ALAIN HUCK
Makay, une marche au bord du monde
MAKAY, UNE MARCHE AU BORD DU MONDE
ISBN 979-10-90721-14-2 © no comment® éditions, février 2017 2, rue Ratianarivo – Antananarivo 101 – Madagascar www.nocomment-editions.com
AlAin Huck
Makay, une marche au bord du monde
À Chantal, Emelyne et William, mes âmes damnées, qui ont su me parler de Dieu, d’amour, de diables, d’éléphants et de choses comme ça.
À Ernest Randrianaivo pour ces dix belles années de marche et de partage à Madagascar. À Gaston « le Pisteur du Makay », Tsimiveha le Vieux, Leki le Taciturne, Tahina le Jeune. À Fred, parti sans prévenir pour un autre monde, après toutes ces longues marches partagées. À David Chantoiseau, qui a réussi à me faire passer de l’âge des cavernes, l’argentique, à celui du numérique. À Thierry Damico : les images ont besoin d’un œil étranger.
L’horizon s’obscurcit. Des vagues stridulantes de criquets atterrissent tandis que l’arrière-garde les dépasse pour se poser un peu plus loin. Une tactique infaillible, incompréhensible, ordonne avec perfection ce mouvement de conquête. Nous chalutons quelques kilos de cette manne. Ces criquets nous nourrissent pendant plusieurs jours. Nous arrivons à Beronono la nuit déjà bien installée. Partout, des feux de brousse allumés par la population illuminent le ciel. Bien au-dessus, la voie lactée scintille. Lumière chaude contre lumière froide. Ces protections ne sont cependant pas suffisantes et de nombreuses cultures ont souffert de ces invasions.
9
Nous pénétrons dans le Makay intérieur, ce coffrefort de grès, veillant sur les battements cardiaques d’une nature fabuleuse. Nous traversons le blindage, nous faufilant à travers pênes, clavettes, roulements et autres pièges de ce verrou minéral. Nous atteignons l’essentiel : l’eau. Paul, notre pisteur qui remplace son frère Gaston durant les quatre premiers jours, est un être complexe. Son effacement, peut-être volontaire, permet un contact plus spontané avec la nature.
11
À mesure que nous gagnons en altitude, le niveau de l’eau baisse, jusqu’à s’évanouir. Elle reste présente sous le sable, mais invisible, glissant sur un lit de grès pentu à cinq ou six mètres de profondeur. Le soleil, bas sur l’horizon, crée des ombres longues et sombres. Le sable, d’un blanc éclatant, est très chaud, très abrasif. Il est jonché sur plusieurs kilomètres de cadavres de sauterelles, mortes là, après avoir enfanté. Volontairement, je laisse les autres prendre le large. Paul traînaille. Je me laisse distancer et peux enfin profiter de mon isolement.
12
Jezy, perdu dans ses pensées, s’isole fréquemment. Lorsque le paysage est plat, son corps l’est aussi. Courbe, il en épouse les formes ; vertical, il se redresse. Minéralement, il est proche de tout ce qui nous entoure. C’est un être tout en intérieur. Il est l’exemple parfait de la mutation qu’on peut imposer inconsciemment à notre personnalité en fonction de notre environnement.
13
La forêt de Behetaheta est la seule forêt sèche du massif du Makay. Elle est petite et son isolement la protège. Perché au sommet de la butte de Tsitondroy, je pense aux îles hautes de Polynésie et du Cap Vert. Elles ne sont jamais trop vastes et permettent ainsi, au prix d’un petit effort, d’embrasser jusqu’à l’horizon une vaste houle, parfois d’eau, parfois de montagnes. Le sentiment de découverte y est grand. Seuls les lieux exceptionnels peuvent susciter cette émotion. Bien raconter le Makay est une tâche vaine. Ce lieu est autant une vision qu’une réalité. Matérialiser notre marche sur une carte n’a pas réellement de sens. L’esprit se démagnétise et se met en situation d’embardée. C’est comme ça.
14