Sur le chemin de l’Eveil

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A la rencontre de l’héritier du dalaï-lama

Sur le chemin de l’Eveil Décembre 2009. Bodhgayâ, Etat du Bihar, dans la vallée du Gange, au nord de l’Inde. Haut lieu de la foi bouddhique, où Siddhârtha Gautama, au VIe siècle avant notre ère, connut l’Illumination. Reportage en trois volets pour suivre pèlerinage et enseignements avec le karmapa puis le dalaï-lama en compagnie de Myriam Szabo, pratiquante depuis trente ans, qui, tout juste sortie d’une retraite au Sikkim, nous parle de son engagement dans le Dharma, la doctrine du Bouddha. Un reportage de Jef Gianadda (textes) et Christian Eggs (photographies)


Rassemblement de «prières pour la paix dans le monde et pour l’environnement», le 27e Monlam Kagyu, présidé par le karmapa, s’est tenu du 24 au 31 décembre 2009. A gauche, le stûpa de Bodhgayâ. Le temple de la Mahâbodhi (Grande Illumination) accueille chaque année des dizaines de milliers de pèlerins du monde entier.


Du 5 au 9 janvier 2010, Sa Sainteté le XIVe Dalaï-Lama (à g.) a donné cinq jours d’enseignements à Bodhgayâ, tandis que Sa Sainteté le XVIIe Karmapa (ici avec Myriam Szabo à ses côtés) y a enseigné du 20 au 22 décembre.

Le bouddhisme en trois mots Objets de vénération représentant des «refuges» pour les adeptes, les trois éléments fondamentaux du bouddhisme, Triratna (littéralement «Trois Joyaux»), sont: – Bouddha, L’Eveillé. Homme ayant reçu l’Illumination parfaite. – Dharma, La Vérité. Concept central du bouddhisme utilisé dans des acceptations diverses: Loi cosmique; doctrine du Bouddha; ensemble des règles éthiques et des normes de comportements; manifestations de la réalité; pensées, idées. – Sangha, La communauté (bouddhique). Au sens restreint, ne désigne que les moines et les nonnes, novices compris. Dans une acceptation plus large, englobe aussi les adeptes laïcs.

C Aujourd’hui, ils sont des milliers, mais le lama français Tcheuky Sèngué se souvient: «Le Monlam Kagyu a repris en Inde il y a vingt-sept ans. Lors des premières éditions, il y avait entre trente et quarante moines…»

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inq heures du matin, temple de la Mahâbodhi (Grande Illumination), site inscrit sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2002. Dans l’obscurité d’une nuit pas encore évanouie qui rend le froid chargé d’humidité peut-être plus mordant qu’il ne l’est vraiment, au cœur d’un silence habité, les premiers méditants s’installent déjà au pied de l’arbre sacré. Respect, recueillement et contemplation.Il y a de la densité et de la grâce dans l’air. C’est là, sous ce ficus religiosa, ou figuier des pagodes (l’arbre actuel est une bouture obtenue à partir d’un rejet de l’arbre originel), il y a près de 2600 ans, que le prince népalais Siddhârtha Gautama (le bouddha historique, appelé aussi Shâkyamuni) réalisa l’Illumination parfaite (ou Eveil – bodhi),à l’âge de trente-cinq ans,après quaranteneuf jours de méditation. Avec son grand stûpa en briques du Ve ou VIe siècle de cinquante-deux mètres de hauteur bâti sur les ruines d’un premier temple érigé au IIIe siècle avant Jésus-Christ,ses innombrables stèles, petits stûpas votifs (pour la plupart millénaires) et sa balustrade de grès rose, l’endroit est le plus sacré des quatre lieux saints du bouddhisme; les trois autres étant ceux de la naissance, du premier sermon et de la mort du Bouddha.


Sous l’arbre de l’Eveil: «Puissent tous les êtres atteindre la félicité et cultiver les causes de la félicité. Puissent-ils ne pas souffrir et se libérer des causes de la souffrance…»


Rencontre avec le maître de Myriam Szabo «Amour + compassion = bonheur» Docteur en philosophie bouddhiste, éminent érudit et grand maître de l’école Kagyu (lignée de la transmission orale), Ringu Tulku Rimpoché (1952) est l’auteur, entre autres nombreux ouvrages – dont des manuels scolaires, recueils de contes et bandes- dessinées – de Et si vous m’expliquiez le bouddhisme? (Nil Editions, 2001; J’ai Lu [poche], 2004), essai au sujet duquel Matthieu Ricard (auteur, photographe et traducteur francophone personnel du dalaï-lama), dans sa préface, assure: «Ce livre constitue l’une des meilleures et des plus simples introductions au bouddhisme dont nous disposons actuellement.» Reconnu comme la réincarnation de l’abbé du monastère de Rigoul, au Tibet, par le XVIe karmapa, dont il fut l’élève et dont il reçut le titre de khenpo (titre académique équivalant au doctorat), Ringu Tulku Rimpoché a étudié sous la direction de différents maîtres appartenant aux quatre écoles principales du bouddhisme tibétain. Depuis les années 1990, il se rend régulièrement en Occident pour y enseigner. Entretien sous l’arbre de la bodhi (de l’Éveil) avec celui qui est aussi le coordinateur de la première visite du karmapa en Europe ce mois de juin 2010. Pour nous, Occidentaux, le bouddhisme est souvent idéalisé, mais pas toujours bien compris. Religion, philosophie? Comment le définiriez-vous? – C’est difficile. J’ai posé cette question à des étudiants occidentaux avancés destinés à devenir des professeurs du Dharma (ensemble des enseignements donnés par le Bouddha, ndlr.) alors que je leur donnais un cours, en Allemagne. Je leur ai demandé: 1) Qu’est-ce qui vous serait le plus utile et le plus bénéfique dans le bouddhisme? 2) Qu’est-ce qui vous est le plus difficile dans le bouddhisme? 3) Qu’est-ce que le bouddhisme? Parmi toutes les réponses, celle-ci était peut-être la plus intéressante: 1) Être responsable de moi-même, de personne d’autre. 2) Être responsable de moi-même, de personne d’autre. 3) Être responsable de moi-même, de personne d’autre... En effet, dans le bouddhisme, chacun est seul responsable de ses actions, construisant seul son présent et son futur. Et la méditation, qu’est-ce que c’est? En Occident, quiconque ferme les yeux trois minutes sur fond de musique New Age croit qu’il médite! – Fondamentalement, la méditation, c’est de travailler sur son esprit. C’est apprendre à autoriser son esprit à être naturel pour que la paix et la joie en émergent.

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Ringu Tulku Rimpoché et Myriam Szabo.

Le bouddhisme – tibétain en particulier – bénéficie d’un capital de sympathie élevé en Occident. Selon vous, quelle en est la raison? – Elles sont plusieurs je pense; la première étant que le bouddhisme est très fortement basé sur la compréhension et le raisonnement. La philosophie bouddhiste est très flexible, non rigide, et compatible avec la pensée et la science. Comme dit souvent le dalaï-lama: «Si vous trouvez quelque chose de vraiment erroné dans la philosophie bouddhiste, et que vous le prouvez, je suis prêt à le changer.» Le bouddhisme est aussi généralement séculier et non sectaire. Il sait qu’il n’est pas nécessaire de se nommer Bouddha pour être bon et qu’il n’existe pas qu’une seule voie correcte, que différentes personnes nécessitent différentes voies et que celles-ci sont nombreuses. Pour le bouddhisme, toutes les voies qui seraient développées sur la sagesse et la compassion sont bonnes et valables. Le bouddhisme est aussi vu comme non violent. Dans son histoire, il y n’y a pas eu de guerre et de sang. Enfin, plusieurs personnes m’ont dit qu’en ayant vu des grands maîtres – comme le karmapa – elles ont ressenti quelque chose de bon (il pose une main sur son cœur, ndlr.). Le dalaï-lama encourage chacun, si possible, à suivre sa propre religion, à ne pas la quitter pour une autre, fut-ce le bouddhisme.

Vous-même, qui avez de nombreux étudiants occidentaux non bouddhistes à l’origine, comment considérez-vous cela? – Généralement, le bouddhisme n’est pas une question de quitter quelque chose pour une autre, mais de s’améliorer soi-même. C’est de travailler sur sa compassion, sa sagesse, éviter les actes négatifs, accomplir des actes positifs. Le fait de s’appeler bouddhiste ou autre chose n’a pas d’importance. Les bouddhistes eux-mêmes, s’ils voient un bon pratiquant, quelle que soit sa religion, vont reconnaître en lui un bon pratiquant du Dharma (voir question suivante, ndlr.), comme Mère Teresa, par exemple, qui était très chrétienne. Vous venez d’utiliser le mot «Dharma» pour la deuxième fois. Quelle en est votre définition? – C’est essayer de moins faire ce qui est mauvais pour soi-même et pour les autres et tâcher de faire plus ce qui est bon pour soi-même et pour les autres. Une autre notion qui n’est peut-être pas non plus toujours bien comprise en Occident, c’est le karma. Qu’en est-il? – Karma, en sanskrit, signifie acte, action, activité. C’est pareil: chacun est responsable pour soi-même. Tout ce que je suis maintenant est le résultat de tout ce que j’ai fait dans le passé. Et tout ce que je deviendrai sera la conséquence de mes actions présentes. En conséquence, nous devons être attentifs à toutes nos actions de corps, de parole et d’esprit au moment présent. Le bouddhisme encourage l’amour altruiste. L’intention est magnifique, mais n’est-elle pas utopiste? Est-il possible d’aimer tout le monde? – Si tu comprends qu’être plein d’amour et de compassion est la meilleure manière d’être heureux, alors cela devient possible. Si tu comprends profondément que lorsque tu as une aversion, une mauvaise pensée, un ressentiment envers quelqu’un et que tu gardes la colère en toi, c’est très mauvais pour toi-même, alors tu verras que cela ne sert à rien et qu’il est possible d’aimer tout le monde. Tu ne le fais pas que pour les autres, mais aussi pour toi-même. Cela a un rapport important avec la compréhension de l’interdépendance: si tu comprends l’interdépendance, tu comprends que tout ce qui est négatif, mauvais, nuisible n’est pas bon pour toi non plus. Dès lors, tu ne te sens plus séparé des autres, tu ne vois plus les choses en termes de «moi et les autres». Tu comprends que le bénéfice des autres est également le tien, celui de tous. Quand tu saisis vraiment cela, tu deviens alors moins centré sur toi-même.


Le bouddhisme tibétain en quatre mots Le bouddhisme tibétain (ou lamaïsme) est constitué de quatre grandes écoles principales: – Nyingmapa, littéralement «l’école des Anciens». – Kagyupa, littéralement «lignée de la transmission orale», doctrine du karmapa. – Sakyapa, tient son nom du monastère de Sakya – littéralement «terre grise» – situé au sud du Tibet. – Gelugpa, approximativement «école des hommes vertueux», doctrine du dalaï-lama.

SUR LES PAS DE BOUDDHA

Les moines, qui dans la tradition bouddhiste n’ont pas le droit de gagner de l’argent en travaillant, partagent ceci avec les mendiants, qu’ils vivent uniquement de dons.

Tout autour de cet îlot carré de sérénité,spiritualité,ferveur et propreté quasi irréel de cent cinquante mètres de côté (hors l’immense parc de méditation attenant) dont elle s’emploie inconsciemment à amplifier le côté mystique, c’est toute l’Inde, avec ses paradoxes parfumés, sonores et colorés,qui vibrionne et s’époumone dans la poussière et le bruit. Le contraste est d’autant plus saisissant – pour ne pas dire troublant – que pratiquants, mendiants et mécréants dansent ensemble une immémoriale chorégraphie invisible.Sur fond de mantras chantés diffusés en boucle à longueur de journée pour attirer le client,dans les senteurs d’encens, entre étals de fleurs (pour les offrandes), cuisines ambulantes et stands de babioles,colifichets ou autres gadgets clignotants, marchands du temple, indigents et simples passants jouent à se rencontrer ou à… s’éviter. Combien parmi eux ont vu ce panneau métallique affichant,en anglais et en hindi?: «Nous marchons ici sur le sol où marcha Bouddha. D’où que vous soyez dans le monde, dites avec fierté: ‹Je suis Bihari›.» Message d’autant plus touchant que le Bihar est considéré comme l’Etat le plus pauvre de l’Inde.

«MERVEILLEUX ET HORRIBLE EN MÊME TEMPS» Il est vrai que le pire et – peut-être – le meilleur se percutent ici sans états d’âme apparents. Franco-portugaise d’origine hongroise élevée aux Etats-Unis et actuellement bruxelloise d’adoption,Myriam Szabo, Le chemin de l’Eveil

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Carnets secrets: «Un petit mariage avec soi-même» Durant son mois de retraite dans le Sikkim, au nord-est de l’Inde, Myriam Szabo a couché sur le papier, au quotidien, pensées, réflexions et autres sentiments nés à l’occasion de cette récollection solitaire. Avec confiance, elle nous a librement laissé consulter son journal et en extraire les passages que nous souhaitions. Morceaux choisis. «Dans ma cellule, il ne se passe rien, mais, pourtant, tant de choses me sont arrivées!» «Pour le reste, tout ce qui marquerait le sens du temps (linéaire) fond lentement, doucement et sans se faire remarquer (en instants de présence successifs). C’est à peine si le jour diffère de la nuit.» «Un petit mariage avec soi-même, pour le meilleur et pour le pire, puisqu’il n’y a rien d’autre à faire que d’être soi-même et de s’en contenter.» «Les hommes et les femmes ont banni leur propre bonheur en séparant leur paradoxe.» «Il n’y a pas de guerre des sexes; les sexes se comprennent, ils sont faits l’un pour l’autre. Il y a un exil en soi, devenu la norme et qui consiste à s’entêter à être pile et à nier la face.» «Une valise colorée de jeux de miroirs dont l’origine merveilleuse, indicible, sage et amoureuse a toujours résidé en soi.» «Notre esprit et tout l’invisible qui sous-tend les apparences est en fait notre destin libre et infini. Pour y vivre, il faut passer par son cœur.» «Le ‹séjour› dans la nature de l’esprit (on est en tout cas au seuil de cette nature) ouvre une perspective qui intensifie la motivation pour la pratique et amoindrit drastiquement l’intérêt pour tout le reste.» Myriam Szabo, au sujet de son engagement dans le bouddhisme: «Plus tu avances, plus tu perds tes caractéristiques. J’ai l’impression qu’il faut être très courageux pour être bouddhiste; parce que tu dois sincèrement mettre en cause ton cocon, tes habitudes, pour faire des efforts afin d’être utile au monde. Tu ne peux pas te satisfaire de ta petite vie, tu vas forcément y provoquer une révolution. Pour moi, la vie n’a aucun sens sans le Dharma.»

Regards et geste bienveillants, ou la preuve par l’être comme par l’acte: près de dix mille personnes et une atmosphère paisible.

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créatrice du projet Danza Duende et tout juste sortie d’une retraite dans l’Etat du Sikkim auprès de son maître, Ringu Tulku Rimpoché, témoigne: «Le mois passé, j’ai travaillé l’aspect du silence, de la solitude.A Bodhgayâ,c’est tout le contraire,avec des impulsions qui vont dans tous les sens.On sent la sagesse,l’amour du passé,du présent et du futur à travers le Monlam et le lieu. C’est comme entrer directement en contact avec l’énergie de l’Eveil. Je n’ai jamais vu quelque chose de plus fort que cela.C’est les chutes Victoria! En même temps, il y a toute cette misère, toute cette pollution… Pourquoi je ne croupis pas dans la rue comme eux? Nous sommes tous ensemble làdedans, pris en sandwich entre le karmapa et les lépreux! C’est merveilleux et horrible en même temps.» Pour Michel Pierini (alias Karma Thutop Dorje),professeur de karaté, guérisseur et yogi français qui entreprend le pèlerinage de Bodhgayâ depuis dix ans et a prononcé le vœu de s’y rendre chaque année, à vie, cette ville – qui est aussi l’une des sept cités sacrées de l’Inde – est «un lieu très fort,parce qu’on n’a pas cessé d’y prier depuis l’Eveil du Bouddha; on y a entretenu cette flamme.» Et que Siddhârtha Gautama ait pu échapper au cycle des renaissances (Samsâra) et atteindre la délivrance totale (Nirvâna) dans l’une des régions aujourd’hui les plus pauvres du pays lui fait dire que «la fleur de lotus pousse dans l’eau croupie, vaseuse; ce qui signifie que par la souffrance on peut atteindre l’Eveil.»


Les mendiants sont interdits d’entrée sur le site du stûpa. Selon le bouddhisme, la situation actuelle de chacun serait le résultat de ses actions dans une précédente vie. C’est la fameuse loi du karma.


Sa Sainteté le XVIIe Karmapa au sujet de sa position: «Pour moi, c’est une responsabilité, je dois m’y consacrer. Je n’ai pas le temps de faire autre chose que de me concentrer sur cette tâche. Mon souhait le plus important est que tout ce que j’entreprends ait des résultats concrets.»


Sa Sainteté le XVIIe Karmapa

Le karmapa à son auditoire: «Par notre développement matérialiste et nos habitudes malsaines, nous sommes influencés pour être sans repos…»

Il incarne l’avenir et l’espoir d’un peuple

On dit de lui qu’il est «le nouveau dalaï-lama»; entendez le prochain leader mondial du bouddhisme tibétain. A 25 ans,Ogyen Trinley Dorje, charismatique chef spirituel de l’école Kagyupa, en donne déjà tous les signes. Rencontre précieuse, à Bodhgayâ, où nous avons suivi durant deux semaines ce grand maître, passionné notamment d’écologie, avant sa première visite en Europe, dans neuf pays, dont la Suisse, la France et la Belgique, du 27 mai au 2 juillet prochains. Le chemin de l’Eveil

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Détenteur de la lignée Karma Kagyu, Sa Sainteté le Karmapa est la dix-septième incarnation du premier tulku (lama réincarné) de l’histoire du Tibet.

Se rendre en pèlerinage à Bodhgayâ, c’est bien sûr une rencontre intérieure, avec soi, mais aussi des rencontres magnifiques avec les autres.

Il

émane de son visage une noblesse extraordinaire. Sa présence est magnétique.Indéniablement.Intelligence et sagesse à fleur de pupilles, Ogyen Trinley Dorje est né Apo Gaga, le 26 juin 1985, dans la région du Kham, ancienne province du Tibet aujourd’hui partagée entre plusieurs provinces chinoises. Officiellement reconnu en 1992 comme le 17e karmapa par le dalaï-lama autant que par le gouvernement chinois (en raison d’une controverse, il existe un deuxième candidat), celui qui organisa luimême son audacieuse évasion du Tibet occupé, à l’âge de quatorze ans, est le chef spirituel de l’école Kagyupa, un des quatre courants principaux du bouddhisme tibétain.

MATURITÉ ET POPULARITÉ Avouons-le,c’est en suivant ses enseignements (traduits du tibétain en anglais par Ringu Tulku Rimpoché),«le corps bien droit et l’esprit bien droit»,comme il le recommande lui-même,du 20 au 22 décembre dernier, parmi 1500 auditeurs de cinquante-trois nationalités débordant du monastère de Tergar,à Bodhgayâ,que nous avons réellement pris la mesure de l’étonnante maturité et de l’immense popularité de celui qui représente déjà le probable futur visage – politique et religieux – du Tibet. Premier saisissement. Avec ce sentiment étrangement troublant et légèrement euphorisant d’assister à un moment historique,de

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participer à une étape importante de la biographie de l’humanité,et le bonheur de pouvoir le partager avec vous.Grandes émotions,aussi,les jours suivants,tout au long du 27e Monlam Kagyu,«Prières pour la paix dans le monde et pour l’environnement» qu’il préside,du 24 au 31 décembre, au temple de la Mahâbodhi, sous les branches tentaculaires de l’arbre de l’Eveil,devant une assemblée de six mille à dix mille personnes par jour (onze mille lors de la cérémonie de clôture), fourmilière paisible de nonnes, moines et laïcs qui récitent, psalmodient, chantent et se prosternent sans interruption, de six heures à dix-sept heures. Instant rare, encore, le 28 décembre, à l’occasion d’une audience privée, alors qu’une attente de plusieurs mois, dans le meilleur des cas, est généralement nécessaire (voir entretien «Changement climatique et regard intérieur»). Emerveillement, enfin, le 1er janvier dernier, lors de la représentation nocturne en plein air, gratuite, devant 20 000 spectateurs,d’un opéra en six actes retraçant la vie de Milarépa, le plus célèbre des saints tibétains, interprété par une soixantaine de comédiens,danseurs et chanteurs,sur un script et dans une réalisation du karmapa lui-même!

«AU PREMIER PLAN DU CHANGEMENT» En sanskrit,le terme «karmapa» signifie «celui qui incarne l’activité des bouddhas» ou, plus simplement, «l’homme d’action». Ame de bien et déjà fin politicien,engagé sur tous les fronts,en particulier celui de l’é


Myriam Szabo et Jef Gianadda reçus en audience par Sa Sainteté le XVIIe Karmapa, au monastère de Tergar, à Bodhgayâ, le 28 décembre dernier.

Entretien avec Ogyen Trinley Dorje Changement climatique et regard intérieur Fait exceptionnel considéré par nos nombreux interlocuteurs comme une bénédiction, alors que la semaine de «prières pour la paix dans le monde et pour l’environnement» du 27e Monlam Kagyu battait son plein, malgré un emploi du temps qui ne lui en laissait pour ainsi dire point, entre deux cérémonies, Sa Sainteté le XVIIe Karmapa Ogyen Trinley Dorje nous a généreusement accordé une audience privée en son monastère de Tergar, un peu à l’extérieur de Bodhgayâ. Précision et concision. Votre Sainteté, vous avez récemment publié un guide de directives environnementales de vingt-cinq pages destiné aux monastères, centres et communautés bouddhistes kagyu, signé un recueil de 108 préceptes pratiques relatifs à l’écologie et lancé, le 22 décembre dernier, un nouveau site Internet consacré à la protection de l’environnement. La plupart de ces conseils, à l’instar de nombreux enseignements religieux (bouddhistes ou autres) relèvent avant tout du bon sens. Comment expliquer que l’être humain n’est pas capable de les appliquer «naturellement», par lui-même? – Essentiellement, c’est parce que nous avons tendance à observer les choses que d’une seule

manière, comme étant extérieures à nous-mêmes, sans nous poser la question de notre propre responsabilité. Nous avons besoin de regarder soigneusement à l’intérieur de nous-mêmes. Qui est responsable de tout ce qui est en train de se passer? La compréhension doit venir de l’intérieur. Pour rester dans l’écologie, et parmi tous les thèmes qui y sont liés, quelle est, selon vous, la priorité, la chose la plus urgente à entreprendre? – Je sens que la question la plus critique, le problème crucial, c’est le changement climatique. C’est dans ce domaine qu’il faut chercher des solutions, intervenir pour inverser la situation. Sur le plan écologique – comme socialement aussi d’ailleurs –, croyez-vous que l’humanité peut encore s’en sortir? Ne pensez-vous pas qu’il est désormais trop tard? – En tant qu’être humain, nous avons un potentiel et des talents uniques. Il est donc possible de renverser la situation, il n’est pas nécessairement trop tard; pour autant que nous dirigions ce potentiel et ces talents en dehors des activités nuisibles et destructrices. Vouloir améliorer le monde, œuvrer au bonheur de tous les êtres sont des objectifs éminemment louables; mais ne sont-ils pas des

tâches impossibles, vouées à l’échec? L’histoire, la vie nous ayant montré et nous «prouvant» tous les jours que cela ne se réalise pas! – Là encore cela est possible. Faire le bien des êtres commence dans la pensée. Nous avons souvent une pensée bienveillante, mais sommes incapables d’agir en conséquence. Finalement, nos actes sont en contradiction avec nos pensées. Pour faire vraiment le bien des êtres, il faut s’assurer que nos actes soient en accord, en adéquation avec nos pensées. Nous avons toujours la possibilité de nous détourner d’une attitude destructrice pour nous tourner vers une attitude positive. Vous êtes aussi artiste, dans les domaines de la peinture, de la poésie, du chant… En quoi l’art, quel qu’il soit, est-il nécessaire à l’être humain? Peut-il l’élever? – Oui, absolument. J’ai le sentiment que l’art est très important. L’art s’inscrit par exemple dans le langage. Pour le traduire par écrit, nous sommes d’ailleurs doucement passés par le dessin, des figures artistiques étant petit à petit devenues des lettres. Nous sommes dotés d’une intelligence créatrice, et toutes les formes d’art sont des voies permettant de l’exprimer.

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«Tel est mon rêve» Signant l’avant-propos du recueil de prières du 27e Monlam Kagyu qu’il a dirigé du 24 au 31 décembre 2009 à Bodhgayâ, Sa Sainteté le XVIIe Karmapa termine son texte avec ces mots: «(…) Je fais le souhait que, lorsque vous réciterez ces textes durant le Monlam, chaque mot surgisse d’abord dans votre cœur avant de sortir de votre bouche. Je prie pour que chaque lettre, chaque syllabe, devienne comme une figure d’or et que chaque mot emplisse le monde entier. Puisse se taire la rumeur des lamentations et des guerres et disparaître les vents qui empoisonnent l’environnement. Puissent ces mots d’amour et de compassion se mêler à la bonté innée de chaque être et se fondre en une unique force puissante. Semblables à l’éclat du soleil, de la lune et des étoiles, puissent l’amour, la compassion et la sagesse répandre leur lumière. Puisse-t-elle toucher tous les êtres et dissiper l’obscurité de l’ignorance, de l’attachement et de la haine qui depuis si longtemps voile leur esprit. Puisse toute rencontre d’un être avec un autre ressembler à la réunion d’une mère et de son enfant après une longue séparation. Dans un monde d’harmonie tel que celui-là, puissé-je contempler chacun goûtant un sommeil paisible bercé par la musique de la non-violence. Tel est mon rêve.»

Ce visage nous le rappelle: une des grandes particularités de Bodhgayâ, ce sont ces monastères de différentes nationalités, chacun représentant un pays bouddhiste de la planète.

cologie (publication de textes, conférences, plantations d’arbres, site Internet,spectaculaires actions coup de poing de nettoyage dans différents lieux de la ville,exhortation aux moines et aux nonnes à être des exemples, etc.), le karmapa, qui avoue avoir «un lien profond avec la Terre»,ne laisse planer aucun doute sur sa détermination à agir: «Dans notre société aussi bien que dans le bouddhisme, de nombreux problèmes se présentent et j’ai éprouvé la nécessité de prendre certaines responsabilités pour les résoudre, ressenti que je ne devais pas hésiter à me placer au premier plan du changement.» Ambition empreinte d’altruisme saluée unanimement parmi les pèlerins rencontrés,à commencer par Myriam Szabo (voir pages précédentes): «J’ai l’impression qu’il va devenir une figure importante de l’humanité. Peut-être même plus encore que l’actuel dalaï-lama. Je sens que c’est vraiment un leader par rapport aux nécessités de changements profonds. Si chaque pays pouvait avoir un leader comme lui, un seul! C’est une espèce de bombe atomique. La première fois que je l’ai vu (j’ignorais que c’était lui), nous nous sommes croisés du regard. J’ai eu l’impression de voir un dragon, et tout l’univers dans son esprit. Je me suis dit: «Ça existe! Ce n’est pas juste une utopie.» Il y avait quelque chose qui n’était pas comme d’habitude. Il travaille sans relâche pour aider les êtres. Il sent l’urgence. Il est sur le pied de guerre. Il donne l’exemple. C’est merveilleux tout ce qu’il fait pour nous motiver, en utilisant tous les moyens possibles et imaginables – je pense notamment à

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l’opéra sur la vie de Milarépa. Il veut nous réveiller, nous stimuler. En le voyant,on a presque honte de se reposer sur nos lauriers et se prélasser.»

«C’EST UN DES ÊTRES LES PLUS RÉALISÉS QUI SOIENT» Même constat admiratif de la part du lama français Tcheuky Sèngué, alias François Jacquemart,traducteur,interprète du karmapa et éditeur: «C’est quelqu’un d’une puissance extraordinaire.Son charisme a un impact important sur la plupart des gens.On ne peut pas être plus occupé que lui (à Bodhgayâ,il règle tous les détails du Monlam,assiste aux répétitions du spectacle,etc.),mais il reste d’un calme olympien.Le mot qui le caractérise le mieux,c’est «majesté».Quand il arrive au stûpa,j’ai l’impression que les autres marchent et que lui ne touche pas le sol.Il a une présence extraordinaire et une gentillesse infinie.Ce qui frappe,quand il répond aux questions,c’est qu’il est à la fois très simple et très clair.C’est toujours la réponse parfaite. Il a le don de saisir le mode de pensée de ses interlocuteurs et de leur donner la réponse exacte qui leur convient. De plus, il est d’une grande curiosité, tout l’intéresse.» Artiste-peintre suisse sur le point d’ouvrir un centre bouddhiste dans la région valaisanne de Martigny,Christophe Baud en est lui aussi convaincu: «C’est un des êtres les plus réalisés qui soient.» Quant à Sarah Barab,de New York, professeur de yoga,réalisatrice et productrice d’un tout prochain film à venir sur l’apport du bouddhisme en Occident,elle a ce petit mot qui en dit beaucoup,si ce n’est tout:«C’est un être unique…»


Sa Sainteté le Karmapa commentant un texte sacré: «Comment abandonner les pratiques négatives si nous n’en avons pas conscience, si nous ne les connaissons pas? En ce sens, nous devons aussi être éduqués sur ce qui est non vertueux.»

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A l’issue de chaque journée d’enseignements, le dalaï-lama a réservé une audience publique à une communauté. Les Occidentaux ont été encouragés à se rendre au Tibet, à «investiguer et témoigner des faits».

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Le dalaï-lama à Bodhgayâ

Tous les moines présents aux enseignements du karmapa ont également suivi ceux du dalaï-lama.

«Le changement ne peut venir que de vous-mêmes…» Egalement en pèlerinage à Bodhgayâ, ce qui n’est pas le cas chaque année, Sa Sainteté le XIVe Dalaï-Lama y a donné cinq jours d’enseignements, du 5 au 9 janvier, devant près de 50000 personnes venues de 72 pays. Rencontre. Le chemin de l’Eveil

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Pour en savoir plus Sur le karmapa: www.kagyuoffice-fr.org (site officiel en français) www.kagyumonlam.org (Monlam Kagyu) www.khoryug.com (écologie et environnement) www.karmapa-in-europe.net (visite 2010 en Europe) Sur Ringu Tulku Rimpoché: www.bodhicharya.org Sur Myriam Szabo: www.danzaduende.org Sur Michel Pierini, alias Karma Thutop Dorje: www.karmahealingcentre.com Sur le film de Sarah Barab: www.nakedmindthefilm.org Sur François Jacquemart, alias lama Tcheuky Sèngué, traducteur francophone du karmapa: www.clairelumiere.com Sur le lama Norbu Repa et le futur centre Kagyu en Valais: www.ncf.net

Très proche du dalaï-lama, sa place réservée sur l’estrade, juste derrière le karmapa, l’acteur américain Richard Gere a également fait le pèlerinage de Bodhgayâ.

D’

un côté de la route, ce sont des dizaines de mendiants – que l’on dit, pour beaucoup, amenés ici par camions pour l’occasion,«business» de certains oblige – qui tendent les mains,pour ceux qui en ont encore, en quête d’une pièce ou d’un morceau de pain. Un peu plus loin, ce sont des centaines de pèlerins en attente d’un badge – gratuit – qui, bras levés, agitent passeports, formulaires dûment remplis et photos d’identité dans l’espoir de pouvoir accéder aux enseignements du dalaï-lama. La scène aurait quelque chose de cocasse si cette intolérable misère n’était pas cruellement réelle. Image relativement éphémère, quoi qu’il en soit, puisque quelques jours plus tard, quand les seconds seront sous et autour de l’immense et provisoire chapiteau de bambou et de toile construit pour l’occasion sur un vaste terrain vague de 32 500 mètres carrés, les premiers auront été priés de s’éloigner. C’est qu’une partie de la ville – désormais légèrement dépolluée du smog et du bruit incessant grâce à la fermeture de ses accès aux véhicules à moteur – change de physionomie avant l’événement. Ici et là, le macadam est refait, les rues nettoyées puis vidées de leurs marchands ambulants, leurs trous comblés, la gare routière et un petit marché déplacés. La cité se métamorphose au fur et à mesure qu’elle «grossit», les pèlerins, déjà nombreux pour le Monlam Kagyu du karmapa (voir pages précédentes), affluant désormais par vagues successives ininterrompues.Rien que le 4 janvier,veille du grand jour,ce ne sont pas moins de quinze cars XXL bondés qui sont encore arrivés du Népal! Pour certains Tibétains, Ladakhis ou Bhoutanais qui ont fait jusqu’à deux mois de périple,ce pèlerinage est le voyage de leur vie.

«VOUS DEVEZ RÉDUIRE LA DÉFORESTATION…» En ouverture de ses enseignements – souvent ponctués d’éclats de rire communicatifs – auxquels assistent,entre autres,Sa Sainteté le Karmapa et l’acteur américain Richard Gere, Sa Sainteté le Dalaï-Lama parle d’«amour et compassion que l’on ne peut pas acheter en magasin ni se faire injecter par un médecin,mais que l’on ne peut trouver et dévelop-

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per qu’en soi-même». Il est aussi question de «respect de toutes les religions et traditions». Plus tard, le chef spirituel des Gelugpas (et non de toutes les écoles du bouddhisme tibétain comme on le croit souvent à tort) évoque l’échec de la conférence de Copenhague, Sommet de l’Onu sur le climat,avant de lancer:«Vous devez réduire la déforestation, planter des arbres, préserver l’environnement.» Un autre jour, il relate cette expérience scientifique conduite avec un rimpoché (littéralement «extraordinairement précieux»,titre honorifique attribué à certains maîtres) mort depuis dix jours,sur le cerveau duquel on mesure encore une légère activité électrique: «Les scientifiques le constatent sans pouvoir l’expliquer.» Et puis,aussi,sa rencontre avec deux petites filles indiennes se souvenant de leur vie passée… Au-delà du chapiteau (25 000 personnes, dont 65 Suisses, 99 Français et 16 Belges) et du terrain (5000 personnes),les paroles du Prix Nobel de la paix 1989 sont retransmises par haut-parleurs dans tout un quartier de la ville,où presque une fois autant de monde les écoutent avec attention. En marge de cette rencontre, et durant toute sa durée, tout comme lors du Monlam Kagyu, des milliers de personnes sont nourries et traitées gratuitement dans centres médicaux tournant à plein régime. «Corps sain, santé par la paix de l’esprit», «compassion et éthique», l’Océan de sagesse rappellera encore: «Ne pensez pas obtenir un changement de votre vie parce que vous avez reçu une bénédiction du dalaï-lama. Le changement ne peut venir que de vous-mêmes.»

EN AVRIL À ZURICH Ce printemps,le Prix Nobel de la paix 1989 est attendu à Zurich du 9 au 11 avril.Au programme: – 20e conférence du Mind and Life Institute, «L’altruisme et la compassion dans les systèmes économiques – Un dialogue à la jonction de l’économie, des neurosciences et des sciences contemplatives», Kongresshaus, du vendredi 9 au dimanche matin 11 avril: www.compassionineconomics.org – Conférence «La responsabilité universelle et l’économie», Hallenstadion, dimanche 11 avril, 13:30 – 15:30. www.dalailamazurich.org


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