SOMMAIRE
AVANT-PROPOS : BILLIE EILISH PAGE 28
PHOTOS PAR TIM RICHARDSON TEXTE PAR THIBAUT WYCHOWANOK
CONTENTS
TOP 40 PAGE 38
LES 40 EXPOSITIONS INCONTOURNABLES JUSQU’À AOÛT 2019
COVER STORIES
RUDOLF STINGEL PAGE 68
LAURE PROUVOST PAGE 50 PHOTOS PAR HARLEY WEIR TEXTE PAR KATHY NOBLE
PORTRAITS PAR CASS BIRD TEXTES PAR FRANCESCO BONAMI ET HETTIE JUDAH
SOMMAIRE CONTENTS COVER STORIES
SPRING 2019
ANNE IMHOF PAGE 84
PHOTOS PAR NADINE FRACZKOWSKI TEXTE PAR EILEEN MYLES
5 MARS 1992, LE JOUR OÙ… PAGE 102 ILLUSTRATION PAR SOUFIANE ABABRI TEXTE PAR ÉRIC TRONCY
COCO CAPITÁN PAGE 104
CRÉATION ORIGINALE TEXTE PAR FRANCESCA GAVIN
JON RAFMAN PAGE 112 TEXTE PAR DEAN KISSICK
THOMAS HOUSEAGO PAGE 120
PORTRAITS PAR MATTHIAS VRIENS-MCGRATH PORTFOLIO PAR MUNA EL FITURI. DIALOGUE AVEC EVGENIA CITKOWITZ
SOMMAIRE CONTENTS SPRING 2019
LUC TUYMANS PAGE 134
PHOTOS PAR CAMILLE VIVIER TEXTE PAR THIBAUT WYCHOWANOK
MODÈLES NOIRS PAGE 146
JEAN NOUVEL PAGE 158
TEXTES PAR INGRID LUQUET-GAD ET ROXANA AZIMI
PHOTOS PAR AITOR ORTIZ TEXTE PAR THIBAUT WYCHOWANOK
JEUNE SCÈNE EUROPÉENNE PAGE 168
PORTRAITS PAR RETO SCHMID TEXTES PAR INGRID LUQUET-GAD, ANDREW AYERS ET FRANCESCA GAVIN
9 AVRIL 1970, LE JOUR OÙ… PAGE 178 ILLUSTRATION PAR SOUFIANE ABABRI TEXTE PAR ÉRIC TRONCY
23 MAI 1974, LE JOUR OÙ… PAGE 180 ILLUSTRATION PAR SOUFIANE ABABRI TEXTE PAR ÉRIC TRONCY
SOMMAIRE CONTENTS SUMMER 2019
23 JUIN 1995, LE JOUR OÙ… PAGE 206 ILLUSTRATION PAR SOUFIANE ABABRI TEXTE PAR ÉRIC TRONCY
SALLY MANN PAGE 184
TEXTE PAR PATRICK REMY
PHOTOS PAR PAUL ROUSTEAU TEXTE PAR THIBAUT WYCHOWANOK
MOHAMED BOUROUISSA PAGE 208 CRÉATION ORIGINALE TEXTE PAR INGRID LUQUET-GAD
OLIVER BEER PAGE 222
PORTFOLIO PAR ADULTE ADULTE TEXTE PAR BEN EASTHAM
ÉPILOGUE
HICHAM BERRADA PAGE 196
MERIEM BENNANI PAGE 234 CARTE BLANCHE CURATED BY MOUNA MEKOUAR
5 AOÛT 1989, LE JOUR OÙ… PAGE 232 ILLUSTRATION PAR SOUFIANE ABABRI TEXTE PAR ÉRIC TRONCY
MANTEAU, B JAMES. HOODIE, RICHARDSON HARDWARE. COLLIERS, MARTINE ALI ET LARUICCI.
AVANT-PROPOS
BILLIE EILISH
NUMÉRO ART #4
Jeune prodige californienne de 17 ans, Billie Eilish a déjà conquis le monde avec sa musique électro dark et son imagerie délirante et horrifique. La jeune fille ne laisse pas non plus insensible le monde de l’art, dont un certain Takashi Murakami… PAR THIBAUT WYCHOWANOK FR BILLIE EILISH A 17 ANS. Elle a les cheveux turquoise. À l’occasion, l’Américaine porte aussi une couronne de princesse. Des araignées vivantes s’y baladent. On l’a vue chanter un refrain qui lui plaît : “Quiet when I’m coming home and I’m on my own. I could lie, say I like it like that” [“Silencieuse quand je rentre à la maison, je me retrouve seule. Je pourrais mentir, je pourrais dire que j’aime ça”]. Spleen et excentricités d’une teenage girl américaine lambda… À ceci près que son adolescence, elle l’a construite sous le regard de centaines de millions de personnes. La chanteuse originaire de Los Angeles cumule 285 millions de vues sur YouTube (pour son hit Lovely avec Khalid). Tournée façon iPhone, la vidéo de You Should See Me in a Crown (“Vous devriez me voir porter une couronne”… avec des araignées, donc, dans le clip) se hisse à 80 millions de vues.
EN BILLIE EILISH, ART ICON A 17-YEAR-OLD CALIFORNIAN PRODIGY, SHE’S CONQUERED THE WORLD WITH HER TENEBROUS ELECTRO MUSIC AND HER HORRIFIC, HALLUCINATORY IMAGERY, WHICH HAS INSPIRED ARTISTS SUCH AS TIM RICHARDSON AND TAKASHI MURAKAMI. Billie Eilish is 17. Her hair is turquoise. Sometimes she wears a princess tiara. Live spiders crawl over it. There’s a chorus she likes to sing, “Quiet when I’m coming home and I’m on my own. I could lie, say I like it like that.” The standard melancholy and eccentricity of an American teenager, you might say. Except that she (de)constructed her adolescence under the watchful gaze of hundreds of millions of people,
Fascinant phénomène que celui de la cristallisation d’une adolescente en icône. À 14 ans, Billie Eilish rencontrait le succès avec son titre Ocean Eyes. Elle aurait pu n’être qu’une nouvelle pop star précoce, suivant les pas de Britney Spears, Justin Bieber ou plus récemment Troye Sivan. Mais Billie Eilish a suscité quelque chose d’autre. Stromae et son frère, fascinés, réalisent la vidéo de son titre Hostage. Et pour la sortie de son premier album, fin mars, elle inspire à l’artiste Takashi Murakami un court-métrage et une série de visuels. Tim Richardson est revenu de Los Angeles avec ces clichés hallucinants la métamorphosant en créature numérique. Billie Eilish inspire.
the Angeleno’s songs having garnered her 285 million views on YouTube (for her hit Lovely with Khalid). Shot in iPhone style, the video for You Should See Me in a Crown (the one with the big live spiders) has notched up 80 million views. The crystallization of a teenage icon is a fascinating phenomenon. At 14, Eilish had her first brush with success with her track Ocean Eyes. She could have become a precocious pop sensation à la Britney Spears, Justin Biba or Troye Sivan, but Eilish triggered something else. Fascinated by her, Stromae and his brother made the video for her track
La première fois que je l’ai vue, dans ses vidéos mélancoliques et horrifiques, j’ai immédiatement pensé à la jeune fille de The Ring. Elle avait cette présence fantomatique – mi-possédée façon Exorciste, mi-héroïne de Stranger Things. Elle avait tout d’une autre ghost, Ann Lee. En 1999, les artistes français Philippe Parreno et Pierre Huyghe achètent ce personnage manga à une société japonaise et en font
Hostage, and, for the release of her first album at the end of March, Takashi Murakami made a short film and a series of visuals. When we asked him to photograph her in Los Angeles, Tim Richardson came back with these incredible shots of her metamorphosing into a digital creature. Eilish is nothing if not inspiring.
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AVANT-PROPOS
BILLIE EILISH
NUMÉRO ART #4
DOUBLE PAGE PRÉCÉDENTE : HOODIE, DAVID ALEXANDER FLINN. PULL-OVER ET BAGUES, CHROME HEARTS. PANTALON DE MOTARD, AXO. SNEAKERS, BALENCIAGA. COLLIERS, MARTINE ALI SILVER ET LARUICCI. PAGE DE DROITE : MANTEAU, EPUZER. HOODIE, SIBERIA HILLS. COLLIERS, MARTINE ALI SILVER ET LARUICCI. COIFFURE : JOSEPH CHASE POUR EXCLUSIVE ARTIST MANAGEMENT AVEC ORIBE HAIRCARE. MAQUILLAGE : ROBERT RUMSEY POUR EXCLUSIVE ARTIST MANAGEMENT AVEC CHANEL BEAUTY. RÉALISATION : WILLIAM GRAPER. ASSISTANTS DE RÉALISATION : YESENIA CUERVAS, BIN NGHUYEN ET TWIGGY. NUMÉRIQUE : JORDAN JENNINGS. RETOUCHES : NICOLAS POTTS. PRODUCTION : NEW LIGHT FILMS.
FR
EN
des vidéos en trois dimensions, des affiches… Tout comme Ann Lee, Billie Eilish constitue un être-miroir de notre époque. Une époque où la réalité d’un artiste passe avant tout par sa présence sur les réseaux. Une société où le rapport au réel est médiatisé, magnifié et mis en scène. Toute présence est fantomatique, une errance sur les réseaux. Une époque, aussi, marquée par une volonté exacerbée d’émancipation. “Je ne veux suivre les pas de personne, nous confiait la chanteuse. Et je ne veux que personne ne suive les miens. J’appelle chacun à se réaliser lui-même.” Plus le virtuel est omniprésent, plus l’ego doit se matérialiser, sans filtre, lui. Libérée du champ de l’industrie culturelle, Ann Lee intégrait la sphère artistique comme aujourd’hui Billie Eilish intègre le manga de Murakami ou les photos de Richardson. Émancipation du système de l’industrie culturelle ?
She has a slightly disturbing and ghostly presence – half Exorcist-style possessed and half Stranger Things heroine. Indeed she’s reminiscent of another ghost: Ann Lee. In 1999, French artists Philippe Parreno and Pierre Huyghe bought the Ann Lee manga character from a Japanese company and used her for 3D videos and posters. Eilish, just like Ann Lee, is a mirror of our times, a moment in history when the reality of someone, of an artist, appears first and foremost through their presence on social networks. Ours is a society where all contact with reality is publicized, magnified and filtered by films and staged snapshots; all presence is, in a sense, ghostly. It’s also an era whose virtuality is marked by an exacerbated desire for emancipation. “I don’t want to follow in anyone’s footsteps,” Eilish told us,
De nombreux artistes, d’Amalia Ulman aux États-Unis au très jeune Ben Elliot en France, ont intégré à leur travail les changements de paradigmes du xxie siècle : le vrai du réel ne s’oppose plus au faux du virtuel, la sphère privée n’est plus un domaine protégé. Le virtuel réalise le champ des possibles du réel. Le privé peut intégrer des comptes publics sur Instagram et Facebook – Billie Eilish n’a pas hésité à publier des stories Instagram pour répondre à une vidéo YouTube mettant en scène le syndrome de Gilles de la Tourette dont elle souffre. Dans une vidéo disponible sur Spotify, elle dégurgite un liquide noire prenant les formes les plus inquiétantes. On pourrait dire qu’elle vomit sa créativité via une créature numérique. Comme Ben Elliot produit avec ses selfies “améliorés” (via des filtres Instagram) toutes les possibilités de son corps et de ses personnalités. Beaucoup d’artistes ont utilisé leur corps comme outil, ou mis en scène l’image de leur corps pour leur réalisation. Une réalisation entendue comme la concrétisation d’une possibilité jusque-là virtuelle. Mais Billie et Ben, au contraire, virtualisent les possibilités du réel. Ils déréalisent leur corps et notre monde et s’affirment en artistes post-humanistes.
“and I don’t want anyone to follow in mine.” The more omnipresent the virtual, the more the ego must be materialized. Freed from the field of cultural industry, Ann Lee joined the artistic sphere just as Eilish today joins Murakami’s mangas and Richardson’s photos. Many artists, from Amalia Ulman to Ben Elliot, have integrated the changing paradigms of the 21st century into their work. The truth of reality no longer opposes the fakeness of the virtual, the private sphere is no longer a protected domain (Eilish didn’t hesitate to post Instagram stories in response to a YouTube video about Tourette’s Syndrome, from which she herself suffers). In one video, Eilish regurgitates a black liquid that adopts disturbing forms, vomiting her creativity via a digital creature, just as Elliot uses his “improved” selfies to show all the possibilities of his body and his characters. Lots of artists use their body as a tool, staging the image of their body to make their art, the concretization of a possibility that was virtual. But with Billie and Ben it’s different, they virtualize the possibilities of reality, dematerializing their bodies and our world.
When We All Fall Asleep, Where Do We Go? Album disponible.
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And these post-humanist artists fascinate us.
CONTRIBUTEURS
CASS BIRD Collectionnée par les musées et habituée des couvertures de T Magazine, Vogue ou i-D, la photographe américaine sublime ses sujets avec des portraits complices, jamais dénués d’humour. Pour Numéro art, elle a rencontré le légendaire Rudolf Stingel dans son atelier new-yorkais (p. 68). L’artiste est célébré par une vaste rétrospective à la Fondation Beyeler.
HARLEY WEIR À seulement 30 ans, Harley Weir a déjà photographié Rihanna pour Dazed, shooté pour Balenciaga et Celine, publié un livre sur l’Iran pour Louis Vuitton. Elle a surtout su imposer son regard – un female gaze intime et régénérant. Pour Numéro art, elle s’est rendue dans la cité des Doges pour suivre les aventures de Laure Prouvost, artiste représentant la France à la Biennale de Venise (p. 50).
COCO CAPITÁN Propulsée sur le devant de la scène grâce à ses collaborations avec Gucci, l’Espagnole de 26 ans est devenue en quelques années une star de la mode. Mais sa pratique des arts visuels est loin de se cantonner à ce seul domaine. La preuve avec une exposition dans un musée parisien et ses photographies et autoportraits exclusifs, réalisés pour Numéro art (p. 104).
NADINE FRACZKOWSKI La jeune photographe appartient à la famille de créateurs (le designer Demna Gvasalia, la styliste Lotta Volkova, l’artiste Anne Imhof…) qui ont hissé sur le devant de la scène l’esthétique normcore et renversé la table du bon goût bourgeois. Elle a capturé pour le magazine l’esprit révolté de la nouvelle performance d’Anne Imhof à Londres (p. 84).
FRANCESCO BONAMI Le curateur et critique d’art a presque tout fait : diriger une édition de la Biennale de Venise, du Whitney ou de Manifesta, organiser des expositions – de Londres à Doha en passant par le musée d’Art moderne de la Ville de Paris. Il est aussi un ami intime de Rudolf Stingel dont il nous raconte l’ascension du Milan festif au New York arty des années 80 (p. 68).
CONTRIBUTEURS
KATHY NOBLE Après être passée par la Tate Modern et avoir lancé l’initiative Art Night à Londres, Kathy Noble a été nommée en 2018 curatrice de Performa, le célèbre festival de performance new-yorkais. Elle nous parle de son étonnante rencontre avec l’artiste française Laure Prouvost qui représente la France à la Biennale de Venise (p. 50).
MOHAMED BOUROUISSA Exposé au musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 2018 et nommé au Prix Marcel Duchamp dans la foulée, cet artiste déjà incontournable s’intéresse aux mécaniques sociales en jeu dans différentes communautés (en France ou aux États-Unis) et aux processus de socialisation. Il a initié un nouveau projet pour Numéro art… autour d’un déjeuner entre amis. À découvrir p. 208.
MATTHIAS VRIENS-MCGRATH Le célèbre photographe aux images sexe et brutes vient de lancer son agence de design d’intérieur Atelier MVM et travaille sur deux projets photographiques d’importance : le volume 2 du Big Penis Book chez Taschen, et une exposition revenant sur vingt ans de carrière à la galerie parisienne Untilthen à l’automne 2019. Il a quand même pris le temps de rencontrer l’artiste Thomas Houseago dans son atelier de Los Angeles pour Numéro art (p. 120).
EILEEN MYLES La critique d’art et poétesse américaine a assisté pour Numéro art à la nouvelle performance très attendue d’Anne Imhof à la Tate Modern. Elle partage ses impressions (fortes et tendues) avec sa plume unique (p. 84). La lauréate du Prix Clark pour Excellence in Arts Writing en 2015 est également l’auteure de Chelsea Girls en 1994 et de Afterglow (a dog memoir) en 2017.
Portrait de Kathy Noble : Sarah Haimes. Portrait de Mohamed Bourouissa : Ingrid Luquet-Gad. Portrait d’Eileen Myles : Shae Detar
TIM RICHARDSON Le photographe a depuis longtemps fait la preuve de sa savante maîtrise des nouvelles technologies (motion capture, imagerie 3D…) appliquées à la photographie et à la vidéo (pour Interview, V Magazine ou Dior Homme). Futuristes et intrigantes, ses réalisations proposent une plongée dans des univers fantasmagoriques et sensuels. Il a photographié pour Numéro art la rising star de la musique Billie Eilish (p. 28).
CONTRIBUTEURS
CAMILLE VIVIER Ses photos sensibles et délicates ont déjà séduit la Maison européenne de la photographie, Les Rencontres d’Arles ou le Festival d’Hyères et la Villa Medicis qui l’ont chacun récompensée d’un prix. Pour Numéro art, la Française a posé son regard et capturé la personnalité de l’artiste belge Luc Tuymans (p. 134), invité de la Collection Pinault à Venise où il expose 83 toiles et une monumentale mosaïque.
BEN EASTHAM Écrivain et journaliste britannique, Ben Eastham est un habitué des pages de ArtReview, du New York Times et de Frieze. Fin connaisseur de l’œuvre d’Oliver Beer, il revient sur ces pièces sonores récentes et son exposition estivale au Met Breuer à New York (p. 222) où il captera le son des objets du musée pour créer des compositions musicales.
RETO SCHMID Étoile montante de la photographie, habitué des pages de Dazed et de Numéro art, Reto Schmid a photographié pour la jeune garde de la scène artistique européenne, invitée de la Fondation Cartier ce printemps (p. 168). Kris Lemsalu qui représente l’Estonie à la Biennale de Venise, la Néerlandaise Tenant of Culture, l’Allemande Raphaela Vogel et le designer italien Andrea Trimarchi du duo Formafantasma se sont prêtés au jeu de la séance photo dans les jardins du bâtiment.
FRANCESCA GAVIN Curatrice et journaliste incontournable basée à Londres, Francesca Gavin a réalisé des expositions (à Manifesta 11 notamment), écrit déjà six livres et contribué aux magazines Dazed, Mousse et au Financial Times. Elle s’est intéressée au cas de l’artiste et photographe Coco Capitán (p. 104) et à celui de Tenant of Culture (p. 168), Néerlandaise exposée à la Fondation Cartier jusqu’au 16 juin.
PAUL ROUSTEAU Ce jeune trentenaire a déjà exposé à la FIAC, aux Rencontres d’Arles et à la Galerie du Jour Agnès b. Son univers onirique, qui sonde le réel en jouant avec les couleurs vives et les effets de flou, a rencontré les œuvres tout aussi fantasmagoriques de l’artiste Hicham Berrada (p. 196) que l’on découvrira au Louvre-Lens et à la Hayward Gallery de Londres.
CONTRIBUTEURS
EVGENIA CITKOWITZ L’écrivaine américaine Evgenia Citkowitz, auteure de Ether: Seven Stories and a Novella et de The Shades, s’est entretenue pour Numéro art avec l’artiste Thomas Houseago, célébré au musée d’Art moderne de la Ville de Paris. (p. 120). Ils conversent notamment au sujet de Cast Studio, installation monumentale créée par l’artiste avec ses amis dans son atelier de Los Angeles et présentée à Paris jusqu’au 14 juillet.
ROXANA AZIMI Journaliste spécialisée dans l’art contemporain, Roxana Azimi collabore depuis plus de quinze ans au Monde et a cofondé Le Quotidien de l’art. Pour ce Numéro art, elle a enquêté sur la ferveur du marché pour les artistes africains américains (p. 146) tels que Theaster Gates, exposé au Palais de Tokyo, Mark Bradford ou Kerry James Marshall.
INGRID LUQUET-GAD Après des études de philosophie et d’histoire de l’art, Ingrid Luquet-Gad écrit tôt pour Les Inrockuptibles et i-D, et collabore régulièrement pour la revue 02. Cette critique d’art au regard avisé a rencontré les artistes Theaster Gates (p. 146) pour son exposition au Palais de Tokyo, Kris Lemsalu (p. 168), représentant l’Estonie à la Biennale de Venise, et Mohamed Bourouissa (p. 208). Pour Numéro art, l’artiste a convié ses amis à un grand déjeuner photographié par chacun des invités.
Portrait d’Evgenia Citkowitz : Suzanne Tenner
ADULTE ADULTE Le jeune duo de graphistes à qui l’on doit la maquette originale de Numéro art (et le nouveau logo de Balmain l’année dernière) interprète à sa manière – digitale – l’exposition d’Oliver Beer à la Galerie Thaddaeus Ropac (p. 222). Vases, objets du quotidien ou antiques sélectionnés par l’artiste britannique émettent un son qui semble faire vibrer jusqu’à leur forme.
TOP 40
1. JESSE DARLING, FRICHE LA BELLE DE MAI, MARSEILLE. L’espace marseillais accueille l’une des grandes artistes britanniques actuelles. Jesse Darling nous fait percevoir avec sa poésie sensible et radicale toute la vulnérabilité de la condition humaine. Suivra l’exposition de l’artiste performeur et danseur Paul Maheke, étoile montante française. 16 MARS – 2 JUIN
EXHIBITION HIGHLIGHTS
MARS / AVRIL
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2. THEASTER GATES, PALAIS DE TOKYO, PARIS. Connu aussi bien pour ses projets de rénovation urbaine que pour ses sculptures, peintures et céramiques, l’Américain explore à Paris l’histoire de l’île de Malaga, dans l’État du Maine. L’occasion de revenir sur les relations interraciales, l’asservissement des Noirs et le thème de la migration (voir p. 146). 20 FÉVRIER – 12 MAI 3. SIMONE FATTAL, MOMA PS1, NEW YORK. Première exposition monographique aux États-Unis pour la plasticienne d’origine libanaise qui y montre près de 200 œuvres : sculptures en céramique, peintures abstraites ou aquarelles. Enfin la juste reconnaissance de son génie. 31 MARS – 2 SEPT.
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4. THOMAS SCHÜTTE, MONNAIE DE PARIS. L’institution parisienne célèbre l’artiste allemand qui s’est imposé depuis longtemps comme l’un des plus grands sculpteurs de notre époque, avec une rétrospective en trois actes : représentation de la figure humaine, de la mort et monuments architecturaux. 15 MARS – 16 JUIN
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5. LE PARTI DE LA PEINTURE, FONDATION LOUIS VUITTON, PARIS. Retracer l’évolution de la pratique picturale dans la production artistique des cinquante dernières années, voici la nouvelle gageure de l’institution parisienne. L’occasion d’y retrouver 23 artistes majeurs dont Gerhard Richter, Joan Mitchell, Alex Katz, Mark Bradford ou encore Ellsworth Kelly. 20 FÉVRIER – 26 AOÛT 6. THOMAS HOUSEAGO, MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS. Première rétrospective du célèbre peintre et sculpteur, Almost Human propose un dialogue entre ses œuvres – souvent monumentales –, qui mêlent fer, bois, plâtre et bronze, ses peintures et un espace immersif qui retranscrit l’atelier de l’artiste (voir p. 120). 15 MARS – 14 JUILLET
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7. JENNY HOLZER, GUGGENHEIM MUSEUM, BILBAO. Consacrée à l’œuvre de Jenny Holzer depuis le milieu des années 70 jusqu’à aujourd’hui, cette rétrospective monumentale s’étendra de l’intérieur à l’extérieur du musée, accueillant sur sa façade des projections lumineuses inédites de l’artiste conceptuelle américaine. 22 MARS – 9 SEPTEMBRE
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AVRIL
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8. CHARLES RAY, MUSÉE REINA SOFIA, MADRID. Sélection des plus récentes sculptures, conçues entre 2012 et 2018, de l’immense artiste, à découvrir dans le lieu paradisiaque du palais de Cristal. 28 MARS – 8 SEPTEMBRE 9. LIZZIE FITCH & RYAN TRECARTIN, FONDATION PRADA, MILAN. Les maîtres américains de la vidéo anarchique et jubilatoire présentent une installation multimédia et immersive dans les espaces intérieurs et extérieurs de la fondation. 6 AVRIL – 5 AOÛT
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10. LUC TUYMANS, PALAZZO GRASSI, VENISE. Il est l’un des peintres belges les plus cotés, et surtout l’un de ceux qui ont contribué au renouvellement de la peinture du milieu des années 80 jusqu’à aujourd’hui. La Collection Pinault présente plus de 83 toiles. Incontournable (voir p. 134). 24 MARS – 6 JANVIER 2020 11. DONALD JUDD, GALERIE THADDAEUS ROPAC, PARIS. Vingt ans après la dernière exposition monographique de l’artiste minimaliste américain en France, la Galerie Ropac choisit de présenter une sélection de ses œuvres datant de 1963 à 1991. Pour l’occasion, le commissariat de l’exposition a été confié à son fils Flavin Judd, en collaboration avec la Fondation Judd, fondée deux ans après sa disparition. 6 AVRIL – 15 JUIN
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12. JEUNES ARTISTES EN EUROPE, FONDATION CARTIER, PARIS. La fondation ouvre ses portes à pas moins de 21 artistes issus de 16 pays vecteurs d’une nouvelle vague artistique européenne (voir p. 168). 4 AVRIL – 16 JUIN 13. QUEER SPACES, WHITECHAPEL GALLERY, LONDRES. La naissance d’une communauté passe toujours par des lieux, que ceux-ci soient clos, ouverts, physiques ou virtuels. Ce sont ici les espaces-clés du mouvement queer à Londres qu’explore cette exposition, relatant leur histoire depuis les années 80. 2 AVRIL – 25 AOÛT
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TOP 40
14. ANNETTE MESSAGER, GALERIE MARIAN GOODMAN, PARIS. Après son exposition à la Fondation Giacometti, l’artiste française revient avec des œuvres inédites. On pourra y découvrir sa première installation vidéo Lost in Limbo, ainsi que les Sleeping Songs, sculptures murales composées de duvets et de fragments de mains en papier mâché. 24 MAI – 19 JUILLET
EXHIBITION HIGHLIGHTS
AVRIL / MAI 15. HITO STEYERL, SERPENTINE SACKLER GALLERY, LONDRES. Pour ce nouveau projet, l’artiste allemande interroge les écarts de richesse vertigineux dans les quartiers qui bordent la Serpentine. Elle investit l’espace de la galerie avec une installation vidéo et une application en réalité augmentée, et organise également des visites guidées des alentours. 11 AVRIL – 6 MAI
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16. BIENNALE DU WHITNEY, WHITNEY MUSEUM, NEW YORK. Rendez-vous incontournable de l’art contemporain aux États-Unis depuis 1932, la Biennale du Whitney revient en mai avec un total de 75 artistes américains, natifs ou d’adoption, dont une majorité est âgée de moins de 40 ans. 17 MAI – 22 SEPT. 17. BERNARD FRIZE, CENTRE POMPIDOU & GALERIE PERROTIN, PARIS. Le peintre français est à l’honneur avec deux expositions monographiques retraçant l’ensemble de de son œuvre. Une rétrospective sur quarante ans de productionest montrée au Centre Pompidou, tandis que la galerie Perrotin célèbre leur vingt-cinq années de collaboration. 18 MAI – 14 AOÛT (G.P.) et 29 MAI – 26 AOÛT (C.P.)
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18. JANNIS KOUNELLIS, FONDATION PRADA, VENISE. Décédé il y a deux ans, l’artiste d’origine grecque fut l’une des figures de proue du courant de l’arte povera. Le critique et théoricien Germano Celant est commissaire de cette rétrospective qui présente un grand nombre d’œuvres des années 60 aux dernières années de l’artiste. 11 MAI – 24 NOV.
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19. VISIBLE / INVISIBLE, CHÂTEAU DE VERSAILLES. Dans le domaine de Trianon, le public pourra découvrir le travail de cinq photographes contemporains : Dove Allouche, Nan Goldin, Viviane Sassen, Martin Parr et Éric Poitevin. 14 MAI – 20 OCTOBRE
MAI – VENISE 20. KRIS LEMSALU, BIENNALE DE VENISE. La plasticienne estonienne réalise des installations hybrides, constituées de sculptures en céramique qu’elle modèle elle-même et d’autres matériaux, déchets et babioles. À l’imaginaire poétique de ses œuvres se conjuguent les symptômes d’une triste réalité (voir p. 168). 11 MAI – 24 NOVEMBRE 21. GHANA FREEDOM, BIENNALE DE VENISE. Pour son premier pavillon à la Biennale de Venise, le Ghana choisit de présenter six artistes issus de trois générations, dont la déjà célèbre Lynette Yiadom-Boakye. L’architecture sera imaginée par le nouveau “star chitecte” David Adjaye. 11 MAI – 24 NOVEMBRE
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22. LAURE PROUVOST, BIENNALE DE VENISE. La Française articule son pavillon autour de l’histoire d’un voyage croisant les générations, les identités et les talents. Par le biais d’un film et d’une installation, elle conte les aventures de ses douze protagonistes aux confins du réel et de l’imaginaire (voir p. 50). 11 MAI – 24 NOVEMBRE
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23. MARTIN PURYEAR, BIENNALE DE VENISE. Le Pavillon américain met à l’honneur le sculpteur Martin Puryear, dont la pratique a commencé dès la fin des années 60. Connu pour son utilisation de matériaux bruts tels que le bois et de techniques traditionnelles, il s’est illustré récemment avec des sculptures monumentales installées en plein air. 11 MAI – 24 NOV.
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24. GEORG BASELITZ, GALLERIE ACCADEMIA, VENISE. Pour sa première rétrospective consacrée à un artiste vivant, la Gallerie Accademia a choisi unefigure emblématique de la peinture allemande et de l’art néo-expressionniste. 8 MAI – 8 SEPTEMBRE 25. LEONOR ANTUNES, BIENNALE DE VENISE. Dans la démarche de l’artiste portugaise, la place de l’artisanat, des savoir-faire et de leur transmission est centrale. À travers ses sculptures et installations, elle redonne à ces techniques longtemps dénigrées leurs lettres de noblesse. 11 MAI – 24 NOVEMBRE
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TOP 40
26. TOM WOOD, LES RENCONTRES D’ARLES. Réalisées dans les alentours de Liverpool entre 1970 et la fin des années 90, les photographies de Tom Wood capturent le quotidien des habitants, dans des situations ordinaires. Le photographe irlandais parvient à traduire aussi bien l’esprit que l’identité de cette région. 1ER JUIL. – 22 SEPT.
EXHIBITION HIGHLIGHTS
JUILLET – ARLES 27. MOHAMED BOUROUISSA, LES RENCONTRES D’ARLES. L’artiste français élit domicile dans le Monoprix de la ville. Son exposition se construit autour de la circulation des échanges, de l’argent ou encore du savoir (voir p. 208). 1ER JUIL. – 22 SEPT.
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28. LA MOVIDA, LES RENCONTRES D’ARLES. L’exposition présente Alberto Garcia-Alix, Ouka Leele, Pablo Pérez Minguez et Miguel Trillo, qui ont façonné l’univers visuel de la période des années 80, suite à la mort de Franco. 1ER JUIL. – 22 SEPT. 29. RANDA MIRZA, LES RENCONTRES D’ARLES. Après une première exposition en 2006, l’artiste libanaise revient aux Rencontres pour présenter un ensemble de dioramas constitués de morceaux choisis et reliques de la culture arabe, musulmane et du Proche-Orient. 1ER JUIL. – 22 SEPT.
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30. CLERGUE & WESTON, LES RENCONTRES D’ARLES. Pour célébrer sa cinquantième édition, le festival reprend le projet d’exposition initié en 1970 par Lucien Clergue. Consacrée à l’Américain Edward Weston, l’exposition regroupe des tirages rares ainsi que plusieurs de ses carnets. 1ER JUIL. – 22 SEPT.
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31. CORPS IMPATIENTS, LES RENCONTRES D’ARLES. Cette exposition nous renvoie trente ans en arrière, lors des dernières années de la guerre froide en Allemagne de l’Est. La commissaire Sonia Voss choisit l’angle du corps tel qu’immortalisé par les photographes allemands. 1ER JUIL. – 22 SEPT. 32. HELEN LEVITT, LES RENCONTRES D’ARLES. L’Espace Van Gogh accueille le travail de la photographe américaine (1913-2009), qui a dépeint pendant des années les rues de New York et de ses quartiers populaires. 1ER JUIL. – 22 SEPT. 33. HOME SWEET HOME, LES RENCONTRES D’ARLES. S’appuyant sur une sélection de trente artistes dont la pratique s’étale de 1970 à aujourd’hui, cette exposition fait le récit du rapport singulier entretenu par les Anglais et leur foyer : de l’importance du chez soi. 1ER JUIL. – 22 SEPT.
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34. LIBUŠE JARCOVJÁKOVÁ, LES RENCONTRES D’ARLES. La photographe tchèque a recueilli, entre 1970 et 1989, de précieux témoignages à la fois de sa vie intime et des tensions politiques qui habitaient son pays. 1ER JUIL. – 22 SEPT.
ÉTÉ 35. RUDOLF STINGEL, FONDATION BEYELER, RIEHEN. Tapis-peintures, toiles abstraites : le vénéré peintre italien installé à New York, à l’origine de l’instruction painting, fait l’objet d’une grande exposition à la Fondation Beyeler (voir p. 68). 26 MAI – 6 OCT. 36. HICHAM BERRADA, LOUVRE-LENS. L’artiste alchimiste qui manie les éléments chimiques comme un peintre ses pinceaux prend possession du LouveLens (voir p. 196). 19 JUIN – 1ER SEPTEMBRE
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37 . H E L L A J O N G E R I U S , L A FAY E T T E ANTICIPATIONS, PARIS. La fondation parisienne présente les créations textiles expérimentales de la designer néerlandaise et donne à voir les étapes successives de son processus en installant des métiers à tisser uniques réalisés spécialement pour l’occasion. 7 JUIN – 8 SEPTEMBRE 38. MOCO, MONTPELLIER. Structure nouvelle créée sous l’initiative de Nicolas Bourriaud, le MoCo réunit trois lieux : la Panacée, centre d’art contemporain, l’École supérieure des beaux-arts de Montpellier et le MoCo – Hôtel des collections, espace d’exposition. Ce dernier sera inauguré avec une incursion dans la collection de l’entrepreneur japonais Yasuharu Ishikawa, qui rassemblera près de 20 artistes internationaux. OUVERTURE LE 29 JUIN
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39. SALLY MANN, JEU DE PAUME, PARIS. La photographe américaine, née en 1951 en Virginie, connue pour avoir saisi des moments de vie familiale dans les années 90, utilise des techniques anciennes pour restituer l’évolution des paysages et des êtres. Le Jeu de paume lui offre sa première grande rétrospective (voir p. 184). 18 JUIN – 22 SEPTEMBRE 40. OLIVER BEER, MET BREUER, NEW YORK. Transformer un vase antique en instrument de musique, chanter tout en embrassant une personne à pleine bouche… L’artiste britannique passionné par le son et la musique est l’invité du Met à New York (voir p. 222). 2 JUILLET – 11 AOÛT
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PAVILLON FRANÇAIS
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LAURE PROUVOST PHOTOS PAR HARLEY WEIR
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LAURE PROUVOST
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Elle est la plus anglaise des artistes françaises. Ou la plus française des artistes anglaises. Née à Croix en 1978, Laure Prouvost s’installe très jeune à Londres. Pari gagnant, en 2013, l’artiste est récompensée du prestigieux Turner Prize. Ses vidéos et installations ont déjà des allures de contes de fées dysfonctionnels et loufoques multipliant les jeux de langage. Elle rend ainsi hommage à son grand-père (fictif ?) disparu en creusant un tunnel jusqu’en Afrique. Après son exposition au Palais de Tokyo en 2018, elle représente la France à la Biennale de Venise avec la commissaire Martha Kirszenbaum. On la retrouve sur la lagune accompagnée de son animal fétiche : la pieuvre. PAR KATHY NOBLE FR EN ÉCRIVANT CES LIGNES, j’essaie de me rappeler la première fois que j’ai rencontré Laure Prouvost – sans y parvenir. Ce que je sais, c’est que je connaissais sa voix avant de la connaître. Je l’avais entendue en tant que narratrice de l’une de ses vidéos lors d’une projection londonienne, et je m’étais demandé alors si je ne l’avais pas déjà rencontrée quelque part. En l’écoutant, j’avais en effet éprouvé un intense sentiment de “déjà-vécu”, comme si elle m’avait un jour parlé en rêve, comme si je l’avais connue dans une vie antérieure. En l’appelant pour évoquer avec elle son projet pour le Pavillon français à la Biennale de Venise, j’ai été ravie de l’entendre à nouveau. Sa voix est douce, basse, apaisante, pleine d’autorité aussi. Elle me calme instantanément. Je pourrais l’écouter pendant des heures. Laure et moi avons collaboré en 2016 à Londres sur un projet magique et absurde dans le cadre du festival Art Night. Mené avec l’Institut d’art contemporain, ce projet avait pour cadre l’Admiralty Arch. L’édifice, construit à l’instigation du roi Édouard VII en
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EN LAURE PROVOUST SHE’S PERHAPS THE MOST BRITISH OF FRENCH ARTISTS – OR THE MOST FRENCH OF BRITISH ARTISTS. EITHER WAY, THE FRENCH-BORN, LONDON-BASED TURNER PRIZE WINNER WILL BE REPRESENTING FRANCE THIS YEAR AT THE VENICE BIENNALE, UNDER THE CURATORSHIP OF MARTHA KIRSZENBAUM. As I write this, I try to remember the first time I met Laure Provoust, but I can’t. When I called her to discuss her project for the French Pavilion at the 2019 Venice Biennale, I was so happy to hear her voice – soft, low, calming, and authoritative, it instantly soothes me. I could listen to her for hours. Laure and I worked together on a magically absurd project – for the 2016 festival Art Night with London’s ICA – in Admiralty Arch, a monument commissioned by
PAGES PRÉCÉDENTES : ROBE EN LIN, PANTALON EN SOIE, ACNE STUDIOS. RICHELIEUS “ZIZI” EN CUIR, REPETTO. PAGE DE DROITE : CHEMISE, ACNE STUDIOS.
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LAURE PROUVOST VEUT NOUS PLACER EN IMMERSION DANS LE VENTRE D’UNE CRÉATURE INCONNUE, AFIN DE DÉCOUVRIR QUI NOUS SOMMES. Kathy Noble FR mémoire de sa mère, la reine Victoria, est une arche monumentale qui enjambe le Mall. Laure voulait réaliser une fiction où le spectateur serait invité à prendre le thé chez la reine – qu’on lui fasse faire la visite du bâtiment, monter et descendre les escaliers, jusque dans les caves, au-delà du tunnel dérobé conduisant par un passage souterrain au cabinet de guerre de Winston Churchill, avant de remonter jusqu’aux fenêtres qui donnent sur le palais de Buckingham – pour une sorte de performance-aventure, un peu dans l’esprit d’Alice au pays des merveilles. Malheureusement, le propriétaire nous a cantonnées à deux pièces du rez-de-chaussée, où nous avons installé After After (2013), un “film” imaginé à partir d’une installation à base d’objets, de lumière, de son et de texte. L’ensemble a fini par faire partie d’une autre visite imaginaire, mise en scène par des acteurs qui guidaient le public à travers un musée inventé, habité par Betty et Gregor, deux personnages tirés d’un film de Laure, The Wanderer (2012), inspiré du texte The Wanderer by Franz Kafka (2010) de l’artiste Rory Macbeth, qui a “traduit” La Métamorphose sans connaître l’allemand, sans Internet ni dictionnaire. Dans le Wanderer de Laure Prouvost, la langue sert à la fois d’instrument de l’affect et de cadre structurel, entrecoupée par un montage syncopé, presque stroboscopique, qui désoriente. La poursuite par l’artiste de ses perpétuelles investigations dans la traduction et les interprétations trompeuses est ici au cœur de l’affaire. Gregor, pris au piège de son cerveau saturé, voit Betty dans des flash-backs récurrents ; celle-ci, ivre, frôlant la crise de nerf, l’appelle inlassablement, terrifiée, confuse.
EN Edward VII in memory of his mother Queen Victoria. For a reason unknown to us, the leaseholder, a developer who is transforming the arch into a luxury hotel, gave us permission to work in it. Laure wanted to put on a fictional afternoon tea with the queen, touring festival goers through the entire building – down to the basement past the secret underground tunnel to Winston Churchill’s war cabinet, up to the attic windows that look towards Buckingham Palace – in an Alice in Wonderland-style adventure performance. But sadly it was not to be; the developer confined us to two ground-floor rooms, where we installed Laure’s 2013 work After After – a “film” created from an installation of objects, light, sound and text. This became part of a fictional tour animated by actors guiding the audience through an imaginary museum, also inhabited by two characters – Betty and Gregor – from Laure’s earlier film The Wanderer (2012),
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constituait ainsi une sorte de cirque ambulant dont les membres étaient unis par leur expérience commune d’une passion particulière. En amont de ce voyage, divisé en plusieurs segments, Laure avait écrit, en collaboration avec d’autres, un scénario qui intercalait différentes “couches” de français, d’anglais, d’italien, d’arabe et de dialecte néerlandophone. L’idée d’entreprendre ce voyage, de partir chercher quelque chose ou quelqu’un et de mélanger fiction et réalité était directement issue de ses précédents travaux. Dans le Wanderer évoqué plus haut, on découvrait Betty et Gregor ivres et perdus ; les protagonistes de Lick in the Past – vidéo intégrée à son installation A Way to Leak, Lick, Leek (2016) pour le programme de résidence Fahrenheit by FLAX à Los Angeles – réalisaient leur performance dans un parking du centre-ville ; dans l’installation vidéo Wantee (2013), qui lui valut le Turner Prize, la grand-mère fictionnelle de Laure Prouvost recherchait son grand-père imaginaire, artiste conceptuel et ami de Kurt Schwitters, mystérieusement disparu dans un tunnel qu’il avait creusé pour rejoindre l’Afrique depuis son salon.
of which After After is a prologue. These works were inspired by artist Rory Macbeth’s text The Wanderer by Franz Kafka (2010), which he wrote by “translating” Kafka’s The Metamorphosis without a working knowledge of German, a dictionary or the internet. Macbeth narrates the haphazard story of Gregor, a man on a journey during the war, in which Betty – a new character – appears as his fallen heroine. In Laure’s The Wanderer, language is used as both an affective tool and as a structural framework, interspersed with a
Afin de développer son projet pour le Pavillon français de la biennale, Laure s’est lancée dans un road-trip qui l’a conduite de Nanterre à Venise, en passant par Croix (près de Roubaix), sa ville natale. En chemin, elle a tourné un film intitulé Deep Blue Sea Surrounding You/ Vois ce bleu profond te fondre, enrôlant au passage douze personnes d’âges et de parcours très divers, chacune possédant un talent particulier (notamment la magie, la danse ou la musique). La troupe
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fast-paced, rhythmic, strobe-like, disorienting editing style – Prouvost’s ongoing investigation of translation and misinterpretation lies at the core of this. As Gregor, trapped in his cluttered brain, has flashbacks of Betty, and Betty, intoxicated and on the verge of a breakdown, calls out for him repeatedly, frightened and confused, each longs and searches for the other that they cannot find. In Admiralty
EN Arch, Betty and Gregor sat in a tiny room that we fashioned into a karaoke bar serving squid-ink vodka shots, next to a dead squid in a tank. Needless to say Betty, Gregor, and much of the audience were drunk by the end of the night. To develop her project for the French Pavilion, Laure took a road trip from Croix, where she was born, to Venice, and made a film along the way – Deep Blue Sea Surrouding You/Vois ce bleu profond te fondre. She collected 12 people of different ages and backgrounds, each of whom had a special talent – e.g. magic, dance, music – to create a sort of travelling circus, and also co-wrote a multi-lingual script. The idea of taking a journey, of searching for something or someone, and of mixing reality with fiction, have evolved in Laure’s previous work: Betty and Gregor were drunk and lost in the aforementioned Wanderer; there are real-life protagonists in her 2016 video Lick in the Past, part of her installation A Way to Leak, Lick, Leek for Fahrenheit FLAX
Laure décrit l’itinéraire qu’elle a imaginé pour son projet de la façon suivante : “Un voyage vers notre inconscient. À l’aide de nos cerveaux logés dans nos tentacules, nous creusons des tunnels vers le passé et l’avenir, en direction de Venise. Suivons la lumière.” L’installation Deep Blue Sea Surrounding You/Vois ce bleu profond te fondre pose la question de la formation de l’identité, depuis le concept d’identité nationale jusqu’à un lieu où cette identité n’existe pas, où le langage, son appropriation et son détournement conduisent à l’éloignement et aux malentendus. Laure Prouvost a également tiré son inspiration du cadre de la biennale : une île envahie par les eaux, submergée quand il pleut, et qui s’enfonce lentement dans la mer. L’artiste conçoit l’exposition comme le corps d’une pieuvre, avec la tête au milieu, et comme une métaphore des origines de notre planète. Elle veut nous placer en immersion dans le ventre d’une créature inconnue, afin de découvrir qui nous sommes. La mer est la métaphore par excellence
in L.A.; or Laure’s fictional grandma searching for her fictional granddad – a conceptual artist and friend of Kurt Schwitters’, who had disappeared down a tunnel he dug from his French living room to Africa – in her Turner Prizewinning installation and video Wantee (2013). Laure describes her vision of this journey as “a trip to our unconscious. With the help of our brains in our tentacles, we dig tunnels to the past and the future towards Venice. Let’s follow the light.” Deep Blue Sea will consider the formation of identity, from the concept of a national identity, to a place of no identity – where language, and its appropriation and misappropriation, lead to disconnection and misunderstanding. Laure was equally inspired by Venice, a group of watery islands that are gradually sinking into the
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CI-DESSUS : BLOUSE AVEC JABOT EN SOIE, CHLOÉ. CHEMISE ET PANTALON EN SOIE, ACNE STUDIOS. PAGE DE DROITE : ROBE-CHEMISE EN COTON, LOEWE. RICHELIEUS “ZIZI” EN CUIR, REPETTO.
ROBE EN LIN, BALLERINES EN CUIR, ACNE STUDIOS.
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SES HISTOIRES RELÈVENT DU MYTHE, COMME SI LES PROTAGONISTES PARTAIENT CHERCHER UN TRÉSOR DE L’AUTRE CÔTÉ DE L’ARC-EN-CIEL. Kathy Noble
FR de l’inconscient, puisqu’elle reste l’un des derniers lieux inexplorés de notre planète, son contenu à peine entrevu restant inaccessible. La question de l’identité, de sa formation à la fois consciente et inconsciente, de son expression, de sa perception par autrui, de ce que veut dire être un autre, ou bien l’Autre – tout cela occupe une place fondamentale dans Deep Blue Sea Surrounding You, qui pose aussi la question de la représentation d’une nation.
EN ocean. Laure envisions the exhibition as the body of an octopus, a metaphor for the origins of the planet, immersing viewers in the stomach of an unknown creature in order to find out who we are. The sea, of course, is a quintessential metaphor for the unconscious, one of the few places on Earth that remains truly uncharted. The question of identity – how it is formed, both consciously and unconsciously, how it is expressed, how it is viewed by others, what it
Dans ses Exercices de style (1947), Raymond Queneau raconte 99 fois l’histoire d’un homme qui prend le bus, à chaque fois dans un style différent. La plupart d’entre nous effectuons régulièrement les mêmes trajets, empruntons les mêmes rues, faisons nos courses dans les mêmes supermarchés. L’expérience globale semble identique, mais dans les détails de ce que nous ressentons en chemin, elle est différente. Laure décrit l’élan qui l’a poussée à réaliser Deep Blue Sea Surrounding You comme un besoin de mieux comprendre qui nous sommes. Saurons-nous mieux le comprendre en restant en territoire connu, ou en voyageant ? Si nous entreprenons ce voyage vers l’ailleurs, pourrons-nous échapper à nous-mêmes, “sortir de notre esprit” – ou prendrons-nous conscience, une fois arrivés, que nous sommes le produit de l’endroit d’où nous venons ? Même si elle s’appuie sur des comportements et des objets du quotidien, l’œuvre de Laure Prouvost a des allures de conte de fées. Ses histoires sont souvent un peu fantastiques, ou relèvent du mythe, comme si les protagonistes partaient chercher un trésor de l’autre côté de l’arc-en-ciel, un mirage dans le désert, une maison en pain d’épices – pour que s’opère au cours du voyage une sorte de transformation radicale.
means to be another, or the other – is also fundamental to Deep Blue Sea, which quite pointedly asks, “What does it mean to represent a nation?” Raymond Queneau’s 1947 novel Excercices de style recounts the simple tale of a man taking a bus journey 99 times, and each time the story is told in a different style. Most of us take the same journeys very regularly – to work, to school, to university, to the shops. We walk down the same roads, take the same trains, go to the same grocery store, and repeat the same things over and over again. The overall experience might appear the same on the surface, but the minutiae of what is seen and felt are entirely different every time. Laure has described the impetus to make Deep Blue Sea as a wish to try and understand ourselves better. Yet will we understand ourselves better by remaining in familiar territory or by travelling somewhere else? Will we escape ourselves through travel, or will we arrive only to realize that we’re the product of where we came from? Although she often uses everyday behaviours and objects,
À 21 ans, je me suis enfuie en Indonésie avec un homme que j’avais rencontré à Melbourne où je vivais à l’époque. Un jour, avant l’aube, nous avions décidé de gravir le volcan Marapi à Sumatra, pour parvenir au sommet au lever du soleil. Nous avancions à travers la forêt tropicale, escaladant des raidillons sur lesquels rampaient des racines
Laure’s work has a fairy-tale quality: the stories are often
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PAGE DE DROITE : BLOUSE AVEC JABOT EN SOIE, CHLOÉ. CHEMISE, ACNE STUDIOS.
fantastical in nature, as if the protagonists are seeking a treasure at the end of the rainbow, the mirage across the desert, a cottage made of candy – some kind of radical transformation at their journey’s conclusion.
PAGES PRÉCÉDENTES ET CI-DESSUS : BLOUSE AVEC JABOT EN SOIE, CHLOÉ. CHEMISE ET PANTALON EN SOIE, ACNE STUDIOS. RICHELIEUS “ZIZI” EN CUIR, REPETTO. RÉALISATION : SAMUEL FRANÇOIS. ASSISTANTE RÉALISATION : EWA KLUCZENKO. PRODUCTION : KERRY DANSON ET ZUZANA KOSTOLANSKA CHEZ ART PARTNER. PRODUCTION LOCALE : CARLO PATERNO CHEZ AMAZED BY.
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LAURE PROUVOST
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VENISE
EN
protubérantes, glissant sur des pentes boueuses, dans les pas rapides d’un guide. L’altitude rendait la respiration difficile. À un moment, je me suis effondrée et me suis mise à pleurer. À travers mes larmes mêlées de sueur et de boue, j’ai croisé le regard désolé de mon ami. Quand il m’a demandé : “Tu veux faire demi-tour ?”, j’ai eu la vision fugitive d’une éclatante lueur orange vif illuminant le vaste paysage de Sumatra à mes pieds : je me suis remise debout et j’ai continué d’avancer. La forêt est devenue montagne, la montagne s’est changée en éboulis de pierres volcaniques, et de lourds nuages nous ont engloutis. Peu à peu, la pente s’est atténuée et le gris du basalte s’est confondu avec un brouillard si épais que nous pouvions à peine nous apercevoir. Six heures après le début de notre ascension, nous nous retrouvions dans un non-endroit, gris et privé d’horizon.
When I was 21, I ran away to Indonesia with a man I’d known just a week. One day, we decided to climb Mount Marapi at night, to reach the peak at sunrise. As we struggled through the rainforest, up sharp inclines laced with bulbous tree roots and slimy, muddy slopes, behind a fast-moving guide, the change in altitude made breathing near impossible. At one point, exhausted and in pain, I collapsed to the ground. As my tears mingled with rain, sweat and mud, I looked up to see my friend’s big brown eyes staring sadly down at me. As he asked, “Do you want to turn back?”, an image of bright, searing orange light revealing the vast Sumatran landscape below flashed through my mind, and I steeled myself to go on. As we climbed ever higher, heavy cloud soon engulfed us. Slowly the mountain-
Comme moi, et comme beaucoup d’autres, Laure est à la recherche de quelque chose. Mais, comme moi et comme beaucoup d’autres, elle ne sait pas exactement ce qu’elle cherche, ce qui rend la chose impossible. Chaque fois qu’elle découvre ou apprend quelque chose de nouveau, elle se rend vite compte qu’elle l’a mal interprété, mal compris. Que la surface, l’image, les lettres ou les sons ne sont pas ce qu’ils paraissaient. Et à chaque fois qu’elle parvient à cette conclusion, elle repousse l’image pour découvrir ce qu’il y a derrière, ré arrange les lettres pour voir ce qu’elles révèlent, et murmure les mots à voix haute pour entendre leurs secrets. Il se peut alors qu’elle ne trouve pas ce qu’elle est venue chercher, mais en général, elle saisit autre chose. Elle m’a confié que l’idée de Deep Blue Sea Surrounding You était centrée sur le voyage qui l’a conduite à réaliser cette œuvre : un voyage qui, comme mon ascension du volcan, n’atteint aucun point culminant, n’a aucune fin concrète, mais nous fait connaître l’expérience d’être avec d’autres que soi, tout au long du chemin.
side blurred into a fog so thick we could hardly see each other. Six hours after we began our ascent, we found ourselves in a grey horizon-less non-place. Like me, and like many people, Laure is searching for something. But, like me, and like many people, she doesn’t quite know what it is, which makes it impossible to actually find. Each time she discovers or learns something new, she quickly realizes that she’s misunderstood it – that its surface, image, letters or sound are not what they initially appear. And each time she realizes this, she pushes through the image to find what’s behind it, rearranges the letters to see what they reveal, and whispers the words out loud to hear their secrets. Laure described her idea for Deep Blue Sea Surrounding You/Vois ce bleu profond te fondre as being entirely about the journey that took place to make it – one which, like my volcano ascent, has no climax, nor tangible
Deep See Blue Surrounding You/Vois ce bleu profond te fondre,
ending, but is ultimately about the experience of being with
du 11 mai au 24 novembre, Pavillon français, Biennale de Venise.
other people along the way.
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FONDATION BEYELER
02 RUDOLF COVER STORY
STINGEL
PORTRAITS PAR CASS BIRD
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RUDOLF STINGEL
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Invité de la Fondation Beyeler en mai pour une exposition qui s’annonce déjà historique, Rudolf Stingel n’a pas toujours été le peintre vénéré qu’il est aujourd’hui. Son ami, le célèbre curateur Francesco Bonami, revient sur leurs débuts dans le Milan festif des années 80, puis dans un Manhattan qui ne comprit pas tout de suite la dimension du maître, sa ferveur pour la peinture et sa capacité exceptionnelle à en explorer les possibilités et les limites. PARTIE I
PAR FRANCESCO BONAMI
FR UNE CHOSE QUI A TENDANCE À M’AGACER, ce sont les gens qui appellent les personnes célèbres par leur prénom, se réclamant ainsi d’une intimité parfois réelle mais qui, le plus souvent, relève de l’hallucination psychotique. Même si j’ai connu Rudolf Stingel pendant 61% de mon existence environ (signe d’une certaine longévité dans l’amitié fraternelle), je me contenterai donc de l’appeler Stingel, comme nous le faisions en Italie entre camarades de classe – non pas en signe d’un quelconque respect, mais peut-être parce qu’au fond de nous, dans cette sagesse intuitive que possèdent tous les enfants, nous savions qu’on ne connaît jamais quelqu’un complètement. J’ai rencontré Stingel pour la première fois dans le studio photo de Toni Thorimbert, brillant photographe italien très en vogue à l’époque. C’était au milieu des années 80, et nous avions tous les deux été convoqués pour l’une de ces séries ridicules sur les jeunes artistes de la “nouvelle” génération. En tant qu’artiste (relativement) jeune moi-même, je croyais dur comme fer à cette illusion. Stingel était ainsi un autre de ces “jeunes artistes”.
EN RUDOLF STINGEL WHILE THE ITALIAN ARTIST IS CURRENTLY BEING HONOURED WITH A RETROSPECTIVE AT THE BEYELER FOUNDATION, HE WASN’T ALWAYS THE VENERATED PAINTER HE’S BECOME TODAY. HIS FRIEND, THE CURATOR FRANCESCO BONAMI, RECALLS RUDOLF STINGEL’S LONG, LONELY TRAJECTORY TO THE TOP. Something that annoys me quite a bit is people who call the famous by their first names, claiming an intimacy that’s sometimes true but mostly delusional. So even if I’ve known Rudolf Stingel maybe 61% of my life, I will refer to him simply by his last name, as we used to do at school in Italy, not out of respect but simply because our family names were less subject to possible misunderstandings, and maybe also because deep down we knew, with that unconscious wisdom all kids have, that nobody ever knows anyone else completely. I met Stingel in the mid-80s, at the studio of the
Il vivait dans le Milano da bere (“Milan à boire”), une ville qui échappait aux sombres heures du terrorisme et des violences politiques dans un tourbillon d’extrême superficialité, sous l’égide de quasi gourous comme Elio Fiorucci, impresario de la mode – consumant les nuits au Plastic, club où le jeune DJ Nicola Guiducci régnait en maître. Des artistes comme Keith Haring ou Nan Goldin s’y produisaient. Milan était une ville cool. Stingel et moi-même jouissions à l’époque, en tant que peintres, d’une minuscule tranche de succès. Pour cette séance photo, j’ai le vague souvenir de m’être trouvé bien mieux sapé que Stingel, dans mon costume sur mesure, tandis que lui était enveloppé de son manteau sombre, avec cette touche d’existentialisme qui ne l’a jamais vraiment quitté. Nous ne nous connaissions pas, et cela ne changerait qu’un an plus tard environ, lorsque nous partirions
PAGE PRÉCÉDENTE ET PAGE DE GAUCHE RUDOLF STINGEL PHOTOGRAPHIÉ DANS SON ATELIER À NEW YORK.
brilliant photographer Toni Thorinbert (at the time very much in vogue), where we’d been summoned for one of those preposterous stories about the “next generation” of young artists, something in which, as a youngish artist myself, I believed with delusional trepidation. Stingel was another young artist living in what was then called la Milano da bere, “the drinking Milan,” a city that had escaped the anni di piombo of terrorism and political violence and was enjoying an age of utter superficiality led by guru-like figures such as fashion impresario Elio Fiorucci, burning every night in the surreal atmosphere of Plastic, a disco where young DJ Nicola Guiducci ruled supreme as though there was no tomorrow. Artists like Keith Haring or Nan Goldin had shows
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CI-CONTRE RUDOLF STINGEL DEVANT L’ŒUVRE UNTITLED (2013). HUILE ET ÉMAIL SUR TOILE, 300 X 242 CM.
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RUDOLF STINGEL
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FR au même moment chercher de l’or à New York. Nous voilà donc à Manhattan, deux outsiders partageant les mêmes frustrations dans le coupe-gorge du milieu de l’art new-yorkais. Des vies différentes, mais les mêmes difficultés. J’ai assez rapidement pris conscience que mes talents artistiques ne me mèneraient nulle part et, très vite, par un heureux concours de circonstances plutôt que par choix, j’ai basculé sur le terrain de la critique d’art et du commissariat d’expositions. Stingel, avec une détermination concentrée dont je n’ai compris que plus tard qu’elle était l’une de ses plus grandes qualités, est non seulement resté artiste, mais artiste peintre. Résistant aux sirènes aguicheuses de l’appropriation et de l’art conceptuel, il a continué d’interroger la nature profonde de l’art pictural, conservant sa ferveur pour la peinture à une époque où l’on rédigeait tous les deux jours la nécrologie de la discipline.
EN there – Milan was cool, and both Stingel and I were enjoying a miniscule slice of success in the city as painters. But I remember that, at the photo shoot, I considered myself the cooler in my bespoke suit, where Stingel was bundled up in a dark coat with an existential attitude that he’s never truly abandoned. It wasn’t until a year after that first meeting, however, that we got to know each other, when we both moved to New York in search of gold. There we were both outsiders, sharing frustrating experiences in the cutthroat Manhattan art world. There were times when we were closer than others, but communication never really stopped completely. Different lives, same problems. Soon enough I realized that my skills as an artist were leadI became an art critic and curator. Stingel, with a focus I only
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PAGE DE DROITE L’ARTISTE DEVANT L’ŒUVRE UNTITLED (2015). HUILE SUR TOILE, 241,3 X 165,7 CM.
later recognized as one of his strongest qualities, remained not only an artist but a painter. Even though lured by the sirens of appropriation and conceptual art, he stuck to his guns, inquiring into the very nature of painting at a time when the medium’s obituary was being written every other day. His breakthrough came with the cynical, or desperate – the two often go hand in hand – idea of the “instruction painting”: he brought out a little orange instruction booklet, professionally shot, on how to make a Stingel painting – not a fake Stingel but a real one. It was a daring conceptual leap, difficult to grasp, and verging on self mockery. Soon after, in 1991, he showed a radical installation at Daniel Newburg Gallery on Broadway, with a glowing orange carpet flooding the entire floor of the space. Both ideas were so extreme and out of nowhere that nobody even noticed
Post-Production/Retouching : Gloss Studios (portraits)
ing nowhere and slowly, by serendipity rather than choice,
Pour lui, la révélation est venue avec sa fameuse idée, cynique ou désespérée (les deux vont souvent de pair), d’instruction painting. Il a produit un petit livret orange, illustré par un photographe professionnel, dans lequel il montrait comment réaliser soi-même une toile de Stingel. Pas un faux Stingel, un vrai. Un saut conceptuel audacieux, difficile à appréhender, à la limite du geste d’autodérision. Peu de temps après, en 1991, il présentait à la galerie Daniel Newburg, sur Broadway, une installation pour le moins radicale, engloutissant tout le sol de la galerie sous un lumineux tapis orange vif. Ces deux idées étaient tellement extrêmes, tellement sorties de nulle part, que personne ne les a même relevées. Et je n’en reviens toujours pas. Le milieu de l’art, et en particulier le milieu de l’art new-yorkais, est si obsessionnellement captivé par son propre nombril qu’il est incapable d’enregistrer quelque chose d’aussi révolutionnaire que le tapis orange de Stingel ou son manuel d’instruction. Il y avait très peu de monde au vernissage avec, dans une salle adjacente, une immense
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RUDOLF STINGEL
BÂLE
IL FUT LE SEUL À ACCEPTER L’IDÉE QUE LE PRONOSTIC VITAL DE LA PEINTURE ÉTAIT ENGAGÉ, TOUT EN ESSAYANT
DE LA SAUVER. Francesco Bonami
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them. And this is something that still puzzles me: the art world, and in particular the New York art world, is too self-obsessed not to record groundbreaking events like the Stingel carpet show or his instruction book. But still it was that very few people attended the opening, where a huge and ignored instruction painting hung in an adjacent room. I’ll spare you the banality of stating that Stingel was ahead of his time – he wasn’t – but he was the only one coping with the idea of painting on life support, trying to save it through mouth-to-mouth resuscitation – and himself with it, since he’d lost all sign of the vitality he’d been enjoying just few years before. The story goes on and on, Stingel staying on the straight and narrow but remaining unnoticed for many years, while I slowly grew up as a curator. One thing I credit Stingel with, and myself vicariously too: as Richard Nixon would have said, even when his career and spirit were at the bottom of
Pour une raison étrange et inexplicable, j’ai toujours ressenti la même chose à l’égard de son travail, de ses idées et de son intuition – parfois envers et contre tout. J’ai toujours été convaincu qu’il savait ce qu’il faisait. Toutes ses expositions, qu’elles soient remarquées ou non, étaient les bonnes. Aucune tare. Aucun signe de renoncement pour sacrifier à une mode potentiellement éphémère. J’ai attendu. Je sentais qu’il allait grimper et, le plus naturellement du monde, il a grimpé en effet, atteignant le sommet d’un seul coup. Confirmant que le type en manteau noir, rôdant comme un personnage de Dostoïevski dans un studio photo milanais en 1985, était bien le véritable peintre de la “nouvelle” génération. Aujourd’hui, ils sont nombreux à crier haut et fort qu’ils connaissaient “Rudi”. Je veux bien le croire. Mais alors, sans rien voir du Stingel qu’il allait devenir.
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the valley, he kept climbing, avoiding all the short cuts, sure there was a bright peak up there to enjoy. For some mysterious reason I felt the same, often against the odds – but still it always seemed to me he knew what he was doing. Whether noticed or unnoticed, his shows were the right ones – no flaws, no signs of receding into short-lived trends. I waited, certain he would eventually catch up, which, as naturally as possible, he did, suddenly reaching the peak and confirming that the guy looming out of that 1985 Milan photo shoot, like a character from Dostoevsky in his dark coat, was the true painter of the “next generation.” Today, many people say, “I knew ‘Rudi.’” I’m sure they did. But they didn’t see the Stingel he would become.
Courtesy of Rudolf Stingel. Photo John Lehr. Double page suivante : Courtesy of Rudolf Stingel. Photo Stefan Altenburger
toile d’instruction painting accrochée dans l’indifférence générale. Je vous épargnerai le poncif qui consisterait à affirmer que “Stingel était en avance sur son temps”. Il ne l’était pas, mais il fut en revanche le seul à accepter l’idée que le pronostic vital de la peinture était engagé, tout en lui restant fidèle à sa manière bien particulière, et en essayant de la sauver. À l’époque, il s’agissait d’un massage cardiaque de la dernière chance, pour tenter de ressusciter la pratique picturale et, d’une certaine façon, se réanimer lui-même, parce qu’il avait perdu toute la vitalité dont il faisait preuve seulement quelques années auparavant. Et l’histoire se poursuivit. Stingel est resté engagé dans cette voie, quasi invisible pendant de nombreuses années, tandis que je prenais lentement mon envol en tant que curateur. Reste une chose que je place à son crédit, et au mien par procuration : comme aurait pu le dire Richard Nixon, même lorsque sa carrière et son moral étaient “au fond de la vallée”, Stingel a poursuivi son ascension, évitant tous les raccourcis et sachant que, là-haut, l’attendait un magnifique sommet.
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CI-DESSUS UNTITLED (MALAPARTE VI) (2017). HUILE ET ÉMAIL SUR TOILE, 127 X 127 CM. DOUBLE PAGE SUIVANTE VUE DE L’INSTALLATION AU PALAZZO GRASSI À VENISE (2013).
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COVER STORY
RUDOLF STINGEL
BÂLE
On est fasciné par ses toiles abstraites qui fleurissent dans les plus grands musées et dans les foires. On foule ses tapispeintures engloutissant les espaces des galeries ou du Palazzo Grassi. On touche et on laisse son empreinte sur ses larges panneaux comme ceux qu’il avait installés dans le Pavillon italien de la Biennale de Venise. Mais connaît-on vraiment Rudolf Stingel ? L’exposition que consacre la Fondation Beyeler au peintre italien est l’occasion de revenir sur le cas d’un artiste majeur, animé par une ferveur folle. PAR HETTIE JUDAH PARTIE II
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princière du grand hall, imposant un contrepoint modeste et cosy à la pompe architecturale. En 1993, à la Biennale de Venise, Stingel avait déjà installé, sur un mur de 90 mètres de long, un épais tapis orange avec lequel les visiteurs étaient invités à jouer, laissant dans l’épaisseur du tissage leur empreinte. Il en résultait une “peinture” contingente, qui exploitait les qualités tridimensionnelles de la surface. Ce tapis orange est désormais installé à la Tate Modern de Londres, où les visiteurs profitent de son caractère subversif dans un contexte où la règle habituelle est celle du “ne-pas-toucher”. Inutile de maîtriser l’art pour y prendre plaisir. L’implication se fait de manière instinctive : Stingel offre une surface obéissante qui nous ramène à un désir viscéral de manipuler la matière et d’y imprimer notre marque.
CANVASES AND CARPET-PICTURES, BUT DO WE REALLY KNOW RUDOLF STINGEL? HIS RETROSPECTIVE AT THE BEYELER FOUNDATION IS THE CHANCE TO IMMERSE OURSELVES IN THE WORK OF THIS PASSIONATE, EXCITING AND ICONOCLASTIC PAINTER. Trickster, provocateur, showman, painter-at-the-limits, Rudolf Stingel is capable of generating moments of sublime beauty. His silver rooms – made for the Italian Pavilion at the 2003 Venice Biennale and the Whitney Museum in 2007 – are lined with sheets of Celotex, an off-the-shelf foil-covered insulation material in which visitors are invited to leave their mark. Yet they seduce: fretted with graffiti and gouges, the dappled light of a crystal chandelier. This skill in tricking spectacle out of the mundane (and then undermining it again) is a Stingel specialty. In 2013 he lined Venice’s vast to resemble antique Ottoman rugs. It flooded the entrance hall, cascaded over the stairs and climbed up the walls of the galleries above. Against the polychrome carpet, Stingel hung grisaille oil paintings: spare groupings of large abstract works, enlarged depictions of religious figurines, and portraits of himself, and his friend, the artist Franz West, copied
EN from stained and damaged photographs. Carpet has long been part of Stingel’s anti-painting repertoire. In 1993, in the Aperto section of the Venice Biennale, Stingel installed a 9 m-long wall of thick-pile orange carpet, which visitors were invited to play with, leaving sculpted, gestural marks. The result was a changing “painting” that addressed the three-dimensional qualities of the surface: carpet pile and paint as materials that had depth and could be formed, rather than mere carriers of a two-dimensional image. Stingel’s orange carpet is now on show at London’s Tate Modern, and you can watch visitors of all ages plunge their hands joyfully into the fibres, digging the subversion of handling materials in a do-not-touch environment, and the
the Celotex walls have a glamorous sparkle enhanced by
Palazzo Grassi with contemporary carpeting manufactured
Le tapis appartient depuis longtemps au répertoire “anti-peinture” de Stingel. En 2004, il avait déjà équipé l’immense Vanderbilt Hall de la gare Grand Central Terminal de New York d’un douillet tapis à imprimé floral spécialement créé pour le lieu (Plan B). Il était certes permis de juger ridicule ce motif un peu tarte dans son cadre grandiose, mais on pourrait tout aussi bien soutenir qu’il bousculait l’arrogance
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WE’VE LONG BEEN FASCINATED BY HIS ABSTRACT
Courtesy of Rudolf Stingel. Photo Santi Caleca
FILOU, SUBVERSIF, PROVOCATEUR, showman, peintre jusqu’au boutiste, Rudolf Stingel est capable de produire des instants de beauté sublime. Ses “silver rooms” (salles installées dans le Pavillon italien de la Biennale de Venise en 2003 et au Whitney Museum en 2007), sont revêtues de Celotex, un matériau argenté sur lequel les visiteurs sont invités à laisser leur marque. Constellés de graffitis et d’entailles, les murs resplendissent d’un éclat glamour, rehaussé par la lumière d’un chandelier de cristal. Cette habileté de falsificateur, qui lui permet de faire naître le spectaculaire du banal (avant de lui faire subir un nouveau travail de sape), est une spécialité de Rudolf Stingel. En 2013, il avait recouvert les intérieurs du Palazzo Grassi à Venise d’une moquette imitant des tapis ottomans anciens. Le revêtement engloutissait le hall d’entrée, retombait en cascade sur les escaliers et tapissait les murs des galeries supérieures. Sur ce fond polychrome, Stingel avait accroché des grisailles peintes à l’huile : combinaisons d’œuvres abstraites et dépouillées, agrandissements de figurines religieuses, portraits de lui et de son ami Franz West, reproductions à l’identique des photographies abîmées et tachées.
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Cet acte de don de l’artiste à son public s’appuie sur la dynamique inaugurée par le livret Instructions, Istruzioni, Anleitung, Mode d’emploi, Instrucciones […], publié par Stingel en même temps que la première exposition de ses toiles de la série Instructions, chez Massimo de Carlo, à Milan, en 1989. Cette brochure de 24 pages livrait en six langues un mode d’emploi illustré permettant de réaliser, étape par étape, une authentique toile d’instruction painting de Rudolf Stingel. Le processus requis pour obtenir l’œuvre abstraite était très précis. Les multiples étapes incluaient l’apposition d’une première couche de peinture à l’huile, l’application de gaze, le retrait de l’excès de peinture avec une raclette, puis la pulvérisation d’une couche de
CI-DESSUS VUE DE L’INSTALLATION À LA BIENNALE DE VENISE (2003).
agency of leaving a mark in an institution dedicated to patient looking. Like Stingel’s silver rooms, the carpet-paintings are about the enjoyment of colour, texture and leaving a record of yourself: you don’t need to know anything about art or its theories to enjoy them. This act of gift-giving from artist to audience builds on the dynamic established in Stingel’s 1989 Instructions, Istruzioni, Anleitung..., a booklet published to accompany his first exhibition of Instructions paintings at Massimo de Carlo in Milan. An illustrated step-by-step guide in six languages of
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CI-CONTRE UNTITLED (2018). HUILE SUR TOILE, 241,3 X 589,3 CM.
peinture argentée. Instructions, Istruzioni [...] constituait une riposte à la fétichisation de la “main de l’artiste”, posant la question du statut de l’œuvre d’art : pourquoi une peinture créée par Stingel lui-même aurait-elle davantage de valeur qu’une toile résultant d’un procédé rigoureusement identique, mais réalisée par quelqu’un d’autre ? Comme pour les silver rooms ou les tapis-peintures, Instructions, Istruzioni [...] dynamitait avec panache le protocole. On voyait ainsi un artiste démolir son propre mythe, battre en brèche le concept même du génie artistique en “dévoilant” que la fabrique de l’art était une entreprise accessible à tous. Fait particulièrement révélateur, Stingel a continué de produire et de vendre ses toiles à applications de gaze pendant plus de trente ans après Instructions, Istruzioni [...]. Les œuvres figuratives de Stingel sont des peintures de photographies (et j’entends par là des représentations d’une photographie en tant qu’objet matériel, et non des reproductions peintes de l’image photographique). Au Palazzo Grassi, son portrait affichait aussi des taches de vin rouge, et les cercles blancs laissés sur l’image par une bouteille de bière ou une tasse à café. Dans le même ordre d’idées, une série plus récente, représentant des animaux, a été tirée d’un vieux calendrier allemand. Les couleurs éteintes des toiles proviennent de leur source photographique plutôt que de la vérité de la “nature”. Cette exploration de la pauvreté de l’image va dans le sens d’une
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how to create a Rudolf Stingel Instruction painting, it was anything but flippant; a riposte to the fetishization of the artist’s hand, it raised the question of why one of these gauze paintings created by Stingel himself might be valued more highly than one created using identical processes by someone else. As with Stingel’s silver rooms and carpet
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volonté d’exposer au grand jour les processus de fabrication de l’art, en utilisant des matériaux à la fois humbles et décadents, et en venant croiser le fer avec la “pure sobriété” du modernisme. Parmi ses premières “toiles”, il y avait ainsi cette série que l’artiste a réalisée en marchant dans du solvant puis sur du polystyrène, laissant derrière lui des empreintes, comme des traces de pas dans la neige.
wallpaper paintings in London, Stingel presented a series
En 2004, à Londres, dans son exposition de wallpaper paintings, Stingel présentait une série de toiles dorées de taille identique dont chacune portait un motif différent de papier peint ouvragé. En regardant de plus près, la répétition en apparence parfaite des motifs eux-mêmes s’avérait rompue par des “erreurs” introduites dans le processus manuel de la peinture. L’idée de matériaux pauvres ou au contraire luxueux (l’or ou le polystyrène) pose en soi la question du bon goût, et des associations qui s’attachent aux différents matériaux. Au Palazzo Grassi, l’espace pouvait évoquer l’intérieur d’une mosquée, ou bien le cabinet viennois de Sigmund Freud. Ainsi, le peintre iconoclaste réassigne à la galerie le rôle d’un lieu de culte ; instigateur d’œuvres d’art participatives, il scénarise sans hésiter son exposition comme l’ersatz du cabinet d’un psychanalyste.
The idea of poor and luxurious materials – Styrofoam and
of identically sized gold canvases that, on closer inspection, carried intricate wallpaper patterns. On even closer inspection the immaculate repetition within the patterns themselves turned out to be broken by “faults” introduced during the process of hand painting.
works, this was a flamboyant trashing of protocol, an artist destroying his own myth, undermining the idea of “genius” by revealing art-making as an easy and accessible undertaking. Stingel’s figurative works, meanwhile, are paintings of photographs as physical objects: at Palazzo Grassi, his portrait appeared complete with red wine stains and white rings etched into the surface by beer bottles or coffee cups – an uncherished object. A recent series of animal pictures was taken from an old German calendar, their muted colours drawn from the source photograph rather than “nature.” This exploration of the poverty of the image is of a piece with Stingel’s interest in exposing the processes of art making, using materials both humble and decadent to joust with the pure restraint of Modernism. Among his early works is a series made by walking solvent across Styrofoam, leaving tracks like footprints in the snow. In his 2004 exhibition of
Rudolf Stingel. Photo : John Lehr
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gold – in itself raises the question of taste, and the associations that materials bring. Such references and connections were legion at the Palazzo Grassi, Stingel’s carpet there recalling Venice’s historic trading relationship with the Islamic world, such rugs being so prevalent in Renaissance artworks that their designs are classified by the artists who immortalized them – a Bellini carpet, a Memling carpet, a Lotto carpet (the paintings, in most cases, having long outlived the woven textiles they represent). The fully carpeted space also suggests the interior of a mosque, as well as Sigmund Freud’s Vienna and London consultation rooms. Thus, the irreverent Stingel recast the gallery as a place of worship; the architect of participatory artworks set-dressed
Rudolf Stingel, du 26 mai au 6 octobre, Fondation Beyeler, Bâle.
his exhibition as an ersatz site of psychic analysis.
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LONDRES
TATE MODERN
03 ANNE COVER STORY
IMHOF PORTRAIT ET PHOTOS PAR NADINE FRACZKOWSKI
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ANNE IMHOF
LONDRES
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ANNE IMHOF
LONDRES
En 2017, Anne Imhof prenait possession du Pavillon allemand de la Biennale de Venise pour y déployer son Faust. Récompensée d’un prestigieux Lion d’or, la performance onirique et radicale, opéra brutal d’un xxie siècle exsangue, s’imposait aussitôt comme le chef-d’œuvre de notre génération. Deux ans plus tard, la jeune artiste allemande dévoile sa très attendue performance Sex à la Tate Modern. Une expérience racontée par la poétesse américaine Eileen Myles. FR MON PSY M’A DIT que l’histoire de ma vie, jusqu’à présent, s’était écrite à la craie. Mon travail procède de manière analogue. Pas celui d’Anne Imhof. Une grosse pendule paresseuse, je dirais. L’autre soir, en quittant Sex, on nous a remis un livret avec Eliza Douglas [peintre et muse d’Anne Imhof] sur la couverture. J’ai commencé à le feuilleter, mais je me suis dit que j’allais plutôt d’abord coucher mes impressions ici, griffonner ce qui me venait, et que la lecture viendrait dans un deuxième temps. Lorsque vous lirez ceci, sachez que je serai, moi, en train de lire.
EN OPERA WRIT IN CRAYON: ANNE IMHOF’S SEX AT LONDON’S TATE MODERN, A STRANGE DANCE SPECTACLE BRINGS GALLERY-GOERS INTO INTIMATE CONTACT WITH THE YOUNG PERFORMERS. AMERICAN POET EILEEN MYLES RECOUNTS THEIR EXPERIENCE. My shrink has told me my life story thus far is writ in crayon. My work operates similarly. Not so Anne Imhof’s. I think it’s a big lazy clock. As we left Sex the other night, we were handed a pamphlet with Eliza Douglas on the front, and
J’avais vu passer le nom d’Anne à la Tate, et j’ai envoyé un texto à Eliza (nous nous sommes connues à New York) pour lui demander une place. Puis il m’en a fallu d’autres, pour ceux qui m’accompagneraient, toujours plus nombreux, cinq, et avec un enfant. J’envoyais constamment de nouveaux textos, pour avoir d’autres places. Et puis notre groupe s’est réduit (hop, plus d’enfant), et j’ai choisi d’emmener des gens qui n’étaient pas prévus au départ. Chanceux, nous (c’està-dire, à ce stade, un aréopage de poètes) avons été accueillis dans les “coulisses”, où Anne se faufilait partout, épuisée et radieuse, un peu comme une sorte de zélote, fanatique qui sait ? J’ai l’impression qu’Anne pourrait diriger une secte dans une Russie du Moyen Âge.
I began to look at it, but I thought I’d share my thoughts here first – I’d scribble and then maybe reading would be part two much later after I’m done. After you read this piece you’ll know that I’m reading now. I saw Anne’s name at the Tate earlier in the week and I texted Eliza who I know from New York to get tickets. My party kept growing, soon it was five plus child, I kept texting for more and more I was greedy as fuck and then it began shrinking (no kid) and I brought different people along and conveniently we (by now a gang of poets) were walked “backstage” where Anne was slinking around looking worn and radiant, like a
Nous nous sommes bientôt tous retrouvés dans l’un des tanks [anciens espaces industriels] du musée, sur la rampe d’accès plongée dans
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zealot perhaps. It seems to me Anne could run a cult in medieval Russia. Soon we all stood on the darkened
FR l’obscurité puis, rapidement, nous nous sommes précipités vers les premiers rangs. Une personne mince et élancée, aux cheveux noirs, vêtue d’un tee-shirt AOC et d’un sweat à capuche noir, était perchée sur un grand “T” blanc, une pièce de mobilier, là contre le mur. Elle regardait distraitement son téléphone, même si, bien entendu, tout et n’importe quoi pouvait arriver sur son écran. Une série d’instructions. Quelques minutes plus tard, on nous a tourné le dos, et les lumières ont produit un effet de soudain vacillement, un clignotement défiant la gravité dans le sens où, à ce moment-là, si vous aviez été une particule de lumière, vous vous seriez retrouvé en même temps à deux endroits différents, comme une image que l’effet lumineux aurait rendue instable. Un double, une ombre, et j’ai aimé ça. Des jeunes hommes sont arrivés. Il y avait en eux un thanatos. Ils se tenaient debout, dos au mur. Derrière nous, sur la plate-forme d’observation, le reste de la foule s’était à présent déployé. Parce que la performance s’annonçait déjà d’elle-même comme dépouillée, ce qui émanait de la foule, c’était le calme rugissement de sa faim. À ce stade, une musique discrète nous parvenait. Sur ma gauche, dans la lumière, l’entrée de l’autre tank. Et les gens mouraient de cette faim, regardant de là où ils étaient le spectacle. Pour être honnête, j’ai pensé à cette célèbre image du 11-Septembre, dans laquelle un groupe de personnes dont aucune ne serait sauvée se tient là, au sommet de l’une des tours. On les voit se tenir face à la fenêtre, sachant qu’ils sont pris au piège. Photo panoramique d’un voyage de classe de fin du monde. C’était ça aussi, et juste une soirée en ville, à Londres.
EN on-ramp, and quickly we did as we were told and burst forward to the front of it to see a tall, thin, dark-haired person in an AOC T-shirt, maybe a black hoodie too, perched on a big white T-shaped piece of furniture against the wall, looking distractedly at their phone, though anything of course could be coming through – a sequence of commands. They also in a few minutes had their back to us and the lights produced kind of a flicker effect that defied gravity in that way that if you were a light particle you could be in a couple of places at once, like you were a picture but the lights were creating that unstable effect. A double shadow, and I liked it. Kids came on, young guys. There was a deadness to them. They stood with their backs to the wall. Now, behind us on the observing platform, was the whole sprawling rest of the crowd. Since the performance had already announced itself as spare, what you got from the audience was a quiet roaring hunger. There was some lowkey music by then. And to my left was the lit opening to the other tank (room) and people were starving, looking in on the spectacle that was closer to us. I honestly thought about that famous photograph of 9/11 where a bunch of people who weren’t going to get saved at all were standing at the top of one of the towers. They were shown facing out the window knowing they were fucked. It was an end-time panorama class-trip shot. This was that
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ANNE IMHOF
LONDRES
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ANNE IMHOF
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PAGES PRÉCÉDENTES JOSH JOHNSON, HENRY ET ELIZA DOUGLAS DANS SEX (2019), À LA TATE MODERN, LONDRES.
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Nous étions flanqués des performeurs, qui s’avançaient parmi nous. Dans ce grand ordonnancement des choses, Anne est comme un général. Une horloge paresseuse, détendue, mais profondément organisée. Les petites pièces, les mouvements de danse morte, le fait de rester assis immobile, que je ne peux pas ne pas associer à l’univers urbain, après toutes ces années à voir des gens assis, sur des matelas, partout dans les villes. L’architecture, les poutres de la structure, recouvertes de blanc elles aussi (un blanc doux, j’ai touché), les toiles d’Anne, étincelant dans la salle, noir et blanc, griffées, un peu de jaune qui sonnait juste, et une pile de tee-shirts de death metal, monticule que j’ai qualifié sur Instagram de genre de madone, parce qu’il y avait un visage au sommet, comme un sein mais avec quelqu’un à la place du téton.
too, but just a night out in London. It was all dead serious, but restful stuff, we were supposed to be here each of us so we were participating in one another’s destiny for a while, part of a night. It was a Saturday. Later on I found myself in that other depraved deprived position and I relished it, a little touch of death. But now, still in the first tank, Eliza was crouching, and then standing and lithely hopped down to the ground. I guess when you’re tall and thin the body’s an instrument. Now there were women too, the average age of the performer was young, and they were each doing slow movements walking past our gaze, then picking each other up and carrying male and female bodies flat over their heads and then later they were individers sitting up a bit like deities. I took a picture and sent it to one the people who didn’t come. It’s like this I said. Sophie told me later she loved the incense. There were vents releasing a kind of perfume or smoke that smelled like sandalwood or something holy she thought and she said made her think simultaneously of the birth of Jesus and of teenage parties where you smoke pot but burn incense to cover it up. And that the performers were all dressed like 90s goths which is what Sophie’s teens looked like so that added to the expeEliza. She would have liked all that goth shit. It struck me that everyone is mortal, everyone is holy. The affect was low, close to turned off entirely except for bits of movement. There were spaces created throughout, here and there a thin single mattress with a rough white cover, there were several of them strewn and a young person might put down on the bed next to them a sequence of tarot cards. And we’d surround them doing nothing. Anne was trolling around talking to what looked like darkly clad electronic functionaries. Everyone was wired talking to everyone else so they were this organism. Eliza stood there playing a guitar for a while. Later she was up on a platform, I kept thinking of everything as a parapet which is just a little wall. She was up on her little wall singing in her gendery voice going through its declensions deep and high. She can really sing well, but I think it was more to make a lyric parapet, a little wall of sound for us to kind of worship on, not so much but kind of. The architecture of the tanks is Brutalist meaning
it looks like a subway or a cistern. Yellow-grey. Public. It’s meant to be used and we are using it and it’s using us. The music there was recorded music too, was almost melodic. This is the church I would use. We were flanking each performer, they were pushing through us. Because there was a grand scheme, Anne is sort of like a general. That’s what I meant by a lazy clock. It’s a little loose but deeply organized. The tiny pieces, the dead dance moves, the sitting still which I can’t not think of as urban, and that only after years of seeing people just sitting on mattresses in the city, but I was trying to say the architecture, the supportive beams were covered too in white (soft, I touched), and Anne’s paintings were sparkling around the room, black and white, scratched, some yellow which seemed right, and a
dually being held aloft, maybe legs wrapped around shoul-
rience. I wonder if this is true for Anne Imhof. Certainly for
L’idée m’a frappée que tout le monde est mortel, que tout le monde est saint. L’affect était au minimum, presque totalement désactivé, à l’exception de petits fragments de mouvements. Des espaces avaient été créés ça et là, de maigres matelas à une place, éparpillés, recouverts d’une étoffe blanche toute rêche. Un jeune homme ou une jeune femme pouvait y placer une série de cartes de tarot. Nous étions là autour d’eux, à ne rien faire. Anne allait ici et là, s’adressant à ce qui semblait être des fonctionnaires vêtus de sombre, connectés entre eux par des fils, se parlant. Eliza était debout, jouant à un moment de la guitare. Puis elle était là-haut, perchée sur une plate-forme. Je n’arrêtais pas de penser “un parapet”, qui n’est rien d’autre qu’un petit mur. Elle chantait de sa voix genrée, timbrée, passant du grave à l’aigu. Elle chante vraiment bien, mais je crois que, là, c’était davantage pour bâtir un parapet vocal, un petit mur de son que nous puissions vénérer, pas complètement mais un peu quand même. L’architecture du tank est brutaliste, on se croirait dans le métro, ou dans une citerne. Jaune-gris. Un lieu public. Fait pour être utilisé, et nous l’utilisons, et il nous utilise. Il y avait aussi une musique, enregistrée, presque mélodique. Voilà une église que je fréquenterais.
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Pages précédentes : Courtesy of Anne Imhof and Galerie Buchholz, Berlin/Cologne/New York
Tout ça était mortellement sérieux, mais reposant, aussi. Nous étions censés être là, tous autant que nous étions, pour participer au destin de chacun des autres, l’espace d’un instant, un bout de nuit. C’était un samedi. Un peu plus tard, je me suis retrouvée dans cette autre position dépravée, “privée-de”, et je m’en suis délectée, comme d’une petite mort. Eliza se tenait toujours accroupie. Puis elle s’est redressée et a bondi avec souplesse jusqu’au sol. J’imagine que lorsqu’on est grande et mince, le corps doit être un instrument. Les mecs, et des filles aussi, plutôt très jeunes, l’âge moyen du performeur, en passant devant nous, effectuaient des mouvements lents, puis s’emparaient les uns des autres, portant des corps d’hommes, des corps de femmes au-dessus de leurs têtes et, un peu plus tard, avec les jambes enroulées autour des épaules, assis un peu comme des divinités. J’ai pris une photo et l’ai envoyée à ceux qui n’étaient pas venus. Voilà à quoi ça ressemble, j’ai dit. Sophie m’a raconté par la suite qu’elle avait beaucoup aimé l’encens. Il y avait ces conduits d’aération d’où s’échappait une sorte de brume qui embaumait le bois de santal, ou quelque chose de sacré, selon elle, et qui lui avait fait penser simultanément à la naissance du Christ et aux soirées d’adolescents où l’on fume des joints en faisant brûler de l’encens pour masquer l’odeur. Et le fait que tous les perfomeurs soient habillés dans un style gothique tout droit sorti des années 90, à savoir ce que Sophie portait elle-même à l’adolescence. Je me demande si c’est le cas aussi pour Anne Imhof. Ça l’est très certainement pour Eliza.
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La danse contact improvisée, vous aimez ? Le mouvement était un peu comme ça aussi, on touche, on s’appuie. Je me souviens d’un gars avec un téléphone portable enfoncé dans la bouche, un mépris de cette chose même qui nous relie, mais non, nous sommes aussi une foule. Désireux d’être émus, nous sommes ici sans but depuis longtemps, mais encore excités, ce qui est encore mieux au milieu d’une foule. Nous étions en fait dans le rituel de cela. Regarder, bouger, attendre, et j’aime attendre au milieu d’une foule, et tout le monde là-bas était comme moi, partageant cette volonté d’être dirigé. J’ai été frappée que toutes les positions soient ainsi définitives, en dépit de l’impression que cela aurait pu durer encore des heures – ça a été le cas, et je ne suis pas restée jusqu’à la fin. D’épais morceaux de bois, de longues poutres étroites et des étagères de métal blanc où s’asseoir et chanter, et la joie, je crois, était destinée à être contenue. Un bivouac avec de la musique. Cette semaine-là, j’ai vu des affiches avec le visage d’Eliza dans le métro londonien, je les ai prises en photo, évidemment, et je les ai envoyées à des amis, mais plus je pensais au fait de rester toute une semaine sous terre, à Londres, et à cet espace relié à cela, tant de tristesse, un opéra sans opéra, un chant funèbre, en un sens, et résigné même, une touche d’emballage SM, mais pas réellement, en fait, non, un flou plutôt, et pas de performance, en dehors de nous, puisque chaque âme errante, assise, en chacun de nous une danseuse, un danseur, un ou une pseudo Eliza, parce qu’il y avait cela, aussi, l’ablation de l’originalité, et les ombres des choses étaient peut-être la partie la plus importante, le clignotement des gestes et pour une heure, pour un instant, au son de la musique, elles nous ont tenus contre elles comme des enfants cette nuit-là. Merci.
pile of death-metal T-shirts, a mound which I referred to as a Madonna of sorts on Instagram because there was a face on the top, like a breast but the nipple was someone. Do you like contact improv.? The movement was also like that a little, touching and leaning. They didn’t lack that. I remember a guy with a cellphone stuck in his mouth, scorn the very thing that’s connecting us but no we’re also a crowd. Eager to be moved, we’re out here too long aimless but still excited which is better to do in a crowd. We were basically in the ritual of that, mostly that. Watching, moving, waiting, and I like to wait, and I like to wait in a crowd and everyone out there was like me, sharing that willingness to be led. It struck me that all positions were final. I felt that then. Despite a sense it could go on for hours, it did, and I didn’t stay till the end. Thick pieces of wood, long tall beams and white-metal shelves to sit on and sing from and I think the joy was to be contained and bivouacking while the creature music played. I saw posters in the tube that week with Eliza’s face on them and I took pictures of course and sent them to friends, but more I thought about being underground in London all week and this space connecting to that, sorrowfully, an opera without an opera, dirgey somehow and obedient, even, a little S/M-clad but really not at all, more of a blur and no performance apart from us since each wandering, sitting soul, each dancer, each pseudo Eliza, because there was that too, the originality was severed and the shadows of things were possibly the important part, the flickering of gestures for an hour, for a
Sex, du 22 au 31 mars, Tate Modern, Londres.
while, to music held us like children this night. Thank you.
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LE JOUR OÙ ON KAWARA RAPPELA À SON GALERISTE QU’IL ÉTAIT TOUJOURS EN VIE
FR LE 5 MARS 1992, l’artiste On Kawara envoya à Nicholas Logsdail, à l’adresse de la Lisson Gallery à Londres que ce dernier avait fondée en 1967, un télégramme indiquant : “I am still alive” [“Je suis toujours vivant”]. Cherchait-il à rassurer sur son état de santé le galeriste qui lui consacrait une exposition (elle fut inaugurée le 8 mai) ? Peutêtre mais pas uniquement, attendu que ce télégramme représentait l’une des formes d’expression de l’artiste depuis la fin des années 60. Ainsi Mr Toshiaki Minemura avait-il reçu le 1er avril 1969 à son adresse de Tokyo une carte postale représentant l’Empire State Building, avec pour seul texte un tampon indiquant “I got up at 8.15 A.M.” [“Je me suis levé à 8 h 15”]. Des centaines de cartes de ce type furent envoyées par Kawara qui se leva à 2 h 37 le 8 avril 1971 (récupération de jet-lag ?) ainsi qu’il en fit part à Mr Roger Mazarguil de Paris, sur une carte représentant le siège des Nations unies à New York. Le premier télégramme qu’envoya Kawara dans le cadre de son activité artistique fut adressé le 5 décembre 1969 au critique d’art et commissaire d’exposition parisien Michel Claura. Le texte sommaire, “I am not going to commit suicide, don’t worry” [“Je ne vais pas me suicider, ne vous inquiétez pas”], fut amendé trois jours après par un autre télégramme qui indiquait “I am not going to commit suicide, worry” [“Je ne vais pas me suicider, inquiétez-vous”] – une affaire close le 11 décembre par “I am going to sleep, forget it” [“Je vais dormir, oubliez”]. Un mois plus tard, Kawara expédia à quelqu’un d’autre le premier télégramme indiquant “I am still alive” – un geste qu’il reproduisit maintes fois au cours de sa carrière. En 2009, l’artiste islandais Pall Thayer ouvrit de manière anonyme un compte Twitter au nom de On Kawara (sans en informer ce dernier) et programma un twitterbot de telle sorte que chaque jour à 10 h soit posté le tweet “I am still alive”. Lorsque le compte On Kawara atteint 100 followers, Thayer en revendiqua la paternité et Kawara laissa faire. À sa mort, le 10 juillet 2014, les tweets continuèrent pendant à peu près une année, annonçant fièrement un “I am still alive” déconnecté de la réalité. En 1973, l’artiste italien Salvo (de son vrai nom Salvatore Mangione) fit réaliser une plaque de marbre gravée : “Salvo è vivo” [“Salvo est vivant”]. Depuis sa disparition en 2015, c’est le verso de l’œuvre qui est désormais exposé ; on y peut lire : “Salvo è morte” [“Salvo est mort”]. EN THE DAY ON KAWARA REASSURED HIS GALLERIST HE WAS STILL ALIVE On 5 March 1992, Japanese artist On Kawara sent a telegram to Nicholas Logsdail at the Lisson Gallery, London, that read “I am still alive.” Was he seeking to reassure Logsdail ahead of his solo show on 8 May? Maybe, but not only, since this had been one of Kawara’s forms of artistic expression since the late 60s. On 1 April 1969, for example, Toshiaki Minemura received a postcard of the Empire State Building that bore the words “I got up at 8.15 A.M.” Kawara sent hundreds of cards like this, such as the picture of New York’s UN HQ he used to announce to Roger Mazarguil that he had got up at 2.37 am on 8 April 1971 (presumably jetlagged). Kawara’s first telegram in this vein, sent on 5 December 1969 to the critic and curator Michel Claura, read: “I am not going to commit suicide, don’t worry.” It was followed three days later by, “I am not going to commit suicide, worry,” after which the affair was closed with the message “I am going to sleep, forget it” on 11 December 1969. A month later Kawara sent his first “I am still alive” telegram – a gesture he would repeat time and time again throughout his career. In 2009, the artist Pall Thayer anonymously opened a Twitter account in the name of On Kawara (without telling him) and programmed a bot to tweet “I am still alive” every day at 10.00 am. When the account reached 100 followers, Thayer claimed paternity, and Kawara said nothing. After he died, on 10 July 2014, the tweets continued for another year, proudly announcing “I am still alive” in a complete disconnect from reality. In 1973, the Italian artist Salvo (real name Salvatore Mangione) had a marble plaque
PAR ÉRIC TRONCY ILLUSTRATION PAR SOUFIANE ABABRI
engraved with the words “Salvo è vivo” (“Salvo is alive”). Since his death, in 2015, it’s the back of the work that is now shown, engraved with the words “Salvo è morte” (“Salvo is dead”).
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6 MARS
MAISON EUROPÉENNE DE LA PHOTOGRAPHIE
PARIS
CRÉATION ORIGINALE DE
COCO CAPITÁN
Propulsée par ses collaborations avec Gucci, l’artiste espagnole de 26 ans est devenue en quelques années une star du milieu de la mode. Mais sa pratique des arts visuels est loin de se cantonner à ce seul domaine. La preuve avec sa première exposition européenne, à Paris, et ces photographies et autoportraits exclusifs, réalisés pour Numéro art. PAR FRANCESCA GAVIN
6 MARS
COCO CAPITÁN
PARIS
FR IMAGINEZ UNE ÉCRITURE D’ENFANT. Représentez-vous ces mots étroits, avec des lettres tranchantes exprimant une volonté désespérée de communiquer ne serait-ce qu’un sens très simple. Artiste, photographe et enfant prodige de la maison Gucci, Coco Capitán a développé une pratique d’art visuel très aboutie. À 26 ans, elle inaugure sa première exposition à la Maison européenne de la photographie. Elle a également réalisé des affiches publicitaires pour Gucci, joué les rédactrices en chef d’un jour pour un numéro de Vogue Ukraine consacré à l’art, et illustré la pochette d’un album de Drake.
EN COCO CAPITÁN THANKS TO HER COLLABORATIONS WITH GUCCI, THE 26-YEAR-OLD SPANISH ARTIST HAS BECOME A STAR OF THE FASHION WORLD. BUT THAT’S FAR FROM ALL SHE HAS TO OFFER, AS HER FIRST EUROPEAN SOLO SHOW, AT PARIS’S MAISON EUROPÉENE DE LA PHOTOGRAPHIE, AND HER EXCLUSIVE SELF-PORTRAITS FOR NUMÉRO ART MAKE ABUNDANTLY CLEAR. Imagine a child’s handwriting, narrow words with hard edges
Native de Séville – dont elle a conservé l’accent –, l’artiste espagnole a des airs de tomboy. Elle paraît sérieuse et réfléchie, mais son travail est facétieux. Coco Capitán est partie pour Londres à l’âge de 17 ans. Elle s’est inscrite à un cycle de photographie de mode, avant de poursuivre avec une maîtrise en photographie d’art au très respecté Royal College of Art, dont elle est sortie diplômée en 2016. En parallèle, elle a travaillé, imaginant des campagnes commerciales et des look books pour Paco Rabanne, Maison Margiela, Miu Miu, A.P.C. et Mulberry, ou des magazines comme Dazed, Vogue, Self Service, Document, i-D, Garage. Les réseaux sociaux lui ont permis de se faire connaître plus largement, parce que son travail parlait à une génération en quête de petits fragments d’intimité à saisir au vol.
expressing a desperate desire to communicate even a simple meaning. Artist, photographer and Gucci wunderkind Coco Capitán has developed a very successful visual practice from this starting point. At 26, she’s just put on her first European solo show at Paris’s Maison européene de la photographie, done billboards with Gucci, guest-edited an art issue of Vogue and illustrated the cover of a Drake recording. The Spaniard, who retains the accent of her native Seville, comes across as serious and considered, though her work is also humorous and playful. Capitán moved to London at the age of 17, graduating with an MA in fine-art photography at the Royal College of Art in 2016. Throughout her studies she was working, developing her clean aesthetic
L’anglais n’étant pas sa langue maternelle, sa conception de la grammaire est légèrement décalée. Il en résulte un travail plus spontané et, peut-être aussi, plus universel. Ses pièces sont des chefs-d’œuvre de poésie Instagram. Chez Coco Capitán, le processus créatif débute par ses carnets de notes. “J’écris depuis de nombreuses années – pour ainsi dire depuis que je sais écrire. Et je me sens parfois un peu lost in translation, perdue entre les langues.” Elle y glisse des lettres inversées, des mots barrés, des fautes. “C’est fondé sur ma façon d’écrire dans la réalité. Si je passe deux heures à écrire, à la fin, je n’arrive presque plus à me relire, mais il en reste quelque chose de singulier. J’ai envie que mes pensées se traduisent dans ce que j’exprime. Que les gens puissent constater qu’en écrivant, on fait inévitablement des erreurs.” C’est aussi un moyen de combattre l’overdose numérique. “Je me demande toujours comment on peut faire passer un message à un autre sans lui voler trop de son temps. C’est pour ça que je compose des phrases très courtes, renfermant autant de sens que possible.” Ses réticences à l’égard du monde virtuel transparaissent aussi dans son approche de la photographie sur pellicule. “Je m’intéresse à tout ce qui peut se faire sans l’aide d’un ordinateur. Mon éducation a trop subi le poids de la technologie”, affirme-t-elle.
approach to photography alongside her experiments with text and painting. She has created commercial campaigns and look books with Paco Rabanne, Maison Margiela, Miu Miu, APC and Mulberry, and fashion editorial in Dazed, Vogue, Self Service, Document, i-D and Garage. Social media helped develop her audience, her work resonating with a generation looking for quick bites of intimacy. What is interesting about her approach to text is that English is not her first language, the result consequently feeling more spontaneous and perhaps universal. Her pieces are perfect Instagram poetry. Capitan’s process always begins with her notebooks. “I’ve been writing notebooks pretty much since I first learned to write,” she explains. “Somehow, I feel a little bit lost-in-translation sometimes. I think that makes me appreciate the language in a different way.” This is language at its most aesthetic and emotional, often with reversed letters, crossed-out words and other mistakes. “It’s based on how I actually write,” Capitán notes. “I think it’s important for other people to see that you make mistakes when you write.” For Capitán, writing is a way to break
Le corps est le principal motif récurrent dans son travail. Pour la plateforme Web Nowness, elle a ainsi créé un petit film structuré autour de quelques personnes qui évoquent, devant la caméra, leur rapport à leur physique. Il y a dans son book beaucoup de gens nus – souvent
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through digital overload. “I always think, ‘How can I get this through other people’s minds without stealing too much of their time?’ That’s like the whole reason to make one really short sentence that can have as much meaning as
6 MARS
COCO CAPITÁN
PARIS
FR
EN
en chaussettes. “Je m’intéresse énormément au corps nu, avant tout parce qu’il n’est pas enfermé. Il n’est recouvert par rien. Vous ne vous retrouvez pas face à quelqu’un qui essaie de vous dire qui il est, explique-t-elle. Je travaille beaucoup pour la mode, alors quand j’ai l’occasion de photographier quelqu’un sans ses vêtements, j’ai l’impression de retrouver la liberté d’explorer la réalité de l’individu, sans qu’il puisse se cacher derrière une tenue vestimentaire.” Et les chaussettes ? Fétichisme personnel. “Je les adore montantes. Je trouve que ça fait de belles jambes, et c’est marrant aussi. Dans mon monde idéal, les gens se baladeraient toujours nus, avec des chaussettes aux pieds.”
possible.” Capitán’s resistance to the digital is also seen in her photography, which she shoots on film: “I’m very interested in everything that can happen outside of a computer. My upbringing was really burdened by technology.” Bodies are the most recurrent subject in her photos and occasional film experiments. She created a short film for web platform Nowness structured around profiles of people discussing their relationship to their physicality. There are a lot of naked people in her portfolio – often in socks. “I’m very into the naked body because it’s not enclosed, it’s not
Pendant un temps, elle a tenté de séparer son travail commercial de sa pratique artistique, mais elle a vite réalisé que le mélange ne posait aucun problème. “Il y avait sans doute une grande part de honte et de rejet là-dedans, parce que j’avais toujours voulu être artiste et pas photographe de mode. Puis j’ai pris conscience que c’était affreusement snob”, se souvient-elle. Ses collaborations avec Gucci ont marqué un tournant décisif. Elle a d’abord travaillé sur un look book homme, en 2015, puis tout s’est emballé. La marque a exposé son travail, l’a utilisé pour une campagne d’affichage et a même fait figurer certains de ses textes sur des sacs et des tee-shirts. Des aphorismes tels que “Tomorrow is now/yesterday” [“Demain, c’est maintenant/ hier”] ou “I want to go back to believing in a story” [“Je veux de nouveau croire à une histoire”] se sont retrouvés imprimés sur des vêtements graphiques, jaune vif, rouges ou noirs.
someone trying to tell you who they are. I work a lot in fashion, so whenever I get to photograph someone without their clothes I feel like I have the freedom to explore them as individuals.” Socks are a personal fetish. “I love knee socks. I think they make legs look beautiful. I guess in my universe, people will always be naked wearing socks.” For a time, she tried to separate her commercial work from her personal practice, but increasingly realized it was not an issue. “There was a lot of embarrassment and rejection in the sense that I always wanted to be an artist. I didn’t want to be a fashion photographer. I realized that I was being quite snobbish,” she recalls. One breakthrough was her collaborations with Gucci, who she first worked with in 2015. Gucci toured an exhibition of her work, used it on billboards and even incorporated her texts onto sweatshirts,
Les institutions s’intéressent aussi à l’artiste. À Paris, Simon Baker, précédemment conservateur à la Tate Modern, lui offre sa première exposition personnelle dans un musée européen. Elle fait suite à une première exposition internationale, Is It Tomorrow Yet?, organisée l’an dernier au Daelim Museum de Séoul. L’exposition parisienne rassemble près de 150 œuvres, notamment des images explorant les liens que l’artiste entretient avec la Chine, mais aussi des clichés de l’équipe olympique espagnole de natation synchronisée.
bags and T-shirts. “It’s a collaboration with Alessandro Michele whose work I really admire. Everything that they stand for is what I stand for, too,” Capitán enthuses. Institutions are also paying attention. Former Tate Modern curator Simon Baker has given Capitán her first European museum show in Paris, which follows her first international solo exhibition – Is it Tomorrow Yet? – at the Daelim Museum in Seoul last year. There are 150 works in Paris, including images exploring her childhood relationship with China and pictures of the Spanish Olympic synchronized-swimming team. There’s something Pop in Capitan, who notes her admiration for Maurizio Cattelan, Elmgreen and Dragset, and Kerry James Marshall – all artists who twist popular imagery in different vibrant ways. But she’s not limited in her influences. “I love hyperrealist paintings, Renaissance art, Japanese furniture design. I love cuisine and I get really inspired by good food.” What comes across is a desire for authenticity and originality. “Everyone has a voice but we
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Busy Living Everything with Everyone, Everywhere, All of the
are lost in between so many voices.” Her phrases are where
Time, du 6 mars au 26 mai, Maison européenne de la photo-
she highlights that frustration for a new generation. As she
graphie, Paris.
once wrote, “If you’ve seen it all, close your eyes.”
TOUTES LES IMAGES FONT PARTIES D’UN TRAVAIL EN COURS POUR UNE NOUVELLE SÉRIE INTITULÉE LOST SAILOR P REPARES TO DIE.
Toutes les images : Courtesy of Coco Capitán Studio
Il y a quelque chose de pop dans l’esthétique de Coco Capitán, qui revendique son admiration pour Maurizio Cattelan, Elmgreen & Dragset ou Kerry James Marshall, mais adore aussi “la peinture hyperréaliste, l’art de la Renaissance, le mobilier japonais. J’adore la cuisine, et bien manger m’inspire énormément.” Elle a soif d’authenticité et d’originalité. “Tout le monde a une voix, mais nous sommes tous perdus entre trop de voix différentes.” C’est dans ses aphorismes qu’elle choisit de révéler cette frustration, celle de toute une génération. Comme elle l’a écrit un jour : “Si vous avez tout vu, alors fermez les yeux.”
7 MARS
14E BIENNALE
SHARJAH
JON RAFMAN GEEK ARTIST
Son domaine : le digital. Monde virtuel de Second Life ou images issues de Google Street View forment, avec son imagination débordante, le terreau de ses œuvres qui questionnent les passions de notre société. Invité à la 14e Biennale de Sharjah, dans les Émirats arabes unis, Jon Rafman (né en 1981) déploie cette fois-ci en dessins sa vision d’une société dystopique, avant un retour au numérique prévu pour la Biennale de Venise. PAR DEAN KISSICK
7 MARS
JON RAFMAN
SHARJAH 115
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CAPTURE D’ÉCRAN DE LA VIDÉO LEGENDARY REALITY (2017) PRÉSENTÉE À LA BIENNALE DE SHARJAH.
FR NOUS SOMMES AU PRINTEMPS. Jon Rafman et moi parcourons les galeries du Louvre Abu Dhabi. Le Louvre ne représente rien de moins que l’histoire de la civilisation mondiale, et le voilà vendu au Émirats. De nos jours, tout est à vendre. Notre société s’est muée en une sorte de piège dont il est difficile de s’extraire. À en croire Jon, ce n’est qu’en prenant acte de cette réalité que nous aurons une chance d’accéder à la transcendance. Nous sommes aux Émirats arabes unis pour la 14e Biennale de Sharjah, à un peu plus de 150 kilo mètres d’Abu Dhabi. Le domaine de Jon Rafman, c’est le numérique, avec des œuvres comme Kool-Aid Man in Second Life (2008-2011), qui emmenait le visiteur à la découverte des territoires les plus étranges de Second Life, ou bien 9-Eyes (en cours depuis 2008), montage de scènes extraordinaires tirées de notre monde réel et captées par les caméras de Google Street View. C’est aussi le cas de projets plus récents, comme cet énorme tunnel tapissé de LED réalisé pour le défilé printemps-été 2019 de Balenciaga, ou encore son œuvre la plus ambitieuse à ce jour, Dream Journal (en cours depuis 2015). C’est en réalité le cadre futuriste de Sharjah qui a poussé Jon à vouloir présenter ici son film Legendary Reality (2017).
EN JON RAFMAN, GEEK ARTIST MINING THE DEPTHS OF THE VIRTUAL WORLD, HIS WORK EXPOSES THE PYSCHIC UNDERBELLY OF OUR 21ST-CENTURY SOCIETIES. AT THE SHARJAH BIENNIAL, HE’S SHOWING DRAWINGS BEFORE A RETURN TO DIGITAL FORMATS AT THE VENICE BIENNALE. It’s spring, and Jon Rafman and I are wandering the galleries of the Louvre Abu Dhabi. The Louvre represents nothing less than the entire history of world civilization, and now it’s been sold to the Emirates. Everything’s on sale now: our past, our memories, our nostalgia, our dreams. Society has become a sort of trap that’s hard to escape, and it’s only by acknowledging this, Jon says, that we can have a chance at transcendence. We’ve come to the United Arab Emirates for the 14th Sharjah Biennial, 100 miles up the coast. The Arabian Gulf, where everything feels like a mirage, seems the perfect place to speak to Jon, an artist who trades in digital worlds – from early works like Kool-Aid Man in Second Life (2008–11), which took audiences on
Composé de séquences issues de jeux vidéo retraitées par l’artiste pour les faire grésiller, trembloter et se déchirer dans le brouillard numérique, le film raconte l’histoire d’un homme maintenu en vie dans une capsule pendant dix mille ans, dans une ville peuplée de tours scintillantes et de voitures volantes. Le récit est porté par un poème que le narrateur a commencé à composer par une nuit d’insomnie. Après avoir regardé le film passer en boucle, dans l’étroite cabine de visionnage prévue pour une personne (claustrophobes s’abstenir) et habillée de stuc, conçue spécialement par Jon pour l’exposition, dans le bâtiment Bait Al Serkal, je suis sorti de cette “réalité légendaire”. En mon absence, le crépuscule était tombé sur Sharjah. Les immeubles modernes et les minarets des mosquées brillaient sur fond
a tour of Second Life’s strangest and most alluring lands, and 9-Eyes (2008, ongoing), which collects extraordinary scenes captured in Google Street View, to recent projects like Dream Journal (2015–present), his greatest work yet. The futuristic feel of Sharjah is what made Jon want to show his 2017 film Legendary Reality there. Composed of found scenes from video games that he’s treated so they hum, shake and tear themselves apart in the digital smoke, it tells the story of a man who’s been kept alive in a pod for 10,000 years, in a city of shimmering towers and flying cars, through a poem the narrator began to write one night
7 MARS
JON RAFMAN
SHARJAH
JON RAFMAN S’EFFORCE DE RIVALISER AVEC LA TOILE DANS L’ABJECTION, L’ÉTRANGETÉ ET LA BEAUTÉ LA PLUS TROUBLANTE. Dean Kissick
FR de ciel sombre. Le serpent doré robotisé de Pamela Rosenkranz ondulait sur le sable de la cour. J’ai aimé cette sensation d’avoir émergé dans un monde qui n’est pas celui de la cabine.
EN when he couldn’t sleep. After watching it several times over inside the stuccoed, claustrophobic one-person viewing pod Jon’s made for it here, I finally open the small door and step back out from Legendary Reality to “reality.” Dusk has
Au Louvre, Jon Rafman s’est immobilisé devant un vase maya guatémaltèque, à l’effigie d’un visage portant une sorte de bec phallique au sommet du crâne. Il date d’environ 300 ans av. J.-C. La bouche est restée figée depuis plus de deux mille ans dans l’arrondi béant d’un hurlement angoissé. Jon l’observe longtemps, puis déclare que cette représentation lui rappelle une situation qu’il a vécue, mais qu’il ne parvient pas à situer. Pour moi, cette terre cuite ressemble surtout à un personnage tiré de l’une de ses œuvres.
fallen over Sharjah, apartment blocks and minarets are glowing against the dark sky, and I feel like I’ve emerged into another world. Later, back in the Louvre, Jon, who’s usually so restless, stops in front of a Mayan terracotta vase with a face whose mouth has been open in an anguished howl for over two millennia. He stares at it for a long time – it’s hard to drag him away – and says it reminds him of something that happened to him once. To me, it looks like a character from one of his works.
Pour Punctured Sky (2019), nouvelle commande de la biennale, Jon a travaillé avec un illustrateur [Connor Willumsen] sur un unique dessin, qui, comme la tapisserie de Bayeux, semble indéfini. Il représente des scènes de la vie quotidienne dans une ville imaginaire, située dans un avenir dystopique et imminent. Ces images seront sans doute mises en couleur, mais ici, à Sharjah, les croquis sont exposés sous la forme de quatre rouleaux en partie déployés, qui occupent à peu près la longueur d’une piscine (soit un quart seulement de ce qui a été achevé jusqu’ici). Toute une série de situations effroyables sont restituées dans leurs plus infimes détails : les restes humains d’un attentat- suicide, des corps en fusion engloutis par le ciel, une enfant sans nez respirant une rose, des personnages nus sur un ring, les yeux bandés, rampant sur des tessons de verre à la recherche de la clé qui les libérerait, sous les huées de la foule, ou encore un dîner de désolation dont les convives (chacun ayant introduit une partie de son corps dans divers orifices de son voisin) sont forcés à ingérer leurs propres vomissures, urines et excréments. La ville de Punctured Sky fait penser
For his new commission at the biennial, Punctured Sky (2019), Jon’s been working with an illustrator on a single, continuous drawing that goes on and on, like the Bayeux Tapestry, depicting scenes of everyday life in an imaginary city of the dystopian near present. One day these pictures will be coloured in, but here in Sharjah the working sketches are on display in the form of four partly unwound scrolls stretching roughly the length of a swimming pool, which is still only a quarter of what he’s completed so far. A cycle of terrible events is rendered in incredible detail: the remains of a suicide bomber in the square; bodies melting up into the sky; a girl with no nose smelling a rose; blindfolded, naked figures in a ring, crawling over broken glass in search of the keys that will release them, surrounded by jeering crowds; sorry characters plumbed into one another’s orifices at the dinner table and made to feast on their own
7 MARS
JON RAFMAN
SHARJAH
DOUBLE PAGE PRÉCÉDENTE ET CI-CONTRE CAPTURES D’ÉCRAN DE LA VIDÉO DREAM JOURNAL (2016-2017).
FR
EN
aux visions de l’enfer peintes par Bruegel l’Ancien. “Je crois vraiment, me dit Jon, que produire cet art ‘pessimiste’ est en réalité la démarche la plus utopiste que l’on puisse adopter, parce que la seule façon de transcender notre situation actuelle, notre sentiment d’impuissance désespérée (peu importe le nom qu’on lui donne), c’est de l’exprimer dans toute sa complexité. Je suis convaincu qu’il est nécessaire de dépeindre la société telle qu’elle est réellement. En définitive, c’est un idéal très proche de celui des Lumières : une fois que vous avez compris vos limites, vous pouvez les dépasser.”
and everybody else’s vomit, piss and shit in a sadomasochistic vision of excess that evokes, for me, the feeling of what it’s like to use social networks in 2019. The whole city brings to mind Pieter Brueghel the Elder’s visions of hell. “I really believe,” Jon tells me, “that making this ‘pessimistic’ art is actually the most utopian practice one can have, because the only way to ever transcend our current situation, our sense of hopelessness, whatever you want to call it, is to express it in all its complexity. I do think it’s important to capture society for what it is. Ultimately it’s an
Tous les matins, Jon retranscrit ses rêves et les fait transposer en animations numériques pour alimenter son projet de Dream Journal (entamé en 2015). Ce “journal des rêves” suit un casting de personnages sur les terres sauvages et perverses de son imagination. Le résultat est un portrait vidéo de son inconscient sous la forme d’une épopée. “J’ai passé la première moitié de ma carrière à explorer des univers virtuels, explique-t-il, et la seconde à en produire.” Là où il écumait les recoins les plus obscurs du Net, exhumant des scènes et des fétichismes extraordinaires, il crée désormais lui-même des univers, s’efforçant de rivaliser avec la Toile dans l’abjection, l’étrangeté et la beauté la plus troublante. Les derniers épisodes de ce projet, pour les années 2018 et 2019, seront projetés dans le cadre de l’exposition principale de la Biennale de Venise.
Enlightenment ideal: once you understand your limitations, you can transcend them.” Every morning, Jon writes down his dreams. When he’s collected enough, he has them digitally animated into passages of his Dream Journal (2015–present), which trails a cast of memorable characters through the wild, perverted lands of his imagination. Continuing where the Surrealists left off, he’s mapping his dreams onto virtual space; where before he was trawling the darker corners of the net and discovering some extraordinary fetishes and scenes (nobody in my life has shown me more disgusting pictures than Jon), he’s now making worlds of his own that strive to outdo the net for abjection, weirdness and uncanny
Ses rêves pourraient bien résonner de l’écho de nos propres rêves. Peu nombreux sont ceux qui nous entraînent aussi loin dans les merveilleux abysses du sublime numérique. On entend souvent dire qu’aujourd’hui, la réalité est plus étrange que la fiction. Jon Rafman est là pour nous rappeler que ce n’est pas nécessairement le cas.
beauty. His latest dream installments will be premiered at this year’s Venice Biennale – never will the venerable halls of the Arsenale have been witness to anything quite so dank. Since the beginning of consciousness, man has always felt that urge to dig down to something hidden underneath, below the reality that we can see, touch and feel,
Leaving the Echo Chamber, 14e Biennale de Sharjah, du 7 mars
but few people will ever take us as far into the wonderful
au 10 juin, Sharjah.
abyss of the human mind’s sublime as Jon Rafman.
15 MARS
MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS
PARIS
DANS L’ATELIER DE
THOMAS HOUSEAGO Depuis les années 90, l’artiste britannique s’est définitivement imposé dans le cercle des grands sculpteurs contemporains. De monumentalité, il en est partout question dans son œuvre : immenses figures humaines, sculptures hybrides imposantes, ensembles architecturaux immersifs... Et pourtant, ces corps si puissants sont comme attaqués par leur propre fragilité. Colosses de bois, de plâtre, de fer ou de bronze semblent pourvus de pieds d’argile tant leur âme est tourmentée. À l’occasion de la première rétrospective française que lui consacre le musée d’Art moderne de la Ville de Paris, l’écrivaine américaine Evgenia Citkowitz s’est entretenue avec l’artiste à Los Angeles, où il s’est installé. PORTRAITS PAR MATTHIAS VRIENS-MCGRATH. PORTFOLIO PAR MUNA EL FITURI
Photo : Pierre Antoine
15 MARS
THOMAS HOUSEAGO
PARIS
FR Evgenia Citkowitz : Étudiant, vous plongiez déjà dans l’argile, dans une sorte de lutte qui constituait l’événement principal de votre œuvre. Aujourd’hui, ce combat est plutôt devenu une forme de rituel dans votre processus de création. Cela ne transparaît d’ailleurs pas nécessairement dans l’œuvre achevée. Thomas Houseago : Mes premières vraies œuvres, je les ai réalisées à 18 ou 19 ans, quand j’étais au Jacob Kramer College of Arts de Leeds [aujourd’hui le Leeds College of Art and Design]. J’ai commencé par des performances, qui impliquaient de brûler des trucs, sauter dessus, m’en recouvrir entièrement. Souvent, elles aboutissaient à des objets, à la naissance de choses matérielles. D’une certaine façon, il s’agissait d’actions qui nécessitaient des objets, eux-mêmes requérant des matériaux. Et à cette époque, j’envisageais véritablement mon corps comme l’un de ces matériaux. Mes premières sculptures étaient des “restes” de performances. Lorsque je suis parti à Londres, en 1991, je me suis davantage intéressé à une sculpture plus libre, et l’idée que la performance était une action nécessaire à sa réalisation est passée chez moi au second plan – même si cette idée ne m’a jamais quitté. Arrivé à Los Angeles, je me suis énormément investi dans l’objet sculptural en tant que tel, presque à en perdre la notion de mon propre corps. Toutes mes actions tendaient de façon quasi compulsive vers un seul but : celui de fabriquer des objets.
Votre sculpture Cast Studio [Atelier de plâtre], présentée au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, évoque un paysage primitif, archaïque. Une sorte de protothéâtre aussi : des chaises ossifiées attendent le visiteur, une plate-forme noueuse se soulève pour former une sorte de scène, cette tranchée profonde pourrait être celle d’une place forte, d’un lieu de repos ou d’incarcération. Votre compagne, Muna El Fituri, a documenté votre processus créatif dans une incroyable série de photographies et de films où l’on
DOUBLE PAGE PRÉCÉDENTE VUE DE L’EXPOSITION ALMOST HUMAN AU MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS.
EN THOMAS HOUSEAGO SINCE FIRST BREAKING THROUGH IN THE 1990 s , YORKSHIRE-BORN THOMAS HOUSEAGO HAS BECOME ONE OF THE MOST CELEBRATED FIGURATIVE SCULPTORS WORKING ON THE CONTEMPORARY SCENE TODAY. ON THE EVE OF HIS FIRST RETROSPECTIVE IN FRANCE, AT THE MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS, AMERICAN WRITER EVGENIA CITKOWITZ CAUGHT UP WITH HIM IN HIS LOS ANGELES STUDIO.
Evgenia Citkowitz: There’s always been a performative aspect to your work. In your student days you would wrestle and dive into clay, which was the main event. Now this might be a ritual part of your process, but it isn’t necessarily apparent in the finished work. Thomas Houseago: My first real artworks, made at Jacob Kramer College of Art in Leeds when I was 18 or 19, were actually performances. During them, through certain actions such as burning things, jumping on things, or covering myself in things, things and objects would often end up being being made, so those were the kind of acts that needed objects, that needed materials. At that time, I saw my body as very much part of the material. My first sculptures were leftovers, if you like, from performances, and as time went on, when I went to London, in 1991, I became more interested in freestyling sculptures, and the idea that performance was an action needed to make them kind of moved into the background, but was always still there. Once in L.A., I completely lost myself to the sculptural object. I almost lost track of my body in that process, and my action was pretty much just the compulsive making of objects.
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15 MARS
THOMAS HOUSEAGO
PARIS
MUNA EL FITURI, LA COMPAGNE DE L’ARTISTE, A DOCUMENTÉ LE PROCESSUS CRÉATIF ET COLLABORATIF À L’ORIGINE DE CAST STUDIO, ŒUVRE PRÉSENTÉE À PARIS. FR vous voit tomber, vous colleter avec l’argile, relâcher son étreinte, pour finalement la soumettre à coups de poing. Quelles sont les origines de Cast Studio ? L’œuvre représente à la fois un saut dans le passé et une avancée. Elle trouve son origine dans mes premiers contacts avec les matériaux : jouer dans un bac à sable, ou avec de la boue, trouver de la terre glaise, confectionner des objets. À bien des égards, Cast Studio constitue une sorte de régression, un retour vers ces premières expériences haptiques, tactiles. Mais en même temps, c’est une œuvre qui parle de ce qui se passe dans ma vie actuellement. Ma collaboration avec Muna est nettement plus aboutie dans cette pièce. Lorsque je l’ai rencontrée, nous avons commencé à collaborer de façon très étroite. Nous nous sommes mis à nous observer de près. Je me suis de nouveau intéressé aux actions qui entourent l’objet – à la nature de l’atelier, ceux qui y entrent, mes méthodes de travail, le type de gestes nécessaires à ce travail. À bien des égards, cette idée de filmer et de photographier le processus de création de la sculpture, qui allait devenir la pièce finale, est née du dialogue que Muna et moi entretenions depuis des années. Muna travaillait à ses propres photographies dans l’atelier, m’observait, documentait mon travail, et nous discutions ensemble pour comprendre d’où venait l’œuvre, où allaient se loger certaines obsessions ou certains maniérismes. En un sens, Cast Studio est né de ces discussions. Cette œuvre exprime ma conception actuelle de ce qu’est la sculpture, la façon dont l’œuvre interagit avec ceux qui la regardent – le fait qu’en réalité, une sculpture est le lieu de rencontre de beaucoup d’autres choses. C’est le reflet, en plus grand, de l’idée même de l’atelier, ce que je voudrais que mon lieu de travail puisse être : ce genre de communauté qui existe dans ma vie aujourd’hui, qui fait partie de mon lieu de création. C’est aussi une façon de traiter les données de ma propre expérience somatique, l’expérience de mon corps.
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EN Your sculpture Cast Studio, which is being shown in Paris, evokes a primeval landscape that’s also prototheatre: ossified chairs wait for visitors; a gnarled mesa rises to form a stage; a dug-out trench could be a fort, a place of rest or of committal. Your partner, Muna El Fituri, has documented your process in a remarkable series of photographs and films where you fall, grapple, ease and pound the clay into submission. Could you tell me about the origins of Cast Studio? It represents a return, and at the same time a move forward. Its roots are in my earliest experiences with materials: playing in the sandpit, finding clay and mud, making objects. In many ways the piece represents a kind of regression, but at the same time it’s about what’s happening in my life now. My collaboration with Muna is much more fully realized in this piece. When we first met, we worked closely together and began really looking at each other, looking at what we were doing. I became interested again in the actions around the objects, and in the nature of the studio – the people who came by, the way I work, the kind of actions needed to make it work. So in many ways, the idea of filming and photographing the making of the sculpture, which ended up being the final piece, was the result of the conversations that Muna and I had had for many years, about the fact that Muna was making her own photographs in the studio, and she was watching and documenting me, and we were discussing where the work came from, certain obsessions and mannerisms. To some extent, Cast Studio evolved out of these discussions. The piece embodies my current ideas about sculpture and how it interacts with viewers, with people, with an audience, that a sculpture is a forum for other
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THOMAS HOUSEAGO
FR Vous avez fait appel pour Cast Sudio à votre famille [Abe et Bea Houseago] et vos amis [les artistes Karon Davis, David Hockney, J.-P. Gonçalves de Lima, Lorna Simpson, Marco Perego, le cinéaste Florian Henckel von Donnersmarck, la juriste Christiane Asschenfeldt, les curateurs et directeurs de musées Caroline Bourgeois, Fabrice Hergott, Olivia Gaultier-Jeanroy, Michael Govan, les musiciens Flea, Kamasi et Rickey Washington, Arrietta Woods, les acteurs Brad Pitt, Zoe Saldana, Julian Sands, la poétesse Robin Coste Lewis…] dont vous avez recueilli les réactions0. À mesure que nous avancions, Muna et moi, je me suis mis à examiner ses clichés. Je me suis vite rendu compte que ces images étaient très puissantes, chargées de références, de résonance. Elles ont commencé à faire avancer l’œuvre et en quelque sorte à en prendre le contrôle. Je me mettais parfois à agir en réponse aux photographies de Muna. À certains moments, elle me dirigeait, à d’autres, c’était moi qui lui demandais de me photographier d’une certaine façon. À travers ces rôles successifs (artiste et modèle, réalisateur et acteur, regardé et regardant, avec des instants de réelle intimité, d’autres où je jouais délibérément devant l’objectif, mais aussi des moments de labeur – l’acte physique de réalisation), il devenait clair que tout ces éléments faisaient partie intégrante de l’œuvre. J’ai pris conscience que certes, mon corps avait une réelle importance et que mes actions occupaient une place centrale, mais que l’idée-même de l’œuvre prenait le relais d’une manière étrange. Le vrai basculement, ça a été le jour où Karon Davis est passée me voir à l’atelier avec son fils, Moses. Soudain, Moses a sauté dans la sculpture et s’est mis, de façon totalement intuitive, à accomplir les gestes que j’avais faits moi-même peu de temps auparavant. Il voulait s’y enfouir. Il voulait s’élancer de la scène. Je crois que c’est à ce moment-là que j’ai compris que l’œuvre allait contenir davantage que mes propres gestes, davantage que mon seul corps, et plus que la dynamique que
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PARIS
EN things; it’s a reflection of a larger idea of a studio, what I want my studio to be – a kind of community that is in my life now that is part of the studio. It’s also processing things that came up in my own somatic experiences. For Cast Studio you enlisted your family [Abe and Bea Houseago] and your friends [the artists Karon Davis, David Hockney, J.P. Gonçalves de Lima, Lorna Simpson, Marco Perego, the filmmaker Florian Henckel von Donnersmarck, the curators and museum directors Caroline Bourgeois, Fabrice Hergott, Olivia GaultierJeanroy, Michael Govan, the musicians Flea, Kamasi and Rickey Washington, Arrietta Woods, the actors Brad Pitt, Zoe Saldana, Julian Sands, the poet Robin Coste Lewis, the lawyer Christiane Asschenfeldt] to respond to the piece. Pretty quickly, as I progressed with Muna open-endedly photographing and filming, I started to review the photographs, and I saw that those images were powerful and had so many references and so much resonance. And so the images began to push and lead the piece, and I began to act, sometimes in ways where I was responding to the images that Muna had made. There were times when Muna was directing me, and there were times when I was directing Muna to photograph me a certain way. It started to become clear that all these roles – artist and model, director and actor, viewer and viewed, moments of real intimacy and moments of conscious acting, moments of labor (the literal physical action of making the piece) were part of the work itself. Once that started to happen, I began to realize that, yes my body was really important, and, yes the actions
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THOMAS HOUSEAGO
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PARIS
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nous avions instaurée à deux avec Muna. J’ai commencé à m’éloigner de l’idée que j’en serai l’unique auteur et performeur. Au début de cette même année 2018, il m’était venu une première image. Le seul que j’avais imaginé intervenir dans cette œuvre, c’était Julian [Sands]. Je l’avais vu dans un film sur la Spiral Jetty [l’œuvre de land art de Robert Smithson réalisée en 1970 sur les bords du Great Salt Lake, dans l’Utah]. On le voyait marcher sur la jetée en spirale. Ça m’avait captivé. J’aime la présence physique de Julian, et ses affinités avec le Nord de l’Angleterre. C’est un homme du Yorkshire, comme moi, mais son énergie créatrice parcourt d’autres chemins. Lorsque le fils de mon amie a réalisé cette sorte de performance, j’ai eu envie que Julian prenne sa suite. Et lorsque cela s’est fait, je me suis rendu compte que ce performeur, cette personne qui entre en scène, va transformer l’œuvre, modifier mon travail, y laisser son empreinte, ou bien en bouleverser le sens. Il y avait quelque chose de très émouvant dans cette idée que la sculpture puisse être davantage qu’un simple objet, davantage que les photos que Muna avait prises de moi, que le film ou mes propres gestes – qu’elle devienne l’atelier tout entier, nos amis, tous ceux qui intervenaient dans et sur l’œuvre.
I was doing were central to it, but the piece began, in a weird way, to take over. That really started when Karon Davis came by with her son, Moses, and Moses intuitively and impulsively jumped into the piece and began to do a lot of the things I had been doing earlier in the making of it. He wanted to bury himself. He wanted to leap off the stage. That I think represented the full crossover moment when I understood that the piece would become more than me just acting in it, and more than just my body, and more than just my dynamic with Muna. So at that moment, I slowly began to move away from the notion of being the sole author, the sole performer. Earlier that year I’d had this image where the one person I really imagined acting in the piece was Julian [Sands]. I’d been struck by Julian in a film about Robert Smithson’s Spiral Jetty [a piece of land art from 1970], where he’s reading and walking on it. I also like Julian’s physicality and his being a Yorkshire man, like me – he comes from a similar place, but his creative energy flows in a different way. Once my friend’s son had “performed” in the piece, I quickly moved to wanting Julian to
Vos visiteurs livrent-ils leurs propres variations ? Ce sont des amis aux personnalités complexes. J’aimais l’idée que cette sculpture soit un espace de création où ils pourraient apporter leur contribution, faire partie de l’œuvre. Ils étaient rapidement très à l’aise, prêts à montrer et explorer une certaine face d’eux-mêmes. Je voulais montrer que la sculpture, la musique, la poésie, la performance pouvaient converger, se répondre, pour donner quelque chose de riche et, d’une certaine façon, sans aucun équivalent.
come in, and once that had happened, I realized that that performer, the person who comes in, transforms, changes, leaves an impression on, or affects the meaning of, the work, and there was something unbelievably moving about that idea – the sculpture could be more than just this object, more than just Muna’s film or photographs, and expand out into being the studio – our friends, people that performed. I wanted to show that sculpture, music, poetry, performance and all these different things could align, and that they could
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Thomas Houseago, Almost Human, du 15 mars au 14 juillet,
embrace one another, in a sense, to become something
musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
rich and, in a certain way, unique.
24 MARS
VENISE
PALAZZO GRASSI
“POURQUOI JE PEINS ENCORE.”
TUYMANS
LUC
Qui aurait pensé qu’un maître de la peinture, ce vieux médium, serait le mieux à même de comprendre notre société des images, de la post-vérité et de la propagande en ligne ? Depuis le milieu des années 80, le Flamand Luc Tuymans peint inlassablement à partir d’images existantes, trouvées sur le Web, dans des ouvrages, prises à l’iPhone… Loin de seulement les reproduire, il les remet en perspective pour nous inviter à les penser et ne plus en être dupe. Rencontre dans son atelier d’Anvers et à Venise, où la Collection Pinault lui offre sa plus belle rétrospective. TEXTE PAR THIBAUT WYCHOWANOK. PHOTOS PAR CAMILLE VIVIER
24 MARS
LUC TUYMANS
VENISE
FR “ON ME DEMANDE TOUJOURS pourquoi je peins encore.” La clope au bec, peut-être sa dixième depuis le début de l’entretien dans son atelier d’Anvers, Luc Tuymans vous regarde droit dans les yeux. “Parce que je ne suis pas con.”
EN LUC TUYMANS: “WHY I STILL PAINT” SINCE THE MID 1980s, THE BELGIAN ARTIST HAS BEEN ONE OF THE KEY FIGURES IN THE PAINTING RENAISSANCE WITH CANVASES THAT QUESTION THE MORES OF OUR IMAGE-SATURATED SOCIETY. NUMÉRO ART
Les paroles de Luc Tuymans, comme ses œuvres, ne se dévoilent qu’avec le temps. À Venise, le peintre flamand a installé dans l’immense atrium du Palazzo Grassi une mosaïque à l’échelle du lieu : dix mètres sur dix. Le public la piétine, et s’émerveille des miroitements de chaque carreau au soleil, de leurs teintes beige clair et vert foncé qui scintillent en écho aux teintes du marbre du palais de la Collection Pinault. Le motif demeure abstrait. Il faudra l’observer, plus tard, depuis les mezzanines : une suite d’arbres – les vert foncé – se détachent du fond. Il faudra chercher, surtout, du côté du titre de l’œuvre. Schwarzheide (2019) provient du nom d’un camp de travail forcé allemand. Des détenus y réalisaient en secret des dessins qu’ils découpaient en lanières pour mieux les dissimuler. À l’origine de cette peinture-mosaïque : un dessin recomposé du prisonnier Alfred Kantor. Mais la mécanique perverse de Luc Tuymans vous a déjà pris en étau. Ignorant, vous fouliez aux pieds l’horreur de la guerre. Vous étiez même ébloui de sa beauté. Averti, trouvez-vous l’œuvre moins belle ?
SPOKE TO HIM ON THE OCCASION OF A MAJOR RETROSPECTIVE AT THE PINAULT COLLECTION IN VENICE. “I’m always asked why I still paint.” Dragging on at least his tenth cigarette since we sat down to talk in his Antwerp studio, Luc Tuymans looks me straight in the eye. “Because I’m not stupid.” His words, like his paintings, take time to comprehend. In Venice, for example, he’s laid a mosaic on the floor of the atrium at the Palazzo Grassi: visitors walk over it, dazzled by the shimmering tesserae whose hues echo the marble surroundings. It’s only later, from the upper floors, that they make out its subject – a stand of darkgreen trees on a pale background. And it’s only on considering the work’s title – Schwarzheide – that they glean a clue to its origin: the Schwarzheide camp housed Jewish slave labourers during World War II, some of whom secretly made artworks which they cut into strips so as to hide them
Né en 1958, Luc Tuymans poursuit des études d’art en Belgique avant d’abandonner brièvement la peinture pour le cinéma. Il y revient au milieu des années 80 pour s’imposer comme un des principaux acteurs de son renouveau. Avec toujours la même méthode : peindre sa toile en une journée, le plus souvent le jeudi, le trac au ventre, à partir d’une image existante, le plus fréquemment un Polaroid ou une photo d’iPhone, “parce qu’elle est presque aussi moche qu’un Polaroid. Et le Polaroid est une émulsion, il se développe comme je peins : d’abord les teintes les plus claires, puis les zones les plus contrastées.”
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– Tuymans’s work is based on a reconstituted drawing by Alfred Kantor. By the time you’re upstairs, the perverse mechanics of his piece have already caught you in their grip: in total ignorance, you trampled over the horrors of war, and perhaps even marvelled at their beauty. Now you’ve cottoned on, is the work less beautiful? Born in 1958, Tuymans studied fine art in Belgium before briefly abandoning painting for film. He came back to art
PAGE D’OUVERTURE ET PAGE DE DROITE LUC TUYMANS PHOTOGRAPHIÉ DANS SON ATELIER À ANVERS.
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LUC TUYMANS
VENISE
“JE NE SUIS PAS COMME ROTHKO QUI VOULAIT QUE LES GENS PLEURENT DEVANT SES ŒUVRES. JE TROUVE MÊME ÇA UN PEU CON.” Luc Tuymans
Collection privée. Courtesy David Zwirner, New York/London. Photo: Studio Luc Tuymans, Antwerp
FR L’exposition événement que lui consacre à Venise la Collection Pinault permet, avec ses 83 toiles, d’appréhender le style Tuymans : ses tonalités sourdes (“Il me faut beaucoup de couleurs pour atteindre ces grisailles”), ses perspectives aplaties (même s’il rejette le terme), ses figures et paysages virant vers l’abstraction selon qu’on s’approche ou qu’on s’éloigne de la toile. “J’aime beaucoup la peinture abstraite, confie-t-il. Mais je ne suis pas comme Rothko qui voulait que les gens pleurent devant ses œuvres. Je trouve même ça un peu con.” Tuymans choisit les images qu’il va peindre dans la vaste data base accumulée dans son atelier et dans sa mémoire. Des images qui le travaillent jusqu’à se sédimenter en une toile – le temps encore et toujours. Leur source est diverse. Un visage d’enfant déshumanisé issu du film Le Village des damnés de 1960 (The Valley, 2007). Une photo de smartphone prise à partir d’un documentaire sur le tueur cannibale japonais Issei Sagawa (Issei Sagawa, 2014).
EN in the mid-1980s, becoming one of the main figures in the revival of painting. His method is invariable: canvases are realized in just one day, generally a Thursday, from a prexistant image, most often a Polaroid or an iPhone photo. “Because an iPhone photo is almost as ugly as a Polaroid,” he says. “And the Polaroid is an emulsion, it develops like the way I paint – first the lightest hues, then the more contrasted zones.” With its 83 works, Tuymans’s exhibition-event at the Pinault Collection allows us to understand his style – its muted tones (“I need a lot of colours to get to these grisailles”), its flattened perspectives (even if he rejects the term), his figures and landscapes that become more abstract as one approaches them. “I really like abstract painting,” he says. “But I’m not like Rothko who wanted people to cry in front
Beaucoup ont en commun d’évoquer les atrocités du monde, la Seconde Guerre mondiale et l’Holocauste en particulier. Tuymans aime mettre le doigt là où ça fait mal. En haut de l’escalier d’honneur du palais trône le portrait d’un homme endormi ou songeur. Secrets (1990) représente Albert Speer, architecte en chef du parti nazi. Les critiques ont souvent considéré que les toiles de Tuymans étaient la réponse picturale à la théorie de la banalité du mal de Hannah Arendt : l’idée selon laquelle le Mal repose dans des êtres médiocres, qui ont mis en suspens leurs convictions morales pour réaliser des actions quotidiennes, une routine du mal. Peut-être pas. Car ce n’est pas Speer que peint Tuymans, ni sa banalité. Il peint une image de Speer. Ce qui l’intéresse, c’est la valeur de cette image, plus que la valeur du sujet peint. “La peinture a toujours été la première manière pour l’homme de conceptualiser une image. Être peintre, c’est ne pas être naïf”, explique Tuymans. Fin analyste du système des images actuel,
CI-CONTRE ISABEL (2015). HUILE SUR TOILE, 144,9 X 124 CM. LE TABLEAU EST INSPIRÉ DE PHOTOS D’UN LIVRE SUR LES CANARIS QUI RACONTE COMMENT CEUX-CI SONT MANIPULÉS GÉNÉTIQUEMENT POUR CHANGER LEUR COULEUR.
of his works. Actually I find that a bit stupid.” Tuymans chooses his subjects from the vast database in his studio and from memory, images that work on his mind until they become ripe for a canvas – once again, a question of time. His sources are diverse: a dehumanized child’s face from the 1960 film Village of the Damned (The Valley, 2007); a smartphone shot of a documentary about the Japanese cannibal Issei Sagawa (Issei Sagawa, 2014). Many evoke atrocities, World War II and the holocaust in particular – Tuymans likes to poke a finger where it hurts. At the top of the Palazzo Grassi’s staircase visitors are confronted with the portrait of a sleeping or pensive man. Secrets (1990) is a picture of Albert Speer, Hitler’s architect and armaments minister. Critics have often interpreted
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LUC TUYMANS
FR il met à mal la croyance que la photographie est une représentation du réel. “Un message sans code” comme disait Roland Barthes. Il pointe au contraire que toute image est une construction codée, une mise en scène du réel et donc un instrument de pouvoir pour ceux qui veulent cacher ou dévoiler, se montrer sous un jour flatteur ou montrer les autres comme des monstres. Qui aurait cru qu’un artiste d’un vieux médium serait l’arme idéale pour répondre à notre société du spectacle, de la post-vérité et des vérités alternatives ?
VENISE
EN Tuymans’s paintings as a pictorial response to Hannah Arendt’s theory of the banality of evil. But on the other hand, it’s not Speer that Tuymans has painted, nor his banality – what he has painted is an image of Speer, what interests him being the value of the image, more than the value of the subject of the image. “Painting has always been man’s first way of conceptualizing an image. A painter is not naive,” he explains. His perversity – touching us with the image of a Nazi dignitary or making us enjoy a representation of the horrors of war – isn’t so much his as that of our image system, based in the belief that photographs represent reality, “a message without code,” as Barthes put it. Tuymans shows that, on the contrary, all images are coded constructions, a staging of the real and thus an instrument of power for those wish to hide or reveal, to show themselves in a flattering light or others as monsters. Who would have thought that an artist of the old medium – painting – would be the ideal weapon to respond to our society of the spectacle, our world of post- and alternative truth? In this age of continuous images, Tuymans offers us a painting made of flesh. Or rather skin, as the Italian title – La Pelle – of his Venice show makes clear. “Painting fills an urgent need of lived experience amid the fluid wraiths of digital apparition,” summarizes Jarrett Earnest in the exhibition catalogue. It’s not surprising to hear Tuymans get
Parce qu’on n’est pas plus con que Tuymans.
riled up about “academics who have written whole dissertations without ever having seen a physical painting.” Sitting
Lorsqu’il peint dans son atelier d’Anvers, l’artiste accroche sa toile au mur, et non sur un châssis qui en délimiterait d’emblée la taille. Ainsi, il peut décider une fois la peinture terminée de son cadrage, à
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in his studio armchair, Tuymans declares that “painting is anachronistic.” We’ve gone beyond it? No, anachronistic because it takes us out of the present flow of images, gives
PAGE DE DROITE TWENTY SEVENTEEN (2017). HUILE SUR TOILE, 94,7 X 62,7 CM. L’IMAGE DU TABLEAU EST INSPIRÉE DE LA SÉRIE BRÉSILIENNE 3% QUI NOUS PLONGE DANS UN FUTUR DYSTOPOQIE DIVISANT RICHES (LES 3%) AUX PAUVRES. LE TABLEAU REPRÉSENTE LE VISAGE D’UNE FEMME LORSQU’ELLE DÉCOUVRE QU’ELLE EST CONDAMNÉE À ÊTRE EMPOISONNÉE.
Pinault Collection. Photo: Studio Luc Tuymans
Face au flux continu d’images de l’ère de la télévision et d’Internet, l’artiste nous propose une peinture faite de chair. Ou plutôt de peau puisqu’il a ainsi intitulé son exposition vénitienne (La Pelle en italien). “La peinture répond au besoin pressant de l’expérience vécue, parmi les spectres fluides des apparitions numériques”, résume Jarrett Earnest dans le catalogue de l’exposition. On ne s’étonne pas d’entendre Tuymans s’emporter pour la première fois de l’entretien contre ces “universitaires qui ont disserté sans avoir fait l’expérience d’une vraie peinture”. Assis dans le fauteuil d’où il a l’habitude de juger ses toiles, Tuymans assène pourtant que “la peinture est anachronique”. Dépassée ? Pas du tout. Anachronique parce qu’elle nous sort du présent du flux des images. Nous met à distance. Ses pigments, ses effets de surface, les gestes ancrés dans la toile, ses couleurs sont autant de disruptions qui arrêtent notre regard. Le temps se suspend. Notre cerveau se met en route. Notre réflexion peut s’engager sur l’origine même des images et sur leur processus de fabrication.
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LUC TUYMANS
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“LE POLAROID EST UNE ÉMULSION, IL SE DÉVELOPPE COMME JE PEINS.” Luc Tuymans
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la manière du réalisateur qu’il fut autrefois. Parfois, il zoome tant dans l’image d’origine qu’elle en devient méconnaissable. Tuymans mutiplie aussi les effets de hors-champ, “comme au début de M le Maudit de Fritz Lang. La petite fille rencontre son meurtrier. Mais on ne voit que le ballon avec lequel elle joue rebondir sur le mur, où se reflète l’ombre de l’homme. Puis le ballon abandonné. La chaise vide de la petite fille à table. Son meurtre est seulement signifié par un élément insolite.”
us some distance. Its pigments, its surface effects, its gestures recorded in the canvas are all disruptions that catch our attention. Time is suspended, our minds engaged – because we are no more stupid than Tuymans. Tuymans describes himself as a “surgeon,” and his work does indeed dissect our society of images right down to its entrails, even if they remain out of sight (Hitchcock showed us how much fear was born from what we cannot see). But Tuymans doesn’t stop there: “By dint of re-photographing, reworking on a computer, taking Polaroids of a photo, the image reaches such a state of weakness that it can become a painting. The picture is exhausted before I paint it. The resurrection comes with painting,” he explains. His Venice show, co-curated with Caroline Bourgeois, is dedicated entirely to this notion of understatement – this euphemism or fragility, the idea that we are always somehow short of the reality. An image will never be enough to speak of the world, nor all the evil that haunts it. The exhibition also portrays the artist as a painter of freedom, responsibility and political commitment – the freedom and responsibility of the visitor to seek out the information needed to understand the works; the engagement in a process of reflection on the state of our world that perhaps leads to political commitment, like that of Tuymans in his native Belgium. Or maybe instead to a more unconscious commitment. “There was this museum director who hated my work,” laughs Tuymans. “He came to my Tate Modern exhibition in 2004... He hated it even more. And then he ended up dreaming about my paintings. I think that
La Pelle, du 24 mars au 6 janvier 2020, Palazzo Grassi, Venise.
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today he’s my biggest fan.”
PAGE DE DROITE TECHNICOLOR (2012). HUILE SUR TOILE, 199 X 150,1 CM. L’EFFET DE HALO QUI ENTOURE CETTE NATURE MORTE EST TYPIQUE DE TUYMANS. IL NIMBE D’UNE AURA SPECTRALE UN OBJET QUOTIDIEN, LE RENDANT PLUS ARTIFICIEL ET ÉTRANGE.
Collection privée. Courtesy David Zwirner, New York/London. Photo: Studio Luc Tuymans
Tuymans se décrit comme “chirurgien”. Il dissèque, il est vrai, notre société des images où le réel est médiatisé. Jusqu’aux entrailles, même si celles-ci restent hors-champ (Hitchcock a démontré à quel point la peur naissait de ce que l’on ne voit pas). Mais le Belge n’en reste pas au constat. “À force de rephotographier, retravailler sur ordinateur, prendre des Polaroid d’une photo, l’image atteint un état de faiblesse telle qu’elle peut devenir peinture. L’image est épuisée avant que je la peigne. La résurrection vient avec la peinture.” L’exposition vénitienne, qu’il a cocuratée avec Caroline Bourgeois, est dédiée à l’understatement – cette idée que l’on est toujours en deçà de la vérité. Une image ne suffira jamais à dire le monde ni le mal qui le hante. L’exposition dresse également le portrait de l’artiste en peintre de la liberté, de la responsabilité et de l’engagement. Liberté et responsabilité du visiteur de rechercher l’information pour mieux décrypter. Engagement dans un processus de réflexion sur notre monde menant peut-être à un engagement politique, à l’image de celui de l’artiste dans son propre pays. Ou à un engagement plus inconscient. “Il y avait ce directeur de musée qui détestait mon travail, s’amuse Tuymans. Il était venu à mon exposition à la Tate Modern en 2004… Il détestait encore plus. Et puis il a fini par rêver de mes œuvres. Je crois que c’est aujourd’hui mon plus grand fan.”
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PALAIS DE TOKYO/MUSÉE D’ORSAY
PARIS
MODÈLES NOIRS
Quelles représentations pour le corps noir dans l’art ? Comment sortir d’une histoire de l’art construite sous hégémonie blanche ? De nombreux artistes et deux expositions parisiennes, celle de Theaster Gates au Palais de Tokyo et Le Modèle noir au musée d’Orsay, tentent de répondre à ces questions. PAR INGRID LUQUET-GAD
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PALAIS DE TOKYO/MUSÉE D’ORSAY
PARIS
DOUBLE PAGE PRÉCÉDENTE THE DANCE OF MALAGA (2019), THEASTER GATES. CAPTURE DU FILM. LE POINT DE DÉPART DE L’EXPOSITION DE THEASTER GATES AU PALAIS DE TOKYO EST L’HISTOIRE DE L’ÎLE DE MALAGA, AUX ÉTATS-UNIS. EN 1912, LE GOUVERNEUR EN EXPULSAIT LA POPULATION LA PLUS PAUVRE, UNE COMMUNAUTÉ MIXTE INTERRACIALE D’ENVIRON QUARANTE-CINQ PERSONNES QUI FURENT FORCÉES DE SE DISPERSER, D’ERRER OU D’ÊTRE INTERNÉES. LE NOM DE “MALAGA” DEVINT UNE INSULTE, UNE STIGMATISATION. PAGE DE DROITE DROP SCENE (0X5A8165) (2018), PAUL MPAGI SEPUYA. IMPRESSION À JET D’ENCRE PIGMENTAIRE, 191 X 127 CM. C’EST DANS SON STUDIO, QUE PAUL MPAGI SEPUYA CONÇOIT COMME UN ESPACE QUEER, QU’IL SE MET EN SCÈNE AVEC SES AMIS, PARTENAIRES ET AMANTS.
FR BLACK MODELS
HOW IS THE BLACK BODY REPRESENTED IN ART? HOW CAN WE GO BEYOND AN ART HISTORY WRITTEN BY WHITES? A HOST OF ARTISTS AND TWO PARISIAN EXHIBITIONS – THEASTER GATES AT THE PALAIS DE TOKYO AND LE MODÈLE NOIR AT THE MUSÉE D’ORSAY – ARE ATTEMPTING TO PROVIDE SOME ANSWERS. “There is no absolute, no purity. There never has been,” exclaimed 46-year-old American artist Theaster Gates at the opening of his first exhibition in France, at Paris’s Palais de Tokyo, which he describes as an exercise in “cultural, ethnic and sculptural blending” around the idea of a fundamental diversity. Gates is the man behind the Dorchester Projects, the rehabilitation enterprise he’s been leading since 2009 in Chicago’s South Side, a project through which he has proved the credentials of “social practice” – the direct involvement of artists in a reality in need of repair, improve-
La pratique de Gates, né en 1973, entre en résonance avec une génération d’artistes que la curatrice Thelma Golden a qualifiée à la fin des années 90 de “post-black”, terme que la directrice du Studio Museum in Harlem a inventé avec l’artiste Glenn Ligon. “[Ces artistes] sont à la fois post-Basquiat et post-Biggie”, explique-t-elle en 2001 dans le catalogue de l’exposition Freestyle. “Ils ont en commun de ne surtout pas vouloir être étiquetés ‘artistes noirs’, bien que leur travail soit profondément attaché à redéfinir les notions complexes de la ‘blackness’ [de ‘l’être-noir’].” Les vingt-huit artistes réunis sont tous d’origine afro-américaine. Mais cette dénomination ne suffit pas à produire un socle commun. Pour certains, l’exploration de l’identité et de l’expérience afro-américaine, et par extension afro-descendante, explore davantage les intersections transversales avec les courants contemporains que la continuité d’un l’héritage communautaire historique : le féminisme intersectionnel chez Susan Smith-Pinelo ; le post-conceptualisme chez Rashid Johnson ; le retour de l’expressionnisme abstrait chez Mark Bradford et Julie Mehretu. Plutôt que
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ment or embellishment. At the Gagosian gallery, which now represents him, his Black Madonna (2017) takes pride of place, a sculpture covered with a layer of tar (his father was a roofer). But this Madonna seems to mock our desire to recognize an African-American representation of community. For if Gates speaks in the name of African-Americans, it is to remind the rest of humanity that history is built on a falsehood, a hegemonic narrative invented by a part of the population, a story that denies this primordial diversity in order to write its own version of what happened. Gates’s work resonates with a generation of artists that in the late 90s the director of the Studio Museum in Harlem, Thelma Golden, described as “post-black,” a term she co-invented with the artist Glenn Ligon. “They’re at once post-Basquiat and post-Biggie”, she explained in 2001 in the catalogue for the exhibition Freestyle. “What they have
Double page précédente : © Theaster Gates and courtesy of the artist. Photo: Chris Strong. Ci-contre : Courtesy of Paul Mpagi Sepuya
“IL N’Y A PAS D’ABSOLU, pas de pureté. Il n’y en a jamais eu.” Ces mots sont ceux de l’Américain Theaster Gates, à l’occasion de sa première exposition en France, au Palais de Tokyo. Un exercice de “mélange culturel, ethnique et sculptural” autour de l’idée d’une mixité fondamentale. Theaster Gates, c’est le Dorchester Project, entreprise de réhabilitation qu’il mène depuis 2009 dans le South Side, quartier africain américain paupérisé de Chicago. Il a donné ses lettres de noblesse à la “social practice”, cet engagement direct des artistes sur un réel qu’il s’agit de réparer et d’embellir. À la galerie Gagosian qui le représente désormais, trône sa Black Madonna (2017), recouverte d’une épaisse couche de goudron. Mais cette madone-là semble se moquer de notre envie de reconnaître, chez un artiste afro-américain, des représentations de sa communauté. S’il parle au nom du peuple afro-américain, c’est pour rappeler au reste de l’Humanité que son histoire se construit sur un leurre : un récit hégémonique inventé par une partie de la population, récit niant ce mélange primordial afin d’écrire sa propre version de l’Histoire.
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la question de la représentation, ces artistes investissent celle des symboles et des structures. Ils héritent en cela d’Adrian Piper ou de David Hammons qui, dès les années 60, explorent, à partir du vocabulaire conceptuel, la construction sociale de la notion de race pour la première, les rituels de la communauté noire pour le second. Aujourd’hui cependant, la représentation du corps noir ou non blanc fait son grand retour. La réappropriation du vocabulaire dominant ou l’invention de son propre langage ? L’infiltration du système établi et la volonté de fonder sa propre plate-forme ?
in common is not wanting to be labelled ‘black artists,’ even though their work is profoundly attached to redefining the complex notions of ‘blackness.’” The 28 artists she brought together for Freestyle were all African-American, but this wasn’t enough to establish a common link between them. For some, the exploration of African-American identity and experience was more about transversal intersections with contemporary currents than the continuity of a historic community heritage, and rather than the question of representation, they looked at symbols and structures – something they inherited from figures like Adrian Piper or David Hammons, who, from the 60s onwards, have been using a conceptual vocabulary to explore, respectively, the social construction of race and the rituals of the black community. Today, however, the representation of the black, or non-white, body is back. What form should this take? Should it reappropriate the dominant vocabulary or invent a new language? Infiltrate the established system or create its own arena? The Musée d’Orsay exhibition, Black Models – from Géricault to Matisse, is precisely about this visibility of bodies. It grew out of Columbia graduate Denise Murrell’s 2013 doctoral thesis on the subject of the representation of the black female body. In its first iteration in New York, the exhibition centred on the case study of Manet’s Olympia (1863), a work that, due to its realism and refusal to idealize its subject, is considered a milestone in the history of mod-
Il serait possible d’élargir cette approche avec le travail d’artistes comme Martine Syms, Sondra Perry ou Jacolby Satterwhite, qui travaillent depuis l’écosystème numérique ; les photographes Deana Lawson, Zanele Muholi, Paul Mpagi Sepuya ; les peintres Awol Erizku et Nina Chanel Abney. Les formes flirtent avec les jeux vidéo, la 3D, l’hyperréalisme ou la tradition du mural. Les sujets : le quotidien, la pop culture – Deana Lawson shoote Rihanna pour Garage Magazine, Jacolby Satterwhite collabore au court-métrage de l’album de Solange… Plutôt que de penser le mélange, de pratiquer la recontextualisation, l’air du temps serait davantage à l’invention de nouveaux modèles de représentation et d’identification – réveillant la tradition occidentale de son assoupissement post-moderne.
ern painting. But for Murrell, it was also a turning point in the treatment of the black figure. Far from the sexualized and orientalizing clichés of the fetishized body, Laure, the model who posed as Olympia’s servant, at last emerges as an individualized figure. This approach can also be seen in the work of contemporary artists like Martine Syms, Sondra Perry and Jacolby Satterwhite in the digital sphere, Deana Lawson, Zanele Muholi and Paul Mpagi Sepuya among the photographers, and Awol Erizku and Nina Chanel Abney where the painters are concerned. Their forms flirt with video games, 3D, hyperrealism and the mural tradition, while their subjects include pop culture and the everyday. Rather than thinking about diversity or practising recontextualization,
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Le Modèle noir, de Géricault à Matisse, du 26 mars au 21 juillet,
the trend seems to be for the invention of new modes of
musée d’Orsay, Paris.
representation and identification, which are waking up the
Theaster Gates, Amalgam, jusqu’au 12 mai, Palais de Tokyo, Paris.
Western tradition from its Postmodern slumber.
Deana Lawson, courtesy of Sikkema Jenkins & Co., New York, and Rhona Hoffman Gallery, Chicago
À Paris, une autre exposition illustre le parti pris de la lutte pour la visibilité des corps plutôt que l’infiltration des structures. Certes, Le Modèle noir, de Géricault à Matisse balaye un large spectre de l’Histoire. Il n’empêche, cette exposition déploie dans l’espace du musée d’Orsay la thèse soutenue en 2013 par la chercheuse Denise Murrell à l’Université de Columbia à New York, autour de la représentation du corps noir féminin. D’abord présentée au sein de la galerie de l’université, l’exposition se concentrait dans sa première itération sur l’étude de cas de l’Olympia d’Édouard Manet (1863). Par son réalisme, son refus de l’idéalisation des figures, le tableau est habituellement considéré comme une pierre angulaire dans l’histoire de la peinture moderne. Or pour Denise Murrell, il s’agit aussi d’un tournant décisif dans le traitement du modèle noir. Loin des clichés sexualisants et orientalisants du corps fétichisé, réduit à un stéréotype, Laure, le modèle qui posa pour le rôle de la servante, émerge enfin comme une figure individualisée.
CI-DESSUS NATION (2018), DEANA LAWSON. IMPRESSION À JET D’ENCRE PIGMENTAIRE, PHOTO-COLLAGE, 141 X 170,8 CM.
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“JE N’AI JAMAIS VU AUTANT DE COLLECTIONNEURS BLANCS INTÉRESSÉS PAR DES ARTISTES NOIRS”, sourit le galeriste Tim Blum,
cofondateur de Blum & Poe. Après des années de mépris et de discrédit, les artistes africains américains tiennent leur revanche. En 2019, ils sont partout : au Palais de Tokyo, à la Biennale de Venise, à la Tate Modern. Sur le marché aussi. Décryptage d’un engouement tardif. PAR ROXANA AZIMI
Christie’s Images Ltd, 2019
FR À PARIS, AU PALAIS DE TOKYO, Theaster Gates explore l’histoire des migrations et de l’esclavage. À la Biennale de Venise, le sculpteur Martin Puryear représentera en mai les États-Unis. À la Tate Modern à Londres, Kara Walker investira la Turbine Hall en octobre prochain. On revient de loin. Longtemps, peu d’artistes africains américains sont sortis du lot. En 1970, Melvin Edwards est le premier à exposer en solo au Whitney Museum of American Art à New York, sans que ce jalon fasse boule de neige. Quelques décennies plus tard, David Hammons s’impose auprès des collectionneurs, François Pinault en tête. “Dans les années 60-70, les artistes africains américains même les plus politisés étaient reconnus sans devoir faire partie d’un groupe ou d’une minorité, chacun faisant carrière
PAGE DE GAUCHE THE BEAUTYFUL ONES (2012), NJIDEKA AKUNYILI CROSBY (NÉE EN 1983). ACRYLIQUE, PASTEL, CRAYONS DE COULEUR ET TRANSFERT XEROX SUR PAPIER, 243 X 170 CM. L’ŒUVRE A ÉTÉ VENDUE PRÈS DE 3 MILLIONS D’EUROS CHEZ CHRISTIE’S LONDRES, EN MARS 2017.
EN “I’VE NEVER SEEN SO MANY WHITE COLLECTORS INTERESTED IN WORK BY BLACK ARTISTS,” LAUGHS GALLERIST TIM BLUM. AFTER YEARS OF NEGLECT, AFRICAN-AMERICANS ARE FINALLY BEING TAKEN SERIOUSLY BY THE ART MARKET, AS NUMÉRO ART REPORTS. In Paris, Theaster Gates is exploring the history of migration and slavery; at the 2019 Venice Biennale, the sculptor Martin Puryear is representing the U.S.; at London’s Tate Modern, Kara Walker will be showing in the Turbine Hall in October. We’ve come a long way from the time when very few African-American artists managed to get themselves
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FR indépendamment sans obligation d’appartenance à un groupe précis”, précise la galeriste Nathalie Obadia, qui représente Mickalene Thomas et Lorna Simpson. L’année 1997 marque un tournant : Robert Colescott représente les États-Unis à la Biennale de Venise et Kerry James Marshall est invité à la Documenta de Cassel. En dix ans, le prisme américain change. Paul Gardullo, curateur du National Museum of African American History and Culture à Washington, déclare au New York Times en 2016 : “L’histoire américaine est profondément africaine américaine... Vous ne comprenez pas l’Amérique sans l’Amérique noire. Vous ne comprenez pas notre lutte pour l’égalité. Vous ne comprenez pas le jazz ni le rock’n’roll.” Selon le site Artnet (septembre 2018), le nombre d’expositions dédiées aux artistes noirs américains grimpe de 66% entre 2016 et 2018. Confortées sur le terrain institutionnel avec des expositions telles que Soul of a Nation; Art in the Age of Black Power à la Tate Modern (2017), Outliers and American Vanguard Art à la National Gallery de Washington et Sam Gilliam, The Music of Color au Kunstmuseum de Bâle (2018), les avancées se sont prolongées sur le marché. Pas forcément du côté des achats de musées : Artnet révélait ainsi que ces artistes représentaient moins de 3% des achats des grands musées américains depuis 2008. Les collectionneurs privés, eux, ne se sont pas faits prier. En 2009, le couple Rubell consacre les murs de sa Rubell Family Collection, à Miami, à trente artistes afro-américains. Il n’en faut pas plus pour faire des émules.
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EN heard. In 1970, Melvin Edwards was the first to have a solo show at the Whitney, but his example was not repeated. Decades later, David Hammons made a name for himself among international collectors, François Pinault in particular. “In the 1960s and 70s, even the most politicized African-American artists were recognized without having to belong to a group or a minority, each pursuing an independent career,” says gallerist Nathalie Obadia, who represents Mickalene Thomas and Lorna Simpson. The year 1997 marked a turning point when Robert Colescott represented the U.S. at the Venice Biennale and Kerry James Marshall was invited to Documenta in Kassel. In 2016, Paul Gardullo, curator at the National Museum of African American History and Culture in Washington, D.C., told The New York Times, “American history is profoundly African-American... You can’t understand America without black America. You can’t understand our struggle for equality. You can’t understand jazz or rock and roll.” According to the website Artnet (September 2018), the number of exhibitions devoted to black American artists grew by 66% between 2016 and 2018. Institutionally fuelled by shows like Soul of a Nation: Art in the Age of Black Power at Tate Modern (2018), Outliers and American Vanguard Art at the National Gallery in Washington and Sam Gilliam, The Music
En mai 2018, chez Sotheby’s, une œuvre de Kerry James Marshall s’adjuge pour 21,1 millions de dollars [plus de 18 millions d’euros]. Soit quatre fois le précédent record pour l’artiste. Son nouvel acquéreur n’est autre que le rappeur Sean “Diddy” Combs. Détail qui ne manque pas de sel, cette toile monumentale avait été achetée par le Metropolitan Pier and Exposition Authority de Chicago pour 25 000 dollars [22 000 euros] en 1997. Voilà encore cinq ans, les œuvres de Kerry James Marshall se négociaient autour de 300 000 dollars [260 000 euros]. Pour Johanna Flaum, spécialiste chez Christie’s, la donne a changé à partir de 2016, depuis son exposition au MOCA de Chicago, qui a ensuite voyagé au Metropolitan Museum of Art de New York et au MOCA de Los Angeles. Le puissant marchand new-yorkais David Zwirner l’a alors recruté. L’un et l’autre occupent les deux premières places du palmarès des personnes influentes du monde de l’art, établi en novembre 2018 par le magazine ArtReview.
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of Color at the Kunstmuseum Basel (both 2018), this shift has also impacted the market, though not necessarily where museum acquisitions are concerned: Artnet’s figures reveal that African-American artists accounted for under 3% of American museums’ purchases since 2008. But where private collectors are concerned, it’s a whole other story. Don and Mera Rubell got the ball rolling in 2009 when they showed 30 African-American artists at their Miami collection. Just under a decade later, in 2018, a work by Kerry James Marshall was auctioned for $21.1 million – four times his previous record. The piece had previously been acquired, in 1997, by Chicago’s Metropolitan Pier and Exposition Authority for just $25,000, and only five short years ago Marshall’s works were selling for around $300,000. For Johanna Flaum, a specialist at Christie’s,
FR Theaster Gates, qui avait ébloui les visiteurs de la Documenta de Cassel en 2012, a lui aussi vu ses prix grimper. En 2013, ses œuvres se négociaient chez Kavi Gupta à Chicago pour 50 000 euros. Il faut compter désormais 350 000 euros pour les plus importantes. Découvert en 2001 à l’exposition Freestyle au Studio Museum in Harlem, Mark Bradford a connu des embardées similaires. En 2003, ses œuvres se vendaient autour de 18 000 euros à la galerie parisienne Anne de Villepoix. Depuis sa prestation à la Biennale de Venise en 2017, ses prix ont quintuplé. En mars 2018, le Broad Museum, à Los Angeles, a acheté un grand collage pour le prix record de 11,5 millions de dollars [10 millions d’euros] à la maison de vente anglaise Phillips. L’engouement pour les Africains Américains profite aussi, par ricochet, aux artistes africains qui ont migré aux États-Unis. C’est le cas de la Nigériane Njideka Akunyili Crosby, qui vit à Los Angeles. En 2013, ses toiles valaient 15 000 dollars [13 000 euros] à la galerie Zidoun & Bossuyt, au Luxembourg. En 2017, Christie’s cédait une de ses œuvres pour le prix record de 3,3 millions de dollars [près de 3 millions d’euros]. Et ce n’est probablement qu’un début : l’artiste figure dans l’exposition internationale conçue par Ralph Rugoff à la Biennale de Venise.
DOUBLE PAGE PRÉCÉDENTE BLACK VENUS (2005), MARK BRADFORD. COLLAGE ET TECHNIQUE MIXTE, 315 X 462,3 CM. L’ŒUVRE A ÉTÉ VENDUE PLUS DE 5 MILLIONS D’EUROS CHEZ PHILLIPS NEW YORK, EN MAI 2018. CI-DESSUS PAST TIMES (1997), KERRY JAMES MARSHALL. ACRYLIQUE ET COLLAGE SUR TOILE. L’ŒUVRE A ÉTÉ VENDUE PLUS DE 18 MILLIONS D’EUROS CHEZ SOTHEBY’S NEW YORK, EN MAI 2018.
EN the game changed in 2016 with his exhibition at the Museum of Contemporary Art in Chicago, which afterwards travelled to New York’s Met and L.A.’s MOCA. Powerful New York dealer David Zwirner then added Marshall to his stable, and today they are at nos. 1 and 2 respectively in ArtReview’s November 2018 “Power 100” list. Gates has also seen his prices climb. While in 2013 Chicago dealer Kavi Gupta was selling his works for e50–75,000, you’d now need to shell out around e350,000. Discovered in 2001 at the Studio Museum in Harlem’s Freestyle show, Mark Bradford’s work has also gone up: in 2003, it was selling for around e18,000 a piece at Anne de Villepoix’s Parisian gallery, but since Bradford’s participation in the 2017 Venice Biennale his prices have quintupled. The vogue for African-American artists has also benefited African artists in the U.S., such as Nigerian-born Njideka Akunyili Crosby, whose prices have risen 16-fold in just six years – and this is no doubt only the beginning, since she’ll be appearing at this year’s Venice Biennale.
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MUSÉE DU QATAR
DOHA
LA ROSE DES SABLES DE
JEAN NOUVEL Chef-d’œuvre architectural incontestable, le Musée national du Qatar imaginé par Jean Nouvel ouvrait ses portes en grande pompe fin mars. Et de Victoria Beckham à Johnny Depp, personne ne manquait à l’appel. C’est que le bâtiment représente bien plus qu’une simple (et sublime) rose des sables. Visite privée à Doha. PAR THIBAUT WYCHOWANOK. PHOTOS PAR AITOR ORTIZ
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MUSÉE DU QATAR
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FR C’EST L’HISTOIRE D’UN ÉMIR, d’une ancienne Spice Girls, d’un président français, d’un top model, d’un acteur hollywoodien et d’un activiste chinois réunis à Doha pour l’éclosion d’une rose des sables.
EN JEAN NOUVEL’S DESERT ROSE AT THE END OF MARCH, THE EXTRAORDINARY NEW QATAR NATIONAL MUSEUM WAS INAUGUARATED WITH POMP AND GLITZ IN THE PRESENCE OF HUNDREDS
Ce pourrait être le début d’un conte arabe contemporain, ou plus prosaïquement d’une blague belge. Belges, Arabes, Américains ou Français, le 27 mars, tous les happy few de la planète se sont retrouvés à l’inauguration du Musée national du Qatar, splendide réalisation architecturale de Jean Nouvel. Les 539 disques de béton renforcé d’acier, de 14 à 87 mètres de diamètre, et le kilomètre et demi de parcours muséal donnent une idée de l’ampleur du lieu dont l’inauguration a réuni l’émir du Qatar, Tamim ben Hamad Al-Thani, Victoria Beckham, Nicolas Sarkozy, Naomi Campbell, Johnny Depp et Ai Weiwei, mais aussi Miuccia Prada, Jeff Koons et Damien Hirst.
OF PRESTIGIOUS GUESTS. FOR, MORE THAN A DESERT ROSE, THIS IS A BUILDING THAT EMBODIES THE FUTURE ASPIRATIONS OF THIS TINY GULF EMIRATE. This is the story of an emir, an ex-Spice Girl, a former French president, a top model, a Hollywood actor and a Chinese activist who all came to Doha for the blooming of a desert rose. It sounds like the beginning of a modern-day Arabian fairytale, or more prosaically the first line of a dodgy joke. On 27 March, the world’s happy few rubbed shoulders at the opening of the Qatar National Museum whose ar-
Commandé au début des années 2000, le musée représente autant une rose des sables – les disques multipliés jusqu’à saturation forment une partition musicale abstraite – que les enjeux essentiels de la monarchie du Golfe. Asseoir symboliquement son pouvoir dans la région et dans le monde en est le plus évident. À Doha, quelques semaines avant l’inauguration, Jean Nouvel se plaisait à raconter comment sa première proposition fut retoquée par la monarchie. “J’avais en tête un musée creusé dans le sable, comme une faille qui irait jusqu’à la mer et se terminerait en un immense aquarium. Véritable œuvre de land art. ‘Trop discret ! m’a-t-on répondu. Nous voulons quelque chose de plus visible.’ J’ai cherché alors une architecture qui puisse incarner l’histoire du Qatar – car il ne s’agit pas d’un musée d’art mais du musée d’une civilisation, l’histoire d’un peuple du désert. La rose des sables s’est imposée naturellement.” La prouesse technique tient dans la transposition à une échelle monumentale des caractéristiques aléatoires de cette cristallisation naturelle de gypse, de ses centaines d’intersections, ses milliers d’angles et autant de singularités qui se retrouvent également à l’intérieur du bâtiment. “Il ne s’agissait pas de créer une illusion, insiste l’architecte, mais de ressentir l’architecture de la rose des sables dans toutes les salles du musée.” Les volumes se dilatent ou se contractent au gré de la taille des disques. Les surfaces se font parfois obliques, lorsque les disques protègent de la lumière et de la chaleur du jour.
chitect, Jean Nouvel, has piled up of 539 reinforced-concrete discs, with diameters ranging from 14 to 87 m, in a pharaonic project that takes visitors on a 1.5 km route through its winding galleries. Among those present at the inauguration were the Emir of Qatar, Tamin Ben Hamad Al-Thani, Victoria Beckham, Nicolas Sarkozy, Naomi Campbell, Johnny Depp, Ai Weiwei, Miuccia Prada, Jeff Koons and Damien Hirst. Commissioned at the turn of the millennium, the museum represents less a desert rose – the discs multiply until saturation, forming an abstract musical score – than the political and economic stakes of the 2.6-million-inhabitant Gulf monarchy, the cementing of its power in the region and the wider world being only the most obvious. In Doha, a few weeks before the inauguration, Nouvel recalled how his first proposal was rejected by the emirate. “I imagined a museum buried in the sand, like a canyon leading all the way to the sea and terminating in a vast aquarium. A true work of land art. ‘Too discreet!’ I was told. ‘We want something more visible.’ So, I tried to find an architecture that would symbolize the history of Qatar – because this isn’t an art museum but rather the museum of a civilization, the history of a desert people. The desert rose was thus a
Si Jean Nouvel a réussi à s’imposer dans le cœur des princes du Golfe – on lui doit la phallique Doha Tower, le Louvre Abu Dhabi et bientôt
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natural solution.” Transposing to a monumental scale the countless angles and intersections of natural gypsum
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un complexe hôtelier en Arabie saoudite – c’est que, contrairement à d’autres, le Français sait offrir à chaque site une architecture unique. Chacun peut se prévaloir de son monument emblématique dans la grande course à l’échalote touristique. Instrument de soft power, le Musée national du Qatar répond à un enjeu économique non négligeable : réaliser la transition d’une économie pétrolière et gazière vers la route pavée d’or du tourisme international. L’exposition temporaire imaginée pour l’inauguration par AMO, la section recherche de l’agence de Rem Koolhaas, se penche sur l’urbanisation folle de Doha d’hier et d’aujourd’hui. Pas moins d’une dizaine de musées sont en construction alors que le Qatar s’apprête à accueillir la Coupe du monde de football en 2022 et à faire surgir de terre six stades.
crystals was something of a technical feat. “The idea wasn’t to create an illusion,” insists Nouvel, “but to feel the architecture of the desert rose in every part of the museum.” If Nouvel has won the hearts of Gulf princes – his projects include the 46-storey Doha Tower, the Louvre Abu Dhabi and a huge Saudi hotel complex – it’s because he’s a master at devising a unique solution for each site, providing his clients with the perfect steel-and-glass sales representative in the mad race for tourist dollars. An instrument of soft power, the National Museum of Qatar responds to the major challenge of transitioning from oil and gas to a service and tourist economy. For the museum’s inauguration, AMO
On aurait tort de limiter à des enjeux internationaux la création d’un tel défi architectural. Nouveau-né, le Qatar n’accède à une indépendance totale qu’en 1971. Si l’État s’est forgé un pouvoir fort, la constitution d’une nation avec son sentiment d’appartenance à un peuple, à une histoire et à un territoire commun n’en est encore qu’à ses balbutiements. Le musée national pourrait jouer à cet égard un merveilleux rôle d’orthophoniste. “Nous n’avions pas, ou très peu de témoignages de l’histoire du Qatar, confie Jean Nouvel, à qui l’on doit également la muséographie du lieu. Il s’agissait d’un peuple du désert nomade, ou de pêcheurs de perles. Alors je me suis dit que nous allions créer ces témoignages, à l’échelle du musée, en faisant appel à des artistes.” Point d’orgue du parcours, qui mène des salles dédiées à la géologie et à la faune du Qatar à celles consacrées à son histoire moderne, les projections spectaculaires de films d’artistes sur les murs courbes monumentaux. Jacques Perrin et Christophe Cheysson nous plongent dans les océans sur plus de 21 mètres. Abderrahmane Sissako filme en noir et blanc les Qataris des années 50 et 60 dans le désert. Doug Aitken propose une installation plongeant au cœur des profondeurs géologiques à la découverte du pétrole… Bien sûr, on pourra regretter que cette naissance d’une nation se fasse au moyen d’une histoire mythifiée, à la gloire de la tribu Al-Thani dont le palais-berceau du début du xxe siècle est littéralement embrassé par le musée de Jean Nouvel. On pourra surtout y voir le succès de l’exportation du modèle français. Autant que son architecture, c’est son processus de constitution de la nation par la royauté qui semble avoir séduit le Qatar.
– the research branch of Rem Koolhaas’s firm OMA – realized a temporary exhibition which examines the breakneck development of Doha over the last century. More than a dozen museums are currently under construction there, as Qatar prepares to host the 2022 World Cup, for which six new stadia will sprout from the desert sands. But it would be wrong to credit the construction of such an extraordinary building merely to its monetary draw. Qatar only gained complete independence in 1971 and, while it has firmly established power on the world stage, it hasn’t yet completed the process of nation building – the museum is also about creating a sense of belonging to a shared identity. “We had very few records about the history of Qatar,” explains Nouvel, who also designed the museography. “They were nomadic desert people, or pearl fishermen. So, I asked artists to create large-scale works that would evoke this past.” The visitor route through the building, which begins with Qatar’s geology and fauna before tackling the emirate’s recent history, culminates with artist-directed films projected at monumental scale onto the building’s curves. Jacques Perrin and Christophe Cheysson dive beneath the ocean; Abderrahmane Sissako captured Qataris of the 50s and 60s in the desert; Doug Aitken films the geology of oil exploration. While we might regret the mythologizing of the Al-Thani tribe, whose 19th century palace-birthplace is literally embraced by Nouvel’s museum, we could also see here the success of a French export, not only that of mu-
Musée national du Qatar, ouverture le 27 mars, Doha.
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seum construction but also of royal nation building.
4 AVRIL
FONDATION CARTIER
PARIS
ARTISTES À SUIVRE…
Avec son exposition Jeunes Artistes en Europe, La Fondation Cartier propose un panorama réjouissant et vivifiant de la jeune création. Numéro art a rencontré quatre des artistes invités, futures stars de l’art contemporain et du design. PORTRAITS PAR RETO SCHMID ANDREA TRIMARCHI, DU DUO DE DESIGNERS ITALIENS FORMAFANTASMA.
L’ARTISTE KRIS LEMSALU REPRÉSENTERA L’ESTONIE À LA BIENNALE DE VENISE, EN MAI.
FR
LA NÉERLANDAISE HENDRICKJE SCHIMMEL TRAVAILLE SOUS LE NOM D’ARTISTE TENANT OF CULTURE (“LOCATAIRE DE LA CULTURE”).
L’ARTISTE ALLEMANDE RAPHAELA VOGEL, QUI EXPOSE ÉGALEMENT ACTUELLEMENT À LA HAUS DER KUNST DE MUNICH.
EN
ARTISTES À SUIVRE
PARIS
FR
EN KRIS LEMSALU PAR INGRID LUQUET-GAD
ONES TO WATCH WITH THE EXHIBITION METAMORPHOSIS. ART IN
Il serait trop facile d’épiloguer sur l’artiste chamane venue des forêts profondes estoniennes. Personne ne peut nier la force incantatoire d’une pratique infusée d’obscures et fascinantes énergies. Et il n’y a qu’à la regarder. Créature aux sourcils lourdement ponctués de virgules noires, elle a le teint de porcelaine d’une poupée russe tandis que son rouge à lèvres se fait invariablement la malle sur la moitié du visage. Fantasque et insaisissable, elle disparaît dans un tourbillon de gaze fleurie d’où dépasse à peine une paire de baskets fluo, se fait une seconde peau d’un costume en nylon couleur chair d’où émergent mille et une protubérances qui font d’elle une nouvelle Vénus paléolithique, ou alors se promène le plus naturellement du monde affublée d’un chapeau-gants de ménage dont les doigts palpitent doucement à la manière d’une anémone de mer. En son absence, ses œuvres font tout aussi forte impression. Sa pratique reflète le même bricolage de références et de matériaux que celui qui irrigue son personnage polymorphe, interrespèce, transgenre et punk. Kris Lemsalu, née en 1985 en Estonie, se forme en céramique à l’Estonian Academy of Arts de Tallinn et en design à la Danmarks Designskole de Copenhague. De ce parcours au plus proche de la fonctionnalité, elle tire une approche presque “politique” de ses œuvres, centrées autour de l’intégration plus harmonieuse de l’individu à son milieu. Dans ses sculptures, les parties en céramique finement ciselées et les drapés cousus à la main se mêlent à tous les rebuts que la société de consommation a laissés derrière elle : CD, fleurs artificielles, baskets et bottes en plastique, ballons, portes d’automobile, piécettes – la liste pourrait se prolonger à l’infini. Kris Lemsalu en tire des saynètes hantées par la présence passée d’un corps. Dans Gently Down the Stream (2017), une barque à moitié recouverte de végétation gît sur un lit de ballons, deux paires de baskets pendant par-dessus bord. L’image est poétique, mais elle annonce surtout la catastrophe écologique imminente. L’humain s’est déjà absenté, ou alors il a muté, il a fait corps avec la nature, les animaux et les déchets synthétiques qui désormais se mêlent irréversiblement. Ici et là, un accessoire dérisoire rappelle sa présence évanouie, comme les squelettes de mains qui habitent des chemises repassées de frais (Angels Gone Missing, 2017). Ou alors, il ne reste qu’une pâle sirène de l’apocalypse, hoodie de céramique dotée de longues jambes bringuebalantes, perchée sur la coque d’une embarcation échouée (So Let Us Melt And Make Noise, 2017). Choisie pour représenter l’Estonie à la Biennale de Venise, Kris Lemsalu révélera à partir de mai son projet collaboratif Funtain. Une installation qui, promet-elle, délaissera les thèmes de mort et de fin du monde pour inviter à pousser les portes d’un monde “réel et enchanté”. FORMAFANTASMA PAR ANDREW AYERS “Lorsque vous ouvrez ce que l’on considère aujourd’hui comme un magazine de design, qu’est-ce que vous voyez ?” C’est la question que pose Simone Farresin, de l’agence de design Formafantasma,
EUROPE NOW, PARIS’S FONDATION CARTIER HAS PUT TOGETHER AN EXCITING PANORAMA OF YOUNG CREATORS. NUMÉRO ART INTERVIEWED FOUR OF THESE RISING STARS OF ART AND DESIGN.
KRIS LEMSALU It would be all too easy to bang on about a shamanic artist from the depths of the Estonian forest, but no one can deny the incantatory force of a practice infused with dark and fascinating energies. You just have to look at her. A creature with eyebrows painted on like black commas, she has the porcelain complexion of a Russian doll with lipstick invariably smudged over half of her face. Whimsical and elusive, she moves in a swirl of floral gauze with a pair of neon sneakers peeking out, or hides under a second skin of flesh-coloured nylon with countless protuberances that makes of her a new Palaeolithic Venus, or nonchalantly strolls through the world in a washing-up-glove hat whose fingers softly palpitate like a sea anemone. When she’s not physically present, her works make an equally strong impression. Her practice reflects the same bricolage of references and materials as her polymorphous, interspecies, transgender punk personnage. Born in 1985, Kris Lemsalu initially studied ceramics at the Estonian Academy of Arts in Tallinn before moving on to design at the Danmarks Designskole in Copenhagen. From this rather practical education she has developed an almost “political” approach centred around the harmonious integration of the individual with their surroundings. Her objects mix finely sculpted ceramic parts and hand-sewn draping with all the detritus of consumer society: CDs, fake flowers, plastic baskets , rubber boots, balloons, car doors, small change – the list is endless. Each of her pieces is a narrative haunted by the past presence of a body. In Gently Down the Stream (2017), a rowboat half-covered in vegetation lies on a bed of balloons, with two pairs of sneakers hanging limply overboard – a poetic image that announces imminent ecological disaster, since humanity is already absent, or has mutated, becoming one with nature, where animals and synthetic waste now irreversibly mingle. Here and there, a derisory object reminds us of man’s evaporated presence, like the skeleton hands hanging from freshly ironed shirts in Angels Gone Missing, or the ghostly siren of the apocalypse, formed by a ceramic hoodie with long dangling legs, that perches on the hull of a stranded boat in So Let Us Melt And Make Noise (both 2017). For the Venice Biennale, where she’s representing Estonia, Lemsalu is preparing Funtain, a collaborative installation which, she promises, will abandon death and the apocalypse to celebrate a “real and enchanted” fantastical world.
Courtesy de la Collection Silvia Fiorucci Roman, Monaco. © Formafantasma. Photo © Edouard Caupeil. Courtesy de Kris Lemsalu, de la galerie Koppe Astner, Glasgow et de Temnikova & Kasela Gallery, Tallinn. © Kris Lemsalu. © Galerie Koppe Astner
4 AVRIL
SÉRIE ORE STREAMS (2017), FORMAFANTASMA. VUE DE L’EXPOSITION JEUNES ARTISTES EN EUROPE. LES MÉTAMORPHOSES À LA FONDATION CARTIER POUR L’ART CONTEMPORAIN.
GENTLY DOWN THE STREAM (2017), KRIS LEMSALU. VUE DE L’EXPOSITION À LA FONDATION CARTIER.
FR qu’il a fondée à Amsterdam il y a dix ans avec son compatriote Andrea Trimarchi, italien lui aussi. “En général, on vous parle d’une chaise, puis d’une autre chaise, d’une lampe, et ainsi de suite. Le design a pourtant des implications bien plus vastes.” Nous nous retrouvions pour discuter du dernier projet de Formafantasma, Ore Streams, actuellement visible à la Triennale de Milan, dans le cadre de l’exposition Broken Nature: Design Takes on Human Survival, ainsi qu’à Paris (sous un format légèrement réduit), dans l’exposition de la Fondation Cartier. Ore Streams (“Sources de minerais”) était à l’origine une commande de la National Gallery of Victoria de Melbourne pour la première édition de sa Triennale NGV, en 2017. Dans sa version complète, Ore Stream comprend une quinzaine de vidéos et quatre pièces de mobilier : une table, un siège, un cabinet et un espace individuel de bureau (cubicle). Le tout conçu comme une réponse possible au problème des déchets électroniques.
EN FORMAFANTASMA “When you open what’s considered a design magazine these days, what do you see?”, asks Simone Farresin of Amsterdam-based design studio Formafantasma, which he founded ten years ago with fellow Italian Andrea Trimarchi. “It’s usually about a chair, another chair, a lamp, and so on. But the implications of design are so much bigger than that.” We’ve sat down to discuss Formafantasma’s latest project, Ore Streams, which is currently on display at the Triennale in Milan, as part of the exhibition Broken Nature: Design Takes on Human Survival, as well, in slightly reduced form, at the Fondation Cartier. Initially commissioned by Melbourne’s National Gallery of Victoria for its NGV Triennial in 2017, Ore Streams (as shown in its full version) comprises around 15 videos and four pieces of furniture – a table, a chair, a cabinet and a
Environnement, migrations d’ordre politique ou climatique, conception de stratégies destinées à éviter le désastre écologique : de nos jours, ces sujets sont omniprésents sur la scène culturelle. Ils l’étaient nettement moins en 2009, lorsque Farresin et Trimarchi sont sortis diplômés de la Design Academy Eindhoven. Leur projet de fin d’études, Moulding Tradition, abordait pourtant déjà certains de ces thèmes. “Nous avons passé notre diplôme avec un travail sur la production artisanale en Sicile en relation avec les flux migratoires au Moyen Âge, en étudiant les influences arabes sur la culture locale et en faisant le
cubicle – that were produced in response to the issue of electronic waste. “When museums commission work,” explains Farresin, “they commission objects, since that’s what they collect. But when they came to us for the NGV Triennial, we were a bit more self-aware with regards to our position, and, since Australia has an important mining industry, we wanted to do something related to the extraction of minerals with respect to production and design. That then developed into a project about electronic waste.”
ARTISTES À SUIVRE
FR lien avec la crise contemporaine des réfugiés. Nous disons souvent en plaisantant que, si nous avions vécu dans les années 20, nous aurions probablement été modernistes. Mais aujourd’hui, si vous avez la moindre conscience de ce qui est en train de se passer, certains enjeux sont tout simplement impossibles à ignorer.” Loin de se contenter de dénoncer ces problèmes, Ore Streams pousse donc la réflexion plus loin, en s’efforçant de proposer des solutions. “Nous avons voulu voir comment le design pouvait créer des stratégies permettant de fabriquer des produits qui soient davantage recyclables et réparables, poursuit Farresin. Nous avons contacté des entreprises de recyclage, des législateurs, des chercheurs universitaires, des ONG, etc. Prenez par exemple le système de collecte des déchets : dans la plupart des pays, il ne fait pas la différence entre un équipement qui fonctionne et un équipement hors d’usage. Des appareils en parfait état de marche sont donc endommagés lors du processus de collecte. Autre sujet : les détecteurs optiques utilisés pour séparer les déchets, incapables d’identifier les objets noirs. Cela veut dire par exemple qu’un câble électrique noir sera jeté avec à l’intérieur le cuivre recyclable intact qu’il contient. Une façon de résoudre ce problème consisterait à changer la couleur du câble.”
PARIS
EN Questions of the environment, of political- and climate-driven migration and of how to develop strategies to avoid ecological disaster are ubiquitous on the cultural scene these days, but were much less common back in 2009, when Farresin and Trimarchi graduated from the Design Academy Eindhoven. Nonetheless their diploma project, Moulding Tradition, already addressed some of these issues. “We graduated with a piece that was about craft production in Sicily related to medieval migration flows and the influence of Arabs in local culture, connecting that to the present refugee crisis. We joke that had we been around in the 20s we’d have been Modernists. But today, if you’re at all conscious of what’s going on, there are certain issues you simply can’t ignore.” Rather than merely pointing up such issues, however, Ore Streams takes this thinking further by attempting to offer solutions. “We tried to see what design can do to create strategies for making products that are more reparable and recyclable,” continues Farresin. “We talked to recycling companies, law makers, university researchers, NGOs and so on. For instance, take the waste-collection system – in most countries it
Qu’en est-il alors des meubles qu’ils ont conçus pour ce projet ? Ont-ils voulu inventer une sorte “d’esthétique électro-trash” ? “Dans les vidéos comme pour les objets, nous voulions éviter le cliché du rebut, et le cliché dystopique, dit Farresin. Quand on parle de déchets électroniques, on a souvent en tête ces images spectaculaires de décharges à ciel ouvert au Ghana, ou de travailleurs chinois occupés à démanteler des appareils usagés. Nous ne voulions pas convoquer ce type d’images, parce qu’il nous semblait qu’elles débouchent inévitablement sur un récit opposant le développé au sous-développé. Je pense qu’on a trop vite fait de ‘glamouriser’ une vision dystopique, même sans le vouloir. Nous avons donc choisi une approche diamétralement opposée, avec des objets très élégants et raffinés.”
doesn’t distinguish between functioning and non-functioning equipment, and devices that still work are damaged in the collection process. Then there are the visual detectors used to separate waste: they can’t recognize black objects, meaning, for example, that black electric cables get thrown out with the recyclable copper still inside them. Changing the colour of the cable would be one way to resolve that.” And what about the furniture they designed for the project? Did they attempt to invent a sort of “trash aesthetic”? “In both the videos and the objects, we wanted to avoid the cliché of the discarded and the dystopian,” says Farresin. “When you talk about electronic waste, you often have
Fabriquées, bien entendu, à partir de matériaux recyclés, les quatre pièces, en effet, sont réalisées à la perfection. Mais à y regarder de plus près, on remarque très vite quelque chose d’étrange. Le cabinet, fabriqué en verre, utilise les boîtiers arrière d’ordinateurs de bureau. La table métallique intègre des coques de téléphones portables. Dans le box du cublicle, on reconnaît la structure d’un four micro-ondes. Plusieurs détails ressortent sous un or récupéré sur des cartes de circuits imprimés. “Dans le contexte de l’exposition, nous avons imaginé ces pièces comme un cheval de Troie, explique Farresin. En les observant, vous prenez conscience qu’elles racontent une histoire, qui vous pousse à vous investir dans le reste de de la démarche. Nous voulions aussi brouiller les frontières, pour qu’on ne soit plus tout à fait sûr de ce qui est recyclé et de ce qui est neuf, en supprimant la hiérarchie de valeur économique assignée au neuf et au déchet par nos sociétés capitalistes. Je ne suis pas certain que nous y soyons parvenus, mais c’était l’idée.” Tout cela ne risque-t-il pas cependant donner à Formafantasma une image de sérieux excessif ? “Ne vous méprenez pas : j’aime beaucoup les jolies chaises, et je peux me
these dramatic images of open-air dumps in Ghana or Chinese labour dismantling dead equipment. We didn’t want anything that would suggest that kind of imagery, because we felt it leads to narratives of the developed and the under-developed. I think it’s very easy to glamorize dystopia, without even necessarily being aware of it. So we took the completely opposite tack – the objects look very sleek and refined.” Made, of course, from recycled materials, the four pieces are indeed immaculately crafted, but take a closer look and you’ll soon see something odd about them. The cabinet, in glass, includes the rear casings of desktop computers; the metal table incorporates mo-
Courtesy de Tenant Of Culture. Photo © Edouard Caupeil. © Raphaela Vogel. © Galerie Gregor Staiger Photo © Edouard Caupeil
4 AVRIL
SÉRIE SAMPLE SALE (2018-2019), TENANT OF CULTURE. VUE DE L’EXPOSITION À LA FONDATION CARTIER.
JESSICA (2018), RAPHAELA VOGEL. VUE DE L’EXPOSITION À LA FONDATION CARTIER.
FR
EN
montrer totalement frivole, rétorque Farresin. L’humain est complexe. Nous sommes simplement convaincus qu’en tant que professionnels, notre responsabilité est bien plus grande qu’en tant qu’individus.”
recovered from circuit boards. “In the context of the exhibition, we imagined these pieces as Trojan horses,” explains Farresin. “You start looking at them and begin to realize there’s a narrative embedded in there which
But we also wanted to blur the boundaries, so that you’re not sure what’s new and what’s recycled, removing the economic-value hierarchies assigned to the new and to
TENANT OF CULTURE PAR FRANCESCA GAVIN
waste in capitalist societies. I’m not sure we necessarily achieved that, but that was our thinking.” But doesn’t all
Installée à Londres, l’artiste néerlandaise Tenant of Culture, de son vrai nom Hendrickje Schimmel, aime ce qui est sale. Ses sculptures, installations et pièces vestimentaires mettent à l’honneur taches, crasse et marques d’usure. “C’est une réponse à la mode jetable – à l’idée qu’un vêtement peut être porté une seule fois, puis jeté parce que vous l’avez taché”, explique-t-elle. “Je trouve intéressant qu’une pièce salie à dessein et volontairement décolorée, maculée, puisse, dans l’univers de la mode, devenir un signe de rébellion.” Son travail joue avec les notions de tendances, de matières et autour des structures mêmes de l’industrie de la mode. L’inventivité de ses créations lui a valu un ticket d’entrée dans quelques expositions collectives, à la Galerie Gregor Staiger à Zurich, BQ à Berlin et, plus prestigieux encore, à la Fondation Cartier à Paris ce mois-ci.
this risk making Formafantasma come across as impossibly po-faced and serious? “Don’t get me wrong, I love pretty chairs, and I can be totally frivolous,” replies Farresin. “Humans are complex. But Andrea and I just think that when you’re a professional, you have far greater responsibility than you do as a private individual.”
TENANT OF CULTURE London-based Dutch artist Tenant of Culture, aka Hendrickje Schimmel, likes dirty things. Her sculptures, installations and clothing pieces highlight stains, grime and wear. “It’s a response against fast fashion; the idea that things can be worn only one day and be thrown out because there’s a stain,” she explains. “I think it’s interesting that the inten-
bile-phone shells; the cubicle includes the body of a microwave oven; and many details are picked out in gold
encourages you to engage with the rest of the presentation.
Elle a choisi ce nom, Tenant of Culture, “Locataire de la culture”, parce qu’elle aimait l’idée d’une certaine forme d’autonomie. S’inspirant de L’Invention du quotidien (1990) de Michel de Certeau, ouvrage de référence sur la consommation, Hendrickje Schimmel a imaginé un nom qui ferait davantage penser à un créateur de mode qu’à un nom
tionally dirty and intentionally faded and stained can become a sign of rebellion in fashion.” Schimmel’s work plays with ideas around trends, materials and the structures of the fashion industry. Her inventive work has garnered her spots in recent groups shows with Galerie Gregor Staiger in
4 AVRIL
ARTISTES À SUIVRE
FR d’artiste. “J’ai ressenti le besoin de me créer un statut, explique-t-elle. Pour moi, il évoque une capacité d’adaptation, de flexibilité. Locataire, ce n’est pas propriétaire. C’est vivre à l’intérieur d’une structure qui ne vous appartient pas. Je peux me sentir libre à travers plusieurs types de supports.” Il y a chez elle une conception rafraîchissante de l’art. Elle a d’abord étudié la mode (un master en métiers du textile au Royal College of Art), avant d’exposer en tant qu’artiste. Des marques comme House of Holland ou Maison Margiela constituent pour elle un modèle intéressant. “J’espère pouvoir un jour transmettre mon héritage. J’aime beaucoup voir un créateur de mode prendre sa retraite en laissant à un autre couturier l’intégralité de ce qu’il a bâti, pour qu’il en livre sa propre interprétation.”
PARIS
EN Zurich, BQ in Berlin and now at the Fondation Cartier. She to the idea of rejecting autonomy. Inspired by Michel de Certau’s influential book on consumption, The Practice of Everyday Life, Schimmel created a name that sounded more like a fashion house than an artist. “I felt like I had to create a position for myself,” she explains. “For me, it’s about flexibility. A tenancy is different to ownership. You live within somebody else’s structure. I’m able to be free within several mediums.” Schimmel studied fashion, completing an MA in textiles at the Royal College of Art before showing in an art context. She sees fashion labels like the House of “Hopefully, I’ll be able to pass on my practice at some point. I love it when fashion designers retire and give their entire legacy to another designer to interpret.”
eBay and friends. “I think people really underestimate how many hidden symbols there are in average clothes,” she observes. “Every single detail that a garment contains has a history that shows a lot about civilization and progress.” Rather than high fashion, Tenant of Culture is drawn towards the “unconsidered outfit”. Alongside old trainers and stained sweatshirts, she regularly incorporates rigid materials like concrete and silicone, and is inspired by attempts to arrest the process of decay. As she points out, “What do we I think that question determines a lot of how we construct
FR
EN RAPHAELA VOGEL PAR INGRID LUQUET-GAD
RAPHAELA VOGEL With Raphaela Vogel there is something of Don Quixote’s
Il y a chez Raphaela Vogel quelque chose d’une posture tragi-comique d’un Don Quichotte qui serait armé d’une perche à selfie en guise de lance. L’artiste allemande, née en 1988, se fait repérer avec l’installation vidéo Prokon qu’elle présente en 2014 lors de son diplôme de fin d’année à la prestigieuse Städelschule de Francfort. Avec l’emphase baroque des grands combats mythologiques, l’artiste se filme aux prises avec un drone. Le résultat est à la fois hilarant et angoissant. Par l’un de ces effets de dédoublement qu’elle affectionne, le drone devient à la fois l’acteur à l’image et l’outil permettant d’obtenir une série de plans kaléidoscopiques. Son quotidien de jeune artiste est filmé de manière à la fois terriblement banale et profondément perturbante. Alors que la paisible rationalité du quotidien semble sur le point de s’effondrer, on la voit se mettre à booty shaker, ou bien l’image se stabilise sur un plan de nature, et tout redevient normal. Raphaela Vogel n’est pas la première artiste à utiliser des plans de drones, bien au contraire : c’est déjà devenu un lieu commun. En revanche, elle est l’une des rares à ne céder ni à la fascination technologique ni aux extrapolations eschatologiques. Lors de son premier solo show, Raphaela und der Grosse Kunstverein, à la Bonner Kunstverein de Bonn en 2015, Prokon occupait une place de choix. Le projecteur lui-même se retrouvait suspendu au plafond par un grappin, le faisceau de l’image émergeant alors des mâchoires d’acier d’une inquiétante créature. À plusieurs reprises dans son travail, les instruments de capture du réel, drones, perches à selfie et autres projecteurs se transforment souvent en monstres tout droit sortis d’un Moyen Âge caverneux.
tragi-comic posturing, but a Don Quixote armed with a selfie stick disguised as a lance. Born in 1988 in Nuremberg, Germany, Vogel first came to light with the video installation Prokon which she presented in 2014 for her graduation show at the prestigious Städelschule in Frankfurt. With the baroque emphasis of great mythological battles, the artist films herself using a drone. The results are hilarious yet unsettling. Through the effect of splitting into two that she favours, the drone becomes both an actor in the image and the tool that allows her to obtain a series of kaleidoscopic shots. Her daily life as a young artist is filmed in a way that’s both banal and incredibly disturbing. Just as the peaceful rationality of everyday life seems to be on the verge of collapse, we see her put a booty shaker on, or
items. How do you choose what is important enough to preserve?” Often Tenant of Culture uses the tropes of the fashion industry to structure her projects, like Sample Sale, shown at the independent fair Paris International last October, whose display approach drew on the idea of the fast-reduced bargain. “There is this really rapid exchange of value from season to season, and in art I think that discourse is a little bit more disguised. I wanted to employ that cess into the art fair,” she enthuses. Her pieces often hang in clusters or are placed on sculptural pseudo-mannequins, which are frequently hollow casts of human bodies. “Display is a very important element in my practice. I’ve always been quite fascinated by the supporting structures that fashion employs like the mannequin, the plinth, the cupboard, storage boxes, that kind of stuff,” Schimmel points out. “I get really inspired in high-street shopping environments like Oxford Circus. I can spend hours walking around there looking at shop displays – they’re almost like set design
goes back to normal. Raphaela Vogel is not the first artist to use drone shots, quite the contrary: it’s become quite commonplace. However, she is one of rare people not to succumb either to a fascination for technology nor to eschatological extrapolations. At her first solo show, Raphaela und der Grosse Kunstverein at the Bonner Kunstverein in 2015, Prokon featured prominently. The projector was hung from the ceiling by a grappling hook, the beam of the image appearing to emerge from the steel jaws of an ominous creature. Several times in her work, actual traps, drones, selfie sticks and projectors, turn into monsters straight out of a cavernous Middle
history. Institutional archives choose to preserve certain
kind of quickness and intensification of the shopping pro-
Ses pièces sont souvent accrochées par petits groupes, ou placées sur de faux mannequins-sculptures, généralement des plâtres creux moulés sur le corps humain. “La façon de montrer les œuvres est un élément très important dans mon travail. J’ai toujours éprouvé une certaine fascination pour les supports structurels dont se sert la mode, le mannequin, le socle, la penderie, les cartons de stockage, ce genre de choses, explique-t-elle. Les lieux de shopping de luxe comme Oxford Circus m’inspirent aussi beaucoup. Je peux déambuler dans le quartier et regarder les vitrines des boutiques – presque comme des décors sur un plateau de cinéma ou une scène de théâtre.” Ses pièces nous conduisent à repenser les basiques de n’importe quelle garde-robe. Votre shopping du samedi après-midi ne sera peut-être plus jamais le même.
PARIS
the image stabilising on a shot of nature, and everything Textile is her staple material, sourced from charity shops,
decide to keep and what do we decide to throw away?
Tenant of Culture s’appuie souvent sur les structures de l’industrie de la mode pour articuler ses projets. En octobre dernier, elle avait intitulé Sample Sale sa proposition pour la foire indépendante Paris Internationale, en collaboration avec la galerie anglaise 640mAh. La démarche dont procédait cette “braderie privée” était inspirée par les soldes express dans la mode. “La valeur des pièces évolue très rapidement d’une saison à l’autre. Dans le domaine de l’art, ce phénomène se fait nettement plus discret. Je voulais faire entrer cette rapidité et cette intensification du processus d’achat dans une foire artistique”, s’enflamme-t-elle.
ARTISTES À SUIVRE
called herself Tenant of Culture because she was attracted
Holland or Maison Martin Margiela as interesting models.
Son matériau de base, c’est le textile. Elle se le procure dans des magasins de bienfaisance, sur eBay, ou auprès de ses amis. Pour elle, “les gens sous-estiment réellement la quantité de symboles qui se cachent dans le moindre vêtement. Chaque détail possède sa propre histoire, et en dit long sur la civilisation et le progrès”. Tenant of Culture est attirée par les “vêtements déconsidérés”. À une vieille paire de baskets ou un sweat-shirt taché, elle incorpore souvent des matériaux rigides comme le béton, ou du silicone. Ce qui l’inspire, ce sont les tentatives de stopper le processus de dégradation. “Qu’allonsnous décider de garder, ou au contraire de jeter ? De la réponse à cette question dépend je crois notre façon de construire l’Histoire. Les archives officielles des institutions choisissent de préserver certaines choses. Comment sélectionner ce qui mérite vraiment d’être conservé ?”, questionne-elle.
4 AVRIL
Raphaela Vogel tire moins la technologie vers l’imagerie cyberfuturiste que vers un anthropomorphisme préhistorique, monstrueux ou folklorique. Présentés comme de véritables installations qui augmentent la vidéo plutôt qu’elles ne l’accompagnent, ces instruments de capture se transforment tantôt en dinosaures de parc d’attractions, tantôt en carcasses mécaniques démembrées. En 2018, son exposition Ultranackt à la Kunsthalle de Bâle insistait sur le versant sculptural de sa pratique, établissant un parallèle entre la fabrication quasi manuelle des vidéos et celle des objets et des environnements dans lesquels celles-ci sont projetées. Les structures métalliques utilisées pour les grands événements en plein air s’y transformaient en sculptures arachnéennes. Dans Capsule 09, son exposition en cours à la Haus der Kunst de Munich, l’œuvre A Woman’s Sports Car transforme les phares d’une voiture de sport en projecteurs à 360°. En sous-texte, l’usage du burlesque dessine le périple picaresque d’une jeune femme au sein d’un univers technologique dessiné par des hommes pour des hommes. Le “devenir-monstre” des appareils de vision démontre ainsi, par l’absurde, davantage le point de vue dominant masculin qu’une révolution des machines.
Ages. Raphaela Vogel pulls technology less into a cyber-futuristic imagery and more towards a prehistoric, anthropomorphism, monstrous and folkloric. Presented as real installations that augment the video rather than accompany it, these traps are transformed into amusement park dinosaurs, or dismembered mechanical carcasses with their cogs and bowels exposed. In 2018, her exhibition Ultranackt at the Basel Kunsthalle focused on the sculptural aspect of her practice, drawing a parallel between the almost manual production of videos and that of the objects and environments in which they are projected. While metal structures used for big outdoor events are transformed into spidery sculptures in Capsule 09, her current exhibition at Munich’s Haus der Kunst, A Woman’s Sports Car changes the headlights of a yellow sports car into 360° projectors. As a subtext, her use of burlesque draws the picaresque journey of a young woman through a technological universe designed by men for men. Indeed, the manner in which these visual apparatuses become monsters through absurdity is more about demonstrating how we’re dominated
and theatre.” So much do her pieces make you reconsider the basics in any wardrobe that the experience of shopping
Jeunes Artistes en Europe. Les Métamorphoses, du 4 avril au
by a masculine point of view rather than pointing to a me-
on a Saturday afternoon may never quite feel the same.
16 juin, Fondation Cartier pour l’art contemporain, Paris.
chanical revolution.
1 9 70 9 AVRIL
LE JOUR OÙ LE DÉPARTEMENT DES RESSOURCES NATURELLES DE L’UTAH FUT À L’ORIGINE DE LA PLUS GRANDE ŒUVRE DE LAND ART
PAR ÉRIC TRONCY ILLUSTRATION PAR SOUFIANE ABABRI
FR LE 9 AVRIL 1970, l’artiste américain Robert Smithson, alors âgé de 32 ans, reçut du Département des ressources naturelles de l’Utah le special use lease agreement qu’il avait sollicité afin de pouvoir utiliser 10 hectares de terrain sur les rives du Great Salt Lake [Grand Lac salé] de Rozel Point, pour y réaliser une construction. Le loyer demandé était de 100 dollars [environ 90 euros] par an, payable d’avance au début de chaque année. La collectionneuse Virginia Dwan, qui avait fondé en 1959 sa galerie à Los Angeles puis ouvert une deuxième galerie à New York en 1965 (elle fermera en 1971), avança l’argent et fut remboursée plus tard par l’artiste. Smithson obtint ensuite du Bureau des réclamations du ministère de l’Intérieur des États-Unis l’autorisation de déplacer les 6 500 tonnes de roche nécessaires à la réalisation du projet pour lequel il avait cherché un lieu approprié dès la fin de l’année 1969. Il s’agissait de construire une jetée en pierre en forme de spirale enroulée dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, de 457 mètres de long et 4,5 mètres de large, déployée sur l’eau du Great Salt Lake, quatre fois plus chargée en sel que l’eau de la mer. Cette eau a une étrange couleur, celle, selon Smithson, de la soupe à la tomate : une teinte qu’il recherchait – nous renseignant du même coup sur l’importance de choix esthétiques que l’entreprise pourrait faire passer pour secondaires. Il lui fut particulièrement difficile de trouver un entrepreneur qui accepte de réaliser ce projet : il le trouva en la personne de Bob Phillips qui accepta en raison des problèmes inédits posés par cette entreprise hors du commun. Ses camions transportèrent les pierres de basalte de la colline voisine jusque dans les eaux du lac. On raconte souvent que la construction de la Spiral Jetty dura six jours à peine, bien que Smithson explique que l’œuvre fut réalisée après “deux semaines de construction effective [et] environ deux mois de négociation et de préparation”. Une Spiral Jetty fut effectivement réalisée en six jours par l’équipe de Bob Phillips, mais Smithson demanda qu’elle soit entièrement refaite pour aboutir à la forme exacte qu’il avait dessinée. Il prévint Phillips par téléphone : “Ça ne va pas. Pas du tout. La jetée, nous devons la refaire. C’est tout faux.” Phillips accepta, moyennant 3 000 dollars [plus de 2 600 euros] supplémentaires aux 6 000 dollars [5 300 euros] qu’avait déjà coûté la construction. Les eaux du Great Salt Lake avaient été particulièrement basses cette année-là, mais rapidement elles remontèrent, engloutissant pendant trente ans la spirale de basalte sombre – qui resurgit blanche comme neige, le sel s’étant déposé sur le ruban de pierre. EN THE DAY UTAH AUTHORIZED THE WORLD’S LARGESTWORK OF LAND ART On 9 April 1970, 32-year-old Robert Smithson received the special-use lease agreement he’d requested from the Utah Department of Natural Resources pertaining to 25 acres of land on the banks of the Great Salt Lake at Rozel Point. The asking rent was $100 per annum, payable in advance at the beginning of each year. Collector Virginia Dwan put up the cash, which the artist later reimbursed. Smithson then obtained permission from the U.S. Bureau of Reclamation to move the 6,500 tons of basalt needed for a project he had begun working on in late 1969 – the construction of a 1500-foot-long, 15-foot-wide, spiral-shaped jetty in the Great Salt Lake, whose waters are four times saltier than the sea. As a result it has a strange tint, like that of tomato soup according to Smithson, a reminder that aesthetics were not secondary in his intentions. He had difficulty finding a contractor willing to tackle the job, but eventually hit on Bob Phillips, who accepted due to the unusual problems it raised. It’s often said that Spiral Jetty was built in just six days, but that’s forgetting the two months of preparation up front, not to mention Smithson’s request that the whole thing be done again (“It’s just not right!”). Phillips agreed, for an extra $3,000 on top of the $6,000 already billed. The waters of the lake were unusually low that year, but soon engulfed the dark basalt spiral, which only resurfaced 30 years later – now white as snow with encrusted salt.
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LE JOUR OÙ JOSEPH BEUYS FIT UN DÜSSELDORFNEW YORK EN AMBULANCE
FR LE 23 MAI 1974, l’artiste Joseph Beuys, enveloppé dans une couverture de feutre, quitta son domicile de Düsseldorf en Allemagne en ambulance et fut conduit ainsi à l’aéroport où il prit l’avion pour les États-Unis. À New York, déplacé en chaise roulante dans l’aéroport, il fut à nouveau convoyé en ambulance – sans jamais avoir physiquement foulé le sol américain – jusqu’au 409 West Broadway, dans la galerie René Block, à Manhattan, où il s’enferma trois jours durant dans une vaste cage de métal, en compagnie d’un coyote capturé au Texas quelque temps auparavant. Durant soixante-douze heures, Joseph Beuys entreprit une série de stratégies pour cohabiter avec l’animal sauvage. Enveloppé de l’étoffe de feutre, les mains protégées par des gants, se servant d’une canne et d’une lampe torche, muni d’un magnétophone et un triangle et coiffé du chapeau qu’il portait en permanence, l’artiste apprit en effet à partager avec la bête le même espace, sous le regard des visiteurs de la galerie – quelques centaines de personnes tout au plus, fort heureusement dépourvues de smartphones. Les récits de cet événement varient : la version officielle et probablement la plus fiable est celle livrée par sa “compagne de voyage et biographe” Caroline Tisdall, critique d’art au Guardian. Chaque jour, une cinquantaine d’exemplaires du Wall Street Journal était déposée dans la cage : le coyote pissa dessus avec une belle constance, marquant son territoire – il pissa aussi sur le feutre. La cohabitation donna lieu à quelques épisodes plus agressifs au cours desquels le coyote tenta d’arracher la couverture : son comportement se fit tour à tour belliqueux, indifférent, bienveillant, voire “amical”. Intitulée I Like America and America Likes Me, cette performance historique a souvent fait l’objet d’inexactitudes dans son récit, visant à dramatiser plus encore l’événement – comme s’il en était besoin. Il est ainsi fréquent de lire que Beuys n’avait jamais “mis les pieds” (c’est le cas de le dire) aux États-Unis en raison de son opposition à la guerre du Viêt Nam : c’était vrai jusqu’au mois de janvier 1974 au cours duquel Beuys consentit à une série de discussions avec le public américain organisées à New York par le galeriste Ronald Feldman. On peut aussi s’interroger sur le franchissement des formalités de sécurité des aéroports, de toute évidence moins drastiques qu’aujourd’hui… Peut-être notre admiration pour les grandes œuvres nous pousse-t-elle à les rendre plus spectaculaires encore ; peut-être la vérité en matière d’art n’est-elle pas une qualité nécessaire. Au terme de trois jours de huis clos avec le coyote, Beuys, toujours enveloppé dans une couverture de feutre, fut à nouveau conduit jusqu’à l’aéroport de New York en ambulance, pour retourner chez lui à Düsseldorf. EN THE DAY JOSEPH BEUYS DID DÜSSELDORF–NEW YORK IN AN AMBULANCE On 23 May 1974, Joseph Beuys left his home in Düsseldorf, Germany, wrapped in a felt blanket, and was transported by ambulance to the airport where he boarded a flight to JFK. Wheelchairbound, he was again conveyed by ambulance – without ever physically touching American soil – to the René Block Gallery at 409 West Broadway where, for three days, he locked himself in a large metal cage with a wild coyote. During his 72 hours in its company, Beuys – still wrapped in the felt cloth, wearing gloves and a felt hat he didn’t once take off, and armed with a cane, a flashlight, a tape player and a triangle – learned to share the space with the animal, under the curious gaze of gallery visitors (a few hundred at the most, thankfully without smartphones). Every day, 50 copies of The Wall Street Journal were placed in the cage on which the coyote pissed with admirable regularity (as well as on the felt blanket), its behaviour going from belligerent to indifferent to “friendly.” Entitled I Like America and America Likes Me, Beuys’s performance has often been exaggerated in retellings (as though that were necessary); perhaps our admiration for great works makes us want them to
PAR ÉRIC TRONCY ILLUSTRATION PAR SOUFIANE ABABRI
be even more spectacular, or maybe truth isn’t a prerequisite for art. At the end of the three days, Beuys, still wrapped in the felt blanket, returned to JFK by ambulance and flew back to Düsseldorf.
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JEU DE PAUME
PARIS
ÉTRANGES BEAUTÉS
D’une beauté obsédante, ses clichés sont traversés par le désir, la mort et la mémoire d’un Sud des États-Unis auquel la photographe est restée fidèle depuis 1951. Elle y a fixé sans pudeur des moments de vie familiale – les ligues de vertu se sont choquées de voir ses enfants nus. Elle en a arpenté le territoire, chargé d’histoire et de religion, où les batailles de la guerre de Sécession ont fait rage au xixe siècle. Sally Mann suit l’évolution des paysages et des êtres, scrutant les corps, observant leur déclin, prenant le temps de la pose, à contrecourant des techniques actuelles. Le Jeu de paume lui offre sa première rétrospective d’ampleur. PAR PATRICK REMY
Collection privée © Sally Mann
SALLY MANN
CI-DESSUS BLOODY NOSE (1991). ÉPREUVE ARGENTIQUE AVEC PROCÉDÉ DE BLANCHIMENT DES COULEURS.
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Patricia and David Schulte © Sally Mann
CI-CONTRE EASTER DRESS (1986). ÉPREUVE À LA GÉLATINE ARGENTIQUE.
18 JUIN
SALLY MANN
FR LA PHOTO A CHOQUÉ : la mère et ses deux filles mineures, en pleine nature, pissent. La mère et la plus petite sont de face, la grande tourne le dos. On voit leurs marques de bronzage. Elles sont nues, et de chacun de leur sexe sort un dense filet d’urine, accentué par le contre-jour et le noir et blanc. (The Three Graces, 1994). Cette image fait partie d’Immediate Family (1984-1994), dont une sélection a été publiée dans un livre (éd. Aperture, 1992). Dans cette série, Sally Mann photographiait son fils aîné, Emmett, et ses deux filles, Jessie et Virginia. Quoi de plus normal qu’une mère, d’autant plus photographe de profession, prenne des clichés de ses enfants ? Les images d’Immediate Family ne sont pas des instantanés mais des mises en scène savamment orchestrées, photographiées à la chambre, procédé nécessitant de longs temps de pose de la part des modèles. Une mise en scène de la réalité. Une création familiale. Un théâtre champêtre, un jeu familial, où les jeunes enfants, souvent nus, s’amusent le long de la rivière qui traverse leur propriété.
PARIS
EN SALLY MANN, EYE AND MEMORY HER MESMERIZINGLY BEAUTIFUL PHOTOGRAPHS ARE HAUNTED BY DEATH, DESIRE AND MEMORY IN THE AMERICAN SOUTH, WHERE SHE WAS BORN IN 1951. PARIS’S JEU DE PAUME IS BRINGING HER WORK TO A FRENCH AUDIENCE WITH ITS NEW RETROSPECTIVE. It’s a photo that shocked: a mother and her two young daughters urinating in the open air. The mother and her youngest both face the camera while the older girl turns her back. We see their tan lines as they stand there naked, each pissing a thick stream of urine, accentuated by the backlighting and the monochrome. The Three Graces (1994) is part of Sally Mann’s Immediate Family series (1984–92) – a selection of which was published in the 1992 book Aperture – for which she photographed her three children: her son Emmet, the oldest, and her daughters Jessie and Virginia. What could be more natural than a mother, a photographer by profession, taking pictures of her kids? But the photos in this series are not just snapshots, they were staged, taken with a plate camera which required the models to pose for a long time. The series was a form of bucolic theatre, a family game, in which her young, often naked children played alongside the river running through their garden. In the early 90s, the defenders of decency saw some of the photos as pornography, paedophilia even. A right-wing leader even called for Mann’s book to be destroyed. What had started out as innocent became taboo: a prepubescent child now had a black strip covering her non-existent breasts when The New York Times published a photo of Virginia to accompany an article about Mann’s work. To avoid any trouble, Mann and her husband went to see the
Sally Mann est née en 1951 dans le Sud des États-Unis, en Virginie, dans les contreforts des Blue Ridge Mountains. Elle vit toujours dans cette région chargée d’histoire, qui a subi les batailles de la guerre de
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local FBI to explain the unambiguous nature of her shots. After Immediate Family, the reaction to which left her hurt and destabilized, Mann moved on to new subjects.
Collection privée © Sally Mann
Mais en ce début des années 90, les ligues de vertu, déjà virulentes, y virent de la pornographie, voire de la pédophilie. Un leader d’extrême droite demanda même la destruction de son livre. Ce qui était innocent était devenu tabou. Une gamine nue non formée a désormais droit à un bandeau cachant sa poitrine inexistante : c’est en effet ainsi que le Wall Street Journal, en février 1991, publie une photo de Virginia à 4 ans pour illustrer un article sur Sally Mann. La photographe décide alors d’aller voir d’elle-même le FBI local, accompagnée de son mari et des enfants, pour dissiper toute ambiguïté sur son travail. Après la publication d’Immediate Family dont elle ressort déstabilisée, blessée, elle passera à d’autres séries. À l’âge adulte, sa fille Jessie posera pour d’autres photographes comme Katy Grannan. Plus tard, Sally Mann subira une autre épreuve : celle de perdre son fils aîné Emmett qui, atteint de schizophrénie, se suicidera à l’âge de 36 ans.
CI-DESSUS BEAN’S BOTTOM (VERS 1991). ÉPREUVE ARGENTIQUE AVEC PROCÉDÉ DE BLANCHIMENT DES COULEURS.
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National Gallery of Art, Washington, Alfred H. Moses and Fern M. Schad Fund © Sally Mann
CI-CONTRE UNTITLED (SCARRED TREE), SÉRIE DEEP SOUTH (1998). ÉPREUVE À LA GÉLATINE ARGENTIQUE.
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18 JUIN
SALLY MANN
FR Sécession, et dont la lumière, radicale, perce les nuages, se diffuse sur les chênes et les cyprès envahis de mousse espagnole. Un territoire à l’atmosphère particulière, décrite plus tard par le photographe Alec Soth, les cinéastes Jim Jarmusch (Down by Law, 1986), Martin Scorsese (Cape Fear, 1991) ou Sofia Coppola (The Beguiled, 2017). Une atmosphère de touffeur, d’humidité. Un lieu propice à d’autres explorations photographiques, plus dures encore. Chez Sally Mann, il y a l’amour mais aussi la mort…
PARIS
EN Mann was born in Virginia, in the foothills of the Blue Ridge Mountains, where she still lives. It’s a place imbued with history, where Civil War battles were fought, and where the light is particular, radical even, as it pierces the clouds to illuminate the oaks and cypresses swathed in Spanish moss. It’s an atmosphere found in the work of photographer Alec Soth and the filmmakers Jim Jarmush (Down by Law, 1986), Martin Scorsese (Cape Fear, 1991) and Sofia Coppola (The Beguiled, 2017). The sultry air hangs heavy,
Avec la série Deep South (1996-1998), puis What Remains (20002004), elle capture les paysages du Sud (Virginie, Louisiane, Mississippi), où un passé tourmenté hante la terre. Marécages, champs de batailles, propriétés en ruines : elle marche sur un terrain meurtri, sur des morts. Une atmosphère lugubre, étrange, accentuée par sa technique, la même que celle utilisée pour les documents de guerre du xixe siècle. “Ces images parlent des fleuves de sang, de pleurs, de sueur que les Africains ont versés dans les sols souillés et sombres de leur nouvelle patrie ingrate”, déclarait-elle. Dans le second volet de What Remains, elle va plus loin. La photographe a pu avoir accès, ce qui est très rare, à une “body farm”, un lieu à ciel ouvert réservé aux recherches médico-légales, où des cadavres, répartis dans des champs, une forêt, à l’abri des regards, se décomposent. Les corps ne sont plus que de petits amas indéfinis, presque plus rien. Les carcasses forment la terre. Retour à la poussière.
inviting other, more extreme photo explorations – for in Mann’s work there is love, but also death… With the series Deep South (1996–98) and What Remains (2000–04), Mann captured the landscapes of Virginia, Louisiana and Mississippi where a tormented past haunts the earth. Swamps, battlefields, ruins – she photographed a bruised land filled with the dead. Hers is a lugubrious, strange ambiance accentuated by her technique, the same used by 19th-century war photographers. “These images talk of the rivers of blood, of tears, of sweat that poured off Africans into the dirty dark soils of their new ungrateful homeland,” she says. In the second part of What Remains, she went even further, somehow gaining access to a “body farm” – a forensic research centre where corpses are left outside to decompose so that scientists can collect data about the process. The bodies are small undefined heaps, almost nothing, returning to earth and dust. Still on the theme of mortality, Mann returned to the subject of family with a series that was as intimate as it was striking: Proud Flesh (2003–09), documented the physical degeneration of her husband Larry, the father of her children, who had fibromuscular dysplasia, a rare illness which caused his body to shrink. He regularly posed in his wife’s studio, after the daily chores. Here too, there is decomposing flesh,
Collection of the artist © Sally Mann
Conservant ce thème de la mort, elle reviendra à sa famille avec une série tout aussi intime et marquante : Proud Flesh (2003-2009), sur la dégradation physique de son mari et père de ses enfants, atteint de dysplasie musculaire, une maladie dégénérative rare qui provoque un rétrécissement de son corps. Larry posera régulièrement dans le studio de sa femme après les tâches du quotidien. Là aussi, il y a de la chair en décomposition, un corps qui se transforme. Ce n’est plus l’adolescence, mais le début de la fin. Amour et mort. Son travail sur le temps est toujours porté par d’anciennes techniques. Une photographie d’un autre siècle, faisant usage du collodion humide, procédé
CI-DESSUS BLACKWATER 9 (2008-2012). FERROTYPE.
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18 JUIN
SALLY MANN
FR développé par le Britannique Frederick Scott Archer en 1851 pour sensibiliser les plaques de verre. Clin d’œil ultime, cette solution à base de nitrocellulose, difficile à contrôler, était aussi utilisée pour soigner les blessés de la guerre de Sécession. Pour Sally Mann, voilà une manière de se distancier de la photographie contemporaine, mais aussi de donner une patine encore plus dramatique à son travail, les accidents de tirage en accentuant le côté morbide…
PARIS
EN a body in transformation. It’s no longer about adolescence, but the beginning of the end. Love and death. This theme of the effects of time is accentuated by her use of a bygone technique, the wet-collodion process, which was invented by Englishman Frederick Scott Archer in 1851. It’s perhaps also a subtle nod to the Civil War, since collodion was used to treat soldiers’ injuries. For Mann, it’s a way of distancing herself from contemporary photography, but also of imbuing
Elle revient au temps où la photographie était une expérimentation, une histoire de chimie… Un retour aux sources, quand ce moyen d’expression était aussi matière et rapport au temps. La sensualité affleure des tirages que l’on a envie de caresser du revers de la main.
her images with a dramatic patina, the accidents that occur in the printing process accentuating a certain morbidity. And yet at the same time there’s a sensuality to her pictures that makes us want to reach out and touch them. Mann goes back to a period when photography was all about
Même si les images ne sont pas présentées au Jeu de paume, il ne faut pas oublier un autre homme important dans la vie de la photographe : Cy Twombly, né vingt-trois ans plus tôt à Lexington, la même ville que Sally Mann, et qui a émigré en Italie. Elle le fréquentera une bonne partie de sa vie, photographiera régulièrement son atelier et son œuvre en gestation. Un travail sur le temps réalisé en Virginie et en Italie de 1999 à 2012 (Remembered Light), l’année suivant la mort du peintre. Dans ce lieu de création où l’art est en mouvement même lorsque le peintre est absent , c’est la lumière qui fait découvrir les tableaux, une lumière qui évolue tout au long de la journée. Comme si la photographe recherchait la lumière du Sud américain… qui aurait été miraculeusement transportée dans l’atelier du peintre à Gaeta. Ce n’est plus la vie ni la mort, c’est peut-être pire : l’absence !
experimenting and chemistry – a medium that was materially tangible and had an intrinsic relationship to time. Even though the prints are not on show at the Jeu de Paume, we shouldn’t forget another figure in Mann’s life, a fellow Southerner who moved to Italy: Cy Twombly, born in Lexington, just like Mann, 23 years earlier. She knew him for much of her life and reguarly photographed his studio. In her series Remembered Light, made in Virginia and Italy between 1999 and 2012 (the year after Twombly’s death), art is in movement, even when the painter is absent, through the light that evolves over the course of the day and allows us to discover his canvases. It’s as though she were searching for that Southern light, miraculously transported to the studio in Gaeta. In this series it’s no longer a question of life or death, but of something far worse: absence. Mann forces us to look back from our digital age to rediscover the beginnings of the art of photography, to look simply at nature and light, often in a face off between life
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Sally Mann : mille et un passages, du 18 juin au 22 septembre,
and death. She also reminds us that the very word pho-
Jeu de paume, Paris.
tography comes from the Greek φωτoς – meaning “light.”
Courtesy Gagosian © Sally Mann
Sally Mann nous force à regarder, à redécouvrir les débuts de l’art photographique à l’heure du tout-numérique. Juste regarder la nature et la lumière, le plus souvent dans un face-à-face entre la vie et la mort. Elle nous rappelle aussi, tout simplement, que le mot photographie vient du mot grec φωτoς, qui veut dire lumière.
CI-DESSUS UNTITLED (DRIPS AND NEWSPAPER), SÉRIE REMEMBERED LIGHT (1999). IMPRESSION À JET D’ENCRE PIGMENTAIRE. AMIE DE
CY TWOMBLY, SALLY MANN A PHOTOGRAPHIÉ SON ATELIER ET SON ŒUVRE EN GESTATION.
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LOUVRE-LENS
LENS
HICHAM BERRADA Retour au paradis
L’artiste marocain a remisé pinceaux et pigments pour créer des sculptures et paysages édéniques à coups de réactions chimiques et de logiciels de modélisation 3D. En résidence à Lens avec la Collection Pinault, cet alchimiste du xxie siècle nous reçoit dans son atelier. PAR THIBAUT WYCHOWANOK. PHOTOS PAR PAUL ROUSTEAU
19 JUIN
HICHAM BERRADA
LENS
19 JUIN
HICHAM BERRADA
LENS
“HICHAM BERRADA EST ANIMÉ DU DÉSIR DE RECRÉER LE PARADIS ET DE NOUS Y EMMENER.” Éric de Chassey
FR ON OUBLIE PARFOIS que la peinture est avant tout un problème de chimie. Au Moyen Âge, il se réglait à coup d’émulsions à base d’eau mélangée à des pigments aux noms fabuleux (azurite, smalt, orpiment, réalgar…). L’ensemble était lié par un œuf, de la colle de peau de lapin ou de la caséine. Au xve siècle, la généralisation de l’huile comme liant bouleverse l’histoire de l’art. Van Eyck en est l’alchimiste en chef. Au xixe, la révolution impressionniste est en marche. Son arme ? De nouveaux minéraux : bleu de cobalt, jaune de chrome, rouge cadmium.
EN HICHAM BERRADA, PARADISE REGAINED THE MOROCCAN-BORN ARTIST HAS PUT AWAY HIS PAINTS AND BRUSHES IN FAVOUR OF CHEMICAL REACTIONS AND DIGITAL MODELLING, TOOLS HE USES TO CREATE HEAVENLY LANDSCAPES THAT ARE CURRENTLY ON SHOW AT THE LOUVRE-LENS. We sometimes forget that painting is first and foremost a question of chemistry. Medieval painters used water-based
Il y a un peu plus de dix ans, Hicham Berrada initiait sa série des Présages et apportait par la même occasion une nouvelle solution à ce problème de chimie. L’artiste, né à Casablanca en 1986, plonge dans une solution aqueuse différents minéraux : nitrate de cuivre, fer pur ou sulfate de cuivre et cobalt que les peintres de la Renaissance utilisaient déjà. Les réactions chimiques engendrées au sein d’aquariums ou de petits récipients de laboratoire forment avec une rapidité fascinante des paysages oniriques. Les minéraux prennent des allures d’herbes folles. Des montagnes pourpres ou rougeoyantes se hérissent en quelques secondes. Des coraux verts ou bleus s’étendent dans un chaos magnifique. L’artiste filme ses “performances”, enregistrant en gros plan les réactions chimiques qui sont alors projetées sur des écrans géants. Hicham Berrada a tous les attributs classiques du peintre. Et pourtant ce peintre n’a rien de classique : Hicham Berrada ne représente plus, mais génère ses propres paysages.
emulsions mixed with fabulously named pigments – azurite, smalt, orpiment, realgar – to which egg, rabbit-skin glue or casein were added as binding agents. In the 15th century, the generalization of oil as the binder changed the course of art history. In the 19th century, the Impressionists
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chimériques. “Berrada est animé du désir de recréer le paradis et de nous y emmener”, analyse le critique Éric de Chassey. C’est vrai que l’artiste nous plonge dans un âge pré-humain, celui de la création du Monde. Il rend à nouveau accessible cet Éden dont nous avons été chassés. Est-il pour autant un dieu ? “Je ne suis pas un créateur de formes, insiste Berrada. Je ne les ai ni dessinées ni inventées. Mon rôle consiste à réunir les conditions nécessaires pour les faire émerger.” Une fois la mise en place des choix et l’activation, l’artiste se met en retrait et laisse les forces de la nature se déployer. Berrada est un créateur qui choisit de laisser ses créatures suivre leur propre logique, sans intervenir. À cet égard, il pourrait bien être le Dieu de notre époque : absent de son propre monde. À moins que l’attitude de l’artiste puisse se comprendre comme la proposition d’un rapport plus éthique à la nature : une forme d’humilité et de respect.
revolutionzed art once again. Their weapon? New pigments: cobalt blue, chrome yellow and cadmium red. Just over a decade ago, Hicham Berrada (born 1986 in Casablanca, now living in France) opened a new chapter where art and chemistry are concerned with his Présages series. To make them, he plunged different minerals – copper nitrate, iron, copper sulfate and cobalt – into an aqueous solution, just as Renaissance painters had, only he allowed them to form oneiric landscapes in laboratory beakers or aquaria – minerals grow like wild grasses before one’s eyes, glowing crimson mountains rise in seconds
À la galerie Kamel Mennour, en mars et avril dernier, l’artiste marocain aujourd’hui installé en France présentait un dispositif qui se déploie également dans ses expositions estivales au Louvre-Lens et à la Hayward Gallery à Londres. La projection se fait désormais à 360°. Le spectateur pénètre dans un espace rond, comme installé au milieu de l’aquarium pour mieux faire l’expérience de ses paysages
FR
and green and blue coral expands from nowhere. Berrada films these “performances,” capturing in close-up the chemical reactions which are then projected onto giant screens. He has all the classic attributes of a painter, but there’s nothing classic about his work: rather than representing existing landscapes, he generates his own.
EN At the Kamel Mennour gallery earlier this year, Berrada showed work that will also be on display in his summer exhibitions at the Louvre-Lens and London’s Hayward Gallery. Here we find 360° projections, like an 18th-century panorama, that entirely immerse the viewer in his chimerical landscapes. “Berrada wants to recreate paradise and take us there,” says critic Eric de Chassey, and he does indeed seem to take us back to a pre-human age, giving man the keys to our paradise lost. Does that make him a god? “I don’t create these forms,” he points out. “I didn’t draw or invent them. My role consists in creating the conditionsfor them to emerge.” A creator who allows his creatures to follow their own logic, without intervention, Berrada is perhaps a god for our times – absent from his own world. Or perhaps he’s proposing a more ethical approach to nature,
Invité de la résidence de la Collection Pinault à Lens, Berrada multiplie depuis des mois les expérimentations. On découvre dans l’atelier les sculptures en bronze présentées chez Kamel Mennour et au LouvreLens. “Dans des conteneurs fermés, j’applique à des cires des conditions de froid telles que leurs formes mutent et s’étirent. Je moule ensuite le résultat en bronze. Ce ne sont pas à proprement parler des sculptures, puisqu’elles ne sont pas sculptées par l’homme. Elles ne sont pas non plus naturelles, puisque réalisées en atelier.” Berrada rapproche cette technique de la “kéromancie”, art divinatoire qui consiste à lire dans les formes prises par la cire fondue au contact de l’eau. En figeant ces formes, Berrada prend le contrôle du temps. “Dans un laboratoire, on peut changer tous les paramètres – pH, humidité, température, pression – sauf le temps. On ne peut ni l’arrêter ni l’accélérer”, explique-t-il. Et pourtant, toutes ses œuvres semblent traversées par cette seule obsession. Ses Présages de quelques secondes rendent accessibles des mouvements géologiques qui
a form of humility and respect. Invited to the Collection Pinault’s Lens artist’s residence, Berrada has been experimenting for months. In his workshop are the bronze sculptures created for the Kamel Mennour gallery and the Louvre-Lens. “In closed containers, I cool wax so that its form stretches and mutates. I then mould the results in bronze. They’re not strictly speaking sculptures because they’re not sculpted by man. But nor are they natural, since they’re made in the workshop.” Berrada likens this technique to candle-wax scrying, the art of reading the future in the shapes made by wax dripped into water. By fixing these forms, Berrada immobilizes the future and controls time. “In a lab, you can change all the parameters – pH, humidity, temperature, pressure – except time. We can neither stop nor accelerate time,” he explains.
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HICHAM BERRADA
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nécessiteraient des millions d’années d’observation. Ce voyage dans le temps fonctionne dans les deux sens. Lorsqu’il branche électriquement ses bronzes dans un bain, ses sculptures se mettent à vieillir en accéléré. “Le regardeur, s’il passe dix minutes devant, assiste en réalité à deux ou trois ans de vieillissement du bronze.” Le futur se dévoile.
And yet all his work seems to embody this obsession. In just a few seconds, his Présages run through geological movements that took millions of years to occur. Moreover this time travel works in both directions: when Berrada electrifies his bronzes in a bath, they age at an accelerated pace. “In ten minutes, the bronze ages two or three years
Son dernier projet, Hicham Berrada l’a également conçu lors de sa résidence. “Les scientifiques travaillent depuis longtemps à mettre en équation les lois qui déterminent les formes dans la nature. Ces algorithmes peuvent rendre compte des formes des nuages, des arbres ou des coquillages.” Sur plusieurs ordinateurs, l’artiste déploie ses algorithmes au sein de logiciels de création 3D. Cela génère un monde qui semble à la fois familier – des paysages hybrides où se mêlent des formes de racines, de lichens ou de nuages – et totalement étranger. Certaines parties de ce monde sont imprimées en 3D. “Mes Augures mathématiques ne font que témoigner de quelque chose qui existe déjà en puissance, virtuellement. Chacune de mes œuvres peut être pensée comme un petit monde régi par ses propres règles. Ce sont des mondes possibles, dans le sens où ils peuvent exister en puissance dans la nature. Je ne fais qu’activer leur existence.”
before your eyes” – and the future is revealed. Berrada also began his most recent project during his Collection Pinault residence in Lens. “Scientists have long been trying to find equations for the laws that govern natural forms, algorithms that can model the shapes of clouds, trees, or shells.” On a battery of computers he’s been exploring these algorithms using 3D modelling software, generating a world that seems at once familiar – hybrid landscapes mixing root, lichen and cloud forms – and totally alien. Parts of this new world are then 3D printed. “My Augures mathématiques merely bear witness to something that already exists virtually in great quantities. Each of my works can be thought of as a little world governed by its own rules. These are possible worlds to the extent that
Hicham Berrada avoue dans un entretien avec la curatrice Mouna Mekouar qu’à l’origine de sa vocation, on trouve une lettre de Berlioz écrite à un ami. Le musicien y décrit une expérience physique entre de l’eau et de l’acide sulfurique, à ses yeux comparable au sentiment de spleen. “Selon Berlioz, aucune musique, aucun texte, aucun tableau ne pourra être aussi puissant que cette expérience. Toute ma démarche relève de cette quête, explique l’artiste. Générer, par des expériences physiques, une poésie qui toucherait l’esprit humain.”
they can exist in nature – I just activate their existence.” In an interview with the curator Mouna Mekouar, Berrada explained that his artistic vision owes its inspiration to a letter the composer Hector Berlioz wrote to a friend, in which he described a physics experiment involving water and sulfuric acid – comparable, in his eyes, to melancholy. “According to Berlioz, no music, text or painting could be as moving as this experiment,” Berrada explained. “My whole approach stems from this quest: generating, through phys-
Hicham Berrada, du 19 juin au 1er septembre, Louvre-Lens, Lens.
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ical experiments, a poetry that touches the human soul.”
1 9 95 23 JUIN
LE JOUR OÙ LE REICHSTAG FUT EMBALLÉ PAR 100 000 M2 DE TISSU
FR LE 23 JUIN 1995, et pour une période d’exactement deux semaines, le bâtiment du Reichstag à Berlin fut entièrement emballé de tissu argenté sanglé de corde bleue, à l’initiative des artistes Christo et Jeanne-Claude. Les 100 000 mètres carrés de polypropylène tissé furent déployés “à la main” en six jours par 90 grimpeurs (aucun engin ne fut utilisé) sur 200 000 kilos de structure d’acier, de même que les 15,6 kilomètres de corde visant à les ajuster au bâtiment. Entre l’intention et la réalisation, il s’était passé vingt-quatre ans d’efforts diplomatiques. Au début du projet, en 1971, le bâtiment est inoccupé : après l’incendie qui le ravagea en 1933, il a été presque détruit en 1945 et partiellement restauré dans les années 60. D’une superficie de plus de 13 000 m2, haut de 75 mètres, le Reichstag est à cheval sur les deux côtés de la ville alors divisée. Dès qu’ils avaient eu l’idée d’emballer des bâtiments en 1961, Christo et Jeanne-Claude avaient souhaité réserver cet exercice à des édifices publics (“une prison ou un parlement, puisque ce sont les seuls bâtiments véritablement publics”), mais commencèrent par emballer un lieu dédié aux expositions d’art actuel (“C’est beaucoup plus facile d’envelopper une galerie d’art”), en l’occurrence la Kunsthalle de Bern, en 1968. Les artistes négocièrent avec six présidents successifs du Bundestag (le Parlement allemand) : les fins de non-recevoir se succédèrent jusqu’au 25 février 1994, jour où le projet fit l’objet d’un vote du Parlement. “Nous avons gagné !” s’exclama alors Christo, qui indiquera plus tard avec malice : “L’argument principal en notre faveur était le fait que nous financerions le projet nous-mêmes, en vendant nos modèles et nos dessins – c’est ainsi que nous payons tous nos travaux. Avec tous les ingénieurs et consultants, ce n’est pas bon marché. Le projet du Reichstag avait un coût de 15,3 millions de dollars [13,5 millions d’euros] en 1995” (The Guardian, février 2017). Entre-temps, la restauration du bâtiment, confiée à l’architecte Norman Foster, avait débuté en 1992 – elle durera jusqu’en 1999. Au terme des deux semaines d’exposition, la ville de Berlin demanda à ce que sa présentation fut prolongée. En matière d’art, les édiles sont décidément souvent prévisibles ! Il faut dire que cinq millions de visiteurs étaient venus voir l’œuvre – peut-être quelques semaines supplémentaires feraient-elles doubler ce chiffre ? Christo et Jeanne-Claude s’y refusèrent : “Nous ne laissons jamais un travail exister plus de deux semaines. Si vous ne le voyez pas, vous ne le voyez pas.” L’emballage d’argent et sa structure en acier furent alors démontés, et les matériaux recyclés. EN THE DAY THE REICHSTAG WAS WRAPPED IN 100,000 M2 OF SILVER FABRIC On 23 June 1995, Berlin’s Reichstag appeared to the public entirely wrapped in silver fabric: it had taken 90 climbers six days to secure 100,000 m2 of polypropylene onto 200,000 kg of scaffolding with 15.6 km of blue rope. The artists behind this spectacle were Christo and Jeanne-Claude, who had spent 24 years making it happen. When they first mooted the idea, in 1971, the Reichstag stood empty: after the infamous 1933 fire, it had almost been destroyed in 1945 and then partially restored in the 1960s. Six Bundestag speakers went by until the German parliament finally approved the project on 25 February 1994. “We won!”, exclaimed Christo, later mischievously adding, “The main argument in our favour was the fact that we would fund the project ourselves, by selling our models and drawings, which is how we now pay for all our work. With all the engineers and consultants, they aren’t cheap. [Wrapping] the Reichstag cost $15.3 million, and that was 1995 money” (The Guardian, February 2017). It may have taken 24 years, but it lasted just two weeks. In that time, five-million visitors came to see the wrapped Reichstag, and, predictably, the city of Berlin asked Jeanne-Claude and Christo to prolong the spectacle in the hope that several million more would bring in their tourist dollars. But the artists refused: “We never let a work exist for more
PAR ÉRIC TRONCY ILLUSTRATION PAR SOUFIANE ABABRI
than two weeks. If you don’t see it, you don’t see it.” Between 7 and 10 July 1995, the silver wrapping and the steel scaffolding were dismantled, and their materials recycled.
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1ER JUILLET
LES RENCONTRES D’ARLES
ARLES
CRÉATION ORIGINALE DE
MOHAMED BOUROUISSA
Avec ses œuvres en immersion dans différentes réalités sociales, un hôpital psychiatrique en Algérie ou une communauté de cavaliers à Philadelphie, l’artiste s’est rapidement imposé comme l’un des artistes français les plus passionnants de sa génération. À l’invitation de Numéro art, il a initié un nouveau projet inédit : un déjeuner à Paris entre amis, où chaque invité documenterait le repas avec son téléphone. Il s’en explique. CONVERSATION AVEC INGRID LUQUET-GAD
PAGE PRÉCÉDENTE INGRID LUQUET-GAD (PHOTO KENNY DUNKAN). PAGE DE GAUCHE LE PERSONNEL DE LA BRASSERIE FLODERER (PHOTO MOHAMED BOUROUISSA). CI-DESSUS ANOUSHKA SHOOT, THIBAUT WYCHOWANOK, DAVID HOMINAL, MOHAMED BOUROUISSA, INGRID LUQUET-GAD ET KENNY DUNKAN (PHOTO EMMA-CHARLOTTE GOBRY-LAURENCIN).
CI-CONTRE, DE HAUT EN BAS KIZO ET KAMEL MENNOUR (PHOTO NASSER LASSOUED). DAVID HOMINAL (PHOTO EMMA-CHARLOTTE GOBRY-LAURENCIN). SINA ARAGHI (PHOTO JESSY MANSUY-LEYDIER). JESSY MANSUY-LEYDIER (PHOTO RAYANE M’CIRDI). PAGE DE DROITE SABRINA BELOUAAR ET KIZO (PHOTO RAYANE M’CIRDI).
PAGE DE GAUCHE SELFIE DE KENNY DUNKAN AVEC UN CUISINIER DE LA BRASSERIE FLODERER.
CI-DESSUS JEREMY PLANCHON, SABRINA BELOUAAR, RAYANE M’CIRDI, MOHAMED BOUROUISSA ET LAURA HENNO (PHOTO ANOUSHKA SHOOT). CI-CONTRE SINA ARAGHI, JEREMY PLANCHON, SABRINA BELOUAAR, MOHAMED BOUROUISSA, LAURA HENNO ET KENNY DUNKAN, PUIS NASSER LASSOUED ET JESSY MANSUY-LEYDIER (DE DOS) (PHOTO EMMA-CHARLOTTE GOBRYLAURENCIN).
CI-DESSUS L’ARTISTE GAËLLE CHOISNE N’A PAS PU ÊTRE PRÉSENTE AU DÉJEUNER. ELLE A TOUT DE MÊME PARTAGÉ CETTE PHOTOGRAPHIE. RAPHAËL DE STAËL, INGRID LUQUET-GAD ET THIBAUT WYCHOWANOK (PHOTO NASSER LASSOUED). PAGE DE DROITE MOHAMED BOUROUISSA (PHOTO INGRID LUQUET-GAD).
CI-CONTRE, DE HAUT EN BAS ANOUSHKA SHOOT (PHOTO LAURA HENNO). NEIL BELOUFA (PHOTO LAURA HENNO). MAGALI JAUFFRET ET EMMA-CHARLOTTE GOBRY-LAURENCIN (PHOTO EMMA-CHARLOTTE GOBRY-LAURENCIN). RAPHAËL DE STAËL (PHOTO NEIL BELOUFA). PAGE DE DROITE NASSER LASSOUED ET MOHAMED BOUROUISSA (PHOTO JEREMY PLANCHON).
1ER JUILLET
MOHAMED BOUROUISSA
ARLES
1ER JUILLET
MOHAMED BOUROUISSA
ARLES
“LORSQUE J’AI SOUHAITÉ CONVIER AUTOUR D’UNE TABLE LES PERSONNES QUI M’ENTOURENT, J’AVAIS ENVIE DE LEUR DONNER DU TEMPS. LE TEMPS DE L’ÉCHANGE.”Mohamed Bourouissa FR Mohamed Bourouissa : Un repas entre amis, ce n’est pas une mise en scène. Lorsque j’ai souhaité convier autour d’une table les personnes qui m’entourent et dont je m’entoure, j’avais d’abord envie de leur donner du temps. Le temps de l’échange. Dit comme ça, ça peut paraître banal. Mais c’est un sujet auquel je réfléchis beaucoup en ce moment. Cette idée de donner du temps ne vient pas de nulle part. Bien sûr, elle apparaît en lien avec l’accélération des rythmes de vie. Mais le temps dont on manque, à un niveau plus fondamental, reflète surtout des inégalités sociales. Certains en manquent plus que d’autres. J’avais à un moment pensé à un projet imaginaire qui consisterait à remplacer les employés de musée par des performeurs. Le budget de l’exposition leur serait distribué. Ils ne seraient donc plus obligés de travailler pendant sa durée : ils seraient dès lors libres d’aller se balader, passer du temps avec leurs enfants, faire une sieste, lire un livre…
EN MOHAMED BOUROUISSA WITH HIS INTEREST IN THE DIFFERENT SOCIAL MECHANISM IN OPERATION FROM SOCIETY TO SOCIETY, THE ALGERIAN ARTIST, WHO NOW LIVES AND WORKS IN FRANCE, HAS SHOWN HIMSELF TO BE ONE OF THE MOST EXCITING OF HIS GENERATION. FOR NUMÉRO ART, HE UNDERTOOK A SPECIAL PROJECT, INVITING HIS FRIENDS TO LUNCH AND ASKING EACH TO RECORD THE PROCEEDINGS WITH THEIR IPHONE.
EN
enregistré de petites vidéos sur leur téléphone portable. Ce qui m’intéressait, c’était d’avoir l’immersion dans une certaine réalité sociale sans le point de vue transcendant de l’auteur, de celui qui détient l’image et braque son regard ou son objectif sur ceux qu’il élit pour en être les objets. Je veux vraiment casser les codes de l’artiste romantique. La construction de l’image est toujours plus complexe si elle est partagée, c’est une manière également pour moi de ne pas m’enfermer dans la propre esthétique puisqu’ici, d’esthétique, il n’y en a pas plus que sur Instagram où chacun va se mettre à photographier son assiette, les coulisses, ses voisins, son entourage.
Mohamed Bourouissa: A meal with friends isn’t something
MB: In my work, I try to create an experimental framework
without validating or invalidating the answer. When I propose a project, I initiate a dialogue. Whether it turns out as I initially imagined is ultimately less important than the process itself. With this meal, I didn’t think so much about the art-opening dinner as about not locking myself into an aesthetic or style. Inviting my friends to a nice place was a way of allowing them to have a good time together. There’s no deeper meaning, my work reflects neither the banlieue nor the art world. Having each participant take photos recalls my approach in Temps Mort [2009], where
staged. When I had the idea of inviting friends over for a
I.L.-G. : Cette vision kaléidoscopique, tu en faisais déjà la source de
two inmates recorded short videos on their mobile phones
meal, I wanted to give them time – time for exchange and
l’installation Pas le temps pour les regrets, présentée dans le cadre du Prix Marcel Duchamp au Centre Pompidou, en 2018. Ta vidéo filmée à l’hôpital psychiatrique de Blida en Algérie était projetée sur plusieurs écrans. On la regardait assis sur des bancs entourant la structure vidéo mobile. Impossible de visionner toutes les séquences en même temps, et pourtant, on restait. Sans doute parce qu’on pouvait partager un moment. Une occasion rare, alors que l’espace public, justement est de plus en plus privatisé.
for nine months. What interested me was this immersion
conversation. It may seem a bit banal put that way, but it’s something I’ve been thinking about a lot about recently. The idea of giving time didn’t come out of nowhere; it has
Ingrid Luquet-Gad : Le rituel du repas dans le monde artistique est
to do with the acceleration of life. Everyone’s short on time.
presque devenu une forme d’art en soi, qui relie l’underground newyorkais (je pense à FOOD, le restaurant ouvert par Gordon Matta-Clark et Carol Gooden en 1971) à l’essor actuel des project spaces (Tonus, The Community ou Glassbox à Paris). Entre les deux, il y a l’art relationnel, et les Soup/No Soup de Rirkrit Tiravanija. Je n’ai pas l’impression qu’il y a chez toi de référence à une forme figée. J’y vois plutôt l’aspect sociologique d’un rituel communautaire. Le dîner de vernissage serait la pointe de cet écosystème, à l’inverse de ses racines que l’on ne veut pas voir, la précarisation des gardiens de musée…
But, on a more fundamental level, the time we lack mainly reflects social inequalities. Everyone’s short on time, but some more so than others. At one point, I thought of an imaginary project where museum guards would be re-
in a specific social reality without the transcendent perspective of the author, of whoever holds the camera.The construction of an image is more complex if it’s shared. ILG: In your 2018 Centre Pompidou installation Pas le temps pour les regrets, you projected a video onto several screens. Viewers watched it from benches arranged around the projector. It was impossible to to watch it all at the same
placed by performers. The budget for the exhibition would
M.B. : Les questions de circulation économique m’intéressent beau-
time, and yet we stayed. Probably because we could sit
be given to them, so they wouldn’t have to work while it
coup en ce moment. Elles se retrouvent dans plusieurs de mes travaux antérieurs. Pour les Rencontres d’Arles, j’organise une exposition autour de ce sujet, une sorte de rétrospective qui a lieu dans le lieu de stockage d’un Monoprix. J’essaie d’y mettre en relation la notion d’économie, d’échange ainsi qu’une forme de collaboration artistique. Souvent biaisée en art, celle-ci est ici plutôt envisagée sous l’angle d’une forme compilatoire ou inclusive. Je réfléchis également beaucoup à la manière dont le désir interagit avec les circuits économiques. Quels sont ceux qui génèrent et alimentent le désir, et quels sont en retour les effets du capitalisme sur la formulation et l’expression du désir ? Cette thématique, j’y travaille pour l’instant par son versant “machinique”. Les poupées, les robots, les machines humanoïdes me paraissent pouvoir dire beaucoup du commerce du désir.
together around the video as though around a hearth – a
was up: they’d be free to wander, spend time with their children, take a nap, read a book, whatever. Ingrid Luquet-Gad: The ritual of the meal in the art world
M.B. : Dans mes projets, je cherche à produire un cadre d’expérimen-
has almost become an art form in itself. A form that sum-
tation. Lorsque je propose un projet à quelqu’un, j’initie un dialogue. Que son déroulé soit ensuite conforme à mes intentions importe finalement moins que le processus. Avec ce repas, je n’ai pas tant pensé au dîner de vernissage qu’au fait de ne pas m’enfermer dans une esthétique ou un style. Inviter mes amis dans un lieu agréable, c’est passer un bon moment ensemble. Il n’y a pas de sens plus profond à chercher. Mon travail ne reflète ni la banlieue ni le monde de l’art. Lorsque je fais prendre des photos du repas par chacun des participants, le processus rappelle la démarche que j’avais menée dans Temps Mort en 2009. Pendant neuf mois, deux détenus ont
mons community ritual, often a way of undermining the
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FR
channels of profitability and that links the New York underground (I’m thinking of FOOD, the restaurant Gordon Matta-Clark and Carol Gooden opened in 1971) to the current project-space boom. I don’t get the impression that you reference fixed form in your work, rather I see the sociological aspect of a community ritual. The art-opening dinner, for example, is at the top of this ecosystem, unlike
rare opportunity these days, given that public space is becoming increasingly privatized... MB: The question of economic flows interests me a lot. For the next Rencontres d’Arles, I’m organizing an exhibition, Libre Echange, a kind of retrospective that will take place in the stockroom of a Monoprix. I’m going to try and relate the notions of economy, exchange and artistic collaboration in it. I’ll consider this idea of collaboration, which is often biased in art, from the angle of a compilatory or inclusive form. I’m also thinking a lot about how desire interplays with economic circuits. Which economic circuits fuel desire, and what are the effects of capitalism on its
the roots, which we don’t want to see, namely the fragile
Libre-Échange, du 1er juillet au 22 septembre, Les Rencontres
formulation and expression? I think dolls, robots and hu-
social status of museum guards....
d’Arles, Arles.
manoid machines can say a lot about the desire trade.
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THE MET BREUER
NEW YORK
OLIVER BEER Au diapason © the artist
2 JUILLET
Transformer un vase antique en instrument de musique, chanter tout en embrassant une personne à pleine bouche… Voilà le genre de défis relevés par l’artiste britannique. Après une exposition à la Galerie Thaddaeus Ropac à Paris, le prodige passionné par le son et la musique est l’invité du Met à New York. PAR BEN EASTHAM
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Courtesy Galerie Thaddaeus Ropac. Photo : Charles Duprat © Oliver Beer
PAGES PRÉCÉDENTES COMPOSITION FOR MOUTHS (SONGS MY MOTHER TAUGHT ME) (2018). TIRAGE COULEUR SUR ALUMINIUM, 42 X 30 CM. COMPOSITION FOR MOUTHS (SUNARA AND ALINA) (2019). TIRAGE COULEUR SUR ALUMINIUM, 98 X 68 CM. CI-CONTRE DÉTAIL DE HOUSEHOLD GODS (GRANDMOTHER) (2019). 16 OBJETS, 2 ENCEINTES, 18 SOCLES. 380 X 470 X 600 CM.
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2 JUILLET
OLIVER BEER
NEW YORK
FR LES POUVOIRS D’UNE DIVINITÉ DU FOYER sont, par définition, li mités. Lorsqu’elle est éloignée de son univers domestique, son in fluence faiblit. Cette idée paradoxale d’une finitude du divin – dont les pouvoirs surnaturels sont ici dépendants de contingences sociales et matérielles – constitue la toile de fond des recherches d’Oliver Beer sur la relation entre les propriétés universelles du son et la construc tion sociale qu’est la musique. Le jeune artiste britannique joue sur la tension entre la foi humaniste dans la capacité de l’art à transcender les frontières et la reconnaissance du caractère insurmontable de certaines barrières culturelles. Lors de son exposition dans l’espace parisien de Thaddaeus Ropac, en janvier dernier, il présentait une sélection hétéroclite d’objets décoratifs, artefacts historiques et bi belots domestiques, posés sur des socles. Des micros captaient et amplifiaient les fréquences sonores résonnant à proximité de l’inté rieur de ces objets. L’installation produisait ainsi des boucles rétro actives, douces et vibrantes. Oliver Beer avait agencé ces “voix” en une chorale harmonieuse, emplissant la galerie d’une musique “non humaine”. Household Gods, le titre de l’exposition, sous-entendait que ces divinités du foyer avaient une histoire à nous raconter.
EN OLIVER BEER, ALL TUNED UP TRANSFORMING AN ANTIQUE VASE INTO A MUSICAL INSTRUMENT OR SINGING WHILE KISSING ANOTHER PERSON ON THE MOUTH ARE AMONG THE CHALLENGES SET BY THE BRITISH ARTIST OVER THE PAST FEW YEARS. AFTER SHOWING IN VERSAILLES AND PARIS, HE’S NOW BEEN INVITED TO THE MET IN NEW YORK. The powers of a household god are by definition limited and local. The paradoxical idea of a finite divinity – supernatural powers tethered to social and material circumstances – underpins Oliver Beer’s research into the relationship between the universal properties of sound and the cultural constructions of music. Playing on the tension between a humanist faith in the capacity of art to transcend boundaries and an acknowledgement of the insurmountability of certain cultural differences, he interrogates the
OLIVER BEER
place of origin. For his recent show at Thaddaeus Ropac’s appeared to be decorative objects, historical artefacts and domestic knickknacks on plinths of varying heights. Microphones captured and amplified the ambient frequencies rattling around the objects’ hollow interiors – on the same principle as putting one’s ear to a conch shell, and hearing a rumble that resembles the sea – to generate gentle, humming feedback loops. These “voices” were arranged by the artist into a harmonious choir that filled the gallery with inhuman music. These Household Gods, the show’s title implied, had stories to tell us. The four
EN
séparé de sa fonction, extrait de sa signification spirituelle, et réinstallé dans une institution culturelle. Ainsi, une coiffe africaine ou une am phore grecque deviennent des “œuvres d’art”. Il en va de même, depuis Marcel Duchamp, d’objets vernaculaires et obsolescents (l’in fluence déterminante de Duchamp était au demeurant discrètement attestée par la présence, parmi les Household Gods, d’un urinoir ja ponais en porcelaine d’Arita). La tradition classique, qui a inventé ces “divinités du foyer”, avance aussi que les êtres, les lieux et les choses possèdent leur propre genius (un esprit qui les anime) et, en dépit des efforts de Duchamp, la culture occidentale n’a jamais totalement échappé à la foi corollaire dans le pouvoir d’une aura des objets. Duchamp s’est servi de l’urinoir pour illustrer le fait que “l’aura” d’une œuvre d’art s’entend avant tout comme un tour de passe-passe ou de magie. Dans les installations de Beer, la transformation d’un urinoir en œuvre d’art comme en instrument de musique relève d’une forme particulière d’alchimie. Ces objets sont ainsi réintroduits dans un sys tème qui leur donne un sens, un nouveau foyer.
testament both to the individual personalities of the collectors and to the wider culture in which their collecting took place: a particularly English sensibility is revealed by
Met’s vast collections to find 32 pieces with resonant frequencies corresponding to notes on the chromatic scale. It’s an Oulipian strategy that, because it foregrounds a characteristic never previously considered important to the appreciation of these objects, generates unexpected relationships, serving to break down the established taxonomies which would separate, for example, a First World War artillery shell and an ancient-Egyptian pot. This repurposing also raises the question of what constitutes a work of art. We are now licensed to treat as art any object that has been separated from its function, removed from the local set of beliefs that gave it meaning, and rehoused in an institution. Thus an African headdress as much as a Greek amphora becomes a “work of art” when divorced from its original context, and the same is true, since Marcel Duchamp, of modern domestic objects (Duchamp’s formative influence on Beer’s practice is slyly acknowledged by the inclusion in Household Gods of a Japanese Arita por-
En 2017, chez Ropac, à Londres, l’installation intitulée Devils (en référence à la fréquence émise par l’atrium du bâtiment, à savoir une quarte augmentée, appelée au Moyen Âge “intervalle du diable”) suggérait un lien entre art et magie. Insuffler une âme à ces objets, leur donner une voix, comme en écho à l’archétype même de l’acte créateur. Si cela semble pompeux, empressons-nous de préciser que, chez Oliver Beer, toute allusion de cette nature est purement fortuite ou traitée avec humour. Ce qui m’a rappelé le “souffle de vie”, par exemple, c’est sa Composition for Mouths (Songs My Mother Taught Me), une performance réalisée pour la Biennale de Sydney, où deux personnes scellaient leurs lèvres dans un baiser pour former un corps continu, avant de se mettre à “chanter l’une dans l’autre”.
rooms were filled with items retrieved from the houses of the artist’s grandmother, father, mother and sister and bore
NEW YORK
FR
capacity of any work of art to carry meaning beyond its Paris space, Beer presented a motley selection of what
Les quatre salles étaient remplies d’objets provenant de la maison de la grand-mère, du père, de la mère et de la sœur de l’artiste. Ils témoignaient à la fois de la personnalité de leurs propriétaires et, plus largement, du contexte culturel dans lequel ils avaient été réunis au fil des ans : une sensibilité éminemment britannique, révélée dans cet assemblage d’objets venus du monde entier, éclectisme rendu possible par la situation même du Royaume-Uni au centre d’un empire aux ramifications planétaires. Oliver Beer s’intéresse au conflit entre l’histoire matérielle de ces objets d’une part (et notamment le fait qu’un Occidental ne peut apprécier leur esthétique sans la mesurer à l’aune de la violence coloniale qui a rendu possibles de telles col lections) et, d’autre part, la conviction – archétypale des Lumières – que la musique opère indépendamment de ces considérations de base, qu’elle est transcendante, universelle et d’essence divine.
2 JUILLET
celain urinal). The classical tradition that invented household gods also put forward that people, places and things had their own animating spirit, and despite Duchamp’s best efforts Western culture has never quite escaped a corollary faith in the auratic power of objects and the divinity of individual talent. Duchamp used the urinal to illustrate that the aura of a work of art was best understood as a sleight of hand or magic trick. The animation or “activation” of objects in Beer’s installations might be understood as a comparable kind of re-enchantment: certainly, to transform a ceramic pissoir into an artwork and/or musical instrument is a particular kind of alchemy. These objects are reentered into a system that makes sense of them, given a new home.
La collection du Metropolitan Museum constitue en soi une histoire de la violence, puisqu’elle est fondée sur l’extraction d’un objet trans porté loin de son lieu d’origine. L’instrumentalisation (littérale) de ces antiquités au service d’une composition musicale soulève en l’espèce certaines questions délicates. Dans l’art contemporain, le son est fréquemment employé comme métaphore d’une démarche suscep tible d’unifier la diversité des voix. Beer a renoncé ici à exercer un contrôle sur l’orchestre qu’il a constitué, invitant des musiciens à exécuter leurs pièces (chacun des objets sera en effet relié à un clavier). Le public convié à ces concerts sera exposé à la dimension matérielle des histoires sur lesquelles repose la musique : des objets physique ment endommagés, souvent abîmés par leur arrachement au foyer.
Since the Met’s collection is a history of violence, given its basis in the removal – by physical force or economic power – of objects from their place of origin, the literal instrumen-
Cette opposition se retrouve au premier plan de l’exposition que l’artiste présente au Met Breuer, à New York. Oliver Beer a pu accéder aux immenses collections du Metropolitan Museum, et y a sélectionné 32 artefacts dont les fréquences de résonance correspondent aux notes de la gamme chromatique. Cette approche quasi oulipienne engendre des relations inattendues entre des pièces qui n’ont rien en commun. Cette stratégie a pour effet de rompre les taxonomies éta blies selon lesquelles on séparerait, par exemple, un obus d’artillerie de la Première Guerre mondiale et une jarre égyptienne antique.
the international eclecticism, which was made possible by
Un tel repositionnement de l’objet pose aussi la question de la nature de l’œuvre d’art. Nous pouvons aujourd’hui appeler “art” tout objet
That conflict will be brought to the fore in Beer’s show at
Oliver Beer: Vessel Orchestra, du 2 juillet au 11 août, The Met
underpinning the music – physical objects damaged, in
the Met Breuer this summer, for which he rifled through the
Breuer, New York.
many cases, by their removal from home.
Britain’s empire. Beer trades on the conflict between the material histories of these objects – the fact that any Westerner’s appreciation of their aesthetics must be qualified by acknowledgement of the colonial violence that made such collections possible – and the archetypal Enlightenment conviction that music operates independently of such earthbound considerations, being transcendent, universal and divine.
talization of these pieces in the service of a musical composition raises difficult questions. Sound is currently a popular metaphor in contemporary art for a politics that might unite diverse voices in a productive polyphony, and so it strikes me as important that Beer will relinquish control over the orchestra he has put together by inviting fellow musicians to perform pieces for the installation (each of the objects will be wired up to a keyboard, allowing the composer to “play” them). Crucial, too, that anyone attending those concerts will be able to confront the material histories
Numéro art a demandé au duo de graphistes Adulte Adulte de réinterpréter les objets sonores d’Oliver Beer, présentés à la Galerie Thaddaeus Ropac. Les notes qui s’en échappent font résonner leur forme.
1 9 89 5 AOÛT
LE JOUR OÙ L’ARTISTE KATHARINA FRITSCH S’ÉPUISA À FAIRE LE GENDARME DE SA PROPRE EXPOSITION PAR ÉRIC TRONCY ILLUSTRATION PAR SOUFIANE ABABRI
FR LE 5 AOÛT 1989, l’artiste allemande Katharina Fritsch, âgée de 33 ans, inaugurait son exposition personnelle à Portikus, à Francfort. Ouvert en 1987, le lieu, alors dirigé par Kasper König, avait déjà exposé Gerhard Richter, On Kawara, Franz West, Allan McCollum… Le solo show de Fritsch était très attendu, car deux ans plus tôt, lors de l’exposition décennale de sculptures Skulptur Projekte 87 dans la ville de Münster – elle y avait été invitée par le même Kasper König –, l’artiste avait défrayé la chronique avec sa madone jaune (Yellow Madonna, 1987), reproduction en Duroplast d’un bibelot de magasin de souvenirs réalisée à taille humaine, intégralement jaune vif, exposée non loin de la cathédrale dans cette ville plutôt conservatrice. Au point d’être volée peu avant le vernissage, puis remplacée par une version en pierre (pareillement peinte en jaune) plus difficile à déplacer mais qui fut tout à tour couverte d’offrandes par les habitants de Münster puis saccagée (les mains et le nez cassés puis subtilisés). La même année 1987, la réplique en polyester, grandeur nature, d’un éléphant empaillé du Muséum d’histoire naturelle de Bonn (Elefant), d’une exactitude parfaite si ce n’est la couleur verte que l’artiste lui avait infligée, placée sur un socle ovale plus haut que la taille du spectateur, avait suscité la curiosité et, pour tout dire, la stupéfaction. L’exposition à Portikus présentait quatre sculptures dont trois sur le même modèle, celui d’un empilement très architecturé d’objets : des vases agencés en pyramide, des cerveaux en plâtre blanc disposés en sablier (Display Stand with Brains, 1989), et une colonne de près de trois mètres de haut faite de 300 petites madones jaunes disposées en cercle sur des plateaux de métal (Display Stand with Madonnas, 1987-1989). “La madone est juste une figure de plâtre, pas Marie elle-même. La figure en plâtre est une chose comme peut l’être un vase. Bien sûr, elle symbolise quelque chose, même quelque chose d’unique. Le caractère unique disparaît dans mon travail, mais il le fait essentiellement bien avant, dans tous les magasins de souvenirs. Et ce qui est étrange, c’est que chaque figurine en plâtre conserve une certaine aura, même en quantité”, explique Katharina Fritsch. L’ensemble était fragile, et durant tout le vernissage, l’artiste se tint dans le bureau adjacent à l’espace d’exposition que l’on découvrait juste après avoir monté quelques marches et franchi un portique à colonnes. Parfois, Fritsch surgissait du bureau pour alerter un spectateur trop distrait : “Pass Auf ! Pass Auf !” [“Attention ! Attention !”], puis repartait s’asseoir sur le banc du bureau, dévastée par l’inquiétude. Rien ne chut, pas plus les madones que les cerveaux. Mais l’artiste, épuisée, n’apparut jamais à son dîner de vernissage, où nous l’attendîmes en vain – nous étions une dizaine tout au plus. EN THE DAY KATHARINA FRITSCH BECAME AN EXHAUSTED GALLERY GUARD On 5 August 1989, German artist Katharina Fritsch opened a much-anticipated solo show at Portikus in Frankfurt. Much-anticipated because two years earlier, at Skulptur Projekte 87 in Münster, she’d made headline news with her Yellow Madonna. A bright-yellow Duroplast cast of a religious souvenir, the piece had been shown not far from the cathedral in this rather conservative town; stolen before the opening, it had been replaced with a yellow-painted stone version that was harder to move but was instead vandalized. The Portikus show featured four sculptures, including Display Stand with Brains and Display Stand with Madonnas. “The Madonna is just a plaster figure, not Mary herself,” explained Fritsch. “The plaster figure is just as much a thing as a vase. Of course it symbolizes something, something unique, a quality which disappears in my work, just as it does in souvenir shops. But the strange thing is that, even when reproduced in quantity, each plaster figure retains a certain aura.” The Portikus pieces were particularly fragile, and during the entire opening Fritsch stood guard in the doorway of the gallery’s office, sometimes rushing out to admonish distracted visitors (“Be careful! Be careful!”). In the end nothing broke, neither Madonnas nor brains, but the exhausted artist never made it to the opening dinner, where we waited for her in vain.
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Bennani’s library is a space of interaction between different categories of objects, subjects, and themes. With acuity and precision, she weaves surprising connections between varied (even seemingly opposing) regions, singers and videos. As sources of inspiration, these videos fade into the background of the finished work. Bennani’s oeuvre, by nature and principal, is founded on ellipses, suggestion, humour and the confrontation of different worlds. But to arrive at this “autonomy” she must unrelentingly work on her source material, which she organizes according to her own, personal documentation system. In this way, her video collection allows her to understand and materialize the genesis of a visual oeuvre in constant flux. Within the pages of Numéro Art, Bennani’s video collection generates new points of contact, as well as new avatars to accompany the reader as (s)he charts imaginary paths.
Sa bibliothèque est donc un espace d’interaction entre différentes catégories d’objets, de sujets, de thèmes. Avec acuité et précision, l’artiste parvient à tisser d’étonnantes correspondances entre différentes régions du monde, différents chanteurs, différentes vidéos (qui a priori peuvent sembler antagonistes). Sources d’inspirations, ces vidéos disparaissent lors de l’élaboration de son œuvre personnelle. Car ses œuvres reposent, par nature et par principe, sur l’ellipse et la suggestion, l’humour et la confrontation de différents mondes. Néanmoins, pour parvenir à cette “autonomie”, Meriem Bennani travaille sans cesse sur ces sources d’inspiration, qu’elle organise selon un système de référence très personnel. Ayant désormais pour cadre les pages de Numéro art, sa collection génère de nouveaux rapprochements, crée de nouveaux avatars qui peuvent accompagner le lecteur sur les voies de l’imaginaire. PAR MOUNA MEKOUAR Meriem Bennani participe à la Biennale du Whitney en mai et réalise une performance à la Fondation Cartier en juin.
Though far from exhaustive, this list is representative of the wealth and diversity of source material used by 31-year-old Moroccan-born artist Meriem Bennani. This “library of YouTube videos” is an archaeology of the practices and processes she uses to create her unique formal universe, a corpus that also attests to her desire to use varied documentation. It reveals her methods for selecting, collecting, and elaborating a vast iconography in which different worlds and disciplines cross: music, video, variety singers, pop imagery, costumes and instruments.
EN
LOIN D’ÊTRE EXHAUSTIVE, la liste présentée ici témoigne de la richesse et de la diversité des sources utilisées par Meriem Bennani (née en 1988 à Rabat). Cette “bibliothèque de vidéos YouTube” apparaît comme une véritable archéologie des pratiques et des mécanismes qu’elle emploie pour faire surgir son propre univers de formes. Ce corpus témoigne aussi de son souci de disposer d’une documentation variée. Il révèle aussi ses méthodes pour constituer, sélectionner et élaborer une iconographie vaste. Différents mondes et disciplines se croisent : musique et vidéos, chanteurs de variété et imageries populaires, costumes et instruments…
FR
MERIEM BENNANI
CARTE BLANCHE #4
ÉPILOGUE NEW YORK
ÉPILOGUE
MERIEM BENNANI NEW YORK
ÉPILOGUE
MERIEM BENNANI NEW YORK
ÉPILOGUE
MERIEM BENNANI NEW YORK
FÉVRIER – MARS
4 AVR. – 16 JUIN Jeunes Artistes en Europe.
29 MAI – 26 AOÛT Bernard Frize, Sans
Repentir, Centre Pompidou, Paris.
20 FÉV. – 12 MAI Theaster Gates, Amalgam, Palais de Tokyo, Paris.
Les Métamorphoses, Fondation Cartier, Paris. 5 AVR. – 23 JUIN Persona, œuvres d’artistes
20 FÉV. – 12 MAI Angelica Mesiti, Quand
faire c’est dire, Palais de Tokyo, Paris. 20 FÉV. – 2 JUIN Franz West, Tate Modern,
roumains, Mucem, Marseille. 5 AVR. Ouverture du Shed, New York. 6 AVR. – 30 MAI Trisha Donnelly, The Shed,
Londres.
New York.
26 FÉV. – 2 JUIN Guy Tillim, Museum of
6 AVR. – 15 JUIN Donald Judd, Galerie
the Revolution, Fondation Henri CartierBresson, Paris.
6 AVR. – 5 AOÛT Lizzie Fitch & Ryan
27 FÉV. – 30 SEPT. Lee Ufan, Habiter le temps, Centre Pompidou-Metz.
11 AVR. – 6 MAI Hito Steyerl, Power of
20 FÉV. – 17 JUIN La Collection Courtauld.
Thaddaeus Ropac, Paris. Trecartin, Fondation Prada, Milan. Plants, Serpentine Sackler Gallery, Londres.
Le Parti de l’impressionnisme, Fondation Louis Vuitton, Paris.
11 AVR. – 1ER JUIN Setsuko, Into the Trees,
20 FÉV. – 26 AOÛT La Collection de la
16 AVR. – 27 OCT. Alicja Kwade, Parapivot,
fondation. Le Parti de la peinture, Fondation Louis Vuitton, Paris. 2 MARS – 10 JUIN Francesco Vezzoli,
Le Lacrime dei poeti, Collection Lambert, Avignon.
Galerie Gagosian, Paris. The Met Fifth Avenue, New York. 18 AVR. – 18 MAI Hassan Khan, Sentences for a New Order, Galerie Chantal Crousel, Paris.
JUIN 5 JUIN – 29 JUIL. Dora Maar,
Centre Pompidou, Paris. 6 JUIN – 20 JUIL. Douglas Gordon, The Anatomy of my Desire, Galerie Kamel Mennour, Paris. 6 JUIN – 22 SEPT. Bani Abidi, They Died Laughing, Martin Gropius Bau, Berlin. 7 JUIN – 8 SEPT. Hella Jongerius, Entrelacs, une recherche tissée, Lafayette Anticipations, Paris. 8 JUIN – 11 NOV. Rebecca Horn, Théâtre des métamorphoses, Centre Pompidou-Metz. 13 JUIN – 16 JUIN Art Basel, Bâle. 18 JUIN – 22 SEPT. Sally Mann, mille et
18 AVR. – 18 MAI Jean-Luc Moulène, La
un passages, Jeu de paume, Paris.
Vigie, Galerie Chantal Crousel, Paris.
18 JUIN – 22 SEPT. Marc Pataut, de proche
européenne de la photographie, Paris.
18 AVR. – 25 MAI Bertrand Lavier, Galerie
en proche, Jeu de paume, Paris.
6 MARS – 26 MAI Coco Capitán, Busy Living, Maison européenne de la photographie, Paris.
Kamel Mennour, Paris.
18 JUIN – 29 SEPT. Wright Morris, l’essence du visible, Fondation Henri Cartier-Bresson, Paris.
AGENDA
6 MARS – 26 MAI Ren Hang, Love, Maison
24 AVR. – 2 SEPT. Jean Dubuffet, Un
barbare en Europe, Mucem, Marseille.
19 JUIN – 25 AOÛT Tony Cokes & Oscar
15 MARS – 16 JUIN Thomas Schütte,
Trois Actes, Monnaie de Paris.
Murillo, The Shed, New York.
15 MARS – 14 JUIL. Thomas Houseago,
19 JUIN – 1ER SEPT. Hicham Berrada,
Almost Human, musée d’Art moderne de la Ville de Paris.
16 MARS – 2 JUIN Jesse Darling, Crevé,
La Friche la Belle de Mai, Marseille. 20 MARS – 1ER JUIL. Rouge. Art et utopie au
pays des Soviets, Grand Palais, Paris. 21 MARS – 9 SEPT. Jenny Holzer, Thing
Indescribable, Guggenheim Museum, Bilbao.
23 MARS – 19 MAI Emma Kunz, Visionary
Drawings, Serpentine Gallery, Londres.
23 MARS – 10 AOÛT Steve DiBenedetto, Le Consortium (Académie Conti), Dijon. 24 MARS – 6 JAN. 2020 Luc Tuymans,
La Pelle, Palazzo Grassi, Venise. 26 MARS – 21 JUIL. Le Modèle noir, de
Géricault à Matisse, musée d’Orsay, Paris.
MAI 2 MAI – 5 MAI Foire Frieze New York,
New York. 8 MAI – 8 SEPT. Georg Baselitz, Baselitz-
Academy, Gallerie Accademia, Venise. 8 MAI – 16 SEPT. Préhistoire : une invention
moderne, Centre Pompidou, Paris. 9 MAI – 25 AOÛT Barbara Probst, The
Moment in Space, Le Bal, Paris. 9 MAI – 8 SEPT. Camp : Notes on Fashion,
The Met Fifth Avenue, New York. 11 MAI – 24 NOV. Biennale de Venise 2019,
58e édition. 11 MAI – 24 NOV. Jannis Kounellis, A cura di
Germano Celant, Fondation Prada, Venise. 14 MAI – 20 OCT. Versailles – Visible/
Invisible, château de Versailles.
27 MARS Ouverture du Musée national du Qatar, Doha.
16 MAI – 20 OCT. Pattern, Crime & Decoration, Le Consortium, Dijon.
28 MARS – 8 SEPT. Charles Ray, Cuatro Moldes, musée Reina Sofia, Madrid.
17 MAI – 22 SEPT. Biennale du Whitney,
Whitney Museum of American Art, New York.
31 MARS – 2 SEPT. Simone Fattal, Works
18 MAI – 15 JUIN John Cage, Ryoanji,
and Days, MoMA PS1, New York.
AVRIL
2 AVR. – 25 AOÛT Queer Spaces : London, 1980s - Today, Whitechapel Gallery, Londres.
3 AVR. – 22 JUIL. La Lune. Du voyage réel aux voyages imaginaires, Grand Palais, Paris.
Louvre-Lens. 20 JUIN – 27 JUIL. Alex Katz, Red Dancers,
Galerie Thaddaeus Ropac, Paris. 21 JUIN – 8 SEPT. Futures of Love, Magasins généraux, Pantin. 21 JUIN – 9 SEPT. Prince.sse.s des Villes, Palais de Tokyo, Paris. 21 JUIN – 27 JAN. 2020 Opéra Monde. La Quête d’un art total, Centre PompidouMetz. 23 JUIN – 3 NOV. Fonds Hélène & Edouard Leclerc, cabinets de curiosités, Centre Pompidou-Metz. 26 JUIN – 15 SEPT. Mika Rottenberg, Easy
Pieces, New Museum, New York. 26 JUIN – 22 SEPT. Lubaina Himid, Work
from Underneath, New Museum, New York. 27 JUIN – 30 JUIN Design Parade 2019,
Hyères / Toulon. 29 JUIN Ouverture du MoCo, Montpellier. 30 JUIN – 29 SEPT. Paul Maheke, La Friche
la Belle de Mai, Marseille.
Galerie Thaddaeus Ropac, Paris. 18 MAI – 14 AOÛT Bernard Frize, Galerie
Perrotin, Paris. 19 MAI – 27 JUIL. Imran Qureshi, The
Seeming Endless Path of Memory, Galerie Thaddaeus Ropac, Pantin.
JUILLET - AOÛT 1ER JUIL. – 22 SEPT. Les Rencontres d’Arles. 2 JUIL. – 11 AOÛT Oliver Beer, Vessel
24 MAI – 19 JUIL. Annette Messager,
Orchestra, The Met Breuer, New York.
Sleeping Songs, Galerie Marian Goodman, Paris.
6 JUIL. – 1ER SEPT. Le Voyage à Nantes,
26 MAI – 6 OCT. Rudolf Stingel,
11 JUIL. – 5 JAN. 2020 Olafur Eliasson,
Fondation Beyeler, Bâle.
In Real Life, Tate Modern, Londres.
8e édition, Nantes.