Résumé exécutif En Jordanie, les programmes d’assistance lancés depuis le début de la crise syrienne ont sans doute permis de réduire certaines vulnérabilités à l’échelle locale, sans que l’on n’ait pu mesurer leurs effets à long terme, ni déterminer s’ils n’ont à l’inverse constitué qu’une aide humanitaire « améliorée ». Pour les réfugiés syriens, la vulnérabilité en termes de taux de pauvreté et d’accès aux services essentiels reste comparativement bien plus élevée que les Jordaniens et autres groupes de résidents non-jordaniens, bien qu’en diminution depuis 2016 suite à la décision jordanienne de les intégrer dans le marché du travail. S’y ajoutent des sentiments d’incertitude, découlant de l’absence de perspectives à long terme, et de discrimination sociale, en particulier dans les domaines des relations de travail, de l’enseignement supérieur et de la justice, et ce malgré la baisse des tensions intercommunautaires et une ouverture partielle au marché de l’emploi depuis 2016. Durant la dernière décennie, le niveau de vie des Jordaniens s’est détérioré avec des taux de pauvreté et de chômage en hausse suscitant, depuis le Printemps jordanien de 2011, un mécontentement au sein de la population contre les mesures d’austérité d’ordre socioéconomique imposées par les autorités. Ce sont les mouvements de protestation qui en ont découlé, ainsi que la crispation des autorités, illustrée par l’interdiction des Frères musulmans et de l’Association professionnelle des enseignants en 2020, qui constituent aujourd’hui, plus que les tensions entre communautés hôtes et réfugiées, les menaces les plus sérieuses à la cohésion politique et sociale en Jordanie. L’agenda du Jordan Compact de 2016, qui prévoit une réduction de l’assistance humanitaire au profit d’un agenda plus développemental, semble mis en cause. Malgré quelques avancées, notamment en matière d’accès à certains services essentiels, le processus clé de la formalisation de la main-d’œuvre syrienne (avec pour critère central l’obtention de permis de travail et des droits afférents à la protection sociale) et sa contrepartie, à savoir une assistance internationale acheminée non seulement au titre d’une réponse à la crise des réfugiés syriens mais aussi comme catalyseur de croissance économique à l’échelle nationale, est resté en suspens. L’objectif de formalisation du statut professionnel des réfugiés syriens a bien poussé les autorités jordaniennes à développer, avec l’assistance technique du Bureau international du Travail (BIT), des mesures inédites destinées à réconcilier leur recours à l’informel et la législation sur le travail, quitte à déroger à celle-ci : émission de permis de travail « flexibles » dans les secteurs de la construction et de l’agriculture, et de permis à court terme pour les projets cash-for-work. Ces mesures, qui se sont accompagnées d’un renforcement de la détection des travailleurs informels, n’ont pas suffi à conduire une majorité des travailleurs syriens à rejoindre le secteur formel, puisque l’on estime que seul un quart d’entre eux (moins de 50 000 personnes) disposent actuellement d’un permis de travail. Les craintes liées aux conséquences éventuelles de la formalisation de leur situation professionnelle sur leur statut de réfugié et de la « rente humanitaire » qui lui est liée, et plus encore l’insuffisance des emplois décents créés par l’économie jordanienne, ainsi que le caractère quasi-structurel de l’emploi informel en Jordanie constituent autant de facteurs qui continuent à entraver la marche vers la formalisation. 5