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Boi s le Du c d es Bos ch so u s l e s ye u x Par Stéphanie Maurice, Envoyée spéciale à Bois-le-Duc(http://www.liberation.fr/auteur/1886stephanie-maurice) — 13 mai 2016 à 17:12

Des œuvres-hommage sont dispersées un peu partout dans la ville. Photo Aimée Thirion

A l’occasion des 500 ans de la mort du peintre néerlandais, promenade dans la ville sage et rangée qui a vu naître un artiste à l’imaginaire débordant et monstrueux. D’apparence elle est si sage, qu’on se demande comment un imaginaire aussi débordant et monstrueux que celui de Jérôme Bosch, peintre de la fin du Moyen Age, a pu naître là. Bois­le­Duc, aux Pays­Bas (’s­Hertogenbosch, en néerlandais) a des rues ordonnées et des cafés design. L’homme du pays lui a piqué un bout de son nom, ce «bosch» qui veut dire «bois». Elle est si propre sur elle, avec ses camions ambulants qui vendent des poissons frits ou des rollmops sur la place du Marché, un peu austère avec ses façades rigoureuses et ses colonnades néo­Empire. Mais voilà que dans une vitrine, une coquille


d’œuf à pattes danse une sarabande, que la cathédrale accepte contre un de ses flancs un échafaudage pour aller contempler, là­haut, des gargouilles grimaçantes. Le désordre grouillant de Bosch est bel et bien semé dans la cité, comme un jeu de piste qui mène au Het Noordbrabants Museum où s’est tenue une rétrospective de l’artiste qui a accueilli plus de 400 000 visiteurs (1). Près de dix ans que la ville attendait cet hommage. Aujourd’hui, Bois­le­Duc continue à pavoiser aux couleurs de l’enfer boschien pour les 500 ans de sa mort, le 9 août 1516.

1- La place du Marché Ici, Bosch a vécu. Au numéro 29, était établi l’atelier de la famille Van Aken, le vrai patronyme de l’artiste. La demeure accueille aujourd’hui une boutique de souvenirs au nom suranné, les Petits Profits, dont la vitrine est remplie de sabots miniatures hollandais. Facile à repérer, elle est située juste à côté d’une maison qui s’est écroulée après le début des commémorations, le 27 février. Un tour du malin, croiront les superstitieux. Dans ces prémices de la Renaissance, le peintre n’est encore qu’un artisan à qui on commande la décoration d’un autel, le dessin d’un patron de broderie ou d’un vitrail. Ce que réalisaient le grand­père, le père, les frères et les neveux de Bosch. Jeroen (Jérôme, en néerlandais) fut le seul à connaître une vraie renommée. Il fut un notable, marié à une riche demoiselle, Aleid van de Meervenne, grâce à qui il put déménager au numéro 61, et habiter le versant bourgeois ­ le versant nord ­ de la place du Marché. Les maisons ont gardé leur ossature médiévale, mais les façades datent du XIXe siècle. La ville était prospère, forteresse placée au bord de la Meuse, à la frontière du duché de Brabant, qui comprenait aussi Bruxelles, Anvers et Louvain. Droit de commerce aux bourgeois, dispense de péages : le duc Henri Ier est libéral quand il fonde la ville en 1185. Avec une contrepartie : que les habitants financent les murailles de la cité.

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Place du Marché, la 2e maison à gauche où habitaient le peintre et sa femme. Photo Aimée Thirion


Sur la place, Bosch est statufié depuis 1930, mais personne ne sait très bien si les traits sculptés lui ressemblent. Auguste Falise, l’artiste qui l’a réalisé, a pris pour modèle de travail un autoportrait… probablement faux : les pinceaux sont bien trop épais pour un Bosch, adepte du détail et du trait vif. Mêmes faux­semblants pour le puits et la minuscule chapelle dédiée à Notre­Dame : ils sont à l’imitation de détails d’une toile de 1530 qui représente la halle aux draps de Bois­le­Duc. La mairie, soucieuse de (trop) bien faire, a voulu recréer un bout de ville, comme pouvait l’avoir connue Bosch.

2- Les canaux Il faut avoir l’œil pour la voir, la venelle du Romarin (Rozemarijnstraatje), entre deux magasins à l’entrée de la place du Marché. L’emprunter, c’est se faufiler jusqu’à l’âme cachée du bourg moyenâgeux, jusqu’à l’eau vive de la Binnendieze qui serpente à l’arrière des maisons, là où les barques s’amarraient et où les affaires se faisaient. La petite rivière s’engouffre sous une voûte, les vieilles demeures l’enjambent sans sourciller. Elle l’a échappé belle : dans les années 60, la municipalité avait le projet de la combler et de détruire le vieux quartier. Il fallut la mobilisation des habitants et le classement du site pour sauver les canaux. On suit leur dédale avec plaisir, sans se soucier des fresques un peu maladroites, ou des monstres flottants en plastique, posés­là pour rappeler l’œuvre du maître.

3- La confrérie Notre - Dame Encore puissante, toujours existante : voici un vrai miracle pour une confrérie dédiée à la Vierge­Marie, en ces terres protestantes. Son siège se dresse en face de la cathédrale, au 94 de la Hinthamerstraat, un cygne en bronze à son faîte. Une fois par an, c’était de la chair de ce volatile dont se régalaient les élites de Bois­le­Duc, membres de cette congrégation respectable et riche qui priait, contre monnaie sonnante et trébuchante, pour le rachat des péchés. Un banquet qu’a offert, par deux fois dans sa vie, Jérôme Bosch, bon catholique, digne bourgeois, pas encore travaillé au corps par cette Réforme venue de Suisse, qui arrivera dans le pays quelques décennies après sa mort.


Près de la cathédrale Saint-Jean. Photo Aimée Thirion

Il vivait avec aisance de son art. Ses tableaux sur la tentation et l’enfer promis à qui y cédait révèle les premiers accents de la Renaissance : l’homme a son libre arbitre et choisit son destin. Les grands de ce monde sont gourmands de ses œuvres qui sont objet à discussions de salon, prétextes à réflexion. En premier lieu, la cour d’Espagne, dans ces Pays­Bas qui étaient alors hispaniques, au point que personne ne sait à Madrid que celui qu’on nomme là­bas Don Bosco a des origines néerlandaises. Il n’a pourtant guère quitté Bois­le­Duc. Mais qu’en est­il de ses triptyques aux détails foisonnants, de ses mendiants estropiés, de ses infernaux animaux ? C’est une autre affaire et ils sont éparpillés dans toute l’Europe. Les Pays­Bas ne recèlent que deux tableaux du maître ­ à Rotterdam ­, et Bois­ le­Duc n’en a aucun, à son grand dam. La confrérie Notre­Dame commanda à Bosch plusieurs œuvres, dont un retable pour la cathédrale. Celle­ci n’était pas encore achevée du temps de Bosch, qui l’a vue sans son clocher principal. Dans la chapelle, au sol, les gisants sont effacés, au ciel, les gargouilles grimacent. (1) L’exposition sera visible du 31 mai au 11 septembre au musée du Prado, à Madrid.

Stéphanie Maurice Envoyée spéciale à Bois-le-Duc(http://www.liberation.fr/auteur/1886-stephaniemaurice)


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