// Théorie le noir et blanc
LE REGARD SUR LA VILLE, EN NOIR ET BLANC Tant pour des raisons esthétiques qu’historiques, la photographie noir et blanc est étroitement liée à l’espace urbain. Par Nicolas Savine
Willy Ronis - Les amoureux de la Bastille. 1957
LE CHOIX DU NOIR ET BLANC
Il faut tout d’abord comprendre ce que signifie observer en noir et blanc et définir quelles sont les raisons qui vous incitent à vous passer de la couleur. Par Nicolas Savine
René Burri Hommes sur un toit Sao Polo. 1960
P.
30
H
istorique, car lorsqu’on pense “photographie urbaine” en ayant un minimum de culture de l’image, notre mémoire collective a facilement tendance à nous rappeler des chefs-d’œuvre, pour la plupart monochromes, de photographes de rue qui ont marqué l’histoire, comme Eugène Atget, Henri CartierBresson, Robert Franck ou encore William Klein. Esthétique, car l’absence de couleurs nous invite à concentrer notre observation sur ce qu’il reste de l’image, comme sa structure graphique, les densités de gris, les combinaisons de lignes, mais aussi la répartition des masses, les textures des matériaux et l’agencement des formes : tout en ensemble d’éléments que seul l’univers urbain offre avec autant d´abondance.
Si vous désirez travailler sur de belles scènes urbaines de lumières mixtes comme l’ont souvent fait John Meyerowitz ou William Eggleston ou si vous avez toujours été fasciné par les compositions de Stephen Shore, peut-être la couleur sera-t-elle le support le plus approprié. Cependant, le pouvoir des plus belles photographies urbaines en noir et blanc tient souvent à une composante profonde, durable, qui dépasse la couleur. Si par exemple, perché sur le toit d’un immeuble, vous observez un immense paysage de béton et notez les jeux de lumière se reflétant dans les marbres et les vitrages, si encore vous appréciez comment se dessine le relief du goudron, des pavés à contre-jour ou si votre regard a systématiquement tendance à rechercher un cadrage élaboré sur les innombrables lignes qu’offre la ville, c’est que le support monochrome s’adapte sûrement à votre observation.
De la réussite d’un cliché en noir et blanc Analysons donc quels sont les éléments qui contribuent à la réussite d’une photographie en noir et blanc. En premier lieu, elle va toujours au-delà de la couleur, évidente et omniprésente. La couleur d’une scène, en elle-même, ne contribue que très
rarement à la réalisation d’une bonne image, on le constate une fois l’image convertie en noir et blanc. Pour expliquer cela, on peut prendre l’exemple de célèbres photos, comme celle de René Burri prise à Sao Paulo en 1960 “Hommes sur un toit” où il photographiait à contre-jour quatre hommes d’affaires se baladant sur le toit d’un building surplombant une des artères principales de la mégapole. En couleurs, ce splendide paysage urbain n’aurait jamais autant marqué l’attention : sa complexité graphique, les formes géométriques à répétition, la subtilité des lumières et les silhouettes de ces hommes se dessinant en premier plan n’auraient jamais pu être aussi sublimées sans une interprétation de cette scène synthétisée en densités de gris.
Insuffler de l’énergie à la photo En effet, l’un des grands objectifs du noir et blanc face à l’absence de couleur est de nous faire franchir des niveaux de lumière et d’ombre soulignés par une météo ou un éclairage artificiel spectaculaires. L’intérêt du monochrome est d’insuffler à la photographie une énergie qui dépasse le simple souvenir de l’angle de rue où vous êtes passé ou d’une belle perspective d’une avenue déserte. P.
31