coran’’ Jacqueline Chabbi Éd. Seuil - 22€

Alors que le Coran fait l’objet, dans les courants salafistes et dhjihadistes, d’une interprétation atemporelle et anhistorique, cet ouvrage passionnant a l’ambition de donner à comprendre ce que le discours coranique de Mahomet, qui était alors loin d’être fixé par écrit, a pu signifier pour ceux qui l’ont entendu, dans la société sans livre qu’était l’Arabie du début du viième siècle. L’originalité de cette approche consiste ainsi à déchiffrer le Coran à la lumière d’un contexte historique et anthropologique précis, celui de tribus vivant selon des rapports de solidarité et d’alliance pour faire face à l’environnement éprouvant du désert. Jacqueline Chabbi montre avec brio, et une connaissance approfondie de la langue coranique, que les trois caractéristiques principales du divin correspondent aux trois piliers de la société tribale : l’alliance, la guidance et le don. Pour ce groupe humain patriarcal du désert, Dieu est représenté avant tout comme celui dont l’alliance, la guidance et le don répondent aux nécessités vitales imposées par l’environnement. Outre que cet éclairage permet d’élucider un nombre considérable de notions et de distinguer celles qui sont d’origine biblique, il renouvelle totalement le sens de celles qui ont été figées par une certaine doctrine musulmane (djihad, charia notamment). Car il ne s’agit pas, en découvrant des significations en relation avec un terrain chronologiquement premier, de figer les mots dans leur sens d’origine mais au contraire de faire apparaître combien ils ont pu évoluer au fil du temps et des évolutions sociales.

IMAGE DU MOIS

‘‘Les Artisans de la Paix’’ L’exposition « Les Artisans de la Paix », à Verdun, présente les coulisses des relations entre Chefs d’État et de gouvernement et leurs actions communes sur la scène internationale. Avec plus de 100 pièces exceptionnelles exposées dont plus de 70 cadeaux échangés entre Chefs d’État et de nombreuses explications et illustrations, l’exposition permet de découvrir les principales relations internationales entre 28 dirigeants mondiaux au cours des 30 dernières années. Exceptionnellement, plusieurs Chefs d’État et de gouvernement en exercice (Angela Merkel, Joachim Gauck, François Hollande, S.A.R. le Grand-Duc Henri, Xavier Bettel, …) ont accepté de dévoiler les cadeaux qu’ils ont échangés durant leurs mandats. Protocole, diplomatie, géostratégie, amitié franco-allemande,… de nombreux sujets à découvrir pour mieux comprendre notre monde. Christofle, Daum, Emaux de Longwy, Haviland, Saint-Louis, Cité de la Céramique - Sèvres et Limoges, Waterman… : leurs produits, fruits du savoir-faire français, sont offerts par le Président de la République à ses homologues, et sont aussi présentés dans l’exposition « Les Artisans de la Paix ». Centre Mondial de la Paix des Libertés et des Droits de l’Homme Place Monseigneur Ginisty B.P. 10183 - 55105 Verdun Cedex Tél. +33 (0) 3 29 86 55 00

Décès du sculpteur du revolver au canon noué (voir brève page 10)

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ACTUALITÉ Pologne

Premier Forum Social de l’Europe Centrale et de l’Est Du 11 au 13 mars 2016, Wroclaw (Pologne) a accueilli le 1er Forum Social pour l’Europe centrale et l’Europe de l’Est. L’occasion de rencontrer des militants pour une Europe sociale et de paix

A

u Centre de Conférence de Wroclaw, j’ai participé en tant qu’observateur, pour le Mouvement de la Paix, au 1er Forum Social de l’Europe Centrale et de l’Est du 11 au 13 mars 2016. Ce Forum a été riche et passionnant avec une bonne affluence : plus de 300 participants étaient venus de l’ensemble des pays de l’Est et du centre de l’Europe. Ils représentaient de nombreuses associations, organisations syndicales et politiques. Pour la forme, les langues du Forum étaient le russe, le polonais et l’anglais. Tous les pays de l’Europe centrale et de l’est étaient représentés. Il y avait d’autres observateurs venus d’Europe de l’ouest, principalement d’Allemagne, de Belgique, mais aussi d’Afrique et même d’Asie, en particulier de Chine. Contrairement aux craintes des organisateurs, il n’y a eu nulle attaque des éléments fascistes polonais peut-être parce que les environs du forum étaient plus ou moins discrètement sous la surveillance de véhicules de la police polonaise. Le

Focus sur quelques uns des sujets chauds de ce forum social :

non-inféodée à l’Otan.

Session sur l’Ukraine

lieu du forum a été modifié et n’a été communiqué qu’une semaine avant aux participants en raison de menaces plus ou moins explicites de mouvements d’extrême-droite polonais du fait de la teneur des sujets abordés. Parmi ceux-ci, des sessions notamment contre l’OTAN, ses bases, ses missiles, les ventes d’armes 6

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massives de ces dernières années effectuées par les USA, la France, l’Allemagne ou d’autres pour certains pays de l’Est. A titre d’exemple, en 2015, la Pologne a vu son budget militaire progresser de 22 %, la Lettonie de 14 % et la Lituanie de 33 % (pour ne citer que ces trois pays). Au Forum est apparue également une critique très forte de la guerre menée par l’Ukraine contre son propre peuple dans le Donbass, mais aussi des sujets chauds concernant les Balkans, les difficultés rencontrées par les syndicats de défense des travailleurs en Europe, les délocalisations subies dans certains pays comme la République tchèque, et la précarisation massive faisant de l’Europe de l’est, et de pays comme la Pologne, la Hongrie ou la Slovaquie, des laboratoires des atteintes aux droits des travailleurs, ainsi que les attaques de divers gouvernements européens contre le droit de femmes. Je suis intervenu ponctuellement en russe pour présenter notre mouvement et nouer des contacts.

Militarisation de l’Europe, rôle de l’Otan et déclenchement d’une guerre en Ukraine Une session était consacrée à la militarisation de l’Europe et des régions méditerranéennes, au rôle de l’OTAN et des provocations à la guerre, avec le cas de l’Ukraine comme exemple de fabrication d’une guerre dans la région. On notera que Marko Milacici, journaliste d’opposition au Monténégro a courageusement dénoncé l’emprise des États Unis et de la mafia sur la classe politique de son pays qu’il juge corrompue. Mais le moment fort et certainement le plus poignant de ce forum social a été l’intervention très détaillée et émouvante de Victoria Machulko du comité du 2 mai, en référence au massacre à la maison des syndicats d’Odessa en Ukraine de 46 militants communistes, de gauche et syndicalistes par des organisations nazies ukrainiennes le 2 mai 2014. La plupart des militants sont morts dans l’incendie criminel et certains ont été tués par des snipers en cherchant à échapper aux flammes. Des blessés


Une manifestation a été organisée au centre-ville de Wroclaw durant le forum social.

qui cherchaient à s’enfuir ont alors été battus par les néo-nazis. De nombreux documents vidéos et photographiques étaient présentés durant les interventions sur cette tragédie d’Odessa. Victoria a appelé à faire pression sur les autorités ukrainiennes pour que la vérité soit faite et a réitéré l’opposition de la population cosmopolite d’Odessa à l’idéologie d’extrême-droite du pouvoir ukrainien. Plus généralement, le rôle de l’OTAN et des États Unis en Ukraine dans la prise de pouvoir par la force de la droite alliée à l’extrême-droite en février 2014 a été dénoncé. Des représentants des républiques autonomes de Donetsk et de Lougansk ont évoqué la guerre qui dure depuis 2 ans et qui, selon les Nations Unies, a fait officiellement 9200 morts principalement civils, ainsi que de nombreux blessés et plus de 2 millions de réfugiés et déplacés. Ceci dans l’indifférence sinon avec la complicité de l’Union Européenne, alors même que les Nations Unies estiment que 1,5 millions de gens sont menacés de famine dans le sudest du pays. Combat syndical en Europe de l’Est Les thématiques sociales ont été largement abordées notamment lors de la session « Grèves, manifestations, exigences des travailleurs. Comment se battre côte à côte en Europe de l’Est » où l’intervention de Piotr Ikonowicz, ancien fondateur du Parti Socialiste Polonais, très actif au sein du Bureau de la Justice Sociale, a été très appréciée et

applaudie. Ce spécialiste du droit consacre une grande partie de son temps à se battre contre les expulsions locatives, dans un pays où la pauvreté avoisinerait 40% (17% officiellement). Moment fort également dans cette session, l’intervention d’Iwona Mandat, syndicaliste de Alliance panpolonaise des syndicats chez Tesco dénoncent les bas salaires, les mauvaises conditions de travail et la précarisation des salariés très souvent en contrat à durée déterminée ou employés par les agences d’interim en Pologne. Recul du droit des femmes Une représentante des organisations de défense des droits des Femmes en Pologne a mis en exergue leur mobilisation. En effet, alors que le recours à l’interruption volontaire de grossesse a été considérablement durci depuis 1993, le gouvernement ultraconservateur de Beata Szydlo, soutenu par l’Église catholique, envisage d’interdire totalement le recours à l’IVG, même en cas d’inceste ou de malformation du fœtus. Il s’agit d’une terrible régression des droits des femmes. C’est une terrible remise en cause, dans le sillage de la tentative en Espagne, l’an dernier. 100 000 à 150 000 Polonaises ont chaque année recours à des IVG à l’étranger ou de manière clandestine. L’interdiction totale de l’IVG n’en diminuera pas le nombre mais augmentera le nombre de décès et de complications. Des milliers de Femmes polonaises manifestent dès ce mois d’avril.

Conclusion et appels des délégués Retenons que les participants au Forum social ont insisté sur l’importance de la lutte contre le capitalisme. De plus, à l’unanimité, ils ont demandé que l’OTAN soit dissoute. En effet, la déclaration finale du forum indique qu’il faut « stopper la militarisation de l’Europe et dissoudre l’OTAN ». Et qu’ « un autre monde est non seulement possible mais nécessaire ». Les participants ont affirmé leur solidarité avec la population ukrainienne qui souffre de l’ingérence de l’OTAN, mais aussi leur soutien au peuple grec en proie à une politique d’austérité sans précédent. Constatant le retour des idéologies d’extrême-droite et néo-nazie en Europe, les délégués présents au Forum ont proposé l’organisation d’une rencontre sur le thème des réfugiés en Grèce ou en Italie cette année et qu’un prochain Forum Social d’Europe Centrale et de l’Est se tienne mi-2017 en Bulgarie ou en Hongrie. Ils ont souhaité enfin que la coopération soit renforcée entre les mouvements de l’Europe de l’Est mais aussi avec l’Afrique du Nord et l’Amérique latine. Patrice Salzenstein

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ACTUALITÉ Marches de la Paix

Rendez-vous en septembre Beaucoup de citoyens déçus sont exaspérés, les jeunes notamment. Continuer avec la même politique qu’aujourd’hui c’est aller droit dans le mur, c’est pourrir l’avenir des nouvelles générations.

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L

es guerres, les attentats, le rejet des réfugiés, les murs, les régressions sociales, les inégalités criantes et les évasions fiscales, le gel de milliards d’euros de la fraude fiscale, les atteintes aux libertés, les grands moyens d’ information dans les mains des grands groupes financiers distillant la culture de guerre, l’intolérance et l’exclusion, la planète en danger, le commerce des armes florissant et le salon de l’armement à Paris en juin, les dépenses militaires sans fondement qui font défaut à la recherche civile et à la résolution des problèmes, une politique extérieure dangereuse, la poursuite de la « modernisation » des armes nucléaires de mort, des conflits qui saccagent l’homme et notre planète cela fait beaucoup, c’est même beaucoup trop. Beaucoup de citoyens déçus sont exaspérés, les jeunes notamment. Mais il y a tous ceux qui réfléchissent à des alternatives politiques, le débat est plus ouvert que jamais. Continuer avec la même politique qu’aujourd’hui c’est aller droit dans le mur, c’est pourrir l’avenir des nouvelles générations. Crier notre indignation c’est nécessaire, crier notre volonté de paix très fort pour être entendus, crier notre exigence d’une politique de paix et de culture de la paix, nous sommes des millions à le souhaiter, soyons des centaines de milliers dans des centaines de villes de France à marcher pour la paix. Des centaines de milliers de manifestants réclamant l’abandon des bombardements, l’abandon des

armes nucléaires, la réduction des dépenses militaires au profit d’une réelle sécurité et de la satisfaction des besoins sociaux, réclamant une éducation à la paix, à la tolérance, à la solidarité, exigeant la résolution des conflits par la négociation, la multiplication des accords de coopération avec les pays du monde, la multiplication des relations avec les peuples du monde entier, la traduction politique de toutes ces aspirations largement majoritaires c’est ce qu’il faut. Les dépenses militaires mondiales ont doublé en 10 ans, actuellement elles fluctuent à un niveau qui n’a jamais été aussi élevé, en hausse de 1 % en 2015 par rapport à 2014. Elles représentent un gaspillage insupportable car il n’existe pas de solution militaire aux maux de l’humanité, gaspillage d’autant plus insupportable qu’il suffirait de 5 % de ces dépenses pendant 10 ans pour mettre fin aux principaux fléaux de l’humanité, pour atteindre les 17 objectifs de développement durables désignés par l’Organisation des Nations Unies. Stop à la guerre, marchons pour la paix, marchons et construisons ensemble un monde de justice sociale, de fraternité et de paix, tels seront les mots d’ordre de dizaines de milliers d’hommes et de femmes de notre pays en septembre. Michel Thouzeau


ACTUALITÉ Nucléaire iranien

Retour sur 12 ans de crise et le rôle des Nations Unies Le 16 janvier 2016 est entré en vigueur l’accord sur le nucléaire iranien, signé à Vienne le 14 juillet 2015 qui met fin aux sanctions économiques qui touchaient l’Iran en contrepartie de son engagement à modérer son programme nucléaire. Des étudiants du SPRIMUN retracent l’historique d’une crise.

EN SAVOIR PLUS • http://sprimun.com/ • http://sprimun.com/partners/

E

n 1970, Téhéran adhère au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) et s’engage à ne pas acquérir la bombe nucléaire et à soumettre ses activités nucléaires aux contrôles de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AEIA). En 1974, l’Iran achète à l’Allemagne et à la France quatre réacteurs nucléaires pour produire de l’électricité. Le Chah envisage déjà de développer un arsenal nucléaire. La révolution islamique de 1979 freine cette ambition. Mais au sortir de la guerre Iran-Irak (1981-1988), l’Iran reprend ses activités nucléaires et en 2002 l’Organisation des Moudjahidins du peuple d’Iran (OMPI), opposante au pouvoir, dévoile la construction d’une usine d’enrichissement d’uranium par centrifugation et d’une usine de production d’eau lourde près de la ville d’Arak. Le gouvernement récuse toute accusation sur son objectif de construire la bombe en défendant son droit à développer du nucléaire civil. En effet, juridiquement, le pays ne contrevient pas au TNP. En octobre 2003 s’ouvrent des négociations qui dureront douze ans. L’Iran s’engage à stopper ses activités d’enrichissement le temps de s’assurer du caractère pacifique du programme nucléaire. Le pays applique l’accord complémentaire de contrôles de l’AIEA, dit « protocole additionnel », autorisant des inspections renforcées. Apparait alors un point de dissension dans les discussions : les Occidentaux cherchent à obtenir l’arrêt définitif du programme d’enrichissement d’uranium, ce que refuse l’Iran, qui a beaucoup investi en ce domaine. Dès 2005, le processus de négociations fait face à une impasse. Mahmoud Ahmadinejad, élu président de la République développe une politique anti-impérialiste et antisioniste, annonçant qu’il souhaite rayer Israël de la carte. Le guide suprême Ali Khamenei encourage alors la reprise du programme d’enrichissement et l’Iran met fin au protocole additionnel de l’AIEA. Le Conseil de sécurité de l’ONU est saisi en février 2006 et ordonne à Téhéran de suspendre toute activité nucléaire sensible sous peine de sanctions, un dispositif adopté au titre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies (article 41) qui traite des menaces pour la paix. L’Iran refuse de céder, considérant que ses activités ne représentent pas un risque pour la paix.

Le Conseil de sécurité renforce alors ses sanctions jusqu’en 2010, votant trois résolutions successives s’ajoutant aux sanctions prises par l’UE et les USA qui étouffent l’économie iranienne. Pour autant, Téhéran poursuit le développement de son programme nucléaire. En 2008, le groupe dit 5+1 constitué des membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, ÉtatsUnis, France, Royaume-Uni, Russie) plus l’Allemagne, fait une nouvelle proposition à l’Iran mais il faut attendre des évolutions politiques internes, avec l’élection de Barack Obama en 2008 et de Hassan Rohani en 2013 pour voir avancer le dossier.

Le 14 juillet 2015, un accord est adopté autour de trois mesures principales : le ralentissement du programme d’enrichissement, la modification du réacteur de recherche de la ville d’Arak afin de limiter la production de plutonium et l’interdiction pour l’Iran de disposer d’installations de retraitement, de plus de contrôle du programme nucléaire iranien et, en contrepartie, la levée des sanctions et l’aide au développement d’un programme nucléaire industriel, médical et civil. Le rôle des Nations Unies est incontestable dans la signature de l’accord. La prise en charge du dossier par les Nations Unies et la volonté commune de Barack Obama et de Hassan Rohani ont permis de réenclencher le processus des négociations. Cet accord permet le retour de l’Iran sur la scène internationale favorisant ainsi la résolution de crises au Moyen-Orient, et son ouverture économique devrait améliorer les conditions de vie des Iraniens et permettre des évolutions progressives dans le pays. SPRIMUN : Sciences-Po Rennes International Model United Nations

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Au jour le jour Classement mondial de la liberté de la presse 2016 : la paranoïa des dirigeants contre les journalistes

Reporters sans frontières (RSF) dévoile l’édition 2016 du Classement mondial de la liberté de la presse. L’évolution générale témoigne d’un climat de peur généralisée et de tensions qui s’ajoute à une emprise des Etats et des intérêts privés de plus en plus grande sur les rédactions. Ce palmarès - qui fait référence dans l’ensemble du monde - révèle les positions relatives de 180 pays au regard de la latitude d’action de leurs journalistes. Au vu des indices régionaux, il apparaît que l’Europe (19,8 points d’indice) demeure la zone où les médias sont les plus libres, suivie (de loin) par l’Afrique (36,9), qui, fait inédit, passe devant les Amériques (37,1), l’Amérique latine étant plombée par les violences accrues contre les journalistes. Au bas du Classement, un trio infernal, le Turkménistan (178ème), la Corée du Nord (179ème), l’Erythrée (180ème). “Il est malheureusement notable que de très nombreux dirigeants dans le monde développent une forme de paranoïa contre l’exercice légitime du journalisme,” déclare Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. “Le climat général de peur entraîne une haine croissante du débat et du pluralisme, un verrouillage des médias par des gouvernements en 10

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pleine dérive autoritaire et liberticide, l’emprise grandissante d’intérêts particuliers sur l’information dans le secteur privé. Il est essentiel de défendre le journalisme digne de ce nom face au renforcement de la propagande et de l’information sous la dictée ou sponsorisée par l’intérêt. La garantie du droit des citoyens à une information indépendante et fiable est une solution pour résoudre les problèmes locaux et globaux de l’humanité.”

Décès du sculpteur du revolver au canon noué, symbole de paix Kjell Thoresson, directeur des affaires culturelles de Landskrona, dont le musée abrite une exposition permanente des œuvres de l’artiste suédois Carl Fredrik Reuterswärd, le sculpteur du revolver au canon noué exposé devant le siège des Nations unies à New York. Il est décédé à l’age de 81 ans le mardi 3 mai 2016. Reuterswärd a conçu le Colt Magnum 357 au canon noué comme un symbole de paix

après l’assassinat à New York de son ami John Lennon, ancien Beatles, abattu le 8 décembre 1980 par Mark Chapman. Le Luxembourg, qui avait acquis une des premières versions de la sculpture « Non-violence », en a fait don en 1988 aux Nations unies. D’autres versions sont également exposées à Stockholm, Los Angeles et Lausanne, où l’artiste a longtemps vécu.

Violences policières en France, tout est mis en place pour que ça dégénère

Alexandre Langlois, gardien de la paix, dénonce une volonté délibérée de « dégoûter les manifestants ». Tout est mis en place pour que les manifestations dégénèrent. Côté renseignement, on constate depuis une dizaine d’années une double évolution, avec des manifestants beaucoup plus pacifiques qu’avant, mais des casseurs toujours plus violents et organisés de manière quasi paramilitaire. Certains de ces groupes sont identifiés avant qu’ils intègrent les manifestations. Mais aucune consigne n’est donnée pour les interpeller en amont. Dans les manifestations, tous les collègues sur le terrain n’interviennent que sur ordre. Si certaines, comme le 1er Mai, se terminent en « souricière » place de la Nation, c’est que l’ordre en a été donné. Le message qui est passé, c’est « casseurs venez, vous pourrez agir en toute impunité, et manifestants ne venez plus avec vos enfants, car c’est dangereux pour vous ». Et à la fin de la journée, les médias ne parlent que des violences, et surtout plus des raisons pour lesquelles les citoyens manifestent. Le pouvoir politique instrumentalise la police qui sert de bouc émissaire. Cela permet au gouvernement de faire diversion.

Les Français seraient-ils, contre toute attente, devenus plus tolérants ? Le « rapport 2015 sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie » a été remis le 2 mai dernier par la présidente de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme. Les résultats sont surprenants : d’une part, alors que les scores du Front national aux élections régionales de 2015 ont battu des records, l’indice de tolérance mesuré par la CNCDH a fortement augmenté la même année. L’année 2015 se trouve même dans le « top 5 » des années les plus tolérantes depuis la mise en place de ce baromètre, il y a 26 ans. Comment expliquer les résultats de cette enquête, qui semblent aller à la fois à l’encontre du climat actuel ressenti, et des chiffres des actes à caractère raciste, antisémite et antimusulman recensés par le ministère de

l’Intérieur la même année - 2034 actes comptabilisés en 2015, soit une hausse de 22% par rapport à l’année précédente - ? Comment comprendre le rôle des attentats, entre désir de rassemblement et de vivre ensemble, mais également source de méfiance et d’une augmentation très nette des actes antimusulmans ? Selon la politologue Nonna Mayer, « On a à la fois une société de plus en plus segmentée, dans laquelle il y a l’affirmation de nos différences et de nos cultures, mais avec le choc des attentats, il y a aussi le sentiment qu’il faut faire quelque chose pour y faire face ensemble. Ce n’est pas entièrement contradictoire. »


DOSSIER

Dépenses militaires et commerce des armes

• Eurosatory

Le bon coin des armes

• Économie de Paix ? Économie de Guerre ?

Armement, science et technologie

• Dépenses d’armement

Les Belges refusent l’inflation militariste

• Dépenses militaires

Reprise de la course aux armements ?

Les dépenses militaires sont en hausse de 1% pour l’année 2015 soit 1700 milliards de dollars, plus du double par rapport à 2002, avec 794 milliards de dollars. La baisse des dépenses très légèrement amorcée en 2011 semble « toucher à sa fin » selon le SIPRI. Le salon Eurosatory des professionnels du commerce des armes suscite des réactions hostiles à sa tenue et à l’inflation militariste.

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DOSSIER

D épenses

m i l i t a i res

Eurosatory

Le bon coin des armes Du 13 au 17 juin 2016 aura lieu à Paris le Salon international de l’armement. Parmi les 115 salons relatifs à la Défense et à l’Armement répertoriés dans le monde, Eurosatory est le numéro 1 mondial dans sa catégorie. Ce salon professionnel, non ouvert au public, présente les « produits » du monde de la défense et de la sécurité qui couvrent une vaste gamme.

EN SAVOIR PLUS • Pour s’opposer à ce commerce de mort, signez et faites signer la pétition sur : http://pasdesalondel armementaparis.fr/ 12

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e salon 2014 s’était largement ouvert à la sécurité, avec des glissements de langage : le « matériel de défense » désigne le matériel de maintien de l’ordre et de surveillance, et le terme « militaire » est devenu « défense » (devant l’entrée du salon en 2014, les rares visiteurs qui daignaient nous répondre arguaient qu’ils étaient là pour notre sécurité). Le Directeur général de ce Salon se félicite du franc succès de l’édition 2014 et il entend continuer dans cette voie : le bilan de ces salons est de plus en plus satisfaisant pour les marchands d’armes1. Ce salon né en 1967 avec une trentaine d’exposants et organisé par la DGA2 au camp militaire de Satory est devenu européen en 1992 (d’où son nom) et international en 2000. Depuis 2002,il a lieu au Parc d’Exposition de Paris-Nord Villepinte. Depuis sa création, le nombre d’exposants, de visiteurs et de journalistes accrédités venant des 5 continents est croissant. Pour le Mouvement de la Paix, Eurosatory n’est pas « le lieu où se préparent la Défense et la Sécurité du monde » comme l’affirment les organisateurs, bien au contraire, et les armes ne sont pas des marchandises comme les autres. Bien sûr, il y a le traité de l’ONU sur le commerce des armes (TCA) entré en vigueur le 24 décembre 2014 mais, sous la pression des grands pays exportateurs et importateurs, ce traité se contente de réguler ce commerce mais ne l’interdit pas, au contraire de la Convention sur les bombes à sous-munitions. Bien sûr, il y a les embargos mais ils souffrent de nombreuses dérogations, d’une absence de contrôle réel et de l’absence de sanctions. En fait, tous les États s’arrangent avec la règle. L’ONU et l’UE ont assoupli le régime de sanction en 2015 au nom de la lutte contre l’État islamique ; les parlementaires socialistes français ont voté la résolution du Parlement européen demandant un embargo sur l’Arabie saoudite alors que la France se vantait de vendre des Rafale à ce pays ; au Yémen en guerre, l’embargo ne s’applique qu’aux forces houthies et pas aux membres de la Coalition (Arabie saoudite, Qatar, Émirats arabes unis, Égypte etc.). Ces armes n’ont aucune traçabilité : malgré les

dispositifs affichés par les États vendeurs, comme les certificats de non-réexportation, il est impossible de savoir dans quelles mains les armes vendues vont finir, leur durée de vie excédant celle des conflits. Ainsi, les missiles anti-char Milan retrouvés entre les mains de Daesch proviennent des stocks de l’armée irakienne. Or la France a vendu des armes à l’Irak dans les années 80 ! Nous devons exiger que tout le savoirfaire français, ses compétences technologiques, commerciales et de recherche soient mises au service des œuvres de paix et non de guerre. Le cycle allant de la conception des armes, leur fabrication, leur stockage jusqu’à leur destruction met en jeu argent, dépenses d’énergie, pillage de ressources naturelles, saccage de l’humain et de l’environnement. Ne détournons pas l’ingéniosité, les talents des hommes pour la fabrication d’œuvres destructrices alors qu’il y a tant à réaliser de beau pour le rapprochement des peuples. Le syndicat CGT a lancé un appel « pour la paix, le progrès et la vie » avec le Mouvement de la Paix en janvier 2016. Un Collectif « pas de salon de l’armement à Paris »3 organise des initiatives pour faire connaitre l’existence de ce salon et son caractère ignoble, il en demande la suppression. Des partenariats sont en cours d’établissement avec des organisations étrangères. En avril, dans le cadre de la Journée mondiale d’action contre les dépenses militaires, le 18,des initiatives ont déjà eu lieu. Le Collectif organisera des rassemblements devant l’entrée du salon à Villepinte le jour de son ouverture et un pique-nique géant, le 14 juin,place des Invalides au moment où exposants et acheteurs d’armes sont invités à un banquet dans les bâtiments de la République ! Une initiative de « Nuit Debout » est également prévue. Édith Boulanger Bilan Eurosatory 2014 lien :www.eurosatory.com/Portals/8/

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Documents/PDF/bilan-review_2014.pdf 2

DGA : Délégation Générale pour l’Armement

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www.facebook.com/Pas-de-salon-de-larmement-%C3%A0-

Paris-719886058112250/


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Économie de Paix ? Économie de Guerre ?

Armement, science et technologie L’industrie française d’armement a un chiffre d’affaires annuel de 15 milliards d’euros (pour l’automobile : 104 milliards) et 165 000 emplois. Ces chiffres ne sont que des estimations car le périmètre précis de cette industrie est difficile à tracer. Ils donnent une idée sommaire de l’importance de la production d’armes de guerre dans l’économie et la vie de notre société.

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lus de 6% des emplois de l’industrie manufacturière appartiennent à l’industrie de « défense » ; sur les 50 premières usines, 15 appartiennent à des groupes engagés dans la production militaire, actifs dans les secteurs aéronautique, naval, terrestre et nucléaire. Entre 1988 et 2012, cette industrie a réalisé 29% en moyenne de son chiffre d’affaires à l’export : elle est l’un des foyers de « compétitivité » de l’industrie française. L’année 2015 avec le chiffre record de 15 milliards d’exportations (vers l’Égypte, l’Arabie Saoudite, le Qatar, les Émirats) ne contredira pas cette tendance.

Recherche scientifique et armement L’industrie des armes, de haute technicité, exerce une influence profonde sur l’activité de recherche scientifique et sur l’emploi des ingénieurs et scientifiques de haut niveau. La DGA (Délégation Générale de l’Armement, ministère de la Défense) pilote une masse considérable de crédits pour la « R et D » (recherche et développement) par des contrats avec l’industrie privée ou des organismes de recherche publics (y compris des laboratoires universitaires). En 2013 plus d’un tiers des brevets des dix premiers déposants étaient dus au CEA et à trois groupes industriels (Safran, EADS et Thalès) qui sont les principaux contractants du Ministère de la Défense. Le CEA, Commissariat à l’Énergie Atomique, comporte une branche « civile » qui développe des recherches dans le domaine du « nucléaire » civil et aussi dans les principaux domaines scientifiques allant de la physique fondamentale à la biologie et aux sciences de la Terre ; son autre branche est

dédiée au « nucléaire militaire », la production des bombes atomiques, ce qui comporte aussi des activités de recherche fondamentale (comme celles du laboratoire du Laser Mégajoule du site du Barp en Gironde où travaillent des centaines d’ingénieurs et physiciens du plus haut niveau à la production d’armes atomiques « plus performantes », cf. Planète Paix n°597, Déc. 2014). Pour de nombreux jeunes sortant des Grandes Écoles ou des Masters et Doctorats scientifiques les débouchés se trouvent dans des secteurs où le civil et le militaire sont étroitement imbriqués : l’aéronautique, les télécommunications, le nucléaire, les nanotechnologies, la chimie (les sciences du vivant et les sciences cognitives figurent aussi au programme scientifique impulsé par la DGA). Le 16 janvier 2016 le quotidien Ouest-France titrait, « L’armement 1er créateur d’emplois ». Par exemple le laboratoire de l’armée basé à Bruz près de Rennes annonce des centaines d’embauches d’ingénieurs et scientifiques (même des matheux purs) dans le domaine de la cybersécurité (activité qui peut s’exercer aussi bien en attaque qu’en défense). Les progrès de la connaissance apparaissent neutres et souvent les scientifiques engagés en « R et D » perdent de vue la finalité pratique de leur travail. Un problème d’aérodynamique peut être le même pour un avion de transport ou un avion de guerre. Le grand informaticien Gérard Berry, professeur au Collège de France, médaille d’or du CNRS en 2014 expliquait dans une interview à France

Inter après sa distinction, que ses découvertes en « programmation parallèle -temps réel » permettaient à des chirurgiens d’opérer ensemble simultanément en France et en Australie et aussi qu’elles servaient dans le système de navigation de l’avion Rafale.

Agir pour la Paix : transition pacifiste de notre industrie ! Condamner le commerce international des armes par des arguments d’éthique ne suffit pas. Pour assurer sa pérennité l’industrie des armes, organisée en partenariat public-privé et régie par les lois du profit, a besoin des ventes à l’étranger (même au mépris des valeurs humanitaires ou des raisons stratégiques). C’est sa réorientation vers de nouvelles productions visant la satisfaction de besoins sociaux qui est nécessaire pour stopper le dévoiement des progrès scientifiques et assurer l’emploi. Un exemple est déjà donné par la nouvelle production de turbines hydroliennes par l’arsenal de Brest (dont l’activité principale reste cependant l’adaptation des quatre sous-marins atomiques lanceurs d’engins au ouveau missile à tête nucléaire M51). De concert avec la transition écologiste, une transition pacifiste de notre industrie doit être mise en chantier. Yves Deriennic

EN SAVOIR PLUS • Les statistiques sont empruntés au livre de Claude Serfati « L’industrie française de défense », La Documentation Française, 2014, 230 p. N° 612 - Mai 2016 - Planète PAIX

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DOSSIER

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Dépenses d’armement

Les Belges refusent l’inflation militariste Cent trente organisations belges se mobilisent contre la décision jugée imminente du gouvernement de dépenser 15 milliards d’euros pour l’achat de 34 chasseursbombardiers. Un point fort de cette mobilisation a été une manifestation en plein centre de Bruxelles le 24 avril. Le Mouvement de la paix français y était représenté.

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Manifestation contre l’achat de 34 avions de chasse à l’appel de 130 organisations belges qui a eu lieu dimanche 24 avril. Yves-Jean Gallas y a apporté la solidarité du Mouvement de la Paix en présence de Ludo De Brabanter, responsable de la VREDE*.

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our les autorités, il s’agit de remplacer des avions F16 en fin de vie, les premières livraisons s’échelonnant entre 2023 et 2028. 5 avions sont en compétition, dont le F 35 étatsunien et le Rafale français. Il est à noter que selon des estimations précises sur le coût de telles acquisitions, basé sur les chiffres réels de l’achat récent de F35 par les Pays-Bas, le budget annoncé, 105 millions d’euro par avion, est très largement sous-estimé : ce serait plutôt entre 130 et 150 millions d’euro qu’il faudrait compter. De plus, dans de tels contrats, les dépenses liées à la maintenance, représentant souvent plusieurs fois le montant de l’achat initial, doivent être ajoutées. De fait, le gouvernement belge se place dans la logique « proposée » par l’OTAN de consacrer 2 % du PIB à la politique d’armement. Le projet complet d’investissements militaires comprend aussi d’autres armes telles que des bateaux, des missiles et ce qui est lié à la cyberdéfense, notamment. Les organisations du collectif pensent que le budget de la Défense pourrait doubler d’ici à 2030. Ces avions serviraient essentiellement à une participation belge à des opérations extérieures décidées par l’OTAN ainsi qu’au transport des armes nucléaires déployées par l’OTAN sur le territoire belge : à cette dépense sur le vecteur aérien il faudra ajouter le coût de la modernisation des armes atomiques et le déploiement des nouvelles bombes B61. Le tout en contradiction avec le Traité de Non Prolifération nucléaire.

Pour ce collectif d’associations, de syndicats et de partis politique, cette décision, si elle était prise, serait indécente dans le contexte de la politique actuelle d’austérité (2 milliards d’euro d’économie sur les budgets civils viennent d’être décidés), immorale car contrevenant à la volonté onusienne de diminution des dépenses d’armement et scandaleuse dans le contexte des derniers attentats de Bruxelles. Cet alignement sur les directives de l’OTAN est très dangereux pour la sécurité européenne et mondiale. Un sondage récent dit que 75 % des belges sont opposés à l’achat de ces avions. Un débat démocratique ouvert est instamment demandé sur le sujet. Il n’existe aucune étude sérieuse sur un éventuel « retour sur investissement » d’un tel achat. Cette mobilisation est appelée à durer. Le Mouvement de la Paix français, en apportant sa solidarité à la lutte des 130 organisations a également informé les participants de la teneur de la déclaration commune faite avec la CGT sur la priorité à donner au désarmement et à la reconversion des activités militaires, ainsiqu’à la tenue d’un « contre-Salon international de l’armement EuroSatory » en juin prochain auquel elles sont invitées à participer. Yves-Jean Gallas * Nom des pacifistes belges


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DéPENSES MILITAIRES

Reprise de la course aux armements ? Le SIPRI 1 a publié début avril le montant annuel des dépenses militaires mondiales pour 2015. Pour cet organisme international indépendant, il convient de ne pas confondre

«

dépenses d’armement et dépenses militaires.

les dépenses militaires se réfèrent à toutes les dépenses publiques actuelles pour les forces et les activités militaires, y compris les salaires et les avantages sociaux, les frais de fonctionnement, les achats de matériel militaire et d’armes, les infrastructures militaires, la recherche et développement, l’administration centrale, le commandement et le soutien ». Pour le SIPRI « les dépenses d’armement ne constituent qu’une part minoritaire du total ». Pour le Figaro « Les dépenses mondiales d’armement s’envolent». Ce journal qui appartient au Groupe Dassault qui tire ses profits de la vente des avions militaires « Rafales » poursuit en indiquant « Pas de trêve pour le marché de l’armement, qui a connu une augmentation continue depuis 2004. Sur la période 2011-2015, il a progressé de 14 % par rapport au quinquennat précédent ». Ce journal poursuit en indiquant « Sur la période, l’Asie et le Moyen-Orient ont accentué leur poids total sur ce marché. On observe une course à l’armement en Asie de l’Est et du Sud-Est » Pour le journal économique les Échos, 2015 constitue « un tournant dans les dépenses militaires mondiales ». Ce journal poursuit son analyse en remarquant « avec 1676 milliards de dollars, soit 2,3 % du PNB mondial, les dépenses militaires mondiales sont reparties à la hausse l’an dernier ». Les Échos soulignent qu’ « une étude sur les dépenses militaires européennes réalisée par l’IRIS 2 en partenariat avec d’autres instituts de recherche européens, parie sur une croissance de 8,3 % en 2016 par rapport à 2015 des dépenses militaires de l’Europe. Pratiquement tous les pays ont revu à la

Démonstration lors de l’Eurosatory en 2014

hausse leurs budgets de défense, à l’exception de l’Italie, la Grèce, le Luxembourg et la Suède .... ». Le Mouvement de la Paix dans un communiqué en date du 15 Avril 2016 estime que cette augmentation des dépenses « s’inscrit dans la continuité de la politique des ÉtatsUnis et de l’OTAN qui poussent à la création de conflits régionaux dans une logique d’intérêts géostratégiques et au service du lobby militaro-industriel ». Le mouvement pacifiste considère le niveau de ces dépenses comme insupportable pour l’humanité. « Elles représentent un gaspillage car il n’existe aucune solution militaire aux maux de l’humanité ». Il dénonce « les guerres que mènent notre pays et les milliards que le gouvernement propose pour la modernisation de ses armements en particulier pour les armes atomiques, d’ici 2030 ».Pour le Mouvement de la Paix « le niveau des dépenses d’armement constitue un danger majeur pour la sécurité collective des peuple… car la paix se construira

d’abord et avant tout par la satisfaction des besoins humains ». La vente de 12 sous-marins à l’Australie, au-delà de la reconnaissance de l’expertise de salariés qui pourraient fabriquer des outils exceptionnels en matière de santé ou dans d’autres domaines, pose aussi de graves questions en termes de paix et de sécurité en Asie. Nous y reviendrons dans ces colonnes. En France un collectif d’associations se met progressivement en place pour écrire un livre blanc de la paix pour que la France s’inscrive dans une autre logique que celle du livre blanc de la défense qui considère la production et la vente d’armes comme un élément de la compétitivité de notre pays. Roland Nivet 1

Stockholm International Peace Research Institute

(SIPRI) : the independent resource on global security 2

Institut de relations internationales et stratégiques

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On peut agir sur les causes des guerres et des violences… … surtout si on les connaît

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Portrait Deuxieme Partie : Jean De Bloch (1836/1902)

Ces capitalistes qui investissaient dans la paix Nous rappelons le parcours et l’action de quelques fortunes industrielles ou financières qui ont jugé utile, dans le passé, d’en mettre une partie au service de la paix. Après Alfred Nobel le mois dernier, voici Jean de Bloch.

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e plus étonnant de tous peut-être et le plus oublié. Juif polonais, donc de nationalité russe à sa naissance, constructeur et propriétaire de tout le réseau ferré situé à l’ouest de Moscou, il fait fortune et est surnommé « Le roi du chemin de fer ». Très vite, il exprimera ouvertement - jusqu’à l’obsession - son rejet de la guerre, imaginant même un usage exclusivement pacifique de son réseau ferré. Vœu pieux mais De Bloch financera largement des institutions et rencontres pacifistes, comme la Conférence internationale de la paix de La Haye (1899) en animant une série de quatre conférences publiques sur le thème général: « Impossibilités techniques et économiques d’une guerre entre grandes puissances ». Banquier, il rédige nombre d’ouvrages qui firent grand bruit sauf envers le public auxquel ils étaient destinés : les dirigeants politiques et les responsables militaires ! A l’exception du Tsar Nicolas II de Russie qui s’en inspira largement lors de son discours du trône de 1898 au ton très pacifiste, enthousiasmant nombre de militants de la paix. De Bloch rédigea également « La guerre - La guerre future aux points de vue techniques, politiques et économiques » (1898) en 6 volumes, et l’année suivante « Évolution de la guerre et de la paix ». Au IXème Congrès de la paix de 1900 à Paris, il lut un rapport : « Conséquences probables tant politiques qu’économiques d’une guerre entre grandes puissances ». La même année, à l’occasion de l’Exposition universelle de Paris, il publiera « La guerre future - Que sera-t-elle ? ». Pour De Bloch, une guerre moderne entre grandes puissances mènerait si sûrement à la

ruine totale des belligérants qu’elle ne peut plus être raisonnablement envisagée, sauf à conduire au suicide les nations impliquées. Faisant peu de cas des arguments sentimentaux et des idées générales à la différence de Bertha von Suttner, il développa, avec l’assistance d’économistes, de statisticiens, d’ingénieurs, voire de militaires, la même argumentation : la guerre, qui détruit tout sur son passage, n’est plus rentable à l’avenir, du moins au sens « rationnel » où l’entendait Clausewitz, donc plus possible. Les guerres prochaines, qui mettraient des millions de soldats en jeu, s’étireraient sur un front de 1.000 km provoquant des millions de morts. Toute attaque « se finira immanquablement par des pertes horribles ». « Les avancées pour prendre des positions ennemies seront avant tout difficiles et sanglantes, à tel point qu’aucun des camps n’aura le loisir de célébrer ses victoires ». Sans oublier les conséquences économiques et démographiques : « Suite à la mobilisation de presque toute la population masculine adulte, mais aussi à cause de l’arrêt des communications maritimes, la paralysie de l’industrie et du commerce, la hausse des prix des produits de première nécessité et une généralisation de la panique, les revenus de la populations chuteront, favorisant ainsi les désordres les plus graves. Les états auront-ils […] les moyens d’entretenir des armées composées de millions d’hommes et de satisfaire les exigences budgétaires tout en assurant la

subsistance des citoyens sans revenus ? ». Sa conclusion était simple : « Il est manifeste qu’à un moment donné on ne peut plus faire la guerre. La question se pose plutôt en termes inverses : Quand est-ce que la reconnaissance de cette vérité incontournable se répandra parmi les gouvernements et les peuples ? Si l’impossibilité d’avoir recours à la guerre pour régler les conflits internationaux est manifeste pour tous, on mettra alors d’autres moyens au point à cet effet ». Voyant l’Europe marcher tel « un somnambule » (bien avant Christopher Clark) vers la guerre, il multipliera les conférences publiques dans presque toutes les langues de l’Europe. On ne le croira pas…mais il put obtenir le soutien de l’Inspection générale de l’enseignement public français. Il diffusa enfin des brochures à 10 cts, rédigées dans un style simple pour faire pénétrer ses analyses et propositions dans tous les milieux. Pressenti pour le 1er prix Nobel de la Paix en 1901, ce seront Frédéric Passy (France) et Henri Dunant (Suisse), qui l’obtinrent. Il suscita et finança en 1902 la création d’un Musée international de la guerre et de la paix à Lucerne (Suisse), offrant à voir des machines de guerre modernes en expliquant leurs conséquences humaines et économiques, le premier au monde. Il meurt peu avant son inauguration et son musée ne survécut pas à 14-18. Son décès ne lui permit pas non plus de réaliser un autre de ses projets : une Encyclopédie de la Paix. Par testament, De Bloch léguera une somme de 50.000 roubles-argent au Bureau international de la paix. Sa mort privera le mouvement pacifiste mondial d’un financement appréciable… Jean-Paul Vienne N° 612 - Mai 2016 - Planète PAIX

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MONDIALISER LA PAIX INTERVIEW de Hussain Jawad

Des geôles du Bahreïn à la poursuite de la lutte A 29 ans, Hussain

régime autoritaire. Comme réponse, le gouvernement a laissé entrer l’armée saoudienne.

Jawad* a déjà

Quelle est la situation sociale du pays ?

connu la lutte, l’arrestation et la torture. Présidentfondateur de European-Bahraini Organisation for Human Rights (EBOHR), le jeune bahreïni a choisi de reprendre le combat de son père Parweez qui reste emprisonné dans la pétro-monarchie. Entretien avec un homme de Paix…

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e France, le Bahreïn peut apparaître comme une « pétro-monarchie », un pays sans légitimité historique mais qu’en est-il réellement ?

Situé au cœur du golfe Persique, Bahreïn, dont le nom signifie « deux mers » a été un des premiers états à y découvrir du pétrole et à construire une raffinerie. Nous n’avons jamais atteint les niveaux de production du Koweït ou de l’Arabie saoudite, ce qui nous a forcés à diversifier notre économie. Historiquement Bahreïn est le carrefour naturel du Moyen Orient. C’est une monarchie dirigée par un roi sunnite issu de la famille Khalifa depuis 1783, et indépendant de l’Angleterre depuis 1971, dont les membres détiennent les principaux postes politiques et militaires. Jusqu’en février 2011, Bahreïn a pu apparaître dans les médias occidentaux comme une nation insulaire « romantique » au Moyen-Orient, avec un roi grand allié de l’Occident. Ainsi le roi de Bahreïn a été invité d’honneur au mariage du Prince Charles et de Camilla ; la Ve flotte de la marine américaine y est hébergée, le Royaume Uni et les ÉtatsUnis sont les principaux fournisseurs d’armes de ce gouvernement « amical ». Au cours de sa visite en décembre 2010, la secrétaire d’État Hillary Clinton a proclamé : « Je suis très impressionnée par les progrès que Bahreïn fait sur tous les fronts - économiquement, politiquement, socialement. Il existe une vision très complète vers laquelle les peuples et le gouvernement de Bahreïn se dirigent ». Mais de fait, le peuple et le gouvernement du Bahreïn ne se dirigent pas dans la même direction. Inspirés par la Tunisie et l’Egypte, les gens ordinaires sont descendus dans les rues du Bahreïn en février 2011, exigeant la démocratie et la fin des siècles d’un

Grâce à des prix élevés du pétrole, une grande richesse a afflué dans les coffres de la classe dirigeante. Le roi, Hamad Bin Isa al-Khalifa est réputé pour être l’un des principaux collectionneurs de voitures de sport sur la planète. C’est aussi le seul pays dans la région du Golfe à avoir signé un accord de libre-échange avec les États-Unis. Le résultat de cette politique donnant libre cours aux forces du marché est une augmentation sans précédent de la pauvreté et des difficultés pour la majorité de la population. Très peu de la richesse de l’élite se diffuse dans les bidonvilles du centre-ville, où des milliers de personnes se pressent dans des conditions insalubres. On estime que plus de 50.000 familles bahreïnies sont sur des listes d’attente pour des logements. Certaines de ces familles ont attendu plus de 20 ans pour en trouver un ! La majorité de la population est Chiite, alors que la famille régnante et la plupart de la classe dirigeante sont Sunnites. Les Chiites à Bahreïn sont victimes de discrimination concernant l’emploi et le développement social. Les dirigeants ont maintenu les conflits séculaires entre Chiites et Sunnites pour diviser le peuple.

Quelle est la place pour la démocratie ? Les journalistes, blogueurs et photographes bahreïnis risquent des peines de prison de cinq ans s’ils critiquent le gouvernement et la religion. L’autocensure est répandue et certains journalistes et blogueurs connus ont été mis derrière les barreaux. En 2014, Reporters sans frontières a décrit Bahreïn comme le « royaume de la désinformation » et a placé la monarchie dans la liste des « ennemis d’internet ».

A titre personnel, comment menez-vous ce combat ? Je suis un militant des droits de l’homme*. Comme nombre de mes camarades militants, j’ai été arrêté à plusieurs reprises en raison de mes actions pour avoir librement exprimé mon opinion. La persécution est devenue tellement commune que nous avons commencé à utiliser les attaques comme des opportunités de promotion de nos actions ! Quand


j’ai été détenu à la fin de 2013, j’ai ainsi enseigné des cours d’éducation aux droits de l’homme aux jeunes hommes logés dans la même partie de la prison.

Vous avez payé physiquement ce combat… Oui. J’ai été soumis à la torture. J’ai subi des violences physiques et sexuelles par la Criminal Investigation Directorate (Direction des enquêtes criminelles ou CID). J’ai raconté à Amnesty international que durant mon interrogatoire, les officiers m’ont soumis à diverses formes de torture et de mauvais traitements. Par exemple, je suis resté de longs moments les yeux bandés, les mains menottées dans le dos, sans possibilité d’utiliser les toilettes, puis j’ai été battu, frappé sur la tête, sur les hanches, le dos et les jambes en étant menacé de sévices sexuels. Ils ont voulu me « punir » de défendre les droits de l’homme, et faire taire un critique acharné du gouvernement. Ils ont cherché des arguments pour m’enfermer de façon permanente. Officiellement, j’ai été détenu dans le but de me faire avouer le crime de « collecter de l’argent de [l’intérieur de] Bahreïn et à l’étranger pour aider et soutenir les saboteurs ». J’ai été condamné par contumace le 15 décembre 2015 à une peine de deux ans d’emprisonnement. Mais je suis aussi poursuivi en justice sur des accusations de « critique des institutions gouvernementales », « insulte au drapeau et à l’emblème du pays », « tentative de perturbation de la sécurité publique », « rassemblement illégal», « insulte au roi », « provocation de haine envers le régime », « diffusion de fausses informations » et… « abus des réseaux sociaux comme Twitter » !

Et aujourd’hui, où en êtes-vous ? Je suis désormais demandeur d’asile en France, où je me suis enfui avec ma femme et mon fils en août 2015. Mon fils ne grandira pas avec des descentes policières toutes les nuits, et ma femme a pu s’inscrire à l’université. Je peux travailler sans crainte que la police fasse une descente dans ma maison et saisisse mon ordinateur. Ils ont réussi à faire en sorte que les défenseurs des droits de l’homme

soient plus efficaces et productifs en dehors du Bahreïn ! Interview réalisée par Nicolas Lavallée * Hussain Jawad est président et co-fondateur de l’European-Bahraini Organisation for Human Rights (l’Organisation bahreïno-européenne pour les droits de l’homme, ou EBOHR), fondateur de la Bahrain Youth Society for Human Rights, et militant actif au sein du Bahrain Center for Human Rights depuis 2002.

« Parweez » Jawad, au nom du père… A 68 ans, Parweez Jawad est membre du groupe « Bahrain 13 » qui se compose de dirigeants et figures politiques. Militant des droits de l’homme connu, il a notamment fait campagne spécifiquement pour le respect des droits des détenus et des prisonniers. Il a été arrêté à plusieurs reprises au cours des années 1980 et 1990 en raison de son travail, puis en 2007, année à laquelle il a été soumis à la torture qui inclut d’être accroché au plafond par les mains, bras tendus, durant des périodes prolongées. Le 15 décembre 2010, les forces armées ont attaqué sa maison et l’ont enlevé de force sans justification ou un mandat d’arrêt. La veille de son arrestation, il avait manifesté dans la capitale Manama tenant une banderole avec les photos de détenus défenseurs des droits de l’homme et demandant leur libération. Arrêté de nouveau le 22 mars 2011, Parweez a été battu et abusé sexuellement : « Après mon arrestation, je suis resté pendant trois semaines dans la prison Al Qalah. J’ai été accroché par les mains et battu avec des flexibles. J’ai été électrocuté sur les jambes. Ils ont aussi essayé d’insérer un bâton dans mon anus mais j’ai farouchement résisté ce qui m’a voulu d’être sévèrement battu ». Il a indiqué que même à la clinique de la prison, le 9 avril 2012, il a été torturé par le fils du roi Naser Bin Hamad Al Khalifa en personne qui l’a flagellé, battu et lui a arraché des cheveux et de la barbe. Il a vu son état de santé se détériorer et souffre de problèmes de mobilité qui nécessiteraient des soins médicaux spécialisés. Vomissant du sang et perdant conscience, le 30 août 2012 il a été admis à l’hôpital pour trois jours. Jugé par un tribunal militaire spécial au cours de ce qui est largement considéré comme un procès injuste, il a été condamné à 15 ans d’emprisonnement sous l’accusation de « conspiration en vue de renverser le régime par la force et collaboration avec une organisation terroriste travaillant pour un pays étranger » par un tribunal militaire. Le tribunal civil a confirmé ce verdict inique. N° 612 - Mai 2016 - Planète PAIX

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MONDIALISER LA PAIX Afrique

Des jeunes qui préparent le printemps de l’Afrique Journaliste belge spécialiste de la région des Grands Lacs (Afrique de l’Est), Colette Braeckman est une observatrice attentive des mouvements de jeunesse sur un continent où les moins de 15 ans représentent 40% de la population. Une chance à saisir pour l’avenir de l’Afrique…

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e jeunes africains ont été récemment invités à Bruxelles au Parlement européen. Qui étaient-ils ?

Ces jeunes appartiennent aux mouvements « Y’en a marre », « Le balai citoyen » et autres « Filimbi » (le sifflet) dont le seul nom donne des sueurs froides aux classes politiques. Invités à Bruxelles par le Parlement européen, ils ont confronté leurs expériences en incarnant ce « Front citoyen » qui représente désormais l’avant garde des luttes en Afrique.

Quelles sont leurs objectifs ? Leurs activités ? Avaient-ils un bilan ? « Les Sénégalais, a expliqué l’ancien journaliste Aliou Sané, sont issus de longues luttes syndicales, d’une très ancienne opposition au parti unique, qui avait installé au pouvoir Léopold Sedar Senghor (1960-1980) puis Abdou Diouf (1981-2000). A la fin du mandat de ce dernier, lassés de l’arrogance du pouvoir, qui contrastait tellement avec la situation sociale de la population, nous avons clamé « Y’en a marre » ». Et Sané d’ajouter : « Marre de ces pièces sans électricité où on s’entasse à quatre pour étudier, marre de toutes ces inégalités. Aux jeunes, nous avons dit : « Avant de faire la révolution, prenez votre carte d’électeur. Inscrivez vous sur les listes et allez voter » Résultat : en 2012, Abdoulaye Wade, élu en 2000 et qui aurait voulu rester président a du renoncer à un nouveau mandat. Au Tchad, le slammeur Didier Lahaye engagé sous la bannière de « Iyina », mouvement proche des jeunes explique que « dans les écoles, sur les marchés, nous avons des cellules, nous parlons aux jeunes. Le président Deby pour discuter, il a du passer par nous, car nous représentons la base ». Quant au rappeur burkinabè, Smokey, fondateur de « Le balai citoyen » il estime que « Nos concerts, qu’aucun jeune ne voudrait manquer, sont des meetings déguisés. C’est la musique qui permet de faire passer des messages ». Le « non » du Burkina Faso à la réélection de Blaise Compaoré a été clair et massif et ce dernier a du quitter

le pouvoir en 2014 après 27 ans de pouvoir. Pour Smokey, « chacun sait désormais que le pouvoir, cela ne se garde pas… »

Ces succès peuvent-ils faire tache d’huile ? Ces victoires font rêver le Congolais Floribert Anzuluni. Exilé en Belgique, il représente « Filimbi » (le sifflet). « Lorsque les rebelles du M23 ont envahi Goma, notre génération a soudain estimé que « Trop c’est trop ». Trop d’humiliation. Trop de mauvaise gestion. Ras le bol. Nous voulons qu’en novembre 2016 les élections aient lieu, dans le respect de la Constitution. Quel que soit le vainqueur ! » Refusant les récupérations politiciennes ou économiques, ces mouvements citoyens sont actifs malgré la répression. « Nous nous finançons en vendant des T-shirts », dit Smokey, tandis que les Sénégalais organisent des « ateliers de rap ». En RD Congo des militants de « Filimbi » sont détenus depuis un an. Á Goma, des membres de Lucha ont été condamnés à six mois de prison pour avoir appelé à une journée morte. Au Burundi, les jeunes se sont mobilisés au péril de leur vie : 500 ont été tués car ils s’opposaient au troisième mandat de Pierre Nkurunziza… !

La répression peut-elle endiguer ces mouvements ? Est-ce au canon que l’on stoppe les vagues de fond ? A la mitrailleuse que l’on chasse les moustiques ? Ces jeunes appartiennent à la génération internet. Ils surfent sur les réseaux sociaux, communiquent gratuitement, envoient des photos en temps réel, sont en même temps acteurs, communicateurs, mobilisateurs. « Ni l’argent ni les solutions ne viendront de l’étranger, dit Aliou Sané. A nous de trouver les solutions. Il faut rendre aux jeunes le goût de la démocratie. » Et Smokey de conclure : « Thomas Sankara est mort en 1987. Nous sommes ses enfants. Nous sommes là, enfin. Et déjà il est temps de préparer la relève… » Interview réalisée par Roland Nivet


MONDIALISER LA PAIX AFRIQUE DES GRANDS LACS

Fausse accalmie au Burundi Éclipsé par d’autres urgences, le Burundi s’enfonce dans une « crise de basse intensité » qui ne fait plus les grands titres.

A

u Burundi aujourd’hui la répression est quotidienne. Depuis le début de la crise, plus de 400 personnes ont été tuées (une estimation jugée minimaliste par beaucoup) les arrestations se chiffrent par milliers et 250.000 Burundais ont fui à l’étranger. Selon le Haut Commissaire de l’ONU aux Droits de l’homme, 345 cas de tortures et de mauvais traitements ont été enregistrés depuis le début de cette année, soit près de 600 sur les douze derniers mois. Ces sévices graves sont infligés non seulement dans les lieux de détention officiels, mais aussi dans des postes de police ou des prisons clandestines, des

La sortie de l’impasse actuelle pourrait être d‘autant plus terrifiante …

EN SAVOIR PLUS • Colette Braeckman est une journaliste belge, membre de la rédaction du journal belge francophone Le Soir où elle a la responsabilité de l’actualité africaine. Elle est également chroniqueuse au Monde diplomatique.

cellules disséminées à travers le pays et contrôlées par la « Documentation », nouveau nom du SNR (service national de renseignements). La Documentation, dont le chef, le général Nshimirimana a lui-même été assassiné l’an dernier par des inconnus, est un service de plus en plus sophistiqué, doté de pouvoirs considérables : directement lié au clan des durs proches de la présidence, il agit à la marge de l’État, ne rend compte à personne de ses actions et, avec la coopération des Imbonerakure, les milices de jeunes armées par le pouvoir, il a réussi à quadriller le territoire et à terroriser toute la population jusque dans les zones rurales. La répression s’appuie aussi sur quelques unités de l’armée et de la police, essentiellement composées de Hutus qui avaient naguère participé à la rébellion du CNDD, le parti au pouvoir, et qui estiment qu’après leurs années d’exil en Tanzanie et de maquis, ils ont une revanche à prendre. D’après les observateurs, ce

« noyau dur » met en œuvre un agenda parallèle préparé durant les années de clandestinité. Il faut se rappeler en effet que la base des Forces pour la défense de la démocratie, (FDD) a été recrutée dans les camps de réfugiés en Tanzanie, parmi les centaines de milliers de Hutus qui, en 1972 avaient été contraints de fuir le pays. Ils étaient visés par ce que l’on avait appelé à l’époque le « génocide sélectif » où des officiers tutsis avaient systématiquement éliminé des intellectuels hutus ( dont le père du président actuel, un instituteur étranglé avec sa cravate…). Les Tutsis, à l’époque, pensaient avoir « gagné du temps ». Le temps d’une génération… Le pouvoir actuel, porteur de cette volonté de revanche, ne s’estime pas lié par les accords d’Arusha, qui prévoyaient le partage du pouvoir, à raison de 40% pour les Tutsis, et un maximum de deux mandats pour le chef d’État en exercice. D’après les observateurs, on assiste actuellement à la mise en œuvre de cet « agenda caché » dont s’inspirent des généraux hutus issus de la rébellion qui s’emploient désormais à mettre à l’écart ou à éliminer physiquement leurs collègues, Tutsis et même Hutus, issus des anciennes Forces armées burundaises. Ce « génocide au compte-goutte » qui pourrait tout de même déboucher sur un bain de sang généralisé, est aussi rendu possible par les divisions au sein de l’opposition, malgré l’existence d’une plateforme commune, et surtout par l’ impuissance de la communauté internationale, où la Chine et la Russie refusent, au Conseil de Sécurité, d’adopter des mesures contraignantes pour le pouvoir en place, tandis que l’Union africaine elle-même ne dégage pas de ligne commune et que des armes arrivant à Bujumbura transiteraient par la Guinée Equatoriale et le Congo Brazzaville. Poursuivant dans son attitude de défi, Bujumbura a mis en garde les ressortissants de pays qui ont décidé de suspendre leur coopération avec le Burundi, dont la Belgique, leur demandant de regagner leur pays d’origine ou… de demander un visa touristique… Colette Braeckman

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Histoire Institutions Internationales

De la SDN à l’ONU Il faut reconnaître à la SDN le mérite d’avoir créé un espace de dialogue international et limité l’usage de la diplomatie secrète bilatérale qui était presque la seule forme de négociations interétatiques avant 1914. Elle a donc ouvert la porte à la création de l’ONU.

EN SAVOIR PLUS • http://sprimun.com/ • http://sprimun.com/partners/ 22

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e 11 novembre 1918, l’armistice est signé entre la France et l’Empire Allemand. Malgré quelques conflits qui continuent en périphérie de l’Europe, c’est le début d’un processus qui mettra fin à la Grande Guerre par les traités de Versailles, Sèvres, Lausanne, et d’autres. Le Président des États-Unis W.Wilson, dans un discours au Congrès, évoque quatorze mesures qui doivent être prises pour maintenir une paix mondiale durable. Ces mesures traitent des territoires polonais ou du démembrement des empires Ottomans et Austro-Hongrois. La quatorzième comporte : « une association générale des Nations doit être constituée sous des alliances spécifiques ayant pour objet d’offrir des garanties mutuelles d’indépendance politique et d’intégrité territoriale aux petits comme aux grands États ». Le projet de la Société des Nations est né. Cette organisation internationale échouera dans sa tâche, et sera remplacée par les Nations Unies après la chute de l’Axe. Les raisons de l’échec de la SDN à empêcher le second conflit mondial sont multiples et difficiles à hiérarchiser, mais l’une d’entre elles semble résider dans son incapacité à faire appliquer ses décisions. De nos jours, l’ONU repose essentiellement sur le bon vouloir de ses États-Membres pour faire appliquer ses décisions. Cependant, ces dernières sont contraignantes : un État qui refuse d’appliquer les sanctions économiques votées peut se voir lui-même sanctionné. Or, dans la SDN, aucun instrument n’était prévu pour imposer les décisions aux États ni au plan économique, ni au plan militaire. Si une sanction économique est votée, rien ne peut garantir que les États-Membres l’appliquent. Si une sanction militaire est votée, il faut que des armées nationales se coalisent pour la faire appliquer. Il apparaît donc nécessaire qu’une ou plusieurs grandes puissances s’engagent à faire respecter l’ordre de la SDN. Cependant, le contexte international d’après-guerre ne s’y prête guère. En effet pendant l’entre-deux guerres, les puissances coloniales européennes que sont la France et le Royaume-Uni gardent un poids important sur la scène internationale mais les gouvernements de ces pays sont réticents à intervenir militairement pour la SDN. L’Allemagne quant à elle n’intègre la SDN qu’en 1926 et s’en retire en 1933 suite à la naissance du Troisième Reich. De plus, la montée du nazisme inverse rapidement les choses :

Siège de l’Onu- New-York

l’Allemagne devient un problème pour la SDN, et non plus une aide potentielle. L’Italie fasciste, quant à elle, viole constamment les traités, notamment avec l’invasion de l’Ethiopie en 1935. Quels pays restentils pour faire respecter l’ordre mondial pacifique souhaité par les fondateurs de la Société ? L’URSS ne la rejoint que tardivement en 1934, pour en être exclue cinq ans plus tard suite à l’invasion de la Finlande. Quant à la puissance montante de l’époque, les ÉtatsUnis font le choix de l’isolationnisme : le Congrès refuse que le pays intègre la SDN et les gouvernements successifs refusent de s’impliquer de nouveau dans les « affaires européennes ». La réussite de la mission de la SDN était déjà compromise au moment de sa création car des États importants n’y sont pas représentés, et les puissances qui en font partie n’appliquent pas ses décisions. Malgré quelques succès sur des différends territoriaux, elle ne parvient pas à empêcher l’escalade des tensions internationales de la fin des années 1930 qui conduit au déclenchement de la guerre. Son incapacité à faire appliquer ses décisions l’empêche d’apparaître comme une réelle menace et donc l’empêche d’avoir une quelconque influence sur des États belliqueux et expansionnistes comme l’Allemagne nazie ou l’Italie fasciste. La SDN aura cependant eu le mérite d’avoir créé un espace ouvert et transparent de dialogue international : elle a réussi à limiter l’usage de la diplomatie secrète bilatérale, qui était presque la seule forme de négociations interétatiques avant 1914. Elle a donc ouvert la porte à la création d’une nouvelle organisation, voulue plus efficace, que sera l’ONU. Sprirum


CULTURE L’Intelligence artificielle

Un défi démocratique Présente dans de nombreux objets de notre quotidien, l’ « intelligence artificielle » est au cœur de nombreux débats de société. Mais peut-on vraiment parler d’intelligence ?

«

La Machine Analytique n’a nullement la prétention de créer quelque chose par elle-même. Elle peut exécuter tout ce que nous saurons lui ordonner d’exécuter. Elle peut suivre une analyse; mais elle n’a pas la faculté d’imaginer des relations analytiques ou des vérités. Son rôle est de nous aider à effectuer ce que nous savons déjà dominé”. Comme l’exprimait si bien Ada comtesse de Lovelace (1815-1862), première programmeuse de l’histoire, l’intelligence artificielle n’est qu’une algorithmique mise au point pour affronter des situations où la combinatoire des possibles exclut les procédures exhaustives. Il a donc fallu mettre au point des procédures (algorithmes !) idoines. C’est ainsi qu’on peut faire jouer un ordinateur aux échecs ou au go et faire en sorte qu’il gagne à tous les coups alors que le nombre de parties possibles est supérieur au nombre d’électrons dans l’univers. On traduit allègrement « artificial intelligence » par « intelligence artificielle » bien que nul n’ait confondu « Intelligence service » avec « Service intelligent » ! On est là devant un problème de culture. Les Anglo-saxons sont pour l’essentiel tentés par le behaviorisme, le dit « test de Turing » en témoigne qui juge extérieurement de l’intelligence d’une chose (une situation ?) par l’observation qu’on en peut faire. C’est une vision mécaniste du matérialisme. Ainsi, en vient-on à parler d’objets intelligents, voiture intelligente, autocuiseur intelligent,… Si on définit l’intelligence comme une capacité à faire ceci ou cela, alors les ordinateurs sont ou seront en capacité de le faire. Ils peuvent agir, faire, simuler, calculer plus vite que tout être humain, c’est même pour ça qu’on en conçoit et fabrique. Un ordinateur n’a pas de désir, il ne triche pas s’il n’est pas programmé pour, il n’aime, ne hait, ne souffre, n’est confronté à sa mort, ni ne pense. Il n’a pas de généalogie ni de fratrie, donc pas de frustration.

Le terme Intelligence Artificielle (IA) fut créé en 1956 par l’Américain John Mac Carthy au cours d’une conférence au Dartmouth college (Hanover, New Hampshire). L’invention et l’utilisation de ce terme sont caractéristiques d’une démarche anthropomorphique alors qu’existe la Cybernétique qui concerne le même champ de connaissances, et même au-delà. Ainsi, il n’y aurait qu’à comprendre le fonctionnement du cerveau, et à le reproduire pour fabriquer de l’intelligence. Il s’agit là d’une démarche surprenante pour des scientifiques...

Aucun avion ne vole comme un oiseau, et la nature n’a pas inventé la roue ! Simuler le comportement du cerveau pour en comprendre le fonctionnement est une chose, espérer faire produire à de tels simulateurs de l’intelligence en est une autre. Les hommes ne sont intelligents que parce qu’ils vivent en société, les mésaventures d’enfants abandonnés et élevés par des animaux en témoignent. On peut assimiler l’Intelligence au processus d’hominisation, qui est toujours en cours. En informatique, on utilise des algorithmes et le codage de ces algorithmes en un langage compréhensible par la machine se nomme « programme ». La théorie de la complexité algorithmique nous apprend qu’il existe un certain nombre de problèmes, pour l’essentiel -bien sûr les plus intéressants- pour lesquels, quelle que soit la puissance des ordinateurs

utilisés, le temps de calcul nécessaire à la résolution exacte de problèmes de petite taille (une centaine de variables) est de l’ordre de quelques milliers de siècles ! On se contente alors d’utiliser des algorithmes qui donnent de « bonnes solutions », qu’on appelle des « heuristiques », voire des « solutions approchées ». L’une des techniques reine de l’IA est l’apprentissage automatique. Celui-ci consiste à concevoir des algorithmes susceptibles d’apprendre à partir d’échantillons pris dans des bases de données ou obtenus par des capteurs. C’est le principe même des systèmes évolutifs qui s’adaptent à leur environnement « probablement approximativement correct » pour évoluer dans le contexte des contraintes dudit environnement, qu’il s’agisse des règles du jeu de GO apprises au fur et à mesure des parties jouées ou de l’évolution des espèces animales. Et ce qu’il faut remarquer ici c’est le « approximativement ». Cette approximation même autorise l’évolution, le progrès. Si un algorithme n’est pas approximatif dans un environnement changeant, il n’est plus adapté lorsque l’environnement change. C’est cette capacité à apprendre à partir des informations fournies par les internautes euxmêmes qui est mise en œuvre par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) pour analyser les comportements de chacun, en élaborer un profil commercial et proposer des services ou produits adaptés avec une grande pertinence. Les mêmes techniques peuvent servir à prévoir l’évolution de notre santé et à tenter de prévoir les comportements humains et sociaux en général. La maîtrise de ces techniques et des outils permettant de les mettre en œuvre est un enjeu de démocratie. Ivan Lavallée, professeur des universités

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ans le cadre du Festival des « Étonnants voyageurs » conférence-débat dimanche 15 mai 2016 a 14 heures, Hôtel l’Univers, salle Cartier, SaintMalo intra-muros avec Colette Braeckman, journaliste belge, chroniqueuse au Monde Diplomatique, spécialiste de l’Afrique des Grands Lacs et auteure du livre « L’homme qui répare les femmes » et également co-auteure du film du même nom. Elle rentre d’un séjour en Afrique. Liste des organisations : Mouvement de la Paix, Association Angola-Congo-Bretagne, Déclic Femmes, Vudo (Volontaires Unis pour la Dignité des Opprimés), Femmes Solidaires, Marche Mondiale des Femmes, Ligue des Droits de l’Homme.


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