EXPOSITION RÉTROSPECTIVE DU 11 AU 25 SEPTEMBRE 2010 RETROSPECTIVE EXHIBITION FROM SEPTEMBER 11 TO SEPTEMBER 25, 2010
Présenté par / Presented by
AVANT-PROPOS Dans le cadre de notre traditionnelle rétrospective annuelle d’un artiste Canadien renommé, nous sommes fiers cette année de présenter les œuvres de Paul-Émile Borduas. Notre choix, dicté par des raisons évidentes telles que le talent prodigieux de l’artiste, sa vision unique ainsi que son importance historique, s’impose de lui-même en cette année 2010 qui fête le 50e anniversaire du décès de Borduas à Paris à l’âge de 55 ans.
FOREWORD
Cette année encore, c’est l’extraordinaire générosité d’amis et de clients de la galerie qui nous permet de tenir une telle exposition. Plusieurs œuvres de Borduas, de qualité muséale et rarement ou jamais publiquement exposées, nous ont été prêtées avec enthousiasme, nous permettant ainsi de montrer un portrait intime et fascinant du parcours de l’artiste de 1939 à 1958.
We have chosen Borduas for many obvious reasons; his prodigious talent, his unique vision, his historical importance, but mainly this show is a tribute to this innovative artist on the 50th anniversary of his death at the age of fifty five.
Avec plus de vingt fascinantes peintures composant cette exposition, nous espérons célébrer avec vous les créations originales et inspirantes de Paul-Émile Borduas. Nos sincères remerciements à ceux et celles qui partagent leurs peintures avec nous tous ainsi qu’aux personnes qui se sont impliquées dans cet hommage à un artiste d’exception.
Continuing our yearly tradition of presenting a retrospective show of an important Canadian artist, this year is no exception as we proudly showcase the works of Paul-Emile Borduas.
As always, it is the extraordinary generosity of friends and clients that allows a unique show like this to take place. Many museum quality works by Borduas that have never been publicly exhibited have been enthusiastically loaned to us, allowing us to put together an intimate and fascinating portrait of Borduas’ artistic journey from 1939 to 1958. With over twenty striking paintings making up this show, we hope to celebrate with you the distinctive, awe inspiring creations of Paul-Emile Borduas. Many thanks to those who kindly share their paintings with all of us, and to all of those involved in putting together this tribute show.
Jean-Pierre Valentin
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Sans titre 1953 Huile, 50 cm x 40 cm Collection privĂŠe
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Borduas : un parcours aux accents de liberté Par René Viau Deux projecteurs de fortune éclairent le coin de la table où des tubes de couleurs sont écrasés. Au mur, des tableaux sont adossés. En noir et blanc, deux toiles aux motifs dansants font face à l’appareil photo de Janine Niepce. À côté, un chevalet maculé encadre la dernière œuvre de PaulÉmile Borduas. Presque entièrement couverte de noir, Composition 69 (titre de l’œuvre), nous communiquerait pour peu un vertige prémonitoire. Parce qu’elle était justement posée là, à l’atelier parisien de la rue Rousselet, lors de la visite de la photographe peu après la mort du peintre d’une crise cardiaque le 22 février 1960, cette dernière toile, maçonnée de plans sombres, a pris valeur de linceul.
Couverture du catalogue de l’exposition Borduas du 22 décembre 1960 au 30 janvier 1961- Stedelijk Museum, Amterdam
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Cette photo de Jeannine Niepce, sa voisine et petite fille de Joseph Nicéphore Niepce, illustre la jaquette du catalogue de l’exposition Borduas qui a eu lieu du 22 décembre 1960 au 30 janvier 1961 au Stedelijk Museum d’Amsterdam. En deçà de cet « amas des illusions » dont parle Borduas en avant-propos de ce même catalogue d’Amsterdam, ce dernier tableau si dépouillé marque sur un mode dramatique le testament pictural d’une trajectoire de plus en plus ascétique. Où serait-il allé après cela, se demande-t-on encore aujourd’hui ?
Un parcours intimiste
En moins de 20 ans, Borduas a fait transiter l’art canadien du régionalisme provincial à une situation internationale dont il se situe à la pointe. Son évolution personnelle lui fait envisager plusieurs phases successives: la rupture avec la figuration via l’automatisme ; puis l’approfondissement new yorkais (1953-1955) ; enfin, le questionnement
des concepts fondamentaux de sa peinture à Paris (1955 à 1960). Par ces toiles toutes choisies au sein de collections privées, et donc rarement exposées dans les musées, cette exposition tente à sa façon d’évoquer en quelques balises cette trajectoire fiévreuse. Ici l’aventure picturale de Borduas nous est communiquée sur un mode intimiste avec des œuvres quelquefois connues et d’autres qui n’ont pas été souvent vues ailleurs. Si la période parisienne est assez bien représentée, l’accrochage permet d’en apprécier l’apport à la lumière des périodes antérieures et ce, jusqu’à ces petites scènes montréalaises brossées en 1939. Accueillant le visiteur, celles-ci agissent dans le parcours comme les dernières ponctuations figuratives avant la rupture abstraite. Borduas, dès le début des années 40, veut concevoir une peinture en prise directe avec l’inconscient. Il le fait en assumant une situation historique et sociologique douloureuse qui est celle du Québec d’alors. Aucune œuvre artistique, prévient François-Marc Gagnon en ouverture au catalogue de l’exposition de 1988 au Musée des beaux-arts de Montréal, ne s’est élaborée dans le vide. Celle de Borduas moins que toute autre. L’impact est radical. À l’audace de ces dernières œuvres où Borduas renouvelle son style, s’ajoute l’aura du héros culturel canonisé par son retranchement sans concession d’un « Canada français » traditionaliste qui l’a rejeté. Cette mort en solitaire dans l’éloignement de son pays, en quête d’oxygène et de stimulation intellectuelle à Paris, fait image. Avec elle culmine une hagiographie qui drape Borduas en victime de l’intolérance et de la chasse aux sorcières.
Les noirs et blancs parisiens « Ma peinture devient de plus sévère. Noir et blanc simplifié : je n’y peux rien. C’est ma fatalité », écrit Borduas à Agnès Lefort en janvier 1960.
« Ardente » 1957, huile 100 cm x 81 cm Collection privée
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« Musique acidulée » 1955, huile 51 cm x 61 cm Collection privée
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Dans ses dernières œuvres, quelquefois tempérées au gris ou affleurées d’autres valeurs colorées, le blanc et les surfaces sombres maçonnées en bloc et découpées à la dérive semblent s’engoncer solidement ou flotter avec précarité. Cet univers plastique « réversible » est tantôt opaque et transparent, lisse ou rugueux, mat ou scintillant. Il se fait à la fois mur et ouverture. Les toiles s’associent tout autant à une fixité lancinante qu’à un improbable surgissement. Borduas explore cette tension entre structure et geste. Le critique d’art français Charles Delloye fut la cheville ouvrière de cette reconnaissance européenne - que la mort interrompt - par un musée dont le dynamisme est alors reconnu de tous à l’échelle internationale. « Borduas questionne l’ensemble du monde de la peinture et de sa création : forme, sens, écriture, acte fondateur », écrit Delloye dans ce même catalogue d’Amsterdam. Borduas cherche à atteindre l’essence même de l’art. Se risquant jusqu’au monochrome, il repousse les limites de la peinture. Peintre avant tout, il ne cesse toutefois d’exalter sa matérialité. Ses surfaces s’entrechoquent, se collent ou se décollent par couches et par juxtapositions. Paris est alors subjuguée par les excentriques monochromes d’Yves Klein ou les toiles lacérées de l’italien Fontana avec lequel Borduas se lie. Il se confie alors à l’artiste italien dans une conversation dont Delloye est témoin affirmant qu’il lui est aussi « dur » que « nécessaire » d’aller « au-delà du rien ». En même temps, ces toiles en noir et blanc, cosmiques comme il les désignait, transcrivent le désarroi existentiel d’une époque s’angoissant de la menace atomique. En octobre 1958, Borduas écrit à sa galeriste Martha Jackson à New York. « Une nouvelle vague s’amorce, plus sévère, plus mystérieuse, en expectation. Plus rien ne subsiste du tachisme, de l’Action Painting pour moi. » Exposée à l’occasion de Borduas et les automatistes au Grand Palais à Paris en 1971 mais présentée dans le catalogue sous une date erronée, Baiser insolite (1958) fait se frôler des plans horizontaux et verticaux. Dans Boucles perdues (1957-1958), le noir jouxte les taches marron. Exit peu à peu la tentation de la couleur, en bleu clair et rouge qui transparaît pour Ardente (1957). Cette toile avait été retenue par Martha Jackson à l’atelier de Paris en 1958. Par la suite, ce tableau a été exposé au Musée des beaux-arts de Montréal en janvier-février 1962 de même qu’à travers le
Canada à l’occasion de la première rétrospective posthume au pays de Borduas. Borduas se frotte depuis septembre 1955 au milieu parisien. Ses toiles en s’épurant sont souvent constituées d’une trame à volée traversée en croix d’un contrepoint. Elles amorcent une rupture avec le lyrisme des œuvres antérieures. À New York où il s’établit de 1953 à 1955, sa peinture alors suscite l’admiration de Franz Kline. La confrontation avec la peinture américaine sera un choc. Les peintures immergées de blanc voient l’élan du geste se fusionner en de multiples îlots, fragments ou nuances de gris, de beige, de rouge sur la surface raclée d’un seul venant et rendue ainsi homogène. À travers les blancs cassés et neigeux, les coups de spatule défragmentent la surface auparavant allergique au « all over ». C’est à New York que sont peints Musique acidulée (1955) et La Danse et le glacier (1953). Ce tableau faisait partie de l’exposition du mouvement automatiste du Varley Art Center l’an dernier en banlieue de Toronto et du Albright-Knox Gallery de Buffalo au printemps dernier. À New York, Borduas exécute une centaine de gouaches et d’aquarelles. Cette technique ne se retrouve guère dans la production parisienne. Ces œuvres sur papier seraient peut-être pour Borduas une façon d’explorer et de définir des orientations à parachever dans la peinture.
L’épopée automatiste Dans une lettre à Claude Gauvreau, Borduas écrit en 1957 « Le Surréalisme, l’automatisme ont pour moi un sens historique précis. J’en suis maintenant très loin, ils furent des étapes que j’ai dû franchir. En expectation qualifierait mieux l’état présent. » L’automatisme aura été pour Borduas une façon d’évacuer les conventions picturales . Le mouvement s’initie avec l’exposition de ses gouaches à l’Ermitage en 1942 pour s’étioler avec La matière chante - son chant du cygne - à la galerie Antoine en 1954. Avec ses proclamations incantatoires, ce texte fondateur qu’est Refus global écrit par Borduas en 1948, en constitue paradoxalement la conclusion à venir. Lié à l’inconscient, le geste dynamite une chape de plomb paralysante. S’abandonnant à l’accident, recourant à la sensation brute, les peintres de cet « Égrégore », Borduas en tête, participent ex-nihilo au développement de la matière à partir du chaos. Ils réor-
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ganisent à leur profit intuitions et magma pictural. Les œuvres automatistes de Borduas tout comme celles de ses camarades, peintres ou poètes, écrit Michel Van Schendel « ont soif de commencement obscur, de ce qui est vierge et premier ». Les Borduas de cette époque se caractérisent par une prédilection pour les petites touches vives à l’onctuosité minérale. Effets de plumes ou griffes à la spatule nagent dans l’espace parfois au sein de verts étranges et des tons terreux et assourdis mais pourtant irréels. L’atmosphère est au mystère et à la poésie. Avec la cinquantaine de gouaches de 1942, Borduas connaît alors sa première expression personnelle. Les formes englobées conservent une résonance figurative. Elles sont soulignées par une écriture syncopée et un parcours gestuel qui se délie. Jaune, bleue, en harmonie de rouges, de roses ou de violets, la couleur en aplats s’enveloppe d’arabesques joyeuses à l’armature sinueuse.
« La danse sur le glacier » 1953, huile 51 cm x 61 cm Collection privée
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Ces œuvres firent sensation. L’une de ces gouaches, Abstraction 47, constitue un cas particulier en s’alliant à un registre paysagiste inédit. Après l’avoir désignée par un simple numéro, Borduas a rebaptisé cette gouache Le Trou des fées. Le peintre Fernand Leduc a acheté cette gouache lors de l’exposition de l’Ermitage en avril-mai 1942. L’œuvre a été exposée par la suite à l’exposition automatiste de la galerie du Luxembourg à Paris en 1947 et à l’exposition de 1988 du Musée des beaux-arts de Montréal puis au Musée de Saint-Hilaire en 2005. La gouache décrit à sa façon une grotte au pied du Mont Saint-Hilaire. En une sorte de dérive poétique, la composition semble propulsée par l’exquise désignation toponymique qui en est le point de dé-
part. Ce lieu frappe l’imaginaire et en appelle à la fable et au monde du rêve. L’œuvre fait se greffer les particularismes géologiques de cette caverne avec d’étranges connotations oniriques. Les Ronces rouges (1943), exposée l’année même à la Contemporary Art Society, font s’accrocher d’une manière très expressionniste des chevrons et des lignes qui zigzaguent en s’entrecroisant. Les rappels au monde extérieur ne sont plus alors pour Borduas d’actualité. Cette fois-ci, comme le laisse entendre François-Marc Gagnon dans son Borduas paru en 1978, le titre ferait davantage écho à une hésitation, un vertige devant le nouveau parcours qui s’ouvre au peintre. Dans la foulée d’Abstraction verte (1941), la première œuvre abstraite de Borduas, et des gouaches de 1942, ces Ronces rouges traduisent non sans hésitation les abords « non préconçus ». Borduas, y explore l’une des formes les plus avancées alors de l’art contemporain. Dans la monographie qu’il consacre à Borduas en 1943, Robert Élie témoigne avec enthousiasme de ce « premier grand voyage d’un peintre canadien évoluant vers l’abstraction ou plutôt vers cet art spontané ». Repoussant au-delà du surréalisme, « les frontières de nos rêves », guidé par l’art des enfants, ce que Borduas découvre est ni plus ni moins que l’une des formes les plus avancées alors de l’art contemporain. Harry Bellet, critique d’art au quotidien Le Monde, rendant compte en décembre 2004 de l’exposition La Magie des signes consacrée en région parisienne aux œuvres sur papier de Borduas, observe que Borduas « fut le premier sans doute à avoir usé en peinture du geste automatique destiné au départ par Breton à l’écriture ». Par cette aventure, c’est non seulement l’art québécois qui entre alors dans la modernité. La déflagration touche l’inconscient collectif. À travers les couleurs explosives de cette révolution artistique, c’est aussi la contestation des conditions sociales et politiques de la « grande noirceur » qui est en jeu. René Viau Critique d’art Montréal, 2010
« No. 47 ou le Trou des Fées » 1942, gouache 28 cm x 38,5 cm Collection privée
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« Baiser insolite » 1958, huile 51 cm x 61 cm Collection privée
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« La grenouille au fond bleu » 1944, huile 81,2 cm x 109,2 cm Collection privée
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« Abstraction » 1947, huile 30,5 cm x 20 cm Collection privée
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« Les ronces rouges » 1943, huile 61 cm x 81 cm Collection privée
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En donnant deux petites toiles représentant le parc Lafontaine, Borduas consacre sa rupture avec la figuration Hiver 42. Borduas vient de terminer sa fameuse série des gouaches dites « surréalistes ». Un monde nouveau s’offre à lui. Ce témoignage du peintre Fernand Leduc nous éclaire sur la fébrilité qui anime alors Borduas. Vers la fin de l’après-midi, je reçois un coup de fil imprévu de Borduas. « –Fernand ! Pouvezvous passer chez moi maintenant ? ». Ne sachant pas de quoi il s’agissait, j’étais étonné. Je me pressais donc rue Napoléon. Borduas m’attendait devant une table sur laquelle étaient étalées quatre ou cinq petites pochades brossées trois ans auparavant sur le couvercle de boîtes de cigares. Il en choisit une. La scène représentant le Parc Lafontaine voisin. On y voyait des grands arbres traités d’une manière très libre avec les troncs se dégageant sur la masse automnale des feuilles . «- Cela vous plait, de demander Borduas. Tenez. Je préfère que cela soit pour vous. » « Parc Lafontaine 1 » 1939, huile 13,5 cm x 22 cm Collection privée
Devant ma surprise, Borduas me raconta qu’il avait reçu la veille des collectionneurs amis, proches de son travail. Il s’agissait, je crois, de Pauline et Luc Choquette le pharmacien. Il voulait leur présenter sa nouvelle série de gouaches qui manifestaient un tournant si radical dans sa peinture. En pleine aventure créatrice, il était anxieux de connaître leur opinion à leur sujet. Bien que l’accueil avait été poli, il semble que les Choquette aient été un peu déconcertés par l’audace de ces œuvres. Sans doute pour compenser cette tiédeur qui vexait Borduas, au sortir de l’atelier, madame Choquette crut bon de complimenter avec force le peintre pour un portait plus ancien, celui d’une jeune fille ou de madame Borduas je ne me souviens plus, peint sous l’influence de Maurice Denis. « -Que c’est beau ! »
« Parc Lafontaine 2 » 1939, huile 13,5 cm x 22 cm Collection privée
Jugeant ces louanges guère appropriées après cette visite d’atelier, Borduas réagit à froid. « Vous aimez cette toile. Je vous la donne ! » Au téléphone, le lendemain, ajoutant au malaise, Luc Choquette voulut rendre ou acheter l’œuvre. Rien n’y fit. Sans doute que Borduas pressentit que ses collectionneurs pourraient ne pas le suivre d’emblée dans sa nouvelle voie. Leur réserve l’encouragea à se départir de ces petites toiles figuratives peintes deux ans plus tôt si typiques de son ancienne manière en les donnant à de plus jeunes comme moi, plus à même selon lui de comprendre son évolution. « - Cette partie de mon œuvre, c’est fini. À partir de maintenant, voilà ce que je fais ! » affirma-t-il en me désignant les gouaches nouvellement peintes. À peu près au même moment, le poète et critique d’art, Gilles Hénault reçut dans des circonstances similaires cette autre œuvre de l’exposition peinte aussi en 1939 et représentant le Parc Lafontaine, très proche de celle de Leduc. Borduas, selon Gilles Hénault, aurait d’abord songé à détruire ces pochades avant de les offrir. René Viau
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La colère de Borduas À la fin de l’année 1941, cinq jeunes peintres avaient formé le premier groupe Borduas. Trois élèves de l’Ecole du Meuble ; Pierre Pétel ; Guy Viau ; Gabriel Filion. Deux étudiants de l’Ecole des beaux-arts : Fernand Leduc et Pierre Gauvreau. Ces derniers seront l’embryon de ce qu’un critique appellera en 1947 les automatistes. L’histoire remonte en 1942. Élève de l’École du Meuble depuis 1940, Guy Viau tente de mystifier son professeur en imitant sur un grand papier son travail. Le résultat reprend le vocabulaire des gouaches de 1942 exposées à l’Ermitage. Pastiche ? Réinterprétation ? Copie ? Chose certaine l’œuvre sur papier dont il est question tient si bien la route qu’elle pourrait passer pour un Borduas. La composition emprunte à certaines gouaches de 1942 le thème du masque tandis que l’on devine un personnage. Les carreaux bariolés de son manteau d’Arlequin se déforment en ondulations. Des gris, des noirs, des blancs, des marrons, des bleus et quelques éclats de vert et de rouge se confrontent. La peinture est étalée en aplat sur un fond violacé. Ici, on songe au monde du théâtre mais aussi peut-être à un totem primitiviste composé de segments qui semblent déformés. Au coté des traits noirs saccadés et des griffures, des formes arrondies et circulaires à la Arp ou Miro, se rejoignent. Plus grande que les gouaches grand format de l’Ermitage, l’œuvre s’élance sur la verticale. En l’apercevant, Borduas éclate d’une colère terrible. Alors étudiant à l’École du Meuble, Riopelle assiste à la scène. Longtemps après, il est resté choqué, jugeant l’emportement de Borduas disproportionné. Après tout Guy Viau n’avait peint cette composition que pour faire une bonne blague en épatant la galerie. Faisant appel à son sens de l’humour, Guy Viau parlemente en tentant d’amadouer son professeur. Pantois devant cette « extrapolation » de ses propres œuvres, Borduas finit par se réviser. Se saisissant d’un pinceau, il « complète » la gouache, parsemant la surface d’épais rehauts noirs. « Cela manque de drame. De cette façon, c’est beaucoup mieux » Guy Viau conserva longtemps cette « création collective » roulée dans un carton. Au milieu des années 60, il fait encadrer l’œuvre en souvenir de cette collaboration imprévue. Pour Guy Viau (1920-1970), la rencontre avec Borduas fut déterminante. Elle fut le déclencheur à ses multiples activités. Peintre, il expose avec la Société d’Art Contemporain et les Sagittaires. Dès 1942 il sera critique d’art et aussi designer, professeur, journaliste radio et télévision avec les débuts du petit écran, puis au milieu des années 60, muséologue. Guy Viau a organisé plusieurs expositions de Borduas notamment en mai 1948 et en 1949. Après la parution de Refus global en août 1948, mon père proteste auprès des autorités contre le renvoi de Borduas de l’École du Meuble. Dans l’un de ses très nombreux textes et communications qu’il a consacrés à Borduas, Guy Viau écrivait à la fin des années 50: « Borduas nous faisait entrer dans la familiarité des grandes œuvres et nous inspirait le courage de se mesurer avec elles. Il manifestait à notre égard une tendresse qui a bouleversé nos vies, une exigence qui nous laisse remplis d’inquiétude ». René Viau
Sans titre 1942, gouache 146,5 cm x 60 cm Collection privée
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PAUL-ÉMILE BORDUAS
Exile By Dorota Kozinska In general it can be said that a nation’s art is greatest when it most reflects the character of its people. — Edward Hopper There is no artist harder to excise from his time and place than Paul-Émile Borduas. Cloaked in a historical mantle, he has become the symbol of creative rebellion, the masthead of a generation that changed forever the course of Quebec society. His romantic, tragic life recalls that of composer Frederic Chopin, Polish nation’s greatest treasure, who, like Borduas, died in exile in Paris.
A heavy, heady responsibility for a thinker and a romantic, a man of frail health. Even heavier for an artist. But while his words ring loud in the manifesto, his vision can only truly be experienced through his art. For in it is not only Borduas- the-visionary, Borduas- the-painter, but also, profoundly so, Borduas- the-man. It is apt to quote Hopper again, when he says: “I believe that the great painters with their intellect as master have attempted to force this unwilling medium of paint and canvas into a record of their emotions.” The struggle was just beginning.
One cannot listen to Chopin without hearing the patriotic echoes, the heart wrenching nostalgia and longing for home.
The backlash following the publication of Refus global cost Borduas his professorial job, but in a way released his genius. From now on, his sole master would be art.
Can one look at Borduas’ paintings and not hear the battle cry of Refus global ?
He gradually moves away from figurative works, engaging for a while in the exploration of colourful gouaches inspired by Joan Miró.
Oh yes. One can and even should, for on the 50th anniversary of his death, his works are as viable and as contemporary as ever. Seen from the perspective of time, they are even more striking.
In an untitled work from 1950, the colours dance and jostle, at once geometric and organic, the composition is all playful movement.
« Sourire narquois d’Aquarium » 1950, aquarelle 19 cm x 26 cm Collection privée
Borduas’ life shares the timeline with such artists as Salvador Dali, Francis Bacon, Andy Warhol…Although just as original, unique even, as each one of these icons, Borduas took a very different route to find and synthesize his style, and his legacy speaks its own language.
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The Automatist movement he spearheaded pierced like a shaft of light “la grande noirceur”, Quebec’s era of State and Church repression, and branded Borduas a revolutionary.
Sourire narquois d’Aquarium painted that same year echoes the calligraphic notations of the Spanish artist. Monochromatic, delicate, it stands in stark contrast to Borduas’ seminal black and white paintings. Considered at the time as Surrealist, they were in fact the beginning of a cubist period that would find its full expression in his later canvases. By 1953, when he paints La danse sur le glacier, a new form of expression is starting to take hold, and while the
« Boucle perdue » 1957, huile 74 cm x 60 cm Collection privée
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sense of his surroundings still resonates in the work, the focus is on texture and gesture, and on the configuration of the thick colour patches. A summer spent in Provincetown, New England, proved particularly inspirational for the painter. He produced 40 new works, more than in five years in Canada. Oblivious in his creative fervour to the sand and the ocean, he still manages to imbue these paintings with their presence. Inspired by the light and the “unimaginable totality of space”, he paints shimmering, liquid compositions, in pale, washed out tones. New York, where he went next, was to be Borduas’ taskmaster. “In New York I started to paint in white, but I have the bizarre impression of never having changed my style, and yet I have passed from figurative to non-figurative. Strange.” he confides in a 1962 NFB documentary by Jacques Godbout. Sans titre 1957 huile 49,5 cm x 61 cm Collection privée
He spends a year in the fascinating city, and at 50, in top creative form, he goes again to Paris.
But while in the States Borduas felt European, this time Paris seems alien to him. His later works, these majestic large black and white compositions, are a vast repository of the artist’s pain and isolation. He paints with passion, and in the spring of 1959, has his first solo exhibition in Paris, organized by Tristan Tzara. In it, he shows his striking canvases, giant patches of black and white paint, rubbing against each other like tectonic plates.
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Some can be found in this unique showing of his works, taken from private collections and rarely seen in public. With an oddly banal title, Boucle perdue, is an exercise in plastic synthesis, a composition at once minimalist and profound. Layers of paint, Borduas’ signature, form ridges and indentations, the white, transparent background releasing a flutter of colour patches that seem to float across the canvas. It’s odd, how these dark, heavy swathes of paint seem to resemble a bird in flight, a visual paradox that is at the heart of Borduas’ genius. Unlike Rothko’s formulaic colour combinations, Borduas’ compositions provoke an emotional response through a visceral, raw, honest application of talent. It is impossible to look at a work like Baiser insolite and not be moved by the placing of the gesture, the hesitation and the strength that exist in a symbiotic union of two opposing colours and textures. He paints his abstract masterpieces till the end, rarely departing from the black-and-white compositions, in endless, stunning variations. They are the quintessence of his genius, images born of those that came before them, dissolved, reduced to unbearable simplicity, their message non-negotiable, their presence overwhelming. What a long, long road from Saint-Hillaire to Paris. What a lonely passage, and what poignant, magnificent legacy. Chopin’s heart was repatriated to Poland; Borduas’ beats in his timeless paintings. Exiled, he has found his home in art. Dorota Kozinska Writer and Art Critic Montreal, 2010
« 15.47 ou Crâne cornu aux enfers » 1947, huile 51 cm x 66 cm Collection privée
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« À l’entrée de la jungle » 1953, huile 33,5 cm x 23 cm Collection privée
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« Les barricades » 1953, huile 23 cm x 33 cm Collection privée
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« La naissance de l’étang » 1953, huile 56 cm x 46 cm Collection privée
Sans titre 1954, aquarelle et encre 19 cm x 26 cm Collection privée
Sans titre 1950, gouache 27,5 cm x 21,5 cm Collection privée
« Semence d’automne » 1950, aquarelle 19,5 cm x 25 cm Collection privée
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Paul-Émile Borduas (1905 – 1960) Photo archives Michel Lortie
Conception artistique : Sylvie Gagnon. Impression : Solisco. Publication et distribution : Galerie Valentin 14628945 Québec Inc. Membre de l’Association des Marchands d’art du Canada Inc. Member of the Art Dealers Association of Canada. Membre de l’Association des Galeries d’Art Contemporain. © 2010 Tous droits réservés pour les textes des auteurs. Dépôt légal Bibliothèque nationale du Québec, septembre 2010. Dépôt légal Bibliothèque nationale du Canada, septembre 2010.