L'Isère en relief - Extrait de la publication

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près de soixante mètres-carrés) représentant les fortifications protégeant les frontières de la France. Réalisées à la demande des souverains successifs, de Louis XIV à Napoléon III, elles composent aujourd’hui une collection exceptionnelle, rarement présentée au public. Récemment restaurées pour une exposition à Paris, les maquettes des forts de l’Isère – Grenoble, longtemps villeforte, et Fort-Barraux, prestigieuse réalisation de Vauban – sont présentées pour la première fois dans la capitale de l’Isère. Cet ouvrage accompagne l’événement et livre les clés de lecture et les témoignages que véhiculent ces documents historiques.

978-2-35567-066-4 14 €

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L’Isère en relief Les maquettes monumentales des fortifications de Grenoble et de Fort-Barraux

sont des maquettes monumentales (celle de Grenoble occupe

Musée dauphinois

Les plans-reliefs

L’Isère en relief

Les maquettes monumentales des fortifications de Grenoble et de Fort-Barraux Musée dauphinois



L’Isère en relief Les maquettes monumentales des fortifications de Grenoble et de Fort-Barraux

Ouvrage dirigé par Jean Guibal, directeur, conservateur en chef du patrimoine et Franck Philippeaux, conservateur du patrimoine


Sommaire

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Préface André Vallini

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La défense des Alpes : frontières et fortifications

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Stéphane Gal

Quand le patrimoine rencontre la création artistique contemporaine Yves Aupetitalot

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Avant-propos Jean Guibal Franck Philippeaux

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Les forts de l’Isère

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Le Fort-Barraux

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Robert Bornecque

Robert Bornecque

Plongée dans le Grenoble de 1848 Anne Cayol-Gerin

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La collection des plans-reliefs Isabelle Warmoes

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Les relevés topographiques préparatoires à la confection des plans-reliefs Dominique Chancel

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Mais où sont nos fortifications d’antan ? Franck Philippeaux

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Les partenaires de l’exposition

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Bibliographie sommaire

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Contributions et remerciements Sources et crédits



Préface

Il

y a quelques semaines, les Journées du patrimoine avaient pour thème « le patrimoine caché », tant sont nombreux les vestiges de notre histoire qui demeurent méconnus – et pour certains oubliés. Tel était le cas jusqu’à l’exposition du Grand-Palais de janvier 2012 de la collection des plans-reliefs des fortifications de la France. Le musée qui les abrite est fort discrètement installé dans les combles de l’hôtel des Invalides et ne peut exposer qu’une vingtaine de ces maquettes sur les deux-cents que compte la collection. On se souvient peut-être qu’un Premier ministre s’est ému de cette situation et a proposé une décentralisation de la collection à Lille, ville dont il était maire. Ce fut un tollé, puisque nous vivons dans un pays où tout ce qui a un caractère national doit être à Paris, fut-ce dans des réserves. Pierre Mauroy obtint cependant que seize plans-reliefs représentant les places-fortes du nord de la France demeurent en dépôt au Musée de Lille, offerts au public. L’Isère n’a pas de telles revendications. Mais le plan-relief de Grenoble est, de l’avis de tous les spécialistes, l’un des plus beaux de la collection. Celui de Fort-Barraux, pour être plus modeste par sa taille, est un modèle du genre après les interventions de Vauban (il est par ailleurs le témoin d’un affrontement avec la Savoie dont le Dauphiné est sorti vainqueur !) Restaurés pour l’exposition du Grand-Palais, ces deux plans-reliefs devaient être offerts à la contemplation des Isérois. C’est ce que permet cette exposition et le présent ouvrage grâce à la collaboration de deux établissements culturels, le MAGASIN et le Musée dauphinois ; et surtout grâce au partenariat actif, aux côtés du Conseil général de l’Isère, de plusieurs institutions publiques (la Ville de Grenoble et la MétroCommunauté d’agglomération) et privée (la Caisse d’Épargne Rhône Alpes), que je veux chaleureusement remercier. Le Président du Conseil général André Vallini Sénateur de l’Isère

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Avant-propos

N

ombreux étaient à Grenoble les amateurs d’histoire et de patrimoine qui savaient l’existence d’un « plan-relief » de leur ville, la plupart sans l’avoir jamais vu. Quelques publications en avaient donné des descriptions – celle de Robert Bornecque faisant référence – ou reproduit des vues partielles ; une exposition au Musée dauphinois en 1982 (Le Roman des Grenoblois) en présentait une photographie de grand format. C’est donc une image bien imprécise qui circulait, permettant à peine de saisir qu’un plan-relief n’est en fait qu’une maquette et, dans le cas d’espèce, une maquette monumentale.

Une collection exceptionnelle

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Un plus large public a découvert l’existence de cette grande collection de plans-reliefs des villes fortes de France (dont font partie ceux de Grenoble et de Fort-Barraux), à la faveur de la polémique née de la tentative de « décentralisation » engagée par le maire de Lille, Pierre Mauroy, alors Premier ministre. Tous ces trésors étant inaccessibles au public dans les combles de l’hôtel des Invalides, autant les envoyer à Lille, où ils seraient mis en valeur et offerts à tous ! À Grenoble comme dans bien d’autres villes, on s’est alors pris à rêver d’un semblable dépôt de « notre » maquette, imaginant l’installer dans l’une des grandes salles du fort de la Bastille. Échec : hors Lille, qui a conservé une quinzaine des plans-reliefs de la frontière du nord, tous les autres sont restés à Paris, dans un musée profitant de l’occasion

pour se rénover, mais ne pouvant pour autant présenter toute la collection. La maquette de Grenoble est donc demeurée dans les réserves. Enfin, dernière tentative en date, certains ont nourri le projet de faire réaliser une copie à l’identique, fait établir des devis, projet évidemment contrarié par des coûts prohibitifs (pour lesquels on imaginait de recourir à une souscription publique !) Et c’est finalement à la faveur d’un programme présidentiel (la Maison de l’Histoire de France, aujourd’hui abandonné), qu’a été conçu le projet d’une grande exposition (La France en relief ) au Grand-Palais en janvier et février 2012 : seize des plus belles maquettes de la collection ont été présentées, magnifiquement restaurées et mises en valeur, parmi lesquelles les deux iséroises. Les Grenoblois qui ont couru au Grand-Palais n’étaient pas peu fiers, tant « leur » maquette était à l’évidence l’une des plus remarquables, par ses dimensions et surtout par la présence de la montagne, tandis que celle de Fort-Barraux, datant de la fin du XVIIe siècle, était une vraie épure de l’art des fortifications, où la trace de Vauban était partout sensible.

Les plans-reliefs à Grenoble ? Pour une institution culturelle telle que le Musée dauphinois, il fallait à l’évidence tout mettre en œuvre pour offrir aux publics les plus larges la possibilité de découvrir et d’admirer ces maquettes. On ne doit pas cacher que le rêve fût plus grand encore et qu’en


toute logique Grenoble aurait dû présenter la belle série de places-fortes qui défendaient la frontière des Alpes (Montmélian, Exilles, Fenestrelle, Embrun, Mont-Dauphin et surtout Briançon : toutes ces maquettes étant restaurées et figurant dans l’exposition du Grand-Palais). Une telle opération appelait des moyens et surtout des espaces d’exposition hors de portée… La présentation à Grenoble des deux plansreliefs revêt des intérêts multiples. Mais il faut d’abord avouer le goût, très largement partagé et quasi puéril, pour la miniature, la maquette et le modèle réduit, goût sur lequel reposera le succès de l’exposition. Ne boudons pas ce plaisir ! La période des fêtes se prête à cette contemplation qui nous reposera des animations virtuelles en 3D. Et toutes

nos excuses aux amateurs de trains miniatures, mais la gare de Grenoble ne sera créée qu’en 1860, douze ans après l’achèvement de la maquette…

Un document témoin Plus sérieusement, ces maquettes constituent aujourd’hui des témoignages historiques irremplaçables. Pour Grenoble, cet état représenté avec grande rigueur de la ville en 1840 doit permettre toutes les formes d’appréhension de l’évolution historique de la cité. Certes, si l’on habite le centre ancien, on va tenter de repérer sa maison, de mesurer ce qui n’a pas changé et ce qui a été détruit. Peut-être même aura-t-on quelques regrets devant des disparitions d’ensembles qui auraient constitué aujourd’hui un précieux patrimoine… Par ailleurs, les relevés

Plan-relief de Grenoble Le couvent de Sainte-Marie d’en-Haut, aujourd’hui Musée dauphinois, 1848

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sur le terrain effectués par les topographes militaires, dans les années 1830, fort heureusement conservés, seront présentés sous la forme de quelques plans détaillés permettant de repérer des évolutions significatives. On va surtout pouvoir apprécier l’importance de la présence militaire dans une ville considérée alors comme ville-frontière (la Savoie n’est pas encore française !) Nous avons peine aujourd’hui à imaginer cette société largement dominée par les hommes en uniforme, influant sur l’économie, la sociologie, la vie citadine toute entière – pour le meilleur et pour le pire (quelques décennies plus tard, au tournant du siècle, Grenoble compte encore dix mille hommes en uniforme, pour une population globale de l’ordre de 70 000 habitants).

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Mais l’intérêt majeur de cette maquette réside dans sa capacité à donner la mesure de l’évolution urbaine. D’abord parce que l’on ne peut comprendre le plan de cette ville si l’on ignore qu’elle fut, au long des siècles, contrainte dans son évolution par des murailles qui l’enserraient pour la protéger. Et ce, depuis le IIIe siècle, depuis la construction de la muraille antique ! Cette contrainte ne sera levée qu’en 1925, grâce à la détermination d’un maire, Paul Mistral, faisant céder le corset des fortifications et permettant à la ville de se déve-

lopper enfin, ou plutôt de mettre en conformité son urbanisme avec son développement économique et démographique. La comparaison de l’état de la ville en 1840 avec les plans des périodes successives, jusqu’aux photographies aériennes contemporaines, permet d’ouvrir un large débat, une belle réflexion, sur ce qu’est devenue notre ville (comme tant d’autres, il est vrai) en si peu de temps, un peu plus d’un siècle et demi. Et comme toujours au Musée dauphinois, le visiteur sera invité à s’interroger sur l’avenir, sur ce que nous voulons faire de la ville de demain, alors même qu’il ne reste plus d’espace libre dans la cuvette grenobloise, sinon dans l’agglomération. Reste encore à évoquer, devant ce plan-relief, ce pourquoi étaient faites ces fortifications, la défense et la guerre. Très rares furent au cours de l’histoire les assauts que ces murs eurent à subir. On connaît le siège de Grenoble par Lesdiguières, durant les guerres de Religion, en 1590 ; on connaît moins les quelques coups de canon tirés par les Autrichiens en 1815 (dont les traces d’éclats sont visibles rue Joseph-Fourier) ; et c’est tout ! De si longs siècles de protection, de si colossaux travaux de terrassement et de construction, pour… si peu. Et quand viendra le temps pour les Grenoblois de se battre, de défendre les valeurs de la République face à l’occu-


pant nazi, de gagner le si rare titre de ville « Compagnon de la Libération », les fortifications auront déjà disparu ou ne serviront plus à rien. Les murs de Barraux ont été conservés ou restaurés. Ils n’ont pas vu de grande bataille, sauf la première, quand les Dauphinois (les Français devrait-on dire) ont pris le fort à peine achevé de construire par les Savoisiens ! Il ne suffisait plus que de tourner les canons… Mais les murs de Barraux portent aussi une mémoire proche, le fort ayant servi de camp de transit pour les prisonniers juifs, résistants, voire de droit commun en attente du grand voyage vers les camps de concentration ou d’extermination. Après la Libération, il fut encore utilisé comme prison pour les soldats nazis. Puis, abandonné par les militaires, il fut vendu à la commune et aussitôt après classé Monument historique ; la question de l’avenir et de l’usage de ce prestigieux ensemble fortifié n’est toujours pas réglée.

Une exposition : deux lieux Tous ces témoignages, pour être transmis au plus grand nombre, appellent un travail de médiation culturelle auquel s’est attaché l’équipe du Musée dauphinois, soutenue et conseillée par les meilleurs experts, pour la plupart auteurs dans les pages qui suivent. Restait à donner toute leur place à ces objets

de très grandes dimensions. Forts d’une collaboration aussi riche qu’ancienne, se souvenant avoir déjà confronté patrimoine fortifié et création contemporaine à Fort-Barraux en 2003, le MAGASIN Centre national d’art contemporain et le Musée dauphinois se sont vite rapprochés pour offrir au public les meilleures conditions de découverte de ces documents ; et, à l’initiative du MAGASIN, pour rencontrer dans le même temps l’œuvre d’un artiste libanais, Akram Zaatari, dont les films et photographies interrogent la réalité des frontières, aujourd’hui au MoyenOrient. Le plan-relief de Grenoble sera donc au MAGASIN ; celui de Fort-Barraux au Musée dauphinois, offrant deux présentations complémentaires de cette « Isère en relief », une même exposition pour ouvrir une large réflexion sur la guerre et la défense, mais tout autant sur l’évolution urbaine et ce que nous souhaitons faire demain de notre cadre de vie, de notre cité.

Pages suivantes : Plan-relief de Grenoble construit de 1839 à 1848 Bois, papier, soie, métal Échelle : 1/604e Dimensions : 8,20 m x 7,25 m Superficie : 59,45 m2 Vue du centre ancien : pont Saint-Laurent, ancien Parlement, collégiale Saint-André, hôtel Lesdiguières, places Grenette et Sainte-Claire

Jean Guibal, Conservateur en chef du patrimoine Franck Philippeaux, Conservateur du patrimoine

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SUISSE

Annecy

Grand St-Bernard

Mont - Blanc

Alpette

lac du Bourget

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Lanslebourg Mont-Cenis

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Pattacreuse, Variselle, Malamot

Modane Gobain

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Fortifications bastionnées de Vauban (1692-1707) post-Vauban (1708-1871) Forts du général Séré de Rivières (1872-1888) post-Séré de Rivières (1889-1927) Ligne Maginot 1928

Colmars-les-Alpes

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Drette, M é d i t e r r a n é e Revère, Tête de Chien

Carte : Thomas Lemot

Vallon Claus Tournoux Caurres, Serre de l’Aut Du


La défense des Alpes : frontières et fortifications tiques de l’Italie. Amorce d’une Pendant des siècles, de l’Antiquité Stéphane Gal Maître de conférence histoire longue, qui se prolongea à l’époque moderne, les Alpes n’ont en histoire moderne au fil des siècles, de guerres d’Itapas constitué une frontière telle à l’Université lie ou de Savoie en batailles des que nous la concevons aujourd’hui. Pierre-Mendès-France Alpes, jusqu’au XX e siècle. La masse alpine n’avait jamais fait mur, elle était au contraire regardée Les frontières se modifièrent d’aucomme refuge ou repère dans l’ortant, avec l’idée de plus en plus ganisation territoriale et les circuprégnante de mettre en conformité l’ordre polilations humaines. Au plan naturel, c’était le Rhône plus que les Alpes qui faisait limite. Au plan politique, tique avec l’ordre naturel. Les frontières naturelles s’imposaient désormais aux esprits scienil n’était pas question de ligne continue clairement tifiques et politiques comme des références définie entre États voisins. La frontière, dont le sens était originellement de faire front face à un ennemi, objectives pour l’établissement de « limites était alors constituée d’un réseau discontinu d’en- vraies » échappant aux aléas conjoncturels de l’histoire. Dès le traité de Cateau-Cambrésis, claves, de lieux utiles, de « pas » et autres passages à contrôler pour se défendre ou envahir. Autant d’as- en 1559, la France abandonnait presque toutes ses possessions d’au-delà des monts, à pects divers que recouvrait la notion ancienne de l’exception du marquisat de Saluces. Celui-ci « marche séparante ».

Les principaux ouvrages fortifiés de la chaîne alpine.

d

S

ur toute sa marge orientale, le Dauphiné était alors « confronté », comme on disait au XVIe siècle, à la Savoie. Les guerres d’Italie, en 1494, jetèrent un éclat nouveau sur cette partie de l’Europe. Le roi de France découvrait alors les Alpes et cherchait symboliquement et militairement à y affirmer son autorité : en ordonnant l’ascension du Mont Aiguille en 1492 ou en réalisant le premier franchissement d’une armée royale en 1494. Le contrôle des passages alpins devint d’une grande importance stratégique pour un roi qui cherchait à faire passer ses gens de pied et de cheval, ainsi que sa lourde artillerie, d’un versant à un autre, afin de les répandre dans les contrées magné-

fut échangé au traité de Lyon (passé entre la France et la Savoie, en 1601) par un Henri IV moins soucieux des prestigieux souvenirs italiens de sa noblesse que de consolider son pré carré. Dès cette époque, il avait été question de rattacher toute la Savoie au royaume de France. Les réajustements qui suivirent, notamment pendant les guerres de Louis XIV, comme avec le traité d’Utrecht, en 1713, permirent d’établir un tracé plus net de la frontière, laquelle devenait linéaire et rationnelle aux yeux des hommes d’État. La référence aux eaux pendantes, qui permettait de céder la totalité d’un versant à un seul État, devait garantir la nouvelle et durable répartition des territoires nationaux. Les vallées du Briançonnais histo-

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rique s’en trouvèrent donc démembrées au profit de la rationalité d’un tracé conforme à la nature. Les forteresses dauphinoises d’Exilles, de Fenestrelles et de Château-Dauphin, ancestrales gardiennes des portes françaises ouvrant sur l’Italie, furent définitivement cédées au roi de Sardaigne en échange de Barcelonnette. Même si ces tracés ne furent pas sans contestations, la dynamique était amorcée, qui conditionna désormais les négociations. Elle ne trouva son aboutissement qu’en 1860, lorsque ce fut toute la Savoie que l’on rattacha à la France. Les derniers réajustements furent ceux de 1947, qui affinèrent encore le partage des Alpes entre France et Italie.

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Dès le XVIe siècle, les grands conflits transalpins avaient avivé la nécessité d’entretenir des places fortes susceptibles d’abriter vivres, hommes et armes, et surtout de verrouiller les passages clés. Recueils et mémoires se multiplièrent de part et d’autres des Alpes afin d’en préciser les points stratégiques et les modalités de leur défense. Ainsi, en 1547, le nouveau gouverneur du Dauphiné, le duc d’Aumale, pouvait-il bénéficier d’un mémento d’une cinquantaine de folios destiné à lui indiquer la manière de contrôler au mieux le territoire sur lequel il devait exercer son autorité civile et militaire. Ce Recueil et abrégé signalait toutes les places fortes, avec leurs aptitudes à se garder, ainsi que les lieux d’étape pour les milliers de soldats ayant à circuler dans les Alpes. La frontière était alors un maillage de fortifications dont il était capital de connaître le rôle stratégique et la valeur militaire. Le Recueil de 1547 évoquait encore des villes et des châteaux, comme ceux

de Briançon, de Vars, de Château-Dauphin et quelques autres dont l’aspect était figuré par des dessins. L’auteur faisait la part belle à Quirieu, au nord du Dauphiné, et Exilles, seules places qualifiées de « forteresses ». Et pour cause, Exilles était « l’œil » français ouvert sur l’Italie, du moins avant que Pignerol ne vienne remplir ce rôle au XVIIe siècle. À deux siècles de distance du Recueil, en 1747, l’officier d’état-major dauphinois Pierre Joseph de Bourcet dressait des Mémoires militaires sur les frontières de France et du Piémont. Avec une infinie précision, Bourcet inventoriait tous les lieux susceptibles de jouer un rôle stratégique. La praticabilité des cols et des passages, même les plus difficiles, les temporalités des déplacements, les potentialités des fortifications et des espaces pour le déploiement des troupes y étaient indiquées. Bourcet puisait dans sa propre expérience de la guerre de montagnes, mais s’inspirait aussi des souvenirs de son père, dont il possédait des mémoires, ainsi que de ce que les histoires du temps de François Ier et de Lesdiguières pouvaient lui enseigner. À l’époque de Bourcet, la frontière avait déjà acquis son tracé linéaire et elle s’était puissamment ferrée d’une ceinture de forts. Vauban était passé par les Alpes où il avait inspecté et modifié les places. Promis à un long avenir, les forts étaient les nouveaux géants de la montagne sur laquelle ils veillaient en maîtres redoutables. Grenoble était désormais « une place en seconde ligne », mais un lieu de garnison de premier ordre. Barraux, en revanche, jadis soufflé au duc de Savoie, était la pointe la plus avancée du dispositif de défense en direc-


tion des États du roi de Sardaigne. Mais celui-ci, qui s’était vu privé de son fort de Montmélian, rasé sur ordre de Louis XIV, avait désormais plus de mal à envisager une offensive dans cette zone. Bourcet cependant ne cachait pas son inquiétude devant les récentes modifications de la frontière. Réagissant en militaire et non en politique, il considérait le tracé d’Utrecht comme une absurdité stratégique. Selon lui, le roi de Sardaigne avait si bien manœuvré qu’il avait fermé sa frontière d’une chaîne de montagnes dont il était désormais le seul à détenir la clef. Bourcet, qui était pourtant un homme de terrain, revenait à une référence historique au rebours de l’argument rationnel des frontières naturelles. Il alléguait qu’aucun échange n’était recevable puisque lors du « Transport » du Dauphiné, en 1349, avait été stipulé que le

roi ne pourrait en aucun cas démembrer les territoires cédés. Il préconisait donc que toutes choses soient remises « dans leur premier état. » En plein XVIIIe siècle, deux approches de la frontière alpine et de sa défense se heurtaient encore : l’une fixiste, préconisant de défendre la ligne de crêtes par une série de forts, l’autre mobile, qui insistait sur les hommes et leur capacité à s’adapter au terrain. Le XIX e siècle finit par combiner les deux en créant des troupes spéciales de chasseurs alpins. Alors que ceux-ci opèrent encore aujourd’hui en spécialistes de la guerre de montagnes à l’échelle de la planète, les forts ont perdu toute fonction militaire. Tels des géants pétrifiés, ils sont désormais intégrés aux nouveaux paysages alpestres redessinés par le tourisme et la porosité de frontières redevenues invisibles.

Vue de Grenoble Militaires sur le chemin de la Bastille, XIXe siècle, Allom et Bradshaw, Eau-forte.

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près de soixante mètres-carrés) représentant les fortifications protégeant les frontières de la France. Réalisées à la demande des souverains successifs, de Louis XIV à Napoléon III, elles composent aujourd’hui une collection exceptionnelle, rarement présentée au public. Récemment restaurées pour une exposition à Paris, les maquettes des forts de l’Isère – Grenoble, longtemps villeforte, et Fort-Barraux, prestigieuse réalisation de Vauban – sont présentées pour la première fois dans la capitale de l’Isère. Cet ouvrage accompagne l’événement et livre les clés de lecture et les témoignages que véhiculent ces documents historiques.

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L’Isère en relief Les maquettes monumentales des fortifications de Grenoble et de Fort-Barraux

sont des maquettes monumentales (celle de Grenoble occupe

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Les plans-reliefs

L’Isère en relief

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