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Apprendre : Quand balcons et salons deviennent des scènes
Le confinement d’une partie de la population a suscité l’émergence d’offres culturelles destinées à maintenir du lien, rompre une certaine solitude et permettre de s’évader tout en restant enfermé. Il a vu naitre aussi de belles initiatives de solidarité avec les plus faibles.
Texte : Caroline Dunski – Photos : M.-J. Hanot, L. Joinnot et T. Sergoï
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Le numéro d'Espace-vie du mois d'avril évoquait l’appropriation de l’espace public par les arts et les citoyens, quand a surgi une crise sanitaire sans précédent. Celle-ci a confiné une partie de la population dans des intérieurs aux tailles socialement variables (à lire en page 16), tandis que l’usage de l’espace public était sévèrement restreint et contrôlé. Les réseaux dits sociaux ont alors connu une connexion massive et ont vu fleurir de nombreuses propositions culturelles offrant de nous divertir, de nous amuser, bien sûr, mais aussi de détourner notre attention d’une réalité angoissante.
Timotéo Sergoï, poète de rue
Citons les musiciens qui proposent des concerts « maison » depuis leur salon, les artistes qui s’adressent à d’autres sous forme d’un journal quotidien du confinement, ou encore des centres culturels qui remplacent les rencontres programmées par des rendez-vous virtuels, pour garder le contact, en attendant de pouvoir revivre tout cela dans les lieux culturels du territoire de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le Centre culturel du Brabant wallon (CCBW), par exemple, a proposé de maintenir la « Scène slam ouverte » du 12 mai dernier sous forme d’un « Open Mic » virtuel, genre de mini-scène ouverte via un outil de visioconférence open source, exceptionnellement réservée aux femmes.
Chaque jour pendant 53 jours, pour égayer notre confinement, depuis son domicile nivellois, Louison Renault, ancien président du CCBW et professeur au Conservatoire royal de Bruxelles, offrait un intermède musical interprété au piano, à l’accordéon ou encore au balafon. Avec son fils Elie Theunissen, étudiant en photographie à l’ESA « Le 75 », l’autrice et metteure en scène Brigitte Baillieux a entamé une « correspondance confinée », elle à la plume, lui derrière son objectif photographique. On a vu aussi les artistes formant la compagnie des Baladins du Miroir chanter "Les illuminations" de Rimbaud depuis chez eux. Dans un souci d’informer les gens sur les offres disponibles, la Fédération Wallonie-Bruxelles a également créé le portail « La Culture à la maison », qui donne un tour d’horizon de la foisonnante offre culturelle accessible dans ces moments où la maison est le lieu principal de nos activités. De cette façon, des espaces « privés » deviennent « publics », le « dedans » devient « dehors ».
Certaines de ces multiples propositions prennent des formes plus participatives. Elles invitent à « faire », ensemble ou individuellement. Comme ce journaliste de la RTBF qui incitait ses amis et connaissances à constituer une chorale pour interpréter une chanson, avec autant d’écrans que de choristes. Ou encore Fidèline Dujeu et le Centre culturel de Quaregnon qui invitaient petits et grands à écrire un texte (dessiner, faire des collages ou chanter) en partant de ce que nous inspirent ce que nous voyons de notre fenêtre, une série de photos anciennes ou encore nos souvenirs enfouis. Un exercice ludique pour sortir de chez soi en pensée. C’est bien là tout l’enjeu. Rester en lien, s’évader tout en restant enfermé.
Prouver qu’on est vivant
Avec « À chaque jour suffit son poème », Timotéo Sergoï, défini par certains comme poète de rue, voyageur errant et conteur de résistances, offrait sur Facebook une image-poème à imprimer. Il proposait à ses contacts et « amis » de l’afficher à leur fenêtre ou sur un mur de leur choix, visible par eux autant que par leurs voisins, les passants, les absents. « Le poème changera tous les jours. Cela prouvera à chacun·e que vous êtes vivant·e. Les clefs qui ouvriront toutes les portes s’appellent crayons, gommes et papier blanc. »
L’artiste, qui avoue ne pas trop apprécier les communications électroniques auxquelles il préfère le papier et les murs, s’est demandé « comment la poésie peut trouver sa place ‘utile’ dans ce capharnaüm. (…) La première nécessité est donner de l'espoir. Que chaque texte porte une lumière douce, quelque chose de positif, de souriant, de profond et soit un baume réconfortant. Comme j'ai l'habitude d'afficher, ma première idée a été de sortir la nuit afficher un poème quotidien. Mais le public aurait été tout petit. Il se serait limité à mon quartier et, surtout, les gens ne sortant pas, l'affichage se serait révélé inutile. Alors j'ai pensé à rentrer dans le salon des gens, puisqu'ils sont enfermés. Voilà la solution : le net. Ce n'est pas mon truc, mais là l'outil se révèle super efficace. J'ai deux fronts : chaque jour, j'envoie le poème en PDF à 200 adresses électroniques et je publie une image en jpeg du même poème sur Facebook. Les gens peuvent à leur tour diffuser plus loin et rendre la poésie publique. » Des photos témoignent du fait que les gens affichent les poèmes de Timotéo. « La plus assidue est Ludivine, bibliothécaire à Braine-l'Alleud qui, chaque jour, recopie le texte sur sa fenêtre, sur la table de jardin, sur une affiche... »
Ludivine Joinnot, bibliothécaire
Avec l’arrivée du confinement, la bibliothécaire a été happée par la question du lien rompu avec les lecteurs qui fréquentent habituellement les allées de la Bibliothèque de Braine-l’Alleud. La poésie fait partie du quotidien de Ludivine Joinnot. Elle l’enchante. Un projet avec Timotéo Sergoï se construisait progressivement, juste avant le confinement. C’est parce qu’elle ne dispose pas d’une imprimante chez elle que la bibliothécaire confinée a commencé à reproduire à la main les textes du poète, sur des supports de plus en plus originaux, qu’elle pouvait aussi partager avec ses voisins. « Le temps passant, les supports sont venus à manquer, alors j’ai eu l’idée de faire circuler les poèmes autrement, en les récitant à voix haute, depuis ma fenêtre. Ça rythmait nos quotidiens en les allégeant. »
La culture solidaire
On a vu aussi fleurir, ici et là, des initiatives de culture solidaire. Épaulé par KANAL-Centre Pompidou, Charles Kaisin a imaginé l’action artistique et participative « Origami for life », afin de financer des unités Covid-19 et la recherche de traitements à l’Hôpital académique Erasme. Le designer belge invitait chacun à confectionner des origamis qui rejoindraient une installation prenant la forme d’une grande maison pour symboliser l’unité de soin construite grâce à la mobilisation de tous. Pour chaque origami reçu, les partenaires de l’action s’étaient engagés à verser 5 euros à la Fondation Erasme.
Ailleurs encore, l'opération « 1000 petits bonshommes » est menée au profit de l’asbl Infirmiers de rue. Les petits mannequins articulés qui servent généralement de modèles aux plasticiens ont été envoyés à des artistes belges, mais aussi à des personnalités du monde des médias, pour être habillés et devenir uniques, avant d’être vendus aux enchères.
Plus fort encore, renonçant temporairement à leurs missions culturelles, certains acteurs culturels ont décidé de se rendre utiles en aidant les malades et les personnes isolées, en apportant leur aide, aussi modeste soit-elle. À l'heure où l'urgence est ailleurs, à l'essentiel, se nourrir et se soigner, ils ont choisi d’admettre leur impuissance et de la convertir, le temps de cette crise, dans la force d'apporter une aide concrète, matérielle et humaine. À l’appel de l’Association solidaire des Masques stéphanois (ASMS), certaines travailleuses du Centre culturel du Brabant wallon ont rejoint l’énorme élan citoyen qui a rassemblé plus de 300 bénévoles pour prendre part à un atelier de couture afin de confectionner des masques pour les habitants et habitantes de Court-Saint-Étienne.
Alors qu'aujourd'hui les artistes ont pu expérimenter d'autres formes de rencontres et d'interactions avec leurs publics, composant avec les règles de distanciation physique par écran ou balcon interposé, se pose la question de savoir comment le secteur culturel cultivera ces belles énergies qui nous ont toutes et tous réunis.
Pour aller plus loin
Retrouvez sur espacevie.be une autre approche de ce sujet, avec l'intervention d'intellectuels qui ques tionnent la prolifération et le sens de ces distractions, propices à renforcer notre dépendance au numérique et à l'entre-soi.
Depuis fenêtre
La Maison de l’urbanisme du Brabant wallon a élaboré une démarche visant à offrir une fenêtre sur le territoire de la province et les enjeux de l’urbanisme. Réalisé par l’illustrateur Alain Maes, « L'urbanisme c'est nous » constitue un condensé du territoire et une invitation à s’approprier les enjeux de l’urbanisme. Pensé, inventé, fabriqué entièrement de A à Z par l'équipe de la Maison de l'urbanisme, au cours d’un chantier qui l'a mobilisée depuis 2018. À mi-chemin entre réalité et imaginaire, ce condensé est une invitation à prendre conscience que l’urbanisme fait partie de notre vie et que nous pouvons tous être acteurs de la fabrique du territoire (cf. Espace-vie n°295).
En cette période difficile de confinement, avec cet outil entièrement dessiné, chacun et chacune pouvait réaliser une petite escapade hors de chez soi tout en restant chez soi, en partageant sa vision sur son cadre de vie, en complétant, coloriant, photographiant, découpant ou redessinant le condensé. Depuis le début de sa diffusion, la Maison de l’urbanisme du Brabant wallon reçoit régulièrement les contributions de personnes qui se sont emparées de l’objet et qui font part de leurs perceptions subjectives. Ces contributions émanent parfois de familles généralement peu intéressées par les questions d’aménagement du territoire. Elles viennent enrichir une perception collective de notre territoire et montrent que l’urbanisme est l’affaire de tous.
Parmi ces contributions, celle de Marie-Joëlle Hanot. Confinée avec sa famille dans leur maison de l’extrême Est du Brabant wallon, elle a reçu cette grande carte dans sa boite aux lettres, avec le précédent numéro d’Espace-vie. « Nous l’avons étendue sur la table de la salle à manger avec des marqueurs et, de jour en jour, nous avons colorié les éléments qui nous plaisaient le plus. Au début, on s’est d’abord attaché à ce qui nous rappelait le plus notre environnement rural. Chaque jour, l’un de nous attirait notre attention sur des détails qu’il découvrait. Mais à la fin, il n’est plus resté un seul centimètre carré non colorié. On s’est fort amusés. Pas seulement pour le côté ‘fun’ du coloriage, mais aussi de découvrir différentes façons d’aménager le territoire. »