VILLÉGIATURE F ICHE
&
BAINS DE MER
DÉCOUVERTE
Ce paysage peint depuis la falaise Ouest embrasse une vue panoramique de Dieppe et du bord de mer. Il n’est pas sans rappeler le port vu de la falaise, peint par Isabey en 1842 (musée des beauxarts de Nancy). Le ciel, très présent est plombé de nuages : le grain est imminent, ce qui pousse les lavandières du premier plan à plier le linge dans le vent. La figuration de l’averse soudaine permet de mesurer la légèreté d’une exécution pour l’arrière-plan que l’on devine sur le motif. Les masses sombres se concentrent au-dessus de la ville et de ses environs dans un lointain peu défini, tandis que le côté plage reste ensoleillé. La jetée se situe au centre d’une tache claire, et au-delà, la mer est calme et les navires au large ne sont pas inquiétés. A cette époque, la plage de Dieppe s’enorgueillissait d’un audacieux casino de fonte et de verre et le front de mer avait été redessiné par l’Impératrice Eugénie, épouse de Napoléon III. Mais ce n’est pas ici le propos de Jules Noël qui laisse l’édifice en contrebas de la falaise et favorise le “no man’s land” que représentait encore ce terrain entre la ville et la mer : plus tout à fait terrain militaire malgré la présence de canons, pas encore aménagé, si ce n’est la présence d’immeubles imposants au bord de la cité… seul une chantier naval profite de la descente douce vers la mer. De cette ville, le peintre privilégie l’aspect industrieux : fumées de cheminées d’usines, dont celles de la Manufacture des Tabacs, trafic maritime important si l’on en juge par le nombre de bateaux à voiles et à vapeur au large des côtes. En dehors de ce témoignage d’activités industrielles qui occupe l’arrière-plan, le mouvement des lavandières au premier plan est tout aussi remarquable : l’ébauche fait place à une précision
Jules Noël, Panorama de la ville de Dieppe, vers 1865
quasiment anecdotique et la touche est plus visible, comme si cette scène avait été ajoutée ultérieurement par l’artiste, en atelier, ce qui n’était pas exceptionnel chez Jules Noël.
“Je cherche un ton que nous appelons le gris coloré. Je veux dire que toutes les couleurs, même les plus intenses, sont réunies de façon à donner l’impression d’un gris chaud et vivant. Ce sentiment de gris doit toujours être préservé même dans le vert le plus vif.” Bilders , peintre, XIXe siècle.
Bien que reprenant quasiment le même angle de vue que Jules Noël dans son Panorama de la Ville de Dieppe, la facture est ici fort différente. Eva Gonzalès a privilégié dans cette peinture la qualité ambivalente de la lumière à la fois intense et douce qui restitue au paysage les valeurs particulières au littoral de la Côte d’Albâtre : le crayeux de la falaise vient se heurter au vert foncé de l’herbe. Le front de mer est aménagé en pelouses telles que les avait dessinées l’Impératrice Eugénie en 1852, seul témoignage d’une activité de villégiature qui a ici été évacuée au profit d’un paysage moins anecdotique que celui de Noël, plus intemporel. Il s’agit ici d’un travail qui s’apparente à une étude en plein air.
Eva Gonzalès, Plage de Dieppe vue depuis la falaise ouest, vers 1870
L
a lumière, les couleurs et le motif même de cette esquisse sont à rapprocher de l’œuvre d’Eva Gonzalès, en particulier les accords entre le gris, l’ocre et le vert de la falaise. Le rapport entre la verticalité des mâts, de la maison, la masse de la falaise et l’horizontalité de la mer, de l’estran, et du quai animé de silhouettes en mouvement, donne à cette œuvre sa légèreté et son élégance.
“C’est moins le monde que l’élément qui l’enveloppe que nous reproduisons.” Eugène Boudin, 1882.
Eugène Boudin, Les falaises du Pollet à Dieppe, 1896
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