// Introduction I la composition
LA COMPOSITION
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Si l’on considère les peintures pariétales comme telles, les œuvres d’art existent depuis des dizaines de milliers d’années. Cependant, l’esthétique en tant que discipline à part entière a une histoire relativement courte à l’échelle de l’humanité. Par Nicolas Savine
L’empereur Charles IV et les dignitaires de Paris dans Grandes Chroniques de France, enluminées par Jean Fouquet, Tours, vers 1455-1460 , BnF
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urant l’Antiquité et le Moyen Âge, de nombreuses réflexions sur la beauté et l’art ont vu le jour, sans pour autant poser les véritables fondements de l’esthétique. Ces réflexions dérivaient des courants philosophiques de l’époque et étaient marquées par l’influence de la pensée métaphysique fondée sur un regard du monde divisé en deux : le monde des idées et le monde du sensible. Différent du monde des idées, réel, intelligible et immuable, le monde du sensible est considéré comme une imitation de celui-ci. L’œuvre d’art appartient à ce monde illusoire et changeant. De ces réflexions naîtront des théories sur la beauté, basées notamment sur la
proportion et l’harmonie. Des idées d’une esthétique quantitative, rejointes par celles de la lumière et de la couleur durant le Moyen Âge. On admet que l’Esthétique de la proportion qui fait loi aujourd’hui est l’héritière de celle du Moyen-Âge. Elle apparaîtra durant cette époque sous des terminologies telles que l’harmonie, l’ordre et la mesure. Dans son traité de théologie Summa Theologiae (XIIIe siècle), le philosophe italien Thomas d’Aquin décrit l’intégrité, la proportion et la clarté comme les traits essentiels de la beauté. Bien que ces caractéristiques fussent déjà considérées antérieurement, son mérite fut de les avoir imposées comme les trois conditions sine
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de la beauté. La première, liée à l’intégrité ou la perfection, implique que l’inachevé, le mutilé ou le difforme sont synonymes de laideur. La deuxième impose la clarté, la splendeur et la lumière. Enfin, la troisième condition fait de la proportion, de l’harmonie et de la mesure des qualités essentielles. Ainsi sont posées les bases de la composition.
Esthétique quantitative et esthétique qualitative Parallèlement au développement d’une esthétique quantitative de la proportion se développe une esthétique qualitative de la lumière. Si la première est principalement influencée par Pythagore, le philosophe grec Plotin marquera profondément la seconde. Ainsi, l’époque du Moyen Âge se caractérise par la volonté d’harmonisation des deux proportions, la pythagoricienne et la néoplatonicienne avec l’étude de la lumière, considérée à partir de cette période comme un pilier de l’esthétique.
La formule pythagoricienne propose une formule algébrique déterminant la taille idéale des deux côtés adjacents d’un rectangle qui prendra le nom de nombre d’or (association symbolique avec la pureté de ce métal) alors que la proportion platonicienne s’appuie, elle, sur un ordre et une simplicité déduits de l’étude du corps humain et constitue l’expression de l’harmonie universelle. La lumière néoplatonicienne, quant à elle, était considérée à cette époque comme la représentation de Dieu, ce qui la rendait intelligible et lui conférait une dimension prédominante sur l’être et le temps. Comme l’explique l’érudit anglais Robert Grossetête, la lumière devait prédominer sur les proportions. Par sa dimension divine, elle était considérée comme l’élément le plus important à prendre en compte dans le processus de création artistique. Elle s’est donc imposée comme une composante centrale, mettant en exergue le sujet principal qui dominait ainsi les autres éléments de la composition.
Pietà de Nouans par Jean Fouquet, vers 1460-1465. Bois (noyer). Église SaintMartin de Nouans-lesFontaines, Indre-et-Loire
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L’enseignement théologique et philosophique du XIIIe siècle concevra une variante esthétique basée sur la lumière, qui deviendra une composante essentielle.
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Natività di Maria, Giotto, vers1303-1305, chapelle Scrovegni, Padoue
Ainsi, l’enseignement théologique et philosophique du XIIIe siècle concevra une variante esthétique basée sur les éléments de la magnitude, les numéros, la couleur et la lumière, qui deviendra une composante essentielle. Quant à la perspective, l’illusion de la profondeur restait toujours très approximative mais, dès le XIVe siècle, la peinture gothique se penchera sur la recherche de la profondeur grâce à la découverte de nouvelles règles mathématiques nécessaires à sa construction et aux travaux d’ombres dégradées très employés, par exemple, dans les œuvres de Giotto.
Naissance de la perspective linéaire Durant la Renaissance, l’apparition de la perspective linéaire va révolutionner la composition picturale et poser les bases de la représentation durant les cinq siècles suivants, jusqu’à ce qu’au XXe siècle les courants de l’art abstrait mettent à mal ce système P.
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et permettent à l’art d’explorer de nouveaux horizons. Cependant, une problématique se pose durant cette période, celle de l’illusion de la profondeur et de la troisième dimension dans un espace bidimensionnel afin de créer des images dont le rendu serait similaire à la vision humaine. Ainsi apparaîtra la perspective monofocale centralisée (Masaccio, Donatello et Brunelleschi), très proche de celle de l’appareil photographique. Elle produira un langage capable de traduire le nouveau mode de pensée dans lequel l’homme, en accord avec la philosophie humaniste, se trouvait au centre de la composition grâce aux lignes de construction convergeant toutes vers un point de fuite unique.
Les proportions prennent leurs aises Durant la seconde moitié du XVe siècle et l’époque du maniérisme, les proportions mathématiques sont peu à peu délaissées au profit de
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retrouveront dans le courant du futurisme, mais désormais l’aspect statique des tableaux de Cézanne, Braque ou Picasso est délaissé pour une recherche de dynamisme et de vitesse. Une fois de plus, les avancées technologiques en photographie donnent naissance à de nouvelles techniques, à de nouveaux courants. Elles permettront de décomposer les mouvements de manière précise et aideront les peintres tels que Manet à reproduire le mouvement sans avoir à se baser sur l’intuition et l’imagination.
Reconsidération de la composition
Salomé avec la tête de Saint Jean-Baptiste, Le Caravage, vers 1607-1710, National Gallery, London
la ligne “serpentine” de forme sinueuse, symbole de ce mouvement qui rompra les concepts d’équilibre et d’harmonie préétablis de l’époque. Le caravagisme aura postérieurement une grande influence sur la réorganisation spatiale, réduisant considérablement la distance séparant le spectateur de la scène du tableau. En effet, les premiers plans semblent souvent venir toucher la surface du tableau, frontière physique entre le monde de l’image et celui de l’observateur. Durant l’époque baroque, la composition ouverte est fréquemment construite sur des triangles imbriqués et sur des équilibres classiques rappelant ceux de la Renaissance, tandis que le classicisme offre une composition claire, fermée et ordonnée, construite sur des lignes horizontales et verticales rendant le déchiffrage du message évident. L’impressionnisme sera le premier courant influencé par l’invention de la photographie grâce à la possibilité qu’elle offre d’imaginer de nouveaux cadrages créés par des focales proches ou non de la perspective de l’œil. L’appareil photographique sera aussi essentiel pour reprendre des sujets figés dans un instant précis, conservant ainsi des actions éphémères ou des conditions atmosphériques impossibles à représenter par le biais de la peinture dans un court laps de temps. Ces principes de perspective basée sur les lignes de construction et le point de fuite unique seront trente ans après remis en question lors de l’apparition du cubisme qui transforme la vision en volumétrie concrète. La troisième dimension entre dans l’espace bidimensionnel par le biais de différents points de vue et de plans géométriques décalés. Les formes anguleuses du cubisme se
Du XVe au XIXe siècle, la composition conservera une place importante dans l’art européen, jusqu’au début du XXe siècle où elle sera progressivement remise en question avec l’apparition du concept Dada. Ce mouvement artistique formé par un groupe d’artistes anticonformistes qui vit le jour durant la Première Guerre mondiale avait pour ambition de briser les conventions imposées dans l’art et la littérature en vouant un culte à la liberté de création sous toutes ses formes. Il culminera en 1918 avec Marcel Duchamp qui, par la diffusion de ses œuvres aujourd’hui emblématiques de l’art du XXe siècle, renforcera considérablement le mouvement. Les fondements de l’esthétique formaliste, où prédominait
La femme à l’ombrelle, tournée vers la droite, Claude Monet, 1886, musée d’Orsay, Paris
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Le caravagisme aura une grande influence sur la réorganisation spatiale, réduisant la distance séparant le spectateur de la scène du tableau. P.
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Dali à Cadaques par Maurice Zalews, 1970
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exclusivement la composition, commencèrent à être mis à mal par l’importance croissante donnée à la signification pure de l’image. En effet, la prééminence de la composition comme structure de l’œuvre d’art est plus fortement liée à l’académisme du XIXe siècle et aux Beaux-arts qu’à l’art contemporain. Selon la psychologie de Gestalt, ou psychologie de la forme, développée au début du XXe siècle, le processus de perception et de représentation mentale de la composition dans les arts visuels n'est pas basé sur la somme des analyses des différents éléments de l’oeuvre, mais sur sa forme finale, le “tout" qu'offre cet ensemble structuré. Parmi les arts visuels, particulièrement en peinture, en design graphique, en photographie et en sculpture, la composition suppose la planification, la sélection, la mise en ordre des éléments dans un travail artistique. Comme l’explique Dunstan en 1979, elle contribue à une réponse de l’observateur car l’œuvre d’art se considère selon des paramètres esthétiques où les éléments d’une œuvre doivent s’ordonner de manière équilibrée et harmonieuse pour satisfaire
La composition englobe toute la création de l’image, depuis l’étude du sujet jusqu’à la sélection et l’analyse, elle se termine une fois que le regard de l’observateur se fixe sur l’image aboutie.
La composition
le regard. De nombreux artistes tels que Dali choisissent aussi de rompre ces règles de composition traditionnelles, défiant ainsi le spectateur et l’incitant à reconsidérer les notions d’équilibre et d’harmonie. Cependant, il ne faut pas oublier que la notion de composition perdure dans ses œuvres comme notion d’organisation car n’importe quelle œuvre d’art, de musique ou d’écriture, se compose par la “pensée consciente”.
DE LA PEINTURE À LA PHOTOGRAPHIE La peinture, tout comme le dessin, est une synthèse d’une image déjà vue, traduite sur la toile ou le papier. Cependant, même quand le peintre s’inspire du naturel, il peut ajouter des éléments issus de son imagination, éliminer ou remplacer des détails, voire des parties entières de la scène, choses que le photographe ne peut pas faire. Il lui est tout simplement impossible de ne pas photographier un élément d’une scène. Le procédé même de création d’une photographie l’en empêche. Cela ne peut intervenir qu’en postproduction, ce dont de nombreux photographes ne souhaitent pas entendre parler. Et si des techniques de manipulation analogique et digitale élaborées et performantes permettent aujourd’hui d’améliorer et de modifier une image, il est toujours essentiel de visualiser en amont l’image que l’on souhaite créer. La composition implique toute la création de l’image, ceci depuis la valorisation et l’étude du sujet jusqu’à la sélection et à l’analyse, et se termine seulement une fois que le regard de l’observateur se fixe sur l’image aboutie. Devant un sujet, une quantité de cadrages potentiels s’offrent à nous, l’étape de la composition se met en place par le biais d’une méthode d’analyse qui dépend des caractéristiques du sujet et qui est soumise à nos propres sentiments et motivations. L’image prise sera finalement le résultat de l’organisation des éléments dans un “tout” cohérent aux yeux du photographe. Dessiner, peindre et photographier ont certaines choses en commun. Pour chacun d’eux, l’enjeu est de restituer un moment et de le traduire en deux dimensions. Les grands maîtres de la peinture s’efforçaient de trouver l’harmonie, l’équilibre, une beauté qui puisse surpasser celle du monde réel. La photographie, dans la plupart des cas, représente, elle, le monde rée. La photographie, dans la plupart des cas, représente, elle, le monde réel. L’artiste - peintre a la liberté de changer les
© Eugene Atget/George Eastman House/Getty Images
La composition implique toute la création de l’image, et se termine seulement une fois que le regard de l’observateur se fixe sur l’image aboutie.
dimensions et les éléments de la scène en la peignant et en la traduisant harmonieusement sur la toile et il peut aussi utiliser des concepts géométriques pour organiser les éléments-clés. Une grande partie de ce procédé se base sur la connaissance des proportions classiques et l’intégration des formes basiques, triangles et cercles, dans la composition. Peindre prend plus de temps que réaliser une photographie. Les peintres travaillent dans un cadre plusieurs heures et l’image évolue durant le procédé. Pour le photographe, le moment d’appuyer sur l’obturateur est le point culminant du procédé artistique. D’autre part, le monde est en mouvement, en constant changement, et les personnes évoluent en trois dimensions. Non seulement les photographies et les toiles mettent l’horloge en “stand-by” par leur nature figée, mais elles concentrent surtout l’attention de l’observateur sur un moment qu’elles immortalisent dans une représentation bidimensionnelle spatiale. Aussi bien en photographie qu’en peinture, le dynamisme devient statique et le monde tridimensionnel apparaît en deux dimensions. L’artiste construit, travaille et retouche son image, représentation du monde réel ou fruit de son imagination, limité par un cadre. Il existe toujours la possibilité de la modifier ou de la changer. Cependant, le photographe choisit une image et l’organise dans ce cadre. Bien sûr, des procédés photographiques alternatifs et la manipulation digitale permettent de modifier l’image, mais la matière première de la photographie provient toujours de la sélection réalisée in situ. En photographie, la composition, entendue comme l’organisation harmonieuse des éléments dans une image, s’est imposée aux précurseurs comme un sujet de préoccupation majeur dès la seconde moitié du XIXe siècle. À partir de la fin des années 1880, les fers de lance du mouvement photographique pictorialiste adoptèrent rapidement
Pêche sur La Marne, Eugène Atget, 1903
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une posture selon laquelle la photographie artistique devait suivre les règles de composition de la peinture et de l’illustration. L’influence de ce courant, ayant pour figure emblématique l’illustre photographe Alfred Stieglitz, s’est ressentie tout au long du XXe siècle et reste toujours prédominante dans grand nombre de travaux des plus prestigieux photographes contemporains tels que Gregory Crewdson et Andreas Gursky. Mais la photographie n’a pas tardé à se revendiquer comme un art à part entière, dans lequel la composition ne pouvait pas rester conditionnée par des principes préétablis par la peinture. L’omniprésence de l’image photographique dans les médias et en publicité a rapidement relégué aux oubliettes grand nombre des notions historiques de cet art, tout en créant des opportunités pour que de nouveaux types de composition, souvent plus stylisés, apparaissent. Aujourd’hui, la photographie s’est démocratisée, tout le monde peut réaliser des images. Pensons au Polaroïd par exemple, et à ces instantanés qui, bien que réalisés avec beaucoup d’enthousiasme, s’affranchissaient souvent des règles de composition. Aujourd’hui, les photographes en quête de supports atypiques se sont approprié la photographie instantanée à des fins souvent créatives.
Une image sans cadrage
L’approche de la composition La photographie ne consiste pas seulement à représenter ou à traduire une réalité par une image. Le photographe sélectionne une “partie” du monde réel qu’il capture. De ce fait, la composition aide à construire avec ce que l’on a devant soi, à la lumière de notre sensibilité, de notre imagination, des idées et des sensations. Bien que les photographes ne se rejoignent pas sur toutes les règles classiques de la composition et essaient souvent de s’en détacher, la communauté s’accorde en général sur le fait que la composition est
© Ernst Haas / Getty Images
Si quelqu’un souhaite faire une photographie, il emporte son appareil. Ce qui captera son attention dépendra exclusivement des raisons pour lesquelles il l’a pris. S’il se limite à rechercher le simple
registre visuel d’un sujet, il “dégainera” son appareil et appuiera sur le déclencheur sans donner d’importance au cadrage. Les images réalisées de cette manière ont tendance à être décevantes, car elles nécessitent une explication pour l’œil extérieur qui les regarde. Ce qui ne fonctionne pas dans ce procédé est que l’appareil a simplement été utilisé pour figer. Or la photographie a été prise pour tenter de capter une pensée ou une émotion provoquée par une scène ou un événement. L’image capturée ainsi sauvagement n’est pas organisée, ni structurée. À moins que le sujet, par la force ou l’émotion qu’il dégage, ait un impact tel qu’il prédomine sur tout autre élément de l’image, la signification de celle-ci ne sera sûrement pas claire. On a besoin de beaucoup plus que d’une coïncidence pour réaliser une bonne photographie et il est rare qu’une composition claire qui accompagne et rend le message intelligible apparaisse par accident.
Route 66, Albuqueque, New Mexico, USA, Ernst Haas, 1969
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La composition
© Willy Ronis / Diffusion Agence RAPHO
Nu provençal, Willy Ronis, 1948
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Abasto, Buenos Aires, Nicolas Savine, 2008.
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un élément-clé pour organiser l’espace et renforcer l’impact visuel d’une image. La technique photographique et l’approche de la lumière sont certes complexes, mais, une fois assimilées, leur application devient une méthode au résultat prévisible. La composition, quant à elle, est soumise aux goûts de chacun. C’est un sujet délicat, particulièrement pour ceux qui commencent à explorer la photographie et qui n’ont aucune notion des arts visuels. La maîtrise de la lumière, le choix
d’un format photographique et des objectifs sont des notions qu’il faut assimiler, aussi bien dans le domaine de l’électronique, de la physique, de l’optique et même de la chimie qu’en photographie analogique. En composition, cela s’avère impossible, car elle se résume à un ensemble de conseils qui, même s’ils sont intéressants à prendre en compte, doivent nous inviter à les transgresser. En photographie contemporaine, nombreux sont les pontes de la profession à affirmer que la première règle en composition est qu’il
La composition
L’apprentissage de la photographie est similaire à l’apprentissage d’une langue. Maîtriser la composition, c’est dominer ce langage. Et c’est là l’objectif du photographe. Conclusion
n’y a pas de règles. Pour créer une image forte, on ne peut pas utiliser une liste d’instructions, c’est un processus global. Pour ma part, je pense que comprendre la grande différence entre notre propre vision et celle de l’appareil photographique est une des clés de la réussite. En effet, le cerveau traite de façon active et constante l’information reçue de nos yeux, éliminant, lissant les détails inutiles que la vision passive de l’appareil capte, quant à elle, de la même manière que le reste de la scène.
Si la composition est un procédé structuré, qui devient fluide avec la pratique et finit par s’appliquer de façon naturelle, elle doit s’alimenter d’émotions, car sans elles on peut seulement réussir des clichés agréables et superficiels, sans véritable sens. Observer les images des grands photographes et analyser la manière dont ils utilisent les éléments de la composition peuvent être très utiles. Mais c’est surtout par la pratique que l’on façonnera son propre regard et que l’on affinera la composition pour la mettre au service de notre créativité. Pour que la composition devienne l’expression de notre personnalité, il faudra toutefois apprendre à l’appliquer sans pour autant laisser ces règles devenir une entrave conditionnant notre regard. En persévérant dans l’analyse de chaque opportunité photographique, dans l’identification des éléments formels et en élaborant chaque image selon nos intentions et le sens recherché, le processus finira par devenir automatique. Le photographe commencera à travailler de manière intuitive et à répondre aux enjeux de la composition de manière plus immédiate et plus adéquate. Un calligraphe, par exemple, consacre du temps à se préparer luimême et à sélectionner son matériel avant de tracer un caractère. La composition photographique, dès que la situation le permet, devrait aussi suivre ce processus de contemplation avant l’exécution. Avant de composer une image, il sera toujours nécessaire de structurer ses propres pensées, de prendre un moment pour réfléchir sur le sujet et être réceptif aux émotions qu’il provoque. Dans le même sens, tant que l’inspiration primera sur la technique et que l’on se centrera sur le sens même du contenu, cela aura toujours un effet positif et répondra au pourquoi de notre composition. Finalement, quelle est l’intention d’une photographie ? Nous faisons des photographies pour partager des expériences, montrer des choses qui ne sont pas perceptibles d’une autre manière, pour nous exprimer sur ce qui nous entoure ou nous dévoiler. L’image nous sert quand les mots ne suffisent pas. L’apprentissage de la photographie est donc similaire à l’apprentissage d’une langue. Bien maîtrisée, nous pouvons la pratiquer sans y penser. Maîtriser la composition, c’est dominer ce langage. Et c’est là l’objectif du photographe. P.
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