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Le bâti brabançon face au défi de la rénovation énergétique

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Le parc immobilier brabançon va devoir être complètement rénové pour rentrer dans les clous des exigences européennes. Un défi gigantesque alors qu’il est essentiellement composé de passoires énergétiques.

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Texte : Xavier Attout - Photos : X.A. et inBW

Les chiffres avancés ne sont pas vraiment de nature à être particulièrement enthousiaste. Le parc immobilier du Brabant wallon est un gouffre énergétique. C’està-dire que par manque d’isolation de leur maison ou de leur appartement, la plupart des habitants du Brabant wallon chauffent leur maison en pure perte. La chaleur s’envole presque aussi vite qu’elle ne sort des radiateurs.

L’énergie n’est plus aussi bon marché qu’auparavant. Il est donc moins facile de cacher le déficit chronique des passoires thermiques. A l’échelle wallonne, 80 % du parc date d’avant 1981. En matière de certificat de performance énergétique des bâtiments (PEB), sur une échelle de A à G, la moyenne du parc wallon de logements est F. Résultat des courses, pour répondre aux obligations européennes fixées à 2050 (PEB À pour tous les batiments), il faudra effectuer 45 000 rénovations par an. Soit tripler le rythme actuel. Or, on estime à 120 milliards le cout de ces rénovations pour les ménages wallons. L’université de Gand affirme même de son côté qu’un ménage sur deux n’a pas les moyens d’effectuer ces rénovations. L’équation s’annonce donc particulièrement complexe à résoudre. Même en Brabant wallon où le contexte est un peu meilleur qu’ailleurs : on y relève que 35 % des logements ont un PEB compris entre A et C, 37,8 % entre D et E, et 26,4 % entre F et G. « En matière de rénovation énergétique, la situation est relativement simple à résumer, a expliqué Quentin Jossen, consultant énergie et climat chez CLIMACT, pilote de la stratégie wallonne de rénovation énergétique, lors de notre dernier Midi de l'Urbanisme. Ce n’est pas gagné mais cela en vaut la peine. C’est possible, mais il faut changer de paradigme. Il faut en tout cas coopérer et innover pour sortir du business as usual. »

Pour parvenir à relever ce défi de la neutralité carbone d’ici 2050, deux éléments ont été mis en place par la Wallonie : une stratégie, déjà définie, et une recherche-action sur la manière d’y parvenir. Cette dernière est en cours et doit se terminer fin 2023. « La priorité est de cibler avant tout les logements les plus énergivores, estime Quentin Jossen. Soit ceux construits avant 1945, qui représentent 50 % du bâti. Et qui sont les plus représentés dans les catégories F et G. L’objectif reste d’atteindre le label A d’ici 2050 et de sortir des combustibles fossiles. Pour y arriver, on estime qu’il faudrait 125 rénovations lourdes par jour pendant 30 ans. L’objectif est d’accélérer le rythme de rénovation tous les cinq ans. Il faut aussi stimuler les rénovations profondes en une fois vers le label A. »

L’objectif reste d’atteindre le label A d’ici 2050 et de sortir des combustibles fossiles. Pour y arriver, on estime qu’il faudrait 125 rénovations lourdes par jour pendant 30 ans. Quentin Jossen, Climact

Les rénovations se passent le plus souvent lors de quelques moments charnières d’une vie, à savoir lorsqu’il y a un changement de propriétaire ou un changement de locataire. L’idée serait de stimuler le nombre de moments clés. « Pour suivre le rythme espéré, il faudra passer par l’industrialisation, de manière à réduire le besoin de main d’œuvre et augmenter la qualité de même que réduire les coûts, ajoute Quentin Jossen. Dans tous les cas, il faut innover. On pourrait rendre possible la rénovation énergétique complète sous forme de mensualité, en fixant par exemple un montant de 100 ou 150 € /mois avec un taux zéro à rembourser à la Wallonie. Travailler sur le coût, le financement et sur un business model est en tout cas essentiel. Il faut aussi déclencher et faciliter la rénovation par quartier entier. »

Une offre clé-sur-porte pour la rénovation

Reste que si la théorie est bien ancrée, passer à la pratique s’avèrera bien compliqué. Surtout dans un contexte économique incertain, avec des hausses de prix des matériaux et une inquiétude croissante des ménages. « Le vrai défi est de développer un écosystème compétitif pour permettre l’accès à une rénovation facile, de qualité, en profondeur et au coût juste pour une transition bas carbone », lance Clarisse Mees, cheffe du Laboratoire Caractéristiques Energétiques au sein de Buildwise.

L’objectif est de disposer à ce moment là d’une feuille de route précise et d’une marche à suivre pour atteindre les objectifs. « Nous avons déjà remarqué que la difficulté principale est de s’y retrouver dans le choix des travaux à effectuer, de l’entrepreneur à choisir, etc., lance Clarisse mess. L’objectif est donc de mettre sur pied un one stop-shop. Une offre clé-sur-porte de la rénovation. Le candidat sera accompagné et guidé de manière à s’assurer de la qualité des travaux réalisés. L’idée est que la procédure soit la plus simplifiée possible. En fait, il faut une vraie approche marketing de la rénovation pour parvenir à les convaincre. » Précisons que d’après une enquête réalisée dans le cadre de Reno+, le budget ne dépasse pas 50 000 euros dans 75 % des cas. « Dans la réalité, on est davantage autour de

RÉNOVATION PEUT AVOIR UN RÉEL IMPACT SUR LE TERRITOIRE »

Le bâti résidentiel du Brabant wallon est composé à 77 % de maisons et à 23 % d’appartements. Si la proportion de ces derniers est en hausse, ils ne rattraperont jamais les multiples lotissements qui sont sortis de terre ces dernières décennies, donnant une configuration particulière au parc immobilier de certaines communes. L'enjeu de la rénovation dans la plupart des communes du Brabant wallon s'annonce ardu. La question de l’avenir de ces villas des années 1970 particulièrement énergivores – et vendues à un prix élevé – est sur toutes les lèvres. « Waterloo est bien représenté en la matière, reconnait Cédric Tumelaire, échevin de l’Énergie, des Bâtiments publics et de la Smart City à Waterloo. Notre parc immobilier est composé de nombreuses villas particulièrement énergivores. Il s’agira d’un vrai défi de les rénover. Il va falloir reconstruire la ville sur la ville. Ce qui devrait entrainer de nombreuses modifications urbanistiques et avoir un réel impact sur le territoire. Mais la problématique s’annonce complexe car nous ne souhaitons pas voir notre territoire être encore davantage densifié. Dans ce cadre, la commune souhaite être un exemple en matière de rénovation énergétique pour ses concitoyens. Notre stratégie est donc bien déterminée. »

A Louvain-la-Neuve, on pourrait de prime abord se dire que le bâti résidentiel est obsolète et énergivore. C’est loin d’être le cas. « La configuration du bâti, composé essentiellement de maisons 2 et 3 façades, est avant-gardiste, détaille

Nicolas Cordier, le directeur du développement urbain et régional de l’UCLouvain. Le bâti résidentiel est très compact, ce qui est un atout sur le plan énergétique. La PEB doit tourner autour de C ou D. Les vrais freins à la rénovation sont par contre l’importante présence de copropriétés. Les propriétaires louent également facilement leur bien ce qui ne les pousse pas à procéder à des rénovations. Par contre, l’homogénéité urbanistique pourrait faciliter la rénovation de masse. »

D’ici quelques années, la construction du quartier Athena-Lauzelle sera lancée. Ce sera un modèle du genre en matière de durabilité. « Sans oublier qu’une centrale biomasse permettra d’alimenter Louvain-la-Neuve en chauffage d’ici peu », ajoute Nicolas Cordier.

Voici à quoi ressemble une carte de thermographie aérienne

Une thermographie aérienne du Brabant wallon

Un petit avion a survolé le Brabant wallon à plusieurs reprises ces dernières semaines. L’objectif ? Etablir un diagnostic des déperditions de chaleur par les toitures de l’ensemble des bâtiments privés et publics.

Ce projet de thermographie aérienne réalisé à l’échelle d’une province est une première en Wallonie. Il doit permettre d’informer tous les habitants sur les actions à mener pour isoler leur habitation et les encourager à entreprendre des travaux en la matière. « Grâce au survol du territoire par un avion équipé d’une caméra thermique infrarouge, nous souhaitons sensibiliser les habitants de même que les acteurs publics et privés à la maîtrise de l’énergie et ainsi réduire les émissions de gaz à effet de serre en Brabant wallon », lance Laurent Dauge, directeur de l’intercommunale inBW, qui pilote cette action. Chaque habitant pourra se rendre dans sa commune à partir du printemps 2023 pour connaitre le bilan énergétique de son habitation. Il recevra une cartographie détaillée de son bien. Seul le propriétaire pourra recevoir des informations relatives à son bien, RGPD oblige.

Interview

80 000 à 100 000 euros pour la rénovation entière d’une maison mitoyenne, relève Clarisse mess. Il faut donc phaser ces rénovations. »

Pour le reste, on le voit, l’enjeu reste donc d’accélérer la cadence en matière de rénovation. Pour cela, il faudra massifier les rénovations. C’est-à-dire rénover à grande échelle, que ce soit des rues ou des quartiers en entier. « Nous allons essayer de mettre en place des trains de rénovation, par rue ou par quartier, espère Clarisse Mees. Cela permettra de faire des économies d’échelle. Il faudra aussi réussir à convaincre tous les habitants d’agir au même moment, ce qui ne sera pas aisé. Mais ces défis en valent la peine. »

Pour aller plus loin

La Maison de l'urbanisme a organisé un Midi de l'urbanisme sur le sujet en décembre. Retrouvez toutes les présentations des orateurs sur le site mubw.be

Yves Hanin, directeur du CREAT (UCLouvain)

Propos recueillis par X. A.

Quel impact peut avoir sur le territoire une importante rénovation du bâti brabançon ? C’est une question à laquelle il est encore difficile de répondre précisément. On peut toutefois imaginer que cela va accentuer la division de logements et de parcelles, de manière à pouvoir financer les travaux. On observe déjà que cela entraine une augmentation du nombre de démolitions/reconstructions car elles deviennent plus abordables que des rénovations. De cette manière, on aménage deux logements au lieu de un et on voit aussi apparaitre davantage d’immeubles à appartements qui remplacent des villas obsolètes sur le plan énergétique et technique. Réaliser d’importants travaux est surtout l’occasion de réfléchir sur ses besoins, d’autant plus quand cette rénovation peut avoir un impact budgétaire élevé.

Ces mutations urbanistiques ne sont toutefois pas l’apanage de toutes les communes. Au contraire même…

En effet, certaines ne veulent pas de cette densification cachée car elles ne savent déjà pas gérer leurs actuels problèmes de mobilité et financer la hausse des besoins en matière d’équipements. La division de logements est vue de manière négative en Brabant wallon. Toutes les communes ne sont néanmoins pas contre cette stratégie. Certaines sont favorables à ce type de modification. Cela peut générer aussi d’autres approches du bâti et de la manière d'habiter.

Et une accentuation de l’intérêt d’habiter à proximité d’un centre et des services ?

C’est une possibilité à espérer. Le phénomène avancé par certains qui est de vendre sa maison pour s’installer dans un appartement semble moins important qu’attendu, même s’il existe. L’étape du déménagement reste un cap à franchir, qui n’est pas aisé. Cela ralentit les mutations.

9 espacevie.be janvier 2023

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