Revue jules verne 37

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SOMMAIRE

V

e r n e

37

Dossier : Pierre-Jules Hetzel :

éditeur par excellence sous la direction de

Renoir Bachelier

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Editeur par excellence > Renoir Bachelier

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Un éditeur emblématique du XIXe siècle > Jean-Yves Mollier

25

La Résistible ascension d’un éditeur jeunesse > Jean-Paul Gourévitch

39

Sur les contes de fées > Patrice Soulier

55

L’Esprit d’un éditeur > Irène Zanot

67

Anticipation reniée > Masataka Ishibashi

85

Philippe Daryl (André Laurie) > Xavier Noël

105 Baudelaire et Hetzel > Jean-Luc Steinmetz 117 L’étonnante collaboration : Hetzel & Proudhon > Renoir Bachelier 127 Quand J. Verne rencontre P.-J. Hetzel > Volker Dehs. 137 Pour un ballon d’essai… vernien, ce fut le coup de maître… > Jean-Yves Paumier

Mais encore ?

Les rubriques de la Revue Jules Verne Cabinet de curiosités : « Un Voyage en ballon » > Philippe Burgaud

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Les Chroniques verniennes :

168

Table des illustrations

> Alexandre Tarrieu ¬ Les Mille yeux d’Alexandre Tarrieu ¬ Dictionnaire des personnes citées…

5

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Les 10èmes Rencontres internationales Jules Verne, consacrées à Pierre-Jules Hetzel, se sont déroulées les 22 et 23 mars 2013 à Amiens, dans l’auditorium du Logis du Roy, en partenariat avec l’Université de Picardie Jules Verne et ses centres d’études : Cerr & Cercll. Mises en ligne, en mai 2013, sur le site de la revue, ces Rencontres sont ici publiées dans l’élan de leur production. Ni simple ni double, ce numéro 37, très dense, présente un ensemble d’illustrations à la hauteur de P.-J. Hetzel, pour parfaire l’hommage que le Centre international Jules Verne a souhaité rendre cette année à l’éditeur.




Editorial

Editeur par excellence P

Hetzel reste, pour qui s’intéresse de près à l’œuvre vernienne, une figure complexe, souvent décriée et dans le même temps reconnue pour ses qualités de visionnaire. Nombreux ont été les débats au cours de ces dernières années pour évaluer le rôle – bénéfique ou liberticide – d’Hetzel dans la création de Verne. Quelle que soit notre opinion à cet égard, force est de reconnaître qu’il n’y aurait pas de Voyages extraordinaires – tels qu’on les connaît, tels qu’on les aime – sans cette curieuse collaboration. Hetzel a su voir dans Jules Verne l’homme plein d’imagination, le romancier fabuleux, le conteur captivant ; Verne a su profiter des capacités d’Hetzel à mettre un produit sur le marché, à créer une demande, à fédérer des générations autour d’une revue et de son auteur phare. Il ne fallait néanmoins pas réduire Hetzel à son rôle d’éditeur de Jules Verne. Ecrivain, citoyen engagé, éditeur au catalogue alléchant, il incarne ce dix-neuvième siècle éclectique. Son catalogue s’apparente ainsi à une encyclopédie tant il regroupe une pléiade d’auteurs hétérogènes. De George Sand à Baudelaire, en passant par Proudhon, Hugo, Balzac et un certain nombre d’auteurs oubliés, Hetzel a su capter son époque. Il est parvenu à toucher de nombreux publics et à se forger une solide réputation dans le milieu éditorial. Nous espérons que ce numéro en restituera toute la richesse.

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Renoir Bachelier

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence

our ces 10èmes Rencontres Internationales, le Centre international Jules Verne avait décidé de se tourner vers l’éditeur de Jules Verne, Hetzel, pour commémorer le bicentenaire de sa naissance.



Jean-Yves MOLLIER

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence – Revue Jules Verne n° 37

Un éditeur emblématique du XIXe siècle mblématique du « Siècle des éditeurs », Pierre-Jules Hetzel le fut au même titre que Louis Hachette et Pierre Larousse selon Roger Chartier et Henri-Jean Martin qui ont choisi ces trois figures de proue pour illustrer la naissance de ce que j’avais, pour ma part, appelé un peu auparavant, « la naissance de l’édition moderne »1. Tributaires de l’historiographie existante au début des années 1980, les maîtres d’œuvre de cette fresque monumentale que constitue l’Histoire de l’édition française ne disposaient, il est vrai, que d’une documentation réduite pour traiter du XIXe siècle. En dehors des monographies consacrées par Jean Mistler à Louis Hachette2 et André Rétif à Pierre Larousse3, ni mon livre sur les frères Lévy, ni la thèse d’Elisabeth Parinet sur Flammarion4, ni la plupart des travaux qui allaient renouveler en une décennie l’approche de cette période n’étaient disponibles5. Toutefois un éditeur bénéficiait d’un traitement à part, Pierre-Jules Hetzel, à qui les spécialistes de l’histoire littéraire avaient, les premiers, accordé l’importance qu’il méritait. Dès 1953, l’épais volume rédigé par André Parménie et Catherine Bonnier de la Chapelle6 livrait à la curiosité des lecteurs 1 Jean-Yves Mollier, Michel et Calmann Lévy ou la naissance de l’édition moderne. 1836-1891, Paris, Calmann-Lévy, 1984, et Roger Chartier et Henri-Jean Martin dir., Histoire de l’édition française. T. 3 : Le temps des éditeurs : du romantisme à la Belle Epoque, Paris, Promodis/Ed. du Cercle de la Librairie, 1985. 2 Jean Mistler, La Librairie Hachette, Paris, Hachette, 1964. 3 André Rétif, Pierre Larousse. 1817-1875, Paris, Larousse, 1975.

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence

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4 Elisabeth Parinet, La Librairie Flammarion. 1875-1914, Paris, IMEC Ed., 1992.

6 André Parménie et Catherine Bonnier de la Chapelle, Histoire d’un éditeur et de ses auteurs, P.J. Hetzel (Stahl), Paris, Albin Michel, 1953.

11

5 Jean-Yves Mollier, « Postface », Histoire de l’édition française, T. 3, rééd. Paris, Fayard, 1991, p. 569-593.


Jean-Yves Mollier

de nombreux documents, lettres inédites, brouillons ou traités, que la descendante du libraire-éditeur avait extraits du cabinet de travail et de la bibliothèque de Meudon7 où son grand-père les conservait. L’attention des amateurs et celle des chercheurs était ainsi attirée sur la singulière destinée d’un homme qui avait été tour à tour l’éditeur de l’abbé Affre, le futur archevêque de Paris, pour un Livre d’heures qui alimenta la trésorerie de sa société, puis de Charles Nodier, d’Alfred de Musset, de George Sand, de Victor Hugo et, bien entendu, mais plus tard, de Jules Verne. En 1966, à l’occasion de la donation faite au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, un précieux catalogue livrait d’autres documents permettant de retracer la carrière de PierreJules Hetzel, de distinguer ce qui relevait de la destinée politique et ce qui se rattachait à la vie littéraire de la nation. L’auteur de ce livret qui nous paraît un peu austère aujourd’hui, Marie Cordroc’h, plaçait d’ailleurs quatre écrivains en médaillon autour du portrait de leur médiateur, Balzac et Hugo, en haut, à droite et à gauche, puis George Sand et Jules Verne, en bas, effectivement représentatifs de la richesse des catalogues constitués par l’éditeur8. Au fur et à mesure que les reliures enfermant les précieuses lettres étaient mises à la disposition des lecteurs, des travaux allaient voir le jour, révélant de multiples facettes de la personnalité de l’écrivain P.-J. Stahl et de son double, P.-J. Hetzel. Alsacien par son père et beauceron par sa mère avant de rejoindre la pension parisienne de Stanislas où il se fit de précieuses amitiés, libraire-éditeur dès 1833 puis secrétaire du Gouvernement Provisoire de la Deuxième République en 1848, exilé du coup d’Etat du 2 décembre 1851, et enfin éditeur parisien de son retour en France en 1859 à sa mort en 1886, l’homme n’avait cessé d’occuper une place enviée au firmament des lettres. En 1980, la thèse de l’Ecole des Chartes de

7 La maison située à Meudon, aujourd’hui Sèvres, avait été construite par Viollet Le Duc. On pouvait y voir encore la bibliothèque, le bureau et divers documents appartenant à l’éditeur dans les années 1980-1990, avant le décès de Renée Laffon qui accueillait généreusement tous les chercheurs qui la sollicitaient. 8 Marie Cordroc’h, De Balzac à Jules Verne : un grand éditeur du XIXe siècle, P.-J. Hetzel, Paris, BN, 1966.


Editeur phare de son époque en effet, Pierre-Jules Hetzel n’en avait pas moins légué à son fils une société de moyenne envergure que la rente assurée par les Voyages extraordinaires de Jules Verne ne suffira pas à maintenir à flots au début du XXe siècle. Il s’agit donc de ne pas se laisser aveugler par la renommée des écrivains présents dans ses catalogues mais d’essayer de réévaluer sereinement son œuvre, d’ailleurs plus diverse qu’il n’y paraît à première vue, puisqu’il fut aussi l’agent littéraire de plusieurs d’entre eux, faute de pouvoir demeurer leur éditeur au sens plein du terme. Directeur de revues dont le Magasin d’Education et de Récréation demeure la plus connue et la plus prestigieuse, critique littéraire, journaliste, homme de lettres au jugement sûr et à la plume alerte, l’éditeur du quartier Latin le plus aimé de l’historiographie ne se laisse donc 9 Nicolas Petit, Un éditeur au XIXe siècle : Pierre-Jules Hetzel (1814-1886) et les éditions Hetzel (1837-1914), thèse de l’Ecole des Chartes, 1980 ; voir aussi son article de synthèse, publié vingt ans plus tard et remarquablement informé, « éditeur exemplaire, modèle de père, héros de roman. Figures d’Hetzel », Bibliothèque de l’Ecole nationale des Chartes, t. 158/2000, p.197-221. 10 « Pierre-Jules Hetzel », Europe n° 619-620, nov.-déc. 1980.

12 Jean-Yves Mollier, L’Argent et les Lettres. Histoire du capitalisme d’édition, Paris, Fayard, 1988, ch. IX.

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11 Christian Robin dir., Un éditeur et son siècle, Pierre-Jules Hetzel (1814-1886), Saint-Sébastien, ACL, 1988.

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Pierre Larousse

Nicolas Petit9 et un numéro de la revue Europe consacré, pour la première fois depuis sa naissance, à un éditeur10, amorçaient un mouvement qui devait aller crescendo. En 1985, parachevant cet édifice, le tome 3 de l’Histoire de l’édition française reconnaissait en lui une des trois figures majeures de l’édition. Un an plus tard, le colloque de Nantes, suivi peu après, de la publication du volume d’actes qui en résultait11, invitait à un réexamen de son action et, en 1988, le chapitre de L’Argent et les Lettres, sous-titré Histoire du capitalisme d’édition12, qui le situait à côté des Charpentier, Larousse et autres « vraies grandeurs de l’édition », invitait à sortir de l’hagiographie, de l’hommage pieux ou de la révérence obligée et à entamer le travail de relecture critique qui s’imposait.


que difficilement saisir. En examinant ici trois des carrières de ce personnage à ressources multiples, l’éditeur, l’agent littéraire et l’écrivain, mais en laissant de côté l’homme politique, l’homme de presse et l’homme du monde, de salon, on tentera ainsi de resituer dans son époque un contemporain de Balzac et de Zola, de Musset et de George Sand, mais aussi le confrère, complice ou concurrent de Louis Hachette et de Michel Lévy qui le traitait volontiers de « vieux Belge » quand il se voyait acculé, en 1852-1853, à déclencher la révolution du livre à un franc (cinq euros d’aujourd’hui) qui laissa exsangue son associé d’un moment13. Louis Hachette

Un éditeur romantique au tournant du siècle On le sait, l’éditeur romantique digne de ce nom est d’abord un professionnel capable de publier de beaux livres, impeccablement imprimés, sur papier de qualité, bien illustrés et souvent magnifiquement reliés. Eugène Renduel est peut-être l’idéal-type de ces libraires que la loi et les médias commençaient à désigner sous le nom d’éditeurs14, ces personnages étranges, ambivalents, hommes de la marchandise et de l’esprit, que le recueil des Français peints par eux-mêmes consacrait comme types sociaux désormais familiers du public au début des années 184015. Si le Nivernais connut en effet des revers de fortune, qu’on attribue à ses cartonnages « à la cathédrale » ou à ses volumes trop coûteux pour le public de son époque, il s’essaya aussi à multiplier les lecteurs, à imaginer des plans pour installer des bibliothèques jusque dans les campagnes les plus reculées et mourut châtelain, ce qui achève de le camper en professionnel de son temps plutôt qu’en David Séchard du livre romantique16. Pierre-Jules Hetzel 13 Jean-Yves Mollier, Michel et Calmann Lévy…, op. cit., p. 265-274, et Louis Hachette (1800-1864). Le fondateur d’un empire, Paris, Fayard, 1999, p. 301-319. 14 Voir sur ce point notre mise au point, in J.Y. Mollier, « La police de la librairie. 1810-1881 », Histoire de la librairie française, dir. Patricia Sorel et Frédérique Leblanc, Paris, Ed. du Cercle de la Librairie, 2008, p. 16-26. 15 Elias Regnault, « L’éditeur », Les Français peints par eux-mêmes, [1842], rééd., Paris, La découverte, coll. « L’omnibus », t. 2, 2004, p. 943-958. 16 Odile Krakovitch, « Eugène Renduel », Dictionnaire encyclopédique du livre, dir. Pascal Fouché et Philippe Schuwer, Paris, Ed. du Cercle de la Librairie, 2011, 3 vol., t. 3, p. 534-535.


Débutant dans le commerce de librairie au moment précis où le système des livraisons et le feuilleton font passer le prix du livre de 15 F (75 €) à 1 F (5 €) , voire vingt centimes pour les « romans à quatre sous », en moins de vingt ans, Pierre-Jules Hetzel n’a inventé ni la « Collection Charpentier » à 3 F 50 (1838), la matrice de la plupart des autres18, ni la « Bibliothèque des chemins de fer » (1853), symbole de la naissance d’un nouveau circuit de diffusion des livres par le rail, ni la « Collection Michel Lévy » à un franc (1855) qui constituent les trois jalons principaux de cette révolution

18 Isabelle Olivero, L’invention de la collection, Paris, IMEC ed./Ed. de la MSH, 1995.

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17 Françoise Parent, Lire à paris au temps de Balzac. Les cabinets de lecture à Paris. 1815-1830, rééd. Paris, Ed. de l’EHESS, 1999, et J.Y. Mollier, « Les cabinets de lecture », Histoire de la librairie française, op. cit., p.149-155.

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lui ressemble à l’évidence par son souci permanent d’offrir aux jeunes lecteurs une littérature qui soit autre chose que de la tisane pour gouvernantes privées des joies de la maternité et par sa mort dans sa villégiature de Monte-Carlo qui atteste sa volonté de concilier réussite matérielle et exigence d’un catalogue réservé aux meilleurs écrivains de son temps. Inutile d’ailleurs d’épiloguer sur ce point : tous les commentateurs ont, d’hier à aujourd’hui, dit ce qu’il convenait de penser de ses collections de livres pour la jeune public dont les cartonnages rouge et or réservés à Jules Verne et à ses contemporains représentent en quelque sorte le point d’orgue. Dès la publication du Livre d’Heures, commandé par l’abbé Affre, le futur archevêque de Paris, en 1837, et celle de L’Imitation de Jésus-Christ recommandée par monseigneur de Quélen, son prédécesseur, l’année suivante, l’associé du libraire Paulin avait manifesté son intention de n’apposer son nom, sa signature ou sa marque de fabrique, sa griffe en quelque sorte, que sur des volumes dont il pourrait se montrer fier. Refusant les « rossignols de librairie » alors pourtant très nombreux, les livres produits à toute vitesse et sans originalité, Pierre-Jules Hetzel aimait la belle ouvrage et tentait d’imposer l’harmonie entre contenant et contenu que refusaient la plupart de ceux qui préféraient s’enrichir le plus vite possible en profitant de l’attrait qu’exerçait le cabinet de lecture, l’institution la plus décriée des hommes de lettres mais, cependant, la pièce essentielle à l’augmentation de la taille du lectorat en une époque de livre cher, inabordable pour la masse de la population17.


Victor Hugo

Jean-Yves Mollier

du prix du livre19. Pire : pratiquement mis sur la touche deux ans avant la révolution de 1848 par de mauvaises affaires, il doit changer de métier, se reconvertir en agent littéraire sans le titre et tenter, grâce à l’exil bruxellois plutôt consenti que subi d’ailleurs20, de refaire surface en liant son sort à celui de Victor Hugo qui rêvait de transformer la capitale de la Belgique en « citadelle de libraires et d’écrivains d’où bombarder le Bonaparte »21. L’édition des Contemplations, celle de Napoléon-le-petit, de Châtiments puis de La légende des siècles le récompenseront de ses efforts mais l’attribution des Misérables à Lacroix, Verboeckhoven et Cie, en 1862, laissera une profonde blessure dans le cœur de celui qui ne pardonnera jamais à Victor Hugo d’avoir choisi l’éditeur le plus à même, en raison de la cherté de l’enchère – 240 000 F ou 1, 2 million d’euros – de diffuser son œuvre aux quatre points cardinaux de l’univers. Certes payé en retour par la fidélité de Jules Verne qui lui vaudra la réputation non usurpée d’avoir été l’éditeur de la jeunesse par excellence de son siècle, Pierre-Jules Hetzel ne dirigeait à sa mort qu’une PME sans commune mesure avec la Librairie Hachette, celle des frères Garnier ou celle des frères Lévy dont les immeubles en pierre de taille, boulevard Saint-Germain, rue de Lille et rue Auber traduisaient avec insolence l’éclatante fortune et la réussite sociale incontestable. 19 Les petits volumes in-32 de sa collection « Diamant » sont certes des livres de poche avant la lettre mais leur format ne correspondait guère qu’à la littérature clandestine – Napoléon-le-petit – et ce format fut rapidement délaissé au profit de l’in-18 (11,5 cm X 16, 5 cm) qui s’imposa à tous les éditeurs du moment. 20 Pierre-Jules Hetzel a préféré devancer les intentions du pouvoir mais, non mentionné dans les décrets de proscription de 1851-1852, il pourra rentrer en France à plusieurs occasions avant de bénéficier de l’amnistie générale du 15 août 1859. 21 Victor à Adèle Hugo, lettre du17 janvier 1852, Œuvres complètes, éd. Jean Massin, Paris, Le Club du Livre, 18 vol., 1967-1972, t. VIII, p. 967., et Bernard Leuilliot, Victor Hugo publie « Les Misérables », Paris, Klincksieck, 1970.


22 J.Y. Mollier, « George Sand et les éditeurs de La Petite Fadette », George Sand. La dame de Nohant. Les romans champêtres, dir. Angels Santa, Lelida, Edicions de la universitat de Lleida., 2009, p.251-265

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23 Victor Hugo/Pierre-Jules Hetzel, Correspondance, t. 1 (1852-1853), Paris, Klincksieck, 1979, et Guy Rosa.

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Un agent littéraire au service de ses confrères Forcé par la nécessité d’interrompre ses activités d’éditeur au début de l’année 1846, Pierre-Jules Hetzel allait recycler son savoir-faire en devenant le conseiller, l’intermédiaire, l’agent rémunéré ès-qualités de l’un de ses auteurs favoris, George Sand. Il le demeurera pendant une dizaine d’années et c’est par son entremise que Miche Lévy mettra la main sur un auteur dont il était allé jusqu’à Nohant tenter d’obtenir la signature pour donner davantage de lustre à son catalogue, sa véritable carte de visite22. Alors que l’écrivain ne lui avait concédé, en 1849, qu’une édition limitée à dix-huit mois de La Petite Fadette, elle se résoudra à lui accorder l’intégralité de son œuvre passée, présente et à venir en 1860, transférant à l’éditeur de la rue Vivienne puis Auber le capital symbolique et le lustre qui entouraient sa personne. Agent littéraire de Victor Hugo pour l’édition populaire des Œuvres complètes illustrées qui est le pendant de celle de George Sand, d’Eugène Sue et de Balzac à la Librairie des publications illustrées à vingt centimes, une officine qui a profité de l’irruption du roman à quatre sous en 1848 pour faire grimper les tirages moyens des livraisons à 15 ou 20 000 exemplaires, Pierre-Jules Hetzel en profite dans un premier temps pour devenir son éditeur de l’exil. Toutefois passé la publication de la Légende des siècles et la réinstallation à Paris, leurs rapports se distendent au point d’aboutir à un divorce douloureux en 186223. Le plus grave ne réside peut-être pas dans ces coups du sort qui, après tout, pourraient relever d’une simple opportunité aperçue par un auteur désireux de placer ses œuvres au mieux de ses intérêts matériels. C’est en effet dans l’occasion qui est donnée à la fois à Michel Lévy, dès 1855, et à Albert Lacroix, sept ans plus tard, de solidifier deux des maisons d’édition les plus entreprenantes de l’époque que se cache l’une des raisons du relatif déclin de la société refondée par Pierre-Jules Hetzel à la fin du Second Empire.


Jean-Yves Mollier

Heureusement pour lui, le peu d’empressement de Michel Lévy à transformer leur magazine commun, Les Bons Romans24, en luxueux périodique visant un lectorat favorisé25, lui permettra, après avoir revendu ses parts à son associé, de disposer du capital nécessaire à la création du Magasin d’Education et de Récréation l’année suivante26. Toutefois, transformé par les circonstances en agent littéraire sans le titre, il n’avait pas songé à théoriser son expérience et à imiter ses confrères britanniques qui, au même moment, commencent à mettre sur pied le système qui s’est imposé, au XXe siècle, dans les pays anglo-saxons où règne la loi du copyright, on le sait, très différente du droit d’auteur puisqu’elle ignore le droit moral de l’écrivain27. C’est d’ailleurs son amie et associée George Sand qui est la première en France à anticiper une transformation en profondeur des conditions de diffusion des œuvres de l’esprit en poussant son ancien secrétaire, Emile Aucante, à fonder, en 1858, l’Agence générale de la littérature qui entendait damer le pion des éditeurs et défendre ainsi les intérêts des écrivains. Forte de nd Sa George l’expérience mais aussi des limites qu’avait rencontrées la Société des Gens de Lettres depuis sa naissance en 1838, l’auteur de Lelia et d’Indiana tentait, vingt ans plus tard, de lancer une véritable bombe dans la forteresse des éditeurs, ces « puissances redoutables » que décrivait Elias Regnault dans son chapitre des Français peints par eux-mêmes ou ces « padishas de la librairie » qu’Illusions perdues avait mis en scène au même moment. L’heure 24 Ils ont en effet fondé le magazine pour la jeunesse intitulé Les Bons Romans en 1860 mais le premier s’en est retiré trois ans plus tard pour fonder seul le Magasin d’Education et de Récréation, vendu deux fois plus cher que le précédent et destiné, a priori, à une autre fraction du lectorat. 25 Les Bons Romans sont vendus 5 centimes le numéro tandis que le Magasin d’Education et de Récréation est proposé à l’abonnement, pour 12 F par an, ce qui les destine à l’évidence à deux types de public. 26 J.Y. Mollier, « Michel Lévy et P.J. Hetzel, deux destins d’éditeur », Un éditeur et son siècle. Pierre-Jules Hetzel (1814-1886), op. cit., p. 307-323. 27 Laurent Pfister, L’auteur, propriétaire de son œuvre ? La formation du droit d’auteur du XVIe siècle à la loi de 1957, thèse d’histoire du droit, université de Strasbourg III, 1999.


Editeur en difficulté au début des années 1860, Pierre-Jules Hetzel laissera de la même manière passer Emile Zola, pourtant publié en coédition avec la Librairie internationale d’Albert Lacroix pour les Contes à Ninon en 1864. Ce désintérêt ou cette absence de flair favorisera à terme un autre concurrent direct, Georges Charpentier, successeur de son père en 1871 et héritier, l’année suivante, d’une embarrassante propriété littéraire arrachée illégalement à la faillite d’Albert Lacroix28. Sans le démarrage des romans de Jules Verne en ces années 1865-1875, la situation de celui qui redevient un éditeur envié aurait sans doute été critique et l’on s’étonnerait, rétrospectivement, de cette apparente cécité d’Hetzel si l’on oubliait que personne, sauf George Sand, n’avait eu l’audace intellectuelle de concevoir un statut de l’agent littéraire destiné à tenir l’éditeur en lisière des écrivains autogérés. L’échec de son agence, privée des capitaux indispensables à son décollage dans la période critique où les écrivains sous contrats ne seraient pas encore publiés et ne rapporteraient donc rien à leur intermédiaire, traduit sans doute l’immaturité d’une telle entreprise née après que les éditeurs aient ravi le feu sacré à leurs auteurs. Puisque, depuis 1838, les premiers avaient l’audace de placer leur propre nom sur les collections, les «bibliothèques », dans lesquelles ils diffusaient les écrivains, le rayonnement des seconds était tributaire du label qui les commercialisait, les « écoulait » disaient les illustres Gaudissart chargés de proposer leur marchandise aux libraires de la province et de l’étranger. Un écrivain oublié On ne lit plus guère aujourd’hui l’auteur qui signait P.-J. Stahl, le premier « homme d’acier » de l’histoire, mais on trouve pourtant toujours certaines de ses traductions-adaptations dont la plus célèbre, Les Quatre Filles du Dr Marsh, a connu de multiples avatars au grand et au petit écran, preuve de sa plasticité qui

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semblait donc venue de pousser plus loin la réflexion collective et de développer un plan d’action qui placerait de nouveau l’écrivain au centre et au cœur du système de diffusion de sa pensée.

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28 J.Y. Mollier, « Emile Zola et le système éditorial de son temps », Les Cahiers naturalistes, n° 67/1993, p. 245-262.


Jean-Yves Mollier

témoigne des qualités de son créateur en second. Il faut d’ailleurs insister sur le rôle de médiateur, de passeur culturel pourrait-on ajouter, qui fit de Pierre-Jules Hetzel, sous le pseudonyme de P.-J. Stahl, un extraordinaire dénicheur de livres destinés à l’enchantement de la jeunesse. La Petite Princesse Ilsée, traduite de l’allemand et empruntée à Marie Petersen, Le Nouveau Robinson suisse, de J.R. Wyss, retraduit à son intention en 1864, mais adapté au public désormais plus cultivé scientifiquement qu’au moment de sa publication, l’Histoire d’un âne et de deux jeunes filles, Les Patins d’argent, histoire d’une famille hollandaise et d’une bande d’écoliers, tiré du récit de Mary Mapes, Maroussia, du conte de Markowovzok, Les Quatre Filles du Dr Marsh, adapté librement du récit de L. M. Alcott et enfin la première traduction de L’Ile au trésor de Robert-Louis Stevenson témoignent d’une volonté constante d’offrir aux jeunes lecteurs le meilleur des littératures du monde entier. Si l’univers présent dans ses catalogues est encore réduit aux frontières de l’Occident, du moins Hetzel a-t-il été un des premiers à considérer qu’on ne pouvait se contenter des contes de Perrault et qu’il fallait élargir la vision des petits Français en leur proposant des traductions adaptées de l’allemand, de l’anglais, des langues scandinaves ou du russe. Un autre aspect de son travail est également bien documenté aujourd’hui, celui du moraliste. On se souvient qu’il avait associé Jean Macé au devenir du Magasin d’Education et de Récréation avant de lui racheter ses parts, et qu’il publia les nombreux contes moraux du fondateur de la Ligue de l’enseignement en France mais on ne doit pas négliger pour autant les récits à visée éducative du conteur P.-J. Stahl. Sa Morale familière, les Histoires de mon parrain, les Contes de l’oncle Jacques et Les Quatre peurs de notre général, souvenirs d’enfance, sa dernière œuvre, écrite d’une main tremblante que la maladie avait déformée, disent


Par ce dernier trait, l’écrivain P.-J. Stahl rejoint le républicain Pierre-Jules Hetzel, qui milita pour l’adoption du suffrage universel (masculin), et pour l’avènement d’une démocratie qui peut apparaître comme imparfaite, puisque sexiste, aux yeux du lecteur du XXIe siècle, mais qui avait néanmoins l’avantage d’accepter qu’un paysan ou un ouvrier possède le même bulletin de vote qu’un propriétaire ou un rentier.

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également quelque chose de la personnalité et de l’imagination d’un écrivain fort apprécié de son public. Ce sont pourtant les albums qui apparaissent aujourd’hui les plus modernes, par leur contenu autant que par leur format qui annonce ceux de Bécassine, de Tintin et de Babar du XXe siècle. La Journée de Mademoiselle Lilli, qui fait partie d’une véritable « bibliothèque » comprenant une vingtaine de volumes, manifeste d’autres facettes de son écriture. Auteur des Bonnes Idées de Melle Rose, des Mésaventures du Petit Paul, du Royaume des gourmands, du Moulin à paroles, de Monsieur de crac et de bien d’autres contes écrits seul ou en collaboration, P.-J. Stahl peut être comparé à la comtesse de Ségur qu’il appréciait et aux meilleurs écrivains pour la jeunesse qu’il avait essayé d’attacher à son écurie. Auteur toujours en recherche de ce qui pouvait à la fois éduquer et récréer ses lecteurs, il refusait aussi bien le moralisme étroit que la propagande bornée. Cherchant à se situer dans un entre-deux très révélateur des volontés des pères fondateurs de la République – la Deuxième comme la Troisième – il avait encouragé fermement mise en œuvre de la réforme de l’instruction universelle, la grande tâche laissée en friches par les pères fondateurs de la Première République. De François Guizot en 1833, à Jules Ferry en 1881-1882, en passant par Victor Duruy en 1867, plusieurs lois successives imposèrent l’école gratuite, et, de ce fait, devenue obligatoire puis laïque, et libérant progressivement ses contemporains de la sujétion et de l’ignorance dans lesquelles ils étaient plongés.


Jean-Yves Mollier

Cela faisait hurler Gustave Flaubert d’indignation mais non PierreJules Hetzel qui, secrétaire du Gouvernement provisoire de 1848, voulut également libérer les esclaves des colonies et qui approuva l’idée du droit au travail pour tous. Utopiste par ces traits, mais pas au point de soutenir la Commune de Paris vingt ans plus tard, il aimait la compagnie des autres et ne s’ennuyait pas dans les salons ni dans les cercles à la mode à son époque. Homme du XIXe siècle, bien en phase avec son temps, il fréquenta assidument les villes d’eaux et la Côte d’Azur à la fin de sa vie, certain que, dans le domaine des loisirs, il restait beaucoup encore à faire pour que tous y aient droit. Grand éditeur par conséquent, mais pas au sens managérial du terme, plus fameux comme editor que comme publisher, agent littéraire avant la lettre, écrivain, conteur et moraliste, ami fidèle, épistolier, amateur d’art et de musique, il fut tout cela à la fois. Ses albums pour la jeunesse, ses cartonnages rouge et or ont fait rêver des générations d’enfants et demeurent recherchés des amateurs aujourd’hui. En relisant Jules Verne, entré dans « La Pléiade » en 2012, ils peuvent à juste titre considérer que la consécration, qui ressemble à une panthéonisation symbolique de l’écrivain, rejaillit sur son éditeur, assurément l’un des plus modernes de son temps.




Jean-Paul GOUREVITCH

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence – Revue Jules Verne n° 37

n pourrait prendre comme point de départ les Scènes de la vie publique et privée des animaux publiées par Hetzel entre 1840 et 1842, dont il a assuré la direction et une partie de la rédaction sous le pseudonyme de P.J. Stahl et piloté l’illustration, l’impression, la promotion et la diffusion. Mais cet ouvrage qui donne la parole aux animaux pour croquer les activités humaines avec humour peut être considéré comme un cas particulier. Par ses allusions et son persiflage, il relève de la littérature pour adultes. Par ses illustrations et ses héros, il touche un public jeune sensibilisé aux animaux qui parlent et à leurs aventures moralisatrices ou fantastiques comme dans les Fables de La Fontaine, les Contes de Perrault ou Casse-Noisette et le roi des rats, un conte d’E.T.A. Hoffmann qu’Hetzel chargera Alexandre Dumas d’adapter deux ans plus tard. Aussi je partirai plus volontiers de sa première collection de livres pour la jeunesse, le Nouveau Magasin des Enfants (1843) dans laquelle il souhaite offrir aux enfants des livres qui « après avoir amusé leur jeune âge pussent laisser dans leur souvenir d’autres traces que ces livres médiocres qu’on met d’ordinaire dans leurs mains ». Dans cette collection on trouve en germe les trois vocations qu’Hetzel développera dans sa production pour la jeunesse :

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le choix d’auteurs reconnus, Charles Nodier, George Sand, Alexandre Dumas, en réaction contre ce qu’il appelle la « tisane littéraire » et « les plumes mercenaires » auxquels s’ajouteront plus tard Victor Hugo, Jean Macé, Hector Malot, Alphonse Daudet, Erckmann-Chatrian, Jules Verne...

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La résistible ascension d’un éditeur jeunesse


Jean-Paul Gourévitch

l’importance accordée à l’illustration puisque, dès cette collection, il favorise l’intégration du texte à l’image et de l’image au texte, qu’il soigne les frontispices dont il fait des montages-collages de l’ouvrage avant de lancer plus tard les couvertures illustrées avec les Albums Stahl ou la Petite Bibliothèque Blanche. Ce n’est pas un hasard s’il « embauche » les dessinateurs les plus renommés de son époque, Bertall, Gavarni, Gérard-Seguin, Grandville, Tony Johannot, Nanteuil. le choix du terme « Magasin », référence et révérence à Madame Leprince de Beaumont qu’il reprendra à partir de 1864 dans son Magasin d’Education et de Récréation pour indiquer qu’on y trouve tout ce que l’enfant et sa famille peuvent désirer. La création d’une authentique littérature de jeunesse Après une pause due à son exil à Bruxelles pour cause d’opposition résolue à Napoléon III, Hetzel profite de l’amnistie de 1859 pour s’installer à Paris au 18 rue Jacob. Pendant ces huit ans il n’a pour ainsi dire rien écrit pour la jeunesse et rien fait publier à l’exception des rééditions. Mais il bouillonne d’idées. Outre les Contes de Perrault illustrés par Gustave Doré « ce grand livre très cher pour les petits enfants », Hetzel poursuit plusieurs projets qui lui paraissent fondateurs d’une véritable littérature pour l’enfance et qu’il considère comme constitutifs de sa future Bibliothèque d’Education et de Récréation : ce seront essentiellement deux collections d’ouvrages, les Albums Stahl, des ouvrages très illustrés destinés aux très jeunes enfants, une collection de romans à petits prix qui deviendra la Petite Bibliothèque Blanche et un journal pour toute la famille Le Magasin d’Education et de Récréation. Les Albums Stahl Ce qu’on appellera à partir de 1866 les Albums Stahl sont nés de l’association en 1862 de Hetzel qui signe les textes d’accompagnement « P.J. Stahl » ou « un papa » et de l’illustrateur danois Lorenz Froelich qui a pris comme modèle sa propre fille Edma. Le premier, La Journée de Mademoiselle Lili figure sur


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Jean-Paul Gourévitch

le catalogue d’étrennes 1863 de la collection Hetzel avec un encadrement de dentelles conçu par le relieur Engel. Il sera publié en plusieurs langues l’année suivante. Robert Soubret a fait pour la bibliothèque-médiathèque de Sèvres, qui abrite le fonds Hetzel, un inventaire de cette collection qui s’est poursuivie pendant cinquante ans, avec un classement raisonné des titres, des couvertures et des cartonnages. Ils se déclinent en 199 volumes dont 63 en couleurs avec des formats rapidement normalisés, in-8° pour les albums noir et blanc et parfois bicolores, in-4° pour les albums couleurs. Cette collection est caractéristique des choix, mais aussi des hésitations de Hetzel-Stahl. Les titres ne s’organisent pas autour d’un personnage central. Si Mademoiselle Lili est l’héroïne d’une vingtaine de ces albums (avec son cousin Lucien) surtout après la reprise de la maison par son fils Louis-Jules Hetzel, Messieurs Paul et Toto présents en 1868 dans Le Voyage de Mademoiselle Lili autour du monde ne font plus que des apparitions épisodiques alors que Monsieur Jujules devient un héros récurrent à partir de 1879. On voit aussi au fil des albums apparaître Papa et Maman tous deux en voyage, des personnages qui ne sont que des incarnations de défauts (Hector le Fanfaron, Zoé la vaniteuse, Mademoiselle Pimbêche...) des animaux (Caporal le chien du régiment, Journal de Minette...), ainsi que des proverbes en actions, des chansons, des traductions de contes (La Petite princesse Ilsée), des aventures prêtées à des héros favoris de l’enfance (Polichinelle, Pierrot, Gribouille...), des anecdotes transformées en aventures et même une collection en quelque sorte périphérique de Rondes et chants pour l’enfance. Il semble qu’Hetzel ait eu l’ambition de dépeindre dans ces albums


l’ensemble de la comédie enfantine à la manière de La Comédie humaine de Balzac avec lequel il a autrefois travaillé.

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La Petite Bibliothèque Blanche La Petite Bibliothèque Blanche qui n’apparaît qu’en 1879, et dont le nom est dû à la couleur de la couverture des exemplaires brochés, présente dans ses 81 volumes une gamme très variée : couverture brochée avec personnages détourés, couverture cartonnée avec toile aquarellée sur fond de couleur, bandeaux floraux, image carrée entourée de fleurettes ou disposée au milieu d’une barre oblique. Cette collection à bas prix (2 francs pour le broché, 3 francs pour le cartonné) est patrimoniale. Hetzel puise largement dans son fonds éditorial, quitte à scinder un ouvrage ou à le condenser, voire à proposer plusieurs couvertures pour un même titre. Elle comporte très peu d’inédits et on y retrouve Alexandre Dumas, Eugène Muller, Charles Nodier, George Sand, Jules Verne, Viollet-Le-Duc ou l’inévitable P.J.Stahl. Elle sera en partie reprise par Hachette quand celui-ci rachète le fonds Hetzel en 1914.

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Il s’agit certes d’une production spécifique pour l’enfance qui peut aussi rappeler au père le souvenir de sa fille disparue à 13 ans pendant son exil à Bruxelles. Mais le double choix du noir et blanc et de la couleur, la variété des couvertures et des cartonnages avec pas moins de 13 plats différents pour les cartonnages en percaline des albums noir et blanc, (ferrures, médaillons, fleurs, épis de blé, rinceaux...) ajoutent à la diversité et à la complexité de l’ensemble. Si la quasi totalité des textes sont écrits par le père puis sous-traitées par le fils Hetzel à J. Lermont (pseudonyme de Madame Sobolewska), ils font appel à des illustrateurs différents (Froelich et Fromont, les deux stars embauchées au départ mais aussi Geoffroy, Tinant, Adrien Marie, Schuler ou Fath) multiplient les rééditions ou réorganisent les albums en volumes doubles. Si chaque album garde un charme certain, la segmentation et la juxtaposition rendent malaisément compte de l’unité de cet univers. Reste que les albums Stahl sont un témoignage incomparable sur l’enfance et les livres pour l’enfance dans la seconde moitié du XIXe siècle.


Jean-Paul Gourévitch

Le Magasin d’Education et de Récréation Il faut y ajouter Le Magasin d’Education et de Récréation, une aventure menée de concert avec Jean Macé et Jules Verne de 1864 à 1906, date à laquelle la publication disparait. Si elle a racheté La Semaine des Enfants de son concurrent Hachette en 1876, elle a été par la suite victime du renouvellement des magazines d’éditeurs comme Mon Journal publié avec couverture couleurs par Hachette à partir de 1892 et n’a pas su faire face à la concurrence des journaux illustrés comme La Semaine de Suzette créée en 1905. L’objectif de ce bimensuel était de «constituer un... enseignement sérieux et attrayant à la fois, qui plaise aux parents et qui profite aux enfants» en faisant de ses abonnés des «coopérateurs». Dans sa ligne éditoriale, il manifeste l’attachement à des valeurs humanistes, républicaines et progressistes qui seront celles de la troisième République : l’éducation pour tous, la famille, la patrie mais aussi l’apprentissage de la diversité, la distinction par le mérite et l’effort individuel. On y trouve de la vulgarisation scientifique par Jean Macé où les sujets techniques sont abordés sous forme narrative, des romans de Jules Verne qui y paraissent en feuilleton avant d’être édités en volume, des histoires en images illustrées par Froment ou Froelich, regroupées par la suite dans les albums Stahl. Les enfants sont les destinataires et souvent les héros de l’histoire. La revue, en dépit de sa qualité éditoriale a du mal à trouver son équilibre financier Elle constitue surtout une vitrine des produits de la maison d’édition Hetzel dont elle fait la promotion. Ce qui nous conduit à analyser la spécificité de ce qu’on pourrait appeler la méthode Hetzel et qui peut se définir comme la transformation d’un système artisanal d’édition en un pilotage éditorial moderne.


La direction éditoriale Dès ses débuts, Hetzel directeur et coordinateur des ouvrages qu’il publie, considère qu’il est maître à bord et responsable non seulement du choix des auteurs et des illustrateurs mais aussi de la qualité et du contenu des ouvrages sur lesquels il met sa griffe ce qui est en quelque sorte sa marque de fabrique. Editeur moderne comme le sera plus tard Gallimard par exemple, il n’hésite pas à rabrouer Balzac pour lui arracher une préface « A l’œuvre mon gros père ; permettez à un maigre éditeur de parler ainsi à votre Grosseur. Vous savez que c’est à bonne intention ». Il sermonne Nadar « Vieille horreur de Nadar, Je t’achète le droit de tirer à 1500 exemplaires ta vieille robe de Déjanire sous un autre titre que tu devras m’envoyer le plus promptement possible si tu ne veux pas que j’en déniche un moi-même ». Tout en publiant George Sand, il fait refaire les dessins de son fils Maurice Sand par Nanteuil. Les Goncourt notent dans leur journal « Quand il les refait trop, colères terribles de George Sand. Quand il ne les refait pas assez, reproches d’Hetzel. » Il supprime la préface faite par Hugo pour l’édition de ses Châtiments et obtient au forcing qu’Hugo consente à rassembler ses poèmes dans un ouvrage Les Enfants qui paraîtra en 1858 chez Hachette puis en 1861 illustré par Froment dans sa Bibliothèque illustrée des familles. Il faut lire sur ce point les lettres qu’Hetzel adresse à son « cher et grand ami » pour apprécier à quel point ces deux tempéraments explosifs sont à la limite de la rupture.

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« Vos arguments sont bons en ce qu’ils ont de bon et ne valent pas le diable en ce qu’ils ont de trop absolu. La vérité est ronde, non carrée. Un angle est un défaut. Fichez vous cela dans la tête, poète, poète, poète-poète, archipoète ».

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La méthode Hetzel Je ne m’étendrai pas ici sur les Jules Verne et les cartonnages dont il a été amplement traité par ailleurs ni sur André Laurie ni sur les 300 volumes édités dans la Bibliothèque d’Education et de Récréation ni sur les traductions publiées, sinon pour souligner les aspects caractéristiques de la méthode Hetzel qui me paraissent tenir en deux volets : sa direction éditoriale, son marketing éditorial.


Jean-Paul Gourévitch

Et même s’il ajoute avec humour pour adoucir les angles : « quelle volée vous allez m’envoyer , et comme j’ai bon dos », il revient à la charge « Vous avez tort, vous êtes un épicier ! Et je le dirai sournoisement dans l’édition banale que vous allez me forcer de faire. N’importe vous serez satisfait, et je m’en plaindrai aux échos de Guernesey en août. Tremblez ! » Il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir traiter Victor Hugo d’épicier. La rupture interviendra d’ailleurs au moment des Misérables pour des questions d’argent. Hetzel rompra également pour ces mêmes questions avec George Sand dont il a pourtant largement contribué à la célébrité et dont il a été le confident : « Je vous ai aidée, moi, longtemps et gratis à gagner de l’argent, j’en ai gagné et très peu et pendant peu d’années avec vous. Vous avez par une mauvaise direction détruit la moisson que je vous préparais ». Mais c’est quand il est installé à nouveau à Paris au 18 rue Jacob qu’il donne la mesure de ce qu’il considère comme son devoir d’éditeur. Il tyrannise Jules Verne, le corrige, change les titres, les noms, les personnages, refuse L’Oncle Robinson et Paris au XXe siècle jusqu’à ce que Jules Verne fasse mine de se révolter. Il impose, au nom de la vraisemblance, des cahiers des charges stricts à ses reporters d’images, les Benett, Férat, Riou qu’il charge d’illustrer les Voyages extraordinaires sans se rendre sur place. Et surtout il n’hésite pas à adapter voire à rewriter ses auteurs étrangers. Comme le note Jean Glénisson, « Editeur, Hetzel contribue largement à introduire en France la littérature de jeunesse étrangère. Ecrivain, Stahl se charge tout aussitôt de transformer à sa manière les pruductinos qu’il emprunte à l’extérieur. » Dans L’Histoire de la famille Chester et des deux petits orphelins, qu’il signe avec W. Hugues pour la Petite Bibliothèque Blanche, il avoue crûment « Nous avons gardé du livre anglais tout ce qu’il avait d’aimable et de bon, nous lui avons ajouté tout ce qui selon nous, lui manquait pour conquérir notre public français». Dans sa préface aux Contes de la tante Judith pour la Petite Bibliothèque Blanche dont les auteurs sont également P.-J. Stahl et W. Hugues, préface qu’il signe « Les éditeurs » – c’est à dire lui-même –, il se définit comme « ce conteur exquis, ce spirituel humaniste, cet aimable et


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Le marketing éditorial Pour fidéliser sa clientèle tout en partant à la conquête de nouveaux marchés, Hetzel dispose de plusieurs outils. Nous avons déjà mentionné la prépublication en feuilleton dans les pages du Magasin d’Education et de Récréation, qui lui permet de tester l’audience d’un ouvrage ainsi que les pages promotionnelles que la revue accorde aux publications de la maison d’édition.

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délicat moraliste » mais aussi « le plus habile des adaptateurs » et il ajoute en parlant de lui-même à la troisième personne : « Combien de productions étrangères a-t-il reprises, transformées, en faisant en quelque sorte des livres nouveaux qu’il savait approprier à ses lecteurs français sans en altérer la saveur indigène». Avec Maroussia, cette jeune ukrainienne transformée en petite Alsacienne de Marko Wovzog alias Madame Markovitch, maîtresse d’Hetzel qui très probablement s’est lassé d’elle très vite et l’a refilée ensuite à Jules Verne au nom de leur indéfectible amitié, on se trouve à mi-chemin entre l’adaptation et le pillage. Hetzel a beau envoyer des courriers enflammés à cette Marko Wovzog en essayant de l’amadouer avec le symbole des deux noms accolés, il sera beaucoup plus expéditif dans sa préface de 1878. L’auteur est P.J. Stahl, le titre «Maroussia d’après la légende de Marko Wovzog » à laquelle il rend un hommage ampoulé : « C’est à Marko Wovzog qu’appartient la première pensée du type charmant dont je me suis épris. C’est donc un devoir de conscience et de cœur pour moi vis-à-vis de l’auteur russe avec lequel m’unissent des liens d’amitié...de lui reporter la part d’éloges qui lui est due. » Bref, elle a mis en marche le démarreur mais c’est lui qui a conduit la voiture. Ce mélange entre les sentiments exprimés et la bonne gestion de son entreprise est aussi une méthode de direction éditoriale de celui qui a été dans sa jeunesse «le séducteur impénitent qui ravage les cœurs sans pitié» comme l’a écrit Laurent Jan. Il faut reconnaître qu’Hetzel sait très bien ce qui plait à son public jeune. Avec l’accord d’Alphonse Daudet, il révisera le texte du Petit Chose, histoire d’un enfant destiné à une clientèle adulte, en inversant le titre : il sortira en 1877 dans sa Bibliothèque d’Education et de Récréation sous le titre Histoire d’un enfant, le Petit Chose.


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Mais il faut aussi noter l’importance que Pierre-Jules Hetzel et après lui son fils Louis-Jules accorderont aux affiches et notamment aux affiches d’étrennes qui permettent de présenter le catalogue de la maison sous une forme à la fois dynamique et apéritive. N’oublions pas que Hetzel a été un des premiers à utiliser l’affiche de librairie pour la promotion de ses premiers ouvrages et notamment de la Vie privée et publique des animaux. Il faut également mentionner sa lutte contre la contrefaçon et pour une rémunération juste des auteurs qui n’est plus au forfait mais en fonction des bénéfices ce qui crée une sorte de contrat de confiance entre les auteurs, les illustrateurs et le directeur de la maison d’édition. Mais surtout le talent et, si l’on ose dire, le génie d’Hetzel sur le plan commercial a été de réussir à puiser indéfiniment dans son fonds éditorial en modifiant le contenant sans transformer le contenu. On peut dire qu’il est sinon l’inventeur du moins le metteur en scène du marketing éditorial. On l’a vu avec les multiples présentations des albums Stahl sous des formes différentes, avec la déclinaison des mêmes titres dans la bibliothèque blanche et bien entendu avec la collection des Voyages Extraordinaires de Jules Verne où chaque volume est présenté en prépublication dans le Magasin, puis en verson brochée ou sous une reliure d’éditeur, mais surtout avec des plats qui comportent parfois une dizaine de variantes sans compter la réutilisation des textes sous forme de volumes doubles ou triples. On a largement mentionné ces cartonnages aux bouquets de rose, au globe doré, aux initiales, aux deux éléphants, à la bannière, à la mappemonde, au steamer, aux feuilles d’acanthe, qui font le bonheur des bibliophiles et qui sont parfois déclinés en plusieurs couleurs ou nuances différentes pour un même titre. Certes nous quittons ici l’univers de la littérature de jeunesse car ces cartonnages étaient achetés par des adultes fortunés et davantage pour être vus que pour être lus. Mais il faut aussi comprendre que ce qui permet à Hetzel de continuer à publier des ouvrages pour la jeunesse ainsi que ses propres œuvres qui sont parfois lourdement déficitaires, c’est le succès que connaissent ces éditions de luxe. C’est paradoxalement ce qui fait aussi la force et la faiblesse de son œuvre pour la promotion de la littérature enfantine. Pour ne pas conclure : la postérité d’Hetzel-Stahl Si les spécialistes reconnaissent ce qu’Hetzel a apporté à la littérature de jeunesse, l’auteur Stahl est aujourd’hui à peu près complètement oublié. Comme l’a déclaré Jules Verne, Hetzel l’éditeur a étouffé


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Jean-Paul Gourévitch

Stahl l’auteur. «Votre ennemi à vous, lui déclare-t-il, c’est Hetzel, c’est le libraire qui empêche Stahl de travailler. Voilà ce que c’est d’être double.» Et c’est pourquoi au colloque du centenaire de l’année Jules Verne, il y a quelques années, dans cette même ville, j’ai avancé l’hypothèse de ce que j’ai appelé la double paternité. On s’est largement étendu sur l’idée que Hetzel a joué auprès de Jules Verne le rôle du père que ce dernier aurait voulu avoir, et qu’il n’a pas su être lui-même vis-à-vis de son propre fils, un père spirituel qui l’a mis au monde de la littérature. On s’est moins étendu, me semble-t-il, sur le fait que Jules Verne représente pour Hetzel l’écrivain qu’il n’a pas su devenir, qui est resté un gestionnaire de sa maison d’édition et, comme il le dit lui-même avec une certaine dérision amère, n’écrit plus «que pour les mioches». S’il a voulu apporter sa griffe aux Voyages Extraordinaires tant sur le style que sur le déroulement, les personnages et la présentation, c’est qu’il s’est aperçu que, dans l’art du roman, Verne avait supplanté son mentor et pouvait se passer de lui. Aussi et je terminerai par là, si à l’approche du bicentenaire de la naissance d’Hetzel on se préoccupe aujourd’hui de republier ses œuvres pour la jeunesse et notamment ses albums Stahl, c’est parce que c’est dans cette fraîcheur du texte et des dessins, dans ces épopées de héros enfantins mis en scène, en page, en couverture et en images et croqués finement par les illustrateurs – notamment Froelich – que réside une partie des avancées considérables que l’éditeur Hetzel et l’auteur Stahl ont su conjointement opérer pour la diffusion et l’audience de la littérature de jeunesse.




Patrice SOULIER

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence – Revue Jules Verne n° 37

Sur les contes de fées

La Préface de P. -J. Stahl à l’édition Hetzel des Contes de Perrault : prélude à l’invention de la politique éditoriale et de l’extraordinaire des Voyages.

S

Il décrit en ces termes élogieux les Contes de Perrault, édités par Hetzel pour les étrennes 1861. Ouvrage magnifique, illustré par l’immense Gustave Doré, il s’agit d’une édition de luxe au format in-4, à la couverture rouge et or, qui fait date dans l’histoire des éditions de Perrault. Or, pour les études verniennes, l’année de parution de cette édition n’est pas anodine : à la veille de 1862, l’année de la rencontre entre Hetzel et Verne autour du manuscrit de ce qui deviendra, en 1863, Cinq semaines en ballon, le premier des Voyages Extraordinaires2.

1 Article paru dans le Constitutionnel, le 23 décembre 1861. 2 Même si au départ, ils ne portent pas ce titre générique. 3 Hetzel, le bon génie des livres, Le Serpent à plumes, Collection Essais/Documents, 2005, p. 179 à 182.

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Cette édition est précédée d’une préface de la main d’Hetzel, sous son pseudonyme d’écrivain, intitulée Sur les contes de fée, et dont Jean-Paul Gourévitch a démontré qu’elle s’inscrivait dans ce qu’on nomme la « Querelle des contes de fées3 ». Ce n’est pourtant pas ce point qui retiendra, ici, notre attention.

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ainte-Beuve ne s’y trompe pas : « (…) voici une édition nouvelle qui laisse bien loin en arrière toutes les autres ; elle est unique, elle est monumentale ; ce sont des étrennes de roi. Chaque enfant est-il devenu un Dauphin de France ? — Oui, au jour de l’an, chaque famille a le sien. Je ne sais par quel bout m’y prendre, en vérité, pour louer cette merveilleuse édition qui a la palme sur toutes les autres et qui la gardera probablement.1 »


Patrice Soulier

La présence d’une telle préface, d’un tel texte théorique qui prend position sur la littérature à destination de la jeunesse et sur la question du merveilleux, donne à voir la pensée de l’éditeur quelques mois seulement avant la rencontre avec le manuscrit de Verne. Davantage, cette préface et l’ouvrage tout entier, se révèlent programmatiques de la politique éditoriale à venir et, plus précisément, de celle qui présidera, les trois années suivantes, à l’élaboration et l’édition des Voyages Extraordinaires et du Magasin d’Education et de Récréation. Cinq points étayent cette thèse : l’objet-livre, la question du destinataire, l’intervention offensive de l’éditeur, la dimension pédagogique qui associe déjà éducation et récréation et la redéfinition d’un merveilleux naturel et scientifique – celui à l’œuvre dans les Voyages. Ce texte semble bien prouver, comme le pense Mastaka Ishibashi, que les Voyages extraordinaires sont bien une œuvre à quatre mains. Structure de la préface de Stahl-Hetzel Afin de bien saisir les enjeux de ce texte, il convient – avant de développer les cinq points présentés ci-dessus – d’en présenter rapidement la structure. Le texte d’Hetzel se compose de quatre parties inégales dont les trois premières rapportent des anecdotes qui mettent en scène des enfants et des adultes et qui servent d’exemples argumentatifs à la thèse de l’éditeur-auteur : le merveilleux est inoffensif et nécessaire pour les enfants. La première, la plus longue, aborde le thème du merveilleux et la défiance positiviste face aux contes de fées. Elle rapporte trois anecdotes que nous nommerons : les grillons de la boulangerie, la bosse guérie du petit Jules ainsi que la petite Thècle et la galette du Petit Chaperon Rouge. Elle contient deux illustrations destinées à illustrer le Petit Chaperon Rouge4. La deuxième, qui traite du merveilleux comme source d’étonnement et d’amusement, rapporte deux autres anecdotes du même type : Marie et l’éclipse 4 Ces deux illustrations extrêmement célèbres sont celles du Loup qui s’apprête à dévorer la Mère-Grand et du Petit chaperon rouge dans le lit de la Mère-Grand avec le Loup.


puis Georges et les pommes frites. Elle contient également une illustration destinée au Petit Poucet5. La troisième justifie le choix éditorial et met en scène l’anecdote du petit Paul et de la montre. La dernière pose la question de la dimension pédagogique des contes et propose une notice sur Perrault et son œuvre.

Extérieurement, il annonce clairement les cartonnages des Voyages ; la couverture rouge et or, les cartouches dans lesquels apparaissent quelques éléments symboliques des récits, la place de l’éditeur associé étroitement à l’auteur et à l’illustrateur8, tout est en germe dès la couverture de percaline. Intérieurement, il contient 41 compositions de Doré qui utilisent les dernières techniques de gravure, dont 40 sont en pleine page et qui annoncent, à l’évidence, l’importance des illustrations au sein des romans verniens. 5 Elle représente l’Ogre et sa femme. L’Ogre est assis avec des reliefs de repas carnassier sur la table, à ses côtés. 6 p. 179, op. cit. 7 Le prix original est de 60 francs ! Pour comparaison, le salaire journalier d’un ouvrier en 1862 est approximativement de deux francs : le livre équivaut donc à un mois de salaire d’un ouvrier.

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8 Les noms de l’éditeur et de l’auteur sont associés sur toutes les parties de la couverture : sur la première, la quatrième et sur le dos, où est indiqué Préface de P. J. STAHL en plus de Collection Hetzel ! On distingue clairement dans les cartouches la quenouille de la Belle au Bois Dormant, l’épée et la clé qui évoque la BarbeBleue, le couteau de l’ogre du Petit-Poucet…

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence

L’objet-livre, un cartonnage avant l’heure Afin de réaliser cet ouvrage, véritable opération marketing philosophique et littéraire selon les mots de J. P. Gourévitch6, Hetzel ne lésine pas. L’objet, réellement « magnifique », est destiné à la bourgeoisie et sera un succès de librairie malgré son prix quasiment prohibitif7.


Patrice Soulier

Hetzel a parfaitement conscience du pari éditorial que représente cet ouvrage. Dans la troisième partie de la préface, il écrit : « L’édition des contes, à laquelle ces notes vont servir de préface, cette extraordinaire édition va coûter beaucoup d’argent… Aussi cher que la représentation d’un ballet à l’opéra, qu’un joujou moyen de chez Giroux ou de chez Tempier, qu’une boîte à bonbons de chez Boissier, qu’une fleur artificielle d’un prix modéré, que la fumée, enfin, de quelques cigares de choix.9 » Davantage, il écrit de l’ouvrage qu’il est une énormité apparente, un très-grand livre très-cher, pour les petits enfants plus encore un monument élevé à la gloire de Perrault. La politique du beau livre, du livre de prix, la qualité des illustrations, la beauté du cartonnage, tout ce qui fera le succès des Voyages est déjà en place. La question du destinataire : un livre pour les « petits-enfants » ? Cette édition est destinée aux enfants mais, à l’évidence, elle l’est aussi aux parents. Les frontispices de l’édition originale de 1697 et de l’édition Hetzel proposent exactement la même scène : une grand-mère, la fameuse mère l’Oye, lit les contes à un public enfantin. Or, si les auditeurs sont uniquement des enfants dans l’édition originale, on remarque que, dans l’édition Hetzel, la mère écoute avec autant d’attention la lecture de la grand-mère que les enfants – si passionnés qu’ils en ont délaissé leurs jouets. De même, lorsqu’il évoque le prix de l’ouvrage, comme nous 9 Les Contes de Perrault, dessins par Gustave Doré, Hetzel, 1862, Sur les contes de fées, p. XIX.


l’avons vu plus haut, Hetzel propose une comparaison qui encadre les objets à destination des enfants – jouets et bonbons – entre d’autres clairement destinés, eux, aux adultes – une place à l’Opéra, des cigares.

De plus, les anecdotes qu’Hetzel rapporte dans cette préface, anecdotes qui servent son argumentation, mettent toutes en scène un échange entre adulte et enfant. Cette préface s’adresse, en réalité, clairement aux adultes et, plus précisément, aux mères comme le montre l’usage dans la citation qui précède de l’appellatif affectif maman pour les mères, en concurrence avec le substantif dénoté pères. Ce que confirme l’adresse explicite à la chère lectrice quelques pages plus loin. Les illustrations, enfin, jouent plaisamment avec ce double destinataire, Doré insérant dans ses dessins des détails explicitement orientés en direction des adultes : la caricature de l’empereur au bal de Cendrillon, personnage immense et filiforme qui dépasse tous les autres ; les multiples connotations érotiques dans la scène du bain de Peau d’Âne11… 11 Sur cette illustration, Peau-d’Âne en baigneuse est entourée de signes fortement connotés : les ombres des moutons se transforment en voyeur, les nœuds sur les troncs d’un arbre ont des formes plus que suggestives, toutes les ramures sont étrangement dressées vers le ciel…

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10 Ibid., p. XX.

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Le discours se fait plus explicite encore trois paragraphes plus loin : « Il (l’éditeur) s’est dit que les pères et les mamans ne seraient pas fâchés de revoir et de relire, dans une forme saisissante et enfin digne d’eux, les contes aimés de leur enfance.10 »


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Ce double destinataire clairement revendiqué, ici, par Hetzel est bien celui des Voyages. Il s’agit de construire un livre familial, présage de ce qu’écrira l’éditeur en ouverture du premier numéro du Magasin d’Education et de Récréation : « Il s’agit pour nous de constituer un enseignement de famille dans le vrai sens du mot, un enseignement sérieux et attrayant à la fois, qui plaise aux parents et profite aux enfants. (…) Il fallait choisir enfin : ou faire une publication à l’usage des seuls bébés, ou parler et pour eux et pour les jeunes gens et les jeunes filles, et par suite, que les parents nous permettent de le dire, pour les jeunes pères et les jeunes mères aussi.12 » L’intervention offensive de l’éditeur sur le texte La consultation de la table des matières montre qu’Hetzel n’a pas édité tous les contes : on constate, en effet, la disparition de deux des trois contes en vers, Grisélidis et Les Souhaits Ridicules. Quant au troisième, Peau d’Âne, il est bien présent dans l’édition Hetzel mais sous une forme en prose datant du XVIIIe et qui n’est pas de la main de Perrault. Une autre modification de taille apparaît à la lecture des contes : Hetzel en a fait disparaître toutes les morales. Appropriation de l’œuvre par l’éditeur qui trouve son sommet dans l’illustration de la page titre : On peut y distinguer, à cheval sur le volume des Contes, les personnages de Perrault : une fée, la Barbe-Bleue – ou l’ogre – Riquet à la houppe, le Chat Botté, le Petit Chaperon Rouge et le Petit Poucet. Mais, la couverture du volume porte un monogramme où s’entrelacent les initiales, non de Perrault, mais d’Hetzel. Cette édition prend une autonomie par rapport au texte original et la formule Les Contes de Perrault devient le titre générique d’un ouvrage dont l’auteur est, à l’évidence, Hetzel. Cela est particulièrement remarquable si l’on s’arrête aux trois illustrations qui accompagnent le texte du préfacier : elles étaient 12 A nos lecteurs, Premier numéro du Magasin d’Education et de Récréation, 1864, p. 1 et 3.


Cet interventionnisme offensif est caractéristique du rapport qui liera Hetzel et Verne : il suffit pour s’en convaincre de lire les lettres d’Hetzel sur le manuscrit de Paris au vingtième siècle ou sur le tour à donner aux illustrations de Mathias Sandorf14. 13 Ainsi l’illustration qui montre le Petit Chaperon Rouge dans le lit avec le loup déguisé en Mère-Grand s’accompagne de la légende suivante : « Le Chaperon rouge fut bien étonné de voir comment sa grand’mère était faite en son déshabillé (Histoire de la galette du petit Chaperon Rouge) »; la deuxième qui représente le loup à l’assaut du lit de la Mère-Grand : « Cela n’empêche qu’avec ses grandes dents il avait mangé la bonne grand’mère (Histoire de la galette du Petit chaperon Rouge) » ; enfin, la dernière qui met en scène l’ogre et sa femme : « Les fées ont endormi dans leurs sourires plus d’enfants que les grotesques yeux des ogres n’en ont tenu éveillés ». Toutes ces légendes correspondent à des extraits de la préface.

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14 Olivier Dumas, Piero Gondolo della Riva et Volker Dehs, Correspondance inédite de Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel, Tome I et III, Genève, Slatkine, Lettres 6 et 603 d’Hetzel à Verne datées de fin décembre 1863-début 1864 et du 20 septembre 1884.

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originellement destinées à deux contes du recueil – Le Petit Chaperon Rouge et Le Petit Poucet –, pourtant les légendes qui les accompagnent sont tirées du discours préfaciel d’Hetzel13 .


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La dimension pédagogique : éducation et récréation La dernière partie du texte préfaciel aborde la dimension pédagogique, en particulier la question de la morale. « Tout ce qui amuse l’enfant sans lui nuire, livre ou jouet, dites-vous bien que c’est moral. La joie, la gaieté, l’éclat de rire, sont la santé de l’esprit des enfants. Tout ce qui entretient cette santé : la balle et le cerceau, la trompette elle-même et le terrible tambour (…) tout cela fait partie essentielle de la morale enfantine.15 » Hetzel dénonce ainsi les livres de plomb, à la morale de cent kilogrammes16. Il en prône une légère aimable et gaie comme [les enfants]. Surtout, il développe l’idée que l’enfant ne saisit que ce qui est de son âge lorsqu’il écrit que la morale ne doit grandir qu’à mesure qu’ils grandissent, et s’élever qu’à mesure qu’ils s’élèvent. Ainsi, point besoin de dévoiler, par exemple, la dimension sexuelle du Petit Chaperon Rouge que la morale de Perrault rend explicite : la suppression des morales n’a donc rien d’un caprice d’éditeur mais elle répond à un choix réfléchi et purement pédagogique. Mais l’éditeur développe surtout l’idée que seul ce qui amuse l’enfant va le marquer durablement : « Oui tout ce qui fait rire et sourire ces petits êtres est pour eux le commencement de la sagesse.17 » Hetzel, dans une grande tradition héritée de l’humanisme de la Renaissance, associe exercice du corps et de l’esprit : « Vous tous qui faites courir et jouer vos enfants, ne mettez pas plus leur cerveau à l’attache que leur cher petits corps.18 » Le manque de sérieux, tant reproché aux contes, est selon Hetzel contrebalancé par la postérité de Perrault et l’argument porte : 15 op. cit., p. XXII et XXIII. 16 op. cit., p. XXII. 17 op. cit., p. XXIII. 18 ibid.


« Il se peut qu’il se rencontre dans l’univers civilisé des gens qui ignorent les noms fameux de César, de Mahomet et de Napoléon. Il n’en est pas qui ignorent les noms plus fameux encore du Petit Chaperon Rouge, de Cendrillon ou du ChatBotté. Le lecteur le plus attentif a laissé tomber de sa mémoire les trois quarts des livres qu’il a lus ; le plus distrait n’a pas oublié Barbe-Bleue.19 » Il brosse un portrait élogieux de Perrault, qui a eu, écrit-il, l’heureuse fortune de se faire lire par l’enfance20, et le met au rang des auteurs de premier plan Homère, Virgile, Corneille, Shakespeare et Victor Hugo, auteurs dont il prétend qu’il partent du réel, de l’Histoire pour construire une œuvre universelle21. La réussite de ces contes, il la considère supérieure à Tristram Shandy et Gulliver, considérant que toute œuvre de l’esprit doit être courte22, pour mieux frapper.

« L’instructif doit se présenter sous une forme qui provoque l’intérêt : sans cela il rebute et dégoûte de l’instruction, l’amusant doit cacher une réalité morale, c’est-à-dire utile.23 » Comment ne pas songer aux Voyages dans lesquels le pédagogique est intégré au récit, tel le calcul de la hauteur de la falaise, par l’ingénieur Cyrus Smith, grâce à la technique du gnomon dans l’Ile Mystérieuse ? Hetzel pose les bases de cet émaillage pédagogique à l’œuvre dans les romans verniens et qu’il célèbrera dans la préface d’Hatteras : 19 ibid.

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Comment ne pas songer à la lecture de tels arguments aux deux termes qui vont conduire la politique éditoriale à venir, éducation et récréation? D’ailleurs, la préface au premier volume du Magasin poursuit et développe cette idée :

20 ibid. 22 op. cit., p. XXV. 23 op. cit., p. 1.

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21 op. cit., p. XXIV et XXV.


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« Ce que l’on promet si souvent, ce que l’on donne si rarement, l’instruction qui amuse, M. Verne le prodigue sans compter dans chacune des pages de ses mouvants récits.24 » Des contes du réel : pour un merveilleux naturel Chez Perrault, deux merveilleux sont à l’œuvre : un merveilleux surnaturel – celui des fées, des ogres, de la magie – et un merveilleux naturel, celui qui relève non du féérique mais de l’extraordinaire – les mandarines offertes par Cendrillon à ses sœurs, le miroir où l’on peut se voir en pied, signe extérieur de la richesse de Barbe-Bleue, objets rares s’il en est au dix-septième siècle. Le plus souvent, Doré met en scène le merveilleux sur le mode du naturel. Il suffit de s’arrêter à la transformation de la citrouille en carrosse par la marraine fée de Cendrillon pour en avoir le cœur net : Nulle trace de surnaturel, ici ; point de fée ailée, point de baguette magique mais une bonne vieille femme qui évide la monstrueuse cucurbitacée au moyen d’un couteau de cuisine. Même intention dans la préface d’Hetzel qui ne présentera jamais le merveilleux sur le mode du surnaturel. Pour l’auteur-éditeur, le merveilleux apparaît comme une façon de lire le réel, empreinte de naïveté enfantine, qui relève de la superstition familière et innocente. Ce discours sur le merveilleux est nourri d’exemples, tirés de la réalité, qui se présentent sous la forme d’anecdotes et s’apparentent à de petits contes : l’enfant qui croient que les grillons offerts par la boulangère ont apporté le bonheur chez lui, 24 Jules Verne, Voyages et aventures du capitaine Hatteras, Avertissement de l’éditeur, p. 1.


alors que ce sont les adultes qui, en secret, les sauvent lui et sa mère d’une situation financière particulièrement critique ; le baiser de la mère qui guérit la bosse du petit Jules ; la récolte miraculeuse d’une assiette de pomme-frites – placée là par les adultes facétieux – à l’endroit même où le petit Georges, qui en est si friand, en avait plantées dans le jardin … Non seulement, tous ces contes révèlent un véritable talent de conteur mais encore ils montrent une réelle attention à la psychologie enfantine, bien avant Mélanie Klein et l’invention de la pédopsychiatrie. D’abord, ils disent le caractère inoffensif et même nécessaire du merveilleux :

Il s’agit de rassurer les parents, inquiets de l’influence de ces mauvaises lectures sur leurs chères têtes blondes, comme la mère du petit Jules qui se défie des contes mais laisse croire à son fils que son baiser possède des pouvoirs curatifs.

25 op. cit., p. XIX.

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Ensuite, cette attention au merveilleux porte un discours sur la mécanique des contes et sur la lecture qu’en font les enfants. L’anecdote majeure de la préface, et sans nul doute la plus célèbre, est celle de la Galette du Petit Chaperon Rouge : Hetzel en personne se voit confier la garde de la petite Thècle à laquelle il va lire le conte et dont l’effet sur la jeune auditrice va être aussi surprenant qu’inattendu. Lorsqu’il lui demande ce qu’elle pense de l’histoire, la petite Thècle déclare : « Ah qu’il est gentil, ce petit loup ! » Estomaqué, Hetzel tente de démontrer à la fillette qu’elle a mal saisi le récit :

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« Non, il ne faut pas craindre le merveilleux pour les enfants. Outre que beaucoup s’en amusent, qui n’en sont pas plus dupes que nous le sommes des contes à dormir debout que nous faisons nous-mêmes alors que nous nous mettons à la recherche des causes et des effets, ceux qui en sont dupes pendant l’âge où ils peuvent l’être, et ce sont les mieux doués, en rabattent aussitôt qu’il le faut et tout ce qu’on doit en rabattre.25 »


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« Ce méchant loup ne peut pas te paraître intéressant, c’est le traître de la pièce, c’est un vil scélarat. Il a mangé la grand’maman du petit Chaperon, il a mangé le petit Chaperon, il a tout mangé… » À quoi, Thècle rétorque : « Non (…), pas la galette. »26 Cette anecdote suscite deux remarques. Premièrement, la réponse de Thècle met en relief un problème narratif inhérent à la mécanique des contes. Effectivement, que devient la galette dans le Petit chaperon Rouge ? De même, dans Riquet à la houppe, que devient la sœur laide et spirituelle du début du conte ? À vrai dire, l’oubli et l’invraisemblance importent peu dans le conte : l’important est qu’il avance, que le lecteur, l’auditeur soit emporté par le mouvement de l’histoire, même si des éléments se perdent en chemin. Deuxièmement, celle qui soulève ce problème est une enfant. Ce que cherche à prouver l’auteur-éditeur est que les jeunes ne reçoivent pas les textes à la façon des adultes. Ce pourquoi Thècle prend la défense du loup, c’est parce que sa mère lui avait promis une galette qui devait rompre une diète : la petite fille est donc heureuse que le loup ait épargné la galette promise… Hetzel prouve, ici, cette attention à la psychologie infantile, à ce que l’enfant prend, retient de ce qui lui est donné à lire ou à entendre. Hetzel développe un discours rassurant sur le merveilleux et son but est de démontrer que ce registre ne consiste pas à vendre des coquilles à la jeunesse. Le merveilleux, déclare Hetzel, loge en toute chose : « En vérité, les gens qui ont peur du merveilleux doivent être dans un grand embarras ; car, enfin, du merveilleux la vie et les choses en sont pleines.27 » Davantage, il est un mode de lecture du réel, une étape dans la connaissance de l’inexplicable, un processus cognitif propre à l’enfance de l’humanité et que les jeunes répètent : 26 op. cit., p. XIV. 27 op. cit., p. IX.


« Vous voulez supprimer les fées, cette première poésie du premier âge. Ce n’est pas assez : supprimez la poésie tout entière, supprimez la philosophie, supprimez jusqu’à la religion, jusqu’à l’histoire ; car en vérité le merveilleux est autour, sinon au fond de tout cela. (…) Rien, vous ne pourrez rien découvrir aux enfants, si vous prétendez leur cacher le merveilleux, l’inexpliqué, l’inexplicable, l’impossible qui se trouvent dans le vrai tout aussi bien que dans l’imaginaire. 28 » Plus encore, le merveilleux touche les adultes qui s’ébahissent pour les phénomènes scientifiques : « Que de choses nous émerveillent qui les (les enfants) laissent fort tranquilles ! les comètes, les éclipses qui nous mettent l’esprit à l’envers, tout cela leur est bien égal, je vous jure.29 »

« Vous êtes positif : pourquoi avez-vous cette bague au doigt ? Pourquoi cahez-vous ce médaillon qui renferme… quoi ? un chiffre, une initiale, une date, un symbole, une relique, un talisman, une superstition aussi ? 30 » La charge est forte et le positivisme, aussi, est un leurre. Rêver c’est aussi apprendre car tout ne peut s’expliquer et le mystère fait partie du réel, de la science : « L’histoire est pleine d’invraisemblances, la science, de prodiges ; la réalité abonde en miracles et ses miracles ne sont pas tous de choix, hélas ! le réel est un abîme tout rempli d’inconnu ; demandez-le aux vrais savants.31 »

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Adultes, tout aussi victimes que les enfants d’un merveilleux familier, que la psychanalyse appellera « rituels » :

28 op. cit., p. IX et X. 30 op. cit., p. IX. 31 op. cit., p. X.

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29 op. cit., p. XVII.


Patrice Soulier

Le merveilleux consiste donc, pour Hetzel, en une étape nécessaire à la découverte de la vérité. Or, c’est bien sur ce modèle que se construit le merveilleux vernien : celui du Sphinx des glaces, dont le mystère s’éclaircit à la toute fin du roman et dont le merveilleux réside en un prodige de la nature, une montagne magnétique… idée qui trouve son origine dans un conte des Mille et une nuit, intitulé dans la traduction de Galland, Histoire du troisième calender, fils de roi. Du merveilleux au réel, un réel merveilleux et naturel, telle est la dynamique de l’extraordinaire qui qualifie la série des Voyages verniens. De 1861 à 1864, cette édition des Contes de Perrault et sa préface fondent donc une tétralogie chronologique qui voit l’accomplissement d’une politique éditoriale à destination de la jeunesse. Il faut affirmer ici qu’Hetzel va trouver dans le manuscrit que lui remet Verne en 1862, l’œuvre et l’homme qu’il lui fallait pour accomplir ce qu’il avait planifié. Peut-être, au regard des dernières découvertes de Volker Dehs sur cette rencontre entre Verne et Hetzel, est-ce Verne qui a su donner à Hetzel ce qu’il attendait ? La rencontre, quoi qu’il en soit, est déterminante pour l’accomplissement du projet dessiné dès 1861 par Hetzel : une politique éditoriale qui cible la jeunesse bourgeoise du dix-neuvième siècle, celle aussi de l’Instruction publique et des distributions de prix. Hetzel qualifie d’ailleurs ce premier livre pour la jeunesse de « merveille », comme le seront les cartonnages des Voyages. La postérité de cette fabuleuse édition présagée par Sainte-Beuve n’a pas été démenti par le temps: l’édition Hetzel des Contes de Perrault a connu de nombreuses rééditions, facsimilés et a été inscrite, il y a six ans, au programme de littérature des classes de Terminale Littéraire.

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Irène ZANOT

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence – Revue Jules Verne n° 37

L’Esprit d’un éditeur Pierre-Jules Hetzel et la « Morale Universelle »

n connaît la place que Hetzel accordait à l’éthique. Comme le signalent Parménie et Bonnier de la Chapelle, ce formidable homme de lettres se montra toujours soucieux de « participer à la vie spirituelle de son époque », unissant à la passion du beau et du neuf celle du bien1. Si la veine satirique est déjà bien perceptible dans les Scènes de la Vie publique et privée des Animaux, le souci de la morale inspirera un projet tout à fait différent, qui se traduira en une collection de huit volumes publiés peu avant l’invention de la Bibliothèque Illustrée des Familles. Il est intéressant d’analyser de plus près ce travail, d’autant plus que Hetzel lui-même figure parmi ses auteurs. Nous fournirons avant tout quelques indications de type biobibliographique ; ensuite, nous nous interrogerons sur les mots-clés de la collection, à savoir « morale universelle » et « esprit », ainsi que sur ses enjeux. Quelques questions surgissent : est-ce que les rédacteurs obéissent à un « esprit de système » ? Quelle fut la contribution des volumes signés par Hetzel ?

1 Alain Parménie, Catherine Bonnier de la Chapelle, Histoire d’un éditeur et de ses auteurs. P.-J. Hetzel (Stahl), Editions Albin Michel, Paris, 1953, p. 19. 2 Charles Muquardt, Bibliographie de la Belgique, ou Catalogue général des livres, C. Muquardt, Bruxelles 1838-1883, n° 8 (1859), p. 87 et 89. Pour la question de l’attribution du pseudonyme de Martin à Hetzel, voir Joseph-Marie Quérard, Les supercheries littéraires dévoilées, Maisonneuve & Larose, Paris, 1964 (1869-1870), vol. 3, p. 1066-1067.

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Originellement publiée au format in-12, la Morale Universelle paraît dans la série in-18 de la « Collection Hetzel ». La Bibliographie de la Belgique de Muquardt nous informe que l’ouvrage débuta en 1859 par les Moralistes anglais et par les Moralistes espagnols ; les volumes furent composés respectivement par Alphonse Esquiros et par P.-J. Martin, nom de plume sous lequel se cachait notre éditeur2. De cette année-là datent aussi le second ouvrage

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence

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Irène Zanot

attribué à cet auteur pseudonyme, les Moralistes italiens, et deux tomes rédigés par Auguste Morel : les Moralistes orientaux et les Moralistes latins. Ami intime d’Hetzel, Morel composa également les dernières œuvres de la série : parues en 1861, celles-ci s’intitulent L’esprit des Grecs et L’esprit des Allemands (ce dernier en collaboration avec Gérimont)3. La substitution s’imposa au fur et à mesure que les ouvrages furent réimprimés, comme l’atteste la notice présentant la série ; il est enfin curieux de remarquer que cette dernière fait mention d’un tome « sous presse » dont nous n’avons trouvé aucune trace, L’esprit des Français modernes. Comme nous l’avons observé, un projet pareil ne surprend pas les lecteurs de Stahl, surtout si l’on songe à l’époque où la collection vit le jour : protagoniste des journées de 1848 et victime de l’avènement de Louis Bonaparte, Hetzel était sur le point de quitter Bruxelles pour retourner dans son pays, qu’il regagna en 1859. Là, il devait relancer une activité éditoriale qui ne s’était jamais interrompue ; car, comme on le sait, l’exil de ce fervent républicain fut marqué par des relations intenses avec des compatriotes tels que Victor Hugo ainsi que par de nombreuses publications, y compris celles de quelques ouvrages « suspects » comme un recueil d’écrits de Chamfort. Conformément aux proclamations lancées dans ce volume, vers la fin des années 1850 Hetzel réfléchissait de plus en plus sur les « devoirs » qui s’imposent à « l’homme de lettres » pendant les « temps de révolution » ; si bien que sa plume s’était mise pour de bon « au service de la moralité publique »4. 3 Ibid., n. 1 (1861), p. 8 et 30. 4 P.-J. Stahl, Histoire de Chamfort, in Sébastien Roch Nicolas Chamfort, Pensées, maximes, anecdotes, dialogues, Michel Lévy, Paris, 1860 (1857), p. 3 et id., L’esprit en France à notre époque, in Auguste Villemot, La vie à Paris, Michel Lévy, Paris, 1858, p. VI.


On est frappé de retrouver une formulation bien connue des lecteurs du Magasin d’Education et de Récréation ; mais surtout, ces suggestions résonnent dans les pages présentant notre série. En témoignent les références à Confucius et à Cicéron qui colorent l’avant-propos des Moralistes Orientaux, là où l’on fait appel à une « grande loi morale universelle » qui s’accompagnerait de la « loi de la grande fraternité » et de la « solidarité humaine »7. Certes, d’innombrables influences se sont mélangées dans ces préfaces ; toutefois, le chef de file des Lumières nous offre quelques indices précieux pour éclairer la signification du deuxième mot-clé de notre collection, « esprit ». On se souviendra que, dans l’article homonyme de l’Encyclopédie, Voltaire, en reprenant une discussion

6 Voltaire, L’Esprit de Voltaire, Hetzel & Lévy, Paris, 1857, p. 101-102. 7 Auguste Morel, L’esprit des Orientaux, Hachette & Cie, Paris, 1859, p. 6 ; remarquons que le recueil est comparé à une « sorte d’encyclopédie que le temps améliorera et que d’autres referont » (p. 8).

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5 Jean Ricard, La science universelle de la chaire ou Dictionnaire Moral, Louis Guérin, Paris, 1708.

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Or, notre collection relève justement de cette atmosphère, comme nous allons le vérifier. Son titre (tout comme son idée de fond) est redevable de plusieurs ouvrages : on peut songer au traité du baron d’Holbach, ou bien, à un ensemble de volumes d’inspiration religieuse comprenant un Dictionnaire moral où l’on se proposait de regrouper « par ordre alphabétique ce que les pères grecs et latins, les interprêtes de l’écriture sainte et les théologiens, les prédicateurs français, italiens, allemands ont dit de plus curieux et de plus solide sur différens sujets de morale »5. Toutefois, il nous paraît plus important de souligner que Hetzel avait lui-même eu recours à l’appellation « morale universelle » dans l’Esprit de Voltaire ; l’expression figurait en guise d’introduction à une série de citations destinées à illustrer l’éthique du philosophe : « Quiconque a écrit sur nos devoirs a bien écrit dans tous les pays du monde, parce qu’il n’a écrit qu’avec sa raison. Ils ont tous dit la même chose : Socrate et Epicure, Confutzée et Cicéron, Marc-Antonin et Amurath II (…) La morale est une »6.


Irène Zanot

entamée par le père Bouhours, suggérait de « lire le petit nombre de bons ouvrages de génie qu’on a dans les langues savantes & dans la nôtre »8. De fait, l’auteur de Candide prônait l’ouverture vers les œuvres non-françaises que nous retrouverons au cœur du projet de la Morale Universelle ; mais surtout, ce concept est associé à l’idée de la littérature d’une nation, le but avoué de la série étant de donner un aperçu de ce que les écrivains étrangers « ont pensé sur les différentes branches de la morale»9. Ces observations s’avèrent d’autant plus cohérentes que Hetzel et ses collaborateurs renouent avec la « caractérologie des nations », tradition qui entretient une relation patente avec la littérature10. Le mot revient constamment dans les préfaces, où il est question des « analogies de caractère » entre les espagnols et les orientaux, de l’excellent « caractère grec », du « caractère national » italien et ainsi de suite. Nos compilateurs aspirent à faire ressortir la « couleur » et les « formes » locales dont une pensée originaire peut se revêtir, et les rubriques se font porteuses de ces clichés. En témoigne une curieuse « caractérologie régionale » de La Farina ainsi que de nombreuses observations sur les qualités et sur les vices des populations, qui deviennent volontiers le prétexte pour un jeu sur les différences entre les étrangers et les français aux tons railleurs : « un français peut vous laisser cinq minutes la parole ; mais n’allez pas vous flatter pour cela et croire qu’il vous écoute ; il pense seulement à ce qu’il dira, quand vous aurez fini », souligne Disraeli. Bref, c’est tout un débat renouvelé par Mme de Staël qui revit par notre série : ce n’est pas par hasard que les allusions au « comparatisme » ou au « génie » des nations fleurissent11. 8 Voltaire, Œuvres alphabétiques, vol. I, édition critique sous la direction de Jeroom Vercruysse, Voltaire Foundation, Oxford, 1987, pp. 51-66. 9 Auguste Morel, L’esprit des Grecs, Hachette & Cie, Paris, 1861, p. 22. 10 Voir Louis Van Delft, Le caractère des nations, in id., Littérature et anthropologie : nature humaine et caractère à l’âge classique, P.UF, Paris, 1993, pp. 87-104. 11 Benjamin Disraeli, « Anglais et français », in Alphonse Esquiros, Les Moralistes


Or, ce phénomène s’explique par le fait que nos auteurs véhiculent un message idéologique préalablement établi, comme le démontre une analyse des rubriques. Pour ce qui est de la « matière du moraliste » au sens plus strict du terme, en accord avec la leçon de La Bruyère et de La Rochefoucauld, l’on fustige les vices capitaux en condamnant notamment le « sot orgueil », la convoitise et l’hypocrisie. Dans d’autres cas, le registre tragique alterne avec l’humour ; ainsi M. Punch, un journaliste fictif issu de Pulcinella, assure-t-il à la rubrique « vanitas vanitatum » : « si un homme a une grande idée de lui, vous pouvez être à peu près sûr que c’est la seule grande idée qu’il ait jamais eue dans sa vie »14. Mais surtout, il est intéressant de découvrir quelques remarques sur l’hygiène Anglais, Hachette & Cie, Paris, 1859, p. 37. Nous renvoyons en outre à Peter J. Martin, Les Moralistes Italiens, Hachette & Cie, Paris, 1859, p. 11, et à Auguste Morel, Edmond Gérimont, L’esprit des Allemands, Hachette & Cie, Paris, 1861, p. 7 et suivantes. 12 Cfr. Louis Van Delft, Le moraliste classique, Droz, Genève, 1982, p. 100 et suivantes.

14 A. Esquiros, Op. cit., p. 302.

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13 Benedetta Papasogli, I moralisti classici, GLF Editori Laterza, Bari, 2008, p. 13 et suivantes. Le mot « anthologie » est employé par Esquiros (Les Moralistes Anglais, cit., p. 16).

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Quelques éclaircissements nous permettront de vérifier cette affirmation. Nous avons déjà compris que, tout en se réclamant de s’occuper des « moralistes », Hetzel et son équipe emploient le mot avec désinvolture. Si bien que les citations convoquées pour animer la série ne coïncident qu’accidentellement avec les formes d’élection du genre (c’est-à-dire, le fragment ou le traité)12. Même la définition de « peintres de mœurs » contenue dans l’avantpropos aux Moralistes Italiens ne nous satisfait pas. En effet, nos compilateurs puisent dans divers types de sources comme les journaux ou l’immense réservoir des proverbes et des dictons populaires, ou encore, ils recopient des passages entiers tirés des meilleurs « moralistes d’occasion » : Shakespeare, Cervantès, Goethe enrichissent la Morale Universelle, l’assimilant à une anthologie littéraire. Mais surtout, ils se nourrissent d’une classe d’écrivains que Benedetta Papasogli définit comme les « voisins » des moralistes, et qui inclut les auteurs des essais de philosophie politique, les historiographes, les médecins et les savants13.


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du corps ou sur les mauvaises habitudes alimentaires, telles que l’« ivrognerie » ou la « voracité ». L’apparition de ces rubriques n’est pas sans cause ; car nos auteurs prônent une morale qui se définit comme « la science qui enseigne à conduire sa vie, ses actions », la morale « pratique » des « bonnes et petites choses », qui ne dédaigne pas de « descendre aux petits devoirs de la vie » et qui est « accessible à tous »15. Il en découle une attention particulière pour des sujets et pour des lieux qui nous ramènent aux aspects quotidiens de l’existence et à ses « petites tribulations » : le sommeil, les cafés, les vêtements, la santé. Mais surtout, il s’ensuit la valorisation de la famille, institution à laquelle Hetzel conférait une importance absolue, comme on le sait. Car, même si les badinages sur l’amour et sur les relations conjugales ou extraconjugales abondent, aucun tome de la Morale Universelle ne néglige de célébrer la « poésie des vertus domestiques » ni de bénir le foyer et son gardien, la femme. Une constellation de citations peignent les petites scènes du drame domestique, établissent les devoirs que chaque membre doit remplir et, qui plus est, glorifient la figure de la mère tout en investissant la paternité d’une influence inédite. Ce n’est pas par hasard que Hetzel, qui avait perdu sa fille en 1853, s’arrête sur les sentiments que les parents nourrissent pour leurs enfants : ces derniers sont à la fois la « source (la) plus abondante d’émotions » et l’« instrument de torture » le plus cruel lorsque leur mort frappe la famille, comme le déclarent les Moralistes Italiens16. Il nous resterait enfin à parler d’une vaste quantité de thématiques qui n’ont été que 15 Ibid., p. 30. 16 Op. cit., p. 121. Cfr. aussi A. Morel, Les Moralistes Orientaux, cit., p. 124.


Bien que notre compte-rendu soit loin d’être exhaustif, une première conclusion s’impose : s’adonnant à une pratique de « découpage-collage »18 tout à fait désinvolte, nos rédacteurs façonnent un ouvrage où des idéologies différentes se mêlent et coexistent. Certes, plutôt que de parler d’un « système », il conviendrait d’affirmer que les écrivains de la Morale Universelle suivent un « plan » qui leur permet « d’emprunter à des écrivains de toute classe, dans chaque littérature, les pensées remarquables »19. C’est justement ce procédé qui les autorise à rassembler comme dans un creuset des instances variées, mais qui s’harmonisent au nom de quelques idéaux fondamentaux. Ces compilateurs fouillent dans les traités de Franklin pour promouvoir la démocratie et le libéralisme ; citent Sénèque et Themistius pour prêcher la tolérance et le respect de tous les hommes ; font appel à D’Azeglio pour déterminer les bases de la civilisation. En phase avec leur temps, ils convoquent les sages de l’Orient pour avancer quelques revendications chères à l’humanitarisme, telles que la défense des « opprimés » (le condamné, la femme, le misérable, les animaux) et du peuple, cette entité collective qui « poursuit sa marche comme un ouvrier honnête »20. On peut également affirmer que les positions exprimées dans la Morale Universelle (d’où transparaît une adhésion générale au 17 Remarquons en passant que la seule occurrence de la rubrique « Morale Universelle » renvoie au topos de la Justice souveraine (cfr. A. Morel, Les Moralistes Orientaux, cit., p. 218). 19 A. Morel, L’esprit des Grecs, cit., p. 34 ; voir aussi P.-J. Martin, Les moralistes Italiens, cit., p. 12. 20 P.-J. Martin, Les moralistes Italiens, cit., p. 151.

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18 Voir Bernard Roukhomovsky, Lire les formes brèves, Nathan, Paris, 2011.

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partiellement abordées par les « véritables » moralistes, mais qui, en revanche, peuplaient les pages de l’Encyclopédie. Car l’esprit des Lumières continue de souffler dans la Morale Universelle, comme le démontre l’appel à la raison ou l’exaltation de la triade liberté– égalité – fraternité, qui traverse comme un fil rouge les sept tomes de la collection17. Ce sont notamment ces postulats qui expliquent la diffusion d’extraits où l’on défend les droits de l’hommes, y compris les réquisitoires contre l’esclavage ou le débat sur les prisons et sur les peines, sujet abordé par Beccaria et Pellico.


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régime républicain) sont très proches du credo de la « morale laïque », courant au sein duquel s’inscrit la pensée de notre éditeur21. Cette hypothèse est renforcée par l’insistance sur l’idée de la séparation de l’église et de l’état et sur celle de patrie, concept capital pour des personnages comme Hetzel et Esquiros ; ce n’est pas par hasard que la quasi-totalité des Moralistes Italiens sont des héros du Risorgimento. Mais ce sont les déclarations en faveur de l’instruction publique qui constituent le véritable point de jonction avec la pensée du futur inventeur du Magasin d’Education et de Récréation, souci qui va de pair et avec les sollicitations pour la scolarisation des jeunes filles, et avec le dessein principal du périodique lancé en 1864 : la rédaction d’un code pour l’éducation et pour la sauvegarde de l’enfant. En témoignent une série de citations que nous résumerons par une pensée chinoise : « instruisez l’enfance dès que son esprit devient capable d’instruction ; mais ménagez sa faiblesse, et sachez vous accommoder à sa raison naissante. Laissez à cette jeune fleur le temps de s’épanouir, et ne la flétrissez pas pour toujours en l’échauffant imprudemment »22. D’autre part, il ne faut pas sousestimer d’autres aspects ressortant de la lecture des deux travaux signés par P.-J. Martin, des traits qui nous relient plus directement à la première phase 21 Guy Gauthier, Une morale laïque sous le second empire : la morale de P.-J. Stahl dans le Magasin d’Education et de Récréation, in Un éditeur et son siècle, textes réunis par Christian Robin, ACL édition, Saint-Sébastien, 1988, pp. 189-206. 22 A. Morel, Les moralistes Orientaux, cit., p. 124-125. Cfr. aussi l’article « Instruction obligatoire » in id., L’esprit des Grecs, cit., p. 193.


Ouvrage qui souhaite réaffirmer les fondements d’une éthique commune aux populations tout en peignant l’« esprit » propre à celles-ci, La Morale Universelle sert donc de charnière entre les deux périodes de la carrière d’Hetzel. En effet, après son rapatriement, l’éditeur se détourna de la vie politique pour se consacrer à l’élaboration de sa « morale familière » et à l’entreprise du Magasin et de la Bibliothèque d’éducation et de récréation24. Notre collection anticipe quelques motifs-clés de ce grand projet ; en même temps, les tomes de P.-J. Martin tracent une ligne de continuité et avec la production du Stahl de la première manière, et avec quelques livres qui précèdent le tournant de 1864 comme l’Esprit de tout le monde et les Bonnes fortunes parisiennes. On peut aussi rappeler que Hetzel, aux débuts des années 1850, avait envisagé la création d’une librairie internationale, en

24 Jean-Paul Gourévitch, Hetzel. Le bon génie des livres, Le serpent à plumes, Monaco 2005, p. 207.

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23 Cfr. P.-J. Martin, Les moralistes Italiens, cit., p. 313-314

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de l’aventure artistique de Stahl. Par exemple, un thème esquissé dans l’Esprit des femmes, la peinture de l’amour et de l’univers féminin, s’unit dans les Moralistes Espagnols à un goût pour l’humour qui débouche sur un anticléricalisme parfois féroce. En outre, l’auteur s’en prend et à « la morale des familles » espagnoles, et au « sentiment romanesque » qu’avaient alimenté les « livres de chevalerie », pleins de « mensonges et de vanités ». Au siècle de Madame Bovary, Hetzel intente donc lui aussi son procès aux lectures dangereuses ; ce dernier, par ailleurs, saisit l’occasion pour signaler que la véritable tâche du « romancier » est d’« émouvoir » et d’« instruire » en nous présentant le « spectacle de la vie contemporaine », comme le dit Coppino23. Ce sont là des principes de poétique que Stahl suivait diligemment dès ses débuts littéraires ; toutefois, les Moralistes Italiens semblent évoluer vers un objectif nouvel. En présentant au public des écrits contemporains qui n’avaient « jamais été publiés en français », l’éditeur se révèle un dénicheur de nouveaux talents très fin. L’éducateur Cereseto, le journaliste Bersezio, l’« observatrice » Sara, le poète dialectal Raiberti sont autant de mineurs que les italianistes sont en train de redécouvrir, et dont Hetzel rapporte des passages pleins d’intelligence.


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prospectant en particulier le « marché des traductions ». Le projet échoua ; mais il nous reste tout de même un avant-goût de son flair pour les ouvrages peu connus. Il serait peut-être fructueux de creuser ces questions et de redécouvrir une série qui, comme nous espérons l’avoir démontré, recèle quelques éléments intéressants pour les spécialistes.




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P.-J. Hetzel : éditeur par excellence – Revue Jules Verne n° 37

Anticipation reniée Paris au XXe siècle comme épreuve négative des Voyages extraordinaires

es dix premières années des rapports professionnels entre Jules Verne et Pierre-Jules Hetzel sont, semble-t-il, dynamisées par une suite de renversements. Dans chacun de ses romans, Jules Verne retourne plus ou moins ce qu’il vient d’écrire dans son précédent roman. Voudrait-il par là afficher une distance visà-vis de lui-même ? Ou devrait-on voir là une précaution contre le risque de se voir refuser par l’éditeur ? C’est qu’au cœur même de cette relation entre l’auteur et l’éditeur se trouve un terrain où ils ont des points de vue absolument incompatibles. L’un des plus ardents désirs de Jules Verne est toujours d’écrire un roman d’anticipation sur la société occidentale. Or il n’y a rien qui puisse susciter les réticences de Hetzel plus que les anticipations de cette sorte. L’éditeur pense qu’en s’éloignant trop de son temps, Verne finit par faire déraper son imagination : toujours selon l’éditeur, la description trop foisonnante de Paris au XXe siècle devient invraisemblable et vaine.

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À la suite de ce refus de Paris au XXe siècle qui marque quasiment le début de sa relation avec Hetzel, Verne semble écrire ses romans pour qu’ils forment pour ainsi dire l’envers de Paris au XXe siècle. Ainsi le lecteur des Voyages extraordinaires se voit pratiquement interdit de quitter son époque. Non seulement les techniques restent peu connues dans la société contemporaine et strictement limitées dans leurs champs d’application, mais aussi elles se trouvent le plus souvent mises en oeuvre loin de la France, ce qui fait de ces techniques localisées autant d’îlots isolés. Cet éloignement et séparation dans l’espace permettent aux techniques de prendre une certaine avance temporelle sur le

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reste du monde. Les techniques jouent le rôle du futur proche au sein de la société contemporaine. Apparemment Hetzel ne tolère l’anticipation que sous ces conditions bien précises. Si Verne opère un tel retournement par rapport à Paris au XXe siècle, c’est pour prendre une distance par rapport à l’un de ses plus ardents désirs, et les renversements qui suivront le rejouent en quelque sorte. Cependant ce retournement primordial a son précédent qui débute, lui, avec la collaboration Verne-Hetzel. Comme le détaillera Volker Dehs, leur première rencontre ne s’était pas passée comme on l’a toujours cru. Ce n’est pas le manuscrit de Cinq semaines en ballon que Jules Verne a présenté à Hetzel lors de leur premier entretien, mais il s’agissait en fait de Voyage en Angleterre et en Ecosse, texte semi-romanesque qui repose largement sur un voyage réel de l’auteur. Hetzel a vivement critiqué ce texte et il l’a refusé pour de bon. Or, la réaction de Verne annonce d’ores et déjà une des caractéristiques les plus fondamentales de sa collaboration avec son futur éditeur et, de ce fait même, a rendu possible cette dernière : il fait de ce refus le principe même de sa création littéraire. Il renverse le texte qu’il avait écrit de son propre chef pour le renier. Ainsi le caractère autobiographique du récit de voyage va se retourner en son contraire, à savoir le caractère fictionnel d’un voyage imaginaire. Même genre de renversement pour le choix du lieu de l’action. On passe du Nord vécu au Sud documentaire et fantasmatique. Flottant à la frontière du réel et de l’imaginaire, le ballon semble incarner ce renversement même. Car le rôle du ballon chez Verne s’est inversé lui aussi entre ce roman et une de ses nouvelles de jeunesse, Voyage en ballon, publiée en 1851. Dans ce texte précoce, le ballon ne sert pas à grand-chose sauf à faire des aéronautes autant de martyrs de la science. Au contraire, dans Cinq semaines en ballon, c’est pour mettre fin au « martyrologe africain1 » que le héros recourt à cet engin technique. Près de son pays d’origine, cette invention française n’est qu’une machine à tuer. Appliquée à une exploration de pays lointains, elle élimine les mystères, ceux mêmes où gît la cause de la mort de nombreux aventuriers européens. Comme on va le voir, cette tendance peut 1 Jules Verne, Cinq semaines en ballon, « Livre de poche », p. 21.


Et le renversement se poursuit dans les romans qui viennent après Cinq semaines en ballon. Après l’Afrique, Verne se tourne de nouveau vers le Nord avec Voyages et aventures du capitaine Hatteras. Le volcan en éruption au pôle Nord s’assoupira dans le roman suivant pour donner accès au centre de la Terre. Le volcan naturel en activité qui projette les voyageurs souterrains devient celui qui, artificiel, est destiné à lancer les personnages de De la Terre à la Lune à travers l’espace. Ces trois romans ont ceci de commun que les héros sont tentés d’atteindre, même au péril de leur vie, un « point suprême » sans jamais y parvenir. Le centre de la Terre, le pôle Nord ou la Lune qui tourne autour de notre planète : ces « points suprêmes » condensent la totalité du monde. Or, dans les trois romans suivants, les personnages exploitent à leur corps défendant et de façon maximale une clôture spatiotemporelle qui englobe le monde. Les enfants du capitaine Grant qui sont contraints de suivre complètement le 37e parallèle sud à la recherche de leur père ; le professeur Aronnax, et ses compagnons, à qui le caprice du capitaine Nemo fait faire un tour du monde sous-marin, et enfin les trois astronautes incapables de contrôler leur boulet-prison, ni même de prévoir un trajet qui les ramènerait sur Terre après avoir tourné autour de la Lune. Attirés sans le savoir vers le centre de la Terre, ils sont obligés de tourner autour de ce point. Les deux types de romans se laissent donc réduire à un seul et même désir : celui d’épuiser la totalité du globe terrestre dans le cadre de chaque roman singulier. Quoi qu’il en soit, le tour du monde sur terre et sur mer précède le tour du monde sous les mers et le tour de notre satellite. On voit bien que la logique du renversement traverse aussi ce deuxième type de romans.

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Ces renversements successifs devaient être d’autant plus faciles que tout cela ne correspondait pas forcément aux projets que Verne avait conçus avant sa rencontre avec Hetzel. Or, même s’il a l’air d’accepter aisément le jugement de l’éditeur sur Voyage en Angleterre et en Ecosse, il digère assez mal un autre refus et sera

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s’observer sur l’ensemble des machines apparues dans l’œuvre vernienne et constitue, selon moi, une des clefs de ces relations particulières entre l’auteur et son éditeur.


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conduit à réitérer à plusieurs reprises de semblables essais – pour se heurter chaque fois à la même incompréhension de l’éditeur. Il s’agit, bien évidemment, du cas de Paris au XXe siècle. La première version de ce roman est probablement écrite en 1860, bien avant la rencontre de Verne avec Hetzel. Elle est ensuite remaniée et soumise à la lecture de Hetzel en 1863, soit juste après la publication de Cinq semaines en ballon et avant que Hatteras commence à paraître dans le Magasin d’Education et de Récréation. Verne a écrit ce roman ambitieux de son plein gré, même s’il a ajouté, à l’occasion du remaniement, quelques passages de nature à plaire à Hetzel. Et, comme on l’a déjà dit, il ne fait pas de doute qu’il y tienne énormément. Cela signifie que le renoncement à ce roman doit faciliter encore davantage les inversions incessantes qui produisent les premiers Voyages extraordinaires. En d’autres termes, on pourrait considérer cette série romanesque comme un grand renversement de Paris au XXe siècle : du futur au présent, de la France au reste du monde, dès lors que l’éloignement spatial remplace l’éloignement temporel. De Voyage en Angleterre et en Ecosse et de Paris au XXe siècle vont provenir deux éléments indispensables dans Les Voyages extraordinaires : la géographie et la technologie. Mais le renversement qui s’opère par rapport à l’un et l’autre romans entraîne le changement de la valeur de ces éléments dans les textes. L’objet principal de la géographie sera désormais les pays inconnus ou peu connus et l’usage de la technologie sera limitée à l’exploration de ces pays lointains, suivant en cela le modèle de Cinq semaines en ballon. Il est important de remarquer ici que la façon d’écrire n’en reste pas moins identique entre Paris au XXe siècle et les Voyages extraordinaires. Dans les deux cas, Jules Verne utilise quelques exemples très concrets et bien réels empruntés à la technologie toute récente pour les faire servir à la représentation du futur. En effet, aucune des technologies futures de Paris au XXe siècle n’est inventée par l’imagination vernienne. La liste des inventions ou des événements historiques mentionnés dans le roman ne se prolonge pratiquement jamais au-delà de l’année 1863, date de la mise au jour du premier manuscrit. Ce qui est supposé se passer depuis


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cette date pendant un siècle n’est constitué que de certains aspects du second Empire démesurément extrapolés, tels que l’emprise des établissement de crédit dans tous les domaines sociaux, le développement des moyens de transport, l’industrialisation du théâtre, etc. Et comme si Verne voulait compenser cette faiblesse, le narrateur étale ostensiblement les inventions techniques qui sont les plus récentes pour les lecteurs du XIXe siècle. Mais cela ne revient qu’à souligner le décalage de cent ans entre les deux époques. Un autre problème, c’est que tous les personnages du roman sont censés être nés au XXe siècle, même si certains d’entre eux semblent s’être trompés d’époque pour naître. Le lecteur est tout naturellement amené à s’identifier au point de vue des hommes ordinaires du XXe siècle. Plus le narrateur essaye de souligner la nouveauté de ces inventions empruntées à la réalité, plus il est inévitable que celles-ci paraissent démodées. En revanche, comme on l’a déjà dit, ces objets techniques constituent, dans le monde des Voyages extraordinaires, autant d’ilots isolés et situés loin de la France. Près de la France, ils sont projetés dans un avenir lointain pour asservir la société tout entière. Loin de la France, ils nous révèlent les merveilles de ce monde.

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Jules Verne ne pouvait pas se détacher des techniques de son temps qui constituent autant de limites pour son imagination. Les


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inventions toutes neuves ne peuvent pas fonctionner comme futur proche tant qu’un petit nombre de personnes ne les accaparent pas. Et cet accaparement devient de plus en plus difficile au fur et à mesure que l’on s’éloigne du temps qui voit naître ces inventions. Pour que ces dernières représentent le futur, on doit lever les yeux vers elles sans quitter le XIXe siècle et non pas les dominer du haut du futur lointain comme c’était le cas dans Paris au XXe siècle. Hetzel a provoqué cette inversion du point de vue en interdisant l’anticipation du futur lointain. Nés quasi directement de cette inversion primordiale et écrits successivement, deux romans seront destinés à jouer un rôle fondamental dans la naissance des Voyages extraordinaires. Les romans en question – Voyage au centre de la Terre et De la Terre à la Lune – ne figurent pas dans le contrat signé en janvier 1864, juste après le refus de Paris au XXe siècle. Etant donné que le but de ce contrat est apparemment d’attacher à la Maison Hetzel un vulgarisateur de la géographie et non un romancier et qu’un nouveau contrat signé à la veille du lancement des Voyages extraordinaires stipule que « M. Hetzel s’engage à prendre de M. Verne et par chaque année, trois volumes composés dans le genre de ceux qu’il a précédemment édités du même auteur et faits pour le même public et de la même étendue » (III-360), c’est l’apparition inattendue mais nécessaire de ces deux romans respectivement souterrain et lunaire qui décide Hetzel à publier tous les romans de Jules Verne sous un même titre général. Or on sait que quelques passages de Paris au XXe siècle sont repris dans Voyage au centre de la Terre et De la Terre à la Lune. Volker Dehs en dresse une liste dans un de ses articles. Il est temps d’examiner les modalités de ce recyclage. Rappelons d’abord les passages réutilisés. Au début de Paris au XXe siècle, le narrateur dit que l’on peut apprendre dans la « Société générale de Crédit instructionnel » « les deux mille langues et les quatre mille idiomes parlés dans le monde entier ». Cette formule est reprise par le narrateur de Voyage au centre de la Terre pour qualifier le héros polyglotte, le professeur Lidenbrock. Le rayon de soleil qui ne pénètre dans l’appartement de l’oncle Huguenon qu’au solstice désignera ensuite l’accès au centre de la Terre. Réapparu dans les entrailles de la Terre, un vers de Virgile torturé par un


On aura sans doute remarqué une caractéristique assez distincte commune à tous ces exemples. Les passages qui demeurent épisodiques dans Paris au XXe siècle sont exploités activement dans les deux romans suivants, soit pour développer l’intrigue soit pour caractériser les personnages. Ce processus montre symboliquement les rapports entre Jules Verne et PierreJules Hetzel. Comme on va le constater en analysant d’autres anticipations que Verne a essayées dans le cadre des Voyages extraordinaires, l’éloignement dans un futur lointain correspond chez cet auteur à un élargissement proportionnel de l’espace réservé à la technologie.

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Quand il s’agit du XIXe siècle, les inventions les plus récentes d’alors se voient assigner un espace extrêmement restreint et situé le plus souvent loin de la France. Au fur et à mesure que les mêmes inventions s’éloignent de leur époque d’origine, elles se répandent de plus en plus spatialement jusqu’à couvrir d’une manière inquiétante le monde entier. Friand d’énumérations engendrées par une association plus ou moins libre d’idées, Verne jouit pleinement de cet élargissement du vide à remplir.

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élève du XXe siècle est appliqué à un troupeau de mastodontes et son gardien géant : « Immanis pecoris custos, immanior ipse ! » Les réutilisations dans De la Terre à la Lune sont beaucoup plus poussées. Au XXe siècle, « une lutte ridicule entre la cuirasse et le boulet » aboutit à faire disparaître la guerre. Cet épisode apparaît dans une discussion entre les personnages pendant laquelle le susdit oncle Huguenin dit : « mais depuis que les canons portèrent à huit mille mètres, et qu’un boulet de trente-six put à cent mètres traverser trente-quatre chevaux pris de flanc et soixante-huit hommes, vous m’avouerez que le courage individuel devint une chose de luxe. » Les chiffres réapparaissent dans le roman lunaire en tant qu’ils concernent l’enfance de l’artillerie. La lutte entre la cuirasse et le boulet devient une rivalité entre Barbicain fondeur de projectiles et Nicholl forgeur de plaques. Et Nicholl reprend le rapport entre l’artillerie et le courage individuel afin d’insulter Barbicain.


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Dans Paris au XXe siècle, tout ce qui intéresse Verne se trouve énuméré et remplit le vide que l’auteur semble ressentir en lui de sorte que s’y trouvent déjà accumulés presque tous les éléments constitutifs de ses romans à venir. C’est sous l’effet du refus de Hetzel que Verne va les reprendre pour les mettre en intrigue. Voilà précisément ce qui se passe quand certains éléments de Paris au XXe siècle sont recyclés dans Voyage au centre de la Terre et dans De la Terre à la Lune, deux romans qui font démarrer les Voyages extraordinaires. Avec le passage du point de vue narratif du futur au présent, la technologie se trouve localisée, l’espace qu’elle a occupée cesse d’être français pour accueillir les énumerations géographiques justifiées par leur caractère pédagogique. Ce deuxième type d’énumérations est appelé à compenser l’interdiction du premier type d’énumérations. Néanmoins, il s’agit d’un substitut insuffisant puisque Jules Verne ne renonce jamais au roman d’anticipation. Parcourons maintenant quelques cas où Verne cherche à reconquérir cette grande liberté pour des énumérations dont le caractère n’est pas forcément pédagogique. Pour cela il faut commencer par insister de nouveau sur les analogies très fortes entre Paris au XXe siècle et De la Terre à la Lune. D’une verve satirique commune à ces deux romans résultent une tonalité et un rythme qui se retrouvent presque identiques dans l’un et l’autre romans : tous les deux s’ouvrent par la présentation d’une organisation importante, et les discussions entre les personnages scandent souvent les chapitres. La ressemblance la plus importante est qu’ils appartiennent au roman d’anticipation. Comme on le sait, c’est après la Guerre de Sécession aux Etats-Unis que les artilleurs américains du Gun-Club préparent leur départ pour la Lune, et la date de la publication du roman coïncide à peu près avec la fin de la guerre. Et pourtant Verne avait écrit son roman pendant la guerre et avant que le président Lincoln soit assassiné, de sorte que dans la version manuscrite, le vieux Abraham Lincoln est censé trôner encore à Washington. Suite


Toutefois, il me semble que Verne n’a pas cessé de considérer son diptyque lunaire comme une anticipation : à preuve, la suite de ce dernier, Sans dessus dessous [sic] publié en 1889, raconte ce qui se passe dans les année 90. Avant la mort de Hetzel, Verne écrit encore deux romans d’anticipation : Hector Servadac publié en 1877 et Robur-le-conquérant publié en 1886. Dans ces romans, quelques projets techniques en cours de réalisation ou d’examen sont censés avoir été achevés ou entamés : mer saharienne pour Hector Servadac, Tour Eiffel, exploitation de l’énergie produite par les chutes du Niagara et chemin de fer transsaharien pour Robur-leconquérant. Ces futurs proches sont trop localisés pour ne pas laisser intact le reste du monde. Il n’y avait donc aucun risque de provoquer Hetzel, à part la fin initialement prévue pour Hector Servadac où la chute d’une comète en or sur Terre diminue considérablement la valeur de ce métal.

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Une telle prudence continue après la mort de Hetzel. Ni le Grand-transasiatique de Claudius Bombarnac publié en 1892, ni Standard-Island de L’Ile à hélice publié en 1895, ni la mer saharienne de L’invasion de la mer publié en 1905 ne dépassent les limites imposées par le feu éditeur. Seules quelques nouvelles peuvent supporter la comparaison avec Paris au XXe siècle, mais

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à l’échec de Paris au XXe siècle auprès de son éditeur, Verne a donc réduit prudemment la portée de son anticipation à quelques dizaines d’années. Mais à cause de cette prudence, il se fait rattrapper par la réalité. À mon avis, c’est à ce moment-là que s’établit véritablement la poétique vernienne consistant à utiliser comme représentation du futur proche les inventions les plus nouvelles isolées au sein de la société contemporaine.


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puisque La journée d’un journaliste américain en 2889 et Edom sont écrits par Michel Verne, il ne reste qu’Une ville idéale, conférence prononcée devant l’Académie d’Amiens en 1875. Vu que cette dernière nouvelle est composée presque à la même époque que Hector Servadac, il vient alors à Verne l’envie de récidiver. Par conséquent, il n’y a rien d’étonnant à ce que surgissent un événement répétant le refus de Paris au XXe siècle et un autre événement y succèdant pour le contrebalancer : suppression d’un chapitre des Indes noires, roman écrit entre 1876 et 1877, d’une part, et adaptation d’un roman écrit par un autre, Les Cinq cents millions de la Bégum paru en 1879.

Les Indes noires a pour décor une mine écossaise. On y découvre un vaste crypte où s’établit un petit village des mineurs, « une sorte de village flamand2 » souterrain. À la différence de la version publiée qui constitue une utopie industrielle modeste et idyllique, un chapitre intitulé « Une métropole de l’avenir » dans la version manuscrite décrit longuement une contrée souterraine nommée « Underland » contenant plusieurs villes, chemin de fer, bateaux à vapeur, enfin toute une Angleterre. Hetzel a critiqué avec véhémence ce chapitre au stade des épreuves. Il ne s’est d’ailleurs pas contenté de le faire supprimer, il a récrit quelques2 Jules Verne, Les Indes noires, « Livre de poche », 1967, p.131.


Verne se voit ainsi réduit à un rôle de prête-nom : il n’est plus là que pour endosser le nom de Verne forgé par Hetzel. En effet, la ville future incarne dès lors l’originalité même de l’auteur Verne, ce qu’il veut vraiment écrire. Pour rétablir l’« autorité » de Verne, ce désir d’écrire la ville future doit être satisfait d’une manière ou d’une autre. Il est pourtant hors de question de le satisfaire directement. Et voilà qu’un hasard surprenant intervient : le manuscrit d’un exilé (l’Héritage de Langévol) vient fournir le moyen de le faire négativement. Ce roman d’un certain Paschal Grousset porte en effet sur la conception de villes idéales et sur sa réalisation. Dès la première lecture du manuscrit, Hetzel y reconnaît une forte ressemblance avec les romans verniens et se décide d’emblée à l’acheter pour le faire récrire par Verne et pour le publier sous le nom de Verne (Les Cinq cents millions de la Bégum). Au cours des négociations de cet achat, l’éditeur exige que cette première version soit remaniée – au moins une fois et suivant ses indications – par Grousset lui-même. C’est d’abord pour « verniser » par avance le manuscrit et diminuer le travail de Verne. Ensuite, c’est pour vérifier l’insuffisance de cette « vernisation » et réduire d’autant mieux le rôle de Grousset à celui de simple nègre de Verne, et enfin pour rendre d’autant plus évidente la nécessité des retouches finales du maître.

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La situation de Verne dans cette affaire est très curieuse. Il ne reconnaît aucun mérite au manuscrit de Grousset. On doit se demander ici en quoi consisterait un mérite de Grousset dans ce cas précis. Si le texte de Grousset présentait une certaine originalité, Verne devrait réclamer pour son collègue le statut d’auteur indépendant. Comme il n’en est pas question, le mérite

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uns des derniers chapitres du roman. Verne regrette sa vision de la ville future dans Les Indes noires au point qu’il essaye de mettre, comme s’il voulait compenser cette amputation subie, un petit texte mentionné ci-dessus, Une ville idéale, à la fin des Indes noires, roman trop court pour un volume. Le ton satirique de cette description de ce que serait Amiens dans cent vingt-cinq ans est assez proche du chapitre supprimé dudit roman. Malgré son souci constant de fournir au public des volumes de même taille, Hetzel publie Les Indes noires en volume avant de recevoir le texte d’Une ville idéale tant il abhorrait la ville future de Verne.


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de Grousset ne pourrait consister que dans des ressemblances avec Verne. Et si, comme le prétend Hetzel, il y avait « du Verne » chez Grousset, cela indique que « du Verne » est dans une certaine mesure imitable et n’appartient pas exclusivement à Verne. Dans ce sens, Verne aurait très bien pu reconnaître « du Verne » chez Grousset et prétendre que son originalité se trouve ailleurs. Or il tient à refuser le moindre mérite à Grousset et cela en refusant toute ressemblance entre eux. Il ne prétend pas être le seul à pouvoir produire « du Verne ». Au contraire. Seulement, pour cette fois-ci, il veut au moins que ce soit à lui et non pas à Hetzel de trancher la question de savoir en quoi consiste « du Verne ». S’il laissait l’éditeur trouver « du Verne » chez n’importe qui, il risquerait de devenir complètement substituable. S’il se voit ainsi obligé de défendre une partie de cette part imitable, c’est qu’il ne lui reste que cela. Autrement, il lui est interdit de réclamer directement son originalité. Pour ne pas se laisser éclipser par un autre, il n’a plus qu’à faire remarquer que Grousset ne lui ressemble pas assez et à exiger qu’il soit plus vernien, ce qui revient à lui imposer « du Verne » imposé par Hetzel. Il est maintenant inutile de préciser que l’originalité vernienne réside dans la ville future et que « du Verne » n’est rien d’autre que la négation de celle-ci. Dans le roman, l’« héritage de la Bégum » est partagée entre deux savants français et allemand, le docteur Sarasin et Herr Schultze. Ils construisent chacun une ville selon leurs idéaux antagoniques. Le modèle de la ville allemande est l’usine Krupp, alors que la ville française reprend textuellement une conception hygiéniste d’un savant britannique, Benjamin Ward Richardson. La description de ces deux villes est sans doute telle que Grousset l’a écrite. Verne et Hetzel s’accordent à reconnaître que la ville dystopique du Prussien est bien décrite et que celle, utopique, du Français est peu intéressante. En effet, la première est bien mise en intrigue tandis que la deuxième, citation du texte de Richardson, se présente sous la forme d’un extrait d’article de revue. Néanmoins il paraît que l’éditeur n’a donné aucune instruction à Grousset pour améliorer « la partie Hygeia ». Et à ce que je sache, il n’a jamais discuté avec Verne sur ce point. De son côté, Verne n’offre jamais de re-décrire à sa guise cette ville du bien-être qui sera rebaptisée France-Ville dans Les Cinq cents millions de la Bégum. Après cette expérience amère concernant


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Les Indes noires et Une ville idéale, il ne pouvait pas dire qu’il aurait fait mieux que Grousset sur ce point essentiel qu’est la ville future. Même si la description de la ville française est pauvre, elle est, pour Hetzel, beaucoup plus acceptable que celle de Verne dans Paris au XXe siècle ou Les Indes noires. Comme il s’agit de la citation d’un texte scientifique, le côté énumératif est moins accentué que chez Verne. Et puis les nouvelles techniques n’y sont appliquées que dans un espace strictement limité et de ce fait relativement sous contrôle humain : « Le nombre d’habitants de notre cité pourrait être fixé à 100 000 habitants, le nombre des maisons à 20 000, maisons érigées sur 4000 acres de terrain – ce qui équivaut à une moyenne de 25 personnes par acre. » (Richardson) Par ailleurs, Hetzel demande à Grousset de « porter toute la chose, tout le livre, en Amérique. » Il lui écrit : « plus ces choses sont loin – plus l’invraisemblance peut s’accepter. » L’isolement et l’éloignement font donc partie d’une vraisemblance telle que Hetzel la concevait.


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Ainsi, pendant toute leur discussion sur Bégum, Verne et Hetzel passent sous silence le point essentiel. Et ce faisant, ils échangent leur rôle habituel. Hetzel, lui, ose apprécier le manuscrit de Grousset devant Verne. L’éditeur se charge du rôle de Verne pour lui laisser dire ce que lui, Hetzel, aurait dit normalement. Dans la mesure où Verne ne peut pas proposer de lui laisser reprendre la ville idéale de Grousset, il ne peut que lui imposer « du Verne » imposé par Hetzel. Il faut que pour une fois ce soit Verne qui ait raison dans le débat. Hetzel veut que Verne accepte la ville idéale telle qu’elle est décrite (ou plutôt citée) par Grousset, et cela tout en reconnaissant les défauts de cette dernière. Le désir de l’auteur de décrire une société future se trouve ainsi satisfait d’une manière négative. Pourquoi Hetzel déteste-t-il à ce point l’anticipation chez Verne ? C’est d’une part parce que les caractéristiques des Voyages extraordinaires résultent en grande partie de la négation de Paris au XXe siècle. Les anticipations verniennes se distinguent par leur caractère énumératif et leur insuffisance quant à la mise en intrigue. Comme on l’a déjà vu, c’est en s’éloignant du XIXe siècle que les technologies se délivrent de leur isolement et peuvent couvrir l’ensemble de la société. Mais aux yeux de Hetzel cette liberté avec laquelle Verne se livre aux énumérations ne fait que produire une sorte de bazar ou de foire. Voici ce qu’alors il propose à son auteur pour la « métropole de l’avenir » des Indes noires : « [...] comme je tâche de ne pas vous demander un sacrifice complet [...] vous introduirez dans un épilogue un personnage, un homme à projets, un barnum qui viendra proposer à James Starr, le Solon de votre petit monde souterrain, d’en faire ce que dans deux chapitres insensés vous en faisiez. » Or un an avant cette proposition de Hetzel, Verne avait décrit lui-même une société future comme une foire... À la fin d’Une ville idéale, le narrateur qui visite en rêve la ville d’Amiens en l’an 2000 erre euphoriquement parmi des machines bizarres exposées au Concours régional. L’expérience de la ville future chez Verne est de se laisser entraîner dans le désordre à la fois fascinant et terrifiant d’une foire – ou plutôt d’une exposition universelle. Ce qui irrite Hetzel, c’est l’éclat vain de tout ce foisonnement futur. Cette impression s’accentue d’autant plus que l’écart temporel entre le futur et le présent fait


Pour finir, je voudrais revenir sur les limites que la technologie impose aux Voyages extraordinaires. Robur-le-conquérant nous donne quelques pistes. Le roman se déroule autour d’une question de l’ordre d’anticipation : est-ce que ce sera le « plus léger que l’air » ou le « plus lourd que l’air » qui permettra la conquête de l’air ? Et si le « plus lourd que l’air » l’emporte, lequel des trois types – hélicoptère, ornitroptère et avion – est le plus prometteur ? Verne opte pour l’hélicoptère dans Robur-le-conquérant et pour l’ornitroptère dans Le maître du monde. Il se méprend sur l’avenir de l’aviation mais la question n’est pas là. Il faut remarquer avant tout le peu d’affinité entre l’imagination vernienne et le « plus lourd que l’air ». À l’exemple du ballon ou du boulet, les véhicules dans les Voyages extraordinaires sont plus ou moins autonomes. Même le Nautilus soumis à la volonté d’un homme fonctionne comme un ballon à l’intérieur du roman parce que la fascination et la répulsion du narrateur à l’égard du capitaine Nemo rendent les intentions de celui-ci aussi insondables que la mer. Le ballon indirigeable révèle les limites de la capacité humaine en ce sens qu’il lance un défi à l’intelligence humaine. L’avion ou l’automobile se présentent a priori comme des moyens sous le contrôle des hommes. Leur défauts ne sont pas forcément ceux de leurs inventeurs.

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C’est donc l’autonomie de certains types de véhicules qui stimule le plus efficacement l’imagination de Verne. Mais cette autonomie est moins inhérente aux machines que donnée par la Nature. Par exemple, la scène la plus impressionnante dans Roburle-conquérant est celle où l’Albatros, échappant au contrôle de Robur, se laisse attirer irrésistiblement vers le pôle Sud. Le capitaine Nemo s’identifie à la mer. Pour le professeur Arronax, pénétrer dans le secret de Nemo, c’est connaître la mer. C’est pourquoi il ne peut pas s’empêcher de dévorer des yeux tout ce que Nemo lui montre en espérant y trouver le chemin qui mène à son secret.

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sentir à quel point ces techniques ainsi exposées sont loin d’être si nouvelles que le prétend l’auteur : il ne s’agit que des inventions bien réelles du XIXe siècle. L’anticipation de Verne exerce un effet de contre-défamiliarisation sur la réalité quotidienne, elle familiarise trop la France. Les Voyages extraordinaires inversent cet effet en retournant le connu en l’inconnu.


L’autonomie inhérente aux techniques est toujours inquiétante chez Verne, puisqu’elle menace d’assujettir les hommes sous la domination des machines. Et c’est elle qui s’affirme dans cette foire de la société future. Seule la Nature providentielle peut diminuer cette autonomie menaçante et y substitue sa part des merveilles. Par exemple, le wagon-projectile du diptyque lunaire n’aurait pas suivi cette trajectoire sans l’intervention de la Nature. Mais comme le montre bien la fin de Paris au XXe siècle cette complicité positive entre la Nature et la technologie ne semble possible que loin de la France où elle se retourne en son contraire : là, en effet, le froid extrême qui fige la société future s’allie avec le démon de l’électricité, persécuteur du héros. eee

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P.-J. Hetzel : éditeur par excellence – Revue Jules Verne n° 37

Philippe Daryl (André Laurie) écrivain, traducteur, agent littéraire et iconographe pour Hetzel.

a première lettre envoyée de Londres par Paschal Grousset à Pierre-Jules Hetzel, datée du 26 octobre 1875, inaugure une correspondance relativement abondante, Grousset recevant pour sa part « plus de cinquante lettres charmantes dans leur douce et fine autorité »1. Il propose alors un texte qui ne paraîtra qu’en 1881, sous le titre des Scènes de la vie de collège en Angleterre, premier ouvrage d’une série de quatorze volumes. Avant sa publication, l’auteur a proposé à l’éditeur que son manuscrit fasse l’objet d’une cession afin qu’il soit réécrit par un autre écrivain, comme pour L’héritage de Langévol et L’Etoile du Sud. A la différence de ces deux récits d’aventures le roman restera la propriété de Grousset. Soit ce texte a été jugé par Hetzel mieux écrit, soit celui-ci en a pressenti un avantage éditorial d’en laisser la paternité à Grousset. D’autant plus que Grousset s’est exprimé sur son intention de travailler sur une série : « Il y aurait peut-être là le commencement d’une série complète (pour l’avenir) de Vie de collège en Espagne, en Hollande, en Russie, etc., chacune encadrée par une fable particulière. Je tournerais très volontiers de ce côté mes études dans les voyages que je fais aussi souvent que je le puis, et je rumine déjà, à mes moments perdus, le plan d’une Vie de collège en France, car il est assez singulier que ce côté de l’existence nationale ait encore été peu étudié et décrit. »2

2 Lettre de Philippe Daryl à Pierre-Jules Hetzel, Londres, 16 novembre 1878, BnF.

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1 Lettre de Philippe Daryl à Louis-Jules Hetzel, Paris, 27 janvier 1888, BnF. A partir du 29 avril 1878, toute la correspondance est signée Philippe Daryl ; seules les deux premières lettres (qui sont les seules lettres connues antérieures à cette date) adressées à P.-J. Hetzel sont signées Paschal Grousset.

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Les scènes de la Vie de collège dans tous les pays constituent une série bien identifiée au sein de la Bibliothèque d’éducation et de récréation. Elles représentent l’un des trois volets de l’activité d’auteur de Paschal Grousset pour Hetzel. Le deuxième volet concerne les Romans d’aventures, une autre série de la Bibliothèque d’éducation et de récréation, presque entièrement dédiée à André Laurie, à l’exception de L’île au trésor de R.-L. Stevenson, dont la traduction est assurée par Laurie et La découverte des mines du roi Salomon de Henry Rider Haggard, adaptée par C. Lemaire. On hésite à attribuer la traduction à Laurie - la raison étant justement l’appartenance du roman de R. Haggard à cette série. S’ajoute un mode de présentation dans les placards publicitaires dédiés à André Laurie mettant ce livre sur le même plan que la traduction de Stevenson, ce qui contribue à semer le doute.3 Daryl a pu en commencer la traduction. La genèse des récits d’aventures d’André Laurie est plus complexe que celle des Vies de collège. Leur origine est en effet à rechercher d’une part dans les deux romans réécrits et signés par Jules Verne et d’autre part dans l’activité de traduction et d’adaptations de textes étrangers. L’Héritier de Robinson est une adaptation d’une partie de l’ouvrage anglais Alice Lorraine de Richard Doddridge Blackmore (Sampson Low, Marston, Low & Searle, 1875). On peut difficilement le considérer comme une œuvre à part entière d’André Laurie qui s’est en somme lui aussi adonné à l’adaptation et à la réécriture. Le roman Wassili Samarin paru dans Le Temps en 1882-1883, intégré à la série La Vie partout en 1886, est plus proche du cas de figure de la réécriture par Jules Verne, puisqu’il s’agit selon toute vraisemblance d’un texte de Robert Caze que Grousset a réécrit et signé successivement de deux de ses pseudonymes. La somme des récits d’aventures d’André Laurie revêt ainsi des contours flous4 en raison d’une origine qui concerne plusieurs auteurs. La quinzaine de romans a 3 La gestion de l’espace publicitaire consacré à André Laurie sur une affiche Hetzel des étrennes de 1890 a été bien décrite par Elodie Raimbault dans son article « Le roman d’éducation de Jim Hawkins. André Laurie, traducteur de Treasure Island », in : Otrante, Art et Littérature fantastique. André Laurie. Ed. Kimé, hiver 2011, n° 29, pp. 81-94. 4 Xavier Noël, « André Laurie : cartographie d’une œuvre aux frontières imprécises ». In Le Rocambole, André Laurie, été 2010, n° 51, pp. 33-54.


un caractère plutôt disparate que ce soit en termes de longueur (Un roman dans la planète Mars s’apparente à une nouvelle tandis que Les exilés de la Terre occupe deux volumes), de cible (la trilogie des Chercheurs d’or de l’Afrique Australe semble s’adresser à un public nettement plus jeune au début qu’à la fin), voire de contenu, et parfois de style. Sans parler de l’inclassable Epave du Cynthia qui se situe au croisement des romans d’aventures et des Vies de collège. Co-signé par Jules Verne et André Laurie, il serait aussi le point de jonction « officiel » de deux auteurs de romans d’aventures et d’imagination scientifique qui se partagent les pages du Magasin d’Education et de Récréation à partir de 1884 et se lisent parfois entre eux. Pour ce qui concerne cette partie de l’activité de romancier de Paschal Grousset on est loin de l’unité éditoriale obtenue avec les Vies de collège.

« Je vois le tout comme une véritable physiologie comparée des divers peuples, développée en des actions dramatiques distinctes, dans le cadre normal, - et justifiée, mise en théorie -, par mes volumes de critiques. Mes lectures et mes voyages vont donc se tourner vers ce but défini. »5

5 Lettre de Philippe Daryl à Pierre-Jules Hetzel, Paris, 22 décembre 1882, BnF.

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Parallèlement à son activité de romancier et de journaliste, Daryl effectue des traductions et des adaptations de textes anglais ou américains. On connaît les travaux qui portent sa signature André Laurie, pseudonyme de Philippe Daryl, lui-même pseudonyme de Paschal Grousset. Avec pour commencer Le chef au bracelet d’or, pré-publié dans le Magasin d’Education et de Récréation à

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Le troisième volet de l’activité d’auteur de Paschal Grousset pour l’éditeur est un mélange encore plus disparate, composé de romans, de reportages et de correspondances (la plupart adressées au journal Le Temps) paru sous le titre générique La Vie partout, au sein de la collection Hetzel in-18. Au travers de ce projet, Grousset imagine, à la fin de 1882, une série ambitieuse :


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partir du 1er décembre 1880, adaptation de Away Westward (The Cadet Button, a romance of American army-life on the western prairies by Captain Frederick Whittaker, edited by Captain Mayne Reid, publié en 1879 par William Mullan & Son. Il s’agit pour Daryl « plutôt d’un roman basé sur la fable de Mayne Reid qu’une traduction proprement dite »6. Son statut n’est donc pas si éloigné que cela de l’Héritier de Robinson. La Terre-de-Feu, dernière œuvre de Mayne Reid serait plus proche du texte d’origine. L’édition in-18 de 1885 porte d’ailleurs la mention : « seule traduction autorisée par l’auteur et ses ayants droit ». La traduction d’André Laurie la plus connue est bien sûr L’île au trésor de R.-L. Stevenson, parue dans Le Temps, du 25 septembre au 8 novembre 1884 et publiée par Hetzel en 1885. Bien des lecteurs ont découvert L’Ile au trésor dans la traduction d’André Laurie. Marcel Schwob était réservé sur la qualité de cette traduction. Récemment, Elodie Raimbault s’est penchée sur le travail réalisé par Laurie, montrant comment il procède à un certain nombre d’adaptations d’ordre culturel destinées à tenir compte des jeunes lecteurs, et la façon dont il fait sien le texte de Stevenson en l’adaptant à ses propres intentions éducatives et morales.7 En dehors de ce qu’il a signé, André Laurie a semble-t-il amorcé ou corrigé d’autres traductions pour Hetzel, assurant par exemple en 1882 la révision de la traduction des Jeunes aventuriers de la Floride de J.-F. Brunet (d’après Francis Robert Goulding), publié par Hetzel en 1890. 6 Lettre de Philippe Daryl à Pierre-Jules Hetzel, Londres, 31 décembre 1879, BnF. 7 Elodie Raimbault, « Le roman d’éducation de Jim Hawkins. André Laurie, traducteur de Treasure Island », in : Otrante, Art et Littérature fantastique. André Laurie. Ed. Kimé, hiver 2011, n° 29, pp. 81-94. Dans le même numéro de la revue, Thierry Chevrier s’intéresse aux traductions de Mayne Reid par Laurie et en particulier de La Terre de Feu. Sa conclusion est du même ordre : « On l’a compris, ce n’est pas du Mayne Reid que lira le lecteur de l’édition Hetzel de La Terre de Feu, mais du André Laurie inspiré par Mayne Reid ». (p. 102).


Les éditions Hetzel ont déjà une pratique d’introduction en France d’œuvres étrangères, notamment de textes de la littérature anglaise et américaine. Cela signifie : adaptation à l’idée que P.-J. Hetzel se fait de qui convient à la jeunesse, notamment dans un dessein d’éducation morale. D’où de nombreuses discussions à ce sujet entre Daryl et Hetzel. Pour que les œuvres venues de l’étranger conviennent à la jeunesse française, les adaptations doivent viser un style débarrassé de ses lourdeurs, décrire des mœurs qui correspondent à l’éducation française, ou présentées sans risquer de heurter les sensibilités, et des données scientifiques fiables : quand Hetzel adapte avec E. Muller Le Nouveau Robinson Suisse d’après Wyss il s’agit d’une « traduction nouvelle, revue, corrigée et mise au courant de la science».8

Daryl a aussi un rôle d’iconographe. L’activité de recherche d’illustrations débute avec L’Héritage de Langévol en novembre 1878. Daryl a puisé dans un volume illustré, American Pictures, Les grandes Usines de Turgan9 et trouvé deux photographies de l’usine Krupp au British Museum. Il obtient des illustrations pour J. G. Choppart auprès de la Maison Griffith & Farrow. Le 20 janvier 1879, alors que, « avec le J.G. Choppart, deux albums sont actuellement prêts, et la Plante de Grimard10, très avancée », Daryl 8 Cf. : Jean Glénisson, « Théorie et pratique de l’adaptation chez P.J. Stahl ». In : Pierre-Jules Hetzel (1814 - 1886) Editeur, écrivain, homme politique, Ed. Technorama, 1986, pp. 36-41.

10 Ed. Grimard, La Plante. Botanique Simplifiée, Paris, Hetzel, s.d. [circa 1880], paru dans la collection « Contes et Romans de l’Histoire naturelle ».

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9 Julien Turgan, Les grandes usines de France : tableau de l’industrie française au XIXe siècle. [puis] Les grandes usines, études industrielles en France et à l’étranger (t. 2 - 19). Et : Les grandes usines de Turgan : revue périodique des arts industriels. Description des usines françaises et étrangères (t. 16 ; 17). Paris, Libr. Nouvelle Bourdillat (1860) ; Michel Levy frères (1865-1874) ; Calmann-Levy (1878-1883) ; Librairie des dictionnaires (1885), 19 vol., 6131 p.

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En plus de sa collaboration en tant qu’écrivain, journaliste et traducteur, Philippe Daryl exerce une fonction évidemment liée à l’activité précédemment évoquée, que l’on qualifierait aujourd’hui d’agent littéraire, quand il est à l’affût d’œuvres étrangères susceptibles d’alimenter le catalogue Hetzel , qu’il se propose de traduire ou d’adapter. A cela s’ajoutent divers travaux de rédaction de notices bibliographiques ou de légendes (par exemple pour un album d’Ernest Griset en mai 1889).


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indique qu’il va porter ses efforts sur des ouvrages plus récents et interroge Hetzel sur les conditions de cessions des clichés pour La découverte de la terre, Maroussia, Un drôle de voyage, La musique en famille et Les 500 millions de la Bégum ».11 Pour Le Chef au Bracelet d’or, dont l’édition anglaise n’est pas illustrée, il recherche des croquis. Il est ensuite sollicité pour les illustrations de La Mère Gigogne. A cette fin, Daryl approche Kate Greenaway en janvier

1881, sans succès. Il propose alors Randolphe Caldecott, qui a illustré toute une série d’albums pour l’éditeur Routledge, puis le dessinateur parisien Paul Renouard. Pour le projet d’album illustré de La Mère Gigogne, Daryl recommande « que le tirage se fasse à Londres, où l’art de la chromolithographie a atteint un haut degré de perfection »12. On voit que son rôle ne s’arrête pas à la recherche d’illustrateurs et d’illustrations. Ainsi, son activité est multiforme même si ses propositions ne sont pas toujours suivies, car Daryl a souvent les yeux plus gros que le ventre et Pierre-Jules 11 Lettre de Philippe Daryl à Pierre-Jules Hetzel, Londres, 22 novembre 1878, BnF. 12 Lettre de Ph. Daryl à P.-J. Hetzel, Londres, 27 janvier 1881, BnF.


13 Emilie Grousset, Récit de l’évasion de Paschal Grousset, écrit à Bastia en 1934 (Archives Romieu).

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A la suite de son arrestation en juin 1871, peu après la Semaine sanglante, Paschal Grousset est jugé et condamné à la déportation en enceinte fortifiée. Il passe un an au Fort Boyard avant d’être transporté en Nouvelle-Calédonie. Le père de Paschal Grousset, Alexandre, est également arrêté et finalement relâché. La famille Grousset se retrouve sans ressources et la propriété familiale est vendue. « Désormais nous étions bien tous et toutes, absolument dénués des biens de ce monde. Il ne nous restait plus que nos bras et nos cerveaux pour gagner notre pain, à la sueur de nos fronts, comme Dieu l’a voulu » racontera plus tard la plus jeune sœur de Paschal Grousset.13 La mère de Paschal Grousset décède le 8 septembre 1872 et son père le 13 décembre 1875. Lorsque l’évadé de Nouvelle Calédonie arrive à Londres le 23 juin 1874, il retrouve ses sœurs qui sont parties pour l’Angleterre en 1873, Anna la première, suivie de Marguerite, toutes deux placées au pair, tandis que son jeune frère Louis choisit la carrière militaire. A l’image du père Alexandre Grousset et du fils ainé, les sœurs de Paschal sont très cultivées. Anna (1846-1923), fut rédactrice au Temps, traductrice de l’Italien, excellant en musique, dessin et peinture. Marguerite (1854-1925), douée également en dessin et peinture, fit aussi carrière au Temps. Elle devint écrivain sous le pseudonyme de Joël Ritt (La Fin d’un roi, publié dans Le Temps en 1914, Filles d’Albion publié dans Le Temps en 1924), et traductrice de textes allemands : Le Journal d’une fille d’honneur (Librairie A. Colin, 1909, d’aprèsTagebuch einer Hofdame, de Hanns von Zobeltitz, 1905) est un roman destiné aux jeunes filles, dans l’esprit de ce que Daryl propose à Hetzel. Quant à Emilie (1861-1942), la plus jeune, elle obtient son agrégation d’allemand le 20 août 1893 (elle est semble-t-il la première femme à obtenir ce titre) et sera co-auteure de biographies avec son fils Georges Romieu : La Vie des sœurs Brontë (1929), La vie de Henri de Kleist (1931), La Vie de Georges Eliot (1932). A Londres ou dans d’autres lieux en Angleterre, ses sœurs donnent des cours, et contribuent sans doute à l’œuvre de leur frère, au moins sur le plan documentaire,

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Hetzel ne manque pas de le lui faire remarquer. Il convient donc de s’interroger sur ce qui motive cette suractivité protéiforme.


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peut-être aussi pour les traductions, voire pour certains éléments d’écriture. La situation de cette famille, d’abord exilée et qui fait le choix de rester en Angleterre (Anna et Marguerite ne rentrent que tardivement, semble-t-il autour de 1900, pour s’établir à Paris) – tandis que Paschal Grousset continue de se rendre fréquemment à Londres après l’amnistie des communards –, émeut sans aucun doute l’éditeur : « Ce que je puis vous dire, c’est que je pense, après vous, plus qu’un autre, à bien faire pour ce ménage touchant et intéressant dont vous m’avez parlé d’un frère et de ses quatre sœurs. (…) »14 Cette situation du frère et de ses quatre sœurs justifie la quête constante de travaux par Philippe Daryl. L’hypothèse d’un « collectif André Laurie » expliquerait non seulement la diversité et l’ampleur des propositions de travaux et des contributions effectives signées André Laurie ou Philippe Daryl, mais aussi certaines disparités de styles dans une œuvre de grande ampleur. Paschal Grousset fait en sorte d’envoyer de l’argent (sous le nom de Philippe Daryl), à son petit frère dès qu’il en a les moyens, notamment lorsque Louis est à l’école militaire de Saumur (il deviendra chef d’escadron de cavalerie). Passant en quelque sorte, après le décès des parents, du statut de frère à celui de père, les termes qu’il utilise pour s’adresser à son frère sont à cet égard révélateurs : « Mon cher enfant », « mon cher petit ». Tandis que, quand il écrit à ses sœurs, il s’adresse à [ses] anges chéries ». En 1876, Grousset se retrouve pratiquement sans ressources à Londres et demande « au chef respecté de toute [sa] parenté corse » d’intervenir auprès de son tuteur Luigi, car celui-ci ne lui envoie pas une somme qui lui est due, de peur de s’exposer à une réclamation de l’Etat qui a légiféré après la retentissante évasion de Grousset et ses compagnons. Il fallait en effet empêcher que les déportés et prisonniers politiques trouvent dans les ressources financières des moyens d’évasion. Grousset décrit alors de façon explicite sa situation et sa responsabilité : « je suis chef de famille : j’ai de lourdes charges, un frère à l’armée, une sœur en pension »15 (Emilie, qui est en France). C’est la précarité 14 Lettre de Pierre-Jules Hetzel à Philippe Daryl, 16 mai 1883, BnF. 15 Lettre à [Antoine de Morati], Londres, 7 décembre 1876 (Archives Romieu).


matérielle de Grousset et de ses frère et sœurs qui le conduit à céder ses premiers manuscrits et à multiplier les propositions de contributions à Hetzel... En établissant la biographie de Paschal Grousset16, j’avais émis l’hypothèse d’une collaboration familiale à l’œuvre d’André Laurie, sur la base de souvenirs transmis dans les familles Grousset et Hébrard. Un courrier d’Irlande adressé par Grousset à ses sœurs restées en Angleterre est de nature à rendre cette hypothèse plausible : « J’ai bien reçu les livraisons de Reclus et vos travaux variés. Merci mille fois mes anges. Vous me facilitez singulièrement les choses. Inutile de m’expédier les chapitres du roman japonais. Je les prendrai en rentrant du 10 au 15 juillet. »17 Dans un autre courrier à ses sœurs, il leur soumet plusieurs sujets de récits. Le premier concerne les souvenirs d’une vieille fille en 1830, sous forme de mémoire. Grousset considère que la société anglaise d’aujourd’hui, qui reproduit assez exactement les mœurs françaises de l’époque de la Restauration, peut leur servir de canevas. Pour ce qui concerne les renseignements techniques, les modes, etc., il se charge de les leur fournir quand ce sera nécessaire. Le deuxième sujet qu’il propose à ses anges est intitulé Les petites femmes : 16 Xavier Noël, Paschal Grousset, De la Commune de Paris à la Chambre des députés, de Jules Verne à l’olympisme, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, 2010. 17 Lettre de P.G. à « Mes anges chéries», Killarney, s.d. [juillet 1886], Archives Romieu. Autour d’un lycée japonais paraît peu après, en 1886.


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« Deux petites sœurs, l’une de 12 ou 13 ans, l’autre de 7 à 8, - de condition tout à fait modeste, cette fois, - se trouvent tout à coup orphelines et seules au monde, sans parents, sans amis, etc. Elles ont à lutter contre les difficultés de la vie et s’en tirent glorieusement. - Comment et pourquoi, - ce n’est pas notre affaire. - Ce qu’il y a de certain c’est que les enfants se conduisant en grandes personnes sont toujours un sujet intéressant. Voyez Dickens, etc... » Cette suggestion n’est évidemment pas sans évoquer le registre des trois nouvelles très dickeniennes signées Philippe Daryl : Histoire de deux enfants de Londres - Aventure nautique - Les bavardages de Fanny, parues chez Armand Colin dans la Bibliothèque du Petit Français en 1891. Grousset propose en guise de 3ème sujet : « Un volume de pièces pour enfants et pensions de filles. – Ceci peut se faire petit à petit, aux moments perdus, quand une idée se présente. » Le 4ème sujet est un volume de Contes de fées ; « c’est toujours bien accueilli » précise-t-il. Enfin, le 5ème sujet est : « Un volume de voyages, – n’importe où, – tout une famille ou même deux familles ensemble. » Paschal Grousset fait pour terminer une recommandation vraiment éclairante sur la façon dont peuvent être assurées les productions littéraires d’une partie de la famille Grousset : « Ne craignez jamais de faire trop de copie. Ce qui effraye les éditeurs ce n’est pas plusieurs volumes, c’est l’isolement d’un volume. Mais ce qu’il faut avant tout, c’est soigner soigneusement ce qu’on fait. »18 Nous tenons ici une clé de la conception sous la forme de séries de l’œuvre de Grousset-Daryl-Laurie. On notera enfin qu’au fil de sa collaboration avec ses sœurs, il n’hésite pas à leur apporter ses propres connaissances, que ce soit en matière de balistique, gravitation et astronomie, de médecine, d’instruction civique, allant par exemple jusqu’à leur donner de véritables cours de politique à partir de la notion de ballotage ou sur la situation en égypte. Il 18 Lettre de Paschal Grousset à ses sœurs, Londres, s.d., Archives Romieu.


s’agit d’un réel travail de collaboration qui se nourrit d’apports réciproques. Quand il les encourage dans leur travail Grousset recommande à ses sœurs de prendre pour modèle le plus grand des écrivains français. Quels sont les projets éditoriaux nouveaux que Philippe Daryl propose à P.-J. Hetzel ? Le premier porte sur une collection dédiée aux jeunes filles ; le second sur une collection spéciale bon marché, des œuvres du patrimoine classique en utilisant des méthodes adaptées, dans une démarche que l’on qualifierait aujourd’hui de marketing. Ce projet évolue par la suite vers une collection des grandes œuvres étrangères. Lorsqu’il propose à Hetzel en 1880 une collection pour les jeunes filles, il évoque ouvertement la possibilité d’associer l’une de ses sœurs au projet :

Il ne peut s’agir que d’Anna ou de Marguerite. Ce sont elles deux qui semblent travailler le plus étroitement avec Paschal. Dans une autre lettre qu’il adresse de Londres à ses sœurs il dit : « Je vois que les traductions sont plus difficiles à organiser que je n’avais pensé. Ne vous en inquiétez donc plus, mes anges, et travaillez à des adaptations ou compositions qui puissent rentrer toutes dans une série intitulée Bibliothèque des jeunes filles. Je vous promets que nous finirons par en tirer bon parti. Si vous pouviez avoir deux ou trois volumes prêts dans quelques temps, cela vaudrait la peine d’envoyer Tensette à Paris pour en activer le placement.20 L’autre grande idée éditoriale de Daryl est représentée par une collection des « Classiques de la Récréation ». Elle a pour origine

20 Lettre de P.G. à « Mes anges », Londres, s.d., Archives Romieu. Tensette est le surnom de l’une des sœurs de Paschal.

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19 Lettre de Philippe Daryl à Pierre-Jules Hetzel, Londres, 17 août 1880, BnF.

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« je ne renonce pas à l’idée de vous faire donner par une de mes sœurs, dans cette direction, des choses plus spécialement adaptées aux jeunes filles. C’est une enfant d’une intelligence supérieure, artiste dans l’âme, et que je me propose de diriger de ce côté, dans un an ou deux, quand mon propre apprentissage sera terminé, – si je puis ainsi dire : je ne doute pas que nous n’arrivions ensemble à des résultats satisfaisants. »19


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une note qu’il adresse à Hetzel 21 décrivant les choix commerciaux effectués par les librairies anglaises et américaines. Il propose : « de donner par exemple un Molière complet illustré en 3 fascicules ; un Voltaire complet en 30 fascicules ; Montesquieu, etc. (…) Cette entreprise devrait être une affaire à part, parallèle à celles de la maison ou des maisons associées qui la tenteraient. Il faudrait une imprimerie spéciale, un papier spécial, un mode de publicité particulier, par affiches illustrées, comme en Angleterre et en Amérique, pour atteindre les couches profondes de la population. (…) Il faudrait arriver, et ce ne serait pas fort difficile, à donner à ces publications un cachet à la fois artistique et démocratique qui manque un peu aux productions similaires de l’Angleterre et des Etats-Unis. » Hetzel et Daryl discutent de ce projet par correspondance au cours du premier trimestre 1883. Daryl soulève la question des droits d’adaptation qu’il souhaite en retirer, proposant en outre un prix de vente par volume avec une rétribution proportionnelle à leur tirage : « Je prévois dès à présent pour les « Classiques de la Récréation » une série d’ouvrages de premier ordre, signés des plus grands noms, empruntés aux littératures de tous les pays, et que je compte soumettre successivement à votre approbation, suivant un roulement régulier, dans une période de sept à huit années. Cette série, n’en doutez pas, bouchera un véritable trou dans votre catalogue et deviendra graduellement pour la maison un chapitre important d’affaires. Il va sans dire que je ne saurais prétendre un droit onéreux sur des travaux qui seront seulement des traductions nouvelles, des réductions ou des révisions attentives de l’original. Mais je crois trop à l’effet et au succès de l’ensemble pour ne pas tenir à ce que ce droit, si modeste qu’il soit, reste proportionnel. » (...) De la sorte : si la vente de l’ouvrage est lente, vous ne serez à découvert que d’une somme relativement peu importante pour frais d’adaptation (et ces frais seront les seuls droits d’auteur, tous les ouvrages dont il s’agit appartenant au domaine public) ; 21 BnF, Archives Hetzel, dossiers d’auteurs, Paschal Grousset, Pièce 78, s. d.


d’autre part, si la vente se développe, j’en profiterai dans une mesure équitable. » 22 Le projet ne parvenant pas à aboutir, Daryl menace de porter son idée des Classiques de la Récréation, sous un autre toit que celui de la Maison Hetzel. Il provoque une assez vive réaction de Pierre-Jules Hetzel qui commence par relativiser le caractère novateur de la proposition de Daryl : « La question pour nous n’est pas de renoncer à une idée qui a été la base de notre bibliothèque et de nos collections à l’usage de la jeunesse, c’est-à-dire à publier non seulement des livres nouveaux, mais encore tous les anciens classiques de la récréation véritablement dignes de ce nom. C’est par là que nous avons débuté dans le Magasin d’Education. Pour ne parler que de celui-là, nous avons donné le Robinson Suisse, revu par moi, et remis au courant de la science par Jean Macé.

Plusieurs de nos volumes témoignent que nous avons suivi ce double but, et nous avons en préparation avec leurs illustrations, les unes anciennes, les autres nouvelles, plusieurs ouvrages répondant à ce titre – les Classiques de la Récréation. Ce titre, nous ne serions donc en aucun cas décidés à l’abandonner, et ce ne serait pas parce que nous ne tomberions pas d’accord avec vous sur les formes à donner à notre vieille idée toujours poursuivie, que nous renoncerions à la poursuivre par nousmêmes. (...) Nous avons très sérieusement l’envie de faire cette opération. C’est à votre occasion et c’est pour vous que nous avions repensé à la remettre sur le tapis, et je n’aime pas beaucoup et même pas du tout que vous me parliez de la porter sur le tapis d’un autre, le lendemain du jour où je vous avais dit que j’avais besoin d’un peu de temps pour voir par quel bout elle pourrait être prise avec chance de succès. (...)

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Nous sommes en droit moral fondés à donner à nos abonnés d’anciens livres en même temps que des nouveaux, à les publier en volumes ou même dans les colonnes du Magasin.

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22 Lettre de Philippe Daryl à J. Hetzel et Cie, Paris, 30 mars 1883, BnF.


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Il y a encore une autre considération, c’est celle de la quantité à produire. Il ne faut pas faire plus de pain que les convives sur lesquels on compte n’en pourront manger. Eh bien ! a priori, douze volumes par an, c’est beaucoup de volumes. C’en est peut-être trop. Nous sommes de ceux qui ne veulent pas partir pour s’arrêter en route. Une maison comme la nôtre n’est pas de celles à qui il puisse être indifférent de voir une affaire mourir entre ses mains. Vous êtes solide, et croyez pouvoir tout faire à la fois ou tout au moins tout faire faire, sur certains points ? (...) Vous parlez de 200 volumes comme un autre pourrait parler de 5 ou 6. Vous croyez que parce qu’il s’agit de faire une collection composée de choses ayant déjà crédit sur le public, le public se jettera sur elles. Vous n’oubliez qu’une chose, c’est précisément parce qu’il s’agit de réimprimer des choses connues qui sont déjà sous toutes les formes dans les mains de tout le monde, qu’on peut se procurer partout et à tout prix, [que] la question de trouver une forme qui puisse être préférée à toutes les autres, [n’]est [pas] un problème facile à résoudre ! (…)23 » J’ai précédemment souligné l’intérêt de cette lettre pour la compréhension des relations entre l’auteur et son éditeur, qui se préoccupe de la saine gestion de son entreprise tout en ayant le désir d’aller de l’avant. Hetzel s’interroge aussi sur la capacité de l’auteur à produire autant qu’il le souhaite ; il redoute aussi, dans un passage que nous n’avons pas repris ici, le retour en politique de Grousset. Dans sa réponse le lendemain, Daryl précise un peu plus son projet des Classiques de la Récréation. Fidèle à son idéal de diffusion de la culture, Il évoque l’utilité de disposer d’un choix « de véritables livres de fond » qu’un éditeur comme Hetzel se doit d’avoir en catalogue : « L’important, c’est que ces ouvrages viennent dans un temps donné prendre place dans vos listes, où votre clientèle a en quelque sorte le droit de les trouver. » Pour rendre l’idée plus concrète il déroule plus de cinquante titres ou auteurs, dans « une liste éminemment élastique » 24 Daryl 23 Lettre de Pierre-Jules Hetzel à Philippe Daryl, 16 mai 1883, BnF. 24 Lettre de Philippe Daryl à Pierre-Jules Hetzel, Paris, 17 mai 1883, BnF.


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1 Robinson Crusoë [Daniel Defoe] 2 Gulliver [Jonathan Swift] 3 Le Dernier Mohican [James Fenimore Cooper] 4 David Copperfield [Charles Dickens] 5 Nicholas Nickleby [Charles Dickens] 6 La boutique du bric à brac [Charles Dickens] 7 La Petite Dorrit [Charles Dickens] 8 Mr Pickwick [Charles Dickens] 9 Ali Baba et les 40 voleurs 10 Aladin ou la lampe merv[eilleuse]. 11 Sindbad le marin 12 Poe : Hist[oire] extraord[inaires] (en dépit de Baudelaire) 13 Gordon Pym (abrégé) [Edgar Poe] 14 [Frédéric ]Marryat : Pierre simple [ aventures d’un aspirant de marine] 15 Le Vaisseau fantôme [Frédéric Marryat] 16 [William Harrison] Ainsworth : Guy Fawkes 17 Mervyn Clitheroe [Ainsworth] 18 [Nathaniel Hawthorne] : La lettre rouge 19 [Elizabeth Harriet] B[eecher] Stowe. L’oncle Tom 20 [Alessandro] Manzoni : Les fiancés 21 G[eorge] Eliot. Romola 22 [Vittorio] Bersezio : Récits piémontais 23 Frères Grimm : Contes (ceux que vous n’avez pas) 24 Andersen. –id25 La Prairie [James Fenimore Cooper] 26 Le Pilote [James Fenimore Cooper] 27 Le Corsaire rouge [James Fenimore Cooper] 28 L’Espion [James Fenimore Cooper] 29 Ivanhoë [Walter Scott] 30 L’antiquaire [Walter Scott] 31 Rob Roy [Walter Scott] 32 Quentin Durward [Walter Scott] 33 Peveril du Pic [Walter Scott] Pour mémoire : 34 Don Quichotte

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence

mélange titres de livres, noms d’auteurs, associe parfois les deux, utilise des abréviations, ajoute quelques commentaires, dans un recensement qui de toute évidence a été fait avec spontanéité. Nous respectons sa présentation donnée par Daryl en ajoutant des informations complémentaires (entre crochets) afin d’en faciliter la lecture :


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35 Perrault 36 Hoffmann : Contes fantastiques 37 [Fernán] Caballero : Contes d’Andalousie [pseudonyme de Cecilia Böhl de Faber y Larrea] 38 Contes de Mme d’Aulnoy 39 [Jean-Nicolas] Bouilly. Choix 40 [Arnaud] Berquin. Choix I v. 41 Théâtre I v. 42 de Maistre : [Les] Prisonniers du Caucase 43 B. de St Pierre : Paul et Virginie 44 Mrs Radcliffe : Le roman de la forêt 45 R[odolphe] Töpffer 46 Nicolas Gogol 47 Pouchkine 48 [Friedrich de la Motte] Fouqué : Undine 49 Cap. Cook. Choix de voyages 50 [François ?] Le Vaillant. Id [Edward George Earle] Bulwer-Lytton [William Makepeace] Thackeray : 1 ou 2 vol. W[ashington] Irving. etc… etc… Cette liste qui confirme l’ampleur de la culture de Grousset a une utilité comparable à la connaissance que l’on peut avoir de la bibliothèque d’un écrivain. Il est d’ailleurs possible que parmi les ouvrages mentionnés, certains figurassent dans la bibliothèque d’une centaine de livres envoyés par sa famille que Grousset a laissée en Nouvelle Calédonie. Avec cet inventaire, il y a matière à imaginer ce qui aurait pu entrer au catalogue Hetzel sous l’impulsion de Daryl, d’autant plus que l’on peut y constater une présence relativement faible des grands classiques pour la jeunesse et des œuvres étrangères. Dickens, que Grousset admirait tant, est évidemment à l’honneur puisque ses livres sont cités cinq fois. En ce qui concerne Walter Scott et Fenimore Cooper, également bien représentés, il faut noter que déjà, en 1881, Daryl avait proposé d’adapter, en collaboration avec un autre auteur, dix chefs d’œuvre du premier et cinq du second : « Je m’arrangerai avec un camarade à moi, fin lettré et sachant bien l’anglais, pour vous livrer cela en deux ou trois ans, très soigné et mis au point, – sans préjudice de mes autre travaux. Je pourrais même vous proposer un arrangement avantageux pour les illustrations (non pas avec des clichés anglais, qui sont


abominables, mais avec des dessins originaux, consciencieux et pas chers.) »25 Dans le même ordre d’idée, autour de 1881, il propose une collection pour la jeunesse, constituée d’adaptations de livres de la littérature anglaise, américaine, allemande, suédoise et russe, Daryl jugeant que ce champ spécial a été négligé par la collection Hachette ou les autres collections analogues pour se porter de préférence sur les romans destinés au grand public. Il donne comme titre : Collection de récits pour la jeunesse. Par les meilleurs auteurs étrangers, adaptés par X.

On peut considérer que la collection de la Petite bibliothèque blanche, lancée en 1878 (antérieurement à l’idée de Daryl) répond à cet objectif de faire un effort de production d’ouvrages bon marché. La collection compte quatre-vingt volumes jusqu’en 1914, dont la reprise de volumes du Nouveau Magasin des Enfants et de textes du Magasin d’Education et de Récréation. La collection comprend aussi plusieurs textes adaptés de l’anglais. En ce qui concerne l’édition des grands classiques, Hetzel avait déjà eu ce projet en 1862. Un prospectus avait même été imprimé, annonçant cent volumes, mais le projet n’a pas vu le jour. Quand Hetzel rachète en 1876 à l’imprimeur Lahure La semaine des enfants la cession comprend une petite collection des œuvres classiques français que Hetzel se borne à faire figurer en catalogue, mais pas à valoriser.27 Dans ce mode de collaboration développé par Daryl, consistant à signaler à l’éditeur des ouvrages pour enfants qui lui sembleraient

26 Lettre de Philippe Daryl à Pierre-Jules Hetzel, Londres, s.d. [circa 1881], BnF. 27 Nicolas Petit, « Inventaire des collections Hetzel ». In : Pierre-Jules Hetzel (1814 - 1886) Editeur, écrivain, homme politique, Ed. Technorama, 1986, pp. 70-79.

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25 Lettre de Ph. Daryl à P.-J. Hetzel, Paris, 17 octobre 1881, BnF.

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« Si vous approuviez mon idée sur le principe [dit-il, alors qu’il entrevoit la possibilité d’une vingtaine de volumes], je rassemblerai des matériaux à cet effet, je vous adresserai pour chaque volume particulier une analyse sur laquelle vous émettriez votre avis ; et finalement sur votre exequatur, j’établirai parallèlement avec mes autres travaux un roulement d’adaptations qui vous seraient exclusivement soumises. » 26


Xavier Noël

pertinents à publier, inspirés par les mœurs et curiosités anglaises, il y eut un précédent avec un autre exilé (avec lequel Grousset, d’après un rapport de police, a été lié en 1868). Le socialiste Alphonse Esquiros, réfugié une première fois à Londres après les journées de juin 1848, émigré une seconde fois en GrandeBretagne après le coup d’Etat bonapartiste, puis resté outreManche par choix personnel (un peu comme Daryl qui continuera longtemps à se rendre en Angleterre) a en quelque sorte ouvert la voie à Paschal Grousset en étant le premier à porter un regard sur la vie en Angleterre et en Irlande au travers de ses articles publiés dans La Revue des Deux Mondes, rassemblées en cinq volumes sous le titre L’Angleterre et la Vie anglaise (Hetzel, 1869). Compte tenu de tels précédents, les propositions de Daryl qui viennent réactiver comme pour les Classiques de la Récréation, « une vieille idée toujours poursuivie » ne trouvent pas un terreau favorable à leur émergence, car une réflexion analogue a déjà eu lieu. La prudence de Hetzel est de mise et ne répond pas à l’enthousiasme et à l’énergie de ce chargé de famille qui a trente ans de moins que lui.

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P.-J. Hetzel : éditeur par excellence – Revue Jules Verne n° 37

Baudelaire et Hetzel audelaire, qui aurait pu jouir d’une fortune personnelle, s’en vit très vite écarté par sa mère et fut, sur les instances de celle-ci, pourvu d’un conseil judiciaire, Me Ancelle, notaire à Neuilly. Il subit cette situation jusqu’à sa mort. Mais il mit un point d’honneur à assumer pleinement sa fonction d’homme de Lettres, dont il se plut à souligner la dignité particulière. De là, acceptée plus que contestée, la nécessité de gagner sa vie par ses œuvres, ce qui explique, par exemple, et justifie son travail de traducteur qui lui fit publier pas moins de cinq volumes chez Michel Lévy. L’un de ses premiers articles « Comment on paie ses dettes quand on a du génie » (publié anonyme dans le Corsaire-Satan, le 24 novembre 1845, puis signé « Baudelaire Dufays » dans L’Echo des théâtres du 23 août 1846) relate une anecdote concernant Balzac réduit à vendre plusieurs fois le même article à différents journaux pour en tirer le maximum de bénéfices. Un an plus tard, ses « Conseils aux jeunes littérateurs » (publiés par deux fois, signés « Baudelaire Dufays ») s’attachent, entre autres, aux salaires qui reviennent aux hommes de Lettres, et à leurs créanciers, inévitable engeance qui les poursuit. Les relations de Baudelaire avec ses éditeurs sont connues. Elles ont fait l’objet, en ce qui concerne Michel Lévy, d’études remarquables sous la plume de Jean-Yves Mollier. Quoiqu’on n’ignore pas sa relation avec Hetzel, je reviendrai sur elle, en me préoccupant plus, à vrai dire, de l’œuvre, au sujet de laquelle Baudelaire entretint avec lui une petite correspondance.

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Hetzel, avec Hachette, Charpentier, Lévy, Lacroix et quelques autres, régnait sur le monde de l’édition. Il avait, en outre, le mérite d’être un auteur non négligeable, spécialisé, certes, dans une forme de littérature dite enfantine qu’il dota de plus d’un titre appelés au

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence

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Jean-Luc Steinmetz

plus grand succès. Dans des périodes de l’Histoire particulièrement difficile ; il avait publié ou publiera de grands écrivains tels que Dumas, Sand et Hugo, et ce sera lui qui, plus tard, fondera avec Jean Macé le Magasin d’Education et de Récréation où s’imposera Jules Verne. Très au fait du monde littéraire, Baudelaire le connaissait de réputation. Ils étaient suffisamment proches pour qu’il lui recommandât La Cause du beau Guillaume de son ami Duranty, livre auquel il comptait donner une préface et qui fut effectivement publié par Hetzel en juin 1862. A partir du mois de novembre de cette même année, Baudelaire avait dû se résigner à admettre la déconfiture du premier éditeur de ses Fleurs du mal, Poulet-Malassis, qui, sur la plainte de l’imprimeur Poupart-Davyl, venait d’être condamné et incarcéré dans la prison pour dettes de Clichy. Il se tournera donc vers d’auteurs éditeurs et décide de quitter la France pour la Belgique. A dire vrai, son espoir est grand d’entrer là-bas en contact avec Lacroix et Verboeckoven qu’il pensait rencontrer à la suite de conférences qu’il allait prononcer à Bruxelles ou ailleurs. Malheureusement aucun réel contact ne s’établira entre les deux hommes. Baudelaire s’adresse alors à Hetzel pour lequel il avait une grande estime. Si, en juin 1862, il lui avait recommande La Cause du beau Guillaume de Duranty, en novembre, le 23, il s’était entremis auprès du même pour que celui-ci regarde avec sympathie et bienveillance un manuscrit du jeune Catulle Mendès, Les Amours frivoles. Sans connaître le volume, il ne doutait pas des qualités de l’auteur : « il a de l’esprit, du goût et souvent beaucoup de grâce. » Ce volume, au titre médiocre qui deviendra Philoméla, livre lyrique apprécié de toute la nouvelle génération, Hetzel ne tardera pas à le publier, illustré par Bracquemond, celui qui avait orné d’un portrait en frontispice Les Fleurs du mal de 1861. Dans Philoméla, on remarque un poème « Pantéléia », dédié à Baudelaire. Mendès, jeune poète parnassien plein d’entregent, avait


créé en 1861 la Revue fantaisiste où pouvaient se lire de Baudelaire neuf des dix notices qui devaient prendre place dans l’Anthologie des poètes français d’Eugène Crépet, et, le 1er novembre, neuf poèmes en prose du futur Spleen de Paris. Attentif à la nouveauté, sensible à l’état d’esprit de son siècle, ouvert à de multiples initiatives, Hetzel, en écrivain qu’il était appréciait particulièrement la formule presque inédite du poème en prose telle que l’avait illustrée Baudelaire. A Arsène Houssaye, directeur littéraire de La Presse, il demande de publier dans ce grand quotidien populaire des poèmes en prose de Baudelaire, et l’on se souvient que, sous le titre de « Petits poèmes en prose », paraîtront effectivement trois séries de textes, les 26 et 27 août et le 24 septembre 1862. Une quatrième série (poèmes chiffrés XXI à XXVI) restera sur épreuves. L’appréciation donnée par Hetzel à leur sujet est l’une des plus clairvoyantes énoncées sur le moment. Elle est restée célèbre à juste titre, car elle signale une ample prise de connaissance de l’œuvre en cours et formule un jugement dont on peut estimer encore le bien fondé :

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Le fait qu’il ait eu conscience de la profonde originalité de Baudelaire à une époque où dominait encore une forme de pensée classique dans la façon d’apprécier les arts, ne saurait nous surprendre. L’originalité même, loin d’être considérée comme une qualité, passait plutôt pour un défaut – ce que Baudelaire, par ironie, avait souligné dans son poème en prose « Les Vocations » (où il utilise, il est vrai, un autre terme, celui d’« incompris »). Le mot s’éclaire d’autant quand dans ses Paradis artificiels, il évoque l’artiste que « l’école romantique [nommait] l’homme incompris » et que « les familles et la masse bourgeoise flétrissent généralement de l’épithète d’original. » Sous la plume d’Hetzel, « original » vaut sans conteste comme un compliment. C’est assurément la prose des « Petits poèmes en prose » qu’il tend à louer ici, son exactitude et son pouvoir de capter des scènes contemporaines bientôt

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« Baudelaire est certainement le prosateur le plus original et le poète le plus personnel de ce temps. Il n’y a pas de journal qui puisse faire attendre cet étrange classique des choses qui ne sont pas classiques. »


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transformées en apologues. Mais il tient aussi à lier l’originalité de la prose au tempérament poétique de Baudelaire, individu unique qui se distingue de la pensée commune et d’une littérature du tout venant, plate et sans nerfs. Grâce à Hetzel, Baudelaire devient ce « classique des choses qui ne sont pas classiques », un écrivain à part placé sous le signe d’une catégorie nouvelle, l’étrange, (qui nous renvoie à Poe) et traitant de sujets ignorés jusqu’alors, en somme tout ce que refusait ou négligeait la « belle poésie », celle des fleurs et non des Fleurs du mal. Placer l’étrange près du classique, c’est risquer l’oxymore le plus fécond et définir déjà la place que Baudelaire occupe pour nous désormais. Hetzel, qui est un styliste (on le voit bien aux remarques constantes qu’il adresse à Jules Verne et au caractère de sa propre écriture, nette et expressive) perçoit avec évidence la qualité de l’expression baudelairienne, sa justesse, son rythme, ses différences d’intensité. En dehors de toute raison commerciale, c’est l’un de ses titres de gloire que d’avoir ressenti et distingué Baudelaire à propos d’un genre si neuf (le poème en prose) à une époque où ce poète était aussi ardemment décrié qu’admiré. En strict opposant au régime impérial, Hetzel voyait en outre dans la récente condamnation des Fleurs du mal la marque insupportable de l’autorité morale de Napoléon III et de ses choix esthétiques entre tous critiquables. Irrité de l’indifférence de Lacroix à son égard et ne pouvant revenir à Poulet-Malassis interdit de publications en France, Baudelaire s’est donc tourné vers Hetzel qui occupait une place reconnue dans le monde de l’édition. Par contrat en date du 13 janvier 1863, il lui vend le droit de publier à l’exclusion de tous autres pour cinq ans 1° Les Poèmes en prose 2° Les Fleurs du Mal, alors qu’il avait déjà cédé à Poulet-Malassis le 24 mai 1861 (contrat renouvelé le 1er juillet 1862) l’exclusivité de ses œuvres. Le même contrat établi avec Hetzel mentionne « le premier volume de nouvelles que M. Baudelaire se propose de faire et les autres


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Dans une lettre légèrement postérieure datée du 20 mars 1863, Baudelaire avait nommé pour la première fois Le Spleen de Paris l’œuvre sur laquelle il travaillait et que, jusqu’à maintenant, il avait désignée lors de publications partielles en revues soit comme « Poèmes nocturnes », soit comme « Petits Poëmes en prose ». Le nouveau titre peut avoir été motivé par son exil volontaire en Belgique. Il peut également, en tant que génitif subjectif, signifier le spleen éprouvé à Paris même et non pas le regret qu’en terre étrangère il aurait ressenti à l’égard de la capitale. Le même courrier assure qu’il « attache une grande importance à ce livre, mais que, selon son habitude, il ne cesse de le retravailler : « […] je le remanie et je le repétris ». A prendre en compte ces derniers mots, il semblerait que l’ouvrage ait été déjà constitué dans sa totalité. Mais sans doute n’en était-il rien. Les années suivantes, en effet, verront la naissance d’autres textes ; des corrections nombreuses interviendront et surtout une interrogation constante portant sur le plan d’ensemble qui, finalement, malgré une liste établie, restera inachevé, le nombre de texte prévus pouvant s’amplifier considérablement. Dans la même lettre encore, Baudelaire suggère à Hetzel d’en « offrir quelques fragments à Buloz qu’il publierait simultanément ». Buloz dirigeait la Revue des deux mondes et Baudelaire pensait au gain présumable d’une pareille opération et au surcroît de réputation que lui attirerait cette illustre revue. Se souvenant, qui sait ? de son « Comment on paie ses dettes quand on a du génie » il sera coutumier du procédé consistant à placer plusieurs fois le même texte dans plusieurs journaux ou revues pour en multiplier les bénéfices. La publication successive et par poignées (osera-t-on dire) de ses Petits poèmes en prose montre assez qu’il suivit cette méthode en toute conscience, en présumant qu’entre de tels lieux de publication (notamment les périodiques) et ses Petits poèmes en prose, il y avait une compatibilité remarquable, mieux, l’opportunité du support le mieux adapté, capable de produire à partir du quotidien (et dans un quotidien) la poésie qui revient à notre monde moderne, passager, hybride,

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volumes qu’il intitule provisoirement ou définitivement Mon cœur mis à nu. » Baudelaire reçoit alors 1200 francs en deux effets, l’un de mille, l’autre de deux cents.


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orphelin de la beauté. Buloz, cependant, ami de George Sand que détestait Baudelaire, restera sourd aux propositions d’Hetzel inspirées par Baudelaire. Avec une belle confiance en lui-même, Baudelaire affirme à son futur éditeur : « je puis vous garantir un livre singulier et facile à vendre ». Ces cinq derniers mots qu’il souligne prennent valeur de caractéristiques essentielles rejoignant l’originalité déjà perçue par Hetzel et montrant de la part de Baudelaire le souci d’atteindre un public, un lectorat qu’il entend former à de nouvelles sensations, à une nouvelle morale paradoxale. Baudelaire n’oublie pas qu’Hetzel est un commerçant, mais il ne le lui reproche pas. Tout comme le Balzac d’Illusions perdues qu’il admire, il tient compte, au contraire, des réalités économiques que suppose le métier d’écrivain. Quant à la singularité qu’il revendique, elle fait partie des qualités toujours mises en avant par lui qui se veut, comme Poe, un homme singulier par le comportement et ici par la forme, un individu, ce qui ne l’empêche pas de rencontrer le plus grand nombre ni d’interpréter les foules et les comportements grégaires, en analyste du temps présent. Une lettre du 8 octobre 1863 détaille l’ampleur de son projet et montre en quoi il y est engagé : « […] les 2 volumes ne pourront vous être livrés que dix mois après l’époque convenue. » Il s’agit, dans ce cas, plus spécialement de la nouvelle édition des Fleurs du mal, après la deuxième publiée en 1861 par Poulet-Malassis. Comme il est indiqué « les Fleurs du Mal seront complètement prêtes » et les morceaux inédits « classés à leur place ». Baudelaire désigne ainsi un fameux exemplaire de la deuxième édition, qui n’a pas encore été retrouvé, et qui comportait des feuilles intercalaires. Il revenait à Hetzel de le publier. Mais, outre les promesses oubliées faites à Malassis et que j’ai rappelées plus haut, on sait les atermoiements que Baudelaire lui-même aimait imposer. Quant au second ouvrage prévu dans le contrat, il est décrit avec ces intéressantes précisions : « Dans Le Spleen de Paris il y aura cent morceaux – il en manque trente… J’ai pris le parti d’aller faire vos trente morceaux à Honfleur. » Le départ pour Honfleur était prévu pour le 16 octobre


La même lettre annonce la décision qu’il a de partir le 1er novembre 1863 pour Bruxelles et son intention de « lecturer » là-bas, comme disaient Poe et Whistler, devant un auditoire qu’il espère fourni et qui, hélas ! manquera à l’appel. Sachant Hetzel au courant des mœurs littéraires et des salles de lecture en ce pays, il n’hésite pas à lui demander conseil. En réalité, Baudelaire, qui anticipait, ne viendra en Belgique qu’en avril 1864.

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Le commerce brouille souvent les relations d’un auteur avec son éditeur. La dette qu’avait Baudelaire envers Poulet-Malassis, auquel le liait la plus grande amitié, n’avait pas été levée et le poète se trouvait avoir revendu à Hetzel des droits sur des ouvrages pour lesquels il avait déjà perçu une avance de la part de son cher « Coco mal perché ». Procédé indélicat, même si une situation financière plutôt désastreuse l’expliquait, mais ne l’excusait pas. En Belgique où l’insuccès l’avait accueilli, il vivait des heures

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence

1863, le retour pour le 30. On apprend par ce courrier que Baudelaire s’était donné un chiffre pour composer la série de ses poèmes en prose, et celui de 100 rejoint – on le pense, un instant– le nombre des pièces en vers des Fleurs du mal dans la première édition de 1857. Ce n’est pas indiquer cependant qu’aux pièces de vers auraient correspondu systématiquement des morceaux en prose, malgré le titre choisi qui, durant les dernières années, comportera l’intrigante précision : « pour faire pendant aux Fleurs du Mal ». Trente nouveaux poèmes à ajouter laisserait supposer, par ailleurs, que soixante-dix auraient déjà été rédigés (ou mis en chantier). Or, nous ne disposons que de cinquante poèmes en prose dans l’actuel Spleen de Paris publié posthume, à quoi s’ajoutent des listes de projets et quelques brouillons, de rédaction plus avancées pour certaines pièces. En réalité, Le Spleen de Paris fut un livre en constante évolution, composé en trois parties qui n’apparaissent que sur les plans retrouvés. Et Baudelaire semble bien optimiste ou étonnamment confiant quant à son art et quant à sa capacité de création lorsqu’il annonce trente poèmes qui pourraient être rédigés durant un demi-mois à Honfleur, dans la maison-joujou de sa mère. Tout juste de nos jours parvenons-nous à en repérer deux qui auraient été composés durant ce laps de temps : « Le Confiteor de l’Artiste » et « Le Port ».


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sombres. Son humeur quotidienne s’en ressentait, s’aggravait en haine universelle. Le 8 mai 1864 il écrit à Hetzel qu’il est fâché de voir son nom prostitué dans des livres pour lesquels il n’a aucun goût. Il incriminait ainsi le Parnasse satyrique du XIXe siècle où Malassis avait inclus les « pièces condamnées » en 1857. L’éditeur alençonnais, en effet, poursuivait maintenant en terre étrangère son entreprise et s’y employait avec zèle et inventivité. A cette occasion il avait retrouvé Baudelaire, comme en témoigne la lettre qu’il envoie le 9 juin 1864 à Charles Asselineau, lettre peu rancuneuse, étant donnée la conduite désinvolte de Baudelaire à son égard : « Il a suffi que nous nous rencontrions pour que tout soit oublié. » Mais il ajoute : « Il persiste à rester à Bruxelles, non pas à cause de l’éditeur Lacroix, éditeur littérairement chimérique, mais à ce que je crois pour l’étonnement où le jette une population où il ne rencontre jamais, si ce n’est moi, visage de créancier. » Néanmoins, en cette période, Baudelaire, déçu par Lacroix et Verboeckoven, continuait de travailler pour Hetzel et lui faisait de fermes promesses : « Je ne retournerai pas non plus à Paris, sans avoir fait le dernier fragment du Spleen de Paris. J’avais besoin de changer de place ; j’étais devenu malade et enragé ; de quoi ? je n’en sais rien. » Voilà donc en quels termes il raisonne à propos de cette œuvre en cours, comme s’il avait un programme qu’il devait remplir par fragments selon un plan fixé. La préface à Arsène Houssaye, naguère publiée le 26 août 1862, parlait d’un « petit ouvrage » d’une « tortueuse fantaisie » et précisait : « Hachez-la en nombreux fragments et vous verrez que chacun peut exister à part. » Reste que le terme de « fragment » réclamerait une longue analyse et que la lecture des « petits poèmes en prose » n’engage pas à y voir une mosaïque, pas plus que des textes refermés sur eux-mêmes et possiblement ajointés. Le sens du mot « fragment » en l’occurrence demeurera donc en attente pour Baudelaire et, qui plus est, pour nous, et nous ne saurions le raccorder, même en passant, à l’esthétique du fragment telle que l’avait exprimée l’illustre Athenaeum des frères Schlegel. La relation entre Hetzel et Malassis, prévenu de la conduite de Baudelaire envers lui, évoluera avec de part et d’autre la meilleure compréhension souhaitable. Dans la contestation qui ne pouvait manquer d’avoir lieu entre eux, l’estime que tous deux portaient


Malgré la situation épineuse où ils se trouvaient l’un vis à vis de l’autre, Baudelaire allait garder à Hetzel toute sa considération. De celui-là il appréciait le comportement, la conscience professionnelle, le savoir, l’amour des lettres. Le 15 mars 1865, il lui adresse fidèlement ses Histoires grotesques et sérieuses publiées par Michel Lévy, traduction d’un certain nombre de contes de Poe. Dans ses Amoenitates Belgicae, autrement dit ses « Agréments de la Belgique » – cela dit par antiphrase – il consigne l’opinion d’Hetzel sur le faro, boisson qui l’intéresse en tant que révélatrice de la mentalité d’une nation et même élément propre à compléter ses observations d’ethnologie morale. Comme on le sait, le faro est une bière légèrement agrémentée de sucre et de lambic de coupage. Par esprit satirique, Baudelaire décrit son interlocuteur, Hetzel, quand il entend le mot « faro » : « Je vis un peu d’horreur sur sa mine barbue », et il recueille avec soin sa réponse à la question concernant ce breuvage : « c’est de la bière deux fois bue. » - ce qui lui permet ce distique conclusif en manière d’apologue :

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à leur auteur atténue le grave conflit que celui-ci, par inattention, négligence ou précipitation, aurait pu provoquer. Le 5 avril 1865, Baudelaire signale encore à Armand Fraisse que ses « poèmes en prose paraîtront dans la seconde partie de cette année chez Hetzel, sous le titre Le Spleen de Paris, pour faire pendant aux Fleurs du Mal ». Mais le mois suivant, le 5 juillet, il revient sur ses imprudents engagements : « Il me faut beaucoup de bravoure pour aller vous voir, quelque aimable que vous soyez. », avoue-t-il à Hetzel qui, du reste, sans difficulté, résoudra l’affaire. « Hetzel me dégage contre remboursement », signale Baudelaire le lendemain à son agent littéraire Julien Lemer. Hetzel, qui lui a rendu sa parole, mettra certes du temps à être remboursé, puisqu’il ne touchera son dû qu’après la mort du poète. Le 14 mai 1868, Ancelle lui verse la somme de 600 francs, la moitié des 1200 francs encaissé par Baudelaire pour la vente de ses œuvres, puis, le 15 janvier 1872, 200 francs. Restaient les 400 francs qu’il dut obtenir par la suite, mais pour le versement desquels ne subsistent pas de traces officielles ni officieuses.


Jean-Luc Steinmetz

« Je compris que c’était une manière fine De me dire : Faro, synonyme d’urine. » On n’engagera pas plus avant un débat sur ce breuvage qui risquerait de mettre à mal des accords franco-belges peut-être encore problématiques. Hetzel en cette petite scène est montré comme un homme d’esprit, peu sensible aux délices d’OutreMeuse, en quoi il s’entend avec Baudelaire, fort partial en ce domaine. D’Hetzel et de Baudelaire on ne saurait dire beaucoup plus présentement. En tout état de cause, ce ne fut pas une histoire d’amitié, mais de réciprocité légèrement intéressée qu’on ne peut en aucun cas réduire à des préoccupations d’ordre mercantile. Hetzel a pris la parfaite mesure de l’intelligence et du génie de son auteur en puissance. Le caractère hors du commun de Baudelaire, loin de l’effrayer, l’a séduit. En excellent éditeur, en explorateur et en pionnier, il a estimé la valeur morale et commerciale des Fleurs du Mal et surtout du Spleen de Paris. Baudelaire s’engageant avec lui, avec une certaine imprudence certes, signifiait quelle confiance il lui témoignait, quitte à bientôt le décevoir. On aurait aimé que de son vivant, parût Le Spleen de Paris à l’enseigne de Hetzel, l’auteur de Maroussia et l’adaptateur des Quatre filles du docteur March. Mais Baudelaire, incertain quant à son dernier livre qui témoignait d’une expérience nouvelle, a cédé à une forme de procrastination qui lui était habituelle. Et l’ouvrage allait paraître posthume, incertain de composition, inachevé. Hetzel dans la vie de Baudelaire aura signifié un hâvre jamais atteint, mais aussi un homme par dessus tout estimable qui s’entendait aux choses de la littérature et savait de quels mirages et de quelles volontés contredites elles procèdent.

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Renoir BACHELIER

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence – Revue Jules Verne n° 37

l’étonnante collaboration Hetzel et Proudhon

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Cette collaboration est étonnante dans la mesure où Hetzel et Proudhon ne partagent pas les mêmes opinions politiques ni, du reste, une même approche du texte et de ses enjeux. Hetzel appartient à une tendance républicaine modérée1, tendance que Proudhon n’hésite pas à critiquer, lui qui se présente déjà comme un anarchiste. Malgré quelques opinions très progressistes, Hetzel ne saurait être qualifié de révolutionnaire et sa tendance à censurer Jules Verne, à s’excuser auprès de minorités offensées, prouve son attachement à la bienséance.

1 Les opinions politiques d’Hetzel demeurent encore floues. Il n’y a que peu de textes permettant de les connaître et ces derniers n’ont fait l’objet que de très peu d’analyses.

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A quand remonte la découverte de Proudhon ? Sa notoriété débute en 1840 lorsqu’est publié l’essai Qu’est-ce que la propriété ? qui contient la fameuse réponse « C’est le vol ». Dès lors, Proudhon apparaît comme un écrivain redoutable et redouté. C’est pour cette raison qu’au moment de présenter La Guerre et la Paix à Hetzel, et de façon à calmer les inquiétudes de ce dernier,

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a collaboration entre Hetzel et Proudhon dure une année et aboutit à la publication de deux ouvrages : La Guerre et la Paix (1861, deux volumes) et Théorie de l’impôt (1861, un volume). Le second ouvrage est la publication d’un manuscrit qui a permis à Proudhon de remporter un concours officiel organisé par le canton de Vaud. Nous le laisserons de côté dans cet article pour privilégier les discussions qui entourent la genèse et la publication de La Guerre et la Paix. Ces dernières s’avèrent plus nombreuses et apportent suffisamment d’éléments pour cerner la relation entre les deux personnalités.


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il n’hésite pas à évoquer un ouvrage inoffensif. Il pousse même l’exagération jusqu’à dire que le gouvernement s’en trouvera ravi. Cette pratique l’amène à produire un discours autocritique résolument contradictoire car composé d’élans révolutionnaires, provocateurs d’un côté et d’une revendication d’innocence de l’autre. Hetzel s’amuse de cette posture lorsqu’il répond à Proudhon le 15 janvier 1861 : « Prenez garde de trop me rassurer. « Mon livre, m’écrivez-vous, non seulement ne causera aucun ennui au gouvernement, mais il en sera charmé. Il m’en fera des compliments. » Ces trois petites lignes-là me feraient plus de peur que le reste si je ne les croyais pas un peu hyperboliques. Mais de peur, pourquoi serait-il question entre nous, soit dans un sens, soit dans l’autre ; ma lettre contenait-elle quoi que ce soit qui pût ressembler à une inquiétude ? Hélas ! cher monsieur, nous n’en sommes plus à pouvoir faire acte de témérité. Quand un livre est porté à un imprimeur, et que ce livre est signé Proudhon, nom terrible, le susdit imprimeur, quel qu’il soit, y regarde à sept fois avant de le donner à la composition, et il ne risque l’affaire que si le risque est nul. C’est ainsi que l’absence de censure directe crée la pire des censures, la censure indirecte, la censure de l’industriel, la censure de la machine, vingt fois plus brutale que ne le serait la censure politique. Soyez donc tranquille ; quant à moi, à moins que tous les imprimeurs de Paris ne refusent l’impression, votre livre paraîtra, et je crois fermement que, l’administration n’en dûtelle pas être charmée, elle le laissera paraître2. » Il faut en effet rejoindre Hetzel et répéter que publier Proudhon présente un risque pour l’éditeur du XIXe siècle. Comme l’attestent 2 A. Parménie et C. Bonnier de la Chapelle, P.-J. Hetzel. Histoire d’un éditeur et de ses auteurs, Paris, Albin Michel, 1985, pp. 352-353.


En dépit de cette difficile réputation, Pierre-Jules Hetzel décide de prendre contact avec Proudhon en avril 1855 pour lui proposer ses services5. Malgré des discussions assez avancées avec Hetzel, Proudhon, fidèle aux frères Garnier, publie avec eux De la justice dans la Révolution et dans l’Eglise (1858). L’ouvrage auquel s’intéresse Hetzel vaudra à Proudhon trois ans de prison et 4000 francs d’amende. Cet essai s’oppose à la religion chrétienne pour vanter les mérites de la religion du travail6. A la suite de cet échec, la correspondance avec Hetzel s’interrompt jusqu’en 1861. À ce 3 Voir Michel Brix, préface des articles de Charles Augustin Sainte-Beuve, P.-J. Proudhon. Sa vie et sa correspondance, 1838-1848, Paris, Editions du Sandre, 2010, p. 15. 4 D’autres articles ont été consacrés à Proudhon, notamment un du catholique Eugène de Mirecourt en 1855 qui fit beaucoup réagir Proudhon. Voir Pierre Haubtmann, Proudhon, t. 2 « 1855-1865 », Paris, Desclée de Brouwer, 1988, pp. 11-18.

6 Cet intérêt d’Hetzel, loin d’en faire l’éditeur frileux qu’ont souvent dépeint les verniens, prouve combien il sait se montrer téméraire. Son rôle dans l’édition de La Guerre et la Paix le montre.

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5 A. Parménie et C. Bonnier de la Chapelle expliquent cette rencontre par l’intérêt d’Hetzel pour « tous les grands courants d’idées, toutes les personnalités puissantes ou originales » et par le fait qu’il ne « s’effrayait pas […] [d]es audaces de la pensée », idem, p. 253.

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ses nombreuses condamnations (prison, amendes), Proudhon incarne, de par ses positions très tranchées, un danger aux yeux de la bourgeoisie. Souvent caricaturé, méconnu du grand public, Proudhon est vu « comme une sorte de brute aveugle, un épouvantail, un « homme terreur » (Jules Lechevalier, 1849), un individu aigri par la misère, animé d’une haine obsessionnelle des riches, déterminé à déclencher contre eux des ouragans et à faire table rase de la société contemporaine3. » Il est réduit à des sentences caricaturales comme « La propriété, c’est du vol » et ne parvient pas à se défaire de son image de polémiste. Il faudra attendre l’année de sa mort (1865) et une série d’articles publiés par Sainte-Beuve dans la Revue Contemporaine pour voir l’image de Proudhon se métamorphoser progressivement4. Le ressentiment à l’égard de Proudhon n’était pas cantonné à une opposition droitière et touchait même le clan socialiste. Parmi divers actes d’hostilité, retenons l’essai Misère de la philosophie de Karl Marx, qui donne la réplique à la Philosophie de la misère de Proudhon.


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moment-là, Proudhon termine son ouvrage La Guerre et la Paix7 et le propose aux frères Garnier. Ces derniers, après consultation de leur avocat, décident de ne pas prendre de risque et refusent le manuscrit (même si la censure est favorable). Sachant son ami en quête d’un éditeur, Rolland8 renoue les contacts avec Hetzel. Proudhon, abattu par ce refus, se montre d’abord réticent : « Je suis touché de l’empressement que vous avez mis, cher ami, à me pourvoir d’un éditeur ; et je vous serai obligé de faire mes remerciements très sincères à M. Hetzel, mais je suis dégoûté des libraires parisiens, et indigné au plus haut degré contre la lâcheté humaine9. » Finalement, il accepte de négocier avec Hetzel par l’intermédiaire de Rolland en espérant que les Garnier « s’en mordront les doigts ». La Guerre et la Paix sera un livre « que tout étudiant en droit devra acheter d’ici un siècle10 » et dont il ne cèdera pas la propriété pour moins de 20.000 francs11. Une édition en Belgique et en France est alors décidée : Michel Lévy sera le libraire. Néanmoins, celui-ci fait marche arrière à la dernière minute craignant de voir son nom apparaître sur la couverture. Un arrangement est trouvé avec le libraire Dentu pour cacher le nom de Lévy et l’édition paraît en avrilmai 186112. Le livre connaît un succès de « surprise » et de scandale13. Les propos élogieux de Proudhon sur la guerre 7 La proximité du titre avec l’ouvrage de Tolstoï Guerre et Paix n’est pas une coïncidence. Proudhon et Tolstoï se sont rencontrés et l’écrivain russe a gardé une excellente impression du philosophe français. Pierre Haubtmann, Proudhon, t. 2, op. cit., p. 220. 8 Le citoyen Rolland connaissait bien Hetzel puisqu’il lui avait fourni des traductions de l’Allemand. 9 Pierre-Joseph Proudhon, Lettres au citoyen Rolland (5 octobre 1858 – 29 juillet 1862), Paris, Grasset, 1946, lettre du 23 décembre 1860, p. 111. 10 Proudhon, Lettres, op. cit., lettre du 9 janvier 1861, p. 116 (pour les deux citations). 11 Voir Pierre Haubtmann, Proudhon, t. 2., op. cit., p. 206. 12 Idem, p. 207. 13 Idem, p. 208.


dérangent14 et celui-ci se plaint d’être incompris15. S’il se montre satisfait des qualités de l’éditeur (et de l’édition) Hetzel16, Proudhon ne cache pas un certain mépris pour ce « garçon d’esprit ». Peu avant la sortie (janvier 1861), il explique à Rolland qui continue à jouer les intermédiaires : « Hetzel a déjà pris l’alarme, je m’y attendais. Je le crois excellent garçon, mais son tempérament n’est pas le nôtre ; il est ombrageux et a besoin de ménagements. Je lui en ai trop dit sur l’épouvantement des Garnier. Recommandez-lui toutefois de ne pas me faire faux bond pour l’édition de Paris. Il faut qu’elle marche du même pas que l’autre : sinon, il peut s’attendre que l’épithète de blagueur ne lui manquera pas17. »

14 Edouard Jourdain revient sur cette polémique dans son ouvrage Proudhon, un socialisme libertaire, Paris, Michalon, 2009, pp. 93-101. Il ne m’est pas ici possible de développer sur le contenu de l’ouvrage. Celui-ci reste néanmoins librement consultable sur Gallica aux adresses suivantes : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2205326/f4.image.r=proudhon.langFR http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k220531t/f4.image.r=hetzel.langFR Je renvoie par exemple à la préface pour observer la posture de Proudhon qui se pose à la fois en novateur et en martyre tout en soulignant que son ouvrage n’a rien d’extraordinaire. Le premier chapitre offre également un échantillon de la provocation dont sait faire preuve Proudhon avec son « Salut à la guerre ! » Œuvres complètes de Proudhon, t. XIII, Paris, Lacroix et C°, 1869, pp. 31-32. 15 « Hetzel et ses conseils m’épluchent à quatre, comme on fait pour tout écrivain suspect, et si cet honorable éditeur a consenti à se charger de mon livre, vous pouvez penser qu’il n’y a rien, comme on dit, c’est-à-dire rien, qui puisse raisonnablement mécontenter le gouvernement. » Lettre à M. Mathey, 10 avril 1861, Correspondance de P.-J. Proudhon, t. X., Paris, Lacroix, 1875, p. 344.

17 Idem, p. 207. 18 Idem, p. 202.

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16 En mars 1862, lorsqu’il retourne vers les Garnier pour Du Principe fédératif, il confie à Rolland : « Je ne doute pas que Hetzel, s’il avait été chargé de ma petite publication, ne l’eût faite rondement », Proudhon, Lettres, op.cit., p. 256.

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Puis, lorsque Rolland lui annonce que Hetzel et lui n’ont pas la même interprétation de la deuxième partie du livre, Proudhon réitère ses critiques : « Hetzel est un garçon d’esprit, qui a du goût, qui me flatte en comparant mon style à la peinture de Rembrandt, – rien que cela ! – mais qui est incapable de saisir une suite aussi longue de raisonnements que celle de mon livre II18. » La critique de Proudhon sera très variée : elle portera sur les comptes de ses


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éditions, sur des questions d’actualité mais, également, sur l’intérêt de Hetzel pour Victor Hugo19 ou même sur le don d’une édition illustrée des Contes de Perrault aux étrennes. Si la verve critique de Proudhon est tant affirmée, c’est aussi parce que Hetzel le met à rude épreuve. Les verniens connaissent bien la propension d’Hetzel à intervenir à tous les niveaux de l’établissement d’un texte ; or ce traitement n’est pas réservé exclusivement à Jules Verne et Proudhon doit également remanier régulièrement ses textes. Cela est d’autant plus curieux que, si Hetzel peut faire valoir une réputation littéraire face à Verne (celle de Stahl et de ses fréquentations prestigieuses), ses prises de positions politiques passent inaperçues (malgré son passé d’exilé). Proudhon oppose donc une résistance bien plus forte que Verne tout en louant les qualités d’Hetzel : « Puisque vous faites tant que de me lire, ce qu’aucun de mes éditeurs n’a fait jamais, ayez l’obligeance de noter les passages qui vous paraîtraient trop durs soit pour notre démocratie, soit pour ses préjugés20. » Il concède quelques retouches mais accompagne chacune des critiques de plusieurs pages d’explications. Aussi, Hetzel doit-il céder bien plus souvent qu’il en aura l’habitude avec Verne devant la ténacité de Proudhon. L’illustre bien cette lettre du 15 janvier 1861 dans laquelle Hetzel renouvelle sa promesse d’éditer Proudhon : « Je vous ai parlé de mes opinions, et vous ai dit qu’elles n’aimaient pas les monologues, que votre livre dût-il les contrarier en quelques points je serais heureux d’aider à sa publicité, et là-dessus vous me taxez d’intolérance21. » Cette lettre ébauche une des raisons pour lesquelles le très bourgeois Hetzel aurait pu vouloir éditer Proudhon. Il est 19 Lorsque Hetzel envisage l’achat des droits pour Les Misérables, Proudhon déclare à Rolland que c’est là une grande erreur car « [il] ne croi[t] pas que la postérité [qu’il situe à 1900] […] retienne 200 pages de lui. » Idem, p. 209. Cette hostilité pour Victor Hugo tient pour beaucoup à ses positions sur la propriété littéraire. Hugo et Hetzel partagent le même point de vue (cf. infra.) 20 A. Parménie et C. Bonnier de la Chapelle, Hetzel, 19 mars 1861, op. cit., p. 356. 21 Idem, p. 353.


Dans une lettre datée du 22 mars 1861, Hetzel utilise une terminologie familière aux verniens en affirmant à Proudhon son « envie très sincère de vous être utile et agréable ». La serviabilité d’Hetzel participe toutefois d’une ambition plus large. En effet, derrière les arguments avancés dans sa lettre du 15 janvier 1861 (voir supra) (ouverture démocratique) et qui atteignent rapidement leurs limites (pourquoi Proudhon plus qu’un autre ? pourquoi pas une édition française de Bakounine ou de Marx23 ?), des intérêts financiers et personnels surgissent. A. Parménie et C. Bonnier de la Chapelle reviennent sur ces raisons avant d’expliquer la fin de leur relation (p. 405). Selon eux, Hetzel admire Proudhon, apprécie son écriture, son indépendance, son approche parfois absolue des choses ; mais Hetzel ne peut éditer Proudhon sans prendre un certain nombre de risques qui nuiraient à sa réputation. Hetzel explique à Rolland sa désolation de le voir gâcher son talent, lui qui « aurait pu être le Montesquieu, le Jean-Jacques Rousseau du XIXe siècle ». Il devrait avoir davantage une attitude d’auteur et chercher à grouper ses œuvres, ses idées pour les offrir à la postérité. 22 Loin de pouvoir étoffer cette idée ici, il faut juste préciser que les romans verniens ne laissent notamment aucune place aux autres classes. Ce ne sont, pour le dire très sommairement, que bourgeois, ou nobles au travail (ce point étant même discutable, cf. Roland Barthes, « Par où commencer ? », Œuvres complètes, t. IV., Paris, Seuil, 2002, pp. 86-94.), qui véhiculent un système de valeurs conformes à l’idéologie dominante.

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23 Notons trois éléments évidents : faire une édition d’auteurs étrangers supposent de payer un traducteur, ce qui accroît le coût de l’édition et le risque couru ; un philosophe de la politique étranger a de moindres chances d’être bien accueilli en France ; Proudhon est davantage connu à l’époque et génère un potentiel de ventes supérieur.

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vrai qu’Hetzel a joué un rôle politique en 1848, qu’il a connu l’exil en Belgique aux côtés d’un Victor Hugo et a participé à certaines de ses éditions clandestines. Cependant, Hetzel n’est pas un révolutionnaire : même en 1848, il évolue aux côtés des modérés. Le Magasin d’Education et de Récréation, son projet laïc et républicain, témoigne d’un réel progressisme mais contribue à propager une hégémonie de classe22.


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Cette fin est donc logique pour trois raisons : 1– Hetzel ne peut pas être associé à Proudhon et toutes ses polémiques. 2– Proudhon refuse une édition de ses œuvres complètes et préfère éparpiller son talent dans des brochures. 3– Proudhon constate que Hetzel se montre favorable à la propriété littéraire, ce qui est en complète contradiction avec sa position24. Il s’en explique d’ailleurs à Rolland puis à Hetzel : « Hetzel ayant pris parti pour la propriété littéraire, et me forçant à lui dire qu’il ne connaît pas la question, j’ai cru qu’il convenait que je confiasse à d’autres le soin de ma publication, non que je me défiasse de la loyauté de Hetzel, mais par respect pour l’opinion, et pour ma propre cause25. » « Vous ne comprendrez jamais que la perpétuité change du tout au tout la nature des droits d’auteur, qu’elle fait de lui, non plus un échangiste qui se rembourse, mais un rentier qui perçoit ses fermages ; ce qui est une tout autre chose. Vous ne comprendrez jamais, je le crains, que le domaine intellectuel est inappropriable, justement, à l’inverse de la terre qui est partageable, appropriable, et qui a dû l’être…26 » Malgré cet intérêt mutuel à cesser leur collaboration, Hetzel a de réels avantages en perspective lorsqu’il prend contact 24 Hetzel publie en 1858 (donc avant la collaboration avec Proudhon) un bref essai intitulé La propriété littéraire et le domaine public payant dans lequel il se prononce pour un domaine public payant infini (les éditeurs paient à vie un pourcentage aux héritiers pour éditer une œuvre). Il s’oppose à l’idée d’un domaine public accessible après cinquante ans (notre système actuel plus ou moins) ou encore à l’idée qu’une œuvre publiée par l’Etat tombe immédiatement dans le domaine public (ce qui serait le ruiner et mettre son argent au profit d’entreprises lucratives). Les idées d’Hetzel (approuvées par Hugo) ne l’emporteront pas au congrès de Bruxelles de cette même année. Proudhon adopte une position antipropriété, s’opposant à la « vénalité littéraire » dans son essai Les Majorats littéraires (1862, juste après la fin de sa collaboration avec Hetzel). Ces deux contributions participent à un débat plus large sur le droit de propriété au XIXe siècle qui englobe de nombreuses participations. La Maison des Sciences de l’Homme Paris-Nord s’intéresse depuis quelques années à ce débat et des contributions peuvent être lues, analysées sur leur site. 25 Proudhon, Lettres, op. cit., p. 257. 26 P. Haubtmann, Proudhon, t. 2, lettre du 12 avril 1862, op. cit., p. 277.


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De plus, après 1861 et les publications de La Guerre et la Paix et Théorie de l’impôt, Hetzel se tourne vers un autre auteur qui permettra à sa maison d’assurer des gains exceptionnels. Il focalise son attention sur le Magasin d’Education et de Récréation après sa découverte de Jean Macé et ne souhaite certainement pas s’embarrasser de polémiques néfastes aux ventes. Il serait en effet difficile de conjuguer la publication d’œuvres révolutionnaires comme celles de Proudhon (associées à l’idéologie de la Commune) et faire de la jeunesse bourgeoise et des institutions publiques sa cible de marché.

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avec Proudhon. Premièrement, sa volonté est d’étoffer son catalogue en intégrant le plus grand nombre d’auteurs confirmés (Balzac, Baudelaire, Sand, Hugo, Barbey d’Aurevilly, Proudhon) ou en devenir (Zola, Verne). Cette liste d’auteurs vraiment très hétéroclites montre combien l’éditeur Hetzel conçoit son catalogue comme une encyclopédie du XIXe siècle. Il cherche à insérer un maximum de tendances, de conceptions, de publics et de modes d’écriture pour rendre compte de son époque. Hetzel bénéficie également d’une extraordinaire clairvoyance lorsqu’il s’agit de découvrir des auteurs ou de trier dans la production contemporaine les ouvrages (ou auteurs) qui auront un avenir et sauront se révéler emblématiques de leur siècle. Il croit en Proudhon (le comparant à Montesquieu, Rousseau, Rembrandt) mais doit abdiquer devant le tempérament ingérable du FrancComtois. Deuxièmement, publier Proudhon et ses scandales est profitable : la Théorie de l’impôt, publiée à 5.000 exemplaires en France (3.000) et en Belgique (2.000) à la fin d’octobre 1861, connaît un succès retentissant : 4.400 exemplaires écoulés en un mois. Hetzel pouvait donc nourrir de réels espoirs en publiant un auteur qui devait marquer son siècle, contribuer au renouvellement de la philosophie et permettre d’importants gains. Néanmoins, il se heurte très rapidement à la difficulté des négociations avec Proudhon : le philosophe reste dans une constante justification et refuse de transiger sur ses idées ; il manifeste beaucoup de suspicion à l’encontre d’Hetzel et ce malgré quelques lettres très personnelles.



Volker DEHS

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Quand Jules Verne rencontre Pierre-Jules Hetzel

Bernard Frank dans sa biographie, qui n’est qu’une faible imitation du livre de Marguerite Allotte de la Fuÿe, nous gratifie même d’un dialogue dramatique entre Hetzel et Verne, comme s’il avait été présent en personne dans la chambre de l’éditeur où il situe la scène de la rencontre.3 Même A. Parménie et C. Bonnier

2 Lettre adressée à Catherine Bonnier de la Chapelle du 28 avril 1952. Bibliothèque nationale de France. NAF 17008, f° 225. 3 B. Frank : Jules Verne et ses voyages. Flammarion, 1941, pp. 104-110.

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1 M. Allotte de la Fuÿe : Jules Verne, sa vie, son œuvre. Simon Kra, 1928, pp. 115123 ; Hachette, 1953 et 1966, pp. 89-94.

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence

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a rencontre entre Jules Verne et son éditeur Hetzel compte certainement parmi les événements les plus importants dans la vie de ces deux hommes. Il n’est donc pas étonnant que ce sujet ait toujours préoccupé leurs biographes mais, paradoxalement, on ne savait presque rien ni sur la date précise ni sur les antécédents de la publication de Cinq semaines en ballon. Marguerite Allotte de la Fuÿe, dépourvue d’informations crédibles, inventa de toutes pièces sa version de l’introduction de Verne chez Hetzel. Elle raconte que Jules, découragé par le refus de plusieurs éditeurs aurait mis le manuscrit de Cinq Semaines en ballon au feu, d’où sa femme l’aurait retiré. Pour anticiper quelque peu, on peut dire qu’il s’agit là d’une pure invention.1 Vingt-cinq ans après la publication de sa biographie, elle préparait une émission radiophonique et envisagea de faire présenter Jules Verne à Hetzel par l’entremise de Nadar.2 Autre légende qui a eu la vie dure !


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de la Chapelle, dans leur œuvre monumentale sur Hetzel, datent la rencontre trop tardivement de l’automne 1862 et, une fois de plus, attribuent l’idée de Jules Verne d’écrire Cinq semaines en ballon aux expériences de Nadar avec son ballon Le Géant.4 Or, il a été démontré sans équivoque que le Géant n’était pour rien dans cette affaire : le roman de Verne a paru en janvier 1863 alors que Nadar n’a commencé d’envisager la construction du Géant que six mois plus tard, dans l’intention d’alimenter sa Société d’encouragement pour la navigation aérienne au moyen du plus lourd que l’air.5 Le premier vol auquel Jules Verne aurait dû participer6, n’eut lieu que le 4 octobre 1863. On peut exclure que Verne a fait la connaissance d’Hetzel à l’initiative de Nadar. Il est par contre très possible que ce soit par Hetzel que Jules Verne ait été mis en relations avec Nadar. Les spectacles liés à la construction et au lancement du Géant ont bel et bien inspiré un Voyage extraordinaire, mais De la Terre à la Lune et non Cinq semaines en ballon. Les archives Hetzel à la Bibliothèque nationale de France conservent deux documents étonnants : il s’agit de deux invitations aux dîners des Onze-sans-femmes, le cercle d’amis qui aurait été fondé par Jules Verne et le compositeur Aristide Hignard dans les années 1850.7 Ce sont, soit dit en passant, les seuls documents connus attestant l’existence de ce cercle, et ils sont d’autant plus intéressants qu’ils nous donnent les portraits des membres, non pas onze... mais quinze ! On identifie entre autres, dans la colonne droite, de haut en bas : un inconnu (Léo Delibes ?), Charles Wallut, Aristide Hignard (qui ressemble terriblement au jeune Pierre4 A. Parménie et C. Bonnier de la Chapelle : Histoire d’un éditeur et de ses auteurs. P.-J. Hetzel (Stahl). Albin Michel, 1953, p. 427. 5 V. Dehs : « Jules Verne, Nadar, Hetzel. Questions de rapports, de chronologie et d’argumentation. » In Bulletin de la société Jules Verne n° 163, septembre 2007, pp. 45-57. La présente communication complète cet article. 6 Voir le Figaro n° 901 du 4 octobre 1863, p. 6. Jules Verne est cité en 4e position parmi les 13 passagers prévus. 7 Département des manuscrits, NAF 17063 (Papiers personnels), f° 112 et 113. F° 112 a été publié (en miniature) dans Jean-Paul Dekiss : Jules Verne. Un humain planétaire. Editions Textuel, 2005, p. 30.


Jules Hetzel), Jules Verne lui-même et le compositeur Charles Delioux. Les deux invitations ont été écrites par le journaliste Philippe Gille, autre ami de longue date de Jules Verne, mais qui ne les a malheureusement pas datées. Compte tenu des dates indiquées (« Mardi 4 mai » et « Mardi 6 Juillet »), il faut qu’elles soient de 1852 ou de 1858, alors qu’Hetzel était encore en exil. Mais il rentrait régulièrement en France et à Paris, grâce à une autorisation que lui avait procurée George Sand. Si Hetzel a donc assisté à un de ces deux dîners, il a pu faire la connaissance de Jules Verne longtemps avant la conception de Cinq semaines en ballon. Toutefois, on peut craindre que cette hypothèse soit une impasse car, comme le nom d’Hetzel n’est pas indiqué sur les documents, rien ne nous permet d’affirmer avec certitude que Philippe Gille les a adressés à Hetzel. Il est également possible qu’il s’agisse là de documents que Jules Verne aurait laissés à son éditeur, à une époque non déterminée.

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Très heureusement, un biographe de Jules Verne, le publiciste Henri d’Alméras (1861-1938), a eu la bonne idée de s’adresser directement à l’écrivain, en vue d’un article qu’il voulait lui consacrer dans son ouvrage Avant la gloire, leurs débuts. Parmi diverses questions sur le théâtre de jeunesse, il s’est aussi intéressé


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à la rencontre de Jules Verne avec Hetzel, car l’écrivain lui répond sans ambages dans une lettre inédite du 6 août 1902 : « C’est Bréhat qui pour la première fois m’a présenté chez Hetzel en 1861.8 » Comparons cette phrase avec la version publiée par Alméras : « Sur ces entrefaites, Jules Verne, recommandé par Alfred de Bréhat, se présenta dans le cabinet de l’éditeur, en portant sous son bras le manuscrit de Cinq semaines en ballon. Ainsi se trouvèrent réunis, vers le milieu de l’année 1862, un auteur qui était en quête d’un éditeur, et un éditeur qui cherchait un écrivain.9 » Sans s’en douter, le journaliste a commis une erreur, comme on le verra par la suite, en évoquant Cinq semaines en ballon que Verne n’avait pas indiqué explicitement dans sa réponse. En tout cas, le rôle du romancier Alfred de Bréhat dans l’affaire paraît désormais établi. Verne conserva non seulement plusieurs romans de Bréhat dans sa bibliothèque, mais le cite dans une liste des personnages qu’il a rencontrés au cours de sa vie.10 De son vrai nom Alfred Guézenec, il était né le 25 septembre 1822 (non en 1826, comme le prétendent certaines sources) à Bréhat, fils d’un officier de marine. Il avait entrepris de nombreux voyages en Angleterre, aux Indes, en Amérique et à Madagascar, qui avaient miné sa santé. Rentré à Paris, Bréhat fut collaborateur des journaux La Patrie et L’Opinion nationale et publia une vingtaine de romans de voyage, dont Le Capitaine Fitzmoor, ou la révolte des cipayes dans le Musée des familles (1858) et plusieurs autres dans la collection Hetzel 8 Autographes du siècle. Catalogue n° 4, 2011, p. 44. www.autographes-du-siecle. com/catalogue2011.pdf 9 Henri d’Alméras : Avant la gloire. Leurs débuts, deuxième série. Paris : Société Française d’Imprimerie et de Librairie 1903, p. 203. Texte reproduit dans JeanMichel Margot : Jules Verne en son temps, vu par ses contemporains francophones (1863-1905). Amiens : encrage, 2004, pp. 215-226 : p. 224. 10 Bibliothèques d’Amiens Métropole, JV MS 28 n° 82.


dès 1857. Affaibli par la tuberculose, il décéda prématurément le 20 janvier 1866 et tomba vingt ans plus tard dans oubli total, bien que ses romans aient connu une certaine popularité, sinon parmi le grand public, du moins parmi les critiques qui lui attribuaient du talent, de la finesse et du goût.11

La date proposée par Verne pour sa rencontre avec Hetzel (1861) est troublante car elle précède celle de 1862 que l’on a admise jusqu’à présent et qui correspond à celle donnée par Verne à Hetzel dans une lettre de 1876 : « J’ai aujourd’hui 48 ans, – l’âge précisément que vous aviez quand je vous ai connu, en 1862. »12 Mais il est possible que cette remarque ne s’applique pas à leur première rencontre, mais plutôt à l’année où des rapports plus suivis se sont installés entre l’auteur et son éditeur. Quoi qu’il en soit, il existe un témoignage ignoré qui suggère que cette première rencontre pourrait très bien remonter à 1861 et n’aurait

12 Nantes, 7 [!] février 1876. Correspondance inédite de Jules Verne et de PierreJules Hetzel. Tome II. Genève : Slatkine, 2001, p. 94. Evidemment, Verne prend en compte la date de réception de la lettre, le lendemain 8 février.

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11 Voir sur Bréhat, dont on ne connaît pas de portrait : Revue anecdotique des lettres et des arts, nouvelle série, tome 3, 1861, pp. 238-239 ; Le Figaro n° 1142, 25 janvier 1866, p. 7. Jules Levallois, préface aux romans posthumes de Bréhat, La Sorcière noire (1866) et La Belle Duchesse (1873) ; J. Levallois : Mémoires d’un critique. Librairie illustrée, 1895, pp. 275-276, ainsi que les articles dans le Vaperau et le Grand Dictionnaire de Larousse.

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Son œuvre reste à examiner pour savoir si elle a pu influer sur les Voyages extraordinaires. Sans doute ne faut-il voir qu’une coïncidence dans le fait que Jules Verne publia fin 1855 une chanson intitulée « En avant les Zouaves », tandis que Bréhat fit paraître, quelques semaines plus tard, un « Chant des Zouaves ». Autre rencontre, le titre de son roman L’Héritage de l’Indoue (Brunet, 1866) n’est pas sans rappeler celui des Cinq Cents Millions de la Bégum (1879). Toujours est-il que son roman le plus connu, les Aventures d’un petit Parisien, paru chez Hetzel quelques semaines avant Cinq semaines en ballon et dédié au fils d’Hetzel, montre des similitudes incontestables avec Un Capitaine de quinze ans (1878).


Eugène Muller

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pas concerné le roman Cinq semaines en ballon mais le récit que Jules Verne avait écrit après son voyage en Angleterre et en Ecosse en 1859. Le témoignage en question est dû au romancier Eugène Muller (182613-1913) et son authenticité ne me paraît pas douteuse, vu les liens qui attachaient Muller à Hetzel. Son premier livre, les Récits enfantins, avait paru chez Hetzel en 1861 et c’est Muller qui avait écrit le Nouveau Robinson suisse (remanié de suite par un certain P.-J. Stahl) pour inaugurer en 1864 le Magasin d’Education et de Récréation. Il consacra en 1886 un article à l’éditeur, récemment décédé, et c’est là que l’on trouve le passage suivant : « Une autre fois, arrêté à la porte de son cabinet qui était entr’ouverte, je l’entendais ripostant à l’observation, timide sans doute, d’un visiteur : " Eh ! Laissez-moi donc tranquille avec votre Angleterre ! Est-ce que, par hasard, vous croyez l’avoir découverte, l’Angleterre ? Quelle drôle d’idée ! Un garçon qui a comme vous de l’esprit, du style, du savoir, de l’imagination, car vous avez tout cela, on le voit dans ce manuscrit, qui pourtant ne signifie rien, ne vaut rien : Voyage en Angleterre. Je vous demande un peu ! Fourrez-moi ça dans un coin, au feu même, pour n’y plus penser, et revenez me voir avec quelque chose qui ne soit pas ça. A bientôt, je l’espère, à bientôt ! " Le garçon, un manuscrit sous le bras, passa devant moi, l’air assez contristé. 13 D’après les documents de la Légion d’honneur. Le catalogue de la Bibliothèque nationale, en suivant le dictionnaire biographique de Vapereau, le confond avec un autre Eugène Muller et lui attribue la date de naissance de 1823.


Quelques mois plus tard, tout était en l’air chez Hetzel, pour la prochaine mise en vente du livre d’un inconnu, que d’immenses affiches devaient annoncer, qu’on allait envoyer à toute la presse... " J’ai trouvé quelqu’un, disait Hetzel à tout venant, je vous assure que j’ai trouvé quelqu’un ! "

Le roman refusé n’a paru qu’en 1989, plus d’un siècle après le témoignage de Muller. Le manuscrit du Voyage en Angleterre et en Ecosse porte en effet les traces de la main d’Hetzel qui a noté sur la première page l’adresse de l’auteur : « M. Jules Vernes [sic] / 18, passage Saulnier ».15 Le refus un peu brutal de ce roman s’explique peut-être par le fait qu’Hetzel venait juste d’éditer de 1859 à 1861 les cinq volumes de L’Angleterre et la vie anglaise (réédités en 1869) de son ami Alphonse Esquiros (1812-1876) dont la documentation était bien autrement sérieuse que les plaisanteries parfois un peu maladroites de Jules Verne. Qui plus est, ce refus historique peut éventuellement expliquer une autre énigme de l’œuvre vernienne : je veux parler de l’état fragmentaire du roman sur le voyage entrepris en juin 1861, Joyeuses Misères de Trois Voyageurs en Scandinavie. Le premier chapitre, très probablement le seul écrit, finit précisément là où commencent les notes prises pendant le voyage et fut très probablement écrit 14 Eugène Muller : « Un éditeur homme de lettres. J. Hetzel. – P.-J. Stahl. » In Le Livre. Revue du monde littéraire. Archives des Ecrits de ce temps. Bibliographie rétrospective, 7e année 1886. Paris : A. Quantin, pp. 138-148 : p. 146. Publication disponible sur Gallica. L’existence de cet article avait déjà été signalée en 1950, dans une plaquette peu connue, Douze ans de silence, éditéé par la Société Jules Verne, mais le titre de la revue demeurait inconnue.

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15 Voir le fac-similé de cette page dans le Bulletin de la Société Jules Verne n° 93 (1989), p. 8, ou le manuscrit mis en ligne sur le site de la Bibliothèque municipale de Nantes (www.bm.nantes.fr/). Sur la même page, Jules Verne a ajouté au crayon son nom et les deux adresses : 41 boulevard de Magenta (rayé) et 18 passage Saulnier. On n’a pas encore pu déterminer avec certitude à quelle date le déménagement a eu lieu.

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Ce quelqu’un, dont le livre s’appelait Cinq semaines en ballon, c’était le garçon qui n’avait pas découvert l’Angleterre ; c’était Jules Verne.14 »


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avant ce déplacement, pour être continué après le retour. Une fois congédié par Hetzel pour le Voyage en Angleterre, Verne ne paraît plus avoir cru pertinent d’élaborer ses souvenirs (ce qu’il ne fit que plus de vingt ans plus tard, par le roman Un billet de loterie (1886)). Ceci correspond précisément au deuxième semestre 1861 et confirmerait la date proposée par Jules Verne pour la première rencontre avec Hetzel, dans sa lettre adressée à Alméras. En suivant les conseils de l’éditeur, il se serait mis à concevoir plutôt un projet qui sortirait du cadre conventionnel et serait plus extraordinaire. Ce fut donc Cinq semaines en ballon, annoncé dans le Figaro pour le 15 janvier 1863, jour du 49e anniversaire de celui qui, par le refus d’un ouvrage précédent, avait inspiré sa genèse.




Jean-Yves PAUMIER

P.-J. Hetzel : éditeur par excellence – Revue Jules Verne n° 37

La première œuvre de la longue série des Voyages Extraordinaires ne peut être le fruit du hasard. C’est avant tout à lui-même que Jules Verne doit sa vocation littéraire. Il fallait la ténacité d’un Breton pour rompre avec un avenir si bien préparé. Le giron familial constituait un cadre rassurant et solidaire. L’étude d’avoué de son père offrait un fauteuil, un métier et un destin assuré. Mais la ville de Nantes était également de nature à favoriser ce goût de la mer et de la navigation qu’elle avait elle-même contribué à créer. Jules savait bien que Nantes accorde ses faveurs à ceux qui osent, qui vont, qui entreprennent, en souvenir de la devise de la ville datant du XIVe siècle, Favet Neptunus Eunti. L’écrivain s’est forgé lui-même, se portant à Paris pour y découvrir patiemment le monde des lettres, menant une vie parfois difficile au plan matériel. À force de fréquenter les salons littéraires, d’écrire dans le Musée des familles, de se consacrer au théâtre, et même d’y travailler de rencontre en rencontre, d’Alexandre Dumas à Pierre-Jules Hetzel, sa vocation littéraire s’est ainsi précisée.

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L’analyse de cet itinéraire montre bien l’éclosion d’une œuvre qui est le fruit d’une démarche volontaire, la chance se mérite à condition de la provoquer. Il n’est donc pas inutile de mettre en évidence la mise en place progressive de cette « signature Jules Verne » devenue si célèbre. Un roman d’aventures et populaire, à la fois ancré dans les préoccupations de l’époque et mettant en scène – les mêlant même – des composantes jusque-là quelque peu étrangères à la littérature : la géographie, les sciences, les nouveaux modes de transports, la prospective Tout cela figure

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Pour un ballon d’essai... vernien ce fut le coup de maître...


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bien dans la gestation et la composition de ce voyage de cinq semaines qui va donner le ton de toute une œuvre avant d’inspirer quelques successeurs. L’esprit nantais et l’âme bretonne, la passion de la géographie et le goût des voyages aventureux vont conduire le jeune Verne à larguer les amarres du port de Nantes et à prendre place dans le vaisseau de la littérature en naviguant à reculons – déjà ! – dans les terres jusqu’à Paris. Je vous propose ainsi de consulter les éphémérides de Jules pour y relever quelques dates et quelques faits qui marquent l’évolution du futur écrivain vers ces Cinq semaines en ballon et son entrée définitive en littérature. Premiers ballons Divers ballons se sont bien envolés dans le ciel nantais durant la jeunesse de Jules Verne, certains d’entre eux ne l’ayant sans doute pas laissé indifférent. Peut-être était-il présent le 2 septembre 1838 pour assister à une fête organisée en l’honneur du « petit prince » Philippe d’Orléans, le petit-fils du roi Louis-Philippe1 : un ballon accompagna des courses en canot sur l’Erdre, un spectacle gratuit sur la place Royale et un feu d’artifice. L’esprit curieux du futur écrivain a forcément entendu parler d’un autre événement qui n’est pas passé inaperçu sur le quai de la Fosse en 1844, rendu épique par un incident s’avérant très vernien : « Un aéronaute se livre à des exhibitions de montgolfière. Un incident extraordinaire manque de transformer le spectacle en drame : emportée par un coup de vent, la montgolfière échappe à tout contrôle ; une corde, terminée par un grappin, qui pend de la nacelle, accroche par le pantalon un jeune spectateur, lequel s’élève alors, tête en bas, dans les airs. L’histoire finit bien : le jeune garçon atterrit en douceur, près de la filature Guillemet. Le docteur Libaudière, et le préfet en personne, arrivent les premiers sur place, pour rasséréner l’enfant qui est sain et sauf. »2 1 Né le 24 août 1838, Philippe d’Orléans deviendra le prince royal héritier du trône après le décès de son père en 1842. Mais le comte de Paris restera un prétendant malheureux, trop jeune en 1848 lors de l’abdication de son grand-père, et ne parvenant pas à unifier véritablement la Maison de France. Il décédera en exil, le 8 septembre 1894. 2 M. Aussel, Nantes sous la monarchie de juillet, Ouest Editions, Nantes, 2002, p. 245.


Première rencontre fondatrice Avant même la rencontre décisive avec Hetzel, c’est une autre et première rencontre qui va s’avérer fondatrice, près de quinze ans plus tôt, pour l’entrée de Verne dans l’univers des lettres, celle de Pitre-Chevalier (1812-1863). Breton, né à Paimboeuf – l’avant-port de Nantes sur la Loire avant la création du port de Saint-Nazaire en 1856 – Pierre-Michel-François Chevalier va lui aussi réaliser à Paris ses rêves d’écriture, s’appuyant sur quelques relations, notamment Alfred de Vigny. Journaliste et écrivain, Pitre-Chevalier devient rédacteur en chef du Figaro à la suite d’Alphonse Karr, puis, en 1849, directeur du Musée des Familles. C’est dans cette revue qu’il accueillera les premiers essais et nouvelles de Verne, régulièrement

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3 C’est ainsi, par exemple, que son oncle F. de La Celle de Chateaubourg, un peintre miniaturiste apparenté au grand Chateaubriand, lui ouvre les portes du salon de Madame Barrère.

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Premiers écrits En dehors de compositions poétiques consignées dans deux carnets, Jules Verne écrit en 1847 Un prêtre en 1839, son premier roman, de type gothique, resté inédit de son vivant et qui ne sera publié qu’en 1992 à l’initiative de la Ville de Nantes devenue propriétaire du manuscrit. Il n’a donc pas encore vingt ans, mais déjà un goût prononcé pour l’écriture, annonciateur d’une véritable ambition littéraire qui s’affirmera toujours plus chaque jour. Dans le même temps, il poursuit ses études de droit pour faire plaisir à son père qui voit en lui le successeur tout désigné de son étude d’avoué. Etudes qui le conduisent à Paris pour les achever, licence et thèse comprises… et surtout qui lui offrent une occasion exceptionnelle d’approcher le monde littéraire, déjà très parisien à cette époque. Fréquentant son « clan breton » et divers salons littéraires3, y rencontrant quelques célébrités comme Alexandre Dumas, Jules Verne s’oriente très rapidement vers l’écriture théâtrale, et pas seulement parce qu’il s’est installé en novembre 1848 rue de l’Ancienne Comédie, en compagnie de son ami nantais Edouard Bonamy. Dès 1849, il publie Les Pailles rompues, comédie en un acte et en vers, qui sera représentée l’année suivante à Paris au Théâtre historique de Dumas, et à Nantes au Théâtre Graslin.


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de 1851 à 1855, puis jusqu’en 1872. Le premier texte signé de son nom fut L’Amérique du Sud. Etudes historiques. Les Premiers navires de la marine mexicaine4, suivi peu après de Un Voyage en ballon5. Il est cependant fort probable, même si la question fait toujours débat, que ses premiers écrits furent antérieurs, signés sous des pseudonymes, selon les récentes recherches menées

4 Musée des Familles, tome 18 (1850-1851), juillet 1851, pp. 304-312. 5 Musée des familles, tome 18 (1850-1851), août 1851, pp. 329-336 ; précédé en juillet par une « Enigme scientifique » annonciatrice.


Toujours en restant dans La science en famille, j’ajouterai d’autres textes éventuellement attribuables à Jules Verne, ceux signés Noblet parus en 1854 sur le thème Mécanique. L’horloge et la montre. Comme d’autres noms, tel Gaspard, celui de Noblet n’est pas mentionné sur la liste des auteurs du Musée des Familles publiée à la fin de chaque volume, ce qui conduit à douter de l’existence de l’auteur, sauf à admettre qu’il s’agit du pseudonyme d’un contributeur identifié mais cité sous un autre nom. La preuve manque, mais l’hypothèse est à prendre en considération. Si donc Noblet et Verne ne faisaient qu’un, il faudrait alors attribuer peutêtre également à Jules un autre article portant la même signature et paru dès mars 1850, dans la rubrique Revue littéraire « Histoire de la Conquête du Pérou, par W. H. Prescott », et indiqué comme étant traduit de l’anglais : cette analyse d’un livre pourrait ainsi annoncer par avance la nouvelle historique Martin Paz. L’Amérique du Sud. Mœurs péruviennes9 parue cependant deux ans plus tard, signée Jules Vernes (sic) et digne, selon Pitre-Chevalier de figurer à côté du Château de Montsabrey de Jules Sandeau, un « travail, d’un genre si différent, dans lequel le Pérou tout entier, – histoire, races, mœurs, paysages, costumes, etc., – leur sera révélé par M. Jules Vernes, à travers les péripéties d’un drame à la façon de Cooper. 6 Voir Bulletin de la Société Jules Verne n°175, décembre 2010. 7 Signalons, pour ajouter aux arguments de J.-L. Mongin et d’O. Dumas, qu’il pourrait constituer un clin d’œil à Nadar, dont le nom complet est Gaspard-Félix Tournachon.

9 Musée des Familles, tome 19 (1851-1852), juillet 1852, pp 301-313 et août 1852 pp. 321-335.

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8 Les deux chercheurs ont également suggéré d’attribuer à Jules Verne un autre texte de cette même rubrique signé « P. Tavernier (de la Nièvre) », Histoire anecdotique de la vapeur et publié dans quatre livraisons, de fév. à déc. 1861. Hypothèse contestée par A. Tarrieu qui a retrouvé la trace d’un auteur portant ce nom et ayant réellement existé.

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par J.-L. Mongin et O. Dumas6. C’est notamment le cas des trois textes publiés dès 1850 dans la chronique La science en famille et signés « J.-B. Gaspard, maître d’école », un nom aussi imaginaire7 que la ville censée l’accueillir : Le paratonnerre en juillet, Histoire de l’aérostat en septembre, et enfin Histoire de la boussole en novembre. Trois thèmes qui vont s’avérer par la suite éminemment verniens8.


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Nous ne reculons pas devant cette comparaison, tout éloignée qu’elle soit de la modestie de l’auteur. Nous sommes convaincus que les scènes pathétiques, les tableaux sauvages et les caractères étranges de Martin Paz, tous exactement tracés d’après nature, rappelleront à ceux qui sauront les comprendre l’intérêt naïf et puissant de l’Espion et des Pionniers ». Jules Verne poursuit dans le même temps son exploration du Paris littéraire. En 1851, l’année de la fin de ses études de droit et de la soutenance de sa thèse, il fait la connaissance de Jacques Arago qui attise un peu plus son goût de la géographie. En 1852, il devient le secrétaire d’Edmond, puis de Jules Seveste au Théâtre lyrique (nom donné en avril 1852), transféré dans la salle du Théâtre historique de Dumas qui a fait faillite, jusqu’en octobre 1855. En 1852 toujours, il publie avec Michel Carré Colin-Maillard, un opéra-comique en un acte10, musique d’Aristide Hignard11, puis une comédie-proverbe Les Châteaux en Californie, ou Pierre qui roule n’amasse pas mousse, cosignée par Pitre-Chevalier12, et enfin La Tour de Montlhéry, un drame en cinq actes en collaboration avec Charles Wallut13. En 1853, Jules Verne publie avec M. Carré Les Compagnons de la Marjolaine, un opéra-comique en un acte14, musique d’A. Hignard, puis Un fils adoptif, une comédie en collaboration avec C. Wallut. C’est dans le Musée des Familles qu’il va publier ensuite deux nouvelles importantes : Maître Zacharius ou l’Horloger qui avait perdu son âme15 en 1854, et Un 10 qui sera représenté au Théâtre lyrique le 28 avril 1853. 11 son ami nantais avec qui il partage un petit appartement à Paris, 18 boulevard de Bonne-Nouvelle. 12 Musée des Familles, tome 19 (1851-1852), juin 1852, pp. 257-271 ; à noter que la publication de cette nouvelle avait été annoncée le mois précédant par deux lettres, dont la première d’un lycéen de Grèce évoquait des « spectacles en famille », et la seconde d’une Chanoinesse de V… (depuis son Château de V… situé dans l’Orne), visiblement bien informée, réclamait au Musée la publication de la pièce Les Châteaux en Californie (Pierre Terrasse, BSJV n°68, 4e trimestre 1983, p. 154-155)… toujours la même technique d’annonce ! 13 C. Wallut (1829-1899), collaborateur du Musée des Familles depuis 1849 (son père Ferdinand étant le gérant de la société finançant la publication), et dont il devint le directeur après la mort de Pitre-Chevalier, de 1863 à 1881 ; il fut aussi administrateur du Crédit mobilier. 14 qui sera représenté au Théâtre lyrique le 6 juin 1855. 15 Musée des Familles, tome 21 (1853-1854), avril 1854 pp. 193-200, mai 1854 pp. 225-231.


La collaboration de Verne au Musée des Familles n’est donc ni occasionnelle, ni anecdotique. Elle marque l’entrée en littérature d’un jeune auteur jusqu’alors cantonné dans les genres de la poésie et du théâtre. Prenant de plus en plus conscience de sa vocation, et même confiance dans son talent, il écrit à sa mère en janvier 1851 : « je puis faire un bon littérateur », puis à son père en mars de la même année : « la littérature avant tout, puisque là seulement je puis réussir ; mon esprit est irrévocablement fixé sur ce point ». La question de la rencontre entre J. Verne et PitreChevalier est tout aussi énigmatique que celle avec Hetzel. Si les noms de C. Wallut18 et de J. Arago ont été évoqués, la proposition – une hypothèse pour être précis – faite par Luce Courville19 me paraît être la plus crédible. Elle se réfère au « clan breton » de Verne à Nantes et Paris, et plus particulièrement à Emile Péhant (Guérande 1813 - Nantes 1876), devenu directeur de la Bibliothèque Municipale de Nantes en 1848. Son lien avec PitreChevalier passe par A. de Vigny, qui avait apporté son soutien à l’œuvre poétique de l’un et était témoin au mariage de l’autre. De son côté, Verne a eu l’occasion de faire la connaissance du nouveau directeur pour solliciter l’accès à la bibliothèque de Nantes, par un courrier accompagné d’une recommandation paternelle. 16 Musée des Familles, tome 22 (1854-1855), mars 1855 pp. 161-172, avril 1855 pp. 209-220.

18 J-L. Mongin, Le Musée revisité, BSJV n°175, décembre 2010, p. 5. 19 L. Courville, Pitre-Chevalier, Cahiers de Centre d’études verniennes et du Musée Jules Verne, Les Amis de la Bibliothèque, Nantes, 1986, p. 36.

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17 les recherches entreprises n’ont pas permis de trouver d’autres écrits signés Noblet à la même époque ; un Noblet fabricant d’horloge est mentionné au début du XIXe siècle pour avoir notamment changé l’horloge de la tour d’Auxerre, peutêtre donc à l’origine du pseudonyme ?

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hivernage dans les glaces16 en 1855. Il est intéressant de noter que la publication de la nouvelle de 1854 avait été précédée par une énigme scientifique relative à « L’horloge et la montre – Histoire chronométrique », suivie par deux développements relatifs aux deux sujets abordés, tous ces textes étant signés du même Noblet17 ! Soit donc la même démarche que pour Le Voyage en ballon et Martin Paz. L’hypothèse d’une attribution à Jules Verne est donc tentante, sans toutefois disposer de preuves irréfutables.


Jean-Yves Paumier

Premiers ballons littéraires Revenons donc plus spécifiquement aux ballons. Bien avant Cinq semaines en ballon, roman écrit en 1862 et publié en janvier 1863, Jules Verne avait donc déjà écrit sur le sujet, en août 1851 avec certitude pour Le Voyage en ballon20, et peut-être même dès 1850 avec la complicité de Gaspard et son Histoire de l’aérostat. Ce voyage en ballon bien vernien recèle déjà, comme l’a précisé Daniel Compère, quelques ingrédients des futurs Voyages Extraordinaires : « la folie, la machine curieuse, le savant méconnu, la destruction finale de la machine, l’ironie ». Le texte avait donc été précédé en juillet par une « Enigme scientifique » qui posait la question suivante : « Quels sont les navires qui ont peur de l’eau, qui gagnent des victoires sans armes de guerre, qui voyagent sans rames ni voiles, avec un seul homme pour équipage, et qui font cependant près de cent lieues à l’heure ? » Il y a lieu de citer également un texte paru peu après en 1851 que Piero Gondolo della Riva attribue également à Jules Verne, Encore un navire aérien dans la rubrique « Chronique du mois. Revue scientifique »21. Vers Cinq semaines en ballon L’avenir littéraire de Verne, qui a renoncé en 1854 à prendre la succession de son père comme avoué à Nantes, semble donc s’esquisser, un combiné d’aventures, de voyages et de sciences. Un peu de temps encore sera nécessaire pour réaliser ce rêve d’écrivain. Les années 1856-1857 marquent un tournant dans sa vie personnelle. Il doit travailler à la Bourse pour subvenir à ses besoins tandis que son groupe d’amis des Onze sans femmes se dissout peu à peu par rupture du serment fondateur. Lui-même va suivre le mouvement et, le 10 janvier 1857, il épouse Honorine de Viane, rencontrée lors du mariage de son ami Auguste Lelarge avec la sœur de cette jeune veuve de 26 ans. Dans une telle période de transition, A. Hignard, son compatriote nantais et musicien, sera un compagnon fidèle. C’est avec lui qu’il réalisera quelques 20 Hetzel publiera ce texte à son tour en 1874, sous le titre Un Drame dans les airs, en accompagnement d’une autre nouvelle, Le Docteur Ox. 21 Musée des Familles, tome 19 (1851-1852), juillet 1852, pp 314-315. P. Gondolo della Riva l’avait déjà attribué à Jules Verne en raison de cette allusion à Un Voyage en Ballon paru l’année précédente dans le Musée : « On sait par notre histoire de ballons publiée l’année dernière… », BSJV n°4, 4e trimestre 1977, p. 14.


Le nouveau Jules Verne est donc en train de naître, encouragé par ses publications dans le Musée des Familles et inspiré par ses propres voyages. Prêt à quitter l’expression poétique ou théâtrale, à passer du récit au roman, à mêler précisément aventure, voyage et science. Si la naissance de son fils Michel le 3 août 1861 change sa vie familiale, elle coïncide aussi avec une nouvelle vie littéraire. La rencontre avec Pierre-Jules Hetzel s’avérera décisive, se traduisant à la fois par l’entrée dans une maison d’édition de renom et par l’orientation vers un genre nouveau qui connaîtra un grand succès. Cette impulsion de l’éditeur va ainsi rencontrer l’imagination d’un auteur qui ne demandait qu’à associer la découverte de territoires méconnus et le voyage au moyen d’engins nouveaux. Le roman d’aventures d’un genre inédit était en train de naître, saisi par une plume stylée et un humour de bon aloi. Pour ce premier roman et le choix du mode de locomotion, le ballon s’imposait, Jules Verne s’y était longuement préparé en faisant de ce mode de transport un objet littéraire familier. Pour le thème du voyage, il convenait d’innover et de s’intéresser à des terres encore mal connues. L’Afrique allait faire l’affaire, un continent en cours d’exploration qui suscitait aussi bien des interrogations que des envies. Le survoler en ballon permettait donc de s’affranchir de quelques inconnues et de s’attarder sur des lieux emblématiques. Le roman se nourrit des expéditions et des voyages dont Jules ne manque pas de nommer tous ceux « qui s’étaient illustrés sur la terre d’Afrique », et ils étaient nombreux ! La méthode d’information de l’auteur des (futurs) Voyages Extraordinaires se met en place. Une véritable traversée de l’Afrique, depuis Zanzibar jusqu’aux aux côtes de l’ouest africain. C’est ainsi que Jules Verne prend 22 Textes et partitions musicales repris dans Rimes et mélodies, Heu, Paris, 1857 et 1863. L’Académie de Bretagne a enregistré un CD de ces chansons : Jules Verne, mélodies inédites, Mirare, Nantes, 2005.

24 Voyages en Angleterre et en Ecosse (1859) et en Scandinavie (1861).

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23 Monsieur de Chimpanzé, opérette en un acte, musique d’A. Hignard (1857), représenté aux Bouffes-Parisiens en 1858 ; L’Auberge des Ardennes, opéra-comique en un acte avec M. Carré, musique d’A. Hignard (1859), représenté au Théâtre lyrique en 1860.

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œuvres marquant la fin d’une époque de création, en chansons22 ou dans le registre de l’art lyrique23. Et qu’il fera divers voyages, sources de nouvelles inspirations et de projets de récits24.


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comme point central de son roman la question de la recherche des sources du Nil, Quaerere fontes Nili, « cette énigme que les savants de soixante siècles n’ont pu déchiffrer ». Il s’intéresse tout particulièrement aux explorations des capitaines anglais Richard F. Burton et John Speke, qui, de 1857 à 1863, partirent précisément depuis Zanzibar à la découverte des grands lacs africains pour identifier « la » principale source du fleuve mythique. Jules Verne s’inspire des récits rapportés en France dans différentes revues : Bulletin de la Société de Géographie25, les Annales des Voyages, Le Tour du Monde, etc. En 1862, lorsqu’il écrit Cinq semaines en ballon, l’écrivain n’a connaissance que des rapports intermédiaires de l’expédition, ce qui le conduit à imaginer – par une déduction intelligemment anticipée – la réponse à la question posée et à choisir le lac Victoria pour y situer la source principale du Nil, ce que confirmeront les explorateurs anglais à la Société royale de Géographie de Londres seulement le 22 juin 186326, soit près de six mois après la publication du roman ! Jules Verne ne choisira pas par hasard le nom du ballon de ses héros, précisément dénommé Victoria. Son génie aura été de mettre en scène l’une des énigmes géographiques les plus célèbres au monde, et qui d’ailleurs continue encore de nos jours de donner lieu à de nouvelles recherches. Encore des ballons ! Chaque voyage extraordinaire va s’attacher à traiter de nouveaux pays et à imaginer de nouveaux modes de déplacements. Mais Jules Verne n’oubliera pas pour autant son intérêt pour les ballons. Son ami Nadar (Félix Tournachon, 1820-1910) s’était également intéressé à ces engins qui offraient des perspectives nouvelles en matière de photographie aérienne. Et plus généralement à ce qu’il appelait « l’autolocomotion aérienne » ou « aéromotive », thème 25 La Société de géographie a ainsi décerné, en avril 1860 et à l’unanimité, un prix pour la découverte la plus importante se rapportant à l’année 1857 à : « l’exploration des lacs de l’Afrique orientale par les capitaines J.-H. Speke et W.-F. Burton, officiers de l’armée des Indes ». 26 Les explorateurs avaient en fait atteint le lieu recherché dès le 28 juillet 1862, voyant « l’antique Nil sortir du Victoria N’Yanza » que les locaux appellent les « Pierres » et qu’ils dénommèrent « Chutes Ripon », du nom du président de la Royal geographical Society, tandis qu’ils baptisaient « canal Napoléon » la crique d’où provenait le fleuve en remerciement du prix de la Société de géographie - R. Burton et J. Speke, Aux sources du Nil, Payot, 1991, pp. 288-289.


27 Société créée avec Gabriel de La Landelle (1812-1886) et Gustave Ponton d’Amécourt (1825-1888), qui ont réalisé un prototype d’hélicoptère (mot inventé par Ponton d’Amécourt) et inspiré l’Albatros de Robur-le-Conquérant.

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qu’il développa en donnant lecture de son Manifeste devant une assemblée conquise à sa cause le 30 juillet 1863. Verne le suivra dans la création de la Société d’Encouragement pour la Locomotion Aérienne au moyen d’appareils plus lourds que l’air27 dont il sera rapporteur de la société provisoire créée le 15 janvier 1864 avant d’être désigné censeur de la société enfin créée le 20 mai 1864, et de plus l’un des dix sociétaires perpétuels. La société va se doter de la revue Aéronaute, qui deviendra célèbre et sera publiée jusqu’en 1910. Nadar passe donc à l’acte, il fait construire en 1863 un imposant ballon baptisé Le Géant et fabriqué par les frères Godard, sur des épures tracées par M. Tisseau : le ballon fait 45 mètres de haut et 25 mètres de diamètre (15 mètres pour le Victoria), il a une capacité de 6000 m3 de gaz, soit 12 fois plus qu’un ballon ordinaire, une nacelle à deux étages, un lit, un lavabo, une chambre noire, une presse à imprimer, sa capacité de transport est de 34 personnes. L’expérience ne durera que le temps de cinq ascensions et de pertes considérables, alors qu’il devait financer la société. La première ascension s’est déroulée le 4 octobre 1863, depuis le Champ-de-Mars et devant 2500


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spectateurs, emportant 13 personnes28 et atterrissant à Meaux dans la nuit. La seconde a lieu deux semaines plus tard, le 18 octobre 1863, au même endroit et en présence de l’empereur Napoléon III, avec neuf passagers à bord, dont les frères Godard au pilotage, le jeune Montgolfier et Madame Nadar : un long vol de 18 heures et un parcours de 600 kilomètres, qui s’est achevé par un atterrissage dramatique près de Hanovre (Nadar a les deux jambes fracturées, sa femme le thorax enfoncé). Après les soutiens de Victor Hugo et de George Sand, Jules Verne rend hommage à la volonté de son ami et à son dévouement pour une noble cause. Outre le nom de Michel Ardan29 donné au personnage principal de ses deux romans lunaires (De la Terre à la Lune en 1865, et Autour de la Lune en 1869), il avait publié aussitôt À propos du Géant30. Un article engagé pour montrer que ces essais du Géant marquaient la fin d’une époque, qu’il ne s’agissait plus désormais « de planer ou de voler dans les airs, mais d’y naviguer ». Place aux innovations, à l’appareil de M. de Luze qui a la forme d’un cylindre allongé se terminant par une hélice, l’esquisse du futur dirigeable, ou mieux encore au prototype d’hélicoptère à vapeur de M. de Ponton d’Amécourt, un projet séduisant montrant que l’avenir est aux appareils plus lourds que l’air, et pour lequel Verne reprend la devise de Nadar : « Tout ce qui est possible se fera ». Derniers ballons Si l’avenir appartenait aux « plus lourds que l’air », Verne n’a pas résisté à utiliser d’autres ballons dans ses romans, et même de faire son propre voyage dans les airs. C’est le 28 septembre 1873 qu’il réalise ainsi sa première et unique envolée lors d’une grande fête aérostatique organisée par Eugène Godard31. L’écrivain fera le récit de son voyage à bord du Météore dans une lettre adressée à son ami Théodore Jeunet, le directeur du Journal d’Amiens qui la publiera, ce court texte étant repris par la suite sous le titre 24 28 Verne, annoncé comme participant au vol, s’était décommandé au dernier moment. 29 Pour mémoire, Ardan est l’anagramme de Nadar, envoyé donc dans l’espace au moyen d’un engin « plus lourd que l’air ». 30 Musée des Familles, tome 30 (1862-1863), décembre 1863, pp. 92-93. 31 V. Dehs, Les Ballons de Jules Verne, introduction de Un Voyage en Ballon, CIJV – La Maison de Jules Verne, Amiens, 2001, pp. 6-10.


Il est un autre roman, hélas jamais publié parce que jamais écrit, dont Jules Verne disait à son éditeur « que je comptais faire ce livre-là, qu’il serait le résumé des Voyages extraordinaires ; que j’embarquerais dans un appareil plus lourd que l’air tous nos bonshommes, Fergusson, Aronnax, Fogg, Clawbonny, etc. et que je les ferais naviguer au-dessus de notre monde ».32 Ce projet ne verra jamais le jour en raison de la publication en 1875 d’un livre, La Conquête de l’air d’un certain Brown dont Hetzel se demande s’il ne s’agit pas d’un pseudonyme susceptible de cacher Cadol33. L’ouvrage est délibérément inspiré de Jules Verne, dans lequel sir Walter Donderry lit « avec le plus vif plaisir les ouvrages de M. Jules Verne, un auteur français dont tout le monde apprécie le mérite, […] remarque que ses héros sont presque tous des Anglais », avant d’évoquer les aventures de quelques héros emblématiques : « […] c’est le docteur Fergusson, Kennedy et Joë, qui dans Cinq semaines en ballon s’élancent dans l’espace et traversent l’Afrique entière ». Avant de lancer un défi qui sera relevé par un Gascon nommé Vlady, résolu à faire le tour du monde en 40 jours !34 Depuis la parution du Tour du Monde en quatre-vingts jours en 1872, les défis se sont ainsi succédés pour faire mieux que les 80 jours de Phileas Fogg et Passepartout, par le voyage réel et donc, également, imaginaire. Peu de livres ont suscité un tel engouement qui reste toujours d’actualité au XXIe siècle ! C’est également avec un ballon que s’achève un autre roman, Hector Servadac – Voyages et aventures à travers le monde solaire (1877), il fallait bien trouver un moyen de revenir sur terre ! Les 32 Lettre de Jules Verne à Pierre-Jules Hetzel du 4 août 1875, Correspondance inédite de Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel (1863-1886), Tome 2 (1875-1878), Slatkine, Genève, 2001, pp. 51-52.

34 A. Brown, La Conquête de l’air, 40 jours de navigation aérienne, Glady Frères, Paris, 1875, p. 5.

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33 Le livre est signé Alphonse Brown ; il s’agit de son premier roman qui précède de nombreux ouvrages dont un Voyage à dos de baleine (1877), le véritable patronyme de son auteur étant Joseph Maximilien Alexandre Brown (1841-1902).

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minutes en ballon. Jules Verne a pu ainsi vivre quelques sensations des héros du roman qu’il achevait alors, L’Île mystérieuse (18741875), dont le premier chapitre a pour titre Les Naufragés de l’air et débute précisément par une descente en ballon.


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lecteurs de Jules Verne ont pu croire qu’il s’agissait du dernier ballon vernien, lorsque l’auteur leur assène cette vérité définitive : « Un ballon ! s’écria le capitaine Servadac. Mais c’est bien usé, votre ballon ! Même dans les romans, on n’ose plus s’en servir ! »35 D’autant plus qu’avec Robur-le-Conquérant (1886), le sort du ballon était définitivement scellé. Il doit s’effacer devant son Albatros, un « aéronef », une sorte de « locomotive aérienne » qui tirait son originalité de l’usage d’hélices, de l’électricité et de matériaux (déjà) composites (notamment à base de papier) : « Quant à l’avenir de la locomotion aérienne, il appartient à l’aéronef, non à l’aérostat » conclut Jules Verne. Avec cependant un dernier geste lorsque l’Albatros vient au secours du Go a head, le super-aérostat du Weldon Institute et de ses animateurs Uncle Prudent et Phil Evans. Mais le triomphe du « plus lourd que l’air » ne deviendra pas, sous la plume de Verne en 1904, celui d’un homme qui rêvait de devenir le Maître du monde36. Entre temps, Jules Verne eut le plaisir d’assister à Amiens, le 10 mai 1888, au lancement d’un nouveau ballon, et même de le baptiser puisqu’il portait son nom37. Ce Jules-Verne, certes à la vie éphémère, aura des descendants éponymes et ouvrira la voie de ces montgolfières d’aujourd’hui à vocation touristique. Une nouvelle vie pour les ballons !

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35 Hector Servadac, Deuxième Partie, Chap. XVII – Philippe Langueuneur m’a fait remarquer que cette formule résultait d’un ajout suggéré par l’éditeur Pierre-Jules Hetzel qui s’en explique dans une lettre adressée à Jules Verne le 17 juin 1876 : « J’ai à propos de la montgolfière indiqué quelques plaisanteries qui ne sont peutêtre pas bonnes. Mon intention était d’aller au-devant de la critique qu’on peut faire de l’emploi repêché du ballon » (Correspondance inédite de Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel (1863-1886), Tome 2 (1875-1878), Slatkine, Genève, 2001, p. 121). 36 Titre du roman constituant la suite de Robur-le-Conquérant et paru en 1904. 37 ibid. Volker Dehs, Les Ballons de Jules Verne.




Mais encore…

Cabinet de curiosités • Chroniques verniennes •


Philippe BURGAUD

Un Voyage en ballon Lors des dixièmes Rencontres internationales Jules Verne organisées par l’Université de Picardie - Jules Verne et le Centre international Jules Verne sur Pierre-Jules Hetzel, les 22 et 23 mars 2013, quelques voyages en ballon ont été mentionnés pour expliquer la source possible du roman Cinq semaines en ballon. On sait que Jules Verne luimême a renoncé à profiter d’un voyage proposé par Nadar sur son gros ballon, le Géant, le 4 octobre 1863. Il fera son seul et unique vol à Amiens, lors de démonstrations réalisées par Eugène Godard avec son ballon, le Météore. Jules Verne relatera cette expérience dans un petit texte 24 minutes en ballon1. Dans ce contexte il m’a paru intéressant de signaler le voyage en ballon effectué par Louis-Jules Hetzel le 3 août 1887, répondant à une invitation de Gaston Tissandier. Ce n’était d’ailleurs pas le premier vol de Louis-Jules Hetzel, d’après Monsieur Tissandier. Ce dernier, avec son frère Albert, fait partie, comme Nadar ou les frères Godard, des pionniers de la navigation aérienne. Pour cette excursion avec l’aérostat le Commandant Rivière, outre le pilote Gaston Tissandier et Louis-Jules Hetzel, il y avait Adrien Marie2, collaborateur du journal Le Monde Illustré. Ce dernier est connu des verniens pour avoir illustré Un hivernage 1 Réédition publié par le CIJV : Un voyage en ballon, Amiens, 2001. 2 Adrien Marie (1848 – 1891), artiste et journaliste.


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dans les glaces. Il était le collaborateur de divers journaux, et il s’attacha à développer des techniques plus performantes pour remplacer la gravure sur bois. Il a illustré aussi de nombreux comptesrendus de pièces de théâtre pour la revue Le Théâtre Illustré ; on trouve ses dessins par exemple pour la pièce Michel Strogoff au Châtelet, et pour l’opérette d’Offenbach le Docteur Ox, au théâtre des Variétés.

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L’intérêt de ce vol en ballon est qu’Adrien Marie en a fait un cahier de croquis que le Monde Illustré fait paraître dans son

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Philippe Burgaud

numéro du 14 août 18873. Ces mêmes dessins paraîtront dans l’ouvrage de Gaston Tissandier avec l’autorisation du journal. La « promenade aérienne » a commencé à Auteuil où les frères Tissandier avaient leur atelier. Un petit ballon d’essai a permis de voir dans quelle direction le vol allait s’effectuer. Se dirigeant « sur le sud-ouest, la promenade se fera en direction de la Touraine » écrit Gaston Tissandier dans ses mémoires4. Le vol se termine à Chauvigny, dans le Loir et Cher, après avoir parcouru 170 km. Adrien Marie a illustré les différentes étapes du voyage qui se terminera par une réception dans un château, le château de l’Odière, «où les heureux voyageurs ont trouvé la table, le gîte, les voitures pour les reconduire eux et leur ballon à Châteaudun, d’où ils sont revenus le lendemain à Paris»5. On reconnaît à la table, nous faisant face, Monsieur Tissandier, mais où est Louis-Jules Hetzel ? Est-il de dos ou à gauche ? Tous ces messieurs sont également barbus et il est difficile de les identifier.

3 Le Monde Illustré du 14 août 1887, p. 102 4 Gaston Tissandier, Histoire de mes Ascensions, Maurice Dreyfous éditeur,1888. 5 Le Monde Illustré déjà cité.



Les mille yeux de Tarrieu

Alexandre

Le ‘’Reform Club’’ du Tour du Monde en 80 jours, dont est membre Philéas Fogg, existe encore de nos jours et est situé au 104 Pall Mall à Londres. (Jean-Michel Margot, Jules Verne en son temps, Encrage, 2004, p.43 note 81). « Le 24 étant le jour de ma fête, Ernest Cholet, le brave matelot à mon service depuis quinze ans, qui s’est engagé dans les yachts pour ne pas trop s’éloigner de sa famille et qui, dans son choix déplorable, son dévouement et son affection, me rappelle Passepartout, m’a donné un joli petit modèle du ‘’Français’’ ». (Jean-Baptiste Charcot, Le ‘’Français’’ au pôle Sud, in Le roman des pôles, Omnibus, 2008, p.868). Le nom de Sylvius Hog dans Un billet de loterie serait inspiré de celui de Sylvius Skog du Voyage dans les Etats scandinaves de P. Riant, paru dans le Tour du Monde (1860). (Correspondance inédite de Jules Verne et de Pierre-Jules Hetzel, Tome III, lettre 611, note 3, Slatkine p.311) (voir aussi : Christian Porcq, Le dernier bal de Sylvius H, BSJV n°97° ; Jules Verne alerta l’opinion et fit ouvrir une souscription en l’honneur de Louis Thuillier (1856-1883), jeune chercheur de l’Institut Pasteur,


Chroniques verniennes

mort du choléra lors d’une mission en Egypte. Sa famille, amie de celle de Jules Verne, était tombée dans la misère depuis la mort du fils. (Volker Dehs, Jules Verne et la mort de Louis Thuillier, BSJV n°110 (1994) et Correspondance, T.III, lettre 575). à Amiens, la rue Louis Thuillier (où vécurent mes beaux-parents…) est parallèle à la rue Charles Dubois où vivait Jules Verne et est située juste avant elle (en venant du rond-point)). « Verne sait faire passer dans les mots, non seulement le véritable amour des cartes et des estampes, mais ce trouble que nous pouvions éprouver enfants, à feuilleter manuels de physique, chimie et astronomie, de pauvres livres laids, trop forts pour nous, mais pleins de mots nouveaux, de figures indéchiffrables et de promesses. » (Michel Butor, Essais sur les modernes, Gallimard, 1964).

Charlotte de Vaudreuil était une favorite de Napoléon Ier ; Julie Clary (1771-1845), l’épouse de Joseph, frère de Napoléon. L’amalgame des deux noms pourrait avoir formé celui de Clary de Vaudreuil de Famille Sans Nom. De plus, à la même époque, la presse parle d’un métis de père anglo-américain et d’une Iroquoise (Maître Nick ?) du nom de Williams Eléazar, fils de Thomas Williams (William Clerc, Thomas Harcher ?) Petite trace autobiographique de Jules Verne dans Maître du Monde. En effet, l’auteur indique en note (chap.XI) que le 12 avril 1867, il se trouvait à Buffalo (état de New York) alors que le lac Erié était entièrement gelé.

Un roman de Georges. Aston se nomme l’Ami Kips (1881), ce qui rappelle Les frères Kip (1902).

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Erreur de Jules Verne dans Michel Strogoff (2, I). Ce n’est pas au XVIIIe que Stepan-Razine ravagea la Russie méridionale mais au XVIIe (1667-1670).

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« L’une des plus réussies (à propos des reprises du Robinson Suisse de J.D Wyss), en ce qui concerne la dimension romanesque, est certainement celle de Jules Verne, Seconde patrie, parue chez Hetzel. » (Danielle Dubois, La Robinsonnade, un détournement de texte, in Revue des Sciences humaines n°225, 1992).


Alexandre Tarrieu

Dictionnaire des personnes citées

par Jules Verne (Al)

Almonte Juan Nepomuceno (1804-1869) : Une Ville flottante (XXXVIII). Général et homme politique mexicain, né à Valladolid (Michoacăn). Il rejoignit en 1821 les insurgés au Texas puis partit en Angleterre où il assista l’ambassadeur Michelena. Elu au Congrès Mexicain (1830), il s’opposa dans son journal au président Bustamante et dût se réfugier à la Nouvelle-Orléans. Réconcilié avec lui, il fut nommé Secrétaire de la légation extraordinaire mexicaine en Amérique du Sud (1831). Aide de camp du général Santa Anna, il participa au siège de Fort-Alamo. Secrétaire à la Guerre et à la Marine (1839), Ministre plénipotentiaire à Washington (18411845), il tenta en 1847 avec plusieurs officiers de renverser le président Gŏmez Farias, en vain et fut emprisonné. Sénateur d’Oascaca après sa libération, il partit en 1856 représenter son pays en Angleterre, en France et en Espagne. Il se montra alors favorable à une restauration de la monarchie dans son pays. En 1862, il se proclama Président du Mexique par intérim puis soutint le projet français d’établir l’archiduc Maximilien Empereur du Mexique. A la mort de ce dernier (1867), considéré comme traitre à sa patrie, il s’exila à Paris où il finit sa vie. Alphonse d’Aragon (1481-1500) : Mistress Branican (2, III). Duc de Bisceglie et prince de Salerne, né à Naples. Fils illégitime d’Alphonse II de Naples, il épousa en 1498 Lucrèce Borgia. Après la prise de Milan et de Gênes, il s’enfuit à Rome (1499) où il fut assassiné sous ordres de César Borgia [† Vatican]. Alphonse Ier d’Este (1476-1534) : Mistress Branican (2, III). Duc de Ferrare et de Modène (1505-1534), né à Ferrare, premier fils d’Hercule Ier à qui il succéda. Il dut soutenir une guerre contre le pape Jules II et perdit en 1509 la ville de Modène. A Ravenne (1512), son artillerie assura la victoire aux Français et en 1530,


Chroniques verniennes

il signa avec Charles Quint un compromis par lequel il fut dit que Reggio et Modène lui appartenait de droit, ce que le pape Clément VII refusa. Il fut l’époux d’Anne Sforza (1491) puis de Lucrèce Borgia (1501) et protégea l’Arioste. Son fils, Hercule II, lui succéda. [† Ferrare]. Alphonse XII (1857-1885) : Mathias Sandorf (4, II). Roi d’Espagne (1874-1885), né à Madrid, fils de François d’Assise de Bourbon et d’Isabelle II. Par l’appel de Martinez Campos, il restaura la monarchie. Il élabora une nouvelle constitution et mit fin à la guerre carliste (1876). Epoux de Marie-Christine, son fils, qui lui succéda, naquit à titre posthume (1886). Il mourut à Madrid de la tuberculose.

Alvez José-Antonio ( ?- ap.1877) : Un Capitaine de Quinze ans (2, II). Trafiquant portugais d’origine angolaise. De son vrai nom Kenndélé (ou Kendele, Kenuedélé). Né à Donndo (Kwanza, Angola), agent des courtiers d’esclaves dès 1850, il devint un célèbre traitant et fonda des établissements à Kazonndé, Bihé et Cassange. L’explorateur Cameron le rencontra en 1874 et Alvez le conduisit à Kilemmba et au lac Kisale (1875). Cameron dit de lui qu’il est alors très âgé. Sa trace se perd en 1877. [Il apparaît comme personnage dans le roman Negoro est un de ses agents. Il achète Austin, Bat, Actéon et Tom puis les vend et réclame la mort de Dick Sand après que celui-ci a tué Harris. Il apprend aussi à Mrs Weldon la mort de Livingstone].

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Sources et remerciements sur: http://pagesperso-orange.fr/jules-verne/Remerciements_Alexandre_Tarrieu.pdf http://sourcesremerciementsdicojulesverne.over-blog.com/

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Al-Sanŭsi Muhammad Ibn’Ali (v.1792-1859) : Mathias Sandorf (3, II). Fondateur de la confrérie musulmane de la Senoussiya, né à Douar Torch, près de Mostaganem. Il vécut à La Mecque de 1830 à 1843 et gagna ensuite la Cyrénaïque où il fonda la première Zaouïa de son ordre (1843). Antichrétien, il établit la confrérie à Djaraboud, carrefour d’échanges importants (1855) et son influence se développa sur tout le Sahara oriental. De nombreux crimes d’explorateurs sont dus à cette conférie. Son fils, Ahmad al-Madhi, lui succéda. [† Djaraboud]].


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François ANGELIER • Gérard AZOULAY • Renoir BACHELIER • Joseph-Marc BAILBE • Henri BANCAUD • Pierre BAYART • Jacques BEAL • Patrick BERTHIER • Philipppe BLONDEAU • Olivier BONDOIS • Bruno BOSSIS • Isabelle BOST • Alain Braut • Luis BRITTO GARCIA • Philippe BURGAUD • Michel BUTOR • Christine CARRIER • Philippe CATHE • Ivar CH’VAVAR • Virginie CHAMPEAU• Jean FONTENEAU • Christian CHELEBOURG CHESNEAUX • Michel CLAMEN • Dominique COFFIN • Dominique-Michel COLIN • Daniel COMPERE • Maurice COMPERE • Cécile COMPERE-TIMMERMAN • Samsonette COSSERAT • Annaïg COTONNEC • Jacques CROVISIER • Krzysztof CZUBASZEK • Alain Pierre DAGUIN • Gilles DE ROBIEN • Régis DEBRAY • Volker DEHS • Jean-Paul DEKISS • François DERIVERY • Elisabeth DOUSSET • Olivier DUMAS • Alain DUPAS • Lionel DUPUY • Claude ELOUARD • Peter ESTERHAZY • Arthur B. EVANS • Chris FALAISE • Hajnalka FARAGO • Jean-Louis FELLOUS • Alain FREBAULT • Ronaldo de FREITAS MOURAO • Yves GAGNEUX • Pierre GARNIER • Céline GITON • GOHAU Gabriel • Piero GONDOLO DELLA RIVA • Jean-Paul GOUREVITCH • Julien GRACQ • Vincent GUILLIER • Michaël GUILLON-VERNE • Alphonse de GUIMARAENS BILAC • Jean-Pierre HAIGNERE • Zvi


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Jules Verne


Remerciements

Le Centre international Jules Verne reçoit de précieux soutiens pour réaliser ses différentes missions culturelles. Nous tenons à remercier chaleureusement, pour leur fidélité et leur bienveillance, les partenaires qui nous accompagnent tout au long de l'année et qui contribuent durablement à nos travaux. Sans eux, cette publication ne pourrait voir le jour :

•Amiens Métropole •Le Conseil régional de Picardie •La Direction régionale des affaires culturelles de Picardie •Le Centre National du Livre et bien sûr les adhérents du centre, les auteurs de la revue qui contribuent gracieusement à cette publication ainsi que Parmis Parki qui en complète sur mesure l’illustration depuis décembre 2011. Les Rencontres internationales Jules Verne ont été réalisées les 22 et 23 mars 2013 au sein du Logis du Roy à Amiens (merci à M.Delevoye pour son accueil parfait) en partenariat avec l’Université de Picardie Jules Verne et ses centres d’études : Cerr & Cercll. Marie-Francoise Melmoux-Montaubin, Patrice Soulier, Philippe Blondeau et Véronique Simard ont construit ces Rencontres. Nous les remercions chaleureusement ainsi que Renoir Bachelier qui en a assuré la supervision et le succès, de la conception initiale jusqu’à cette publication. Enregistrées, les interventions sont aussi en ligne sur le site de la revue : http://www.revuejulesverne.com/index.php/les-rencontres-internationales-2013.



Illustrations Couverture : « Un petit héros », ill.Slom, Magasin d’Education et de Récréation & Semaine des enfants réunis, XXXVII, 1883. Hetzel in Magasin d’Education et de Récréation & Semaine des enfants réunis, 1886, & Hetzel’s books. Conception : Parmis Parki & Marc Sayous. 4 Tête de Néo-Zélandais tatouée, Les Voyageurs du XIXe siècle - J. Verne, J. Hetzel et Cie. 6-7 Au CIJV par Parmis Parki, 2013. 8 Hetzel d’après J.L.E . Meissonier (vers1874). 10 Cartonnage, Marc Sayous, 2013 13 Pierre Larousse, auteur inconnu. 14 Louis Hachette, Chatto & Windus, 1893. 14 Victor Hugo par Honoré Daumier, in Le Charivari (20 juillet 1849). 18 George Sand, écrivain, par Charles Louis Gratia, pastel, col.particulière. 20 « Princesse Ilsée », Ill. Froment, Magasin d’Education et de Récréation, 1864. 21 Le Vote ou le Fusil, Bosredon, 1848, BnF, Paris. 22 Médaillon, Magasin d’Education et de Récréation, Tome XX. 23 & 30 Etrennes 1885, J.Hetzel & Cie, CIJV. 24 « Marchand d’allumettes », Ill. F. Geoffroy, Magasin d’Education et de Récréation & Semaine des enfants réunis, XLIX, 1889. 27-28-35 Etrennes 1886, J.Hetzel & Cie, CIJV. 33 Marko Wozvog (Mariya Vilinska) vers 1855. 36 Médaillon, Magasin d’Education et de Récréation. 35 Magasin d’Education et de Récréation & Semaine des enfants réunis, XXXXVIII, 1883.

38-41--43-45-48-53 Les Contes de Perrault, Dessins par Gustave Doré, J.Hetzel éditeur, 1862. 42 les Contes de ma mère l’Oye de Charles Perrault, gouache, 1697. 54 & 65 « Le Maître n’est pas là », « Le Maître est là » Magasin d’Education et de Récréation & Semaine des enfants réunis, XLIV, 1886. 55 Scènes de la vie privée et publique des animaux, Ill.Grandville. J. Hetzel et Paulin, Paris. 1842 56 Catalogue Hetzel, extrait, Cijv. 57 Voltaire, dessin (non identifié) d’après le buste réalisé par J.A. Houdon, 1791. 58 « Disraeli and Queen Victoria Exchanging Gifts », John Tenniel, in Punch Magazine, 1876. 60 « L’A de Mlle Babet », ill. L. Froelich, Magasin d’Education et de Récréation Volume XX, 1889. 62 L’Alphabet de Mademoiselle Lili, Ill. L. Froelich, Stahl P.-J. , Hetzel 1865 64 Magasin d’Education et de Récréation & Semaine des enfants réunis, XXXXVII, 1888. 66 « Verne-Hetzel : chimère», Marc Sayous. 71-74-75 De la Terre à la lune, J. Verne, ill. L. Benett. CIJV. 72 Voyage au centre de la Terre, J. Verne, ill. E. Riou. CIJV. 76 Les Indes noires, J. Verne, ill. L. Benett. CIJV. 79 Les Indes noires, J. Verne, ill. L Benett. publicité, CIJV. 82-83 Le Zeppelin LZ 129 Hindenburg prend feu le 6 mai 1937 à Lakehurst Naval Air Station dans le New Jersey. US Navy. 84 L’épave du Cynthia, publicité in Etrennes 1886, J.Hetzel & Cie, CIJV.


87 Les Jeunes aventuriers de la Floride de J.-F. Brunet, [ traduction d’après F. R. Goulding assurée par Daryl (coll. R. Soubret). 88 Le chef au bracelet d’or, Mayne Reid. [Avec ce texte, la signature André Laurie fait son entrée dans la maison Hetzel] (coll. X. Noël). 90 Language of Flowers, Kate Greenaway, London, G. Routledge and Sons, 1884. 93 Paschal Grousset (1844-1909), 1871 102 Table, Magasin d’Education et de Récréation, Vol.XX, 1874 103 Tito le Florentin, publicité in Etrennes 1886, J.Hetzel & Cie, CIJV. 104 Baudelaire par Parmis Parki, 2013. 106 A. Poulet-Malassis par F. Bracquemond, 108-113 Baudelaire par Parmis Parki, 2013. 115 Naturels de la Nouv.Guinée, in Les Voyageurs du XIXe siècle - J. Verne. 116 Pierre-Joseph Proudhon et ses enfants en 1853, Gustave Courbet, 1865, Petit Palais, Paris. 118 P.-J. Proudhon, caricature, auteur inconnu. 120 P.-J. Proudhon. 1848. Assemblée nationale. 125 P.-J. Proudhon. Carte postale (vers 1905). 126 Cabinet de travail d’Hetzel par G.Roux. Buste de Hetzel par Stecchi. Magasin d’Education et de Récréation Volume XLIII, 1886. 129 Détail d’une lettre d’invitation envoyée par Philippe Gille à Hetzel (?). BnF, NAF 17063. 132 Eugène Muller. Photographie anonyme, au format cabinet (14 x 10,5 cm). Coll. Dehs.

134 Le Figaro n° 826, 15 janvier 1863, p. 7. 135-136 Cinq semaines en ballon, J. Verne, ill. E. Riou & H. de Montaut, 1862 CIJV. 140 Le Panthéon du XIXe siècle par Bertall : une visite au Musée des Familles, avec notamment « Jules Verne et le fameux ballon qui donna des ailes à sa fortune littéraire. » Musée des Familles, avril 1867, pp. 209-210. 147 Seconde ascension de Nadar : le Géant. Paris,Champ de Mars. 18 Octobre 1863, 17 heures. Coll. F.Dupin. 151 L’Aéronaute, 20 avril 1864. CIJV 153-154 & 166-167 Sol de la Cathédrale d’Amiens, Parmis Parki, 2013. 154-155 Gravures parues dans l’ouvrage de G. Tissandier. 156 Le château de l’Odière (Carte postale) puis croquis d’Adrien Marie paru dans le journal Le Monde Illustré. 157 Le Géant, ballon des fêtes officielles, affiche, CIJV 158 « L’homme à la peau en caoutchouc » in Almanach Hachette 1903, p.367 et l’image originale Barnum - Man with stretchy skin. 160 Général Juan Nepomuceno Almonte. Library of Congress. 168-169 Médaillon, Magasin d’Education et de Récréation. 171 Guerrier ashanties, in Les Voyageurs du XIXe siècle - Jules Verne. 172-173-175 Marc Sayous, Paris, 2013 176 La Chair, sculpture par Marc Sayous, photographie par Parmis Parki, Paris, 2013.


éditions du

Centre international Jules Verne

Revue Jules Verne mers éant des G t 1 et l’argen onnu les Verne Ju re et méc b lè 2 é c in a Un écriv ntaire? 3 r ou séde u e g a y o V 4 L’or que 5 ue Oréno q ti a m ig L’En 6 et la cité ges les Verne Ju cle d’ima iè 7 s e m è ti Un ving in 8 au fémin les Verne Ju Gracq 9 ec Julien v a n e ti e Entr sse 10 de jeune e tr rivain ? â é th Le ison d’éc a m e n 11 ’u qu Qu’est-ce Serres 12 c Michel e v a n e ti Entre ts-Unis 13|14 et les Eta e rn e V s Jule space 15 ires de l’e o it rr e T s rhazy Le eter Esté les pôles 16 P t t e e e r rn to e Jules V ichel Bu 17 s avec M n o ti a rs e Conv Verne 18 dial Jules n o M 19|20 nomique ciel astro e L les Verne 21 année Ju , 5 0 0 2 ue 22|23 t la musiq e e rn e V Jules 24 n drame tique science e a L dition cri é , e n g li 25 e en Jules Vern ie 26 t la poés s Verne e le Ju 27 table s Verne à le Ju a ditorial 28 au Canad omène é e n é rn h e p V n s u Jule anger : 29 ges à l’étr a nevois y o V s e L rloger ge o h , s u 30 ri a ach Maître Z e l’autre 31 biograph n ’u tion ekiss D y | J.P.D présenta ra 32 re b e la D e . d R ence Les Arts sous influ 33|34 s n o ti a rs Conve ort ! 35 vie, à la m cellence la À ur par ex e it 36 d é 014) : l r 2013/2 J Hetze e .iv P H 37 paraître Chair (à a L 38



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Délégué général : Marc Sayous

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du Centre international Jules Verne est désormais engagée. La Revue Jules Verne vous propose d’ores et déjà de consulter ses derniers numéros (33 à 37). L’accès pour cette lecture numérique est libre. Le premier numéro de la Revue Jules Verne est aussi disponible. Le Bulletin J.V., qui précéda la création de la Revue en 1996, est aussi en cours de numérisation et son numéro 0 est consultable en ligne.

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La numérisation des collections


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R

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J

u l e s

V

La Chair

Hiver 2013|2014

n°37 achevé d’imprimer en

Septembre 2013 Pulsio Paris & Sofia

par l'imprimerie



HETZEL ÉTÉ 2013

E ÉDITEUR PAR EXCELLENC

CENTRE INTERNATIONAL JULES

ÉDITIONS DU

VERNE

REVUEJULESVERNE

9 78 29 01 81 15 34

10 € ISBN :

978-2-901811-53-4


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