L’info pacifiste : www.mvtpaix.org La paix en mouvement
3,20 euros / N° 617 / Décembre 2016
Le terrorisme n’est pas une fatalité
Nations Unies
Un nouveau Secrétaire général (P.21)
Théâtre Poussières de Paix (P.23)
Dossier (P.11-16)
REGARD SUR...
Les comités du Mouvement de la Paix de la région PACA réunis en stage de formation des bénévoles les 12 et 13 novembre à Trescléoux (05)
Mardi 22 novembre, jour du vote du budget de la Défense à l’Assemblée Nationale, des militants anti- arme nucléaire (MAN, Mouvement de la Paix, Maison de Vigilance) se sont retrouvés à proximité de l’Assemblée Nationale.
Ziad Medoukh, poète palestinien de Gaza, a reçu le prix d’honneur du concours Europoésie UNICEF 2016 à Paris. 2
N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
Rassemblement du 11 Novembre 2016 à l’entrée des jardins du château de Lunéville (54), à proximité du monument aux morts et des officiels pour écouter le groupe musical des Bure-Haleurs et la chanson de Craonne.
l’Édito
Sommaire Planète Paix n° 617 - Décembre 2016
6
Campagne
LIVRE BLANC
P.6
Portons le débat sur l’arme nucléaire
Un projet collectif au service du pouvoir d’agir SEPTèMES LES VALLONS
P.7
La guerre n’est pas un jeu
8
Actualité
Création
P.8
Visages de paix : l’aventure continue ! PRIX NOBEL 2016
P.9
De la paix à la littérature, ou l’inverse
11
dossier
Le terrorisme n’est pas une fatalité opinion
P.12/13
Tarir le lit du terrorisme Essai
P.14
Pour une nouvelle aventure humaine ADOLESCENTS
Annie Frison
‘‘
Pourquoi
n’avons-nous pas
P.15
Sortir de l’emprise pour revenir à la vie
d’argent pour accueillir des
18
réfugiés de façon
mondialiser la paix
Onu
P.18
Un pas vers l’interdiction des armes nucléaires AFRIQUE DES GRANDS LACS
P.19
République Démocratique du Congo : le dialogue, non merci… Allemagne
décente mais de l’argent pour la
bombe atomique . ’’
P.20
Où en est le mouvement pacifiste ? Nations Unies
P.21
Un nouveau Secrétaire général
22
culture
FILm
P.22
‘‘La sociale’’ tous ensemble pour la Sécu ! Théâtre
P.23
Poussières de Paix
Mensuel édité par le mouvement de la paix
9, rue Dulcie September, 93400 Saint-Ouen Tél. 01 40 12 09 12 planete.paix@mvtpaix.org
Directrice de la publication : Annie Frison Rédacteur en chef : Pierre Villard Conception maquette : Chérif Beldjoudi Graphiste - maquettiste : Laurence Leclert Comité de rédaction : Raoul Alonso, Alexandre Dicko, Nadia Dorny-Bennad, Giselle El Raheb, Guillaume du Souich, Annie Frison, Nicolas Pitsos, Roland Nivet, Alain Rouy, Pierre Villard, Jean-Paul Vienne. Photos et illustrations : Tous droits réservés - Onu Ont participé à ce numéro : Annie Frison, Roland Nivet, Pierre Villard, Lisa Sylvestre, Raoul Alonso, Daniel Durand, Jean-Marie Collin, Colette Braeckman, Le Docteur Mukwegue, Alain Rouy, Nicole Bouëxel. Gestion des abonnements : Nassera Macrez, tél. 01 40 12 09 12 ISSN 1773-19241. Numéro de commission paritaire : 0317G85601 Imprimeur : Compédit Beauregard - 61600 La Ferté-Macé
uand vous lirez ce numéro de Planète Paix, vous saurez si la France a enfin voté pour que les Nations unies travaillent sur un traité d’interdiction des armes nucléaires. Bien sûr, malgré la pression des citoyens et de nombreuses ONG (Organisations Non Gouvernementales), ce vote de la France semble bien compromis puisque notre pays vient de voter le doublement du budget du nucléaire militaire pour atteindre 6 milliards d’euros par an. Ce budget va amplifier les recherches sur la mise au point d’une arme nucléaire utilisable sur un champ de bataille. Nous savons tous, élus, chefs de gouvernement, citoyens et militants pacifistes que l’emploi d’une de ces armes pourrait conduire à une catastrophe humanitaire à laquelle même la Croix Rouge déclare ne pas pouvoir faire face. L’abolition de l’armement nucléaire en France et dans le monde doit devenir l’affaire de tous. Nous avons en 2017 des élections présidentielles et législatives : aux abolitionnistes de porter ce débat avec confiance partout où ils seront. Pourquoi être fier d’une arme qui apporterait la fin de l’humanité ? Pourquoi n’avons-nous pas d’argent pour accueillir des réfugiés de façon décente mais de l’argent pour la bombe atomique ? Pourquoi vouloir inculquer la peur dans notre vie quotidienne à cause des actions terroristes et ne pas prendre en compte l’insécurité liée aux armes nucléaires en alerte permanente au-dessus de nos têtes ? Que penser si celles-ci venaient aux mains des terroristes ? Le dossier de ce mois permet de lier les racines du terrorisme et sa progression avec les ravages des actions guerrières menées ces dernières années. Vous prendrez aussi connaissance des innombrables actions initiées par la société civile pour aller vers un monde apaisé. C’est en tout cas ce que je vous souhaite pour cette fin d’année, des moments partagés en famille, entre amis ou auprès de personnes démunies qui ont fui la guerre et les violences.
Bon d’abonnement à Planète Paix page 16 N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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Poème Courrier des lecteurs
Opinions, Suggestions, Observations ! Envoyez-nous vos messages pour qu’ils soient diffusés dans le journal et sur le site Internet du Mouvement www.mvtpaix.org. écrire à : Mouvement de la Paix 9 rue, Dulcie September, 93400 Saint-Ouen. Courriel : planete.paix@mvtpaix.org Les réflexions suivantes sont destinées au débat et n’engagent donc que leurs auteurs.
C’est pas Noël tous les jours ! Alep, Mossoul, le Yémen oublié, la Palestine toujours occupée et… « la jungle » de Calais ! Quel terme « sauvage » pour désigner l’endroit où vivaient (et parfois survivaient) des enfants, des jeunes, des femmes, des hommes avant d’être invités à rejoindre d’autres lieux ! Quelle tristesse de voir des maires refuser de les accueillir ! D’autres, heureusement, leur ouvrent les portes. Ceux-là comprennent que les reporters qui nous font découvrir la vie inhumaine de ceux qui fuient la faim, la torture, la guerre dans leur pays… nous invitent tout simplement à être des « humanistes sans frontières ». Il est une chanson qui s’intitule « C’est Noël tous les jours ». Comment le faire croire à celles et ceux qui vivent sans espoir : les sans-pains, sans-travail, sanslogis, sans-libertés, sans-paix… tous ceux que l’on repousse à
cause de leur couleur, de leur origine ou de leurs opinions ? Serait-elle donc alors inutile l’action de celles et ceux qui ouvrent leur bras, leurs maisons et surtout leurs cœurs à tous les cabossés de la vie ? Je refuse de le croire et pense finalement qu’on peut apporter tous les jours des petits bouts de Noël, des petits bouts d’amour (et là je reprends quelques termes
de la chanson) : en rendant le sourire à l’enfant qui pleure, en forçant la misère à reculer, en partageant le pain et l’amitié et, plus que jamais, en déposant les armes pour mettre fin aux guerres. Et si on essayait de donner vie journellement à ce Noëlespérance, à cet amour universel que l’on attend depuis des siècles ?
Il est vraiment plus que temps de se mettre en marche pour qu’un jour tous les humains connaissent la fraternité internationale et puissent se dire pardessus les frontières (et, encore mieux, sans frontières !) : Joyeux Noël et… Bonne Année ! » Claude Simon Caen (Calvados)
Poème : En marche pour la paix. Question d’être. De la chapelle de La Borne Par les chemins de forêt d’Anne et de Linard Zébrée multicolore Carrière et cathédrale Je marche Par les poteries à Uchère et Les Sigurets Les chemins de Ferrière Par l’eau traversée Les chemins de traverse Par la Tour atteinte Et l’Accointance ouverte Et la voix de Galim Tu marches Par les chemins qui poudroient La traversée des chaumes 4
N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
Et la vigne abordée Il marche Par la montagne de Champtin Par la joie d’Esther et la cour du petit puits Nous marchons Par les chemins des vignes, Des écossais et de Bué Vous marchez Par la feuille de millepertuis Par les rues qui montent vers les hauts de Sancerre Dans la rue qui grimpe Aussi haut qu’un espoir Elles marchent En paix avec elles-mêmes
En paix avec moi Comme je le suis avec elles pour la paix dans le monde Un monde espéré enfin retrouvé. Ce qui jamais ne marche Ne marche qu’à petits pas Qu’à tout-petits pas Commis de ci ... de là De « si... », d’« atchoum ! » et d’« hélas... » D’atermoiements Ou d’éternuements, Il n’est bientôt plus temps d’être question Marchons ! Christophe, marcheur. Champtin-les Bottins (18) - Août 2016
REPÈRES ... Livre
Livre
‘‘L’Afrique Défis, enjeux et perspectives en 40 fiches pour comprendre l’actualité’’
‘‘Le dernier assaut’’
Philippe Hugon - Éd. Eyrolles, 2016 176 pages
Jacques Tardi, Dominique Grange Éditions Casterman - 23 €
Quel avenir pour l’Afrique ? L’Afrique est-elle entrée dans l’histoire ? La colonisation a-t-elle aujourd’hui une influence ? Quelles trajectoires depuis les indépendances ? L’Afrique est-elle bien ou mal partie ? Ces questions traversent l’histoire contemporaine et resurgissent au fil de l’actualité. Des clichés à la réalité, ce guide illustré nous parle de lieux, de faits et de chiffres pour nous aider à y voir plus clair. Spécialiste incontesté, Philippe Hugon propose 40 fiches thématiques et documentées, réparties comme en 10 éclairages différents, 10 grands défis, 10 principales puissances et 10 leviers d’action.
« Le dernier assaut » est le dernier album en date de Tardi sur la Grande Guerre. C’est la brève pérégrination du brancardier Augustin avant de monter à l’assaut. Tardi replonge dans les tranchées pour une dernière « mise au point » sur l’horreur et l’absurdité de ce conflit. Des deux côtés, des hommes à bout de force, enfouis dans les tombes qu’ils ont creusées à leur usage, s’appliquent méthodiquement à s’entretuer... Les hommes qui combattirent et s’entretuèrent. Les troupes coloniales expédiées à l’abattoir manu militari. Les mutilés volontaires pour fuir l’enfer des combats. Les médecins qui traquaient les mutilés volontaires. Les industriels que la guerre enrichit. La Grande Guerre comme matrice des totalitarismes à venir - à l’Est comme à l’Ouest - et des massacres organisés qu’ils conduisirent. L’échec du pacifisme à empêcher l’horreur. Même Augustin tuera. Parce qu’il a peur, pour sauver sa vie. Et la fois où il ne tuera pas, il laissera vivre un jeune caporal allemand au sinistre avenir. Ethique de conviction contre éthique de responsabilité. Et puis, le dernier assaut. Six pages sans texte. Les hommes, les canons, la boue qu’explosent les obus. Puis les têtes arrachées, les membres arrachés, les mâchoires emportées, les entrailles exhibées Graphiquement c’est du Tardi à l’intensité maximum. Yeux écarquillés, visages hallucinés, corps démantibulés. Cet ouvrage comprend un CD audio de 12 chansons interprétées par Dominique Grange et les musiciens d’Accordzéâm.
Livre
‘‘Médecin de guerre de l’Afghanistan à Paris La guerre sans front’’ Elie Paul Cohen - Le Passeur Éditions, 2016 6 24 pages, 18,50 €
À vingt ans, Élie, idéaliste, antimilitariste, ne vit que pour la musique. Trente ans plus tard, médecin urgentiste, il est recruté, suite à des hasards de la vie, par l’armée française et envoyé à Camp Bastion, la base militaire américano-britannique, dans la zone la plus meurtrière de l’Afghanistan. Sa mission ? Importer dans l’armée française les méthodes de pointe permettant de sauver les polytraumatisés de guerre. Il se retrouve impliqué dans une guerre actuelle, asymétrique et sans front. Ce livre raconte de manière enlevée et poignante une plongée vertigineuse au cœur de cette nouvelle donne contemporaine qui bouleverse nos vies. Un parcours hors du commun, palpitant et d’une grande humanité.
Livre
IMAGE DU MOIS
Si a la paz
Un nouvel accord de Paix mettant fin à 52 années de conflit armé en Colombie a été ratifié par le Sénat le 30 novembre puis par la Chambre des représentants le 1er décembre. Cet accord fait suite à celui rejeté par référendum le 2 octobre. Il a été modifié pour tenir compte des propositions de l’opposition. Le texte de 300 pages prévoit le désarmement des forces rebelles et leur transformation en parti politique.
‘‘Une marche pour l’égalité’’ Marilaure Garcia-Mahé Éditions Cana, 12 €
La Marche des Beurs, pour l’égalité, contre le racisme, c’était il y a 33 ans. Une trentaine de personnes partaient de Marseille de la Cayole le 15 octobre 1983 dans une relative indifférence, pour rallier Paris à pied. Cette marche est surtout un cri de révolte de jeunes qui vivent le racisme dans leur chair et au quotidien. Une des participantes sort un livre. Elle y raconte cette épopée. Marilaure Garcia-Mahé avait 21 ans, en formation d’éducatrice. Son livre « Une marche pour l’Égalité » est à la fois un roman et un document historique. N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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campagne LIVRE BLANC
Un projet collectif au service du pouvoir d’agir
En co-écrivant un livre blanc de la paix, le collectif « En marche pour la paix-stop la guerrestop les violences » fait preuve d’innovation sociale et politique au service d’une culture de la paix et de la non-violence.
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N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
E
n septembre 2016 dans le cadre de la Journée internationale de la Paix, un appel « En Marche pour la Paix - Stop la guerre - Stop la violence » signé par 110 organisations a permis de rendre visible l’existence en France d’un courant d’opinion qui refuse les logiques de guerre et de militarisation des relations internationales et aspire à voir la France mettre en œuvre une autre politique pour la paix et la sécurité nationale et internationale. De 11 initialement prévues, la dynamique engagée a abouti à l’organisation d’une vingtaine de marches entre le 21 et le 24 septembre. Depuis, le collectif a lancé une pétition nationale pour dénoncer les projets de doublement des crédits consacrés aux armes nucléaires et d’augmentation de 10 milliards en 4 ans du budget national de la défense. Celle-ci vise aussi à obtenir un traité d’interdiction des armes nucléaires et une nouvelle politique française de défense. Après le succès de la pétition1 le collectif a décidé de s’investir dans l’écriture d’un Livre blanc pour la paix. L’objectif est de faire émerger des propositions alternatives aux politiques mises en œuvre par les gouvernements successifs de la France. Ces politiques qui n’aboutissent qu’à des échecs, au chaos et au développement de l’insécurité conduisent chaque jour davantage à une militarisation des relations internationales, au développement du commerce des armes, à la modernisation des armes atomiques, à un interventionnisme militaire croissant de la France dans de nombreux conflits. Il est urgent de montrer qu’il y a d’autres alternatives. La méthode choisie par le collectif vise à associer le maximum de partenaires à la réflexion et
à la rédaction de ce Livre blanc qui devrait permettre d’alimenter le débat au sein de l’opinion publique dans le cadre des prochaines échéances électorales. Le processus prévoit de nombreuses réunions de travail à travers toute la France. Sa présentation aura lieu en février à l’Assemblée nationale ou au Sénat. La discussion fera certainement apparaître des nuances, voire des divergences. Par ailleurs des organisations, compte tenu de leur objet social, ont des spécificités importantes qui ne doivent pas être gommées mais au contraire affirmées si l’on considère que la diversité est source de richesse et d’une plus grande efficacité politique quant à l’audience que les auteurs espèrent obtenir auprès de l’opinion publique. Aussi, le Livre blanc sera composé d’une première partie commune et d’une seconde partie (en annexe ou consultable sur internet) dans laquelle des organisations pourront disposer d’un espace d’expressions complémentaires. Les lecteurs de Planète Paix peuvent y contribuer en demandant une copie du projet2 en relevant les éléments particulièrement positifs et les points qui peuvent questionner ou les éléments manquants. Le Livre blanc pour la paix dans sa méthode de co-élaboration s’intègre pleinement dans la logique d’une culture de la paix qui compte, parmi ses éléments constitutifs, la démocratie participative et la citoyenneté active. Roland Nivet 1
6000 signatures en 3 semaines
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En s’adressant au Mouvement de la Paix : 01 40 12 09 12
Le calendrier • Jusqu’au 10 janvier : réunions de travail au niveau local ou régional avec les partenaires de l’appel. • Mi-Janvier : publication d’une version 2. • Première quinzaine de février : Rédaction finale • Fin février : présentation publique à l’Assemblée nationale ou au Sénat. • Mars - avril - mai : organisation d’assises locales, départementales ou régionales visant à dynamiser le débat autour du Livre blanc pour une politique pour la paix et la sécurité du pays.
Campagne SEPTèMES LES VALLONS
La guerre n’est pas un jeu Ils ont décidé de mettre les pieds dans le plat. Ou plutôt de poser les bonnes questions en interpellant leurs voisins sur les cadeaux à mettre au pied du sapin. Exit les jeux et jouets de guerre. « Inadaptés à la hotte du père Noël » disent les pacifistes septèmois.
C
ela fait maintenant 7 ou 8 ans que les adhérents du Comité Septémois du Mouvement de la Paix ont décidé de ne plus rester passifs face aux achats de Noël à vocation guerrière. Ils se sont pris par la main et ont décidé de s’adresser aux parents et grands-parents de leur commune. « Pas de jouets ni de jeux de guerre pour nos enfants » ont-ils écrit en titre de la lettre-tract qu’ils distribuent à la sortie des écoles de Septèmes-les-Vallons, ville de 11 000 habitants dans les Bouches-du-Rhône. Cette action décidée en réunion du comité a été validée par l’assemblée générale de l’association, à l’unanimité.
Des arguments Par cette action, les pacifistes n’ont pas voulu faire de la morale. Ils inscrivent leur initiative dans le cadre de la promotion de la culture de la paix et font appel à la conscience. Leur opération s’appelle « boycottons les jeux
Totem de la Paix
de guerre ». Ils invitent leurs concitoyens à bannir des cadeaux de Noël tout jouet ressemblant à une arme de guerre. Ils posent aussi la question des jeux vidéo « qui offrent des spectacles proches du réel » et mettent en garde contre « la sensation de plaisir » que tuer peut provoquer, même virtuellement. Ils insistent sur le cerveau encore en formation des jeunes enfants et les traumatismes que cela peut engendrer. Bien évidemment, « notre sollicitation ne doit pas être considérée comme une obligation » précisent-ils, s’excusant presque de mettre le doigt sur la plaie.
Quel impact ?
Affiche de la campagne
Si les réactions sont variées, des parents éprouvent le besoin de venir dire leur accord avec la démarche. « C’est bien ce que vous faites » entendent-ils. D’autres contestent cette manière d’incriminer le jeu « c’est normal que les enfants s’amusent. Jouer avec une arme factice n’est pas grave, cela participe de la construction de l’enfant » affirme une élue de la commune qui n’apprécie guère cette
présence à la sortie de l’école. Ce à quoi les militants rétorquent « Laissez-les faire des fusils avec des morceaux de bois, si vous voulez, mais ne leur achetez pas des armes en plastique ». Quel est l’impact de la campagne ? « Il est difficile de mesurer le poids direct de notre action » précise Edmond Bonnet, le président du Comité du Mouvement de la Paix. « Il n’y a pas de magasin de jouets sur la commune » précise-t-il. Toujours est-il que chaque année, ils remettent le couvert. Tout comme le prêtre de la paroisse qui fait distribuer la lettre-tract à ses fidèles. Intéressé par la portée éducative de la démarche, le centre social a proposé d’aller un peu plus loin et d’inviter les enfants à ramener leurs jouets de guerre pour leur donner une seconde vie pour la Paix. C’est ainsi qu’est né le projet « Totem de la Paix », une installation créée par les enfants de Septèmes-les-Vallons pour symboliser le refus de la guerre et l’amour de la Paix. Pierre Villard N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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ACTUALITÉ Création
Visages de paix : L’aventure continue ! Lisa Sylvestre est éducatrice de jeunes enfants. Elle est à l’initiative de l’exposition « Visages de Paix » créée par le
pacifiste. Elle raconte son
Jeunes engagés
comité de Rennes du Mouvement de la Paix, puis devenue nationale. Installée dans l’Ain, elle y a créé un nouveau comité de l’association
cheminement pour Planète Paix.
8
L
’exposition « Visages de Paix » a permis au comité de paix Voltaire de Thoiry dans l’Ain de faire évènement dans cette commune. De Thoiry à Gaza, grâce à internet, il n’y a qu’un pas qui a été franchi et va permettre de nouveaux liens entre jeunes. Après deux ans et demi de travail de collecte de portraits de jeunes du monde entier, grâce à des textes et des photographies réalisées par eux-mêmes, est venu le temps de faire partager ces messages d’espoir qui enrichissent la culture de la paix. Ce projet engagé dans une démarche de paix sur le thème « Culture de la paix, messages d’espoir pour l’avenir » a été choisi pour illustrer l’Agenda 2017 du Mouvement de la Paix. L’objectif est de redonner espoir à tous ceux qui l’ont perdu, de rester confiants dans l’avenir, positifs, ouverts à d’autres horizons et solidaires. Et aussi de sensibiliser la jeunesse au thème de la culture de paix, de rassembler plutôt que de diviser.
N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
Le comité de paix « Voltaire » de Thoiry dans l’Ain composé de quelques jeunes a été créé voilà quelques mois. Peu après notre création, nous avons obtenu la possibilité de présenter notre exposition à la salle Jean Monnet de Saint Genis Pouilly (01). Elle a eu beaucoup de succès avec 150 visiteurs sur 5 jours, entre le vernissage, la méditation et les ateliers à destination des enfants du centre de loisirs. Nous avons partagé l’affiche avec la Croix Rouge, sur l’humanité en guerre. Une belle complémentarité s’est donc installée entre les deux sujets, malgré son côté imprévu. Les enfants ont réalisé un mandala pour la paix. Ils ont travaillé en observant les 42 portraits
et ont pu repartir avec leurs colombes en origamis. C’était merveilleux de partager ce projet avec eux car ils ont montré beaucoup de curiosité, d’intérêt et de gratitude. Je retiens une proposition intéressante : « Madame, est-ce qu’on va les donner aux militaires les colombes ? ». Cet enfant était vraiment réceptif à ce sujet, car son père était militaire, ainsi que deux autres de ses camarades, d’origine turque.
Les portraits en arabe L’exposition fut aussi présentée au même moment à Rennes, à l’Association de réInsertion Sociale (AIS), dans le cadre de l’événement « Tout Rennes cultive la paix ». Elle voyagera dans d’autres comités de l’association en France. La présentation de cette exposition a été la première action de notre comité de paix Voltaire, mais elle a, au-delà de son impact dans la commune, généré une action internationale qui va permettre de développer cette exposition dans les États de langue arabe. En effet à partir de cette première version, une autre exposition est en préparation à Gaza dans une association d’apprentissage du français. Si les conditions sont précaires, la dynamique est là et Aïssa s’est investie à Gaza pour traduire certains portraits en arabe. C’est une vraie réussite pour nous, car notre exposition pourra toucher des personnes en Palestine et dans d’autres États de langue arabe, pour les aider à continuer à croire dans la paix possible. Nous espérons que nos messages d’espoir parviendront aux jeunes sur place, et ailleurs... Lisa Sylvestre
ACTUALITÉ PRIX NOBEL 2016
De la paix à la littérature, ou l’inverse Parmi les lauréats des prix Nobel, il en est deux qui ne correspondent pas à des disciplines scientifiques : celui de la Paix et celui de Littérature. Ils sont souvent l’occasion d’opinions diverses quant à la légitimité dans la « catégorie » concernée et quant aux mérites de celles ou ceux qui sont distingué-e-s.
P
our le prix Nobel de la Paix, Juan Manuel Santos, président de la Colombie, ex- ministre de la Défense, se l’est vu attribuer « pour son action en faveur du processus de paix avec la guerilla des FARC », a dit Kaci Kullmann, président du Comité Nobel norvégien. C’est indéniable. Un accord de Paix a bien été signé le 24 août 2016 après 4 ans de discussions, avec les bons offices de la Norvège et de Cuba. Mais pour faire la Paix, il faut au moins être deux parties en conflit, partageant alors le mérite de cette avancée pacifiste. Ce fut le cas pour le Nobel de la Paix dans les années antérieures pour d’autres progrès dans la résolution pacifique d’autres conflits. Pourquoi pas cette année ? Les Farc méritaient de partager la distinction, par Timoléon Jimenez ou Ivan Marquez, les responsables négociateurs de l’accord, côté FARC. Un cessez-le-feu bilatéral et définitif est acquis. L’accord1 comporte cinq parties traitant tous les points nécessitant des dispositifs, des processus plus ou moins longs pour rendre irréversible cette paix « pour laisser un pays meilleur aux enfants de Colombie ». Il fallait cesser l’affrontement armé commencé en 1964 par une révolte rurale contre l’exploitation des paysans et l’appropriation brutale des terres par les grands propriétaires aidés par les dirigeants du pays. Puis, les vagues de répression ont alimenté des vagues d’insurrection. 260 000 morts violentes, 45 000 disparu-e-s,
6 900 000 personnes déplacées de gré ou de force. Il fallait mettre fin à cette « fabrique de victimes ». Les deux parties en conflit, leurs composantes politiques et militaires, ont choisi la voie de la Paix, non sans difficultés. C’était la 4ème tentative de résolution pacifique. Ce doit être la bonne. Cet accord a été soumis par référendum au peuple colombien. Le non a obtenu 50,2%, avec seulement 37% de votants. L’accord est revu, des termes vont changer, des mesures sont rediscutées pour présenter la nouvelle version devant le Congrès des députés, selon la Constitution.
Juan Manuel Santos
Mais la Paix se fera et servira pour l’autre négociation à venir avec l’ELN2, une guerilla moins importante qui subsiste encore. La Paix gagnera ! Pour le prix Nobel de littérature, Bob Dylan, chanteur-compositeur-parolier, poète-écrivain, peintre est récompensé « pour avoir créé de nouvelles expressions poétiques dans la grande tradition de la chanson américaine ». Robert Zimmerman a choisi ce nom d’artiste en hommage au poète Dylan Thomas. Depuis 50 ans, il chante ses textes inventifs, intuitifs, lyriques, contestataires, pacifistes. Il est mondialement connu, apprécié et décoré (en France : Che-
valier des Arts et Lettres, Légion d’Honneur). Indépendant, il varie son style : en duo avec Joan Baez, blues, folk, gospel, puis en solo des protest-songs dans la lignée de Woody Guthrie ou de Pete Seeger, et aussi le style country ou rock’n’roll. Un de ses livres « Chroniques » est paru en France en 2005 chez Fayard. Dans son album historique de 1963 « The Freewheelin’ Bob Dylan » (Bob Dylan en roue libre) se trouve la chanson « Masters of war » (Maîtres de guerre). Elle dénonce le complexe militaro-industriel US qui pousse à la guerre et arme les conflits. Un autre album en 2006, « Modern Times » aura un énorme succès. Beaucoup se rappellent « Blowin’ in the wind », « The times they are changin’ », « Like a rolling stone » et aussi les reprises en français par Hugues Aufray. Il a une prédilection inspiratrice pour Rimbaud, Kérouac, Ginsberg et Bertolt Brecht. Bob Dylan Certains ont regretté que ce soit un artiste - écrivain qui ait le Nobel de littérature, d’autant plus que circulait l’idée d’une attribution à Philip Roth. Ce dernier le mérite et l’aura un jour, mais comme il n’y a pas de Nobel pour les disciplines artistiques, il est jubilatoire de constater cette extension du domaine littéraire. Raoul Alonso 1
Voir Planète Paix N° 615/616 - Oct/Nov 2016
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Armée de Libération National
N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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ACTUALITÉ 14ème trail de la paix le 9 octobre à Lissac sur Couze (19)
En savoir plus sur : http://traildelapaix19.over-blog.com/ 10
N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
DOSSIER
Le terrorisme n’est pas une fatalité
• Opinion
Tarir le lit du terrorisme • Essai
Pour une nouvelle aventure humaine • ADOLESCENTS
Sortir de l’emprise pour revenir à la vie
Dans le numéro 614 de Planète Paix, nous décrivions diverses causes du terrorisme pour mieux donner à tous les moyens de le combattre. Parmi ces causes nous évoquions les éléments de politique internationale mais aussi l’évolution de la mondialisation capitaliste et enfin les facteurs personnels voire psychologique ou psychiatrique qui poussent un certain nombre de jeunes à partir faire la guerre en Syrie au nom du Djihad. ll nous a semblé utile de donner à connaître quelques parcours de jeunes qui pourraient être ceux de nos enfants. Il nous a semblé important de donner ces aspects personnels évoqués aussi par le juge Trévidic dans son ouvrage sur les terroristes dont nous citons quelques extraits. L’objectif est de donner envie de lire ces livres qui retracent des histoires que pendant tout un moment les médias ont refusé d’entendre.
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DOSSIER
L e t err o r i s m e n
Tarir le lit du terrorisme Les actes sanglants survenus sur le territoire français depuis les assassinats de Charlie Hebdo font que le terrorisme est devenu une inquiétude pour de nombreux citoyens. Les solutions retenues, principalement sécuritaires, n’éloignent pas le danger car elles restent timides sur ce qui pourrait tarir le terrorisme à la source.
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epuis ces derniers mois, on entend fréquemment des responsables politiques affirmer « Nous sommes en guerre face au terrorisme ». Employer cette expression avec autant de légèreté ne revient-il pas à légitimer l’existence d’une super-entité terroriste alors que nous avons d’abord à faire face à une bande d’assassins et de crapules extrémistes ? Le mot de « guerre » entraîne un schéma culturel et politique lourd de conséquences. Qui dit « guerre » dit « chef de guerre » et personnalisation extrême du pouvoir. Qui dit « guerre » dit propos bellicistes et vocabulaire guerrier. Qui dit « guerre » dit mise en cause des libertés publiques. Pourtant une action légale des États ne s’exerce pas forcément par la guerre mais par l’action politique, juridique, policière et de renseignement. Elle peut être impitoyable et efficace si elle s’exerce avec détermination. Ainsi les criminels des attentats en France sont à traduire devant la justice française, la Cour Pénale Internationale si nécessaire, pour les mettre définitivement hors d’état de nuire.
Des assassins Cela suppose d’être clair dans l’analyse des causes des événements. Il est essentiel de ne pas laisser penser que le terrorisme est le simple résultat des crises et des guerres au Moyen-Orient et des politiques menées par les occidentaux. Une telle schématisation est très illusoire, même dangereuse. Elle peut mener à une démarche intellectuelle qui « excuserait » de facto, voire comprendrait, les actes terroristes ou les assassins. Les terroristes ne sont pas des « victimes » des conflits du Moyen-Orient, ce sont des « bourreaux » qui développent une idéologie barbare de façon autonome. Les conflits non-résolus, les déstabilisations de régions entières les aident dans leur développement et leurs recrutements mais ils restent pleinement responsables de leurs actes. Le terrorisme salafiste et l’intégrisme islamique existaient avant les années 2010. Rappelons les sanglants attentats du FIS1 en Algérie des années 1990, ou ceux de la Jamaa Islamiya en Égypte dans la même période. Il y a un développement autonome du terrorisme islamiste : celui-ci existerait sans les conflits actuels. Mais il est vrai que les politiques menées par les États-Unis, les puissances occidentales dont la France, depuis 20 ans, ont créé un terrain favorable dans il profite et se nourrit. L’enjeu est
donc double : modifier ces politiques et poursuivre Daesh2 impitoyablement pour l’isoler et le couper de ses soutiens. Cela passe par un retour à la légalité internationale et une coopération élargie. C’est pourquoi il est essentiel que la coalition internationale anti-Daesh intégre la Russie et l’Iran et qu’elle ait un mandat clair du Conseil de sécurité. Aussi, les initiatives de conférence internationale doivent intégrer tous les acteurs régionaux, y compris, sous des formes adaptées, des représentants du gouvernement syrien actuel et déboucher sur un ensemble de mesures politiques sur l’avenir de la Syrie et sur des mesures de protection des réfugiés.
Des mesures économiques Peut-on accepter plus longtemps que des centaines de camions chargés de pétrole passent chaque jour la frontière turque pour revendre celui-ci au marché noir européen ? Peut-on accepter que Daech pille les richesses naturelles irakiennes et syriennes et finance ainsi ses achats d’armes, souvent lors de circuits qui passent par l’Arabie saoudite et le Quatar ? Les pays de la coalition n’ont pas mené sur ce plan jusqu’à présent une action résolue, au niveau nécessaire, pour asphyxier Daech et l’étrangler sur le plan économique et financier. Ce manque d’engagement repose sur des raisons diverses : intérêts stratégiques et économiques divergents, volonté de
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blées par commandos, par bombardements ou par drones, ont révélé leur désastre, accru les haines et ressentiments. Pire, ces méthodes utilisées par des démocraties ont miné leur légitimité. Combattre le terrorisme et les extrémismes, avec les mêmes méthodes, c’est se tirer « une balle dans le pied » et « perdre son âme ». C’est donc être moins fort pour combattre les assassins. Cela doit faire réfléchir en France sur certaines envolées dites « patriotiques ». Les valeurs humaines universelles en jeu ne concernent pas que la France. Elles sont le bien commun de la plus grande partie de l’humanité sur notre planète. Ce n’est donc pas seulement un drapeau national qui est à défendre mais celui de la communauté humaine planétaire.
La prévention par les droits humains
ménager des états par ailleurs clients de nos marchés industriels. Il est de la responsabilité des pouvoirs politiques, mais aussi des opinions qu’un tournant soit pris. Ne faudrait-il pas davantage de pressions publiques, de déclarations, de délégations pour exiger plus de fermeté des dirigeants français, européens, américains, russes, turcs ? L’OTAN pourra-telle accepter qu’un de ses membres n’accepte pas d’appliquer les résolutions du Conseil de sécurité ? Un engagement plus clair de la Turquie est la clé de l’étranglement économique et financier de Daech.
La faute des pacifistes Des propos pernicieux tentent de faire porter la responsabilité de la situation actuelle à un esprit « pacifiste », qui serait propre aux milieux intellectuels et à la gauche, responsable des faiblesses de la répression. Or, ce qui est évident depuis quinze ans, c’est l’échec de l’emploi de la force brute et du non-respect de la légalité internationale au travers des conflits armés internationaux non réglés en Afghanistan, en Irak, en Libye, en Syrie. Sur le plan de la justice, les politiques étatsuniennes de non-légalité : bases de Guantanamo, bases de tortures en Irak, exécutions sommaires ci-
Ce n’est pas un hasard si tous les progrès en matière de droits humains depuis vingt ans l’ont été lors de grands échanges et rencontres internationales (sur les femmes, l’environnement, l’économie, le droit des enfants) dans le cadre des Nations Unies. Développement humain, sécurité humaine, culture de paix, sont autant de valeurs globales et humaines. Nous devons être fiers de ces avancées de la communauté humaine et être prêts à faire le maximum pour les défendre dans le respect des libertés. Les meilleurs défenseurs et combattants contre le terrorisme sont donc ceux qui luttent sans relâche pour la paix dans le monde, pour régler dans la justice, les conflits non-résolus, notamment au Moyen-Orient, pour avancer plus vite dans l’éradication de la pauvreté dans le monde, l’amélioration de l’éducation, du développement de tous les pays comme nous y invite le « Programme pour le développement durable 2030 » adopté par les Nations Unies. Oui, appliquons une justice sans faiblesse et travaillons à renforcer la communauté humaine, à développer une culture de paix mondiale, en cette année du 70ème anniversaire de la Charte et de l’Organisation des Nations unies. C’est cet engagement sans faille qui donne aux noms de pacifistes ou d’internationalistes leur si grande noblesse.
Bibliographie • Les Terroristes : les 7 piliers de la déraison, Marc Trévidic - Éd. Le livre de Poche, 2016 • Un furieux désir de sacrifice. Le surmusulman, Fethi Benslama - Éd. Le Seuil, 2016 • Pour une lecture profane des conflits, Georges Corm - Éd. La découverte, 2013 • Au cœur des services spéciaux. La menace islamiste : fausses pistes et vrais dangers, Alain Chouet - Éd. La découverte, 2013 • Qui est Daech ? : Comprendre le nouveau terrorisme, Philippe Rey, Sous la direction D’Eric Fottorino - Collection les Indispensables, 2015 • Terreur dans l’Hexagone. Genèse du djihad français, Gilles Kepel - Éd. Gallimard, 2015 • Le Temps des humiliés : Pathologie des relations internationales, Bertrand Badie - Odile Jacob, 2014 • Le piège Daech. L’État islamique ou le retour de l’Histoire, Pierre-Jean Luizard, 2015 • La Pensée N° 384 - Islam(s) aujourd’hui, Revue octobre-décembre 2015 • FIS de la haine, Rachid Boudjedra Éd. Folio Gallimard, 1994 • Ils cherchent le paradis ils ont trouvé l’enfer, Dounia Bouzar - Les Éditions de l’Atelier, 2014 • Plaidoyer pour la fraternité, Abdennour Bidar - Éd. Albin Michel, 2015 • Chemins d’espérance, Jean Ziegler Éd. Le seuil, 2016 • L’empire de la honte, Jean Ziegler Éd. Fayard, Le livre de poche, 2007 • Le dérèglement du monde, Amin Maalouf Éd. Grasset, Le livre de poche, 2009 • La Fracture, Gilles Kepel Éd. Gallimard, 2016 • Le nouveau gouvernement du monde. Idéologies, structures, contre-pouvoirs, Georges Corm - Éd. La Découverte, 2010 • Le Djihad et la mort, Olivier Roy Éd. Le Seuil, 2016 • Tueries. Forcenés et suicidaires à l’ère du capitalisme absolu, François Berardi - Lux Éditeur, 2016 • Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, Numéros de septembre & décembre 2016 - Éditeur Elsevier
Daniel Durand Roland Nivet 1
Front islamique du Salut
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Acronyme arabe de EIIL (État islamique en Irak et au
Levant) N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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DOSSIER
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Essai
Pour une nouvelle aventure humaine Dans son essai « le dérèglement du monde » paru en 2009, Amin Maalouf, par-delà un diagnostic inquiétant, nous appelle à la lucidité et à l’action.
EN SAVOIR PLUS • « Le dérèglement du monde » auteur Amin Maalouf (essai) Grasset édité en février 2009 14
N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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xtraits : Ce n’est pas la fin de l’histoire (…) mais c’est probablement le crépuscule d’une certaine histoire. Ce qui a fait son temps c’est l’histoire tribale de l’Humanité, l’histoire des luttes entre nations, entre États, entre communautés ethniques ou religieuses comme entre « civilisations ». Les réalités nouvelles imposent d’en sortir au plus vite. Pour entamer une tout autre étape de l’aventure humaine, une étape où l’on ne se battrait plus contre l’autre (…) mais contre des ennemis bien plus considérables, bien plus redoutables, qui menacent l’humanité dans son ensemble. (…) Les seuls vrais combats qui méritent d’être menés par notre espèce au cours des prochains siècles seront scientifiques et éthiques. (…) Vaincre toutes les maladies, libérer les hommes du besoin comme de l’ignorance tout en veillant à ne pas compromettre la survie du plancher où nous posons les pieds - voilà les seules conquêtes qui devraient mobiliser les énergies de nos enfants et de leurs descendants. (…) Un vœu pieux me dira-t-on. Non, une exigence de survie ; et, de ce fait, la seule option réaliste. Arrivant à ce stade avancé de son évolution, caractérisée par un si haut degré d’intégration globale, l’humanité ne peut plus qu’imploser ou se métamorphoser. Jamais l’humanité n’a eu autant besoin de solidarité effective et d’action conjuguée pour faire face aux nombreux périls qui l’assiègent ; des périls gigantesques nés des avancées de la science, de la technologie, de la démographie, ainsi que de l’économie, et qui menacent d’anéantir, au cours du siècle qui commence, tout ce qui a été bâti depuis des millénaires. Je songe à la prolifération des armes atomiques et de quelques autres instruments de mort. Je songe à l’épuisement des ressources naturelles, et au retour des grandes pandémies. Sans oublier, évidemment, les perturbations climatiques. (…) Mais toutes ces menaces pourraient aussi constituer pour nous
une chance si elles nous permettent d’ouvrir enfin les yeux, de comprendre l’ampleur des défis que nous devons affronter, et le risque mortel qu’il y aurait à ne pas modifier nos comportements, à ne pas nous élever, mentalement et surtout moralement au niveau qu’exige, justement, ce stade d’évolution que nous avons atteint. (…) Du moins avons-nous, en raison des diverses crises qui nous atteignent dans notre chair, le marché en main, si j’ose dire. Ou bien ce siècle sera pour l’homme le siècle de la régression, ou bien il sera le siècle du sursaut, et d’une salutaire métamorphose. S’il nous fallait un « état d’urgence » pour nous secouer, pour mobiliser ce qu’il y a de meilleur en nous, voilà, nous y sommes (…) Parce qu’il ne s’agit pas seulement de mettre en place un nouveau mode de fonctionnement économique et financier, un nouveau système de relations internationales, ni seulement de corriger quelques dérèglements manifestes. Il s’agit aussi de concevoir sans délai, et d’installer dans les esprits, une tout autre vision de la politique, de l’économie, du travail, de la consommation, de la science, de la technologie, du progrès, de l’identité, de la culture, de la religion, de l’histoire ; une vision enfin adulte de ce que nous sommes, de ce que sont les autres, et du sort de la planète qui nous est commune. En un mot il nous faut « inventer » une conception du monde qui ne soit pas seulement la traduction moderne de nos préjugés ancestraux ; et qui nous permette de conjurer la régression qui s’annonce. Nous tous qui vivons en cet étrange début de siècle nous avons le devoir, et, plus que toutes les générations précédentes, les moyens de contribuer à cette entreprise de sauvetage ; avec sagesse, avec lucidité, mais également avec passion et quelquefois même avec colère. Extraits choisis par Roland Nivet, « Le dérèglement du monde », 2009, Grasset
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ADOLESCENTS
Sortir de l’emprise pour revenir à la vie Si l’action politique est essentielle pour prémunir les sociétés des actes terroristes, il faut aussi agir dans le contexte présent. Ainsi, Dounia Bouzar, anthropologue, s’intéresse aux jeunes embrigadés et aux conditions de leur retour. Auteure de plusieurs ouvrages, son action a donné lieu au film « Le ciel attendra » sorti en salle en octobre.
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lusieurs centaines d’adolescents sont enrôles chaque année pour la « guerre sainte ». Pour venir en aide à leur famille et pour comprendre les mécanismes de l’embrigadement, Dounia Bouzar a fondé le CPDSI1. Elle étudie les mécanismes de l’embrigadement pour mieux venir en aide aux familles démunies. Au travers de plusieurs ouvrages, elle a recueilli les témoignages de celles qui ont sollicité l’aide de son association pour sortir leur enfant de l’emprise djihadiste.
Désamorcer l’islam radical. L’hostilité envers l’islam et les musulmans grandit. Cette attitude n’est plus l’apanage du Front National. Un amalgame dangereux se crée entre les musulmans pratiquants respectant les principes républicains et ceux qui prônent un « islam pur » coupé de la société. Les repères se brouillent. Des jeunes mettent leur islam en avant au point d’adopter des points de vue sectaires et de céder aux sirènes du fondamentalisme. Comment sortir de cette spirale qui rend difficile la construction du vivre-ensemble ? En s’appuyant sur l’observation de faits du quotidien, Dounia Bouzar donne des repères pour décrypter le discours des musulmans radicaux. Pourquoi parvient-il à faire autorité ? Quelles étapes d’endoctrinement amènent des jeunes à se séparer de la société et de leur famille ? À partir de quand un comportement ne peut-il plus se prévaloir de la liberté de conscience ? En donnant à chacun les clés pour désamorcer aussi bien le discours antimusulman que celui des radicaux, « Désamorcer l’islam radical » montre qu’il est possible de construire la démocratie sans céder aux discriminations, au laxisme ou au commu-
nautarisme. Dans « Ils cherchent le paradis, ils ont trouvé l’enfer » elle raconte la descente aux enfers de « parents orphelins » qui s’unissent pour ramener de Syrie leurs enfants endoctrinés par des groupes « djihadistes ». Le combat de ces parents est aussi le nôtre. Contre l’attirance de la mort, comment aider les jeunes à aimer la vie, à lutter contre les injustices sans rejeter le monde réel ?
Les Éditions de l’Atelier, 2014 - 224 pages - 20 €
Sortir des stéréotypes Ce ne sont plus seulement des adolescents des milieux défavorisés et sans repères familiaux qui sont attirés, mais aussi des fils et des filles d’enseignants athées, d’artisans bouddhistes exilés du Cambodge, des enfants de la campagne, des banlieues ou du XVIème arrondissement… Les groupes terroristes ont affiné leurs techniques d’embrigadement. Une fois l’emprise idéologique établie, est-il possible d’en sortir ? Comment remobiliser en tant qu’individu un jeune embrigadé qui a tiré un trait sur sa famille ? Comment faire pour qu’il redevienne un être humain qui pense et qui aime ? Répondre à ces questions pour enrayer le processus d’embrigadement, c’est le pari de « Comment sortir de l’emprise djihadiste ? ». Dounia Bouzar s’appuie sur l’accompagnement de quatre cents familles dont les enfants ont été entraînés dans cette spirale morbide, pour construire une chaîne humaine qui soit plus forte que la chaîne de la mort des terroristes et pour convaincre chacun d’entre nous qu’il est possible d’en finir avec l’emprise « djihadiste ».
Les Éditions de l’Atelier, 2014 - 176 pages - 16 €
Les Éditions de l’Atelier, 2015 - 160 pages - 15 €
Les Éditions de l’Atelier, 2015 - 144 pages - 15 €
Pierre Villard 1
Centre de prévention des dérives sectaires liées à
l’Islam
Le film N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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On peut agir sur les causes des guerres et des violences… … surtout si on les connaît
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Au jour le jour Éducation à la culture de la paix à travers le dialogue intra et interreligieux
A Niamey (Niger), le 1er Forum de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a pour ambition de trouver des mécanismes de dialogue entre les différentes communautés religieuses, dans le but de faciliter la compréhension mutuelle et de cultiver l’esprit de tolérance et de coexistence pacifique par l’éducation à la culture de la paix. En 2015, 268 attaques terroristes en Afrique de l’Ouest, principalement au Burkina Faso, au Mali, au Niger et au Nigeria, ont fait 6 187 victimes dont 4 051 morts et 2 136 blessés. Pour la CEDEAO, la recherche de la paix et la lutte contre les sources du terrorisme sont donc des défis de taille à relever. D’où l’intérêt de ce forum pour favoriser la connaissance réciproque des valeurs spirituelles et éthiques communes, d’intensifier l’interaction entre les religions et les traditions spirituelles et de comprendre les causes de l’intolérance religieuse en Afrique de l’Ouest. La rencontre de Niamey servira également de cadre à la création d’une plateforme régionale interreligieuse de prévention et de règlement pacifiques de conflits.
Un mémorial pour les victimes des attentats L’association Génération Bataclan lance une souscription pour ériger une œuvre mémorielle en hommage aux victimes des attentats du
13 novembre 2015. Il est proposé que le mémorial soit érigé face au Bataclan sur le boulevard Voltaire à Paris. Une demande sera faite en ce sens auprès de la Ville de Paris. Un appel à projets a été lancé auprès d’artistes, sculpteurs, architectes, plasticiens sensibilisés. 54 projets ont été reçu et 10 présélectionnés. Le budget global pour la réalisation de l’œuvre mémorielle est évalué à 100 000 € ttc. Le financement est en partie assuré par les collectes de dons auprès de
citoyens, la vente d’œuvres d’art par enchères au profit de l’association, les dons provenant de fondations ou d’autres associations, les dons d’entreprises… Informations : http://urlz.fr/4trJ
Le chef d’orchestre ukrainien Herman Makarenko nommé Artiste de l’UNESCO pour la paix
Paris, 23 novembre - Herman Makarenko, chef d’orchestre du théâtre national d’opéra et de ballet d’Urkaine et chef d’orchestre et directeur artistique de l’orchestre Kyiv-Classic, est nommé Artiste de l’UNESCO
pour la paix au cours d’une cérémonie au siège de l’Organisation. Herman Makarenko est nommé « en reconnaissance de son engagement à promouvoir la musique en tant que vecteur du dialogue et de la compréhension mutuelle entre les peuples, et de son action en faveur de la paix et de la tolérance, notamment à travers les concerts de l’orchestre Kyiv-Classic et de son engagement en faveur des idéaux et des objectifs de l’Organisation ».
ailleurs qu’aucune personne ne peut être sanctionnée ou faire l’objet d’une discrimination pour avoir signalé une alerte. Avec cette loi la France se met au standard des pays qui ont déjà adopté un statut pour les lanceurs d’alerte.
Un navire de femmes à l’épreuve du blocus de Gaza
La protection des lanceurs d’alerte a été adoptée La protection des lanceurs d’alerte a fait partie des ultimes arbitrages de la loi Sapin II (Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique). Elle vient d’être adoptée en
troisième lecture à l’Assemblée nationale. Selon son article 6, un lanceur d’alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. En sont exclus les champs couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client. Elle prévoit par
Les activistes d’une coalition d’ONG pro-palestiniennes ont lancé une nouvelle initiative, répondant au projet Flottilles de la liberté qui remonte à 2008. Des femmes des quatre coins du globe et d’horizons divers, ont pris la mer en direction de Gaza, dont Israël contrôle tous les accès. Le Zaytouna (olive, en arabe), transportant douze activistes et trois membres d’équipages, tous féminins, a quitté Barcelone - ville jumelée avec Gaza - le 15 septembre. La marine israélienne l’a arraisonné le mercredi 5 octobre à 35 milles nautiques des côtes de Gaza. Les militantes, dont la Nord-Irlandaise Mairead Maguire, prix Nobel de la paix, et la parlementaire algérienne Samira Douaifia, avaient embarqué en Europe pour tenter de rallier l’enclave palestinienne, soumise depuis dix ans à un sévère blocus terrestre, aérien et maritime par Israël. Après l’interception de leur embarcation, les militantes ont été escortées jusqu’au port israélien d’Ashdod. Elles ont été placées en détention avant d’être expulsées. N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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MONDIALISER LA PAIX Onu
Un pas vers l’interdiction des armes nucléaires Depuis le premier test du 16 juillet 1945, des citoyens agissent pour l’interdiction de l’arme atomique. Ces mobilisations
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ela fait 71 ans que l’humanité vit avec cette capacité de détruire la planète par la pression d‘un simple bouton ; mais, ce 27 octobre 2016 à l’ONU, à force de pression de la société civile et d’États courageux - face aux puissances nucléaires - nous avons franchi une étape encore jamais obtenue : celle d’entamer des négociations pour interdire en 2017 les armes nucléaires. Depuis 2010, une vaste coalition a su se créer entre des États volontaires pour faire avancer le désarmement nucléaire et la société civile, dont la Campagne internationale pour abolir les armes nucléaires (ICAN) qui a su rassembler une forte union des ONG.
semblent sur le point d’aboutir avec un traité en discussion à l’Onu. Jean-Marie Collin, membre du comité de pilotage de ICAN-France et Vice-président de Initiatives pour le Désarmement Nucléaire, nous explique pourquoi.
EN SAVOIR PLUS • http://icanfrance.org • Pétition : http://urlz.fr/4jnz 18
N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
Ensemble, après avoir expliqué les conséquences catastrophiques humanitaires de toutes détonations d’armes nucléaires, ils sont parvenus à imposer aux États - qui soutiennent la nécessité de conserver une dissuasion nucléaire pour leur sécurité - un calendrier et un processus multilatéral du désarmement nucléaire. Contrairement aux nombreuses résolutions sans effet, la résolution L41 intitulée « Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire » a pour objet clair de préparer et de négocier un Traité d’interdiction des armes nucléaires en mars et juin 2017.
Une dynamique majoritaire Oui les puissances nucléaires vont continuer de s’opposer à ce processus ; mais d’ores et déjà une machine est lancée et la demande faite par l’Appel de Stockholm « Nous exigeons l’interdiction absolue de l’arme atomique, arme d’épouvante et d’extermination massive des populations » semble enfin en passe
de réalisation. 123 États, soit une large majorité du monde, ont voté ce texte. Le Japon s’y est opposé, mais il a annoncé malgré tout sa participation aux négociations ; tout comme les Pays-Bas (membre de l’OTAN) qui a émis un vote d’abstention. Cela montre bien une dynamique forte, qui peut aller jusqu’au bout et qui peut rallier des États jusqu’à présent opposés.
L’action des opinions ICAN France (dont le Mouvement de la Paix est membre depuis le début avec Armes nucléaires Stop, le MAN, Pax Christi,…) est pleinement intégré dans ce mouvement qui a consisté à concentrer son message sur les conséquences humanitaires et sur un futur traité d’interdiction. Les rencontres auprès du pouvoir exécutif et législatif français ont été indispensables et utiles pour montrer nos réflexions et créer des débats. Une action au sein de la tournée des facs (en 2016) a montré aussi une volonté des étudiants de s’inscrire dans une nouvelle pensée. Et cela c’est confirmé lors de l’organisation de l’initiative ICAN Academy où plus de 70 jeunes européens et français ont participé à ce séminaire (4 jours) éducatif et interactif, leur apportant une information complète. La pétition « Monsieur le Président, la France doit voter à l’ONU l’interdiction des armes nucléaires ! » lancée avec une autre organisation française, Initiatives pour le Désarmement Nucléaire1, qui réunit plus de 22000 signataires au 21 novembre, montre aussi qu’il est possible de mobiliser un nouveau public. Nettement, il y a une chance de réussir une première vraie étape vers l’élimination des armes nucléaires. Ce processus d’interdiction fragilisera la politique de dissuasion des puissances nucléaires et des états membres de l’OTAN. Avec cette pression internationale et juridique, nous parviendrons véritablement à mettre en action la marche vers un monde sans armes nucléaires. Jean-Marie Collin 1
IDN - présidée par Paul Quilès, ancien ministre de la défense
MONDIALISER LA PAIX AFRIQUE DES GRANDS LACS
RDC : le dialogue, non merci… 1
A l’issue d’une tournée au Japon et en Corée, le Docteur Mukwege2 est repassé par la France et la Belgique. Colette Braeckman, journaliste, spécialiste de l’Afrique des grands Lacs, a rencontré « le médecin qui répare les femmes ». Il commente l’actualité congolaise de l’heure alors que des mouvements de paix se structurent dans cette région.
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olette Braeckman : La situation sociale s’améliore-t-elle en République démocratique du Congo ?
Docteur Mukwege : Comme médecin je suis témoin de toute la misère du Congo. A Kamina, Kongolo, Pweto, nous faisons des campagnes pour aller soigner les femmes atteintes de fistules. Là, quand vous voyez la souffrance dans laquelle la population se trouve, il vous semble inimaginable qu’un Congolais puisse détourner des deniers publics. Même cent dollars ce n’est pas admissible ; or il y a des millions qui partent. Quel que soit le budget de la Santé, il n’est jamais exécuté ; c’est un scandale humain qui n’est plus acceptable. Le système actuel prive la population de l’éducation. Les enfants dans des pays voisins apprennent à utiliser les tablettes, chez nous les bancs, les cahiers manquent même la craie. Les parents doivent payer les enseignants insuffisamment rémunérés. Comme s’il fallait détruire l’éducation afin de produire des gens incapables de se questionner sur eux-mêmes. A Bukavu, un million d’habitants, il n’y a pas de journal, donc pas d’accès à l’information. A tout moment le signal de radios comme RFI est coupé, l’Internet est perturbé. Comme si on voulait laisser la population dans l’ignorance.
CB : La pauvreté gagne-t-elle du terrain ? D.M. : Il faut dénoncer aussi la paupérisation. A Bukavu, les agents de l’État ne sont pas payés, tout est fait pour maintenir les gens dans une pauvreté extrême. Dans cette situation lorsque vous proposez 10 dollars à quelqu’un, il va se mettre à genoux. La pau-
se sont rassemblés sous la bannière d’une organisation « le chemin de la paix ». Il faut que les gens apprennent quels sont leurs droits et leurs libertés fondamentales. Pour cela, pour discuter de manière démocratique, il faut assurer la liberté d’expression. Il faut aussi qu’il y ait la justice : avec le dialogue tel qu’il s’est passé, on crée un État sans principes, sans lois, une véritable jungle.
CB : Le dialogue ? périsation cela rime avec la corruption ; cela détruit votre conscience, vous empêche de réclamer vos droits. La corruption est devenue le mode de gestion de l’État. La répression vient couronner le tout. Ceux qui n’acceptent pas sont menacés de prison. Les gens finissent par penser que c’est leur bourreau qui les protège.
CB : Songez-vous aux élections présidentielles ? D.M. : Les gens ne cessent de penser au toit, alors qu’il faut d’abord construire les fondations : se battre pour les libertés fondamentales, pour la justice, lutter contre l’impunité. Mon combat aujourd’hui porte sur la liberté, la justice, la paix et le développement durable qui vont permettre au peuple congolais de retrouver la dignité perdue. Lorsque ces valeurs seront mises en place on pourra mettre au sommet des gens qui auront des bases solides. Il faut d’abord éveiller la conscience, faire démarrer une révolution morale, éthique. Je veux travailler à éveiller les consciences. Début 2016, des jeunes de tout le pays sont venus à Bukavu. Des membres de la société civile
D.M. : J’y étais invité par M. Kodjo3. J’ai dit « non merci ». Il y a cinq ans que le président a tout fait pour aboutir à une prolongation de fait de son mandat. Je suis légaliste, la Constitution est claire. Elle prévoit que le chef de l’État dispose d’un mandat renouvelable une fois. Pas deux. Donc, deux fois cinq ans, cela fait dix. Pas onze, pas douze. Le président est définitivement empêché par la Constitution ; tout le reste c’est de la tricherie. S’il y a empêchement définitif, constitutionnel, la loi est claire : c’est le président du Sénat qui doit assurer la fonction de chef de l’État. Pourquoi faudraitil, en lui permettant de rester plus longtemps au pouvoir, remercier un chef de l’État qui n’a pas tenu ses promesses constitutionnelles qui étaient d’organiser les élections ? Entretien réalisé par Colette Braeckman4 1
République Démocratique du Congo
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Voir Planète Piax N° 601 et 603
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Facilitateur désigné par l’Union Africaine
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Journaliste au quotidien belge Le Soir, coréalisatrice
avec Thierry Michel du film « L’homme qui répare les femmes - la colère d’Hippocrate » N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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MONDIALISER LA PAIX Allemagne
Où en est le mouvement pacifiste ? 2016, l’Allemagne a connu une montée du racisme et de la xénophobie, sur fond de « crise des réfugiés ». Malgré l’omniprésence dans les discours
RAMSTEIN, une base US en Allemagne d’où est menée la « guerre des drones »
et l’engagement de
Le 11 juin, 5000 personnes se sont rassemblées en une impressionnante chaîne humaine autour de la base US de Ramstein, près de Kaiserslautern en Rhénanie-Palatinat pour protester contre l’utilisation de ce territoire allemand par l’armée des États-Unis pour mener sa « guerre des drones » au MoyenOrient, en Asie et en Afrique. Les drones sont des armes qui tuent indistinctement civils et militaires, et de ce fait sont prohibées par le droit international. Mais en commettant des crimes à partir de Ramstein, l’armée enfreint aussi le droit allemand et les règles d’utilisation des bases1. L’opinion publique allemande s’inquiète ainsi de l’absence de transparence sur ce qui se passe sur l’ensemble des bases américaines sur son sol. On sait que certaines stockent des armes nucléaires, ce qui crée un sentiment d’insécurité pour les habitants toujours plus nombreux à réclamer la dénucléarisation de leur pays.
leur pays dans de
Un climat de guerre froide
et dans les médias de la « menace terroriste », les pacifistes allemands parviennent à faire entendre leur voix pour dénoncer les causes des guerres
nombreux conflits.
EN SAVOIR PLUS • www.ramstein-kampagne.eu/ • http://friedensdemo.org/ • www.friedensratschlag.de/ 20
C
omme au sein d’autres pays européens, une montée du racisme et de la xénophobie se fait sentir outre-Rhin. Ceci sur fond de « crise des réfugiés », de tensions en Europe orientale et bien sûr des guerres au Moyen-Orient et en Afrique. Mais en réponse à certaines campagnes ou exactions xénophobes, on a aussi vu se développer la solidarité avec les réfugiés. Ainsi, plusieurs initiatives de grande ampleur ont permis de redonner au mouvement pacifiste allemand une visibilité qu’il n’avait plus depuis plusieurs années : des milliers de personnes ont défilé dans les rues pour dénoncer la culture de guerre et ses conséquences.
N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
Si les Allemands continuent dans leur majorité d’émettre un avis plutôt favorable sur l’OTAN, il n’en reste pas moins que les opinions évoluent dans le sens d’une remise en question de son bien-fondé. Lors du sommet de Varsovie de juillet 2016, l’OTAN a de nouveau désigné la Russie comme l’ennemi potentiel et a exigé l’augmentation des dépenses militaires. Mais 25 ans après la réunification, les Allemands ont davantage le souvenir du rôle positif joué alors par Gor-
batchev, et des promesses de paix et de coopération. Les pacifistes allemands rencontrent un bon écho lorsqu’ils dénoncent les discours bellicistes et les décisions de surarmement. 8000 personnes ont défilé à Berlin, le 8 octobre dernier devant la Chancellerie et le Reichstag, en reprenant le vieux mot d’ordre de la militante pacifiste Bertha von Suttner en 1889 : Bas les armes ! et en exigeant la coopération au lieu de la confrontation, le désarmement à la place de l’austérité. En multipliant ses actions au plan local, comme lors des marches de Pâques et en s’engageant dans diverses luttes aux côtés d’organisations de la société civile et des syndicats, contre le racisme et les discriminations ou contre le TAFTA, le mouvement pacifiste reprend de la vigueur en Allemagne. Cela s’est vérifié lors du Congrès du Bureau International de la Paix2 qui s’est tenu précisément à Berlin. Il faudra être attentif au rassemblement pacifiste annuel de Kassel les 3 et 4 décembre où plus de 150 initiatives ou groupes locaux se rencontrent, approfondissent leurs analyses et travaillent à des actions communes. Pour 2017 sont d’ores et déjà actées la participation au contre-sommet de l’OTAN à Bruxelles et de nouvelles actions autour de Ramstein. Et pour l’élection du Bundestag à l’automne, les pacifistes allemands poseront la question des dépenses d’armement et du rôle de leur pays sur la scène internationale. Des questions que pacifistes français et allemands ont tout intérêt à poser ensemble, en développant leurs liens et en coordonnant leurs activités. Alain Rouy 1
Cf. enquête parue dans Courrier international du 30/04/2015
http://urlz.fr/4pYl 2
Voir Planète Paix n°615/616
MONDIALISER LA PAIX Nations Unies
Un nouveau Secrétaire général Le Secrétaire général est nommé par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité. Il joue un rôle politique important en présentant un rapport annuel à l’ouverture de chaque session de l’Assemblée générale en septembre. Sa personnalité et son style influent sur l’image de l’organisation, voire sur ses marges de manœuvres.
C
’est donc l’ancien premier ministre socialiste portugais Antonio Guterres qui prendra les fonctions de Secrétaire général de l’ONU le 1er janvier 2017. Il succèdera à Ban Ki-moon, sudcoréen, en fonction pendant deux mandatures (10 ans). Antonio Guterres est âgé de 67 ans. Francophone, il a été le chef de la mission de l’ONU pour les réfugiés durant dix ans, jusqu’en 2015 ; ce que l’on appelle le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), un des grands organismes avec le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et celui pour l’environnement (PNUE) et le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF). Dans la réalité, c’est le vote des 15 pays du Conseil de sécurité qui est décisif ; il eut lieu le 5 octobre 2016 et recueillit un vote favorable notamment des membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, Royaume-Uni et France) qui ont le droit de veto. Il va donc être investi officiellement par l’assemblée générale des 193 pays membres. A l’heure où les conflits n’ont jamais été aussi nombreux, où les menaces d’embrasement et de conflit mondial résonnent, l’enjeu est énorme. Ces dernières années les grandes puissances s’arrogent le droit d’initier des bombardements sur un État sans référer au Conseil de sécurité. Ne faut-il pas être beaucoup plus intransigeant sur le respect du droit international et, par exemple, sur le passage systématique par une résolution du Conseil de sécurité pour toute action dans une crise internationale ? « Rien sans l’Onu » n’est-il pas un slogan qui devrait reprendre une force nouvelle1 ? Malgré les interrogations sur le
rôle de l’Onu dans le monde d’aujourd’hui, sur son utilité, sur ses capacités d’action, on ne peut que constater le rôle incontournable de cette organisation créée après la seconde guerre mondiale. Comme l’écrit Daniel Durand2, chercheur à l’IDRP3, l’Onu est devenue productrice d’un nouveau « lien social » planétaire sans lequel des dizaines d’États risqueraient de s’effondrer.
La diplomatie préventive est l’axe primordial de l’action onusienne ; elle repose sur la simple conviction qu’il faut considérer tout ce qui peut être fait pour prévenir les crises ou les conflits. Le nouveau secrétaire général aura à poursuivre la mise en œuvre et le renforcement des traités de désarmement existants qui constituent une base fondamentale du droit international et qui sont essentiels pour développer la confiance et la sécurité commune, en particulier le récent traité sur le commerce des armes (TCA). Il aura à mener les négociations qui doivent débuter en 2017 pour élaborer un traité d’interdiction des armes nucléaires. Un autre axe de l’action onusienne est de réduire
les inégalités en faisant appliquer réellement le programme des objectifs du millénaire pour le développement durable. Lorsque, en 1945, les États élaborent une Charte commençant par « Nous, peuples des Nations Unies, résolus à préserver les générations futures du fléau de la guerre… », cela signifie que la Charte donne aux peuples le pouvoir politique. Mais les gouvernements trahissent ce mandat. Depuis l’assemblée générale du Millénaire en 2000, sous la mandature de Kofi Annan4, cette exigence de consultation systématique de l’opinion publique par le biais des organisations non gouvernementales (ONG) est mise en place ; elle devra être poursuivie, mais d’autres changements seraient nécessaires pour réhabiliter la démocratie dans les relations internationales. L’action des Nations unies fut essentielle dans la naissance et l’évolution du concept de la Culture de la Paix. Il est nécessaire que celle-ci soit incluse explicitement dans toutes les campagnes d’objectifs généraux de l’Onu et dans tous les programmes de consolidation de la paix. Annie Frison 1
Planète Paix n°595 octobre 2014
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auteur du livre « Changer l’ONU ? »
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Institut de Documentation et de Recherche sur la Paix
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Kofi Annan né au Ghana, fut le 7ème secrétaire général
de 1997 à 2006
EN SAVOIR PLUS • www.institutidrp.org/ • http://culturedepaix.blogspot.fr/ N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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CULTURE Film
‘‘La sociale’’ tous ensemble pour la Sécu ! Dans son dernier film, Gilles Ferret revient sur la création de la Sécurité sociale et sort de l’ombre Ambroise Croizat, ministre communiste qui y a largement contribué, presque oublié aujourd’hui. La « sécu », mise en place en 1945, aujourd’hui violemment attaquée, reste une référence dans le monde. Gilles Perret réalise un film d’espoir.
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N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
D
e film en film, Gilles Perret poursuit son chemin de passeur de mémoire. Avec « La sociale », c’est l’histoire de la sécurité sociale et celle du Ministre communiste Ambroise Croizat que Gilles Perret fait revivre, ou plutôt vivre, car il met à jour une histoire populaire maintenant oubliée. Après « Les jours heureux » qui décrivait l’incroyable histoire de l’élaboration du programme du CNR1 qui élabora les bases du modèle social français. « La sociale » raconte comment ce programme se concrétisa. Celui-ci reste aujourd’hui, malgré les régressions, la référence pour de nombreux pays où n’existe aucune protection sociale. Dans ses films, Gilles Perret s’appuie sur les derniers témoins de l’époque, « âgés mais très jeunes dans leur tête » selon lui. Dans « La sociale », c’est Jofred Fregonara dit Frego, nonagénaire toujours actif et d’une combativité intacte, malheureusement mort depuis, qui avait été chargé de la création de la caisse de HauteSavoie. Il continuait à faire des conférences aux élèves de l’École des cadres de la Sécurité sociale en leur rappelant le rôle essentiel de Ambroise Croizat. Le « ministre des travailleurs », comme on l’appelait, voulait « mettre fin à l’indignité des vies et mettre l’homme à l’abri du besoin, en finir avec la souffrance et les angoisses du lendemain ». Il a contribué à bâtir en un temps record (2 ans !) l’édifice complexe du système de protection sociale pour tous, et a eu l’idée novatrice de faire appel à des syndicalistes, comme Frego. Les étudiants interviewés dans le film ont été subjugués par cet ancien ouvrier, professeur hors du commun, et stupéfaits de s’apercevoir que, dans leur école, on honore seulement Pierre Laroque, haut fonctionnaire qui travaillait avec Ambroise Croizat, alors que le nom de ce dernier n’apparaît nulle part. Gilles Perret livre des faits, des analyses, donnant la parole à des intervenants divers : sociologues, his-
toriens, médecins. Ils font apparaître le caractère tellement novateur de ce système que certaines dispositions, gênantes pour le patronat, comme la gestion paritaire avec les syndicats, ont été passées à la trappe ; et aussi la dénonciation par une spécialiste de médecine de la privatisation rampante de ce système conçu pour être universel et public. Les 84 minutes du film passent comme un éclair. C’est d’une clarté et d’une simplicité désarmantes, très didactique et pédagogique : à projeter dans toutes les écoles, en même temps très vivant. Gilles Perret a le don de créer des moments de cinéma stupéfiants, touchants et parfois comiques. Ainsi les propos de cet opposant à tout système public qui présente la France comme un pays communiste ! Ou encore cette séquence dans le bureau du Ministre du travail où François Rebsamen qui en est l’occupant de l’époque, essaie de se défiler devant l’équipe du film ; et cette fillette, qui apparaît étrangement sur les photos de meetings aux côtés d’Ambroise Croizat, c’est sa fille, accrochée à son papa qu’elle suivait partout après son retour de détention. Un souffle vivifiant passe dans ce film. Nulle nostalgie ou constatation passive devant la régression sociale. Gilles Perret nous redonne de l’espoir et du courage. Il dit dans une interview « Ce n’est pas parce qu’on est minoritaire et dans une période sombre qu’on ne peut croire à des jours meilleurs ». « La sociale » est un appel à retrouver la pugnacité et le courage des héros de ses films : c’est un nouvel appel à la résistance. Nicole Bouëxel 1
Conseil National de la résistance.
La sociale, un film documentaire de Gilles Perret, sorti en salle en novembre 2016
CULTURE Théâtre
Poussières de Paix Nous poursuivons la présentation de spectacles découverts au Festival Off d’Avignon. Après le Petit Poilu illustré1, nous partons au Proche-Orient pour un spectacle du Théâtre de la Fugue. Une œuvre originale qui ne ressemble à aucune autre. ue raconter concernant IsraëlPalestine ? Raconter la pierre, le char, les oliviers qu’on abat ? Frédéric Laffont choisit de raconter des histoires, des visages et l’espoir de mille et un chemins qui pourraient mener à la paix un jour… Grand reporter et cinéaste, il a écrit un livre2 « 1001 jours, 1001 nuits » paru aux éditions Arléa en 2002. Aujourd’hui c’est au théâtre que Philippe Osmalin, dramaturge et metteur en scène, en réalise un spectacle « Poussières de paix ». Les textes se fondent sur ce que le reporter a vu, perçu, entendu et qu’il nous donne à saisir dans un esprit d’empathie et de dialogue avec ces deux peuples qui résistent tant à se rencontrer. Ainsi, toutes les histoires sont vraies, tous les personnages évoqués ou joués existent ou ont existé. « Je peux mettre des dates et des noms en face de toutes ces histoires » précise Frédéric Laffont. Le spectacle parle de la terre et de ses arbres, des maisons et de leur mémoire. Il évoque le sacré et Jérusalem, fait entendre un cheikh et un rabbin, laisse voir des hommes et des actions de paix. Il fait ressentir la douleur des mères meurtries. Il parle des attentats et des chars, des barrages et de l’échec des négociations. Le spectacle veut faire entendre aussi et surtout les voix de concorde et de vie des deux côtés, au-delà des blessures vécues, au-delà du réel avec ses illusions et ses impasses, au-delà de la tragique loi du talion.
Un parti pris de sobriété Le projet a été de transcrire sur scène, de la manière la plus sobre et la plus juste possible, l’intensité des drames qui se jouent au quotidien. Il nous fallait raconter l’Histoire et des histoires au croisement de l’expressif et de l’indicible, de l’intime et de l’universel ; ainsi les voix d’hostilité sans jouer la violence à proprement parler. Des rencontres pleines d’humanité là-même où passent les chars, où tombent les bombes terroristes, où s’ancre le refus de l’autre. La mise en scène a travaillé sur la musicalité, sur des tableaux et une circulation scénique, sur une distanciation respectueuse, toute en intériorité et en émotion retenue. C’est le parti pris d’une stylisation minimaliste pour dire la gravité du sujet sans installer de pathos ni de compassion. Au-delà de ce conflit spécifique, ce sont les voix de toutes les victimes de guerres, d’hostilités, de haines accumulées de par le monde qui résonnent dans ce spectacle.
Une démarche d’engagement Pour avoir vécu en Israël-Palestine, pour avoir ressenti de l’intérieur cette terre, ses douceurs et ses amertumes, Philippe Osamalin voulait pouvoir dire, un jour sur scène, la douleur de la rencontre âpre entre les deux peuples qui l’habitent, chacun avec son histoire, ses affects, sa culture. Il casse certaines idées reçues sur la faute des uns ou
des autres. Il déplace l’affrontement entre les « pour l’un » / « contre l’autre », et tente de sortir de faux-débats idéologiques pour se mettre vraiment à l’écoute éthique de l’humain, d’où qu’il soit. Le spectacle se veut donc une parole d’engagement et d’empathie auprès de publics divers, et notamment de jeunes, ainsi que d’associations afin de susciter l’envie de comprendre - au-delà des représentations parfois réductrices derrière lesquelles on peut être amené à se réfugier. Puissions-nous travailler à ce que les cendres de guerre se fassent graines de paix, là où elles peuvent s’enraciner et se développer. Poussières de paix est un spectacle qui ne (dé)montre pas que la paix est en poussières mais plutôt qu’à partir des multiples poussières que sont les comportements et ressentis individuels de part et d’autre, le puzzle de la Paix peut se recomposer. Pierre Villard 1 2
Voir Planète Paix n°614 septembre 2016 Ses récits et ses témoignages ont aussi servi de base
à un film, « Mille et un jours », qu’il a réalisé en 2003.
N° 617 - Décembre 2016 - Planète PAIX
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atalogue de paix 2017
Le Mouvement de la Paix - La Maison de la Paix, 9 rue Dulcie September - 93400 - Saint-Ouen - Tél. 01 40 12 09 12
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