L’info pacifiste : www.mvtpaix.org La paix en mouvement
3,20 euros / N° 583 / Été 2013
Inde,
Terre de paradoxes
Aimé Césaire
‘‘Un géant d’humanité’’ (P.22/23)
Le Forum social mondial 2013
L'autre printemps tunisien (P.19)
Dossier (P.11-17)
REGARD SUR...
Manifestation du 1er mai à Paris
Initiative le 11 mai au port de La Joliette dans le cadre de "Marseille, capitale européenne de la culture de paix", exposition en 10 panneaux, sur le thème " Pour une Méditerranée pacifique, solidaire, sans armes nucléaires".
Chant de la Marseillaise de la Paix, lors de la Parade des associations à Saint Martin d’Hères (38).
Délégation du Mouvement de la Paix à Bil'in, Palestine, avril 2013
Bannière du désarmement humanitaire sur la Broken Chair, sculpture monumentale en bois de l'artiste suisse Daniel Berset réalisée par le charpentier Louis Genève. Elle pèse 5,5 tonnes de bois et est haute de 12 mètres.
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N° 583 - Été 2013 - Planète PAIX
Manifestation contre les armes nucléaires devant le ministère de la Défense, le 3 mai à Paris à l'initiative notamment de la Maison de vigilence.
Sommaire
l’Édito
Planète Paix n° 583 - Été 2013
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Actualité
Livre blanc de la défense
P.6/7
Entre ambiguïtés… ... et non-dits Traité de non prolifération nucléaire
Des dépenses Inutiles
P.8
L
L’impulsion de la conférence d’Oslo Veynes cultive la Paix
P.9
Alliés dans la Fête et dans la paix Les robots tueurs
P.10
La guerre sans état d’âme
11
dossier
Inde, Terre de paradoxes I’Inde aujourd’hui
P.12
Les défis d’une puissance émergente Prostitution des enfants
P.13
La négation absolue des droits de l’enfant Condition de la femme indienne
P.14/15
Un début de révolution mais la lutte sera longue France/Inde
P.16
Un partenariat stratégique
19
mondialiser la paix
Le Forum social mondial 2013
P.18
L'autre printemps tunisien Paroles de délégués
22
P.19
culture
Expositions - spectacle
P.20/21
‘‘Chagall entre guerre et paix’’ ‘‘Hugo politique’’ ‘‘Jean Moulin : Artiste, préfet, résistant (1899-1943)’’ ‘‘Louise Michel, écrits et cris’’ Aimé Césaire
P.22/23
‘‘Un géant d’humanité’’
Mensuel édité par le mouvement de la paix
9, rue Dulcie September, 93400 Saint-Ouen Tél. 01 40 12 09 12 Fax : 01 40 11 57 87 planete.paix@mvtpaix.org
Paul Quilès Ancien ministre de la Défense, maire de Cordes-sur-Ciel (Tarn)
‘‘ [...] certaines
économies auraient pu être réalisées : par exemple, en remettant en cause la force nucléaire aéroportée, qui représente 15% de la dissuasion nucléaire française et dont l’utilité est très sujette à caution […] ’’
Directeur de la publication : Guillaume du Souich Rédactrice en chef : Nadia Dorny-Bennad Conception maquette : Chérif Beldjoudi Graphiste - maquettiste : Laurence Leclert. Comité de rédaction : Raoul Alonso, évelyne Aymard, Nicole Bouexel, Grégoire Desclaux, Nadia Dorny-Bennad, Annie Frison, Pierre Villard, Jean-Paul Vienne. Photos et illustrations : Tous droits réservés - Onu - Brigitte Illy Ont participé à ce numéro : Paul Quilès, Nadia Dorny-Bennad, Daniel Durand, Patrice Bouveret, Tony Fortin, Nathalie Gauchet, Michel Dolot, Pierre Villard, JeanPaul Vienne, Brigitte Illy, Camille Champeaux, Cathy Aubron, Yves Perrin Toinin, Evelyne Aymard. Gestion des abonnements : Nassera Macrez, tél. 01 40 12 09 12. ISSN 1773-19241. Numéro de commission paritaire : 0317G85601 Imprimeur : Compédit Beauregard - 61600 La Ferté-Macé
’objet du Livre blanc de la défense est de définir à la fois les menaces auxquelles notre pays risque d’avoir à faire face et les moyens qu’il choisit de se donner pour y répondre. Ce document, rédigé par une commission de 46 experts et représentants de l’État, vient d’être publié. Les commentaires ont surtout porté sur la réduction des objectifs assignés à la défense française et aux ambitions de la France en la matière. L’accent a été mis sur la diminution des moyens conventionnels, en particulier pour ce qui concerne les programmes d’armement et les effectifs, qui doivent à nouveau diminuer : 24 000 en moins d’ici 2019. Sans surprise, il n’aborde pas la question, pourtant essentielle, de la pertinence de l’arme nucléaire dans notre stratégie de défense. Ce thème avait en effet été évacué des débats de la Commission du Livre blanc par la lettre de cadrage du président de la République. Aucune inflexion n’a donc été apportée au dispositif de soutien et de modernisation de l’armement nucléaire. Ceci est d’autant plus regrettable que, dans la période de difficultés budgétaires actuelles, certaines économies auraient pu être réalisées : par exemple, en remettant en cause la force nucléaire aéroportée, qui représente 15% de la dissuasion nucléaire française et dont l’utilité est très sujette à caution, comme l’ont remarqué les Britanniques, qui l’ont abandonnée en 1997. Les montants financiers correspondants auraient alors pu être affectés à des dépenses plus utiles. Pour en rester au seul domaine de la défense, cela aurait permis d’éviter les saignées prévues dans les effectifs, dangereuses pour l’efficacité du dispositif d’intervention et de développer les moyens de renseignement, devenus indispensables dans des conflits, comme on l’a vu récemment au Mali. Paul Quilès
Bon d’abonnement à Planète Paix page 23 N° 583 - Été 2013 - Planète PAIX
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Courrier des lecteurs
Le Sahara occidental Nous venons de lire l'article consacré au procès de Rabat des 24 Sahraouis arrêtés et emprisonnés après la manifestation de Gdeim Izik en octobre/novembre 2010, article signé par Grégoire Desclaux. Plusieurs membres de notre Comité de paix du Havre sont membres de l'association havraise « un camion citerne pour le Sahraouis » et nous sommes amenés à réagir à propos de plusieurs formules ambigües, voire erronées. Vous parlez à plusieurs reprises « d'indépendantistes » ce qui sous entend que les territoires du Sahara Occidental font partie du Maroc et que les Sahraouis veulent s'en séparer, alors qu'ils « bénéficieraient depuis la décolonisation espagnole d'une relative autonomie ». Cette analyse de la situation est totalement fausse. Le Maroc occupe illégalement depuis 1975 le territoire du Sahara Occidental, considéré par l'Onu comme le dernier territoire colonisé d'Afrique. Les Sahraouis sont des résistants à une occupation illégale. Ils ne jouissent d'aucun droit particulier sur leur propre territoire. Au contraire, ils sont victimes de discriminations multiples (interdictions de parler leur propre langue, discrimination à l'embauche) et subissent une répression de plus en plus brutale. De nombreuses enquêtes (HRW, Amnesty International, rapport de l'Onu de Juan Mendez, rapport de la Fon4
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Opinions, Suggestions, Observations ! Envoyez-nous vos messages pour qu’ils soient diffusés dans le journal et sur le site Internet du Mouvement www.mvtpaix.org. écrire à : Mouvement de la Paix 9 rue, Dulcie September, 93400 Saint-Ouen. Courriel : planete.paix@mvtpaix.org Les réflexions suivantes sont destinées au débat et n’engagent donc que leurs auteurs.
dation Kennedy) dénoncent des cas de brutalités policières, de tortures ou de disparitions forcées. Leur résistance pacifique n'a pour objet que d’exiger la tenue du référendum d’autodétermination prévu par l'accord de cessez-le-feu de 1991 signé entre le Polisario et le Maroc, signé sous l'égide de l'Onu. Ce référendum est repoussé par le Maroc qui entend annexer de fait le territoire en y installant des colons. Les Sahraouis jusqu'à ce jour ont organisé une résistance pacifique face à la violence systématique des forces d'occupation marocaines. Ni séparatistes, ni indépendantistes, les Sahraouis sont des résistants pacifiques et n'exigent que le respect des accords internationaux (avis du tribunal International de La Haye de 1976, accord de cessez-le-feu de 1991 et nombreuses résolutions de l'Onu). Nous vous invitons à consulter les ouvrages publiés sur la question, entre autres par les Éditions l'Harmattan en particulier l'ouvrage collectif « La résistance Sahraouie à Gdeim Izik » publié en 2012. Nous espérons que vous apporterez les corrections nécessaires pour informer complètement et fidèlement les lecteurs du journal « Planète Paix ». Le viol : arme de guerre Clara Magazine, édité par Femmes Solidaires, propose dans son numéro 137 de mai-juin 2013 un dossier très documenté sur les violences sexuelles en temps de guerre : la double peine des femmes. Des témoignages décrivent des situations terribles en : Centrafrique, Birmanie, exYougoslavie entre 1992 et 1995, Rwanda 19 ans après, Djibouti où depuis 20 ans des militaires de cette République violent en toute impunité les femmes afars du nord du pays, Colom-
bie théâtre d’une guerre non conventionnelle. La violence sexuelle contre les femmes s’est renforcée au 20ème siècle avec l’apparition des guerres asymétriques (différence de nature entre les groupes qui s’affrontent) : c’est l’utilisation de la violence sexuelle comme stratégie ou tactique de guerre, les femmes étant considérées comme des objets. Les premières vraies réponses pénales arrivèrent en 1993 avec le Tribunal Pénal International pour l’ex-Yougoslavie. La 1 ère résolution du Conseil de Sécurité des Nations unies date de juin 2008 et, depuis, un rapport spécifique sur ces violences y est présenté chaque année. La création en 2010 de l’agence Onu Femmes devrait aider à renforcer le lutte contre ces violences. Le temps presse : 40 femmes sont par exemple violées chaque jour au Sud Kivu au Congo. Clara-Magazine n° 137 mai/juin 2013 Contact : clara.magazine@wanadoo.fr « Regonflés à bloc » Dans le numéro 580, Planète Paix vous a parlé de ce club de jeunes du lycée Esclangon de Manosque débordant d’énergie qui se rendait aux Nations unies, à Genève, en avril dernier. De retour chez eux, ils ont souhaité nous faire partager les impressions et enthousiasme de leur voyage à Genève. Nous voici revenus de Genève, avec des images et des émotions plein le cœur. Nous avons été très
bien reçus à l'Onu : tout d'abord accueillis dès notre arrivée avant la visite guidée, par le service information, puis reçus en particulier par Mme Vellucci, chef de la section de la presse et des relations extérieures et du service information, ainsi que par M. Espinosa, chef de l'unité de liaison avec les ONG. Nous leur avions remis le press-book de nos actions et le travail réalisé a été qualifié d’ « admirable ». Je vous laisse imaginer la fierté de nos jeunes : ils ne s'attendaient pas à autant d'éloges, et moi non plus d'ailleurs ! Nos interlocuteurs nous ont reçus avec simplicité et gentillesse, acceptant de nous consacrer une part de leur temps qui leur est si précieux. Lors des échanges, on a pu ressentir de l'émotion de part et d'autre, notamment lorsqu'il nous a été dit que nous avions fait bouger les choses. Il nous a été conseillé de continuer notre démarche en direction de l'international comme du local, ne négliger aucune action, car comme l'a dit Mme Vellucci, « il n'y a pas de petites action, il faut rester concret pour faire avancer les choses. » Nous sommes donc rentrés regonflés à bloc : de nouveaux projets pointent leur nez et les anciens attendent d'être poursuivis ou peaufinés. Alors, à très bientôt pour la suite de nos échanges et de notre travail en commun. Et merci encore pour votre aide sans laquelle nous n'aurions pas pu vivre des instants aussi forts et riches. Laure Ramel, pour le Club Solidarité du Lycée Esclangon.
REPÈRES ... Film
L’attentat De Ziad Doueiri Une adaptation du roman éponyme de Yasmina Khadra
Quand un kamikaze frappe un café à Tel Aviv, le Dr Amin Jaafari, un citoyen israélien d’origine palestinienne et chirurgien très respecté, soigne les victimes de l’explosion dans un hôpital à proximité - du moins ceux qui le lui permettent, car certains refusent d'être traité par un Palestinien. Amin n'est pas habitué à de tels affronts, mais en cette terrible journée, un choc beaucoup plus rude l’attendait. Tard dans la nuit, il est appelé à l'hôpital pour identifier le corps du kamikaze, sa femme. Pour Amin, c’est impossible à croire, sa femme ne peut être qu'une victime ! Sa vie bascule, il perd tous ses repères, il se sent trahi par son épouse, et ses amis israéliens le regarde maintenant comme un Arabe... Accablé de douleur, ravagé par la culpabilité et tourmenté par sa propre incompréhension, il s'embarque dans un voyage désespéré à Naplouse pour savoir qui a pu convaincre sa femme, chrétienne, de commettre un tel acte... Ce qui commence comme une enquête, évolue progressivement vers une prise de conscience douloureuse et révélatrice, car Amin doit faire face aux nombreux choix de sa propre vie et aux fragiles bases de ses identités qui s’entrelacent ; citoyen israélo-palestinien, médecin et mari.
Livre
Aux origines du drame Syrien 1918-2013. Pourquoi ? Xavier Baron Éd. Tallandier
Ce livre est le premier à effectuer une plongée détaillée dans un siècle d’épreuves et de tragédies. Dû à un journaliste qui connaît parfaitement la région et son histoire, il contribue à répondre à la lancinante question : pourquoi ? Les responsabilités de Bachar al-Assad dans le drame que vivent les Syriens aujourd’hui sont écrasantes. Mais cette évidence n’explique pas tout, loin de là. Avant le fils, il y a eu le père. Avant le père, il n’y a jamais eu de régime démocratique digne de ce nom. Il y a eu l’occupation française entre les deux guerres, il y a eu le partage arbitraire par les Européens des provinces arabes de l’empire ottoman. Le tout ponctué de conflits violents et de répressions. Il y a eu aussi et il y a encore un ensemble de religions qui cohabitent mal, il y a eu un fort courant laïc (notamment le parti Baas au pouvoir), un impitoyable jeu international : jadis les Européens, aujourd’hui Israël et les grandes puissances arabes et non arabes. L’héritage de souffrance est immensément lourd. Xavier Baron est un ancien directeur de l’Afp pour le Proche-Orient. Son livre, Les Palestiniens. Genèse d’une nation (1ère éd. 1978), est le livre de référence sur l’émergence de la revendication nationale palestinienne. Il a également publié plus récemment en collaboration avec Pierre Vallaud un Atlas géostratégique du Proche et du Moyen- Orient (2010).
Le 28 août 1963, Martin Luther King prononçait son fameux discours « I have a dream » devant le Lincoln Memorial à Washington. Si la mort de ce grand homme date maintenant de plus de quarante ans, son discours fort, engagé et non-violent continue d’inspirer les jeunes générations, dans le monde entier. « La non violence est non seulement juste mais indispensable » Ce film a été interdit de diffusion dans 22 pays de la Ligue arabe. Fin avril, le gouvernement libanais, qui avait auparavant autorisé la diffusion du long-métrage, s’est rétracté, souhaitant se ranger derrière l’avis du Bureau de boycottage d’Israël, un comité permanent créé en 1951 par la Ligue arabe chargé de formaliser la censure des produits en provenance de l’État hébreu. L’interdiction a ensuite été étendue à l’ensemble des États membres. La raison de cette censure ? Une partie du film a été tournée à Tel Aviv. En Israël, donc, ce que proscrit formellement le Bureau de boycottage d’Israël de la Ligue arabe. Autre raison, le réalisateur libanais a fait appel à des acteurs israéliens.
« L'ultime faiblesse de la violence est que c'est une spirale descendante, engendrant la chose même qu'elle cherche à détruire. Au lieu d'affaiblir le mal, elle le multiplie. En utilisant la violence, vous pouvez tuer le menteur, mais vous ne pouvez pas tuer le mensonge, ni rétablir la vérité. En utilisant la violence, vous pouvez assassiner le haineux, mais vous ne pouvez pas tuer la haine. En fait, la violence fait simplement grandir la haine. Et cela continue… Rendre la haine pour la haine multiplie la haine, ajoutant une obscurité plus profonde à une nuit sans étoiles. L'obscurité ne peut pas chasser l'obscurité : seule la lumière peut faire cela. La haine ne peut pas chasser la haine : seul l'amour peut faire cela. » N° 583 - Été 2013 - Planète PAIX
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ACTUALITÉ Livre blanc de la défense
Entre ambiguïtés… Le Livre blanc, rendu public le 29 avril par le ministre de la Défense, JeanYves Le Drian, tente de mettre en place le plan stratégique de 2008 - et explique ainsi que la France continuera à faire un peu de tout - même si elle recentre ses ambitions de projection principalement en Europe et en Afrique.
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N° 583 - Été 2013 - Planète PAIX
L
e « Livre blanc 2013 de la défense et de la sécurité nationale » reprend le concept global de « sécurité nationale » qui permet d'amalgamer sous le terme de « menaces à la sécurité nationale » des éléments qui peuvent être des « menaces » militaires comme la prolifération des armes de destruction massive ou le terrorisme, des « menaces » technologiques et des « problèmes » de santé comme des pandémies, des « problèmes » d'environnement et de ressources naturelles (eau, réchauffement climatique). En déclarant ensuite « que l'action militaire reste une donnée essentielle de la sécurité nationale », la plus grande confusion politique et idéologique règne, les dimensions politiques, juridiques, sociales des problèmes mondiaux passent alors au second plan... C'est là que réside une deuxième grande ambiguïté de ce Livre blanc. Il y a une faiblesse de cohérence politique. L'ensemble des réflexions stratégiques n'est pas inscrit clairement dans la défense prioritaire du droit international et la primauté de la Charte des Nations unies malgré une référence (page 22 : « La France est attachée à la consolidation des principes inscrits dans la Charte des Nations unies qui interdisent la menace ou l’emploi de la force dans les relations entre États, à l’exception de l’exercice de la légitime défense et de l’application des résolutions du Conseil de sécurité ») qui semble plus être un rappel « obligé » qu'un élément central de la réflexion. Il n'est donc pas anodin que la « Conclusion récapitulative » du Livre blanc 2013 ne comporte pas le mot « Nations unies » et qu'on y trouve cette définition rabougrie : « Notre stratégie de défense et de sécurité nationale ne se conçoit pas en dehors du cadre de l’Alliance Atlantique et de notre engagement dans l’Union européenne ». On n'y trouve pas, sinon une fois en marge, le mot « paix ». Il est vrai que dans le texte lui-même, la paix vient en dernier de « l'échelle des priorités » : (p 47) : « - protéger le territoire national et les ressortissants français, et garantir la continuité des fonctions essentielles de la nation ; - garantir avec nos partenaires et alliés la sécurité de l’Europe et de l’espace nord-atlantique ; - stabiliser avec nos partenaires et alliés les approches de l’Europe ; - participer à la stabilité du
Proche-Orient et du Golfe Arabo-persique ;- contribuer à la paix dans le monde ». Toutes ces ambiguïtés, ce flou dans l'encadrement conceptuel d'une politique de défense conduisent à des propositions crispées sur la « protection » d'une souveraineté nationale qui serait menacée par tout mouvement inattendu dans le monde. Cela pèse sur la dissuasion nucléaire qui « protège la France contre toute agression d’origine étatique contre ses intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme ». On voit que la formule peut justifier beaucoup d'excès ! La même ambiguïté demeure face au désarmement nucléaire puisqu'il est dit que notre pays « œuvre activement en faveur d’un « désarmement général et complet sous un
contrôle strict et efficace », objectif fixé par l’article VI du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) ». Les rédacteurs du Livre blanc ont juste « oublié » un morceau de la phrase qui est « au désarmement nucléaire et sur un traité de désarmement général... » ! Rien d'étonnant qu'il soit proposé de maintenir tous les financements de la force nucléaire et que soit maintenu cet anachronisme stratégique que constitue la « 2ème composante nucléaire » constituée de missiles aéroportés que le Royaume-Uni a abandonnée.
Ce même refus de placer résolument toutes les actions de la France dans le cadre du droit international et de la primauté des Nations unies pèse sur toutes les propositions faites sur les interventions extérieures réduites aux objectifs trop vagues de « défendre nos intérêts stratégiques, comme ceux de nos partenaires et alliés, et exercer nos responsabilités internationales ». L'accent mis, dans ce contexte, sur la présence française en Afrique et dans le Golfe arabopersique, laisse interrogateur.
Peut-on, en fonction des réserves énumérées ci-dessus, accepter sans mot dire, le montant considérable des dépenses militaires prévues qui s'établiront à 364 Md€ 2013 sur la période 2014-2025, dont 179 Md€ 2013 pour les années 2014 à 2019, période de la prochaine loi de programmation militaire ? Ce montant semble complètement exorbitant par rapport aux besoins réels d'une politique de défense qui serait basée sur une politique de consolidation du droit international et de la paix mondiale.
Une exigence de débat public beaucoup plus large que celui, quasi inexistant, pour la préparation du Livre blanc, devrait s’exprimer dans le cadre de la discussion de la future Loi de Programmation militaire afin de contester un certain nombre des orientations critiquables qui sont proposées. Daniel Durand Chercheur à l'Institut de documentation et de recherche pour la paix
... et non-dits
L
e Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, un simple document de cadrage budgétaire ? C’est l’impression donnée par un certain nombre de commentateurs, pour qui la principale critique concerne la diminution de l’effort de défense. Pourtant, le Livre blanc, publié le 29 avril avec quatre mois de retard, n’est pas rédigé par Bercy mais bien par une commission composée de militaires, de parlementaires, et
autres experts militaires, sous la tutelle du ministre de la Défense et de ses conseillers. C’est un acte profondément « politique », car il définit la doctrine stratégique de l’armée pour les années à venir. On a oublié un peu trop facilement que le précédent Livre blanc (2008) avait suscité de nombreuses critiques en faisant entrer la « sécurité nationale » dans le répertoire français, un concept tout droit tiré de la politique « anti-terroriste » américaine. Ce concept fait des militaires les auxiliaires
d’une politique plus large, dont le président de la République est le maître d’œuvre, aux côtés de son ministre de l’Intérieur, qui devient presque un vice-Premier ministre en cas de crise grave (attaque terroriste, crise environnementale, émeutes urbaines...). En pratique, la doctrine d’emploi des forces armées a été élargie au-delà de la seule réponse à une agression contre le territoire national ou les « intérêts vitaux » de la France. De fait, la doctrine de « sécurité nationale » donne au pouvoir en place les moyens de réagir contre toute « menace » ou « risque » qu’il estimerait susceptible d’affecter la vie de la nation. De même, sous bien des aspects, l’intervention française au Mali concrétise de manière clinquante la philosophie sécuritaire du Livre blanc de 2008. La précédente livraison considérait déjà le Sahel – intégré dans « l’arc de crise » qui s’étend de la Mauritanie à la Corne de l’Afrique » – comme une périphérie menaçante pour la France. On le voit, la grille d’analyse est « policière » plus que « géopolitique » ou « sociale » et conduit de fait à minimiser le rôle de la gouvernance, la question du partage des richesses et des rapports de force ethno-nationaux. En renvoyant systématiquement à la maîtrise du territoire par l’autorité centrale, elle favorise une lecture tronquée de la situation : l’effondrement de l’État malien et de son armée n’est pas imputable en tant que tel aux mouvements djihadistes, mais est bien le résultat d’une « équation nationale » non soldée depuis l’indépendance. Bien sûr, « le champ sécuritaire » du NordMali ne se superpose pas avec le « pré carré » ou « le domaine réservé » de l’âge d’or de la
« Françafrique », dans la mesure où d’autres acteurs d’importance sont entrés en jeu ces dernières années dans le Sahel : les ÉtatsUnis, la Chine et, indirectement, le Qatar. Mais l’intervention au Mali a permis aux auteurs du nouveau Livre blanc de justifier l’utilité des forces prépositionnées en Afrique : celles installées au Tchad, en Côte d’Ivoire et au Mali, alors qu’elles étaient remises en cause dans le Livre blanc de 2008 au nom de la rupture consommée avec la « Françafrique ». On objectera que la ficelle est un peu grosse, mais elle fonctionne pourtant. En cela, le « hollandisme » appliqué s’inscrit dans le droit fil de ses prédécesseurs. La crise au Mali a offert à l’Élysée l’opportunité de restaurer une partie de son influence en Afrique dans un contexte très concurrentiel, où s’épuisait sa surface de rayonnement. Le répertoire de la guerre contre le terrorisme a fourni « les marges de manœuvre » nécessaires à cette ambition. Rappelons que l’opération au Mali a été déclenchée hors de tout mandat de l’Onu, sur simple demande du Président malien. Une exception à la règle ? Trop facile ! L’aspect critiquable de la doctrine de la « sécurité nationale » est précisément de laisser au président de la République la libre appréciation de ce qui constitue une « menace » ou un « risque » contre la nation... sans les gardefous démocratiques qui vont avec, comme un examen préalable à tout engagement des troupes à l’extérieur par le Parlement. Si le Livre blanc de 2008 avait introduit quelques améliorations en la matière, nous sommes encore loin du compte. Et la nouvelle version reste singulièrement silencieuse sur le sujet. Comme s’il s’agissait de répondre aux zones grises par la constitution de nouvelles zones grises excluant toute implication possible des citoyens et de leurs représentants... Patrice Bouveret et Tony Fortin de l'Observatoire des armements N° 583 - Été 2013 - Planète PAIX
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ACTUALITÉ Traité de non prolifération nucléaire
L’impulsion de la conférence d’Oslo Le second Comité Préparatoire à la Conférence d’examen 2015 du Traité de non prolifération nucléaire (TNP) s’est réuni du 22 avril au 3 mai derniers aux Nations unies à Genève. Une délégation du Mouvement de la Paix a pu mesurer l'écho de la Conférence d'Oslo au sein
L
e comité préparatoire s’est tenu à quelques semaines de la Conférence d'Oslo, où une vingtaine de pacifistes français avaient pu participer au Forum de la Société Civile que Pierre Villard, coordinateur d’ICAN France, a commenté comme étant un événement historique majeur. Nous pouvions enfin entrevoir le succès de toutes nos campagnes pour débarrasser la planète des armes nucléaires à une échéance bien plus proche que celle, post mortem, qu'entrevoyait le président américain Obama. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la "distraction d'Oslo" ainsi nommée par l'ambassadeur de France, a créé une certaine effervescence et semble avoir enfermé les pays détenteurs d'armes atomiques dans une sorte d'isolement face à la volonté exprimée précisément et fortement applaudie de l'ambassadeur sud-africain au nom, alors, de 74 États. Deux des trois États non partie du TNP détenteurs d'armes nucléaires, l'Inde et le Pakistan, Israël ayant décliné l'invitation, étaient présents lors de la Conférence d’Oslo. A Genève, nous avons pu rencontrer l'ambassadeur du Pakistan. Adepte de la dissuasion du faible au fort vis-à-vis de l'Inde, le Pakistan participera cependant aux prochaines conférences prévues. C'est une excellente chose que des États non membres du TNP s'inscrivent dans une négociation internationale qui traite de l'élimination des armes nucléaires. Ce Prepcom a permis de rappeler les raisons humanitaires qui avaient conduit 188 pays à signer un traité de non-prolifération et laisse entrevoir que l'initiative d'Oslo va bouleverser la dynamique du TNP.
de l'assemblée genevoise.
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N° 583 - Été 2013 - Planète PAIX
Le PrepCom, Nations unis, Genève, avril 2013
Monsieur Stephen Kongstad, ambassadeur de Norvège à l'Onu, lors de notre rencontre, a très bien incarné cette dynamique nouvelle qui vise à retirer le leadership des pays détenteurs (le P5*) au sein du TNP au profit des pays non détenteurs pour désarmer la planète. Pour la France, "l'autorité" internationale que lui confèrerait l'arme atomique est peu négociable. C'est ce qui la pousse à discréditer sur le terrain diplomatique l'initiative d'Oslo qui ferait peser selon elle une lourde menace sur le TNP. Adepte de la stratégie du pas à pas qui lui permet de temporiser en usant de mauvaise foi quand à ses efforts de désarmement, la France aurait tout à gagner en rejoignant l'initiative humanitaire impulsée par de nombreux pays à la suite de l'appel solennel de la Croix Rouge et du Croissant Rouge. La prochaine conférence sur les conséquences humanitaires des armes nucléaires se tiendra au Mexique où commencera l'écriture d'un Traité d'élimination des armes atomiques. La secrétaire d'État aux Affaires étrangères du Mexique nous a rappelé combien la sécurité des États s’appuyant sur l'arme nucléaire était éloignée de la sécurité des peuples. Elle souligna la nécessité de placer les peuples et les États faces à leurs responsabilités respectives en déclarant : « Ce sont les peuples qui abolissent ! Les États désarment. » Nathalie Gauchet, Michel Dolot * France, Grande-Bretagne, États-Unis, Chine, Russie
ACTUALITÉ Veynes cultive la Paix
Alliés dans la fête et dans la paix Un Comité d’Entreprise, une commune, des écoles, une structure culturelle, un écomusée, une association pacifiste, des commerçants, … tous les ingrédients pour un cocktail d’explosion d’intelligence afin de promouvoir la culture de paix en milieu rural.
C
’est devant la gare SNCF de Veynes-Dévoluy que les porteurs du projet « Veynes cultive la Paix » ont présenté leur grande initiative citoyenne. A l’origine du projet : les initiatives engagées par le Comité d’Entreprise des cheminots de la Région PACA lors de la journée internationale de la paix, fixée au 21 septembre par l’Onu. Depuis 2007, le CE de l’entreprise publique relaie cet événement à la gare Saint Charles à Marseille avec l’opération « La paix entre en Gare ». « Étendre la culture de la paix, par le rail, apparaissait pour nous une évidence » confie Francisco Murillo, du CESNCF. « Veynes est une ville de 3500 habitants des Hautes-Alpes, cheminote, et qui porte des valeurs humanistes depuis longtemps, avec une forte implication des milieux associatif et culturel. C’était donc une suite logique, autant pacifiste que ferroviaire » poursuit-il. Le CE a cherché des partenaires. Un comité de pilotage s’est vite mis en place associant la commune de Veynes, le Fourmidiable, structure culturelle rurale, l’écomusée du Cheminot, la bibliothèque, les établissements scolaires et les commerçants. Le Mouvement de la Paix s’est également engagé dans ce projet avec l’objectif de créer un comité local pour agir dans la durée pour la culture de la paix. Ce qui a motivé ce collectif, c’est la volonté de construire un projet à forte valeur ajoutée humaine. C’est ainsi que le point de départ a été donné à l’occasion du « Printemps des poètes ». 2000 flyers imprimés avec des poèmes ont été distribués aux passants sur les marchés et dans quelques commerces. Une initiative qui a surpris les habitués des étals veynois. « Nous travaillons sur diverses initiatives en laissant sa place à chaque parte-
Ciné pour la Paix, 27 avril 2013
naire » explique Francisco Murillo. Christine Roux, adjointe à la Culture précise « Il y a longtemps qu’il n’y a pas eu à Veynes une initiative aussi forte où on trouve à la fois de l’originalité et du sens ». « La mairie en est très fière et vous en remercie » lance-t-elle aux organisateurs. Une initiative par mois, portée par un partenaire, est la forme souple qui a été choisie pour permettre à chacun de trouver sa place. L’intervention des écoles, laissée au libre arbitre des enseignants, constitue un fil conducteur pour les jeunes qui participent depuis plusieurs semaines à des ateliers d’écritures. Le 27 avril dernier, c’est le tout nouveau comité Buëch-Dévoluy du Mouvement de la Paix qui organisait une journée « Ciné pour la Paix » avec la projection du film « L’oiseau bonheur » en présence de Miho Cibot-Shima*, et celle de « D’une seule voix ». Deux séances qui ont rassemblé plus de 150 personnes. Le 31 mai, Robert Mencherini s’est adressé aux collégiens et au public. Il a présenté son livre « Les jours heureux, mémoires résis-
tantes », résultat de recherches sur l’engagement des cheminots provençaux dans la Résistance. Le 21 juin, un grand moment fraternel et convivial verra les enfants restituer leurs réflexions et leurs travaux sur le thème « Vivre ensemble à l’école ». En fin de journée, Christine Nivou, maire, conseillère régionale et députée-suppléante, entourée de son conseil municipal invite la population à inaugurer la rue Lucie et Raymond Aubrac, deux co-fondateurs du Mouvement de la Paix il y a 65 ans. Olivier Vallade, leur petit-fils, sera présent aux côtés de Jean-Pierre Bugada, responsable de la communication de l’Onu pour la France et l'Europe. Enfin le 22 juin, « Y’a de la Joie », le Fourmidiable organise la Fête de la musique, du jeu et de la paix. Un train spectacle partira de la gare St Charles pour arriver à Veynes et ouvrir les festivités. Pierre Villard *Fondatrice de l'Institut Hiroshima Nagasaki N° 583 - Été 2013 - Planète PAIX
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ACTUALITÉ Les robots tueurs
La guerre sans état d’âme
L
es militants de la paix un peu curieux (ils devraient tous l’être) devraient consulter un certain nombre de sites techniques on ne peut plus instructifs : notamment ceux du SIPRI (Suède), de l’UNODA (Onu), autant que celui de l’Observatoire des armements/CDRPC chez nous. Ils sont chacun une précieuse mine de renseignements. Il en est aussi un autre qui révèle bien des surprises : celui de la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), ou centre de recherches de l’armée américaine. La DARPA fut fondée en 1958 pour répondre en urgence à cette désagréable surprise (pour les USA) que fut le lancement du premier Spoutnik. Il a pour mission d’imaginer des armes nouvelles, épargnant le plus possible le GI de base. Et on ne peut pas se plaindre d’un manque de créativité. Vous qui avez aimé les drones (voir Planète Paix n° 570 ), ces aéronefs commandés de très loin, qui peuvent aussi bien observer que tuer, vous allez maintenant adorer les dernières inventions de la DARPA : les robots tueurs. Deux modèles connaissent aujourd’hui un état d’avancement qui les rend très prochainement opérationnels : le Big Dog et le Cheetah. Les robots tueurs ont, du reste, commencé comme des jeux : des sortes de gladiateurs automates luttaient contre d’autres automates de la même veine, comme, si on veut, lors d’un combat de coqs. Cela a, un certain temps, amusé les Anglais et les Chinois. On n’en est plus là ; on est passé aux choses sérieuses. Les robots tueurs imaginés par la DARPA se présentent comme des quadrupèdes (chiens ?) qui courent vite, de plus en plus vite, en terrain très varié. Ils sont parfaitement autonomes, munis d’un
De nouvelles armes de plus en plus autonomes telles ces robots, appelés robots tueurs - équipées d’armes mortelles, auraient la capacité de tirer sur des cibles sans aucune intervention humaine. Elles pourraient devenir les armes de demain avec tous les dangers juridiques, éthiques et politiques qu’elles impliquent.
logiciel qui leur permet de prendre des décisions en dehors de toute volonté humaine. Pour l’instant, Big Dog, développé par la Boston Dynamics (avec la collaboration de l’Université de Harvard), se contente de transporter du matériel, jusqu’à 150 kg, sur la ligne de front : du ravitaillement, des armes et des munitions, du matériel médical… sans trop craindre les accidents de la guerre. Mais voilà que depuis peu il est doté d’un bras préhensible qui lui permet de jeter de petits blocs de béton à plusieurs mètres de distance… qui pourraient tout aussi bien être des grenades. Et il ne faut pas beaucoup d’imagination technique pour se représenter qu’il pourra être très bientôt pourvu d’armes d’assaut sérieuses qui le rendent opérationnel sur les théâtres d’opération les plus divers. Une licence à tuer automatique, en quelque sorte.La même Boston Dynamics, toujours pour le compte de la DARPA, a, plus récemment, développé le Cheetah (panthère), bien plus rapide (il a battu Usain Bolt – et fera bien plus de progrès que lui), issu du programme M3 (Maximum Mobility and Manipulation). Il existe aussi le prototype PetMan.Ces chiens de guerre, qui ont pour ambition de remplacer les troupes (vulnérables) par des robots, posent déjà de redoutables problèmes tactiques, et encore davantage juridiques. Si, pour commander un drone, il faut encore quelque part une action humaine, donc une volonté, donc une responsabilité, il n’existe plus aucune sorte de manipulation humaine dans la progression et l’action d’un robot tueur. Et comme il n’est pas capable de distinguer un civil d’un militaire, le père de famille s’affairant à un barbecue d’un terroriste lourdement armé, on peut s’attendre à toutes les bavures. Et qui faudra-t-il alors incriminer devant une cour de justice internationale ? Le général, le fabricant, le programmateur, le bureau d’études ? Ce sont actuellement les Anglais qui sont en pointe pour réclamer l’interdiction pure et simple de ces robots tueurs. Le Londoner Frontline Club vient de lancer la campagne « Stop the Killer Robots ». Il est appuyé par Human Rights Watch et aussi par la militante américaine Jody Williams (Prix Nobel de la Paix en 1997 pour avoir initié - avec succès - la campagne pour l’interdiction des mines antipersonnel). Le Parlement britannique a été saisi d’un projet d’interdiction des robots tueurs. La campagne s’étend aujourd’hui en Allemagne. Et la France ? Jean-Paul Vienne
Manifestation de l'association des "Grands-mères contre la guerre" New-York
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DOSSIER
Inde,
Terre de paradoxes
• L'nde aujourd'hui
Les défis d’une puissance émergente
• Prostitution des enfants
La négation absolue des droits de l’enfant
• Condition de la femme indienne
Un début de révolution mais la lutte sera longue
• France/Inde
Un partenariat stratégique
L’Inde est une grande puissance économique. Le pays est riche en ressources naturelles, il est le premier exportateur de services d’aide à la programmation informatique et d’experts en programmation de logiciels informatiques au monde. Sa puissance militaire, économique et démographique fait de l’Inde un des acteurs majeurs dans les affaires mondiales. Mais c'est aussi un pays où 80% des Indiens vivent avec moins de 2 dollars par jour. Des disparités alarmantes existent dans la population en termes de santé, nutrition, éducation, accès à l'eau potable et à l'assainissement. Les crimes sexuels, prostitution, viols sont en augmentation. Comment comprendre ce pays ? En mai dernier, Brigitte Illy, journaliste, a décidé de partir à la découverte de quelques-unes des facettes de « Mother India », pas si engageantes que cela ! N° 583 - Été 2013 - Planète PAIX
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DOSSIER
Inde ,
Terre
I’Inde aujourd’hui
Les défis d’une puissance émergente L'Inde est la terre de Mère Teresa et Mahatma Gandhi
A
ucun autre pays au monde, excepté peut-être la Chine, ne peut offrir au visiteur l'image aussi vivante d'une civilisation qui perdure depuis plusieurs millénaires et d'une foi religieuse qui s'est maintenue malgré de multiples invasions
qui ont passé une grande partie de leur vie en croisade pour soulager la pauvreté qui imprègne ses frontières. Comme l’a proclamé Gandhi en 1908, « La pauvreté est la pire forme de violence. » Aujourd’hui, plus de 60 ans après son assassinat, la violence en l'Inde se poursuit à un rythme alarmant.
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Bâtiments où vivent les classes moyennes indiennes
(Aryens, Moghols, Européens). Parcourue au travers de son histoire par de multiples mouvements de populations qui, tantôt se sont substitués aux ethnies locales, tantôt se sont intégrés à elles, l'Inde n'en finira jamais de nous étonner par les paradoxes que l'on y découvre. Comment, en effet, ne pas être dérouté par la multitude indienne (près d'un milliard d'habitants), l'immensité du pays (grand comme six fois la France), la pauvreté omniprésente et un système des castes qu'aucun gouvernement ne parvient à ébranler malgré la volonté démocratique. « Ce qui est curieux avec l'Inde, c'est qu'il y a quelque chose qui nous échappe toujours » disait André Malraux de retour de sa visite sur le continent
indien en 1958. Un demi-siècle plus tard, ses propos n'ont pas pris une ride pour le visiteur qui foule son sol. Il y découvre d'un côté une société qui cherche à se moderniser grâce à une technologie de pointe, une urbanisation galopante, une industrialisation en plein développement et d'un autre côté, une misère insoutenable à voir, un illettrisme inconcevable, des fractures religieuses dangereuses et une dévalorisation des femmes inacceptable. Entre sa volonté de puissance sur la scène mondiale qui se traduit par la recherche effrénée d'investisseurs étrangers et la signatures de contrats commerciaux mirobolants (centrales nucléaires, avions Rafales ...) et son incapacité à enrayer la corruption, son inaptitude à éradiquer la misère et particulièrement celle des femmes et des enfants vivant dans les rues, et sa volonté de croissance qui amènent les spécialistes à envisager qu'entre 2020 et 2050, l'Inde deviendra « la plus grande puissance mondiale » devant la Chine et les États-Unis, entre ses 75% de jeunes qui se disent encore aujourd'hui favorables aux mariages arrangés et la fascination de ces derniers pour le cinéma Bollywood et ses films « fleur bleue », on est en droit de s'étonner et de s'interroger sur ce renversement de l'ordre mondial par un pays si plein d'extrémismes et toujours aussi ancré dans ses traditions millénaires. Brigitte Illy
Gurgaon, centre industriel et financier de l'État de l'Haryana
de
para d o x es
Prostitution des enfants
La négation absolue des droits de l’enfant Le problème de la prostitution enfantine en Inde est plus compliqué que celui des autres pays du Tiers monde où il est directement lié au tourisme sexuel. En Inde, l'exploitation sexuelle des enfants a ses racines dans les pratiques traditionnelles, les croyances et la discrimination entre les sexes.
E
n 2005 déjà, les rapports publiés conjointement par l'Unicef, la Croix-Rouge internationale et le ministère de la Protection de la femme et de l'enfant indien estimaient que près d'un demi millions d'enfants étaient victimes d'exploitation sexuelle en Inde. Parmi eux, des garçons et des fillettes âgés à peine de 14 ans. Des chiffres alarmants lorsqu'on y ajoute celui des 5 milliards de dollars de revenus que cette exploitation sexuelle rapportent à cette "industrie"
que nous avons découvert, au travers du programme "Walk Street life of Delhi" qui permet aux visiteurs de découvrir la ville en compagnie d'anciens enfants de la rue reconvertis en guides touristiques ; Ajay qui se fait prénommé "Max" nous a ainsi raconté dans un anglais impeccable, comment il a préféré, comme des centaines de ces petits compagnons, "vivre dans la rue plutôt que de continuer à subir des conditions de vie familiales intolérables".
Coucher quelque part à n’importe quel prix !
Les raisons d'un tel trafic en Inde Parmi les nations en voie de développement, il existe une variété de facteurs qui font de l'Inde l'un des pays les plus sujets à la traite des êtres humains. Le rôle qu'elle entend jouer dans l'économie mondiale l'incite à avoir à sa disposition une main-d’œuvre bon marché qui pousse les salaires vers le bas et augmente la demande pour le travail des enfants et l'exploitation des travailleurs en situation d'endettement. On comprend bien le piège que constitue pour toute une frange de la population qui veut elle aussi profiter du "décollage économique", les promesses d'une vie meilleure et d'un salaire plus élevé que distribuent les "patrons" de trafic qu'ils soient à la tête des réseaux de proxénétisme en tous genre ou à celle des réseaux de mendicité.
Plutôt la rue qu’une vie familiale intolérable Face à la politique de l'autruche que les dirigeants continuent de mener au cœur d'une société encore fortement dirigée par la corruption (malgré les tentatives naissantes de
Ajay, ancien enfant des rues
lutte anticorruption mises en place), des organismes tentent de dénoncer ces trafics et ont mis en place des actions et des structures pour aider les victimes. C'est le cas de Salaam Baalak trust, une association créée en 1987 pour venir en aide aux enfants des rues après le succès du film de Mira Nair "Salaam Bombay". Un film dans lequel, des enfants des rues qui jouaient leur propre rôle invitaient les spectateurs à les suivre dans leur quotidien. Aujourd'hui, c'est en compagnie de Ajay, 19 ans, l'un de ces enfants sauvés de la rue
Nous avons découvert son ancienne chambre à coucher, la gare de New-Delhi et les lits que continuent de partager des milliers d'enfant, les chariots déposés aux abords de la gare ferroviaire d'où la police les déloge aux aurores à grands coups de bâtons. Les responsables de l'association nous expliquent à leur tour que, très souvent, la police qui surveille les lieux ne les laisse dormir qu'à la condition d'avoir obtenu leurs "faveurs" ! Mais ces enfants préfèrent cette vie-là plutôt que de se voir mutilés par des "patrons" ou par leurs parents eux-mêmes qui les vendent à ces derniers pour alimenter les réseaux de mendicité ! Des vies dures, injustes et inacceptables au 21ème siècle dans des sociétés "civilisées", des vies en lambeaux qu'ils soient de tissus ou de chairs que tentent de reconstruire doucement des associations comme celle de Pascal Fautrat, "Les enfants de Tara", créée par ce français, ancien éducateur de la Protection judiciaire de l'enfance qui, aujourd'hui, se bat pour redonner une dignité à ces "oubliés" de la croissance économique indienne. N° 583 - Été 2013 - Planète PAIX
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DOSSIER
Inde ,
Terre
Condition de la femme indienne
Un début de révolution mais Le statut des femmes en Inde a fait l'objet de beaucoup de grands changements. Du statut d'égalité avec les hommes, à la promotion de l'égalité des droits, l'histoire des
«
La plus grande démocratie du monde, voilà le titre que nous affichons fièrement, mais je crois que nous savons tous à quoi ressemble la réalité. Dans cette société dominée par le machisme et l'égoïsme masculin, j'ai honte d'être un homme ! » Ce sont les propos tenus par un jeune indien de 21 ans en décembre 2012 en réponse à un article de Kalpana Sharma du journal l'Hindu de Madras dans un article portant sur les violences dont trop de femmes sont encore victimes en Inde. Des propos qui reflètent bien le bouleversement qui est en train de se passer dans l'opinion à propos de la condition féminine de cette vieille société patriarcale et qui tentent à prouver l'impact que commencent à produire les nombreuses campagnes de sensibilisation à la cause féminine. Des manifestations auxquelles participent aujourd'hui de nombreux hommes à l'exemple de celles qui se
femmes en Inde a été mouvementée. Elles ont même occupé des postes élevés y compris celui de président. Cependant, elles continuent à faire face aux attaques à l'acide, viol, meurtres liés à la dot, …
Des Indiennes contre l’opposition des députés au projet de loi visant à imposer une meilleure représentation politique des femmes.
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sont déroulées en décembre 2012 et janvier 2013 au cours desquelles hommes et femmes sont descendus dans la rue pour exprimer leur indignation face au viol collectif et à l'assassinat de 2 jeunes femmes indiennes. Des actes dont sont aussi victimes de nombreuses fillettes que relatent quotidiennement les pages des journaux indiens. Viols, enlèvements, tortures, il ne se passe pas un jour sans qu'un nouveau drame ne soit étalé au grand jour. J'ai vu au cours de mon séjour dans la capitale indienne, des visages de femmes brûlés au vitriol parce qu’elles n'avaient pas su donner un fils à la famille, et parfois même défigurées par leurs propres mères, j'ai vu ces mêmes femmes, rejetées par leurs familles contraintes de mendier, et qui contraignaient parfois brutalement leurs petits enfants à mendier ! J'ai vu de très jeunes filles jetées en pâture à la rue aux abords de la gare de New Delhi, contraintes d'offrir leurs corps aux hommes parmi lesquels les policiers chargés de veiller sur leur sécurité en échange d'un coin de trottoir pour dormir ! Même si, grâce au courage des militantes des droits des femmes et des institutions créées pour leur protection, la situation commence à évoluer, il n'en demeure pas moins que beaucoup trop d'Indiens continuent à penser culturellement que les droits des femmes ne relèvent pas des droits humains. Heureusement, grâce à l'éducation et à l'accès aux nouvelles technologies, outil d'ouverture sur le monde, une nouvelle génération de jeunes filles a grandi avec l'idée qu'elle peut exiger les mêmes droits que les hommes. Si leurs mères ont choisi de souffrir en silence, elles sont décidées à ne pas se laisser faire. Selon la nouvelle génération, « il est grand temps que les dirigeants silencieux, assis derrière leurs bureaux insonorisés de New-Delhi, en prennent conscience ». Même la nouvelle génération masculine appelle à une révolution urgente afin de remplacer non seulement les personnes au pouvoir mais surtout leur façon de penser. Pour ce faire, il faut poursuivre la lutte, multiplier les campagnes de sensibilisation, prendre des mesures concrètes et les appliquer, trop de procès pour viols ou enlèvements se soldent par une relaxe de l'accusé entraînant les familles des victimes à faire elles-mêmes leur justice (voir l'encadré).
de
parad o x es
la lutte sera longue
Des filles indiennes allument des bougies pour condamner le viol des femmes par des gangs
Les femmes contraintes aux travaux de force Aujourd'hui, à l'heure où l'Inde attire de nombreux investisseurs étrangers et parmi eux, les représentants de grandes entreprises françaises, j'ai envie de leurs dire ceci et cela n'engage que moi ; « Savez-vous, messieurs les hommes d'affaires occidentaux qui signez de juteux contrats pour moderniser les réseaux routiers et construire des buildings un peu partout en Asie que ce sont les femmes que l'on voit le long des routes, porter de leurs maigres bras les lourdes charges de terre et pavés qui serviront à la construction de nouvelles artères, plus confortables pour les pneus des grosses berlines ? » A monsieur le directeur de Veolia Water India dont le rêve est « d'adapter le Business Model aux besoins du client », je serais curieuse de savoir s'il est passé, avant d'inaugurer en février dernier le Réseau de l'eau Franco-Indien, l'Indo-French Water Network (IFWN), par les rues de certains quartiers de New-Delhi pour venir y encourager les femmes et les très jeunes enfants parfois qui peinent à 50°, en pleine journée pour creuser les nouvelles canalisations ?
Le changement d'une société passe d'abord par le changement de sa mentalité Si l'on ne peut que se réjouir de l'avancée fulgurante de l'Inde vers le progrès et la modernisation de ses infrastructure qui en ont bien besoin et de l'émergence de cette nouvelle "classe moyenne", avide d'en savourer les "bénéfices", il est de notre devoir de citoyen du monde de calmer les ardeurs en rappelant que le changement d'une société passe d'abord par un changement des mentalités.
Si le progrès est un grand bien pour les peuples, il doit bénéficier à tout le monde et n'enfoncer personne dans la fange plus qu'il ne l'était déjà. Alors les révoltes se tairont et les violences seront moins nombreuses, celles à l'encontre des femmes et des enfants restant, à l'orée de ce nouveau millénaire, les plus inadmissibles et les plus préjudiciables à l'avenir d'une Humanité dite "civilisée"!
Quand les habitants d'un village décident de lancer un message aux protecteurs des violeurs et des assassins de fillettes Les faits se sont déroulés dans le village de Kashora, situé dans l'agglomération d'Agra dans le sud du pays. C'est là que vivait en compagnie de sa famille l'auteur de l'enlèvement et de l'assassinat le 25 avril, d'une fillette de 5 ans. Trente-trois habitants du village décident au cours d'une réunion de mettre en quarantaine la famille du criminel et de punir d'une amende tout villageois qui irait contre cette décision, expliquant que le Conseil du village entendait lancer un message à tous ceux qui prennent la défense des criminels d'enfants. Un fait divers qui rappelle la réaction de la population face aux avocats qui entendaient défendre les auteurs des viols collectifs dont avaient été victimes 2 jeunes indiennes quelques semaines auparavant.
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DOSSIER
Inde , Terre de para d ox es
France/Inde
Un partenariat stratégique Alors que la mondialisation est aujourd'hui une réalité et que les spécialistes s'entendent pour dire qu'en matière de puissance la Chine dépassera, d'ici 2020, celle des États-Unis, un phénomène nouveau est en train de bouleverser l'ordre mondial, l'arrivée de l'Inde.
Le président français François Hollande avec le Premier ministre indien Manmohan Singh, le 14 février 2013.
L
e président de la République François Hollande a profité de sa visite officielle en Inde pour parler coopération civile et militaire avec les indiens. C’était l’occasion d’obtenir des engagements ou de faire avancer des négociations commerciales Dès les années 80, l'Inde et la France avaient souhaité donner une nouvelle envergure à leurs relations ; un désir concrétisé par le lancement d'un partenariat stratégique en 1998, suivi un an plus tard, d'un dialogue stratégique. Ce dernier reposant sur des rencontres annuelles dans les hautes sphères et des consultations entre le conseiller diplomatique du président de la République et le conseiller à la Sécurité nationale indien. Ce partenariat consiste en une coopération nucléaire civile passant par un accord bilatéral de coopération pour le développement des usages pacifiques de l'énergie nucléaire, un accord de coopération de défense et une coopération en matière de lutte contre le ter-
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rorisme. Ajoutons à cela, l'accord de coopération spatiale portant sur l'utilisation extraatmosphérique à des fins pacifiques, signé le 30 septembre 2008. Cet accord cadre qui couvrait aussi bien la recherche fondamentale et appliquée que l'éventuelle livraison de réacteurs nucléaires avait été paraphé par le Commissariat à l'Énergie Atomique français et son équivalent indien. En levant l'embargo international imposé depuis 34 ans à l'Inde, l'AIEA et les 45 pays fournisseurs de technologie nucléaire ont ainsi permis la signature "politique" de cet accord avec une puissance atomique militaire non signataire du TNP (le NSG interdisant en principe tout commerce nucléaire avec des États qui n'ont pas signé le Traité de non-prolifération nucléaire). En échange de cette "dérogation", l'Inde s'est engagée à placer 14 de ses 22 réacteurs sous le contrôle de l'AIEA ! En 2009 déjà, l'Inde possédait 22 réacteurs nucléaires et souhaitait renforcer son parc civil. Un marché alléchant (100 milliards d'eu-
ros) pour l'entreprise française AREVA qui s'est positionnée sur les rangs du marché face aux groupes étrangers américains, américanojaponais ou russes, sélectionnés eux aussi par l'Agence atomique indienne. Lors d'une interview dans la revue "Indes" d'avril 2013, Arthur de Montalembert, aux manettes de l'entreprise Areva depuis 2008, déclarait, après les négociations avec l'opérateur NPCIL* que son groupe était "fier d'avoir été le premier fournisseur étranger à avoir livré au parc existant, un uranium naturel". A la question de savoir si d'autres projets de construction de centrales nucléaires étaient envisagés, Arthur de Montalembert a déclaré que même si, pour l'heure, la concentration et les efforts portent sur la centrale de Jaitapur, il sera bien temps par la suite, d'envisager avec son partenaire la NPCIL, d'autres implantations, certain que "l'avenir sera très riche en opportunités".
La fronde de l’anti nucléaire Les habitants des pourtours de la zone où doit être implantée la centrale de Jaitapur, dénoncent avec les ONG le projet et ses implications néfastes pour la pêche, l’agriculture et la santé ainsi que sur la qualité des eaux. Des revendications qui causent « souci » au groupe Areva et à l’entreprise publique indienne en cours de pourparlers qui ont trouvé la parade comme l’explique ce journaliste du Business Standard qui suit le dossier depuis ses débuts : « L’argent achète tout en Inde, tout particulièrement quand on s’adresse aux couches les moins aisées… Les propriétaires de la région de Jaitapur devraient toucher près de 2,2 millions de roupies par acre ». Une manière très diplomatique et finement stratégique de pouvoir continuer à nucléariser en rond ! * Nuclear Power Corporation of India Limited
RÉFÉRENCE Carte d’identité de l’Inde
Données générales Nom officiel : République de l’Inde Nature du régime : République fédérale
Données géographiques • L'Inde est un territoire si vaste qu'on l'évoque fréquemment sous le terme de "sous-continent". Il s'agit d'une vaste péninsule qui s'enfonce profondément dans l'océan auquel l'Inde a donné son nom. Au nord, l'Inde partage ses frontières avec de nombreux pays asiatiques, notamment la Chine, le Pakistan et le Bangladesh pour les plus importants en superficie. • Superficie : 3 287 263 km • Capitale : New Delhi • Villes principales : Mumbai (Bombay), Kolkata (Calcutta), Chennai (Madras), Bangalore, Hyderabad, Lucknow • Langues officielles : anglais et hindi. Dix-huit langues constitutionnelles : assami, bengali, gujerati, hindi, kannada, cachemiri, konkani, malayalam, manipuri, marathi, nepali, oriya, penjabi, sanskrit, sindhi, tamoul, telugu, ourdou. • Monnaie : Roupie (1 euro = 72,20 roupies – janvier 2013)
Données démographiques • Population : 1 241 millions (2011) • Densité : 377 habitants/km² • Croissance démographique : 1,4% (2011) • Espérance de vie à la naissance : 65 ans (2010) • Taux de natalité 20,97% (2011) • Indice de fécondité : 2,62 enfants/femme (2011) • Taux de mortalité : 7.48% (2011) • Taux de mortalité infantile : 47.57% (2011) • Taux d’alphabétisation : 74,04% (2011) • Religions : hindouisme (80,5%), islam (13,4%), christianisme (2,3%), sikhisme 1,9%), bouddhisme (0,7%), jaïnisme (0,5%), zoroastrisme, judaïsme • Indice de développement humain : 0,55, 134 ème rang mondial (2011). A titre de comparaison : Chine 101ème, Pakistan 145ème, Bangladesh 146ème.
Données économiques • PIB : 1 947 milliards de dollars (2012) • PIB par habitant : 1 592 dollars (2012) • Taux de croissance : 6,60% (2012) • Principaux partenaires : Chine, États-Unis, EAU Arabie Saoudite, Allemagne, Singapour, Royaume-Uni (pour 2008/2009 ; France :15ème rang) • Part des principaux secteurs d’activités dans le PIB : (2011/2000) • Agriculture : 17% (23%) • Industrie : 27% (26%) • Services : 56% (50%)
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MONDIALISER LA PAIX Le Forum social mondial 2013
L’autre printemps tunisien Des milliers de personnes ont pris part au Forum social mondial 2013 qui s’est tenu du 26 au 30 mars à Tunis, berceau du Printemps arabe. Elles ont participé à des activités visant à mieux comprendre les enjeux et à définir, ensemble, les actions pour imposer le changement. Retour sur les temps fort du processus.
L
es mots ne manquent pas pour décrire le dernier Forum Social Mondial, qui s’est tenu du 26 au 30 mars à Tunis. Festif, bigarré, étonnant, chaleureux, formateur, passionné, engagé….. et tant d’autres encore. Dépassant toutes les prévisions et répondant aux espoirs qui avaient été placés au lendemain de Dakar, ce sont plus de 5085 organisations, représentant plus de 60 000 personnes originaires de 128 pays différents, qui ont porté cette édition 2013 du Forum Social Mondial. Le mot d’ordre de cette édition, « dignité », plus que jamais pertinent et porteur de sens, fut repris dans toutes les langues, sur toutes les banderoles, dans toutes les discussions. L’enthousiasme militant perçu à Tunis, l’élan et la force donnés par l’assemblée des femmes en ouverture, l’importante participation des jeunes et des nouveaux mouvements ont donné à l’évènement de Tunis toute sa spécificité. Alors que les médias continuent de se demander si l’altermondialisme n’est pas en voie d’essoufflement, l’engouement des sociétés civiles pour le processus laisse à penser qu’il a au contraire encore de beaux jours devant lui. Entre évolutions et révolutions, le processus du FSM reste bien vivant ! En ce qui concerne la logistique de l’évènement, tous ceux ayant vécu le FSM de Dakar s’accordent à dire que Tunis fut une machine bien huilée. La preuve en est le programme des activités du Forum, imprimé et distribué la veille de l’ouverture, une grande première dans l’histoire de ce processus autogéré. Sur place, l’armada de jeunes volontaires tunisiens et tunisiennes venus guider le militant dans
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les dédales d’El Manar a sans doute évité à plusieurs personnes une errance sans fin à la recherche de l’atelier désiré. Et si la traduction de certaines discussions fut quelque peu chaotique, chacun sut se débrouiller pour faciliter la communication entre les participants. Lorsque l’on vient à un FSM, il faut savoir composer avec les moyens du bord et faire preuve d’adaptation face à ses aléas inévitables. Mais à Tunis l’effort d’organisation fut très poussé, et il permit aux militants de se laisser guider avec plus de certitudes que d’habitude…
Mais il faut également garder à l’esprit que tout le sel de Tunis, toute la particularité de ce FSM tient au contexte tunisien, maghrébin, et plus largement à la région Maghreb-Machreq. Le FSM de cette année fut en effet un symbole politique et social. Organisé dans le berceau des révolutions arabes, porté par un comité d’organisation Maghreb/Machreq très mobilisé, totalement investi par les populations arabophones de la région, il fut riche en débats sur l’avenir du monde arabe, ses transitions, sa gouvernance, ses politiques sociales, son lien avec l’islam. La part belle fut faite à des problématiques telles que la révolution tunisienne, la
guerre en Syrie, le conflit au Sahara Occidental, le conflit israélo-palestinien, la guerre au Mali…. Bien évidemment, sur les 1060 activités proposées tous types de sujets furent abordés, de la transition énergétique à l’agriculture paysanne en passant par les questions de genre et la culture de paix. Mais les discussions les plus passionnées et les débats les plus mouvementés portèrent sur les questions d’actualité de cette région du monde, agitée depuis quelques années par des mouvements sociaux qui se cherchent, se construisent et revendiquent leur droit à l’expression et à l’action publique, à la justice sociale et la dignité. Le FSM à Tunis c’est en somme une occasion unique de se retrouver au cœur de ce moment historique d’émancipation de la société civile arabe. Le FSM à Tunis, c’est un pari sur l’avenir du Maghreb/ Machreq. Et lorsque l’on se remémore le bouillonnement d’idées et de volontés que l’on a pu observer sur le campus d’El Manar, l’on peut se dire que le FSM à Tunis c’est l’espoir un peu fou d’un renouveau démocratique mondial, qui est parti du pourtour de la méditerranée pour se propager au reste de la planète, comme l’ont montré les mouvements des indignés en Espagne, des Occupy à Wall Street, London ou au Québec, ou encore des « Y’en a marre » au Sénégal. Camille Champeaux Centre de Recherche et d'Information pour le Développement
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Paroles de délégués
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'emblée, on est frappé par l'accueil des Tunisiens. Dans la rue, il n'était pas rare que des passants, à la vue de nos badges du FSM, nous arrêtent pour se confier. Revenait souvent le sentiment d'amertume de s'être fait voler leur révolution. Ensuite, leur inquiétude d'assister à l'émergence d'un Islam radical, soutenu par l'argent du Qatar, lourd de conséquences, entre autres, pour les femmes et leurs droits chèrement acquis. Demeure cependant l'espoir en un avenir plus juste et plus digne.
A l'Université El Manar où se déroulait le Forum dans une ambiance festive, un vent de liberté d'expression soufflait. Le campus s'est transformé en cette immense agora multiculturelle rassemblant environ 60 000 délégués altermondialistes de 128 nationalités, un creuset d'idées, un foisonnement de propositions stimulé par la vitalité d'une jeunesse omniprésente. C'est devenu pour les organisations et associations participantes un espace privilégié pour se rencontrer, échanger et éventuellement tisser des liens afin de se renforcer mutuellement. Sur
quatre jours, 1000 ateliers ont été proposés. Le Mouvement de la Paix en a co-animé une dizaine qui a attiré nombre de participants étrangers. A défaut d'actions concrètes proposées, des points de vue ont été échangés, des contacts ont été pris. Peu de Tunisiens ont assisté aux ateliers sur le désarmement nucléaire, le "triple A " (Abolition des Armes Atomiques) n'étant pas, pour le moment, sur leur liste de priorités tant ils se trouvent empêtrés dans leurs problèmes au quotidien. Là encore, ce sont les rencontres informelles qui se sont avérées les plus réciproquement enrichissantes et c'est autour de nos banderoles "Mondialisons la paix", "La paix c'est ma culture" et du drapeau du Mouvement de la Paix, c'est au cours des marches, la marche d'ouverture et celle pour la Palestine, au cours de nos stands et distributions de tracts, que nous avons le mieux rencontré les acteurs du printemps arabe et vécu de grands moments de solidarité internationale. Cathy Aubron Le Mouvement de la Paix
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errière la banderole colorée du Mouvement de la Paix, "mondialisons la paix", nous avons battu le pavé de l'avenue Bourguiba. En tête du cortège se trouvaient les dirigeants des partis progressistes tunisiens, des associations, et de l'UGTT, parmi lesquels Besma Kalfaoui. Elle est la veuve de Chokri Belaïd, le dirigeant du Front Populaire, assassiné le 06 février 2013. Lors de son enterrement, elle déclarait: "pleurer, j'aurai tout le temps. Maintenant il faut lutter". Dignité : les mères de la révolution du jasmin, dont 324 enfants sont morts, nous accueillent avec une pétition demandant la reconnaissance pour leur martyr. Dignité : les diplômés chômeurs, venus des villes minières du sud, où la révolution commençait dès 2008, appellent à la solidarité. Dignité : l'interminable liste des 16 175 cadavres repêchés dans la Méditerranée, entre 2008 et 2012. Le forum sera un lieu de la solidarité avec les sans papiers. Certains, qui comptaient venir de France, n'ont pas pu obtenir les autorisations nécessaires. Au hasard d'un couloir du campus El Manar, nous croisons Aminata Traoré, ex ministre de
la Culture du Mali, opposante à l'intervention française. On se salue comme de vieilles connaissances. C'est la magie du forum. La paix, le désarmement et la solution des conflits étaient au programme de nombreux ateliers. Le forum de Marseille d'ICAN a eu un prolongement remarqué. L'assemblée de convergence a rassemblé du monde et
mis en avant nos propositions pour une Méditerranée débarrassée des armes atomiques. La présence de 7 représentants de l'AMFPGN a permis de nombreux contacts, intéressants pour l'avenir. Pourquoi pas une prochaine association tunisienne affiliée à l'IPPNW* ? De nombreux étudiants sont venus. Beaucoup de femmes, aussi, qui portent la dynamique de la société tunisienne. L'atelier "l'image des femmes dans les médias tunisiens" a donné lieu à l'exposé d'une étude observationnelle. Les détails de l'étude montrent le chemin qui reste à parcourir pour arriver à l'égalité de traitement. Le forum s'est terminé avec une manifestation en solidarité avec le peuple palestinien dans le cadre de la journée de la Terre. Yves Perrin Toinin Association des Médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire * International Physicians for the prevention of nuclear war
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CULTURE Expositions
‘‘Chagall entre guerre et paix’’
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e musée du Luxembourg à Paris consacre une grande exposition à l'un des artistes marquants du XXe siècle : Marc Chagall. L'exposition à Paris, intitulée "Chagall entre guerre et paix", réunit une centaine d'œuvres de l'artiste décédé en 1985, autour des thèmes de la guerre et de la paix. Le parcours débute avec les œuvres réalisées avant la déclaration de la Première Guerre mondiale, et s'attache à illustrer les moments phare de sa vie. De son départ de Russie vers la France, à son installation aux Etats-Unis suite à la montée du nazisme dans les années 1940, Marc Chagall retrace ces périodes dans sa peinture, qui se veut plus sombre à certaines époques. Après la guerre, Chagall s'installe à Vence, dans le midi de la France. Au fil des années, sa palette devient plus colorée et les paysages méditerranéens prennent possession de ses toiles. Cette sérénité retrouvée apparaît dans La Danse.
• Musée du Luxembourg - 19, Rue de Vaugirard, 75006 Paris. Jusqu’au dimanche 21 juillet 2013. Tous les jours de 10h à 19h30 et le dimanche de 9h à 20h. Nocturne le lundi* et le vendredi jusqu’à 22h. Ouverture exceptionnelle jusqu’à 22h les samedis. (* sauf lundis fériés)
‘‘Hugo politique’’
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J’ai dit qu’une véritable révolution était une révolution de l’esprit et c’est pourquoi je tiens autant à Victor Hugo, car il a compris que toute véritable révolution part de l’intérieur ». Ces mots sont ceux de Aung San Suu Kyi* à qui la nouvelle exposition de Victor Hugo est dédiée. A l’occasion de la Nuit des musées, on pourra découvrir un parcours chronologique sur les sujets et les préoccupations constantes chez Hugo. Quatre îlots thématiques – peine de mort, misère, laïcité et enseignement, violence en politique. La présentation, très structurée, permet de hiérarchiser les œuvres et documents présentés, depuis les portraits et tableaux historiques, jusqu’aux livres, lettres, manuscrits et documents, en passant par les estampes. Tirées de l’édition des œuvres 20
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complètes de Victor Hugo illustrées, publiée par E. Hugues de 1876 à 1897, une frise de gravures déroule les épisodes de la vie politique de Hugo et leur évocation ou leur développement dans l’œuvre littéraire. Aujourd’hui encore, les exemples ne manquent pas de l’actualité et de la pertinence politique de Hugo – des extraits d’interventions filmées à la Chambre des députés et au Sénat ces dix dernières années permettront d’en prendre la mesure. * Femme politique birmane, lauréate du prix Nobel de la paix en 1991. • Exposition jusqu'au 25 août 2013. Maison Victor Hugo, 6, place des Vosges, 75004 Paris. Du mardi au dimanche de 10h à 18h. Renseignement : Tél. 01 12 72 10 16
‘‘Jean Moulin : Artiste, préfet, résistant (1899-1943)’’
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e 70ème anniversaire de la disparition de Jean Moulin, unificateur de la Résistance, gloire du corps préfectoral, Compagnon de la Libération, est l’occasion de valoriser les collections du musée Jean Moulin, lequel s’enrichit du legs de l’une de ses petites cousines. L’homme moderne qui aimait la vie, le préfet engagé au sein du gouvernement du Front populaire, le résistant, mais aussi l’amateur d’art et le dessinateur, sont au cœur de cette exposition. La scénographie conçue par le collectif "Au fond à gauche", met en valeur un parcours chrono-thématique mettant l’accent sur les temps forts de la vie de Jean Moulin. Au cœur de la salle, est présentée la ga-
lerie Romanin, couverture à son activité de résistant clandestin, inaugurée en présence du Tout-Nice le 9 février 1943. Interviews de résistants, lettres, dessins, journaux, toiles de maîtres, sont les pièces phare de cette exposition. • Mémorial du Maréchal Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris - Musée Jean Moulin - 23, allée de la 2e-Division-Blindée Jardin Atlantique, 75015 Paris . Jusqu’au dimanche 29 décembre 2013 : Du mardi au dimanche de 10h à 18h. Fermé lundi et jours fériés. Catalogue : "Jean Moulin artiste, résistant" de Dominique Veillon et Christine Levisse-Touzé, Éd. Tallandier. Prix de vente 35€
Spectacle théâtral et musical
‘‘Louise Michel, écrits et cris’’
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• Théâtre Essaïon-Avignon - 33 rue de la Carreterie 84000 Avignon. Du 8 au 31 juillet 2013, représentation à 16h
’insoumise
Spectacle théâtral et musical « Louise Michel, écrits et cris ». A partir de la correspondance et des mémoires de Louise Michel Avec Marie Ruggeri et Christian Belhomme Au-delà du mythe de la pasionaria de la Commune de Paris, il y a une femme qui fut jeune fille et puisa dans sa correspondance avec Victor Hugo la force d’affronter son destin. Elle écrit sa révolte, sa souffrance, son espoir. Les lettres de Louise Michel témoignent de son combat pour la liberté et pour l’égalité, lutter contre l’exploitation de l’homme par l’homme mais aussi contre l’exploitation de la femme par l’homme. Elle témoigne aussi de la souffrance, de la solitude, du refus de se résigner, ce qui lui valut de passer treize années de sa vie en prison. Marie Ruggeri interprète Louise Michel avec une rare intensité. Lettre après lettre, Marie fait entrer le public dans l’intimité de Louise qui revoit comme en rêve défiler les événements
marquants de sa vie. De la narration à l'incarnation, tour à tour spectatrice et actrice de sa vie, Louise nous plonge dans son parcours hors du commun. Loin de l'image d'Epinal ou de l'icône qu'elle est parfois devenue, apparaît alors une Louise plus intime, une écorchée vive, une femme face à ses blessures, ses doutes. Dans une mise en scène tout en délicatesse, le spectacle expose aussi bien la combattante qu’il révèle la femme. C’est l’occasion d’approcher autrement une grande figure de La Commune.
« Ma conviction est que, dans l’avenir, on reconnaîtra la folie du capital, de la guerre, des castes, des frontières et qu'il n'y aura plus qu'un seul et même peuple qui serait l'humanité. C'est à cette œuvre que j'ai consacré ma vie. Vous pouvez me poursuivre, me condamner, cela ne changera rien à ma croyance ». Louise Michel (Mémoires-1886).
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CULTURE Aimé Césaire
‘‘Un géant d’humanité’’ Né le 26 juin 1913 en Martinique,
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lanète Paix : Que diriez-vous d’Aimé Césaire ?
Marie-France Merrain-Astégiani : J’ai tout d’abord connu Aimé Césaire à travers ses livres. Je l’ai rencontré la première fois un an avant sa disparition lors du colloque sur la négritude à Gorée, organisé par l’Aden. Il nous semblait important qu’il en soit le parrain. Lorsqu’il m’a reçue dans son bureau afin de préparer cette initiative, j’ai vécu un moment inoubliable. Il m’a parlé de sa souffrance d’être noir, descendant d’esclave, et méprisé par beaucoup, y compris en tant que député : il était noir, issu d’une famille nombreuse et
initiatives auront
M-F M-A : Il a modernisé Fort-de-France. Il a commencé à remplacer les cases par des logements décents et a fait installer l’eau potable chez les habitants. Il voulait aussi que les Martiniquais soient acteurs de leurs décisions sans être soumis aux décisions prises à Paris. Très jeune, il adhère au Parti communiste français qu’il quitte car il trouve que ce parti veut diriger les affaires de la Martinique d’en haut, plutôt que de laisser les communistes martiniquais prendre leurs propres décisions avec leurs spécificités. C’était un véritable démocrate. Il fonde ensuite le Parti progressiste martiniquais. Il restera communiste toute sa vie, au plus profond de son âme.
lieu en France
P.P. : Concrètement qu’a-t-il fait pour les Antilles ?
Aimé Césaire, poète, homme politique aurait eu cent ans cette année. Pour l'occasion, de nombreuses
métropolitaine et aux Antilles. Marie-France Merrain-Astégiani, responsable de l’association des descendants d’esclaves noirs et leurs amis (Aden 94) a côtoyé Aimé Césaire. Planète Paix l'a rncontrée.
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P.P. : Quel a été son rôle en tant qu’homme politique et plus particulièrement député de la Martinique et maire de Fort-de-France ?
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simple. De plus il était doté d’une grande culture et de diplômes universitaires, et surtout très proche du peuple. Il a souhaité écrire quelques mots dans le livre sur le colloque de Gorée, intitulé « Les traites négrières coloniales - Histoire d’un crime ». Malheureusement, ses forces l’abandonnant, il n’a pas pu y assister. Une fois le livre terminé, je l’ai rencontré pour le lui offrir et lui rendre compte de nos travaux et les larmes coulaient sur ses joues, tant il était ému. Deux mois plus tard, le 17 avril 2008, il décédait à Fort-de-France.
M-F M-A : Il a, avec Léopold Sédar Senghor et Léon Gontran Damas, créé le concept de la négritude. Au-delà de son engagement politique, il est auteur de nombreuses œuvres historiques et poétiques comme « Cahier d’un retour au pays natal », son premier recueil, texte fondamental de la négritude dans lequel il dénonce les mensonges et la domination de l’Europe. Il n’a évoqué que très tard ce qu’est être descendants d’esclaves noirs car cela a longtemps été un tabou dans une société où les « béqués », c’est-à-dire les blancs des Antilles, méprisaient les Noirs. Aimé Césaire était un grand homme, un géant d’humanité, de solidarité. Il s’est battu avec force et ténacité pour que les Martiniquais puissent aller à l’école, aient accès à la santé, et ce jusqu’à la fin de sa vie. Il a tenté de faire entrer l’histoire des Antilles dans les livres scolaires ce qui a été fait après la loi dite « Taubira ». Lors de ses obsèques, toute la Martinique était là pour rendre hommage à « Papa Césaire » et se recueillir sur son cercueil. Les gens pleuraient, tous envahis d’une profonde tristesse. Aimé Césaire a réellement marqué l’histoire de la Martinique et la marque toujours aujourd’hui. Propos recueillis par Evelyne Aymard
Œuvres d’Aimé Césaire Poésie • ‘‘Cahier d’un retour au pays natal’’. Paris - Présence Africaine, 1939, 1960. • ‘‘Soleil Cou Coupé’’. Paris - Éd. K, 1948. • ‘‘Corps perdu’’. (gravures de Pablo Picasso) Paris. Éd. Fragrance, 1950. • ‘‘Ferrements’’. Paris : Éd. Seuil, 1960, 1961. • ‘‘Cadastre’’. Paris - Éd. Seuil, 1961. • ‘‘Les Armes Miraculeuses’’. Paris - Éd. Gallimard, 1970. • ‘‘Moi Laminaire’’. Paris - Éd. Seuil, 1982. • ‘‘La Poésie’’. Paris - Éd. Seuil, 1994.
Essais • ‘‘La poésie un moyen de connaissance et de co-naissance : propositions poétiques’’. Publié en Haïti en 1944. • ‘‘Toussaint Louverture ; La Révolution française et le problème colonial’’. Paris - Éd. Présence Africaine, 1961/62. • ‘‘Culture et colonisation, communication’’ faite au 1er Congrès des Écrivains et Artistes noirs en 1956, à la Sorbonne. • ‘‘L’homme de Culture et ses responsabilités’’, communication faite au deuxième Congrès des Écrivains et Artistes noirs en 1959, à Rome.
Théâtre • ‘‘Et les chiens se taisaient’’, pièce publiée en 1956 (tragédie). • ‘‘La Tragédie du Roi Christophe’’, publiée en 1963 (tragédie). • ‘‘Une Saison au Congo’’, publiée en 1966 (tragédie). • ‘‘Une Tempête’’, adaptation à La Tempête de Shakespeare, publiée en 1969 (une tragi-comédie ou romance).
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L'agenda 2014 du Mouvement de la Paix
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’année 2014 commémorera les 100 ans de l’assassinat de Jean Jaurès, homme politique français, qui s'est notamment illustré par son pacifisme et son opposition au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Le Mouvement de la Paix a décidé de lui consacrer son agenda 2014. Jaurès l’historien, Jaurès le député, Jaurès le rédacteur, Jaurès le dénonciateur du nationalisme, le défenseur de la paix mondiale, de la laïcité, des droits individuels… L’agenda 2014 nous fait découvrir ou redécouvrir chaque semaine du calendrier les différentes facettes de ce grand homme. L’agenda 2014 rend également hommage aux grands pacifistes d’avant 1914 connus ou à découvrir tels que Clara Zekin, Henri Barbusse, Théodore Ruyssen, Anatole France… Il sera votre compagnon de tous les jours pour planifier vos rendez-vous, vos projets, avec mémo personnel... Une édition souple et moderne, incontournable.
Disponible en septembre 2013.
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