LE FIGARO
CULTURE
mardi 19 janvier 2016
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La France se met à l’heure Dutilleux CHRONIQUE Le 22 janvier,
le compositeur aurait eu 100 ans. Un hommage national lui est enfin rendu. LE CLASSIQUE Christian Merlin
C
e vendredi 22 janvier, Henri Dutilleux aurait eu 100 ans s’il ne nous avait quittés en mai 2013. Deux semaines après la mort de Pierre Boulez, l’occasion de se souvenir d’un autre génie, qui aura lui aussi marqué l’histoire de la musique française, quoique très différemment, et qui nous manque lui aussi beaucoup. L’occasion aussi d’oublier l’épisode lamentable de la plaque posée sur son domicile parisien, où les politiques se sont couverts de ridicule pour longtemps. Il semble même cette fois que l’on ait vu les choses en grand pour rendre justice à cet homme merveilleux dont la musique si poétique continue à nous envoûter durablement. Radio France ouvre la marche ce jeudi soir avec un concert de l’Orchestre phil-
harmonique sous la direction de Kwamé Ryan à l’Auditorium de la Maison de la Radio, où l’on pourra entendre deux de ses plus immortels chefs-d’œuvre : la Symphonie n° 2 « Le Double », et les Métaboles, dont on n’a aucun scrupule à affirmer qu’il s’agit d’un des chefsd’œuvre absolus de la musique d’orchestre française, dans la lignée de Ravel et Debussy. Dans le même temps, Radio France, où Dutilleux fut chef du service des illustrations musicales de 1944 à 1963, exploite ses inépuisables archives en mettant en ligne sur son site* nombre d’émissions consacrées au compositeur et d’entretiens permettant de réentendre sa voix si douce et ses jugements si posés. Le lendemain, vendredi 22, jour anniversaire de sa naissance, c’est la Philharmonie de Paris qui se met à l’heure Dutilleux, avec une journée d’étude réunissant musicologues et interprètes fidèles de sa musique, et un concert de musique de chambre avec des solistes de premier ordre comme la violoniste Lisa Batiashvili ou le violoncelliste Gautier Capuçon. Le tout coordonné par
La musique si poétique d’Henri Dutilleux, ici à Paris en juin 2005, continue à nous envoûter. le grand spécialiste du compositeur, le critique musical Pierre Gervasoni, dont le livre-somme paraît le même jour chez Actes Sud. Cela faisait des années que l’on voyait notre confrère travailler à l’œuvre d’une vie. La biographie la plus complète de Dutilleux, pour laquelle il ne se contenta pas de passer des heures en compagnie du compositeur, mais dépouilla un nombre inimaginable d’archives inédites. En 1 756 pages, Gervasoni est d’ores et déjà à Dutilleux ce que Henry-Louis de La Grange fut à Mahler. Au même moment paraissent plusieurs enregistrements à ne pas manquer. On pense au CD de l’Orchestre national des Pays de la Loire dirigé par Pascal Rophé chez Bis : la joie non seulement de décou-
vrir des partitions méconnues ou inédites des premières années de Dutilleux (y compris ses musiques pour le cinéma ou le théâtre), mais aussi de saluer la qualité d’un orchestre mis en danger par le risque de baisse des subventions.
Magicien des sons Paraît en même temps la vision très personnelle de la violoncelliste Emmanuelle Bertrand (Harmonia Mundi) dans le concerto Tout un monde lointain, composé pour et créé par Rostropovitch, et qui figure au répertoire des solistes sur le même plan que ceux de Dvorak ou Schumann. N’oublions pas, enfin, le coffret de 7 CD Erato The Centenary Edition, qui, à défaut d’intégrale, donne le
JEAN-PIERRE MULLER/AFP
meilleur aperçu possible de l’œuvre du maître dans des versions de référence anciennes et modernes, de Charles Munch à Paavo Järvi. De huit ans le cadet de Messiaen et de neuf ans l’aîné de Boulez, le timide Dutilleux s’est souvent retrouvé pris en sandwich entre le gourou et l’homme d’action, lui qui n’aimait rien tant que la lenteur et la contemplation, même si c’était aussi un sacré bon vivant. C’est le moment d’écouter sa musique pour ellemême : l’univers d’un magicien des sons, où cohabitent transparence et élan, dépouillement et sensualité. ■ * www.maisondelaradio.fr Hommage à Henri Dutilleux, à la Philharmonie de Paris (Paris XIXe) à 20 h 30.
Amsterdam réunit trois empires en un ÉRIC BIÉTRY-RIVIERRE ebietryrivierre@lefigaro.fr ENVOYÉ SPÉCIAL À AMSTERDAM
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ous les semestres, le Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg envoie à son antenne amsterdamoise, ouverte depuis douze ans, un pan de ses collections. L’occasion d’admirer par roulement, et confortablement, dans cet ancien hospice XVIIe, le meilleur des 3,6 millions de pièces conservées dans les salles et les réserves de la maison mère. Des rives de la Neva à celles de l’Amstel ce sont ainsi, cette fois, les arts d’Espagne qui sont à l’honneur. Avec, en majorité, des trésors qui embellissaient l’Escurial, le palais-monastère des environs madrilènes, panthéon des rois espagnols depuis Charles Quint. On passera vite la section introductive. Quelques toiles historiques du XIXe, deux ivoires témoignant des échanges avec le continent africain, des céramiques morisques, un reliquaire du XVe siècle barcelonais, quelques magnifiques bijoux d’or aztèque et un haut d’armure niellée avec sa rondache, ne résument que trop
laconiquement les sept siècles araboandalous, le gothique de la Reconquista et les richesses venues du Nouveau Monde. De même, les tensions religieuses, causes de nombreuses guerres pour l’empire des maisons d’Autriche et de Bourbon, ne sont guère abordées. Il est vrai que nous sommes à Amsterdam, au cœur de ces Provinces-Unies qui durent payer cher le prix de leur émancipation au régime castillan. Les exactions de l’impitoyable duc d’Albe font sans doute encore tache entre les deux pays.
De Murillo à Picasso On s’attardera en revanche longuement devant les cimaises centrales. Sur des murs où un damas rouge pompéien, identique aux galeries russes, a été tendu. Voilà un impressionnant florilège, de Ribalta à Murillo. Soixante peintures dont la moitié sont de grand format. C’est le cas pour Pierre et Paul du Greco, portrait double d’apôtres austères et sages, osseux et monumentaux. C’est le cas pour Saint Jérôme avec l’Ange, un des plus splendides chefs-d’œuvre du caravagesque Ribera. Ou encore pour le portrait-vanité par Zurbaran d’un saint François émer-
geant de la pénombre en robe de bure et méditant sur un crâne. Zurbaran se révèle par ailleurs très capable d’exceller dans le portrait d’apparat. Le démontre celui, tout aussi imaginaire, de Ferdinand III de Castille, héros de la Reconquista puisqu’il signe le retour de Séville dans le giron catholique en 1248. Parmi les formats de chevalet, en général de moindre qualité, notons le portrait du comte-duc d’Olivares, premier ministre de Philippe IV. On avait déjà croisé ses célèbres bacchantes au Grand Palais, lors de la rétrospective Velazquez. Notons aussi une tête d’homme de profil. Cette étude très vivante fut utile à Velázquez pour son Déjeuner des paysans, magnifique clair-obscur qui, près de deux siècles plus tard, inspirera à Van Gogh ses fameux Mangeurs de pommes de terre… Plus près de Velazquez, Giordano paie également son dû : sa Forge de Vulcain doit beaucoup à celle de l’auteur des Ménines. La Contre-Réforme concentre enfin son apothéose baroque dans les églises. Et plusieurs peintures religieuses se distinguent ici pour leur rutilance presque romaine. Ainsi L’Ange gardien d’Antonio Pereda, L’Annonciation ou
L’Immaculée conception de Murillo.Ces salles centrales passées, Goya opère la césure avec l’époque moderne. Son portrait de l’actrice Antonia Zarate est là, grands yeux de jais et sourire à la Joconde. Et surtout ses Désastres de la guerre, gravures dont la série saint-pétersbourgeoise est complète. Elle est exposée intégralement. Avant d’arriver au jeune Picasso (une nature morte de 1906 et deux grandes études, l’une bleue, l’autre rose, la première pour ses Saltimbanques, la seconde pour son Garçon conduisant un cheval) on passe devant de beaux Fortuny orientalistes, un très bon portrait de femme par l’ingresque Madrazo, plusieurs paysages et scènes de genre inspirés par l’école de Barbizon et l’impressionnisme. Enfin, plus qu’un Pablo trop peu présent ici, Zuloaga opère la jonction du XXe siècle avec les maîtres anciens. Ses gitans, ses toreros et son nain borgne, gardien de porcs ibériques, renvoient à l’Espagne éternelle. Celle, âpre et solaire, grinçante et grandiose, fervente et pathétique, des enfants de Cervantès. ■ Hermitage Amsterdam, jusqu’au 29 mai. Catalogue Hermitage, 207 p., 30 €. Tél. : + 31 (0) 20 530 74 88. www.hermitage.nl
STATE HERMITAGE MUSEUM, ST PETERSBURG
ARTS Certains trésors du Siècle d’or espagnol furent collectionnés par les tsars. L’Ermitage de Saint-Pétersbourg les présente dans son antenne hollandaise.
Portrait imaginé de Ferdinand III de Castille par Francisco de Zurbaran.
« La Vache » sacrée NATHALIE SIMON nsimon@lefigaro.fr ENVOYÉE SPÉCIALE À L’ALPE D’HUEZ (ISÈRE)
L Fatsah Bouyahmed (à gauche) et Jamel Debbouze, à l’Alpe d’Huez samedi. AMPILHAC MIREILLE/ABACA
e sacre de La Vache de Mohamed Hamidi n’a pas surpris lors de la cérémonie de clôture du Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez (Isère) dimanche. Dès la fin de la projection, cette comédie qui met en scène un paysan algérien et son bovin adoré, Jacqueline, 900 kilos, en route pour le Salon de l’agriculture, à Paris, a séduit critiques et public. Au point d’être couronné par trois trophées : grand prix du jury présidé par Kad Merad, prix du public et d’interprétation Michel-Galabru pour l’acteur principal, un inconnu génial : Fatsah Bouyahmed, aux côtés de Lambert
Wilson et Jamel Debbouze. « Je n’ai pas tout de suite pensé à La Vache et le Prisonnier, d’Henri Verneuil, mais à un road-movie qui commence en Algérie pour arriver à Marseille, puis à Paris », a expliqué Mohamed Hamidi qui a écrit un rôle sur mesure pour Fatsah Bouyahmed.
« Découvreur de talents » « Pour le jury, ça a été une évidence. Pour moi, c’était l’outsider de la sélection. Pathé, le distributeur, m’avait dit que ce n’était pas vraiment un film pour le festival, explique Frédéric Cassoly, son directeur à la tête de l’Agence Tournée générale. Nous sommes découvreurs de talents. C’est la première fois dans l’histoire de ce rendez-vous qu’un film remporte trois prix, je suis content d’avoir fait venir Jacqueline. » Fort de ce succès inattendu,
Pathé devrait repousser la date de sortie initialement prévue le 17 février pour que le film soit projeté dans plus de salles. Cette 19e édition « 100 % comédie française » comprenait douze films, dont six en compétition. Sans oublier neuf courts-métrages. Deux perles ont été récompensées, Un entretien de Julien Patry et Coup de foudre de Guy Lecluyse. Frédéric Cassoly se réjouit : « En cinq jours, nous avons proposé 45 projections et avons été obligés de doubler, voire de tripler, les séances. Cette année, près de 18 000 festivaliers sont venus contre 15 000 en 2015. Le nombre d’accréditations professionnelles a augmenté de 12 %. Le prix du public est important. Il y a deux ans, Babysitting de Philippe Lacheau et Nicolas Benamou, auquel personne ne croyait, a reçu le prix spécial du jury et celui du public. »
D’autres comédies ne devraient pas passer inaperçues dans les prochains mois. Ainsi, Adopte un veuf, de François Desagnat avec André Dussollier, Bérengère Krief et Arnaud Ducret, qui a obtenu le pris spécial du jury. Le premier longmétrage de Marilou Berry, Joséphine s’arrondit, autour des affres de la grossesse, a beaucoup amusé les spectateurs. Enfin, présentés hors compétition, les excellents Good Luck Algeria de Farid Bentoumi, avec Sami Bouajila en champion de ski, et Five, sur la colocation de cinq amis, d’Igor Gotesman, avec Pierre Niney, devraient tenir le haut de l’affiche en mars. Frédéric Cassoly songe déjà aux 20 ans de « son » festival et à un partenariat avec celui du Marrakech du rire créé par Jamel Debbouze qui se déroulera début juin. ■
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CINÉMA La comédie en forme de road-movie de Mohamed Hamidi a triomphé au Festival de l’Alpe d’Huez.