Le Poème
rouge
Marc Sayous
L E T T RE S E X P O S É E S t e xt e s
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100
Le Poème rouge
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Poème rouge Je fus et je serai ce bois flotté qui dérive sur le fleuve rouge, cet arbre léger, déjà si loin de sa forêt primaire. Son flux me porte, j’utilise son énergie. Son courant est dans mes veines. Il s’accélère, se calme, déborde et je sens que sa tension m’épuisera pour m’engloutir dans la fluidité de toutes formes. Je suis ce bois flotté, si léger qu’il chevauche sans décompte la brièveté de mon temps. Je pourrais me croire animal, créature active, vorace, toujours en mouvement volontaire sur un territoire dominé mais je sais bien que je flotte en surface et reste ce voyageur inerte transporté par l’inconnu ; cet homme égaré depuis toujours dans une cascade d’ignorance malgré un désir de beautés lumineuses, souvent prisonnier de ses doutes sous le charme régulier des corps célestes en transes circulaires. Sur mes eaux, je me laisse porter et traverse des paysages, des peintures si variables, fragiles comme la journée minuscule d’un papillon aux ailes poudreuses. Mon voyage est écoulement provisoire, pulsation et impulsion. Ma curiosité grave son sillage éphémère, c’est un poème rouge dilué dans ce fleuve trouble où tout se transporte, se transmet puis s’estompe Je fus, je serai et je suis ce bois flotté qui dérive sur le fleuve rouge.
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Pluie dans le ciel de toutes les guerres On aurait mieux fait de plaider pour la pluie, on aurait mieux fait d’espérer une hécatombe de sang, une chute constante d’hémoglobine. On aurait mieux fait de vouloir un ciel des sacrifices réunis, celui de toutes ces guerres assemblées à la gloire d’un dominant ridicule. Des années de vermillon tachant le ciel d’azur. On aurait mieux fait. Qui tiendrait à ces cieux en ouvrant sa fenêtre au matin exsangue? Qui dénierait l’obsession ? Qui ne réclamerait la paix en retour et la fin de l’horreur visqueuse portée par le glaive ? Ouvrir le tombeau pour y enfouir les bombes. On aurait mieux fait de rejeter les petites misères, les fines gloires, les masques hypocrites de la tragédie renouvelée. Mais au contraire, c’est le métal, le plomb, le sulfate et la poudre qu’on a voulu comme signe de grandeur, beauté de la défense et la médaille ridicule pour pansement des peines sans fin. On aurait mieux fait de plaider pour la pluie, un orage de sang, un déluge permanent. Nos âmes auraient compris l’horreur rouge en moins de temps qu’il ne faut au soleil pour enrichir le matin de toutes nos vies.
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