HANTISE Par Nolween Eawy CHAPITRE 1 Un craquement sourd indéfinissable. Des plaintes étouffées, à peine audibles. Peut-être estce un de ces fichus chats qui doit encore rôder dans le coin prêt à en découdre avec ma poubelle. Peut-être est-ce tout simplement moi qui imagine ces bruits qui n’existent pas. Je reste figé sous mes draps, écoutant attentivement, les bruits environnants. Cette maison est incapable de se taire. Les lattes de bois grincent, les canalisations déversent inlassablement une eau qui ne tarit jamais, les appareils électroménagers font un concert de tous les diables une fois la nuit tombée. Sans parler des portes qui claquent ou se retrouvent ouvertes, alors que je me rappelle bien les avoir toutes fermées. Encore ce craquement, je tends l’oreille. Peut-être que cela provient des combles ? Avec la chaleur estivale qui s’accumule là haut, le bois se détend en fin de journée. Des pleurs maintenant… ou autre chose. Tous ces bruits se mélangent et s’interprètent selon le degré de son angoisse et de ses peurs. Je tends la main lentement vers la lampe de chevet et l’allume. Un martèlement maintenant. On dirait des petits coups réguliers contre un mur. Je me souviens avoir programmé une lessive, peut-être est-ce le moment de l’essorage ? Cette fichu machine à laver fait un bruit à réveiller les morts en s’agitant dans tous les sens, se cognant inlassablement contre le mur et le lave vaisselle, comme possédée par une âme maléfique. Une fois je l’ai même retrouvée hors de son emplacement. Comme si elle avait tenté de fuir hors de cette cuisine pour voguer vers un monde meilleur. Un monde où elle aurait un destin plus somptueux et serait autre chose qu’une simple machine à laver mes caleçons sales et mes chemises toujours tâchées par une nourriture malsaine. A quoi peut bien penser une machine à laver enfermée pendant des années dans le même lieu, à répéter les mêmes gestes invariablement, avalant la même poudre à lessive inefficace mais bon marché, lavant les mêmes vêtements usés par le temps et à devenir invisible et inutile une fois sa tâche terminée ? Peut-être rêve t-elle d’évasion ? Ou peut-être a-t-elle de plus sombres pensées ? Comme ce jour où j’avais retrouvé mon chat enfermé et terrifié dans le tambour de celle-ci. Ce chat était bien trop craintif pour s’y être aventuré de lui-même. De plus, le battant s’était refermé et le système de fermeture verrouillé. Qu’avait en tête cette machine de l’enfer ? Que serait-il arrivé si je n’avais pas voulu faire une lessive ce jour la ?
Ce maudit chat, qui a disparu depuis, ne saura jamais que j’ai sauvé sa misérable vie des griffes de cette maudite machine. Ce chat avait toujours été ingrat et asocial de toute façon, sa disparition ne m’a pas attristé. Peut-être que la machine à laver avait finit par l’avoir. Qui sait ? Elle avait du prendre goût au meurtre et au sang et martelait sa fureur contre les murs. Peut-être même cherche t-elle à se venger de moi maintenant ? Moi qui n’ai jamais été digne d’elle. Je sais qu’elle aurait préférée laver des sous-vêtements en dentelle appartenant à une jolie brune du nom de Chelsea ou de Déborah. Que j’utilise de la lessive à PH neutre réservé aux peaux sensible des bébés. Elle aurait voulu laver de la layette rose ou bleu et des peluches toutes baveuses. Je sais qu’elle aurait préférée laver des costards cravates à 400 euros minimum. Je suppose que cette saleté aurait voulu une buanderie, une pièce qui lui serait réservée. Plutôt qu’être claquemuré dans une cuisine miteuse aux appareils d’occasion et au mobilier d’un autre temps. Peut-être même que cette coquine aurait voulu que je fasse des parties de jambes en l’air sur son capot et que la jolie brune qui encerclerait mes hanches atteindrait l’extase quand elle passerait en mode essorage. Personne ne saurait jamais si ces cris de plaisir étaient dus à mes coups de hanches minutieusement calculés ou aux vibrations vicieuses de cette garce. Les martèlements recommencent de plus belle. Je n’ai plus sommeil, je me retrouve dans une conversation silencieuse entre moi et ma grande amie qui fait partie de ma triste vie depuis si longtemps.
CHAPITRE 2 Je me rappelle ce jour, où nous avons eu le coup de foudre, l’un pour l’autre. C’était il y’a moins d’un an. Je feuilletais les petites annonces à la recherche de bonnes affaires pour meubler cette petite maison que j’avais retapé moi-même, mais qui s’obstinait à rester sinistre. J’avais entouré cette petite annonce au sujet d’une machine à laver toute neuve revendue à la moitié de son prix. Je ne sais pas pourquoi je ne m’étais pas méfié. J’aurais dû pourtant. Pourquoi cette personne voudrait revendre subitement une machine à laver toute neuve ? Que cachait cette petite annonce ? J’avais stupidement composé le numéro de téléphone indiqué et une douce voix sulfureuse, digne d’une pute transsexuelle des téléphones rose surtaxés, me répondit un peu trop chaleureusement. J’aurais dû sentir le piège … mais j’étais trop innocent et crédule. Deux jours plus tard, je me rendis dans l’appartement de celle qui voulait revendre sa « machine à laver toute neuve à moitié prix ». Elle n’avait rien d’un transsexuel, ou alors la transformation était bluffante. Mais sa voix rauque témoignait d’une trop grande accoutumance aux cigarettes. C’était une magnifique brune aux yeux verts, elle avait des
allures de « pétasses intouchables » que l’on voyait dans les magazines pour vieux pervers. Le genre de fille sur lequel on fantasme, mais qu’on n’aura jamais. Elles nous autorisent juste à nous exciter sur leurs images, giclant comme des idiots sur le papier glacé, nous imaginant que notre semence avait atterri sur leurs visages et qu’elles en redemandaient. Une fois le magazine refermé, on se rendait compte de la triste illusion. Mais cette fille était bien réelle et me faisant un large sourire du genre « es-tu digne de ma machine à laver ? Je tiens à m’en assurer ! ». Celle qui avait une tête à s’appeler Chelsea ou Déborah mais s’appelait en fait Marie m’avait pris la main, comme si elle me connaissait depuis toujours, et ne cessait de parler. Je crois qu’elle vantait les mérites « de sa superbe machine à laver toute neuve vendu moitié prix ». Puis, elle s’était décidée à me montrer enfin sa septième merveille du monde. C’était une machine à laver de couleur rose bonbon, rien que la couleur aurait fait fuir n’importe quel homme. Contrairement à la majorité des machines à laver qui comportaient une multitude de boutons incohérents, celle-ci n’en avait que deux. Un bouton pour les différents types de tissu et un bouton arrêt/marche. Rien de plus. Une vraie machine à laver de pétasse faussement brune, mais blonde à l’intérieur, qui ne serait pas capable d’en comprendre plus. J’aurais juré que cette machine implorait mon aide, pour la sortir des griffes de cette brune trop belle pour être honnête. Je me surpris à l’aimer cette « machine toute neuve vendu à moitié prix », qui était d’une couleur indigne de ma cuisine et d’utilisation trop simpliste et donc forcément au fonctionnement inefficace. « Je la prends » m’entendis-je dire. La jolie brune qui aurait du s’appeler Chelsea ou Déborah mais s’appelait en fait Marie, m’avait sauté au cou et avait posé une bise interminable sur ma joue. Elle m’avait invité à manger son superbe « riz au saumon inimitable » pour me remercier. Elle parlait pendant des heures pour me dire qu’elle devait déménager dans quelques temps et qu’elle devait vendre tout ce qu’elle ne pouvait pas emmener. Tout ça en croisant et en décroisant sans cesse les cuisses, comme une chatte en chaleur, me dévisageant avec un air de « prendsmoi sur cette machine à laver », passant son doigt sur ses lèvres trop humides et pulpeuses pour que ce soit naturel. Les femmes sont toutes des salopes assoiffées de sexe. Les hommes ont été jetés sur terre uniquement pour réussir à contenter leurs appétits sans égal. Notre existence se résume ainsi : leur plaire à tout prix, se battre comme des charognes entre nous pour obtenir leurs faveurs, tenter de se modeler à leurs exigences lubriques, et accepter d’être jeté quand on a trop servi. Je ne serais jamais ce genre d’hommes. Les femmes sont des garces à abattre pour le bien de l’humanité. Je devais sortir cette machine à laver dans cette atmosphère grotesque et ce décor fashion rose bonbon.
Bien entendu, j’avais du donner de ma personne et servir de vibromasseur aux piles alcaline -qui ne s’épuise jamais comme dit la publicité- pour obtenir une ristourne supplémentaire. La machine à laver atterrit dans ma cuisine et garda sa couleur rose bonbon qui dépareillait avec tout le reste. Quand à Chelsea/Déborah qui s’appelait Marie je n’ai plus jamais eu de ces nouvelles. Enfin jusqu’au jour, où je tombai par hasard sur un article de journal qui annonçait sa disparition comme six autres jeunes filles de la région. Un suspect avait été arrêté et semblait être le coupable idéal. Nous vivons dans un monde dangereux où personne n’est à l’abri d’un malheur. Les êtres humains jouent tous un rôle, on ne sait jamais qui on a réellement en face de soi. Derrière les masques souriants et les poignées de main chaleureuses se cachent parfois des choses bien plus sombres et dangereuses. Même les machines à laver semblent avoir des états d’âme et des pensées malsaines. Comme ce jour où je m’étais coincé les doigts dans le battant, jusqu'à pisser le sang et hurler comme un chat qu’on égorge. J’étais convaincu qu’elle avait voulu se venger de moi car je n’étais pas celui qu’elle aurait voulu que je sois. Un mari aimant, une petite famille bien sous tout rapport, deux enfants, un chien et le 4X4 dernier cri dans le garage faisant face à la piscine. Un homme qui pourrait être fier de sa réussite et de sa brillante carrière. Pourrait se vanter d’être en plus un père parfait et un amant enviable. Je n’étais rien de tout ça. Juste un pauvre type bon à rien, même pas capable de donner fière allure à cette maison. Elle avait cherché à se venger de moi, parce que je l’avais déçue. Elle avait mis sa vie entre les mains d’un incapable, même pas fichu de lui fournir une poudre à lessive efficace. Un raté, voila ce que chacun de ses essorages me renvoyait au visage. Chacun de ses martèlements contre le mur, ses gargouillements infâmes, son mode rinçage similaire à des cris d’agonie n’avait que l’unique but de me rappeler l’inutilité de ma vie. La maison n’était plus qu’une usine à vacarme. Des craquements, des volets qui claquent, des bruits d’eau dans les canalisations prêts à rendre l’âme, des bruits de pas de fantômes errants, des grincements des poutres en bois qui menaçaient de s’effondrer d’un instant à l’autre. Et ce bruit pire que les autres … celui de la machine à laver qui devait s’appliquer à faire déteindre tout mon linge dans le seul but de se venger de moi. Elle préparait bien pire encore, j’en suis convaincu. J’entends déjà le bruit de l’eau qui gicle à terre. Cette garce a dû ouvrir son battant pour inonder la cuisine et m’obliger à tout nettoyer pendant des heures. Ou peut-être est-ce encore mon imagination?
CHAPITRE 3 Je n’ai plus sommeil depuis longtemps, il faut que j’aille faire taire cette satanée machine ! Je sors de mon lit encore un peu groggy par toutes ces pensées qui m’assaillent, et me dirige vers la cuisine. J’allume l’interrupteur, bien déterminé à avoir le dernier mot et lui faire passer l’envie de se moquer de moi. Qu’elle ne fut pas ma surprise en retrouvant le carrelage de la cuisine inondé par une tonne de flotte. Elle avait donc mis son plan à exécution, elle m’avait déclaré une guerre sans merci. Je m’avance sentant la rage m’envahir, elle me le paiera. Elle devrait se méfier de moi, sa vie ne tient qu’à un simple bouton « off ». Elle se sait vulnérable, elle ne se laissera pas éteindre aussi facilement. Elle a tout manigancé et moi je n’y ai vu que du feu, persuadé de ma supériorité. Ma vie aussi ne tenait qu’à peu de chose et elle le savait. J’aurais du me méfier car elle se laissait approcher trop facilement. Son plan démoniaque était déjà en place. Je fomentais déjà dans ma tête de quelle façon j’allais l’abattre une fois son « âme » éteinte, je me délecterais de la découper sans merci à la hache. Hélas, rien de tout cela n’arrivera, cette traînée a su endormir ma méfiance. Alors que je posais un doigt triomphant sur le bouton « off » m’attendant à l’entendre rendre son dernier soupir. Elle continua de plus belle à faire tourner son tambour, éjectant mon linge déteint comme je l’avais prévu en faisant gicler l’eau de plus belle sur le sol. Elle s’accroche à la vie, mais je n’ai pas dit mon dernier mot. Je la tire vers moi pour la faire sortir de son emplacement, et glisse mes doigts à l’arrière pour débrancher la prise qui mettrait enfin un terme à ses ignobles agissements. J’aurais juré l’entendre rire, pendant que je recevais une décharge électrique fatale, qui me plaqua au sol et fit cesser les battements de mon cœur. Cette traînée avait tout prévu … une prise électrique, un branchement défectueux, des mains humides et j’étais fait comme un rat. J’aurais juré l’avoir entendu rire. On finit par trouver mon corps deux semaines plus tard. Ma voisine commençait à s’inquiéter de ne plus me croiser. Elle avait finit par venir frapper à ma porte à maintes reprises. Au bout de quelques jours, elle finit par appeler les autorités qui pour faire bonne figure, décidèrent d’enfoncer la porte. Mon cadavre gisait piteusement dans l’eau sale et savonneuse. La machine à laver trônait victorieusement à mes côtés. Elle avait certes rendu l’âme elle aussi, mais m’avait entraîné dans son sacrifice. Stupide accident, décrétèrent ces idiots. Quelle ne fut pas leur surprise, quand intrigués par des craquements et des bruits indéfinissables provenant de la cave, ils tombèrent nez à nez sur Chelsea/Déborah qui s’appelait Marie. La pauvre était déshydratée, affamée, terrorisée et n’avait cessé d’appeler à l’aide pendant des jours entiers. Elle était attachée à une poutre en bois et baignait dans ses excréments. Evidemment mort sur le carrelage depuis deux semaines j’avais omis de la
nourrir un minimum, elle avait du boire l’eau de pluie qui filtrait pour survivre … ce n’étais quand même pas de ma faute ! Si j’avais été en vie elle serait morte dans des conditions plus dignes. Je ne suis pas un monstre tout de même… ou peut-être que si. Mais en avais-je seulement conscience ? Ma rationalité et mon sens des réalités avaient déserté depuis longtemps. Ils découvrirent quelques cadavres et ossements et il s’est avéré plus tard que les six disparues avaient trouvé refuge comme par magie dans ma cave. Chelsea/Déborah qui s’appelait Marie aurait subi le même sort et les mêmes tortures ignobles si je n’avais pas été malencontreusement gêné dans mes projets par cette satanée machine de l’enfer. J’aurais juré l’avoir entendu rire….. FIN