Mémoire HMONP MTN

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La place de l’architecte contemporain en France et à l'étranger Analyse d’un rôle international autour des différents processus de projet

Mémoire professionnel d’Habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre MSP : Aerostudio Architectes, Janvier 2015 – Août 2015 par Mong‐Thao Nguyen, Diplômée d’Etat en Architecture Tuteur : Antoine Cardon, Architecte DPLG ‐ gérant de l’agence Directeur d’étude : Daniel Fanzutti, Architecte DPLG



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REMERCIEMENTS Silvia Rosales Montano Antoine Cardon Daniel Fanzutti Nicolas Deloume Olivier Souquet Guita Maleki Bastien Renaud Francis Beldon La Promo HMONP 2014-2015


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Table des matières 5-6

INTRODUCTION

▪ Propos sur l’évasion architecturale, soit la figure internationale de l’architecte ▪ Vers l’habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre

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I.

PREMIERE EXPERIENCE POST-DIPLOME AVEC APOYO URBANO

P. 9

▪ Le choix d’une expérience à l’étranger

I.I Présentation de l’ONG Apoyo Urbano ▪ Organisation de la structure et objectifs ▪ Choix des projets et méthode

P. 10

I.II Expérience au Salvador : conception du marché municipal d’Armenia ▪ Contexte de la ville d’Armenia ▪ Coopérations Apoyo Urbano : de l’historique d’interventions à l’objet de ma mission ▪ Mon expérience sur le terrain

P. 17

I.III Expérience au Nicaragua : conception des espaces publics de León Sur Este ▪ Contexte du site dans la ville de León ▪ Cadre de travail, antécédents du projet municipal et définition de ma mission ▪ Mon expérience sur le terrain

P. 25

I.IV Retour d’expériences ▪ Retour critique sur la place de l’architecte au sein des missions Apoyo Urbano ▪ Réflexions sur la dimension participative des projets au sein d’une équipe municipale ▪ Transition vers les enjeux de la mise en situation professionnelle

27-39 II. P. 27

MISE EN SITUATION PROFESSIONNELLE CHEZ AEROSTUDIO ARCHITECTES II.I Analyse critique de la structure d’accueil ▪ Historique de l’agence et profil des fondateurs ▪ Choix du mode d’exercice et évolution de la structure ▪ Ressources humaines et matérielles internes ▪ Mode d’organisation de l’équipe de maîtrise d’œuvre ▪ Stratégie d’entreprise et valeurs professionnelles d’Aerostudio


4 P. 31

II.II Analyse de mon expérience au sein de l’agence ▪ Travail effectué et responsabilités assumées dans le secteur privé ▪ Contrats et sécurisation du travail de l’architecte ▪ Le devoir de conseil des marchés privés aux marchés publics II.III Retour d’expérience

P. 38

▪ Le devenir de l’architecte indépendant et de la microstructure ▪ Réflexions sur la place de l’Architecte‐maître d’œuvre en France ▪ Transition vers les recherches relatives à mon évolution professionnelle 40-47 III.

ESQUISSE DU PROJET PROFESSIONNEL

P. 40

III.I Comprendre des modèles de développement professionnel, à la rencontre des confrères ▪ F8 Architecture – une association pluridisciplinaire propulsée par l’AFEX

P. 46

▪ De‐So Architecture – architecture à l’export & expérience à l’appui

▪ Guita Maleki – parcours d’une collaboratrice libérale

III.II Evoluer vers un mode d’exercice adapté ▪ La place de l’architecte contemporain et les stratégies d’association

▪ Objectifs à court terme et long terme

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CONCLUSION

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REFERENCES

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ANNEXES ▪ Curriculum Vitae ▪ Pétition d’intention [Oct. 2014] ▪ Carnets de bord de la formation HMONP

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NTRODUCTION

Propos sur l’évasion architecturale, soit la figure internationale de l’architecte La notion d’évasion architecturale, migration d’idées, d’architectures et d’architectes, avant même de s’établir en tant que conséquence liée à la crise actuelle du secteur de la construction, est un fait indéniable. La créativité de l’architecte, sa conscience et son éthique relatives à l’environnement bâti, ne sont pourvues d’aucune frontière. Elle concerne les architectes de toutes les générations et affecte particulièrement les jeunes diplômés, en quête de territoires propices à l’expression de leur engouement pour l’architecture. Mes années d’études à l’ENSASE ont pris la forme d’un long voyage, au cours duquel j’ai découvert une multitude de références construites existantes, appris à substituer les mots par le dessin, acquis des connaissances théoriques et techniques afin de prétendre à mon tour au rôle de concepteur. En parallèle de la formation universitaire, mes séjours à l’étranger m’ont permis de porter un regard sur les différents types d’architectures dites locales, afin de comprendre la pensée du projet architectural à travers les ressources intellectuelles et matérielles de chaque pays. La particularité d’une situation ou d’un lieu induit la singularité de l’architecture qui lui est dédiée ; elle fait appel à notre faculté d’abstraction des formes et de la matière, à notre capacité à nous imprégner des contraintes préétablies afin de maîtriser l’ambiguïté régnant entre l’existant et la construction projetée. L’évasion architecturale doit ainsi rendre l’architecte capable de s’émanciper des cadres politiques, normatifs et culturels auxquels il est accoutumé, tout en lui permettant d’adapter à chaque lieu un scénario qui lui soit propre et pérenne, dans le respect de son contexte. Or, au fil des réglementations et des lois, l’architecte‐maître d’œuvre connait en France une perte de contrôle du processus d’édification lisible à plusieurs niveaux : souvent absent dans la programmation, progressivement contraint à se conformer au BIM en phase de conception, voire privé de projet entre les marchés de conception‐réalisation, les bâtiments agricoles de superficie inférieure à 800m², ainsi que les constructions individuelles de moins de 170m². Dans la mesure où un projet équivaut à une proposition, à quelle phase l’architecte devrait‐il s’exprimer? Mes premières expériences post‐diplôme, notamment celles réalisées à l’étranger, ont renforcé ma conviction que les compétences des architectes devraient être requises dès l’origine d’un projet, quelle que soit sa destination… Notre rôle étant de préserver son caractère unique, émanant de toutes les réflexions techniques, économiques et esthétiques que l’architecture sous‐tend. L’observation de l’architecture à l’international ne peut se résumer aux édifices‐vitrines des capitales et des métropoles véhiculés par les médias. Il s’agit d’élargir l’horizon des références auxquelles nous avons accès, en portant un intérêt à la mise en œuvre des différents projets dans leur dimension innovante et technologique… Voire dans leur économie de technologie ?


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Dans cet état d’esprit, l’évasion architecturale a constitué les prémisses de ma formation professionnelle ; elle motive également mes aspirations de future architecte.

Vers l’habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre L’année d’Habilitation à la Maîtrise d’œuvre en son Nom Propre donne l’opportunité d’être guidé dans le milieu professionnel à travers une formation théorique et pratique simultanées. Elle permet principalement à l’initié de rechercher les outils nécessaires, puis la stratégie appropriée, pour cheminer vers son projet professionnel et définir son futur mode d’exercice. Ma mise en situation professionnelle m’a permis d’assimiler les responsabilités de l’architecte‐maître d’œuvre ainsi que le fonctionnement d’une agence, propres à la structure d’accueil, tandis que la formation théorique a su m’apporter les différents aspects de l’exercice de la maîtrise d’œuvre, auxquels je n’aurais pu avoir accès en 6 mois de pratique. M’intéressant à l’absence de frontières de notre profession et aux différentes postures de l’exercice de la maîtrise d’œuvre, j’ai donc choisi d’interroger « La place de l’architecte contemporain en France et à l’étranger – analyse d’un rôle international autour des différents processus de projet ». L’architecture à l’export, aujourd’hui décuplée par la mondialisation et par la crise du bâtiment en France, a toujours constitué une piste à explorer pour ma pratique de future architecte, par‐delà toute crise économique ou crise de la profession. Mon mémoire s’articule autour d’une dynamique comparative entre mes deux principales expériences professionnelles. Il reflète la manière dont ma première expérience post‐diplôme en Amérique Centrale m’a convaincue de la nécessité d’atteindre les qualifications et le statut d’architecte‐maître d’œuvre, et en quoi la mise en situation professionnelle effectuée en France m’a fait entendre les responsabilités invariables endossées par le maître d’œuvre. Les deux premiers chapitres exposent ainsi les trois expériences qui sont aux prémisses de ma réflexion autour de l’exercice de la maîtrise d’œuvre ; ils représentent dans leur union l’ensemble de ma mise en situation professionnelle. Au récit de mon parcours, j’ai souhaité nourrir mes réflexions de l’expérience d’autres architectes afin de comprendre l’unicité de notre profession, au‐delà de la singularité de chaque projet architectural. En ciblant mes entrevues sur leurs propres expériences d’évasion architecturale, j’ai finalement abouti à la problématique suivante :

EN QUOI L’EXERCICE DE LA MAITRISE D’ŒUVRE A L’INTERNATIONAL PERMET-IL AUX ARCHITECTES DE REPRENDRE POSSESSION DE LEUR PROFESSION ?

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I. PREMIERE EXPERIENCE POST-DIPLOME AVEC APOYO URBANO

Le choix d’une expérience à l’étranger Mon parcours universitaire a été particulièrement marqué par une année d’échange à Mexico (2011‐ 2012), durant laquelle j’ai bénéficié des enseignements de la UNAM (Universidad Nacional Autonoma de Mexico) et d’un stage de trois mois à l’agence d’architecture In Situ gérée par l’architecte mexicain Alejandro Juarez. En travaillant en équipe durant ces deux semestres, j’ai constaté que le processus de réflexion du projet architectural des étudiants mexicains était relativement différent du mode de pensée transmis à l’ENSASE. Il se distingue pour les deux parties dans l’inégal approfondissement des problématiques architecturales, qu’elles soient d’ordre conceptuel, technique, économique ou social. En architecture, la formation académique restant étroitement liée aux contextes politiques, économiques et culturels d’un pays, on perçoit au Mexique la nécessité de former rapidement des professionnels techniquement compétents pour répondre à la demande d’une population à démographie explosive, génératrice d’un accroissement accéléré de la ville. Outre les compétences techniques acquises à l’université, le travail des architectes mexicains, notamment celui de la jeune génération, reste sensible à l’inégalité de développement de leur territoire ainsi qu’aux enjeux sociaux véhiculés par l’architecture. Ils profitent d’un cadre législatif et normatif encore peu contraignant pour investir les terrains de leurs expérimentations, promulguant la plupart du temps l’architecture participative comme résultat d’un consensus social.


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Le développement des zones rurales et urbaines se réalise ainsi à mi‐chemin entre directives politiques et expérimentations citoyennes, encadrées par des professionnels de la ville en quête d’innovation. Il s’agit d’une forme de dynamique qui prend de l’ampleur en Amérique Latine ; elle concerne principalement le domaine de l’habitat, où la participation de l’architecte se limite aux paramètres établis par les habitants1. Ce témoignage de démocratisation de l’urbanisme et de l’architecture à l’échelle des quartiers et des communautés s’inscrit dans le contexte socioéconomique des années 1970. Il retrouve ses antécédents historiques et théoriques dans l’exposition de 1964 « Architecture without architects » au MoMA de New York, ayant récemment présenté les processus de conception participative des espaces et des équipements publics communautaires dans l’exposition “Latin America in Construction: Architecture 1955‐1980″, entre mars et juillet 2015. Après cette première approche du continent centre‐américain et suite à l’obtention de mon diplôme d’état, j’ai souhaité effectuer mes premiers pas en architecture au Salvador et au Nicaragua aux côtés de l’ONG Apoyo Urbano pour travailler à l’élaboration de projets participatifs. Ces expériences ont constitué un voyage d’étude enrichissant m’ayant permis de positionner la profession d’architecte avec un premier recul, notamment sur les possibilités d’exercice existant à l’étranger, et de maintenir un regard ouvert sur les potentielles évolutions rurales et urbaines en France.

Figure 1 ‐ Ouvrage inspiré de l’exposition “Architecture without architects″, MoMA 1964, par Bernard Rudofsky, 1973.

Figure 2 ‐ Catalogue de l’exposition “Latin America in Construction: Architecture 1955‐1980″, MoMA 2015, Edité par Barry Bergdoll, Carlos Eduardo Comas, Jorge Francisco Liernur, et Patricio del Real.

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Cf. García Ramírez, W. (2012), Arquitectura participativa: las formas de lo esencial, Revista de Arquitectura, vol. 14, pp.4‐11.

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I.IPRESENTATION DE L’ONG APOYO URBANO Organisation de la structure et objectifs Apoyo Urbano est une association franco‐latine à but non lucratif fondée en 1998 et présidée par Silvia Rosales Montano, urbaniste gérante de l’agence UrbaLyon installée dans la tour Radisson, dans le 3e arrondissement lyonnais. D’origine salvadorienne et vivant en France depuis plus de 20 ans, elle développe principalement son activité associative en Amérique Centrale (El Salvador, Nicaragua, Costa Rica, Honduras), et dans quelques pays d’Amérique du Sud (Pérou, Chili, Argentine). L’association réunit des étudiants et professionnels français et latino‐américains de différentes disciplines (urbanistes, architectes, ingénieurs, sociologues, géographes et économistes) autour des stratégies d’aménagement du territoire, visant au développement d’une culture urbaine accessible pour tous. Ses objectifs de sensibilisation des partenaires locaux (maires, techniciens, habitants…) à l’approche rétro‐prospective de la planification et de l'aménagement durable du territoire s’effectuent au moyen d’un partage des savoir‐faire, mettant à disposition les compétences professionnelles françaises pour former les acteurs locaux. Les membres de l’équipe Apoyo Urbano sont missionnés en tant que bénévoles pour instaurer une médiation sociale et une concertation urbaine de la conception d’un projet à son suivi, notamment à travers la création et l'animation d'évènements. Figure 3 ‐ Apoyo Urbano

Choix des projets et méthode La posture sociale et « apolitique » revendiquée par l’association l’a conduite à travailler essentiellement dans le secteur public du côté des municipalités, quelle que soit leur orientation politique. Par sa connaissance approfondie de l’Amérique Centrale et de l’Amérique du Sud, ainsi que par les partenariats établis avec les acteurs locaux au fil du temps, la présidente Silvia Rosales Montano reste à l’initiative du choix des projets élaborés. Grâce à une communication permanente avec son réseau local et des visites de terrain fréquentes, elle réalise des études de faisabilité sur les potentiels scénarios de développement d’une ville ou d’un


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village, qu’elle présente ensuite aux mairies concernées avant de proposer l’envoi d’une équipe de bénévoles pour sa concrétisation. Les thématiques de planification et d'aménagement du territoire se diversifient autour du tourisme, du transport, de la gestion de l’espace public, du patrimoine, de l’habitat, du commerce informel, de l’environnement, etc… Dont les interventions limitées et/ou étalées dans le temps, régissent le travail de l’association, de l’échelle du projet urbain au prototype architectural. Dans une optique d'échange et de coopération, les intervenants de l'association ne se substituent pas aux équipes locales mais les renforcent, en définissant une intervention ciblée qui leur soit financièrement accessible.

I.IIEXPERIENCE AU SALVADOR : CONCEPTION DU MARCHE MUNICIPAL D’ARMENIA

Contexte de la ville d’Armenia

Figure 4 – Localisation d’Armenia au Salvador / Localisation du casque urbain et des cantons d’Armenia

Figure 5 – Vue panoramique sur la ville d’Armenia

La ville d’Armenia est située au sud‐ouest du pays dans le département du Sonsonate, à 39km de sa capitale San Salvador. Composée de 9 cantons, son territoire à dominante rurale s’étend sur 65,64 km², comprenant une aire urbaine de 2km².

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La ville est formée par un plateau urbain élevé à 570m d’altitude en son centre, entouré de montagnes à hauteur de 1080m, et d’une partie basse à l’est à 450m d’altitude, au niveau du canton de Treis Ceibas. Elle compte une population de 34 912 habitants recensés en 2007, dont 23 994 résidents dans l’aire urbaine, soit 68.7% de la population totale. Par rapport au recensement antérieur (2002), les migrations de la zone rurale à la zone urbaine ainsi que la forte croissance démographique ont conduit au doublement de la population urbaine en 5 ans. L’activité économique d’Armenia est essentiellement tournée vers le commerce de proximité (commerces de petite taille, vente de produits de première nécessité et à usage domestique), puis vers l’agriculture, productrice de légumineuses à graines et de canne à sucre. Cette ville, dotée d’une population jeune (27% des habitants parmi les 7‐17 ans et 49% parmi les 18‐ 59 ans) bénéficie d’une dynamique importante au sein des associations culturelles, artistiques et sportives. Elle souffre en revanche d’un déficit en équipements et services par rapport à son développement résidentiel. Son profil de ville‐dortoir se justifie par un usage des sols principalement résidentiel, répondant à la fois aux besoins d’une population locale peu active, ainsi qu’aux demandes des habitants de la métropole et des communautés voisines.

Coopérations Apoyo Urbano : de l’historique d’interventions à l’objet de ma mission La première collaboration entre la municipalité d’Armenia et l’association Apoyo Urbano s’est établie en février 2011 avec l’accueil sur le terrain de Mathieu Meloni, jeune diplômé en urbanisme, en charge de la constitution d’une base de données écrites et cartographiques à l’usage de la municipalité. Sur une période de 7 mois, il a restitué une étude des dynamiques du territoire visant à déterminer les potentiels et faiblesses de la ville en vue de son développement durable et participatif, et identifié les acteurs locaux susceptibles de contribuer aux futurs projets municipaux. Son travail a permis à la municipalité d’Armenia, ne détenant que peu d’archives et de données mises à jour, d’avoir une vision d’ensemble sur l’état des lieux de la ville concernant ses atouts géographiques, ses secteurs économiques, sociodémographiques et culturels. Son intervention a été succédée par l’arrivée simultanée de deux bénévoles d’origine lyonnaise en avril 2012, Noémie Caplet, jeune diplômée en sociologie et Marie‐Anne Morin, dans le cadre de son Master II en ingénierie ‐ spécialisée dans l’agencement territorial. Leur mission de 6 mois a été exclusivement dédiée à l’étude du marché municipal d’Armenia, devenu l’un des projets prioritaires de la mairie à cause de son développement incontrôlé et de son état actuel insalubre, affectant une importante population de commerçants, d’usagers et de riverains. Leur étude sociologique a été menée à travers des enquêtes de terrain, relevés et recensements précis déterminant à la fois la population du marché (nombre de commerçants, âge, sexe, commerce tenu, présence d’enfants…), sa typologie actuelle et son fonctionnement, aboutissant à une étude statistique qui témoigne des carences spatiales des lieux vis‐à‐vis de la surpopulation.


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En parallèle, la rédaction d’un cahier des charges comme outil guidant la conception du futur projet leur a été confiée. Ce document regroupe à la fois l’étude d’autres typologies de marchés rencontrées sur le territoire salvadorien, des recommandations générales et schémas de principe relatifs à la disposition d’un marché couvert, la définition d’un programme adapté aux besoins du marché municipal d’Armenia, ainsi qu’une étude de faisabilité expérimentant 4 scénarios de projet. Cette démarche méthodique du projet, impliquant le croisement des compétences pour l’élaboration d’une construction publique pérenne qui valorise la dimension sociale de l’urbanisme et de l’architecture, a motivé ma première expérience en tant que bénévole aux côtés de l’association Apoyo Urbano. Mathieu Meloni (fév. ‐ aoû. 2011)

1/ Diagnostic territorial de la municipalité d’Armenia

N. Caplet (avr. ‐ sep. 2012)

2/ Proposition de planification urbaine

M‐A Morin (avr. ‐ sep. 2012)

M‐T Nguyen (sep. ‐ déc. 2013)

2/ Etudes sociologique du Marché Municipal 3/ Guide de conception du Marché Municipal 4/ Proposition d’avant‐projet

Figure 6 ‐ Historique des interventions bénévoles Apoyo Urbano à Armenia, El Salvador

Objet de ma mission : proposition d’avant-projet du Marché Municipal de la Ville d’Armenia en vue de la demande de subventions internationales.

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Mon expérience sur le terrain Les deux années d’études réalisées par l’association sur la ville d’Armenia et son marché municipal m’ont permis de démarrer le projet avec une connaissance du site et de ses enjeux à laquelle je n’aurai pas eu accès en 3 mois. De septembre à décembre 2013, j’ai intégré l’équipe municipale composée d’une quinzaine d’employés administratifs, d’un technicien de l’Unité Environnementale – Luis Mendoza2, d’un Ingénieur Civil Rodrigo Bustamante et d’un technicien Chargé de la Culture Guillermo Vázquez. Le Maire, Carlos Alberto Molina López3, a été mon interlocuteur privilégié durant ma mission. A l’état initial, le marché municipal d’Armenia se situant dans un emplacement central du casque urbain dans le Barrio Nuevo, a été conçu « en dur » avec l’édification de premiers bâtiments supposés pérennes disposés au cœur d’une parcelle de 4 893m². Marquant symboliquement la place du marché, la typologie de chacune de ces constructions datant de 1865 se définit par un espace de stockage commun pour deux ou trois points de vente, accueillant au total une dizaine de commerçants. Au fil du temps, cette parcelle à vocation de zone commerciale a su attiser une population de vendeurs venant de la commune et des villes voisines, s’installant tout d’abord aléatoirement et illégalement sur le terrain en fonction des espaces disponibles, dans les interstices offerts par chaque mouvement de l’entité du marché, congestionnant progressivement les rues. Malgré une absence de hiérarchie visible, le fonctionnement du marché reste régit par un rythme déterminé, soit les horaires, installations et replis des commerces permanents et temporaires, livraisons de marchandises et évacuation des déchets, ainsi que par les chemins tracés en filigrane de ces flux réguliers à travers cette configuration labyrinthique pour toute personne étrangère au marché. Figure 7 ‐ Vue panoramique et photos du marché

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Luis est le correspondant local privilégié d’Apoyo Urbano. Une partie de sa maison est réservée à l’hébergement des bénévoles de l’association depuis la première arrivée en 2011. 3 Carlos Alberto Molina López, affilié au parti politique ARENA, est à la tête de la municipalité depuis 2002. Il a été réélu en 2014 pour son 3e mandat.


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Figure 8 – Congestion des rues par la présence de points de vente informels

Figure 9 – Configuration du marché actuel et organisation des stands formels et informels

Son évolution incontrôlée est à la source des dysfonctionnements actuels : d’une part, sa saturation a généré des conflits d’espaces entre les commerçants, d’autre part, les installations arbitraires ont provoqué une diversification des marchandises sans souci d’organisation des points de vente par catégories, causant d’importants problèmes sanitaires. Par ailleurs, la précarité des structures abritant l’activité de chaque commerçant, établies individuellement en fonction des besoins et des moyens propres à chacun, participe à l’insalubrité de l’entité. Ainsi, la proposition d’avant‐projet pour le marché municipal d’Armenia en un unique marché couvert s’est guidée des problématiques suivantes :

L’urbain : comment programmer et délimiter un périmètre à cette zone commerciale afin de palier au problème d’étalement sur la chaussée et de congestion des rues ? L’architectural : comment faire cohabiter plus de 500 points de vente, formels, informels, permanents et temporaires, au sein d’un même édifice, un édifice représentatif de la ville ? Les parties techniques : comment organiser un marché fonctionnel afin de pouvoir maîtriser son évolution ?

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Le social : en quoi le projet, au-delà de sa fonction d’accueil des activités commerciales, peut-il améliorer le quotidien de ses usagers ? L’économique : par-delà une proposition économiquement accessible, de quelle manière la dimension sociale ajoute-t-elle une plus-value au projet, en vue de la demande de subventions internationales ? J’ai été missionnée à Armenia pour proposer une réponse architecturale au marché municipal, sans avoir connaissance des moyens humains et matériels dont j’allais disposer sur place, et dans l’expérimentation de mes acquis suite à l’obtention du master en architecture. En partant sans équipe et dépourvue des données usuelles au démarrage d’un projet d’architecture, j’ai préalablement effectué un relevé topographique du site pour établir des plans, coupes et maquette de contexte. J’ai réalisé en parallèle mes propres entretiens avec les usagers du marché afin de cerner son fonctionnement quotidien et les besoins exprimés en vue d’une nouvelle construction. La visite d’autres sites similaires ainsi qu’une prise de connaissance des matériaux et techniques de construction ont également été au fondement de ma réflexion. Pour l’avancement du projet, j’ai bénéficié d’un suivi continu de la présidente de l’association, et instauré un dialogue exclusif avec le Maire. Plusieurs scénarios ont été esquissés, présentant surfaces, définition des accès et des configurations du marché afin de maximiser la capacité de points de vente, en privilégiant systématiquement une communication par l’image pour la lisibilité des documents. Sur une phase d’esquisse longue, les multiples réajustements ont servi à l’obtention d’une satisfaction programmatique, fonctionnelle et esthétique de la proposition encadrée par le Maire. Mon intervention s’est finalisée par la présentation de l’avant‐projet définitif au conseil municipal, ainsi que par consolidation du dossier de demande des subventions européennes réalisé en binôme avec la présidente de l’association, déposé en février 2014. Proposition d’avant‐projet du Marché Municipal d’Armenia A échelle urbaine, le problème de congestion des rues pourrait se désamorcer par l’instauration de rues « semi‐piétonnes » permettant l’installation éphémère des vendeurs ambulants dans la journée. L’esprit de zone commerciale actuel (de la parcelle aux chaussées environnantes) serait ainsi conservé sans expulser les commerçants ne détenant pas d’emplacement à l’intérieur du marché couvert, tout en libérant l’espace public de son aspect chaotique. L’unité du marché couvert se compose de deux volumes imbriqués, conçus autour d’un arbre ancien ayant une valeur affective aux yeux des habitants. Il s’agirait de l’édifice le plus élevé du quartier, comptant 3 niveaux et une hauteur maximale de 12m, abritant 462 emplacements de vente formelle, 62 emplacements de vente informelle et 16 zones de restauration. Au 3e niveau, l’établissement d’une garderie tenue par l’association des commerçants vise à sécuriser la présence trop importante d’enfants sur le lieu de travail de leurs parents.


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L’identité architecturale du marché s’inscrit dans un métissage entre typologie coloniale (présence des 3 patios) et contemporanéité (structure mixte métal-bois), représentative des constructions de la Ville.

R+2

R+1

RDC Figure 10 ‐ Proposition d’avant‐projet pour le Marché Municipal d’Armenia

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I.IIIEXPERIENCE AU NICARAGUA : CONCEPTION DES ESPACES PUBLICS DE LEON SUR ESTE

Contexte du site dans la ville de León Figure 11 – Localisation du département et de la ville de León et vue panoramique

Préfecture du département de León, la ville de León se situe au nord‐ouest du Nicaragua. Elle a été la première capitale du pays jusqu’en 1858, avant de céder son titre à la capitale actuelle localisée à 90km au sud de la ville, Managua. León représente aujourd’hui la deuxième ville la plus importante du pays, moteur de sa croissance économique depuis les années 1950, et reconnue en tant que ville universitaire avec l’établissement de la toute première université du Nicaragua en 1813. Fondée 1523, la ville de León a connu un développement lent qui s’est accéléré au cours des cinq dernières décennies, notamment propulsée par la monoculture du coton (1950‐1970) et par l’urbanisation des trois dernières décennies à la suite de la guerre civile et du changement de régime politique du pays. Son territoire s’étend sur 82km², comptant 4% d’aire urbaine et 96% d’aire rurale, où la population urbaine est estimée à 146 797 habitants (recensement 2012). L’augmentation de cette population urbaine a généré l’extension de la ville par l’installation spontanée de quartiers résidentiels, dont la précarité de l’habitat a été à l’origine des préoccupations d’une municipalité perdant le contrôle sur la planification de l’accroissement de la ville. Hormis les quelques actions politiques des années 1980 favorisant l’attribution de terrains aux familles en difficulté, il n’existe pas d’institution responsable du développement de l’habitat nicaraguayen. La population a dirigé l’urbanisation des villes au moyen de l’auto construction et d’une auto gestion des services basiques dont elle nécessite, au‐devant de la mise en place des institutions correspondantes. L’absence de stratégie urbaine a conduit la municipalité de León à une étude de planification visant au développement pérenne de la ville tout en intégrant la participation de ses habitants, en quelque sorte ancrée dans sa culture. Le Plan de Consolidación de la Expansión Urbana – León Sur Este (Plan de consolidation de l’expansion urbaine – León Sur Este) constitue le document fondamental de ce projet, entrepris en 1996. Mon intervention sur le site de León Sur Este s’est ancrée dans la continuité de ce projet de planification urbaine.


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Cadre de travail, antécédents du projet municipal et définition de ma mission De janvier à avril 2014, mon intervention à León a constitué la toute première coopération entre la Mairie et Apoyo Urbano. Le Maire Roger Salvador Guardian Vijil, administrant une ville plus importante qu’Armenia, est à la tête d’un organigramme hiérarchisé plus complexe. Travaillant directement pour le département de « Planification Territoriale », ma mission s’est déroulée au sein d’une équipe municipale pluridisciplinaire, comprenant à la fois les responsables du département ainsi que les référents techniques des directions « Obras Publicas » (Chantiers Publics) et « Vivienda y suelo » (Habitat et Usage des sols).

Figure 12 ‐ Organigramme de l'équipe municipale de León

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Le Programme d’Expansion Urbaine de León Sur Este est issu d’un Plan Maestro approuvé par le conseil municipal de León en février 1996. Ce plan de stratégie urbaine définit 14 projets sur l’ensemble de la municipalité, parmi lesquels le développement d’une nouvelle aire d’expansion urbaine a été prévu au sud‐est de la ville, à la topographie plus avantageuse que le nord‐est montagneux. En 1998, le jumelage de León avec Utrecht a été à l’origine des initiatives de ce programme, créant en 1999 un bureau de suivi technique et d’accompagnement financier du projet par la ville hollandaise. L’année suivante, le Plan de Développement de l’expansion urbaine de León Sur Este a été le résultat d’une analyse territoriale proposant notamment une enveloppe budgétaire pour le développement des projets au cours de la décennie (1999‐2008). Figure 13 ‐ Zone d’expansion de la ville I Localisation du secteur III de León Sur Este

Avec le financement de la ville d’Utrecht, l’allotissement de la zone sud‐est de León prévu dans le plan décennal visait au découpage de la zone en 5000 lots résidentiels. L’étude de faisabilité des 3 secteurs qui s’est réalisée entre 2002 et 2003 n’aura pas porté à l’aboutissement des deux premiers secteurs. En 2008, la municipalité n’a pas atteint les 50% de ses objectifs d’allotissement ; elle a cependant facilité la construction de 2000 maisons individuelles et contribué à l’amélioration de 316 logements existants sur le site, ses interventions ayant ainsi stimulé les initiatives communautaires et la participation citoyenne dans ces secteurs. Ce type de projet à long terme, dépendant à la fois du déblocage des faibles budgets locaux et des financements extérieurs, connait un développement fragmenté. La municipalité se voit dans l’obligation de hiérarchiser ses interventions par ordre de priorité (définition des infrastructures, accès à l’eau potable, installation de l’éclairage public etc.) en dépit des intentions de cohérence territoriale qui sont à la base de toute planification urbaine. De ce fait, le site compte aujourd’hui des aires surdimensionnées dépourvues d’aménagement, posant d’une part un problème d’appropriation illégale des lieux, et créant d’autre part des zones conséquentes de délaissés urbains. Mon travail a consisté en la qualification des espaces publics prévus à la prochaine tranche du plan d’expansion urbaine, soit de repenser l’usage de ces terrains vagues en prenant en compte le potentiel participatif du secteur III.


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Figure 14 ‐ Plan des lots intégrant le site de l’opération I Echantillon photographique de l’état des lieux

Objet de ma mission : proposition d’intervention pour la consolidation des espaces publics du secteur III de León Sur Este dans le cadre du Plan d’expansion urbaine de la ville.

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Mon expérience sur le terrain A l’origine, la délimitation des espaces publics du secteur III résulte de leur implantation dangereuse sous les câbles électriques et de la présence de 9 poteaux à haute tension. Sur cette zone isolée des parcelles habitables, l’absence de projet a conduit à la dégradation du lieu, d’une part délaissé par les habitants et utilisé comme décharge publique, d’autre part illégalement occupé par une population revendiquant son droit au sol. Deux terrains de sport et une aire de jeux improvisés ont également été recensés. L’évolution chaotique de ces espaces initialement destinés à l’usage public génère un impact négatif sur le paysage et sur l’image du secteur ; cette vaste étendue désertique, ponctuellement occupée d’habitations précaires, procure aux résidents un sentiment d’insécurité accentué par l’absence d’éclairage public. Dans l’optique de consolider le tissu urbain de León Sur Este et de récupérer les 5 zones faisant l’objet d’une appropriation illégale, la mairie s’est engagée à relocaliser les familles vivant dans ces zones inhabitables. Le Plan de consolidation urbaine intègre le don des parcelles nécessaires au relogement de cette population dans les futurs quartiers en création. Figure 15 ‐ Etat des lieux : occupations illégales sur les espaces destinés à l’usage public

Les premières visites de site m’ont permis d’élaborer une analyse territoriale du secteur III, basée sur l’étude des forces, opportunités, faiblesses et menaces du site redécoupé par zone afin de saisir les problématiques croisées du projet :

La mobilité : à l’échelle du secteur, comment connecter les espaces publics entre eux et faciliter les déplacements piétons, automobiles et cyclistes ? Le projet urbain : comment créer un projet global reliant chaque espace public en vue de consolider les 3 quartiers traversés par le site de l’opération ? La participation citoyenne : de quelle manière impliquer les résidents dans la planification, le chantier et la maintenance de ces espaces publics afin qu’ils se les approprient ? L’environnement : comment sensibiliser la population au respect de l’environnement, afin d’éviter de nouvelles dégradations des lieux ? Le social, architecture et urbanisme : proposer des espaces de repos et des activités de loisir dans le secteur visant à améliorer la qualité de vie des habitants ; diversifier le programme et les typologies attribuées à chaque élément.


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Le paysage : concevoir les espaces publics en fonction de la végétation existante avec la mise en valeur du paysage naturel de chaque zone. L’esthétique et l’économique : soigner l’esthétique du projet pour renforcer l’image du secteur III et le rendre attractif à partir d’une économie minimale. Mon intervention au sein de la mairie de León a été superposée au planning de l’équipe municipale ; le travail préparatoire a été rythmé par des concertations hebdomadaires du Conseil Municipal, visant aux présentations de projet destinées aux habitants, à la ville d’Utrecht, ainsi qu’au BID (Banco Interamericano de Desarollo), fond monétaire national pour le développement de projets sociaux.

Figure 16 ‐ chronogramme d'intervention

Au cours de la phase de conception, impliquant une production importante de diagnostics, d’analyses et de documents explicatifs, la dimension participative du projet s’est principalement exprimée sous forme d’allers retours entre la mairie et les représentants de la population de León Sur Este, élus par la communauté. En tant qu’acteurs clés du projet, leur présence à chaque conseil municipal a été requise pour l’avancement des propositions. En vue du développement d’un projet pérenne, la participation des habitants du secteur a été prise en compte dès l’élaboration du programme, au moyen d’enquêtes et d’entretiens individuels. Sur un échantillon de 100 individus, incluant à la fois les résidents avoisinant directement le site de l’opération et les occupants illégaux, notre équipe a identifié les besoins et désirs des habitants dans l’optique d’esquisser un programme qualitatif et quantitatif. L’enquête a également permis de collecter le taux de participation potentielle à l’élaboration d’un projet communautaire. Il en résulte une population jeune et motivée par le projet s’étant à 32% déjà investie dans d’autres projets communautaires, et qui porte un intérêt pour le chantier et la maintenance du site plus que pour la phase de planification et de design des espaces publics. A l’unanimité, elle sollicite la création d’une aire récréative dédiée aux activités sportives, la population nicaraguayenne étant particulièrement animée par le baseball et le football. Les travaux menés sur le terrain et en mairie ont abouti à une présentation de projet auprès des habitants en vue d’obtenir une validation de la proposition architecturale. Elle a été par la suite réajustée jusqu’à la définition de l’avant‐projet détaillé des Espaces Publics du secteur III de León Sur Este, visant la consolidation des dossiers de subvention. Les dernières présentations de ce projet, intégré au Plan de Consolidation Urbaine mis en place depuis 1999, ont finalement reçu un accueil favorable de la ville d’Utrecht et du BID, libérant des fonds pour sa réalisation progressive à partir de l’hiver 2014.

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Projet de reconquête des espaces publics de León Sur Este – secteur III Ce projet de planification des espaces publics prétend tout d’abord connecter la zone d’expansion urbaine au reste de la ville, en développant autour du thème de la mobilité des accès pour les transports publics, ainsi que de nouveaux tracés viaires destinés aux piétons, cyclistes et véhicules motorisés. En prenant en compte les attentes des habitants, la création d’un complexe multisports plein‐air a été proposé tel un parcours entièrement ouvert et accueillant les rencontres sportives de la ville de León. Conçu à partir des terrains de sport existants, il s’agit de prévoir l’amélioration de ces derniers en les équipant, et de densifier le site en offrant d’autres activités. Traversant trois quartiers, le site bénéficie d’une morphologie linéaire s’étendant sur 1,25km pour une largeur comprise entre 55 et 82 m, d’une superficie totale de 6,7 hectares. La diversité des paysages rencontrés le long du parcours a été intégrée au processus de conception, dans l’optique de conserver la végétation existante et les caractéristiques naturelles des lieux. Le projet a été pensé selon le concept de « Paisaje Saludable » (Paysage Salutaire), s’articulant autour de quatre enjeux majeurs :   

Le sport : proposition d’équipements sportifs et amélioration des équipements existants ; L’alimentation : introduction d’un « paysage comestible » composé de potagers et d’arbres fruitiers ; Les aires de repos et de sociabilité : installation de mobilier urbain et création de places pour les évènements communautaires ; La culture : introduction de pavillons et d’activités culturelles dédiés au public et aux groupes scolaires voisins.

Figure 17 – Vue aérienne du site d’intervention, Google Maps


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Figure 18 – Exemple de paysage, zone I

Aménagement de la zone B Terrains de volley + piste d’athlétisme

Aménagement de la zone C Terrain de foot + place minérale

Aménagement de la zone I Parc de sculptures

Figure 19 – Proposition d’aménagement des espaces publics de León Sur Este, secteur III : un complexe sportif plein air

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I.IV RETOUR D’EXPERIENCES

Retour critique sur la place de l’architecte au sein des missions Apoyo Urbano Les expériences vécues au Salvador et au Nicaragua se différencient par le cadre de travail qui m’a été proposé, où l’historique des projets à développer a su orienter des poursuites distinctes. D’une part, la configuration individuelle du projet mené à Armenia provient de la faible constitution de son équipe municipale, ne comptant que sur le maire (ingénieur agronome de formation), l’ingénieur civile ainsi que sur l’intervention ponctuelle d’un architecte de San Salvador pour la gestion des projets publics ; la municipalité privilégie avant tout le savoir‐faire des artisans et entreprises locales pour effectuer des travaux à la demande et solutionner des ouvrages techniques. Pour s’organiser dans ce contexte, le processus de l’association Apoyo Urbano consistant à l’envoi successif de bénévoles en fonction des expertises requises (urbaniste, sociologue, ingénieure puis architecte) m’a semblé linéaire et fragmenté dans sa méthode. Ma proposition d’avant‐projet pour le Marché Municipal s’est ajoutée à une chaîne d’études antérieures complexes nécessaires à l’appréhension du site, cependant désavantagée par l’absence d’interlocuteurs initiés au projet. Sur un temps d’intervention court, la possibilité d’échanges et de confrontations d’idées aurait pu contribuer à l’efficacité de la proposition, face à une maîtrise d’ouvrage essentiellement sensible aux visuels et à la dimension esthétique du projet. D’un autre point de vue, la présence d’une équipe pluridisciplinaire plus renforcée pour la Mairie de León m’a permis d’assimiler les processus de projet relatifs à une culture locale en parallèle de mes avancements. La proposition de consolidation des espaces publics du secteur III de León Sur Este s’est jouxtée à quinze années d’études et d’interventions préalables, comptant également sur le soutien financier de la ville d’Utrecht ainsi que sur les interventions ponctuelles d’ONG hollandaises et espagnoles. La réalisation des projets municipaux est donc facilitée, notamment grâce au département chargé de la mise en place des budgets nécessaires à leur exécution. En termes de résultat, les projets d’Apoyo Urbano promouvant l’urbanisme et l’architecture durables et participatifs doivent admettre une échelle de temps relativement longue pour leur aboutissement. Les régions d’Amérique Centrale pour lesquelles l’association opère doivent faire face à des actions prioritaires qu’elles hiérarchisent, afin d’offrir des conditions de vie favorables pour tous ses citoyens. A la base de chaque projet, les professionnels étrangers, qu’il s’agisse de jeunes diplômés ou d’individus expérimentés, et notamment les architectes, reçoivent un accueil positif de la part des municipalités et des populations. Cet accueil témoigne de la considération qui leur est portée au sein de ces sociétés, instaurant initialement des relations favorables entre les différents acteurs du projet. Pour l’architecte, la reconnaissance de son titre reflète avant tout les attentes élevées de la population, qui motivent également un travail obstiné.

Réflexions sur la dimension participative des projets au sein d’une équipe municipale Les processus participatifs des projets urbains et/ou architecturaux restent complexes dans leur diversité : à quelle(s) phase(s) faut‐il introduire ou interrompre les concertations, qu’il s’agisse de l’élaboration d’un programme, du dessin des espaces ou du déroulement des chantiers ?


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Je ne prétends pas détenir de vérité à ce sujet, ni même avoir arrêté mes idées sur la question. Je constate simplement que les écarts d’outils et de langages entre les différents acteurs, s’ils limitent le dialogue dans le déroulement du projet participatif, impliquent nécessairement l’usage de compétences professionnelles particulières, l’architecte étant missionné pour émettre une proposition spatiale. Au Salvador et au Nicaragua, les communautés concernées n’ont par exemple pas témoigné d’intérêt participatif pour le design du projet, remis exclusivement à l’architecte. Par ailleurs, l’expérience vécue à León a révélé les premières divergences d’opinions au sein de l’équipe municipale, séparant d’une part les ingénieurs dans l’attente d’un projet quantifié en vue de sa réalisation immédiate, et d’autre part les urbanistes et architectes souhaitant amorcer le projet participatif par l’élaboration d’une méthodologie basée sur une analyse pointilleuse des attentes de la population, soucieux de la pérennité du projet. La place d’un architecte au sein d’une équipe municipale, à Armenia tout comme à León, m’a semblée une place privilégiée. En permettant à l’architecte de s’exprimer du côté de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage à la fois, elle autorise une exploration profonde du projet, maîtrisé depuis le diagnostic territorial jusqu’à sa conception détaillée.

Au cœur d’un processus de projet participatif, cette place privilégiée donne un sens à la dimension généraliste de notre discipline. Planifier, programmer, quantifier, se concerter, ajuster, définir puis détailler le projet pour le mener à sa réalisation, soient les actions qui regroupent les compétences premières de notre profession.

Transition vers les enjeux de la mise en situation professionnelle A travers l’exploration de la dimension sociale d’une architecture destinée au public, j’ai vécu une expérience d’accompagnement des communautés dans le développement de leurs projets sans prétendre remplacer les équipes locales. Au terme des missions, le suivi des projets est remis aux acteurs locaux, conformément à l’éthique de l’ONG. Or, l’intérêt que je porte à l’exercice de la maîtrise d’œuvre englobe le processus du projet architectural dans son intégralité, donnant notamment à l’architecte les responsabilités de la réalisation. La micro structure qu’est Aerostudio m’a semblée idéale pour orienter mon expérience d’une profession à première vue autonome vers des objectifs personnels prédéfinis :

Répondre aux exigences du projet à travers le fonctionnement d’agence ;

Comprendre les responsabilités de l’architecte, en passant par la gestion de sa structure ;

Expérimenter l’autonomie propre au fonctionnement d’une microstructure ;

Travailler avec les différents intervenants sous le schéma classique des relations MOA/MOE ;

Acquérir les compétences nécessaires à l’orchestration d’un projet, du côté de la MOE.

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II. MISE EN SITUATION PROFESSIONNELLE CHEZ AEROSTUDIO ARCHITECTES

II.IANALYSE CRITIQUE DE LA STRUCTURE D’ACCUEIL Historique de l’agence et profil des fondateurs En 2009, l’agence d’architecture Aerostudio a été fondée par trois associés aux profils distincts : Antoine Cardon, Fabien Guillou et Julien Cavé. Elle reste aujourd’hui sous la direction d’un unique fondateur travaillant seul sur la plupart de ses projets, l’architecte DPLG Antoine Cardon. Diplômé en 2007 de l’école de Nancy, Antoine Cardon s'est appuyé sur ses voyages et ses expériences professionnelles à l'étranger pour développer une approche sur l'architecture interstitielle. Il commence à esquisser le thème de l’entre‐deux au cours de son diplôme au titre évocateur « Rio – Ligaçãoes » (Connexions au cœur de la ville de Rio de Janeiro), en étant soutenu par le fond d'Archidev, qui récompense les travaux portant sur l'amélioration des conditions de vie dans les pays de l'hémisphère sud. Après une première expérience de salarié dans l’agence parisienne de Ban Architectes à l'occasion de l'étude du projet pour le Centre Pompidou Metz, également renforcée d’une expérience dans l’agence de communication Athem, son envie de démarrer une production architecturale propre au sein d’une équipe pluridisciplinaire l’a conduit à s’associer pour créer l’agence Aerostudio, dans le 17e arrondissement de Paris.


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Figure 20 ‐ Profil d'Antoine Cardon, architecte DPLG ‐ gérant d'Aerostudio

L’ex‐associé Fabien Guillou, Architecte DPLG diplômé en 2006 de l’école de Nancy, a également bénéficié d’expériences en France et à l’étranger, soutenant notamment son diplôme à Lima à l'INC (Institut National de la Culture), portant sur un programme de réhabilitation d'une ancienne maison coloniale ayant appartenu à Ramon Castilla, ex‐Président du Pérou au XIXème siècle. A l'issue de son diplôme, il a été lauréat de la bourse Besnard de Quelen, qui récompense les démarches innovantes de la construction. Son expérience en agence française repose essentiellement sur une participation à des projets de logements et d'équipements publics de moyenne envergure. Il a pris part au projet AEROSTUDIO en le nourrissant de ses connaissances en matière de logement, spécialisé dans le domaine du patrimoine, et de sa réflexion sur les nouveaux enjeux écologiques tout en mettant à profit son expérience dans le montage de projet et le suivi de chantier. En 2014, Fabien Guillou se sépare définitivement d’Aerostudio pour se réorienter dans la communication et l’image, en tant que perspectiviste indépendant. De son côté, s'appuyant sur une expérience de gestionnaire de projet obtenue au sein des groupes Thales et MasterCard France et ayant suivi une formation en CPGE puis à l'université Paris 1 La Sorbonne, Julien Cavé a rejoint AEROSTUDIO en tant que chargé d’affaires associé. Il a contribué à l'administration économique et juridique interne de l'agence, assurant la coordination entre la maîtrise d'ouvrage, les bureaux d’études techniques et la maîtrise d'œuvre dans le pilotage opérationnel des projets. Son travail visait à garantir la stabilité de l’agence, veillant à la qualité ainsi qu’à la constance de production générée par Aerostudio. Or, il s’agit d’un rôle difficile à pérenniser au sein d’une agence d’architecture. Le partenariat entre architecte et chargé d’affaires semble à première vue peu commun pour ce type de micro structure. Il aurait pu contribuer au développement de l’agence par une conquête ciblée des marchés, et constituer un renfort important en période de crise généralisée du secteur de la construction. La communication, en termes de diffusion des projets, visibilité de l’agence et acquisition de clientèle constitue souvent le point faible des agences de petite taille. Cette association, essentiellement pragmatique et stratégique, n’aura pas été fructueuse pour Aerostudio : les divergences en matière de stratégie économique et de communication, menaçant l’image de départ souhaitée par les architectes, ont conduit au départ de Julien Cavé courant 2012.

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Choix du mode d’exercice et évolution de la structure En 6 ans d’activité, l’agence Aerostudio a trouvé sa stabilité dans le secteur privé tout en ayant vécu deux évolutions relatives à son statut, ainsi que le départ des deux associés présentés précédemment. Inscrite au N°S15399 au Tableau de l’Ordre des Architectes, les associés ont opté pour le régime de l’auto entrepreneur pour sa création en 2009, souhaitant tester le modèle fiscal de la micro entreprise tout en limitant ses risques. L’agence a été propulsée par le secteur privé par diverses commandes, telles la restauration d’une partie de l’Orangerie du château de la Grange Manom (2009) et la création du pavillon d’accueil du château de Pange (2011), accompagnées de nombreuses rénovations de logements. Pour les jeunes architectes débutant leur carrière, ce dernier type d’opération a tout d’abord répondu aux besoins d’une clientèle de proches, dont les résultats satisfaisants ont conduit à l’élargissement de leur public par le bouche à oreille. Aerostudio a donc multiplié ses projets de réhabilitation et de rénovation pour particuliers, spécialisant sa maîtrise d’œuvre aux prémices de son activité dans l’architecture d’intérieure. Elle est ainsi devenue compétente dans les détails relatifs au second œuvre et au design de mobilier. Son accumulation d’expériences pour des opérations de petite échelle lui a ouvert peu à peu, et par réseau relationnel, des portes sur d’autres marchés privés cette fois visibles par le grand public, telles la banque d’accueil de la BNP dans le 2e arrondissement de Paris ou la pyramide de Courchevel, structure éphémère destinée à recevoir des expositions pour les grandes marques (Dior, Louis Vuitton…). Ses références en matière de réhabilitation de logements l’ont également démarquées auprès des promoteurs immobiliers, se voyant confier plusieurs opérations de ravalement de façades au cœur de la capitale, tout en s’assurant de garder contact avec ces maîtres d’ouvrage privés pour les projets à venir. Ayant atteint le statut de SARL (Société A Responsabilités Limitées) au capital de 7500€ en 2012, son chiffre d’affaire s’est démultiplié en 3 ans, passant de 20 512,49 €HT à 149 402,68 €HT fin 2014. Une évolution récente (mai 2015) a converti la SARL Aerostudio en SAS (Société à Actions Simplifiées), dont l’architecte Antoine Cardon reste le président et unique membre permanent.

Figure 21 – Références AEROSTUDIO : Orangerie du château de la Grange Manom I Pyramide de Courchevel I Rénovation de logement


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Ressources humaines et matérielles internes Anciennement basée dans le 17e arrondissement de Paris au 146 Avenue de Clichy, l’agence Aerostudio s’est installée depuis moins de 2 ans à Boulogne Billancourt au 39 rue Fessart (92), partageant des locaux en co‐working avec le Cabinet Rousselin Gourmain, première entreprise forestière sur les cinq existantes en France. Cette forme d’installation de plus en plus répandue a permis à l’architecte d’alléger les frais de l’agence relatifs à la location d’un espace de travail, et de disposer du matériel appartenant à cette entreprise établie depuis 5 ans (bureaux, photocopieurs, imprimantes…) au sein d’un open space de 120m², détenant deux postes de travail pour son activité. Elle lui offre également un cadre de travail dynamique, favorable à une petite structure dont il est l’unique membre permanent. Suite au départ de son dernier associé Fabien Guillou, lié à la bifurcation de leurs ambitions architecturales au sein d’une agence bien portante mais aux activités peu diversifiées, Antoine Cardon a poursuivi avec constance son projet professionnel, accompagné durant 6 mois d’une stagiaire de deuxième cycle, avant de m’intégrer à l’agence pour ma mise en situation professionnelle.

Mode d’organisation de l’équipe de maîtrise d’œuvre L’organisation interne adoptée par Aerostudio se résume à l’autonomie de l’architecte sur des projets de petite échelle dirigés dans leur intégralité (dimensions architecturale, technique et économique). J’ai ainsi pu bénéficier de cette autonomie durant ma mise en situation professionnelle, en dépit d’une éventuelle expérience de travail en binôme. L’année 2014, outre les changements de configuration de l’agence, s’est démarquée par la livraison du premier projet public d’Aerostudio (rénovation du Théâtre de Prémery ‐ 58), ainsi que par le développement de deux autres projets publics acquis fin 2013, en parallèle des commandes privées. Ayant intégré la structure en janvier 2015, j’ai assisté à la livraison du Théâtre de Prémery, projet de réhabilitation légère commandée par la Ville, plus précisément à la séance de levée des réserves, et suivi indirectement les deux projets publics en cours, soient la réfection des sanitaires du lycée Jules Uhry à Creil (60), et la création d’un préau et d’un bloc sanitaire au Collège Montabuzard à Ingré (45), dont les chantiers sont prévus à la mi‐septembre. Concernant le projet du lycée Jules Uhry et conformément à la demande de la maîtrise d’ouvrage, l’architecte a dû s’associer aux compétences du BET TCE ETR Ingénierie et au cabinet Becquart pour l’économie de la construction, tous deux regroupés sous forme de holding et basés dans le département du Nord (59), dirigés par Patrick Choquel. En parallèle du travail de conception de l’architecte, l’économiste de la construction a accompagné le projet dès la phase d’esquisse jusqu’à la phase PRO, le BET TCE (structure/fluide/VRD/thermique) n’étant intervenu qu’à partir de la phase APD et ne participant pas à l’OPC. Au moyen d’échanges à distance, ce premier projet développé en équipe a su instaurer une relation de confiance professionnelle entre Aerostudio et ces bureaux d’études, l’architecte poursuivant désormais la consolidation d’appels d’offres aux côtés de ces BET malgré leur éloignement géographique.

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Stratégie d’entreprise & valeurs professionnelles d’Aerostudio Conscience professionnelle, compétences acquises dans la spécialisation et relation de confiance entre l’équipe de MOE et la MOA sont les valeurs fondamentales mises en avant par l’agence. L’exercice de la maîtrise d’œuvre pour des projets de petite échelle et spécifiquement dans le secteur privé a tout d’abord été un choix avantageux pour la structure : il peut laisser entendre une plus grande maîtrise de la qualité architecturale des projets, ainsi qu’une maîtrise des délais en phase d’étude et en phase de réalisation par rapport à la rentabilité économique de l’agence. Il permet également à l’architecte de revendiquer sa spécialisation dans l’architecture d’intérieure : fort de ses pratiques, il a d’une part su développer les mécanismes nécessaires à l’obtention d’un résultat architectural satisfaisant, et d’autre part réussi à trouver l’équilibre de sa structure. Pour élargir ses compétences, il cible principalement ses formations continues autour des enjeux environnementaux : il a obtenu le diplôme du LEED en 2014 et suit régulièrement les colloques relatifs aux constructions durables. Il se forme également aux jurys de concours : les participations futures à ces jurys lui permettront à terme de saisir les attentes du secteur public au cours des séances d’ouverture des plis, dans l’optique d’améliorer ses propres candidatures. Sa volonté de persévérer dans le secteur public témoigne de son désir d’élargir son champ de conception architecturale en s’émancipant des commandes privées. Elle reflète également quelques frustrations vis‐à‐vis de l’instabilité des particuliers, générant souvent « l’incertitude du projet »… Incertitude ayant probablement institué la commande publique tel le saint graal de l’architecte. Ma MSP au sein d’Aerostudio m’a permis d’analyser le choix du mode d’exercice d’un architecte indépendant et ses potentielles évolutions, dont la complexité couplée à la situation de crise actuelle a su temporiser quelque jugement catégorique de ma part sur l’expérience assimilée.

II.IIANALYSE DE MON EXPERIENCE AU SEIN DE L’AGENCE

Travail effectué & responsabilités assumées dans le secteur privé En tant que première stagiaire HMONP accueillie par la structure, j’ai eu l’opportunité de travailler en autonomie sur les projets qui m’ont été confiés, guidée par un architecte à la fois investi dans l’ordre des architectes et le syndicat des architectes. Conscient des enjeux de la formation, il m’a laissé expérimenter son quotidien en ne s’immisçant que peu dans mes tâches et actions entreprises. La période de mon stage (janvier‐août 2015), affectée par la crise traversée par les microstructures, n’a pas été propice au développement des projets sur le chantier. Néanmoins, mon expérience a été riche dans l’apprentissage de la gestion d’une agence ; j’ai pu expérimenter la place du maître d’œuvre à l’échelle d’Aerostudio, analyser son potentiel et ses limites, ainsi que comprendre ses stratégies et son évolution. Au cours de mon stage, le rythme d’une semaine type s’est défini autour de deux dynamiques : d’une part les phases de projet à développer pour les missions privées en cours, d’autre part le travail massif


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de production destiné aux marchés publics, par la consolidation de dossiers de candidatures pour les appels d’offres. Pour une microstructure telle qu’Aerostudio, le temps imparti à cette seconde dynamique non lucrative est inévitablement conditionné par les résultats fructueux de la première ; cette forme de production sans garantie de résultat suscite toutefois pour l’agence un intérêt égal aux avancements concrets d’un projet. Une présentation synthétique des tâches effectuées pour les maîtres d’ouvrage privés lors de ma MSP me permettra par la suite de commenter « l’incertitude du projet » évoquée au chapitre précédent : 

Figure 22

Figure 23

Extension d’une terrasse de café à Boulogne Billancourt (92) / Jan.‐Fév. 2015 (figure 22) Programme : remplacement des huisseries et conception d’une nouvelle structure métallique implantée à l’identique de la terrasse existante Surface : 3.17m² Missions effectuées : phases ESQ, APS, APD, dépôt du permis de démolir (PD) et de la déclaration préalable (DP) Statut : après l’obtention des autorisations municipales, le projet est resté sans suite malgré la mission complète stipulée par le contrat. Extension d’une maison de ville à Levallois‐Perret (92) / Fév.‐Mar. 2015 (figure 23) Programme : extension et rénovation de la cuisine Surface : 2.73m² Missions effectuées : Phases ESQ, APS, APD, dépôt de la déclaration préalable (DP), PRO Statut : suite à l’obtention des autorisations municipales, le projet est resté en suspens jusqu’au lancement du DCE au début du mois d’août. Rénovation d’un appartement à Nogent‐sur‐ Marne (94) / Mars – Août 2015 (figure 24) Programme : réaménagement des espaces intérieurs pour la création d’une chambre supplémentaire et rénovation intégrale du logement Surface : 152.33m² Missions effectuées : Relevés, Phases ESQ, APS, APD, PRO Statut : DCE en cours.

Figure 24

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En charge des trois projets cités, j’ai été l’interlocutrice privilégiée des clients ; à travers leurs attentes et leurs appréhensions, j’ai pu assimiler le langage à adopter quant à la présentation d’un projet, ainsi que percevoir l’image stéréotypée que reflète l’architecte auprès des particuliers. Le projet de la terrasse de café, qui constituait initialement un projet d’extension suite à la dépose d’une structure vétuste, a connu deux refus de la part de la municipalité de Boulogne Billancourt avant son autorisation de reconstruction sur une implantation identique : l’ABF (Architecte des Bâtiments de France) puis la Société du Grand Paris se sont opposés à son prolongement sur l’espace public, donnant sur une avenue principale. Ce changement de programme n’a pourtant pas été à l’origine de l’interruption du contrat. Le maître d’ouvrage m’avait préalablement confié son intention de poursuivre le projet en dirigeant lui‐même la phase travaux, faisant appel à ses proches pour sa construction. Dans l’optique de réaliser une économie sur les honoraires et sur les prescriptions constructives de l’architecte, la « tranche ferme » du contrat a donc été tacitement arrêtée à la demande des autorisations municipales. Cette illustration du secteur privé (concernant notamment les particuliers) ne constitue pas un cas isolé mais reflète une réalité endémique pour notre profession : de nombreux maîtres d’ouvrage ont recours à l’architecte pour déléguer la phase de conception et la partie administrative qu’ils n’estiment pas être en mesure de finaliser, tandis que la phase de réalisation semble représenter moins de difficultés. Le maître d’ouvrage reste libre de suivre ou non les recommandations, prescriptions et autres conseils délivrés par l’architecte qui effectue son devoir ; ce dernier ne sera pas tenu pour responsable d’une exécution basée sur des dessins fournis avant la phase PRO, dont l’absence de valeur juridique l’acquitte du devenir de la construction. D’autre part, la mise en suspens du deuxième projet, extension de la maison de ville à Levallois Perret, témoigne des imprévisions relatives au déroulement des projets privés, causées par une trop grande flexibilité concédée au maître d’ouvrage. Cette absence de respect des délais s’est également faite ressentir au cours du projet de rénovation d’appartement à Nogent sur Marne, le projet ayant traversé des modifications de l’ordre de l‘esquisse en phase APD, et la phase de conception s’étant étalée sur cinq mois. Outre l’assiduité de l’architecte, les avancements d’un projet privé dépendent avant tout des validations du maître d’ouvrage, et ne sont délimités d’aucun délai dans le contrat, contrairement aux contrats des marchés publics. Cette gestion improvisée du temps doit être prise en considération en vue de l’impact qu’elle cause sur l’économie de l’agence, l’architecte étant rémunéré par élément de mission.

Contrats et sécurisation du travail de l’architecte En découvrant les tâches de l’architecte dans leur ensemble, j’ai été amenée à remplir les contrats types édités par l’ordre, respectifs aux projets qui m’ont été confiés. En attribuant un projet à l’architecte, le maître d’ouvrage s’engage auprès du maître d’œuvre en signant deux documents à valeur juridique : le CCG (Cahier des Clauses Générales), applicable à tout contrat, et le CCP (Cahier des Clauses Particulières), qui définit la nature de l’opération, l’enveloppe


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budgétaire des travaux ainsi que la rémunération de l’architecte, signé par les deux parties. Ces deux pièces indissociables constituent le contrat d’architecte. J’ai ainsi pris conscience des écarts existants entre les protections stipulées par ces pièces contractuelles et leur mise en application réelle. 

Le maître d'ouvrage s’oblige, en temps utile : G 2.1.4 - à déterminer le délai d'exécution souhaité4

G 5.1.1 - Rémunération forfaitaire calculée « au temps à passer » Le forfait de rémunération est établi entre les parties en fonction du temps que l’architecte prévoit de passer, compte tenu de la complexité du programme, de la mission qui lui est confiée et du prix horaire de son agence.5

G 6.1.2 - Cession du contrat Sauf stipulation contraire, le maître d'ouvrage s'engage avec l'architecte pour la totalité de l'opération décrite au CCP. Le maître d'ouvrage s'interdit de céder l'un quelconque de ses droits à construire et, notamment, de transférer le permis de construire au bénéfice d'un tiers : - avant reprise du présent contrat par toute personne physique ou morale appelée à se substituer au maître d'ouvrage et acceptée par l'architecte ; - ou, à défaut d'une telle reprise, avant règlement des honoraires et indemnités dus à l'architecte conformément à l'article G 9.1 ci-après.6

Or, dans le cas d’une microstructure telle qu’Aerostudio, dont l’architecte seul se porte garant de ses commandes privées acquises de gré à gré, certaines concessions sont inévitables à la conservation d’un climat de confiance et au maintien d’une bonne entente avec la maîtrise d’ouvrage. Une certaine pression s’exerce alors ; l’architecte ne pouvant mettre en jeu sa renommée et perdre de potentielles opportunités d’acquérir d’autres projets, se voit parfois contraint d’engager une production à perte et d’assumer des ruptures de contrat « tacites » avec les maîtres d’ouvrage privés. Dans le cadre du secteur public, le contrat rédigé sous forme d’Acte d’Engagement définit un déroulement strict des prestations de l’architecte en termes de délai (le planning de l’opération étant intégré au contrat) et de rémunération (répartition des honoraires par élément de mission, en fonction du montant des travaux), propre au marché en question. L’architecte dispose donc d’une plus grande visibilité pour la gestion du temps et l’administration économique de sa structure, en vue de sa mission partielle ou complète. Cette forme de contrat plus encadré permet à la fois de garantir à la maîtrise d’ouvrage les conditions de réception de ses prestations (en définissant notamment des pénalités de retard et un seuil de tolérance relatif au montant global des travaux) et de limiter les imprévus pour l’architecte au cours de sa mission (l’acceptation tacite des documents de l’architecte par la MOA après un délai fixé au

4

Cf. Cahier des Clauses Générales, « G2.1 – PROGRAMME ET CONTRAINTES », p. 2/17 Cf. Cahier des Clauses Générales, « G5.1 – MODE DE REMUNERATION», p. 11/17 6 Cf. Cahier des Clauses Générales, « G6.1 – DROITS ET OBLIGATIONS DU MAITRE D’OUVRAGE», p. 13/17 5

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contrat ; le pourcentage des honoraires versé à l’architecte en cas de rupture de contrat sur les prestations non réalisées). Cependant, une autre forme d’insécurité et de pression s’exerce sur les petites structures, contraintes de se sacrifier pour pouvoir accéder à ce type de marché. En effet, la baisse des commandes publiques constatée ces dernières années a amplifié la concurrence entre les petites agences tout en invitant les structures de taille moyenne à concourir aux appels d’offres qu’elles n’auraient pas pris en considération auparavant. La crise vécue par notre secteur d’activité laisse fréquemment paraître une concurrence déloyale traduite par le dumping honoraire. Dans l’acte d’engagement, la transparence relative aux honoraires de la maîtrise d’œuvre conduit parfois au détail de ses honoraires par intervenant, par élément de mission et PAR HEURE en plus de la répartition effectuée au sein de l’équipe de MOE. Or, ce découpage censé relier le travail produit à la rémunération attribuée constitue‐t‐il une réalité ou un calcul dérisoire défini par le maître d’œuvre, voulant s’assurer de l’acquisition du marché ? « Depuis l’ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, les prix et les services doivent être librement déterminés par le jeu de la concurrence. C’est ainsi que l’UNFSA puis l’Ordre des architectes se sont vus dans l’obligation de ne plus publier de barèmes et de supprimer dans les clauses relatives à l’architecture, toute formule de détermination d’honoraires, toutes indications chiffrées (sauf celles concernant la complexité ou l’étendue de la mission). Cette opacité de fait ne joue pas en la faveur du consommateur car faute d’information, il est conduit à choisir un service plus rudimentaire qu’il estime moins cher, alors que ce n’est généralement pas le cas. »7 Afin de préserver le déroulement décent de nos prestations, comment communiquer les outils de référence relatifs à notre profession, d’une part respectant la loi MOP8 et d’autre part en réinstaurant le barème de la MICQP, à une maîtrise d’ouvrage principalement soucieuse de la gestion des caisses publiques, soient celles des communes, des subventions départementales ou régionales ?

Le devoir de conseil des marchés privés aux marchés publics Répondant à des programmes précontraints par leur enveloppe budgétaire prévisionnelle, l’architecte doit réussir à démontrer la satisfaction d’un résultat projeté par une argumentation technique, tout en portant son devoir de conseil auprès de la maîtrise d’ouvrage afin de préserver la qualité architecturale des projets. Or, le secteur privé semble induire plus de concessions de la part du maître d’œuvre dans son travail de conception, allant à l’encontre desdites qualités architecturales. Tandis que les constructions 7 8

Cf. Ordre des architectes, UNSFA, Syndicat de l’Architecture, 2004, Le livre blanc des architectes, p. 16 Loi n°85‐704 du 12 juillet 1985 relative à la Maîtrise d’Ouvrage Publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée. Malgré la

protection qu’elle apporte à la MOA et à la MOE, la loi MOP connaît de nombreux contournements dans sa mise en application ; elle est également menacée de suppression au cours de débats tel le débat Cobaty (mars 2015), voulant remettre en cause sa concordance avec la « révolution du BIM » et les nouveaux besoins engendrés, reconfigurant les missions de base. Cf. Lemoniteur.fr, Faut‐il dire « au revoir » à la loi MOP, article de Bénédicte Rallu publié le 13/03/2015.


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dédiées aux établissements recevant du public (ERP) sont assaillies d’un trop‐plein de normes liées à la fonctionnalité des espaces créés ainsi qu’à la sécurité des usagers, les libertés de composition relatives aux logements privés font appel à la culture et au bon sens des commanditaires. Les prescriptions de l’architecte sachant peuvent alors se heurter aux idées arrêtées d’un maître d’ouvrage, mais ne s’opposeront en aucun cas à sa demande. L’agence Aerostudio, parfois contrainte à l’exécution assidue des volontés privées, se protège au moyen de comptes rendus détaillés à la suite de chaque réunion ; ces comptes rendus doivent être acceptés par la maîtrise d’ouvrage avant de poursuivre le projet, permettant à l’architecte de se préserver de toute insatisfaction de résultat qu’il n’aurait engendré. Concernant le secteur public, l’élaboration des candidatures pour les appels d’offres m’a fait entrevoir les inégalités existant à la fois au sein des équipes de maîtrise d’œuvre en termes de compétences, capacité et références, ainsi qu’au sein des maîtrises d’ouvrage en matière de montage de projet. Le choix de répondre à un marché implique une étude préalable du dossier de consultation des entreprises fourni (DCE), afin de déterminer d’une part l’aptitude de l’agence à candidater en vue des critères requis (capacités financières, moyens humains, compétences et références), et d’autre part la faisabilité du marché proposé. Ce dernier critère d’analyse correspond non seulement à la vérification de la cohérence entre le programme et l’enveloppe provisionnelle lui étant attribuée, mais aussi à la viabilité économique de l’agence dans le rapport temps/moyens requis/honoraires, lui permettant ou non de soumettre une offre se rapprochant des attentes de la maîtrise d’ouvrage. Les pièces du DCE sont généralement constituées comme suit :     

le Règlement de Consultation ou l’AACP (Avis d’Appel à la Concurrence Publique) l’Acte d’Engagement (pièce contractuelle du marché) le Cahier des Clauses Administratives Particulières (CCAP) – lié implicitement au CCAG Le cahier des Clauses Techniques Particulières – lié implicitement au CCTG Le programme et les pièces annexes (plans, photos, études techniques préalables du site, etc.)

C’est à travers l’analyse de multiples DCE de marchés à procédure adaptée, inégaux dans leur constitution, que j’ai compris en quoi le devoir de conseil de l’architecte devait intervenir dès l’analyse des marchés auxquels l’agence souhaite candidater. Aerostudio a pour habitude d’instaurer un premier échange avec la maîtrise d’ouvrage, la conduisant parfois à repenser ses possibilités en termes de projet, voire à modifier son DCE afin de le rendre accessible aux équipes souhaitant par exemple candidater sans BET, ou pour éviter l’invalidité du marché suite aux incohérences détectées dans le DCE. Cette attitude, propre à l’éthique de l’agence, révèle avant tout l’absence d’acteurs compétents du côté de la maîtrise d’ouvrage (architecte, urbaniste ou AMO), dans la mesure où les marchés publics s’établissent à l’initiative des communautés ou mairies dépourvues de sachant. Il en résulte les nombreuses imprécisions du DCE (manque d’informations relatives au programme), ses incohérences (nature du programme et planning imparti par rapport à la date de livraison idéale), des erreurs dans ses pièces constitutives (incohérences dans l’Acte d’Engagement), voire l’ignorance des réalités techniques et économiques relatives au projet souhaité.

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De même, par mesure de précaution, la maîtrise d’ouvrage tend parfois à définir un niveau d’exigence trop élevé quant à la composition de l’équipe de maîtrise d’œuvre et à ses références, par rapport au niveau de complexité réel du projet. Cette tendance affecte tout d’abord la réalité économique des petites agences d’architecture, qui doivent reconsidérer le partage des honoraires (au taux relativement bas) au sein d’une équipe pluridisciplinaire ; de tels marchés, s’ils s’avèrent économiquement oppressants pour les petites structures combatives, conduisent au découragement progressif des autres. Du point de vue de la faisabilité d’un projet, la réhabilitation moins coûteuse que la construction neuve reste un préjugé récurrent du côté de la maîtrise d’ouvrage, tandis que l’enveloppe financière attribuée au projet pourrait permettre la reconstruction d’un bâtiment pérenne, à la fois conforme aux normes d'accessibilité et à la RT2012. Or, l’utilisation des subventions départementales et communales entrant en compte dans l’historique d’une construction à réhabiliter peut empêcher sa conception éclairée. C’est pourquoi l’intervention d’un sachant au sein de la maîtrise d’ouvrage reste nécessaire à la vision prospective des projets à réaliser. Cependant, la dimension politique du projet architectural (rapidité d’exécution du projet pour entrer dans la période du mandat municipal, passation d’un marché public de gré à gré, et autres réalités dénonciables) ne constitue pas toujours un terrain sur lequel peuvent s’inviter les architectes au nom de leur profession, notamment issus de petites structures. L’attitude proactive de l’agence, qui témoigne son intérêt pour le projet autrement que par l’offre économiquement la plus avantageuse (traduit par le courant actuel de dumping honoraire), lui a valu à trois reprises la seconde position aux concours ; la première place lui étant encore limitée par son manque de références. Je pense que cette posture, soit la revendication d’un savoir et d’une intégrité professionnelle en dépit de la situation actuelle, reste la meilleure à adopter pour une évolution décente de notre profession, à la fois fidèle au code de déontologie, et jouant en faveur de l’équipe portant le projet à sa réalisation :

maîtrise d’ouvrage + maîtrise d’œuvre. « Il revient aux élus d’intégrer dans les décisions politiques les moyens d’une architecture de qualité et cela pour toutes les constructions et à toutes les échelles. C’est l’ensemble de notre dispositif réglementaire qui se doit d’être examiné et réformé si nécessaire, pour répondre à cette exigence. Il revient aussi aux élus de s’entourer des conseils et des compétences des architectes en instaurant le titre d’architecte dans la fonction publique territoriale et dans les structures de l’Etat. Un maire, un architecte voilà aussi une proposition pour encourager les élus à faire un appel de façon régulière, à titre de conseil, à des architectes indépendants. »9

9 Cf. Ordre des architectes, UNSFA, Syndicat de l’Architecture, 2004, Le livre blanc des architectes, proposition 2, p. 15


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II.IIIRetour d’expérience

Le devenir de l’architecte indépendant et de la microstructure Mon expérience chez Aerostudio m’a permis de me projeter en tant qu’architecte indépendante, travaillant sur des projets de petite échelle et les maîtrisant sur l’ensemble de la phase de conception (pièces graphiques, pièces écrites et économie du projet). Il m’a été essentiel de comprendre les rouages d’un tel mode d’exercice pour orienter mon projet professionnel. Si travailler à son propre compte semble revêtir l’avantage de pouvoir exprimer ses convictions professionnelles au sein de sa propre agence, aux yeux de tout jeune architecte, je l’ai perçu comme un choix personnel et une forme d’acceptation du marché de la part du gérant, impliquant peu de prises de risques économiques pour sa structure. Préférant se concentrer sur des marchés stables et adaptés aux prestations d’Aerostudio, l’architecte ne consacre que peu de temps à la production non lucrative, ayant abandonné toute participation aux concours sur esquisse depuis la création de sa structure. Cette forme de production théorique est pourtant censée alimenter le corpus de références d’un architecte au cours de sa carrière, et manifester ses ambitions architecturales jusqu’à les porter vers quelques opportunités d’évolution… Elle induit également certaines prises de risques économiques, propres à toute profession libérale. Je ne souhaite pas réitérer ce type d’expérience en microstructure, ni m’orienter vers ce mode d’exercice. Je pense qu’il contribue à l’isolement des architectes dans leur activité au détriment de la cohésion d’un corps professionnel, ouvrant aux groupes de constructeurs, dont les alliances et offres sont plus solides, les perspectives d’établir les scénarios les plus rentables quant au développement de la ville.

Réflexions sur la place de l’Architecte-maître d’œuvre en France Dans le cas du Salvador ou du Nicaragua, si le manque de culture de la maîtrise d’ouvrage a su instaurer des rapports de confiance permettant à chaque acteur du projet de trouver sa place, il engendre en France la multitude de concessions analysées au cours de ce chapitre de la part des maîtres d’œuvres, notamment dans le secteur public. Les compétences généralistes d’un architecte, se résumant par une prise en compte de l’intégralité des facteurs du projet, impliquent sa capacité à communiquer avec les autres corps de métier pour orchestrer les opérations, tout en justifiant la pérennité de cette profession‐clé. Elles nécessitent un savoir qui s’acquiert par accumulation d’expériences dans le domaine de l’édification. Or, les difficultés d’accès à la commande publique que connaissent les agences d’architecture, particulièrement les jeunes structures, s’enrayent par leur manque de références, voire s’accentuent face aux exigences de spécialisation de la part des Mairies, exigences parfois requises pour des programmes peu complexes…

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Au cours de ma MSP chez Aerostudio, les alliances que j’ai dû créer avec de nouveaux BET (BET TCE, environnement, acoustique, cuisiniste) en vue de consolider des candidatures communes pour répondre aux MAPA, m’ont conduite à une première réflexion autour des compétences d’une équipe de maîtrise d’œuvre. Je pense que la formation à l’habilitation à la maîtrise d’œuvre doit tout d’abord émanciper le regard de l’architecte salarié vers la défense d’une profession libérale, puis le rendre capable de concevoir d’autres schémas autour des processus d’édification.

Dans la continuité de cette réflexion, pour correspondre aux évolutions législatives relatives à l’exercice de la maîtrise d’œuvre en France, la reconfiguration des agences d’architecture permettrait‐elle à l’architecte d’exprimer l’importance de son rôle, au sein d’une équipe pluridisciplinaire ?

Transition vers les recherches relatives à mon évolution professionnelle Après l’analyse de mes deux expériences, je souhaite désormais poursuivre mon exploration de l’évasion architecturale dans le sens de l’export d’architecture française à l’étranger, sous une perspective de reconquête de la profession et dans l’hypothèse qu’elle constitue un marché porteur pour les jeunes architectes.

En quoi l’exercice de la maîtrise d’œuvre à l’international permet‐il à l’architecte de valoriser sa profession, voire d’en reprendre possession? Au croisement de mes centres d’intérêts et de mes aspirations, je me suis intéressée au parcours d’autres agences et architectes aux profils distincts, en menant une enquête autour d’objectifs préalablement définis : 

Comment envisager la gestion de projets à distance, de la conception à la réalisation ?

De quelle manière s’établissent les équipes de MOE mixtes, françaises et étrangères ?

Quels sont les acteurs impliqués et les relations entretenues au sein des équipes (maîtrise d’ouvrage privée ou publique, présence d’associations, AMO, etc. ?) ?

L’opportunité de construire à l’étranger constitue-t-elle le propulseur d’une carrière ou le résultat d’un parcours expérimenté ?


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III. ESQUISSE DU PROJET PROFESSIONNEL

III.IComprendre des modèles de développement professionnel, à la rencontre des confrères

F8 Architecture – une association pluridisciplinaire propulsée par l’AFEX

Figure 25 ‐ Equipe F8 Architecture

F8 architecture, ou « fate » (sort, destin) est une agence parisienne fondée en février 2011 à l’initiative de deux architectes, une architecte‐paysagiste et un ingénieur‐travaux. Sa structure pluridisciplinaire, riche des parcours de son équipe, lui permet d’intervenir dans les domaines de l’architecture, l’urbanisme et le paysage. En se voulant à l’écoute de l’ensemble des parties prenantes présentes sur chaque projet, ses activités sont partagées entre l’exercice de la maîtrise d’œuvre et l’assistance à la maîtrise d’ouvrage (AMO). Je me suis intéressée à cette jeune structure pour sa configuration et le profil de ses associés, ne prétendant pas à une spécialisation mais tirant partie de leur alliance pour ouvrir leurs réflexions autour de programmes et d’échelles variées. Parmi les diverses références qu’elle compte en tant que maîtrise d’œuvre, allant de la scénographie de jardins publics en Italie à d’importantes opérations immobilières à Paris,

Figure 26 ‐ Construction de 96 logements à Aubervilliers, chantier en cours

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l’Orphelinat Falatow Jigiyaso qu’elle a réalisé et livré au Mali en décembre 2012 a particulièrement retenu mon attention. L’entrevue qui m’a été accordée par l’agence m’a permis de comprendre de quelle manière F8 a pu se dédier à la dimension humaniste et humanitaire de l’architecture par l’intermédiaire de ce projet, qui peut sembler marginal pour de jeunes professionnels en début de carrière. Figure 27 ‐ Orphelinat Falatow Jigiyaso, 2012

Figure 28 ‐ Orphelinat, vue d'ensemble

Figure 29 ‐ Orphelinat, vue cour intérieure (1)

C’est au cours du séminaire « Villes africaines », organisé en 2009 par l’association malienne des Jeunes de la ville de Fresnes, que l’architecte Nicolas Deloume a effectué son premier voyage au Mali, à la sortie d’un diplôme de Technicien conducteur de travaux Eyrolles à l’ESTP et entrant en formation HMONP. Ce séjour lui a permis de se constituer un premier réseau avec la ville de Fresnes ainsi que des contacts sur place, le sollicitant quelques mois plus tard pour son expertise concernant un programme d’orphelinat à Dialakoroba (Mali), initialement établi par un architecte local. Suite à l’accumulation de difficultés pour l’établissement du programme avec le maître d’œuvre désigné, la Maison des Orphelins Falatow Jigiyaso (maîtrise d’ouvrage) ainsi que la maîtrise d’ouvrage déléguée représentée par les associations SEMAF et AMSCID (Association Malienne de Solidarité et de Coopération Internationale pour le Développement – Fresnes) a décidé d’interrompre le contrat local afin d’attribuer le projet d’orphelinat à Nicolas Deloume. L’architecte DE, à ce moment étudiant inscrit pour son habilitation à la maîtrise d’œuvre, a proposé à ses trois associés actuels de joindre leurs compétences pour porter le projet à sa réalisation, dans le cadre d’un travail bénévole.

Figure 30 ‐ Orphelinat, vue cour intérieure (2)

Figure 31 ‐ Orphelinat, vue cour intérieure (3)

Ainsi, leur première visite de site début 2010 a eu pour objectif la validation du programme avec la MOA et le dessin des premières esquisses, avant de poursuivre la phase conception en France, en contact régulier avec l’AMO local.10 Coïncidant avec l’obtention du diplôme d’architecte HMONP permettant son inscription à l’Ordre français et malien, Nicolas Deloume et son équipe ont décidé de fonder la SARL F8 afin de détenir la propriété intellectuelle de l’Orphelinat Falatow Jigiyaso.

10

Il s’agit d’une Assistance à la Maîtrise d’Ouvrage pour les collectivités représentée par une association malienne, composée d’experts du territoire, notamment d’ingénieurs et de juristes.


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L’agence a cependant dû s’allier à un architecte co‐traitant local par anticipation du suivi de chantier et pour la signature du permis de construire, impliquant son deuxième séjour au Mali.

Figure 32 ‐ Orphelinat, vue chambre

La réalisation de l’orphelinat a fait l’objet de quatre déplacements supplémentaires, notamment lors de la passation du marché à une entreprise générale (suite au lancement de la consultation des entreprises facilitée par l’AMO), pour le démarrage du chantier, à la fin du gros œuvre, enfin pour l’inauguration de la construction livrée à la fin de l’année 2012, en présence des élus locaux et des habitants.

Figure 33 – Orphelinat, vue toiture (1)

Cette opération entièrement bénévole (hormis les frais de déplacement à la charge de la MOA) s’est étalée sur une période de deux ans et aura constitué une expérience concluante pour l’équipe F8. Malgré un suivi de chantier « à distance », elle a pu obtenir des détails techniques et esthétiques soignés grâce au travail d’une entreprise locale investie, tout en répondant avec pertinence aux attentes locales. Quant au devenir de la construction, il n’existe actuellement pas de structure juridique malienne concernant les responsabilités de l’architecte, contrairement aux responsabilités biennale et décennale instituées en France.

Figure 34 ‐ Orphelinat, vue toiture (2)

Ayant attisé un grand intérêt médiatique, les nombreuses publications sur l’Orphelinat Falatow Jigiyaso ont su donner une impulsion au démarrage de l’agence, se voyant également remettre le grand prix de l’AFEX11 2014 avec sa toute première référence construite.

De-So Architecture – architecture à l’export & expérience à l’appui

Figure 35 ‐ "La Boiserie", Mazan, livrée en 2013

Fondée en 2000 par trois associés et comptant aujourd’hui une dizaine de collaborateurs, l’agence DE‐SO est implantée à Paris et à Avignon. Après avoir été lauréats en 2004 des Albums de la Jeune Architecture et de trois concours Europan, l’agence obtient également le Prix National de la Construction Bois CNDB en 2013 pour le bâtiment « La Boiserie » à Mazan (84). Depuis quinze ans, DE‐SO réalise principalement des équipements publics, culturels et scolaires, des opérations de logements et des projets urbains, en valorisant les différentes échelles du territoire et en portant une attention particulière au lieu et au paysage.

11

L’AFEX, association des Architectes Français à l’Export, a été créée en 1996. Destinée à promouvoir le savoir‐faire des architectes français dans le monde, elle est aujourd’hui composée d’une centaine d’architectes et présidée par François Roux (Atelier2/3/4).

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Olivier Souquet, co‐fondateur de l’agence et dont l’épouse est d’origine vietnamienne, « quitte régulièrement les bords de Seine et du Rhône pour se rendre dans le Delta du Mekong »12. En parallèle d’une activité florissante en France, il a incité l’agence à faire ses premiers pas au Vietnam en 2008, en participant à un concours pour l’aménagement de la place de Thu Thiem, futur quartier mixte d’Hô Chi Minh, lancé par le comité populaire de la ville. En remportant ce projet d’aménagement d’une place de 30 hectares ayant pour vocation de devenir la nouvelle vitrine de la capitale économique du pays, l’agence se fait connaître et dès lors inviter aux concours. Elle poursuit ainsi ses réponses aux appels d’offres, dont elle est pour les trois‐quarts lauréate.

Figure 36 ‐ Concours "Place de Thu Thiem", lauréats 2009

L’intérêt commun que je partage avec DE‐SO pour le Vietnam m’a conduite à la rencontre de l’associé Olivier Souquet, m’interrogeant sur les libertés d’exercice des agences françaises dans un pays aux politiques aussi strictes que corrompues. Par ailleurs, j’ai souhaité cibler l’entretien autour du projet de la Cité de l’Architecture et de l’Urbanisme à Hô Chi Minh, actuellement seul projet ayant atteint le stade du chantier tandis que les autres concours sont restés au stade de l’image de synthèse… Le déroulement de l’entretien a tout d’abord su démystifier les nombreuses références non réalisées de l’agence, concernant les concours remportés au Vietnam.

Figure 37 ‐ Concours "Aménagement urbain de Can Duoc", 2013

Figure 38 ‐ Concours "Université de Van Lang" HCMV, lauréats 2013

Figure 39 ‐ Insertion de deux cafés devant la Poste Centrale à HCMV, commande privée, 2014

Le pays a instauré depuis plusieurs décennies une relation de dépendance vis‐à‐vis des agences d’architecture étrangères, notamment françaises ; elles lui apportent une vision prospective appréciée, la planification urbaine semblant échapper aux compétences locales. Les concours publics internationaux lancés par les comités populaires vietnamiens incitent généralement la compétition des architectes européens entre eux. Ils sont à la fois contrôlés par la société pluridisciplinaire américaine Sasaki (architecture, urbanisme, paysage) présente dans les jurys, et contre‐ expertisés par le PADDI, centre de prospective et d’études urbaines lyonnais travaillant sur le développement du territoire vietnamien. Or, l’initiative de ces concours n’implique pas systématiquement l’existence d’un budget alloué pour leur exécution ; il s’agit plus de concours à idées visant à mettre en image les villes vietnamiennes du futur, dans l’optique de solliciter le soutien financier de l’ODA (commissions d’aides

12

Cf. « Des architectes français à l’assaut du Vietnam », article en ligne du Moniteur publié le 12/05/2014 par John Sapporo.


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internationales) et de l’ADB (banque asiatique de développement). Ces absences d’enveloppes budgétaires expliquent la mise en suspens des projets de DE‐SO, tels que la Place de Thu Thiem remportée en 2009, ou l’Université de Van Lang dont ils ont été lauréats en 2013, qui a été interrompue à la phase de conception. De son côté, la Cité de l’Architecture et de l’Urbanisme d’Hô Chi Minh a constitué le projet le plus abouti de l’agence ; elle a également révélé les obstacles politiques et économiques rencontrés pour tout projet de nouvelle construction au Vietnam, ainsi qu’un exercice de la maîtrise d’œuvre distinct des pratiques françaises. Similaire au modèle chinois, le contrat de maîtrise d’œuvre est scindé en deux : l’équipe de MOE (architectes et BET) détient un contrat comprenant l’ensemble de la phase étude, mais ne pourra en aucun cas signer le contrat de management correspondant à la phase travaux, qui revient aux entreprises générales les moins coûteuses, locales ou coréennes. Par ailleurs, l’agence a rapidement été contrainte de produire à perte, du fait d’un pourcentage honoraire initialement bas appliqué à de faibles coûts de travaux, ces coûts étant proportionnels au niveau de vie local.

Figure 40 ‐ Concours "Cité de l'Architecture et de l'Urbanisme", HCMV, lauréats 2013

Figure 41 ‐ "Cité de l'Architecture et de l'Urbanisme", démarrage du chantier avril 2015

Au‐delà des économies réalisées sur la phase étude et la phase travaux, le comité populaire prélève également ce que les expatriés désignent entre eux les « frais de café ». Il s’agit d’une taxe illégale comprise entre 15 et 20% du montant des honoraires que l’équipe de MOE doit déverser au comité, afin de s’assurer d’être rémunérée pour sa mission… Il existe aujourd’hui une dizaine d’agences françaises implantées au Vietnam, bénéficiant de leur notoriété française et d’une main d’œuvre peu coûteuse, et trouvant un épanouissement économique en exerçant leur activité sur place et à l’international. Le groupe AREP, méga structure composée d’équipes pluridisciplinaires (ingénieurs, architectes et urbanistes) reste la plus cotée pour sa spécialisation dans la conception d’infrastructures qui répond aux besoins premiers du pays. L’agence DESO a misé sur un développement inverse : malgré l’absence de visibilité sur les concours remportés au Vietnam, dont la rentabilité économique peut être remise en question, son accumulation de références concernant des programmes importants (édifices culturels et éducatifs, centres hospitaliers, opérations de logements, etc.) lui a permis de se présenter sur la scène architecturale française pour des concours auxquels

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elle n’aurait jamais eu accès auparavant. Les « investissements à perte » au Vietnam auront finalement conduit l’agence à acquérir les moyens humains, matériels et compétences suffisants, dont résultent ses opportunités de projet en France.

Figure 42 ‐ Conservatoire de Melun, livré en 2014

Cantonnée sur ses ambitions initiales, sa stratégie repose désormais sur son installation permanente au Vietnam : un nouveau bureau a été inauguré en mars 2015 à Hô Chi Minh, dirigé par un salarié de l’agence parisienne travaillant pour DESO depuis 2006, d’origine vietnamienne.

Guita Maleki, parcours d’une collaboratrice libérale

Figure 43 ‐ Extension de la Faculté de Droit à Limoges, projet développé au Studio Fuksas, 1997

Figure 44 ‐ Restructuration et extension du Palais de Justice de Bobigny, pour l’agence Ameller & Dubois Associés, 2012

Figure 45 – EHPAD « Les Abondances » à Boulogne Billancourt, pour l’agence Ameller & Dubois Associés, livré en 2012

Guita Maleki a été diplômée Architecte DPLG en 1989, à l’école d’architecture de Paris Villemin. Suite à un projet de diplôme remarqué et publié dans le cadre du Concours pour la Nouvelle Bibliothèque d’Alexandrie, elle a collaboré durant de nombreuses années avec des « starchitectes » tels que Massimiliano Fuksas, Jean Nouvel et Rem Koolhaas. Ses premières expériences en tant qu’architecte salariée lui ont apporté les compétences nécessaires ainsi que la confiance des agences renommées pour évoluer ensuite vers le statut d’architecte libérale, en s’octroyant la responsabilité de projets prestigieux aux côtés d’architectes talentueux. En parallèle de son activité en agence (missionnée par projet), elle participe régulièrement aux concours d’idées tels que l’Europan, continuant à se faire remarquer dans ce cadre. Son implication de plus en plus intense dans les concours et les partenariats public‐privé d’équipements (collège, commissariat, bâtiments hospitaliers et gériatriques) en partenariat avec des agences réputées telles que Ameller & Dubois Associés, réalisés dans une démarche HQE et dont certains projets lauréats sont en cours de réalisation aujourd’hui, l’a conduite à une grande stabilité dans l’exercice de sa profession, aboutissant en 2010 à la création de l’agence d’architecture Guita Maleki. Avec un développement se distinguant des deux structures présentées précédemment, elle a également pu expérimenter l’architecture à l’étranger suivant les opportunités de projet qui lui ont été offertes : aux Caraïbes, à Berlin, à Londres, et à Rabat en partenariat avec Adil Lahlou (architecte local), dont le projet de Centre de recherche de la société Microelectronics a été inauguré en 2006 par le roi du Maroc Mohammed VI. Mon entretien avec Guita Maleki m’a principalement permis de comprendre le modèle de développement d’une architecte

Figure 46 – Centre de recherches de la société Microelectronics à Rabat, en collaboration avec l’architecte Adil Lahlou, livré en 2006


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libérale, pour qui l’association, le partenariat et le travail d’équipe sont au fondement du succès de tout projet.

Figure 47 – Opération de logements participatifs à Vitry‐sur‐Seine, commande privée, phase étude en cours

Elle accroit son champ de connaissances en se faisant « mentoriser » par des professionnels plus expérimentés, accédant ainsi à des projets de grande ampleur et voyageant parmi les différents programmes et échelles architecturales. Cette stratégie lui assure la viabilité de sa structure, maintenue par des missions extérieures ponctuelles, tout en lui permettant de s’adonner à une architecture propre à l’agence Guita Maleki, dont le projet d’habitat participatif « Big Bang Participatif » situé à Vitry‐sur‐Seine constitue l’exemple le plus récent.

III.IIEvoluer vers un mode d’exercice adapté La place de l’architecte contemporain et les stratégies d’association La création d’une agence d’architecture symbolise‐t‐elle la consécration de l’architecte contemporain au sein de la société ? Parmi les trois modèles étudiés, on constate que l’architecture à l’export a constitué l’opportunité pour une jeune structure telle F8 de démarrer ses activités en France, ainsi qu’un tournant dans le parcours de DESO, lui donnant accès aux commandes publiques françaises. Tel un tremplin, ces deux agences ont su faire valoir leurs compétences à l’étranger pour témoigner de leur capacité à édifier en France. Ces projets à l’export restent cependant ponctuels ; malgré la viabilité de leur structure, elles connaissent un ralentissement de leurs activités, n’échappant pas à la situation de crise actuelle. En ces temps peu propices aux architectes et aux agences d’architecture, où le secteur public tend à libérer la concurrence en ouvrant le champ des décisions aux entreprises privées et en répartissant la mission de base de l’architecte entre les BET et les constructeurs, la configuration d’une agence d’architecture classique est‐elle devenue obsolète ? La rencontre de Guita Maleki m’a permis d’entrevoir une autre dimension de la stratégie d’association : en considérant le projet d’architecture comme une finalité, l’architecte s’intègre à une équipe en tant que chef de projet au sein d’une agence, d’un collectif d’habitants, d’une association ou d’un partenariat en co‐traitance. Elle conserve ainsi sa mission de base, maîtrisant le projet de l’esquisse à sa livraison (pour certains projets privés, son rôle de maître d’œuvre peut se voir franchir les fonctions d’un AMO) et développe ses compétences autour d’une profession généraliste. C’est dans cet esprit que je souhaite évoluer dans le milieu professionnel, soit en ciblant les compétences à acquérir ou à renforcer en vue d’atteindre un projet personnel à long terme, agrémenté des opportunités qui s’ouvriront à mon parcours.

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Objectifs à court terme et long terme 

Consolider des connaissances autour d’une vision généraliste de la profession Ne comptant pas me spécialiser dans l’une des ramifications proposées par le vaste domaine qu’est l’architecture (scénographie, urbanisme, patrimoine, environnement ou autre), je souhaite travailler sur diverses échelles de projet au sein d’équipes pluridisciplinaires, en intégrant une agence de taille moyenne voire une grande structure. Je pense qu’il est opportun de cumuler quelques expériences en tant qu’architecte salariée, afin de continuer à observer le fonctionnement d’agences, de maîtriser les différents processus de projet tout en s’assurant une stabilité économique en début de carrière. Par la suite, une évolution du statut sera possible avec l’inscription à l’Ordre des architectes, le statut d’architecte libéral facilitant également une transition entre l’exercice en agence et le travail à son propre compte. D’autre part, n’ayant pas eu accès à une expérience de chantier durant ma mise en situation professionnelle, je souhaite tout d’abord acquérir les compétences nécessaires à la mission de l’OPC. Pourvoir ce poste spécifique en agence d’architecture, au sein d’un BET ou d’un constructeur sur une période courte me permettra in fine d’acquérir des connaissances sur le chantier. Bien que dissociées de la phase de conception, elles restent ancrées dans mes ambitions relatives à la maîtrise d’œuvre.

S’investir dans la production de concours d’idées Certes, la dimension d’autofinancement de la culture peut être controversée dans le système des concours d’idées, induisant des frais de participation parfois exorbitants et généralement destinés à alimenter la cagnotte des trois premiers lauréats. Rappelons cependant que ces concours font écho à la réalité des concours publics, le coût de production non lucrative de l’agence remplaçant dans ce cas les frais de participation. Ils permettent avant tout aux architectes de rester compétitifs tout en continuant à faire germer de nouveaux projets. Parallèlement à une activité de salarié, je pense qu’il est nécessaire à tout jeune architecte de s’investir dans la participation aux concours, notamment ceux dédiés aux jeunes diplômés. Par l’intermédiaire de concours d’idées impliquant des équipes pluridisciplinaires (ingénieurs, architectes, urbanistes, paysagistes, sociologues, voire médecins, etc.) je souhaite travailler en équipe avec de jeunes professionnels motivés afin de tester les possibilités d’association, en vue de monter une équipe de maîtrise d’œuvre composée de divers corps de métier.

Relier le travail bénévole au projet professionnel Après mon retour en France en mai 2014, j’ai suivi ponctuellement les projets des bénévoles de l’association Apoyo Urbano, stagiaires et jeunes diplômés missionnés en Amérique Centrale, afin de les orienter dans les phases de conception architecturale. Je désire conserver une place de membre actif au sein de l’association dans l’optique de l’aider à améliorer son modèle et à concrétiser des projets pour lesquels je porte une conviction personnelle. Cette ONG reste entièrement gérée par l’urbaniste salvadorienne Silvia Rosales Montano, en parallèle des activités de son agence à Lyon. L’observation de sa gestion des deux structures ainsi que l’étude des procédés de son association en interne me permettront, in fine, de développer mes propres projets visant à améliorer l’habitat au Vietnam, pays auquel je reste intimement liée.


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C

ONCLUSION

De l’importation de la ville moderne du Corbusier à Chandigarh dans les années 1950 aux interventions des Architectes de l’urgence à Haïti ou au Népal, le rôle international de l’architecte s’exprime par l’exploitation des ressources locales visant à l’amélioration de l’environnement habité, tout en

accompagnant les populations dans leur quête d’identité architecturale. Cette mouvance est encouragée en France par des associations telles l’AFEX (Architectes Français à l’Export) ou le CIAF (Conseil International des Architectes Français), et consolidée par l’UIA, Union

Internationale des Architectes, ayant pour vocation d’unir les architectes de tous les pays du monde. L’UIA rassemble aujourd'hui les organisations professionnelles de 124 pays et territoires, regroupant au total plus d’un million trois cent mille architectes dans le monde. Or, la dimension accessible que reflète l’exercice de la maîtrise d’œuvre à l’étranger en comparaison aux cadres administratif et législatif français peut être nuancée pour les architectes : cette accessibilité reste relative à l’échelle des territoires et des projets, voire spécifique aux régions dépourvues de telles compétences professionnelles. D’un autre côté, le phénomène de mondialisation favorise le lobbying des constructeurs, qui s’attribuent la plupart des marchés d’enjeux politiques et économiques des capitales en plein essor, proposant des solutions d’ingénierie et de nouvelles technologies rentables, allant à l’encontre de toute vision prospective de l’environnement bâti. En vue de s’aligner à la croissance accélérée des méthodes constructives, la mise en place de regroupements pluridisciplinaires par les architectes leur redonnerait l’orchestration de chaque corps de métier dans le processus du projet, visant essentiellement à anticiper le devenir des villes

et des constructions à l’encontre de ces monopoles, en France comme à l’étranger. Ainsi, l’habilitation à la maîtrise d’œuvre me permettra d’exprimer une vision personnelle de la place de l’architecte contemporain à travers l’exercice de la profession, en me positionnant tout

d’abord contre le phénomène d’isolement des architectes, et restant dans l’optique de découvrir au fil des expériences quelle forme de structure pluridisciplinaire je souhaite initier.

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REFERENCES

Ouvrages   

Ordre des architectes, UNSFA, Syndicat de l’Architecture, 2004, Le livre blanc des architectes, 58p. RINGON (Gérard), 1997, Paris, Histoire du métier d’architecte en France, éd. PUF, col. Que sais‐je, 127p. García Ramírez, W. (2012), dir. Universidad Católica de Colombia Bogotá, Arquitectura participativa: las formas de lo esencial, revue d’architecture, vol. 14, 2012, pp. 4‐11.

Entretiens

  

[28‐05‐2015] F8 ARCHITECTURE, Nicolas Deloume – Architecte HMONP [10‐06‐2015] GUITA MALEKI ARCHITECTE, Guita Maleki – Architecte DPLG [17‐06‐2015] DE‐SO ARCHITECTES, Olivier Souquet – Architecte DPLG

Articles en ligne 

« Architectes français à l’export, L’AFEX autant que faire se peut ? » publié le 06/02/2013 par Annabelle Hagmann http://www.lecourrierdelarchitecte.com/article_4134 « Ces architectes français qui percent à l’étranger », publié le 21/11/2013 par Catherine Sabbah http://www.lesechos.fr/21/11/2013/LesEchos/21568-051-ECH_ces-architectes-francais-qui-percent-a-letranger.htm

« Pourquoi nos architectes triomphent à l’étranger ? », publié le 10/10/2014 par Eric Jansen http://www.lesechos.fr/week-end/styles/0203830088922-pourquoi-nos-architectes-triomphent-a-letranger1052152.php

« Des architectes français à l’assaut du Vietnam », publié le 12/05/2014 par John Sapporo

« Epopée des projets d’architecture à l’export (2/4) : orphelinat au Mali », publié le 13/08/2014 par Raphaëlle Saint Pierre

http://www.lemoniteur.fr/article/des-architectes-francais-a-l-assaut-du-vietnam-1-3-24447192

http://www.lemoniteur.fr/article/epopee-des-projets-d-architecture-a-l-export-2-4-orphelinat-au-mali25185290

Sites internet consultés         

http://www.architectes.org/ http://www.apoyourbano.org/ http://www8.archi.fr/AFEX/ http://www.uia.archi/ http://www.ciaf.fr/ http://www.archi‐urgent.com/ http://www.asffrance.org/ http://www.archidev.org/ http://bigbangparticipatif.fr/


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