// Introduction I la lumère
ET LA LUMIÈRE FUT La lumière. Les photographes lui vouent une grande partie de leur existence. Ils jouent avec elle, à la recherche des meilleurs moments et techniques pour en tirer profit, afin qu'elle dévoile ce que les mots ne peuvent exprimer. Par Rodrigo Llauro et Nicolas Savine
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a lumière est l'un des outils essentiels du photographe, voire le principal. Sans lumière, pas d'ombres, pas d'images. La lumière dessine les textures, les formes, crée les atmosphères et les espaces. Essentielle à la vie des couleurs, elle est tout aussi déterminante en photographie monochrome où le regard se focalise sur les formes, les volumes et les textures en gammes de gris.
Lors de son apparition au milieu du XIXe siècle, la photographie n'est qu'un moyen de reproduction mécanique le plus précis et fidèle possible de la réalité. Les contraintes technologiques dépassées, elle prend sa fonction dans la société comme un outil principalement utilisé par les gouvernements, les administrations et les peintres portraitistes reconvertis. Rapidement, aussi bien les photographes que les observateurs commencent à apprécier le pouvoir visuel et le potentiel artistique du médium. Ainsi, soixante-dix ans après que Joseph Nicéphore Niepce fixa la première image, le photographe et curateur américain Alfred Stieglitz dédiera une grande partie de ses efforts à donner ses lettres de noblesse à la photographie noir et blanc, à en faire une forme d'art à part entière au même titre que la peinture et la musique. Au tournant du XXe siècle, la photographie devient l’art de la maîtrise de la lumière. La galerie new-yorkaise de Stieglitz et sa revue novatrice Camera work offrent un espace et la stimulation nécessaires pour l'exploration artistique du médium dans la ville. Beaucoup d'innovations voient le jour, notamment l'usage de différentes distorsions visuelles de manière délibérée, comme l'application de gélatine sur l'optique ou l'expérimentation photographique en conditions climatiques défavorables, par exemple la brume ou la pluie. Stieglitz et les adeptes du Pictorialisme commencent à manipuler le rendu de leurs images pour offrir de nouvelles atmosphères lumineuses marquées par une esthétique comparable aux peintures impressionnistes de l'époque. Grâce aux efforts et à la créativité de ces artistes, la photographie se libère de son entrave réaliste et des images novatrices et oniriques témoignant de l’importance grandissante donnée à la maîtrise de la lumière, et la création à partir de celle-ci, commencent à apparaître.
Les maîtres de la lumière La photographie contemporaine, tout comme le cinéma, ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui sans des références comme "The pond, Moonlight" réalisée en 1904 par Edward Steichen ou Spring Showers de Stieglitz lui-même. La sensibilité de ces grands photographes se retrouvera en France trois décennies plus tard dans le travail de Brassaï qui tirera profit des lumières artificielles des climats nocturnes et embrumés de Paris pour créer des clichés emblématiques chargés de mystère et de sensualité. P.
© Art Institute of Chicago, ADAGP, Paris 2004
De l'outil à l'art
Spring Showers, Alfred Stieglitz, 1900-1901
En observant par exemple sa photographie Couple d'amoureux sous un réverbère de 1931, l'on peut apprécier la façon dont la lumière en contre-jour dessine les corps de deux amants en pleine rue. Elle, la figure baignée dans la lumière du réverbère le regarde fixement et c’est cette même lumière qui se reflète sur son visage comme sur un miroir pour illuminer l’homme. Les paysages urbains de Brassaï nous font découvrir un Paris romantique, bohème, secret et chargé d'histoire. Pour la plupart, la réussite de ces clichés, leur dimension poétique novatrice pour l'époque est simplement due à une grande maîtrise de la lumière nocturne, combinée à des conditions atmosphériques particulières comme le brouillard ou la rosée matinale.
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