La Libre Belgique

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LA CULTURE Expo/Livre

du 7.1 au 13.1.2016

L'Age d'or espagnol à Amsterdam

Du Greco à Murillo, puis à Goya et Picasso, la liste époustoufle*

L'Hermitage Amsterdam a son destin lié au prestigieux Ermitage de Saint-Pétersbourg et la plupart de ses expositions sont issues des collections de l'ancien Palais d'Hiver de la grande Catherine de Russie. La perspective, cette fois, d'un florilège qui, vu l'importante collection espagnole – la plus importante, dit-on, après celle du Prado, à Madrid – de l'Ermitage des bords de la Neva, s'annonçait exceptionnelle, nous y a fait courir, salive aux lèvres. Et nous avons déchanté! Il faut sonner la charge de la récrimination énervée: ces derniers temps, trop d'accrochages présumés festifs ne sont que de la poudre aux yeux, de l'accroche pour gogos, en somme des annonces bidon! Nous n'irons pas jusqu'à dire, en l'occurrence, que cette exposition d'Amsterdam est un piège, car, quand même, de purs chefs-d'œuvre vous y crèvent les yeux, mais la qualité relative de l'ensemble incite à la réserve. Cette exposition, qui aurait pu être fracassante vu les noms avancés, n'est qu'un leurre. Un de trop, après des affiches de même tonneau, avec d'autres artistes d'autres époques, à Paris, à Bruxelles. Prudence, donc, avant de s'aventurer dans une manifestation aux avantages trop exorbitants! El Greco, Ribera, Zurbaran, Velasquez, Murillo, Goya, Picasso, pour les maîtres les plus armoriés. Vous croyez rêver et vous y allez de bon cœur, le label Ermitage annonçant de belles passes d'armes. Et c'est loupé. Et regrettable, malgré les 60 peintures, les œuvres graphiques et les objets qui forment un tout distillé par petites touches et cabinets d'abord, avant la grande salle du Siècle d'or, envahie comme un salon royal d'époque, les vrais chefs de file espagnols s'y taillant hélas la partie congrue.

Morceaux choisis

Entamée en musique, et c'est plutôt agréable, avec Scarlatti notamment, la visite démarre en célébrant l'Espagne très catholique avec des ornements religieux, que suivent des armes, armures, mousquetons et épées pour rappeler qu'au nom de la religion, l'Espagne fut aussi la cheville ouvrière de l'Inquisition, après s'être impliquée dans des

Bon a savoir Momie et médicament Le jeudi 7 janvier à 18.00h, au MNHA (Musée national d'histoire et d'art), conférence en luxembourgeois du pharmacien Marc Bruck: Sakral oder Profan? D'Mumie als Medikament an hir Verwendung während Joërhonnerten. Il s'agit du dernier rendez-vous du cycle de conférences organisé dans le cadre de l'exposition Momies – Un rêve d'éternité, qui prend fin ce dimanche10 janvier.

Prix Laurence 2016 Pour la seconde fois, le festival LiteraTour – qui se tiendra à Bettembourg du 9 au 24 avril – lance un appel aux jeunes écrivains de 12 à 26 ans: leurs textes, à envoyer dès à présent, concourront pour le Prix Laurence, 2e édition, décerné en clôture de festival. Infos pour participer: literatour.mjcbettembourg.lu

© State Hermitage Museum, St Petersburg

Une exposition qui, pourtant, trompe énormément et c'est frustrant!

Francisco José de Goya y Lucientes, «Portrait de l'actrice Antonia Zarate», 1810-11

aventures coloniales, où elle fit table rase des croyances autochtones. Un superbe Greco, Les apôtres Pierre et Paul, 1587-92, précède la grande salle aux murs parés de pourpre. Il y a là les visions extatiques de José Ribera et, fameux, son Saint-Jérôme et l'ange de 1626. Puis, La mort de Caton, signée Luca Giordano autour de 1670. Une Tête d'homme de profil, de Diego Velasquez sonne évidemment la charge de votre satisfaction et son Portrait du Comte d'Olivares (vers 1638) n'est pas mal non plus. Francisco de Zurbaran est de ceux qui ravissent les amateurs d'art pur et son San Fernando altier, vers 1630, est un grand

morceau de peinture, comme l'est, issu de son atelier, son Saint-François avec un crâne dans les mains. La douceur et la sérénité sont l'apanage aussi de Murillo, présent avec trois tableaux : une Crucifixion, une Immaculée Conception et La vision de Saint-Antoine, trois toiles commises aux alentours de 1670. Et c'est tout. Le temps de passer à l'étage, où quelques gravures des célèbres séries de Goya, Les désastres de la guerre et Les caprices, vers 1800, vous font aussitôt penser que vous avez déjà vu bien plus ailleurs. De Goya à Picasso, plus d'un siècle plus tard, la tauromachie était une bonne introduction et d'autres gravures

de Goya sont donc de la partie. Quand on en arrive à Picasso, les quelques pièces majeures que l'Ermitage détient, héritées des collectionneurs Morosov et Tchoukine, vous ne les verrez pas! Trois céramiques assez banales et deux peintures et gouaches de 1905/1906 résument la participation du maître de Malaga. A quoi bon les décrire: déposées sur une brocante, vous les y auriez laissées!

R OGER P IERRE T URINE

* Hermitage Amsterdam, jusqu'au 29 mai. Infos: www.hermitage.nl. Avec le train à partir de Bruxelles: www.sncb-europe.com

Java militaire

Journal d'un Luxembourgeois soldat en Indonésie Quelques Luxembourgeois ont couru l'aventure aux quatre coins du monde. Qu'ils aient laissé des notes sur leurs expéditions est plus rare. C'est pourtant ce qu'a fait August Kohl, soldat dans l'armée néerlandaise d'Indonésie. La littérature, l'armée et, singulièrement, l'Indonésie ont quelques points communs. Pour s'en convaincre, il suffit peut-être de se rappeler du bref passage d'Arthur Rimbaud dans les troupes de l'armée coloniale néerlandaise entre mai et août 1876. L'épopée d'August Kohl est plus ancienne. Né à Luxembourg en 1834 et décédé à l'hospice civil de la même ville en 1921, il servit pendant six ans dans l'armée hollandaise, entre 1869 et 1865. De cette épopée, August Kohl en a gardé le souvenir dans un ma-

nuscrit resté en possession de la famille et légué, en 2011, au Centre national de littérature (CNL) qui vient d'en confier l'édition à Thomas Kolnberger, chercheur attaché à l'Université du Luxembourg.

Montagnes bleues et chien volant

Dans un style simple et concis, l'aventurier donne une peinture directe des faits et du hasard qui l'a conduit à Maastricht, dans un bureau de recrutement militaire. Il ne faut pas aller loin dans le récit pour se rendre compte qu'on est dans une autre époque: en ce tempslà, écrit August Kohl, le train n'arrivait pas jusqu'à Luxembourg… et, à Paris, on descendait à la gare de Strasbourg, pas encore à la gare de l'Est. La suite du trajet devient vite plus exotique: Lisbonne, Madère, tempête au cap de Bonne-Espérance, un homme perdu en mer, arrivée dans les Indes orientales – «Die wunderschöne sehr fruchtbare Insel Java, im Hintergrund mit irhem himmelhoen halbbewaldeten blauen Bergen» (la très belle et très fertile île de Java, avec, en arrière-plan, aussi hautes que le

ciel, ses montagnes bleues à demi couvertes d'arbres). Très vite, l'exploration des lieux révèle ses fascinations et ses émerveillements. La faune par exemple: «Das allersonderbarste Thier, was ich dort sah, das war der fliegende Hund, mit seinen ekelhaften grossen Fledermäusen Flügelen» (le plus étrange de tous les animaux que j'ai vus là-bas était le chien volant avec ses affreuses grandes ailes de chauve-souris). Dans cet ouvrage superbement illustré, Thomas Kolnberger a essayé de mettre le texte en relief grâce à de nombreux documents originaux: des gravures et des photos anciennes, des planches tirées d'ouvrages scientifiques, des plans, ces cartes… mais pas de portrait de l'auteur, puisqu'il ne semble pas qu'il en ait subsisté. Un voyage dans le temps, dans les mentalités et dans l'espace.

P AUL M ATHIEU

* August Kohl, «Ein Luxemburger Söldner im Indonesien des 19. Jahrhunderts», édition établie par Thomas Kolnberger, CNL, 2015, 312 pages, 25 euros.


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