ORAGES & NAUFRAGES F ICHE
DÉCOUVERTE
Dans la tradition du paysage tragique de l’école hollandaise, cette marine très sombre représente peut-être une scène de sauvetage. Le bateau en grande difficulté a perdu un de ses mâts et l’on devine en suivant l’axe du château, que la proue, cachée par le bateau sauveteur, plonge dans la mer. Un tonneau, flottant au premier plan confirme l’état de détresse et laisse supposer une éventration de la coque. Perpendiculairement à cette embarcation, une seconde vient vraisemblablement à son secours : les personnages à bord sont en ordre, statiques et tournés vers le navire en perdition. D’un point de vue plastique, la rencontre des deux navires permet, par le croisement des mâts, de définir des lignes qui, avec le grand rocher de droite, équilibrent la composition de l’œuvre. D’autant que les autres éléments sont traités bien différemment. Le ciel sombre et tourmenté laisse passer une lumière qui
Jan Dubbels, Tempête, 17e siècle.
jette une flaque plus claire entre les embarcations et les rochers : ceux du premier plan évoquent le fantastique par
leur forme quasiment végétale. A l’arrièreplan, le ciel et la mer se confondent dans une obscurité angoissante.
Dans
la veine des œuvres de Joseph Vernet, Loutherbourg peint un naufrage présenté au Salon de 1769 et loué par Diderot. Il poursuit ainsi, dans la représentation des éléments déchaînés, une tradition née au siècle précédent.
La composition montre le désarroi de l’homme, quand la nature en furie reprend ses droits, idée reprise plus tard par les Romantiques. Le ciel occupe une grande partie du tableau. Tourmenté de nuages obscurs qui toutefois se déchirent pour laisser transparaître une nuée claire, il dirige sa lumière exactement sur le point du naufrage. Cela confère aux vagues qui viennent se fracasser sur le rocher une couleur d’écume laiteuse. Cette trouée dans le ciel (manifestation divine ?) contribue à dramatiser la scène, et les mâts du navire en train de sombrer se placent exactement dans l’axe de cette clarté. Celle-ci permet en outre de distinguer les naufragés sur le rocher. Démonstration de terreur à travers les gestes de désespoir des uns, fatalisme chez d’autres, figés dans une ultime
Jacques Philippe de Loutherbourg, Naufrage (détail), 1769.
prière, tandis que des infortunés, déjà happés par les flots sont en train de se noyer. Hors de cette clarté oblique, la peinture est encadrée par des volumes
1
sombres et menaçants que l’on devine être des vagues, des rochers et l’impressionnante masse des nuages.