L’absence ou l’insuffisance de protection juridique s’étend plus spécifiquement aux cas de harcèlement et de violence sur les lieux de travail que le Code du travail jordanien ne définit, ni prohibe clairement : son article 29 donne simplement la possibilité à toute victime d’agression physique ou verbale de la part de son employeur ou de son représentant sur le lieu de travail, de quitter son travail sans préjudice à ses droits de salarié 92. 2.2. La vulnérabilité par « les voix du bas » : comment la vulnérabilité se vit et agit sur la cohésion sociale ? Les données sur la vulnérabilité exposées dans la sous-section précédente, largement basées sur des enquêtes principalement quantitatives, offrent une base de travail agréée par les agences d’assistance et leurs donateurs dans différents secteurs d’intervention. Cependant, les réfugiés n’y sont considérés que comme des récipiendaires de projets d’assistance. Cette approche néglige le fait que, une fois le choc de l’exil passé, ceux-ci développent aussi des stratégies positives d’émancipation individuelle et/ou collective à travers lesquelles ils adaptent leurs comportements en fonction des opportunités réelles que peut leur offrir la Jordanie, ou des perspectives d’un retour en Syrie, ou encore d’une réinstallation dans un pays tiers. Sur la base d’entretiens et de focus groups conduits plus particulièrement avec des réfugiés syriens des deux sexes aux activités professionnelles diverses (ouvrier, petit entrepreneur, femme au foyer) dans plusieurs localités du nord de la Jordanie depuis 2017, le développement qui va suivre se proposera de capter, dix ans après le déclenchement de la crise syrienne, la façon dont les réfugiés syriens définissent la vulnérabilité, puis la déclinent en de multiples besoins (certains restant non satisfaits), avant d’évaluer les termes de leur coexistence avec les communautés hôtes. a) La vulnérabilité comme incertitude(s) et comme besoins spécifiques Au cœur de la notion de vulnérabilité telle que vécue par la plupart des répondants syriens (on retrouve ce phénomène chez d’autres populations de réfugiés) se trouve la notion plus ou moins affirmée d’incertitude, nourrie par un sentiment largement partagé d’un manque de perspectives d’avenir, quels que soient les scénarios de solution durable qui leur sont généralement proposés : le retour au pays d’origine, la réinstallation dans un pays tiers (soit les deux seules solutions durables prévues par le Protocole d’accord signé en 1998 entre le HCR et le gouvernement jordanien), ou encore l’intégration en Jordanie sur le long terme. Une réinstallation illusoire et devenue peu attrayante Le nombre de réfugiés (syriens et non syriens) réinstallés dans des pays tiers en Occident depuis 2017 est resté stable mais faible, soit une moyenne d’environ 5 000 cas annuels 93. Tandis que la réinstallation est la seule option de long terme envisagée par les réfugiés somaliens et soudanais, on note chez les réfugiés syriens une nette baisse d’intérêt pour 92
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Le Code pénal jordanien proscrit les agressions sexuelles et toute forme de violence en général, mais pas spécifiquement sur le lieu de travail. Un projet d’amendement au Code du travail visant une meilleure définition de la violence sur le lieu de travail en conformité avec la Convention du BIT n° 190 de 2019 est à l’étude. 1 557 cas en 2020 en raison des effets des restrictions sur les déplacements dus à la crise de la COVID-19. Seules les années 2015 et 2016 virent un nombre important de réinstallations (25 634 cas sur les deux années) ; voir le site du HCR : https://data2.unhcr.org/en/documents/details/84337
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