Où vont tous ces enfants - Recueil documentaire

Où vont tous ces enfants…Le travail des enfants au XIXe en Seine‐Inférieure

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RECUEIL DOCUMENTAIRE Sélection de documents à destination des enseignants Librement exploitables en classe

Le musée industriel de la corderie Vallois, à Notre-Dame de Bondeville, a présenté du 14 mars au 28 septembre 2009 une exposition temporaire intitulée « Où vont tous ces enfants…Le travail des enfants au XIXe siècle en Seine-Inférieure ». Pour prolonger cet événement et permettre à chacun d’en exploiter les différentes pistes pédagogiques, le service éducatif du musée met à la disposition des enseignants une sélection de documents issus du travail de recherche documentaire réalisé pour l’exposition. Il s’agit essentiellement de documents d’origine locale, à l’intérêt pédagogique indéniable et facilement exploitables en classe. Remises dans leurs contextes, les sources documentaires proposées sont présentées et analysées, de façon à aider les enseignants à élaborer des activités adaptées à leurs élèves.

Ce recueil tente de décrire la situation difficile des « enfants-machines » du département, victimes du développement industriel et de la mécanisation des activités traditionnelles au cours du XIXe siècle. Les secteurs du textile et de la verrerie, très présents dans le département, servent d’exemples afin de décrire des conditions de travail très difficiles pour des enfants de quatre à seize ans pouvant travailler douze à quinze heures par jour pour des salaires misérables. Il propose quelques explications à cet état de fait : Pourquoi employer des enfants ? Pourquoi envoyer ses propres enfants à la manufacture ? Il relate enfin la lente évolution des mentalités et de la législation qui permettra, à la fin du XIXe siècle, d’extirper les enfants les plus jeunes du monde du travail afin de les envoyer à l’école.

En espérant que ces documents puissent modestement contribuer à redonner le « sens de l’école » à certains enfants, en replaçant le droit à l’éducation, conquête fondamentale du XIXe siècle, dans son contexte historique et social.

Serge Monmarché Responsable du service éducatif Du musée industriel de la corderie Vallois

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Sommaire

1 : Pourquoi faire travailler les enfants ? ................................................................ 4 A : Une affaire de mentalité ................................................................................................4 B : Un salaire indispensable ...................................................................................................6 C : Une main d’œuvre bon marché ...................................................................................8

2 : Quelles conditions de travail ?......................................................................... 10 A : Des horaires trop longs ...................................................................................................10 B : Des tâches pénibles ........................................................................................................12 C : Des conséquences néfastes.........................................................................................17

3 : Comment le travail des enfants a-t-il été réglementé ?............................... 21 A : La loi de 1841 sur le travail des enfants dans les manufactures .............................21 B : La loi de 1874....................................................................................................................25 C : La loi de 1892 ...................................................................................................................27

Table des documents ......................................................................................................32

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1 : Pourquoi faire travailler les enfants ?

A : Une affaire de mentalité Il ne faut pas juger les Français du XIXe siècle à travers le prisme de nos valeurs et de nos convictions contemporaines. L’enfant n’a pas toujours été chéri et protégé, il a longtemps tenu une place accessoire dans la famille, juste considéré comme une bouche à nourrir, inutile tant qu’il ne peut accéder au statut d’adulte miniature et commencer à travailler auprès de son père ou d’un patron. C’est pourquoi le travail paraît indispensable dès le plus jeune âge, car il s’agit avant tout d’un apprentissage, notion séculaire et respectable. La transmission du savoir, et en l’occurrence d’un savoir-faire spécifique, est une devoir qui incombe aux pères de famille. Les artisans qui prennent leurs propres enfants comme apprentis, ou les ouvriers qui emmènent les leurs dans les ateliers, ne sont pas des tortionnaires, mais des parents qui cherchent à préparer leur descendance à leur vie future d’adulte.

Apprendre un métier qui permettra de « gagner son pain » semble, à raison à l’époque, plus important que d’apprendre à lire ou à écrire.

Mais au cours du XIXe siècle, l’image de l’enfant se transforme, il devient une personne spécifique, reconnue comme différente de l’adulte. A cette époque, le tutoiement se développe, les premières chambres d’enfants apparaissent, on interdit les châtiments corporels dans les écoles…Il devient plus difficile de le traiter comme un petit adulte. Parallèlement, le développement industriel et sa forte mécanisation rendent caduque la notion d’apprentissage. Planté devant une machine qu’il doit surveiller, l’enfant n’apprend plus rien, il est juste là pour effectuer des tâches répétitives et fastidieuses dans le but de soulager le travail des adultes. C’est cette situation qui sera dénoncée au milieu du XIXe siècle.

Document 1 : Louis-René VILLERME, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, 1840 Ces propos sont à mettre en perspective avec la personnalité de leur auteur.

Villermé est le symbole de la lutte contre le travail enfantin ; son enquête entrainera une prise de conscience qui aboutira à la première loi sur le travail des enfants en 1841. On le constate, il n’oppose pas travail et éducation, il ne propose de remplacer l’un par l’autre, et met d’ailleurs singulièrement en doute l’effet de l’instruction sur les classes laborieuses. Par cela, il illustre parfaitement les mentalités de l’époque. Ainsi, son rapport dénoncera efficacement les conditions du travail des enfants dans les manufactures, mais à aucun moment leur présence.

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« Une opinion générale, quoiqu’elle ait été victorieusement réfutée déjà, attribue à l’ignorance la misère et la plupart des crimes. Si l’instruction était plus répandue parmi le peuple, dit-on sans cesse, il serait meilleur et moins pauvre ; il pratiquerait mieux ses devoirs, parce qu’il les connaîtrait mieux. Il semble, d’après cela, qu’il suffirait d’ouvrir partout des écoles pour le rendre économe, tempérant, probe, moral. J’en demande pardon à ceux qui attendent tant de bien des écoles ; leur espoir est singulièrement exagéré.

L’instruction seule ne réprime pas plus les mauvais penchants qu’elle ne les développe ; elle n’a d’action morale, elle ne diminue l’orgueil, elle ne porte au travail, elle n’apprend l’économie, elle n’éloigne des actions honteuses ou criminelles qu’autant qu’elle est combinée avec l’éducation, l’esprit religieux et l’habitude des bonnes mœurs, avec lesquels il ne faut pas la confondre.

Je vais même plus loin. On ne voit pas, en y réfléchissant bien, comment l’instruction, qui consiste à savoir lire et écrire, aurait l’heureux effet, chez nous, de prévenir l’indigence. » Document 1 : Louis-René VILLERME, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, 1840

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B : Un salaire indispensable L’équilibre financier des familles ouvrières est précaire, l’enquête de Villermé l’a bien montré. D’après lui, un ouvrier célibataire peut vivre correctement et un couple se débrouiller tant qu’il n’a pas d’enfants. Mais s’il a deux enfants en bas-âge, il tombe inévitablement dans la misère. C’est pourquoi, dès que c’est possible, les enfants sont mis au travail, même si le salaire qu’ils rapportent est bien maigre. Il faut attendre qu’ils aient une dizaine d’années pour qu’ils « gagnent leur pain », c’est-àdire qu’ils rapportent ce qu’ils coûtent.

Document 2 : Jour de paye, par Berthe Mouchel, huile sur toile, collection musée de l’agglo d’Elbeuf Ce tableau illustre la vision traditionnelle de la famille ouvrière. La situation est celle d’un couple avec deux enfants, un nourrisson et une petite fille manifestement trop jeune pour travailler. La famille semble aussi héberger le grand-père. Ces trois générations vivent chichement, dans un intérieur très simple. La misère est marquée par le décalage entre le titre de l’œuvre, « Jour de paye », et la tristesse qui s’exprime sur les visages. Selon un préjugé très courant au XIXe siècle, les ouvriers « boivent leur salaire », validant ainsi un argument incontournable de la bourgeoisie de l’époque selon lequel les ouvriers étaient responsables de leur propre déchéance.

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Document 2 : Jour de paye, par Berthe Mouchel, huile sur toile, collection musée de l’agglo d’Elbeuf

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C : Une main d’œuvre bon marché Pour les manufacturiers, la main d’œuvre enfantine offre de nombreux avantages.

C’est tout d’abord un élément de souplesse des effectifs, car les enfants sont les premiers licenciés en cas de baisse de l’activité, et fournissent une main d’œuvre massive et bon marché en cas de hausse subite des productions. Ils sont à priori plus dociles que les adultes, surtout s’ils travaillent, comme c’est souvent le cas, sous les ordres de leur propre père. Mais avant tout, ils sont beaucoup moins payés que les adultes alors qu’ils font les mêmes horaires. Dans le textile, les jeunes rattacheurs sont ainsi payés de 0.75 fr à 1 fr par jour, alors qu’un ouvrier adulte gagne 2.50 fr et une femme 1.50 fr. En général, l’enfant gagne entre un tiers et la moitié d’un salaire d’adulte.

Document 3 : Tableau de répartition des salaires pour la manufacture Gresland, 1880, collection MICV La manufacture Gresland, à Notre-Dame de Bondeville, était une filature travaillant le coton pour la fabrication de mèches à bougies. Le fileur y touchait donc en 1880 2.20 fr par jour. Le premier rattacheur, le plus expérimenté, touche 1.10 fr, soit la moitié du salaire du fileur, le deuxième 1.05 fr et le troisième, le plus jeune, 0.70 fr, c’est-à-dire un peu moins d’un tiers du salaire du fileur.

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Document 3 : Tableau de répartition des salaires pour la manufacture Gresland, 1880, collection MICV

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2 : Quelles conditions de travail ?

A : Des horaires trop longs Dans les manufactures, les enfants sont en général dépendants d’un adulte qui les dirige et parfois même les embauche et les rétribue. Cette équipe est attachée à une machine, la fait fonctionner et l’entretient. Travaillant toujours ensemble, adultes et enfants font nécessairement les mêmes horaires, de douze à quinze heures par jour, travaillent six jours sur sept, parfois aussi le dimanche ou la nuit si l’activité l’exige. A ce temps de travail trop long s’ajoute le temps du trajet entre le domicile et le domicile, effectué à pieds et par tous les temps.

Document 4 : Enquête ministérielle sur le travail des enfants dans l’industrie en 1837, réponse de la mairie de Bolbec, ADSM Bolbec était un important centre textile. Le maire y signale la présence d’enfants de sept à quatorze ans. Il indique des journées de travail de onze à douze heures pour les tireurs dans l’indiennerie. Ces enfants, debout toute la journée, répartissent le mordant sur les châssis permettant l’impression des toiles de coton (indiennes). Dans les filatures, les rattacheurs qui aident le fileur en réparant les fils qui cassent font des journées de quatorze à quinze heures.

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Document 4 : Enquête ministérielle sur le travail des enfants dans l’industrie en 1837, réponse de la mairie de Bolbec, ADSM

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B : Des tâches pénibles Dans les filatures, les enfants comme les femmes sont employées aux tâches de préparation du coton. Ils sont chargés de l’épluchage, du cardage, du dévidage et en bout de chaîne de l’empaquetage. Les très jeunes enfants effectuent les tâches ingrates comme le ramassage des déchets et le nettoyage des bobines. Lorsqu’il travaille sur un métier à filer, l’enfant est rattacheur. Le rattacheur a pour tâche quotidienne et somme toute très répétitive de surveiller les fils qui cassent sur le métier à filer et de les rattacher. C’est un travail dangereux qui nécessite habilité et souplesse puisque l’enfant doit sans cesse être à l’affût du moindre fil qui casse afin de le rattacher au plus vite et ainsi ne pas entamer la rentabilité du métier.

Dans les industries de la laine, les tâches confiées aux enfants sont sensiblement les mêmes. Seuls quelques postes comme celui du ploqueur et du lacteur y sont bien spécifiques. Les enfants sont en charge de l’entretien des cardes, opération qui consiste à enlever les charbons, les nettoyer et les faire sécher. Les ploqueurs ramassent les loquettes (petits rouleaux formés par le cardage de la laine) et les portent au métier à filer. Le lacteur quant à lui enlève les impuretés présentes dans la laine avec ses lèvres.

Dans les verreries, la place du gamin est derrière le moule. Le travail quotidien du teneur de moule consiste à ouvrir et fermer le moule assis à même le sol sur un tabouret devant le bossier qui lui présente le verre en fusion au bout de sa canne.

Ce travail est pénible, la position inconfortable, la chaleur du four incessante. Quand le moule est brûlant le gamin doit le porter dans un baquet pour le refroidir.

Document 5 : Atelier de filage du coton, usine Badin à Barentin, fin XIXe siècle La manufacture Badin à Barentin était une des plus importantes manufactures du département, filant à la fois le lin et le coton. L’atelier de filage du coton employait des fileurs et des rattacheurs, ces derniers assis aux deux premiers rangs sur la photographie. Ce sont tous des enfants et on peut constater le très jeune âge de certains d’entre eux.

Document 6 : Atelier de verrerie de Bellevue, début XXe siècle, Collection Musée de la verrerie à Blangy-sur-Bresle L’activité verrière s’était rapidement industrialisée dans le nord du département, la vallée de la Bresle en particulier, regroupait de nombreuses verreries qui utilisaient massivement les enfants. Le « gamin », souvent un enfant placé de l’assistance publique, chargé de l’ouverture et de la fermeture du moule, restait accroupi toute la journée, dans la chaleur et les émanations du verre en fusion.

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Document 7 : Etat des livrets ouvriers délivrés à Saint-Pierre de Varengeville, 1887, ADSM Dans la deuxième partie du XIXe siècle, chaque commune était obligée de rendre compte des livrets ouvriers que le maire avait délivrés dans l’année. On constate sur l’état de Saint-Pierre de Varengeville que la plupart des jeunes garçons ayant obtenu leur livret en 1886 sont employés comme rattacheurs. Une jeune fille de 12 ans, Maria Vallais, est employée comme dévideuse, son travail consiste à vider des bobines de fil.

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Document 5 : Atelier de filage du coton, usine Badin à Barentin, fin XIXe siècle

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Document 6 : Verrerie de Bellevue, à Tourouvre dans l’Orne, Collection Musée de la verrerie à Blangy-sur-Bresle, début XXe siècle

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Document 7 : Etat des livrets ouvriers délivrés à Saint-Pierre de Varengeville, 1887 ADSM

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C : Des conséquences néfastes Les grandes industries offrent des conditions de travail pénibles pour le corps mais également pour l’esprit et le moral des jeunes enfants.

Dans les teintureries et les indienneries, c’est la chaleur qui accable les ouvriers. La température dépasse souvent les 35°. Dans les verreries, les gamins sont sans cesse confrontés à la chaleur du four et à celle du moule bouillant qu’ils doivent porter à refroidir. Dans les usines de transformation du coton, la poussière qui s’infiltre partout est difficilement supportable. Des maladies inhérentes à ces activités se développent, comme la « phtisie cotonneuse », affection des bronches qui fait ravage dans les industries de coton. Les enfants exécutent des tâches répétitives et contraignantes pour leur corps, soulèvent des charges trop lourdes, travaillent à des tâches dangereuses. Tout cela provoque de multiples déformations des membres repérés par les conseils de révision militaire qui réforment une majorité des enfants ouvriers. Les enfants rachitiques ou « scrofuleux » sont légion.

Les postes dangereux sur lesquelles travaillent les enfants sont à l’origine de nombreux accidents du travail. Souvent ce sont des blessures aux doigts, parfois les cheveux ou les membres sont saisis par les engrenages entraînant des amputations.

Enfin, l’usine reste un lieu de « démoralisation », terme qui signifie à l’époque la perte du sens moral, de la part d’enfants mis trop tôt au contact des adultes. En l’absence d’instruction morale ou religieuse, ils prennent vite les habitudes, qualifiées souvent de permissives, des adultes : Dégradation des mœurs, alcoolisme, prostitution parfois…

Document 8 : Victor HUGO, Melancholia, Les Contemplations, Livre III « Les luttes et les Rêves », II, 1856 Victor Hugo, très tôt sensibilisé à la situation des enfants ouvriers, rédige ce poème en 1836, avant les premières tentatives de législation sur le sujet. Horaires trop longs, mouvements répétitifs, dommages physiques, les dénonciations sont précises et pertinentes contre l’état« d’enfant-machine » ; les conséquences physiques et morales sont très clairement évoquées avec des mots très forts : servitude, rachitisme, bossu, crétin…

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Document 9 : Rapport d’accident à Graville Sainte-Honorine, 1889, ADSM Ce n’est qu’à la fin du XIXème siècle que les industriels sont tenus de rédiger des rapports en cas d’accident. On y constate la plupart du temps que les responsabilités sont rejetées sur les victimes accusées systématiquement d’imprudence. Cette façon de procéder est d’autant plus facile à mettre en œuvre lorsqu’il s’agit d’enfants. L’accident décrit dans le document est survenu aux forges et chantiers de la Méditerranée, dans la banlieue du Havre. Le jeune Auguste Manoury, treize ans, est décédé quelques mois après son embauche en tombant d’une passerelle.

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Où vont tous ces enfants dont pas un seul ne rit ?

Ces doux êtres pensifs que la fièvre maigrit ?

Ces filles de huit ans qu'on voit cheminer seules ?

Ils s'en vont travailler quinze heures sous des meules ; Ils vont, de l'aube au soir, faire éternellement Dans la même prison le même mouvement.

Accroupis sous les dents d'une machine sombre, Monstre hideux qui mâche on ne sait quoi dans l'ombre, Innocents dans un bagne, anges dans un enfer, Ils travaillent. Tout est d'airain, tout est de fer.

Jamais on ne s'arrête et jamais on ne joue.

Aussi quelle pâleur ! la cendre est sur leur joue.

Il fait à peine jour, ils sont déjà bien las.

Ils ne comprennent rien à leur destin, hélas !

Ils semblent dire à Dieu : « Petits comme nous sommes, Notre père, voyez ce que nous font les hommes ! » O servitude infâme imposée à l'enfant !

Rachitisme ! travail dont le souffle étouffant Défait ce qu'a fait Dieu ; qui tue, œuvre insensée, La beauté sur les fronts, dans les cœurs la pensée, Et qui ferait - c'est là son fruit le plus certain ! D'Apollon un bossu, de Voltaire un crétin !

Travail mauvais qui prend l'âge tendre en sa serre, Qui produit la richesse en créant la misère, Qui se sert d'un enfant ainsi que d'un outil !

Progrès dont on demande : « Où va-t-il ? que veut-il ? » Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme, Une âme à la machine et la retire à l'homme !

Que ce travail, haï des mères, soit maudit !

Maudit comme le vice où l'on s'abâtardit, Maudit comme l'opprobre et comme le blasphème !

O Dieu ! qu'il soit maudit au nom du travail même, Au nom du vrai travail, sain, fécond, généreux, Qui fait le peuple libre et qui rend l'homme heureux

Document 8 : Victor HUGO, Melancholia, Les Contemplations, Livre III « Les luttes et les Rêves », II, 1856

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Document 9 : Rapport d’accident à Graville Sainte-Honorine, 1889 ADSM

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3 : Comment le travail des enfants a‐t‐il été réglementé ?

A : La loi de 1841 sur le travail des enfants dans les manufactures La première loi sur le travail des enfants dans les manufactures sera votée le 22 mars 1841. Le texte comporte seulement 12 articles. Il s’applique exclusivement dans les fabriques employant plus de 20 ouvriers et dans les usines « à feu continu » (machines à vapeur). Cela exclue donc de nombreux secteurs de l’économie, en particulier l’artisanat et l’agriculture, et limite aussi l’impact de la loi dans l’industrie car les petits ateliers y sont majoritaires.

La loi fixe l’âge minimum pour travailler à 8 ans, et surtout l’article 2 limite à 8 heures le travail des enfants de 8 à 12 ans, avec un temps de repos obligatoire, et à 12 heures pour les enfants de 12 à 16 ans. Le travail de nuit est interdit pour les enfants en dessous de 13 ans. Une obligation de scolarité est fixée pour les enfants de moins de douze ans et pour les plus âgés, un certificat délivré par le maire devra justifier qu’ils ont reçu l’instruction primaire élémentaire. Ce dernier devra aussi délivrer aux enfants un livret spécifique mentionnant leur état-civil, leur degré d’instruction ainsi que les dates d’entrée et de sorties des manufactures qui les ont employés.

Document 10 : Affiche sur la loi de 1841, Elbeuf, 1843, Collection musée de l’agglo, Elbeuf La loi de 1841 ne sera pas réellement appliquée. La municipalité d’Elbeuf est ainsi obligée, deux ans après sa promulgation, de faire un rappel de ces prescriptions est d’accorder de fait un délai pour les mettre en pratique. Il y est exigé, outre les obligations d’âges et d’horaires, d’afficher la loi dans les ateliers et de tenir un registre spécial reprenant les informations du livret ouvrier.

Document 11 : Rapport de l’inspecteur de l’arrondissement d’Yvetot, 1847 ADSM Ce témoignage est d’autant plus précieux que la plupart des rapports d’inspection nous décrivent un monde industriel exemplaire dans lequel la loi est toujours respectée, les enfants des manufactures y ont toujours l’âge requis ainsi que le niveau scolaire exigé et des horaires de travail conformes aux prescriptions législatives. L’inspecteur de l’arrondissement d’Yvetot en 1847 est atypique ; le souspréfet le présente comme un simple vérificateur des poids et mesures « qui est sans fortune et qui a une famille à soutenir ». La charge d’inspecteur était en effet bénévole, et peu de volontaires se présentaient à ce poste. La fonction était très lourde et ne manquait pas d’attirer des inimitiés, ce qui explique en partie la bienveillance souvent, l’aveuglement parfois, des inspecteurs. De plus, une collusion

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se formait généralement entre les ouvriers et leurs patrons qui trouvaient une communauté d’intérêt à lutter contre la loi en trompant les inspecteurs.

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Document 10 : Affiche sur la loi de 1841, Elbeuf, 1843

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« Je ne finirai pas, Monsieur le Sous-préfet, sans vous faire part d’une impression fâcheuse que j’ai ressentie en parcourant les filatures(…) C’est de voir la haine qu’éprouvait les parents et les enfants pour la loi sur le travail. C’est au point que dans la dernière manufacture, la loi y a toujours été affichée, et toujours déchirée.

J’ai remarqué, et ce n’est pas d’aujourd’hui seulement que date ma conviction, que Messieurs les filateurs, dont cette loi contrarie un peu les intérêts, ont fait entendre aux ouvriers, soit directement soit indirectement, qu’elle allait leur ôter les moyens de gagner le pain de leur famille : que leurs enfants ne pourront plus en aucune façon les aider à augmenter les salaires déjà si restreints de la journée ; qu’au lieu de les faire travailler, il fallait les envoyer à l’école (…) Tout cela dit sans affectation, et comme par intérêt pour eux, a fait croire aux ouvriers que le gouvernement voulait les empêcher de gagner leur vie ; ces hommes bruts et sans instruction n’ont vu que les 20 centimes que leur rapportait le travail de leurs enfants, sans s’inquiéter de l’avenir, sans se soucier aussi de l’effet dévastateur que produit un travail excessif sur le physique et la constitution ; ils n’ont pas vue le piège ; de là leurs propos et leurs murmures à l’occasion des inspections ; de là l’idée fixe de déchirer constamment l’affiche qui porte la loi, comme si de cette action dépendait son anéantissement .

On avait bien vu la commission, mais l’inspecteur dont parle la loi, on ne vit pas. Alors on se dit : La commission se compose d’un médecin, d’un notaire, et Monsieur untel est mon parent, cet autre est mon ami. Ces messieurs ont bien voulu se charger de ce travail bénévolement, ils ont parlé de la loi et de ce qu’elle exige, mais quant aux procès-verbaux, ils n’en feront pas, ils n’iront pas s’exposer à se faire des ennemis pour le plaisir de nous traîner devant les tribunaux ; c’est un rôle qu’ils ne voudront pas jouer. Un médecin et un notaire veulent conserver leur clientèle…Et puis les élections municipales…Non, nous n’avons rien à craindre d’eux » Document 11 : Rapport de l’inspecteur de l’arrondissement d’Yvetot, 1847, ADSM

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B : La loi de 1874 Devant l’échec de la loi de 1841, une nouvelle loi s’impose, d’autant plus que la défaite de 1870 a marqué les esprits, et que la mauvaise condition physique de la jeunesse française est pointée du doigt. La loi « sur le travail des enfants et des filles mineures employés dans l’industrie » du 19 mai 1874 englobe désormais tous les ateliers, quelques soient leurs tailles. L’âge minimum d’embauche est fixé à 12 ans pour une durée journalière de 12 heures. Le travail de nuit, celui du dimanche et des jours fériés sont interdits pour les garçons jusqu’à 16 ans, jusqu’à 21 ans pour les filles.

Le livret est maintenu, ainsi que l’obligation d’affichage de la loi. Enfin, un corps de 15 inspecteurs rétribués par l’état est crée, afin de vérifier la bonne exécution de la loi.

Document 12 : Etat des industries employant des enfants à Canteleu, 1876, ADSM On peut noter sur cet état que plusieurs enfants de moins de 12 ans sont employés dans des usines de Canteleu. Cela s’explique par les multiples dérogations que prévoyait la loi. Les filatures, les indienneries, les verreries entre autres avaient le droit d’employer des enfants plus jeunes. D’autres dérogations existaient sur le travail de nuit et du dimanche, qui rendaient la loi facilement contournable. Par contre, on observe qu’il n’y a aucun enfant de moins de dix ans. C’est une population qui est moins employée par les manufacturiers, surtout en période de baisse de la production. D’autre part, il est facile de les dissimuler lors du passage de l’inspecteur.

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Document 12 : Etat des industries employant des enfants à Canteleu, 1876

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C : La loi de 1892 La « loi sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels » du 2 novembre 1892 marque deux changements importants. Tout d’abord, comme l’indique son intitulé, les femmes font désormais parties du « personnel protégé », au même titre que les enfants. Quant à l’âge minimum d’embauche, il est repoussé à 13 ans pour se mettre en conformité avec l’obligation scolaire. La durée journalière du travail est abaissé à 10 heures jusqu’à 16 ans et 11 heures au-delà. Les services d’inspection sont développés et réorganisés, avec une multiplication d’inspecteurs départementaux sous l’autorité d’inspecteurs divisionnaires plus nombreux.

Si les manufacturiers résistent, il semble que le nouveau corps d’inspection se montre plus efficace et les autorités ministérielles plus intransigeantes. Les contraventions se multiplient : absence de livret, non affichage de la loi, dépassement du temps de travail, emploi d’enfants trop jeunes, dépannage sur des machines en marche…Le système semble plus fiable et la tolérance moins grande.

Il faut préciser que la loi du 28 mars 1882, instituant l’école obligatoire jusqu’à 13 ans, rendait déjà l’embauche d’un enfant compliqué et les patrons préférèrent y renoncer progressivement. Il faudra un certain temps pour que son exécution soit réellement effective, mais son succès permettra à la loi sur le travail de 1892 de réussir en partie là où les lois de 1841 et 1874 avaient échoué : diminuer la main d’œuvre enfantine en augmentant l’âge d’embauche.

Document 13 : Loi sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels, (section 1) 1892 ADSM La loi dans ces trois premiers articles reprend les prescriptions classiques d’âges et d’horaires, mais l’étend à de nouveaux secteurs d’activité, mines, chantiers et autres et prévoit de nombreux cas particuliers : orphelinats, établissements de bienfaisance…Elle fait du certificat d’études primaires une condition nécessaire à l’embauche dès douze ans et protège désormais aussi les femmes adultes. Elle donne aussi aux inspecteurs du travail un véritable pouvoir, qui dépasse désormais le simple procès-verbal de contravention. Ils peuvent désormais exiger le renvoi de certains enfants embauchés illégalement.

Document 14 : arrêté ministériel sur les surcharges, 1894, ADSM La loi prend désormais en compte de nombreux aspects du travail enfantin ; elle interdit par exemple d’utiliser les enfants comme « moteur » en les faisant pédaler ou tourner une roue manuellement. Le décret de 1894 sur les surcharges établit les

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charges maximum qu’un enfant peut porter, traîner ou pousser. C’est ainsi qu’un enfant de treize ans peut tout de même pousser sur rails un wagonnet de 300 kg !

Document 15 : Procès-verbal de contravention, 1903 ADSM L’action de l’inspection devenant plus efficace, les contraventions se multiplient, et la justice prend sa part en condamnant régulièrement les contrevenants. Dans le cas de la verrerie de la grande vallée à Guerville, il s’agit de l’emploi illégal de trois enfants de moins de treize ans sans certificat. Le patron est un récidiviste, s’étant déjà vu infliger, peu de temps auparavant, quatre contraventions suivis de condamnations pour les mêmes motifs. La résistance patronale reste importante, évoquant tout à la fois la compétitivité amoindrie de leur entreprise et les revenus insuffisants de leurs ouvriers

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Document 13 : Loi sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels, (section 1) 1892 ADSM

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Document 14 : arrêté ministériel sur les surcharges, 1894

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Document 15 : Procès-verbal de contravention, 1903 (ADSM)

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Table des documents Document 1 : Louis-René VILLERME, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers employés dans les manufactures de coton, de laine et de soie, 1840 Document 2 : Jour de paye, par Berthe Mouchel, huile sur toile, collection musée de l’agglo d’Elbeuf Document 3 : Tableau de répartition des salaires pour la manufacture Gresland, 1880, collection MICV Document 4 : Enquête ministérielle sur le travail des enfants dans l’industrie en 1837, réponse de la mairie de Bolbec, ADSM Document 5 : Atelier de filage du coton, usine Badin à Barentin, fin XIXe siècle Document 6 : Atelier de verrerie de Bellevue, début XXe siècle, Collection Musée de la verrerie à Blangy-sur-Bresle Document 7 : Etat des livrets ouvriers délivrés à Saint-Pierre de Varengeville, 1887, ADSM Document 8 : Victor HUGO, Melancholia, Les Contemplations, Livre III « Les luttes et les Rêves », II, 1856 Document 9 : Rapport d’accident à Graville Sainte-Honorine, 1889, ADSM Document 10 : Affiche sur la loi de 1841, Elbeuf, 1843, Collection musée de l’agglo, Elbeuf Document 11 : Rapport de l’inspecteur de l’arrondissement d’Yvetot, 1847 ADSM Document 12 : Etat des industries employant des enfants à Canteleu, 1876, ADSM Document 13 : Loi sur le travail des enfants, des filles mineures et des femmes dans les établissements industriels, (section 1) 1892 ADSM Document 14 : arrêté ministériel sur les surcharges, 1894, ADSM Document 15 : Procès-verbal de contravention, 1903 ADSM

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