Oc茅ane Thomasse
Le r么le social des objets
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Thomasse Océane
Mémoire dirigé par : Anna Bernagozzi & Max Mollon Ensad 2015 - Design Objet
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Sommaire Préface
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Introduction
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I. Ma relation avec l’objet 1. L’objet me parle
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a. Le langage de sa forme b. Le langage du temps c. Le langage artificiel d. Le langage de la séduction
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2. Je parle à l’objet
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a. La relation de l’enfant b. La relation de l’adulte c. La sur-relation émotionnelle d. La relation gestuelle
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II. L’objet opérateur social
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1. L’objet médiateur
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a. La communication interposée no-tech b. L’omniprésence sensorielle c. La transmission
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2. L’objet relationnel
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a. L’objet sujet de conversation b. L’objet générateur de rencontre c. Les objets sociaux dans les espaces publiques
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III. Le designer et les objets
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1. Le concept de non-design
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a. Le design d’exclusion par la non pratique b. Le design obstacle c. Le design individualiste
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2. Le designer d’interactions « sociales »
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a. Les interfaces numériques urbaines b. Les réalités augmentées c. Les objets augmentés
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Interview
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Conclusion
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Crédits images
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Bibliographie
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Glossaire
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Remerciements
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Mon mémoire s’appuiera sur un corpus relativement divers et cosmopolite. D’une part, il réunit des œuvres principalement littéraires, comme des essais et des études; des oeuvres cinématographiques, des projets de designers, mais aussi des articles produits par les médias, comme des émissions de radio ou des articles de presse. Ma recherche s’est faite dans ce qui me touche : la communication, la relation et l’objet. Pour les autres références, le choix a été plus « libre » et plus affectif. J’ai été confrontée au problème de la profusion des sujets, surtout en rapport avec l’homme et la machine. J’aidonc choisi ce qui m’apparaissait le plus intéressant ou parfois le plus surprenant sans juger de la qualité artistique, surtout du point de vue cinématographique. Ces films, ces écrits d’expériences et témoignages me servirons de points de vus, et d’immersion au sein de cette démarche de recherche et de réflexion. Pour aider à bien saisir le sens d’expressions et de mots particuliers, vous trouverez un glossaire à la fin de mon mémoire. 11
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Introduction
Pour rentrer en contact avec quelqu’un ou quelque chose, il nous faut communiquer. Pour communiquer et sociabiliser nous avons besoin de nous exprimer. A ces fins, l’être humain est dôté du langage. Cependant, on s’aperçoit que les choses, non dôtées de la parole, peuvent s’exprimer aussi. On arrive à les comprendre sans avoir la nécessité d’instaurer un dialogue. La communication exprime notre compréhension du monde et traduit notre besoin de tisser des liens, et notamment des liens sociaux. La relation sociale est pour Schutz1, une recherche de satisfaction relationnelle : par l’objet, avec lui, grâce à lui, et à travers lui, l’on peut assouvir nos besoins de communication, de contact et d’affection. La sociabilité est donc la satisfaction ultime des besoins relationnels de l’individu : le besoin de contact, de communication, de contrôle, et d’affection. L’objet devient à la fois outil, à la fois autrui. Dans mon mémoire, j’ai entrepris un long voyage afin de comprendre les différents degrés de relation que les objets « tangibles » permettent, qu’ils soient « réels » ou « virtuels ». Je tends à montrer comment l’objet lui-même, répond à toutes ces typologies de besoins. 1. Phénoménologie et sciences sociales, Alfred Schutz, Naissance d’une anthropologie philosophique, Daniel Cefaï, Librairie Droz, 1998
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Ma première partie prouvera que la relation qu’entretient l’utilisateur avec l’objet, est déja une relation sociale. Pour cela, je montrerai à travers quels moyens nous communiquons chacun mutuellement. Cette partie est essentielle pour comprendre le rapport entre la communication à proprement parler et le relationnel. Dans la deuxième partie, je prouverai que la possession et l’utilisation d’un objet constitue un atou dans le processus de socialisation avec autrui. Il permet de créer du lien quand deux personnes ne sont pas physiquement proches, ou par le biais du hasard, provoquer des rencontres qui, ne peuvent pas être maîtrisées. Ma troisième partie se traduira par une étude du territoire du « design social » par l’objet. Je commencerai par exposer des cas dans lesquels la prise de contact est soit empêchée, soit pas souhaitée. En effet, afin de se questionner au mieux sur les solutions envisageables, il est à tout prix nécessaire d’analyser ce qui aujourd’hui ne fonctionne pas, ne crée pas de lien, ou voire, l’empêche. Je finirai alors par répondre à la question que je me pose : comment le designer, à l’aide des technologies, qui sont un médium devenu essentiel à l’individu d’aujourd’hui, et qui parfois nous isolent; peut-il encourager l’interaction physique et la rencontre entre humains ? C’est pourquoi, ma recherche s’établira enfin dans un espace partagé, telles que les villes, permettant des moments de complicité et de convivialité, que les objets hybrides, entre virtuels et tangibles, permettront. Je vous invite ainsi à découvrir mes recherches dans l’univers de cette communication symbiotique que j’espère vous aideront à mieux comprendre la réalité hybride de mon futur travail de designer. 14
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I -
Ma relation avec l’objet « Les objets sont, dans le registre psychique, des médiateurs entre le sujet et le monde, et entre les sujets, mais ils ne peuvent l’être qu’à condition d’être d’abord des médiateurs de soi à soi, et réciproquement »1
1. Comment l’esprit vient aux objets, Serge Tisseron, Ed. Aubier Montaigne, 1999 17
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L’objet me parle « Les objets [...] demain parleront notre langue. Mais ne nous parlent-ils pas déjà, et parfois bien mieux qu’avec des mots ? »1 Bien qu’inanimé, l’objet nous raconte beaucoup de choses. Bien sûr, il va agir par sa fonction, mais il va communiquer en tant qu’objet à la fois par sa forme et par son histoire. Jean Baudrillard se demandera « Comment la langue des objet est elle parlée »2. Nous sommes habitués à comprendre notre environnement et les messages par les signes et les symboles qui nous entourent. Je lis mon environnement par un ensemble de signes, et m’aperçois de la compréhension évidente de ceux-ci et de leurs formes. Ainsi, je suis apte à tout déchiffrer, et les publicitaires l’ont bien comprit : une photographie de bouteille au niveau dénoté ne sera qu’une simple bouteille, et au niveau connoté, il sera le plaisir de boire, se rafraîchir, les vacances, une soirée entre copains. Le choix des couleurs, le choix de la typographie, tout cet ensemble va envoyer un message. Mais alors, si cela est si présent et habituel pour nous avec le bi-dimensionnel, pourquoi ne pas se rendre compte que l’objet en soi, celui avec lequel on vit, nous parle tout autant afin de rentrer en contact avec nous ? 1. Le Système des objets est le premier ouvrage majeur du sociologue français Jean Baudrillard, publié en 1968. Il se questionnera sur le nouveau sens des objets de la vie quotidienne. 2. Idem 19
Le langage de sa forme Raymond Loewwy, dans les années 20, est le premier designer à prendre conscience de l’impact de la forme d’un objet1. Un objet peut véhiculer des symboles : ainsi des courbes aérodynamiques, donneront une image futuriste, moderne, et technologique, ou des formes épurées, donneront une image de simplicité et de facilité d’usage. Bien sûr, un objet peut paraître simple, mais ne pas l’être du tout. Dans ce sens, je me dis surtout que c’est le designer qui me parle à travers la forme de l’objet, et non l’objet qui me parle par sa forme. Le courant de design Airstream aux lignes un peu trop aérodynamiques initié par Raymond Loewy sera critiqué car l’esthétique de ses objets nuit trop souvent à leur fonctionnalité : il sera entre autres, critiqué pour les portes inclinées à 15° dans le métro de New York. Son design correspondait aux attentes du public d’un point de vue connotatif mais il était pas assez performant d’un point de vue fonctionnel. Contrairement à cela, l’objet peut s’exprimer tout seul : « Chaque chose dit ce qu’elle est et ce qu’elle permet de faire avec elle : un fruit dit “mange-moi ”, l’eau dit “bois-moi” » dira Koffka2. L’objet invite donc par le fait d’être un objet en soi, à l’utiliser, et pour ce faire, il utilise le principe de l’affordance. « L’affordance est la capacité d’un objet à suggérer sa propre utilisation. »3. Gibson
1. Selon Lewy dans La laideur se vend mal, aucun objet n’est destiné à rester sous une forme unique, et le design participe de sa re-formalisation dans une époque donnée. Le design serait donc une discipline entretenant une capacité à rêver qui empêcherait les objets de se figer dans des formes impropres. 2. The principles of gestalt psychology, Kurt Koffka, dans JamesJ.Gibson 3. Cette notion a été développé par le psychologue James J. Gibson qui a proposé ce terme en 1977 dans The Theory of Affordances
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dira aussi que percevoir l’affordance d’un objet n’est pas vraiment classifier un objet, mais plutôt un type d’action, d’utilisation possible. En Allemagne, lors de mon échange scolaire, ne connaissant rien à l’Allemand, j’empruntais souvent la porte du cinéma d’à côté. Durant cinq mois, je ne savais jamais si il fallait la tirer ou la pousser. Il y avait indiqué d’un sens en vert, une flèche vers le haut : Drücken1 et de l’autre en rouge, flèche vers le bas : Ziehen. Il m’était impossible de m’en souvenir chaque jours. Ni le mot, ni même la signalétique n’étaient logiques pour moi. La flèche ne m’indique pas de mouvement, ni même la couleur. Une porte avec une poignée incite plus à être tirée, même si il existe cependant des portes qui doivent être poussées mais ayant une poignée, comme celle-ci. Si on enlève la poignée, la porte incite à être poussée. La forme de l’objet nous indique donc comment les utiliser. Pour cela, on s’approprie les objets facilement et simplement. On va clipser son stylo à sa poche, faire rouler un galet dans sa main, glisser une bague à son doigt. La forme de l’objet est alors la langue de l’objet. Pour Jean Baudrillard, si « le fait de prononcer le R roulé ou grasseyé ne change rien au système de la langue » en général, la connotation de l’objet altère son propre langage en soi, car comme dans la publicité, il va signifier autre chose que son utilité. Dans le cas de cette porte, c’est l’ajout d’information non nécessaire qui va altérer la compréhension de la forme et de son usage. « Un fait important concernant les affordances est qu’elles sont en un sens objectives, réelles et physiques, au contraire des 1. Allemand : appuyer, pousser
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Fig.1
valeurs et des significations qui sont souvent objectives, phénoménales et mentales. Mais en réalité, une affordance n’est ni une propriété objective ou une propriétésubjective; ou elle est les deux simultanément si vous préférez »1 Baudrillard, dans son livre Le Système des objets, va jusqu’à nous expliquer que les objets, dans la société de consommation, n’ont plus qu’une finalité : celle du signe. Le signe signifie toujours autre chose que lui même. Le système d’affordance est donc l’expression d’usage de l’objet par l’objet, mais n’est pas suffisante. Selon lui, les gens n’achètent pas des biens de consommation pour leur fonction et leur utilité, mais pour ce qu’ils représentent pour eux et aux yeux des autres. La consommation de biens a donc une fonction sociale de prestige car l’objet permet de positionner les individus dans la hiérarchie sociale. L’objet, par sa fonction d‘une part et par sa forme, sa couleur, et sa médiatisation de l’autre, va connoter une valeur précise à l’acheteur. Lorsque ma grand mère va dans un magasin de téléphonie mobile pour changer son téléphone, on lui propose toujours le téléphone adapté aux personne âgées. Le téléphone simple, pratique, avec des grosses touches et un bouton de mise en relation avec le service des urgences. Le vendeur oriente la vente de ses produits à ses consommateurs : en soi le téléphone est tout autant pratique pour les personnes âgées que pour moi. Mais si la vente de ces téléphones ne se fait que peu, c’est parce que, non, les gens refusent d’être propulsés à la case de personnes âgées en difficulté, si ils utilisent celui-ci. Ils préfèrent prendre le tactile, « ça fait plus jeune ». C’est la tendance du « jeunisme » 1. The ecological approach to visual perception, James J.Gibson, 1979 24
comme l’appelle Philippe Breton, c’est-à-dire la tendance à exalter la jeunesse, ses valeurs, et à en faire un modèle obligé de tout comportement1. On essaye alors de donner aux objets neufs une signification, des connotations, des valeurs narratives. Avant même de se faire leur propre histoire, on essaye de nous vendre des objets auxquels on leur en attribue une. C’est peut être pour ça que l’ancien nous émeut.
Le langage du temps
Les usures ont toutes un effet sensoriel, tactile ou visuel, et ces traces laissées par l’usage se gravent dans l’histoire de l’objet, nous émeuvent, par l’évocation d’utilisations et d’usagers précédents. Nous avions vu que l’affordance permettant d’inciter l’utilisation d’un objet, s’exprimait par sa forme. Les objets anciens, altérés par leur usage, témoignent de la répétition d’un même geste. Peut-on pour autant dire que l’usure signifie, dans le sens d’une comparaison au langage où une phrase signifie quelque chose ?2 Tout autour de nous, elle nous chuchote des histoires et des indices. Un fauteuil un peu trop affaissé, sous entend quelqu’un, ainsi qu’un digicode trop effacé nous murmure le code. C’est incroyable comment les objets nous rappellent des choses, ou même parfois, elles nous les racontent, tout simplement. Dans la maison de campagne, chez mes grands parents, où j’aurai vécu quelques années, rien ne change. C’est un vrai musée d’objets, de bibelots, d’outils.Tout est à sa place. Le « divan » comme aime l’appeler
1. Le culte de l’Internet, Une menace pour le lien social ? Philippe Breton 2. L’usure comme Indice, Rotor, 2010 25
mon grand-père, est toujours parfaitement placé face à la télé. Sa trace d’assise est définitivement ancrée dans la forme elle-même du canapé. A droite, sur l’ancien bureau d’ordinateur, devenu bureau pour ordinateur portable, un post-it, toujours placé au même endroit, avec l’auréole d’un verre ou d’une tasse dessinée dessus. Le verre sera placé pile à cet endroit, et ne créera pas une nouvelle trace, elle sera parfaitement alignée sur celle qui existe déjà. La table du salon elle, n’a jamais été altérée, pourtant au centre de la pièce. J’ai peu de souvenirs de cette table découverte, dénudée. Je me souviens que mon grand-père découpait à la forme de la table un plastique épais qu’il posait dessus et recouvrait d’une nappe : pour ne pas l’abimer. Ici, c’est son non usage qui m’évoque des souvenirs. En tout cas ce que je sais, c’est qu’il est impossible de remplacer quoi que ce soit dans cette maison. Être encré dans un espace, signifie pour moi être encré dans son esprit. Comme certains objets présents là bas depuis plus de quarante ans, certains sont immaculés. Mis à part à un peu de poussière sur un livre, et sa date de parution qui m’indique son âge, rien ne m’indique qu’il ait été lu. Dans la chambre du fond par contre, il est certain que les livres ne pourront être revendus un jour, tellement ils ont été ouverts. Fréderic Kaplan, dans La métamorphose des objets, se souvient d’une partie de la bibliothèque de son grandpère qu’il a récupéré après sa mort : « Chaque livre avait mémorisé dans sa matérialité même, les gestes de ses lecteurs, s’était déformé au contact de leurs mains ». J’ai particulièrement apprécié ce passage et son pouvoir évocateur : la trace de l’autre à travers un objet. Lorsque j’ai commencé mon mémoire, j’ai épluché les bibliothèques. J’ai adoré étudier 26
le point de vuede l’auteur que je venais chercher, mais aussi les ratures, les pages cornées par les lecteurs, et les pages disparues. Le livre traduit les pensées de ses lecteurs par sa matérialité et son usage. Il devient alors un conteur d’histoires et un médiateur de messages. J’ai dans les mains des relations : entre le livre et moi, l’auteur et moi, les lecteurs et moi.
Le langage artificiel
Les objets non connectés cités précédemment, bien que sans parole, arrivent à communiquer par leur capacité à intégrer la notion de langage dans leur rapport à l’Homme, l’Homme est désormais habitué à comprendre leur message, leur fonction, leur histoire. Les objets communicants d’aujourd’hui permettent de se rapprocher du modèle de communication humain grâce à l’évolution constante de leurs technologies. En effet, au lieu de suggérer et utiliser un langage propre comme le fait très bien un objet no-tech1, les objets électroniques se rapprochent de plus en plus du langage humain, ce qui leur permet de communiquer avec de plus en plus de précision. Comme C-3PO le droïde humanoïde affectueux de la série Star Wars, qui maîtrise « plus de six millions de formes de communications », aujourd’hui nos téléphones, nos GPS et tout autre machine, sont capable de changer leur voix, de parler toutes les langues, et avoir n’importe quel sexe. Les objets sont devenus des communicateurs à grande échelle. L’heure n’est plus au silence, mais à la liberté d’expression, et ils
1. Néologisme, voir Glossaire. 27
s’y mettent. De « Tournez à droite ! » de votre GPS, « Que puis-je faire pour vous ? » de votre smartphone, « Terminez par dièse ! » du standard téléphonique, ou encore « Avezvous la carte Simply ? » à la caisse automatique de votre supermarché de quartier, les objets aujourd’hui parlent, et parlent l’humain. Au cinéma, la machine, du moins les robots, furent souvent représentés de façon très caricaturale comme avec plein de boutons et de voyants lumineux clignotant en permanence. Il en est de même pour la machine parlante : voix monocorde, sans émotion, neutre, parlant en détachant bien les syllabes pour être comprise par son interlocuteur humain. Il se trouve qu’aujourd’hui, c’est moins le cas, il s’agit même d’une impossibilité parfois à distinguer dans l’expression, l’humain de la machine. C’est la question que Stanley Kubrick commencera à soulever dans 2001, L’odyssée de l’espace avec sa machine HAL 9000. Dans le film, cette machine est un puissant ordinateur doté d’intelligence artificielle gérant le vaisseau spatial Discovery One. « HAl est le sixième membre de notre équipage [...] on le considère comme un individu ». Cette machine, dans son expression orale, semble être dotée de sentiments : en effet elle est fière de parler de ses compétences lorsque Martin Hammer l’interviewe. Mais personne ne « peut affirmer » qu’il s’agisse de réels sentiments puisqu’elle a été programmée comme cela pour rendre les conversations plus naturelles. Comme toute personne ayant vu le film, je ressens de la compassion, et de la tristesse lorsque la machine sera « tuée ». On s’attache à elle, car elle parle et s’exprime en tant que personne.
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Et c’est récemment, dans le film Her, de Spike Jonze, que cette affection sera poussée à son maximum : le sentiment amoureux pour une machine. En effet, le héro s’éprend de son logiciel avec qui il partage des expériences, discute; une réelle relation sentimentale en somme. Comment une telle situation peut-elle être possible ? Dans le film, la voix dont le personnage Théodore tombera amoureux, est simplement un système d’exploitation à intelligence artificielle, qui décidera de se nommer elle-même Samantha. Tout se joue grâce à cette voix, sexy, séduisante et d’une présence confondante pour ce rôle particulier, Scarlett Johansson recevra un prix d’interprétation au festival de Rome. Dans ce film, on est loin des stéréotypes de machines parlantes que l’on peut voir dans DoctorWho1 par exemple. Chez Spike Jonze, on passe du purement pratique à l’addictif, par une voix agréable, fragile, et sensuelle. Un vocabulaire très humain, une voix chaleureuse, parfois hésitante, nous fait oublier la nature informatique de Samantha. Ce naturel est même attendu, il est « normal ». On s’accomode bien des avancées en matière d’intelligence artificielle, aujourd’hui, tout semble possible. D’ailleurs, on s’amuse de nos machines qui parfois utilisent un langage beaucoup trop familier, utilisent des expressions, ou nous font des blagues. Lorsque l’on pose une question à notre téléphone comme par exemple : « Fais-moi rire », Siri, le système d’exploitation, « intelligent » de la marque Apple nous répond « je vous préviens c’est une blague à deux balles… pan ! pan! ». Ces machines destinées à nous informer, deviennent des machines de compagnie, ou même plus parfois, des amis, avec qui l’on partage et l’on rit. 1. Les Daleks parlent très sacadé, Dr.Who and the Daleks, Gordon Flemyng 29
Même si la priorité aujourd’hui n’est pas vraiment à un rendu de voix complexe, les objets utilisent bien d’autres manières de communiquer sans la parole, et on les comprend très bien. Tous nos objets technologiques ou presque, utilisent un système de communication à spectre d’information réduit : par la lumière. En règle générale, un voyant d’une certaine couleur, va nous indiquer si l’objet est en veille, éteint, ou opérationnel. Il est intéressant de remarquer qu’un langage lumineux, comparable au Morse peut venir de ces objets. Mon détecteur de fumée envoie une information rouge toutes les minutes, et c’est pour me dire que tout va bien. Le vieux téléphone de mon ami posé sur la table clignote en rouge très rapidement, presque trop agressif, le message semble important. Le voyant du logo Apple, « respire » lorsque l’ordinateur est en veille, son animation est douce, la lumière s’allume et s’éteint doucement, et ainsi de suite. HAL 9000 de 2001, par sa forme, et la lumière qui vacille d’intensité, nous rapelle les mouvements d’une paupière et le rend plus humain. R2-D2, lui, le robot droïde de la série Star Wars de George Lucas, ne peut normalement pas parler. En effet, ces droïdes sont au service des humains, mais bien qu’intelligents, ne sont pas dotés comme certains de capacités spécialisées dans la transmission d’information. Cependant, « avec un simple voyant, ils communiquent une très grande variété de messages dans un large jargon de « bips » sonores et lumineux que le pilote semble interpréter parfaitement »1
1. Appareils apprivoisés, Alex Morales 30
Le langage de la séduction L’objet nous met il sa main sur l’épaule pour qu’on lui prête attention ? Est-ce vraiment nous qui choisissons nos objets ? Le doudou, est-ce lui qui nous choisit, ou nous qui le choisissons ? Il semble que lorsque je demande, comment et pourquoi les gens ont choisi leur doudou, ils ne savent pas répondre. Ils ne s’en souviennent pas. Serait-ce parce que leur doudou les a choisi ? Par exemple, dans le film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, Dominique Bredoteau, lorsqu’il retrouve sa boite dit à propos de la cabine téléphonique : « c’est comme si elle m’appelait, elle sonnait, elle sonnait ». Lui, comme les enfants, ont l’impression d’avoir été déjà choisi par l’objet. Pour la designer Julie Gaillard, cela ne fait aucun doute, « les objets sont vivants. Ce sont eux qui nous choisissent ». C’est ce sentiment étrange que André Breton exprime dans son livre L’Amour fou1, à propos d’une balade au Marché aux Puces. Ils flânaient avec son ami Giacometti, jusqu’à ce qu’un objet présent les « attire » et exerce sur eux « l’attraction du jamais vu ». Il s’agit alors d’un coup de foudre, un guet-apens orchestré par l’objet lui même. En effet, Giacometti, essayera d’oublier cette rencontre avec cet objet, mais il reviendra l’acheter ensuite. Ce sera ensuite au tour de Breton, qui sera manifestement attiré par une cuiller en bois. On s’aperçoit donc que l’objet réussit à provoquer les désirs, il choisit l’acquéreur, il l’appelle. Les objets nous charment pour qu’on les choisisse. Manifestement, aucun des deux n’avait prévu l’acquisition d’un nouvel objet. Il s’est donc passé quelque-chose de l’ordre de la séduction. Peut-être s’agissait-il de son apparence physique ? Les
1. L’Amour fou, André Breton, publié en 1937 31
attributs du masque que Giacometti finira par acheter, « prêtaient à ce haut du visage aveugle l’attitude altère, sûre d’elle, inébranlable ». L’objet avait donc une allure « sûre de lui », une mine aguicheuse. Ainsi, comme le fruit qui dit « mangemoi », et l’eau qui dit « bois-moi », l’objet est aussi capable de nous dire « achète moi ». C’est aussi le sentiment que certains étudiants de l’école des Métiers des Arts et de la Culture exprimeront à la suite de l’exposition de Joël Andrianomearisoa. En effet, l’un d’eux exprime : « Un petit objet attire mon attention, il me paraît singulier, unique et me lance un irrésistible appel à la possession. Je feins de ne pas être touchée, de ne pas le désirer, et je sors. [...] J’y reviendrai dans l’anonymat d’un samedi après-midi, je serais plus tranquille pour me livrer à mes acquisitions sentimentales »1. Un véritable coup de foudre en somme…
1. Une exposition de Joël Andrianomearisoa, « vue » par les étudiants Métiers des Arts et de la Culture (MAC) de l’Université Paris 1 Panthéon –Sorbonne, Textes réunis par Françoise Julien-Casanova, 15 Octobre 2013 32
Je parle à l’objet La relation de l’enfant L’être humain commence à parler aux objets vers l’âge de 2-3 ans. L’enfant pense que les objets familiers, font partie du même monde que lui. Il va à ce moment là choisir une peluche, ou n’importe quel objet, et y restera attaché. Il agit comme un lien qui lui permettra de garder un peu de sa mère près de lui.Winnicott, pédiatre célèbre, nomme cet objet de « transitionnel » car il est présent dans les moments de séparation entre la mère et l’enfant. L’enfant, entre 0 et 6 mois, pense qu’il ne fait qu’un avec sa mère, mais va se rendre compte passé ce stade, que lui et sa mère sont deux personnes différentes, à partir du moment où sa mère va s’absenter. C’est à ce moment que l’objet va combler ce manque. Mais quel type d’objet pouvons-nous garder près de nous ? Est il vrai qu’il s’agisse dans les cent pour cent des cas d’une peluche ? Les enfants portent peu d’importance à l’esthétique de celui-ci. Vous pouvez acheter la plus belle peluche du monde, il n’est pas certain que votre enfant s’accroche à elle. C’est une texture et une odeur, une sensation qu’ils choisissent. Les garçons manifesteraient quand même « une préférence pour les objets durs »1. Même si très souvent, l’objet que l’enfant choisi est le doudou « offert » par sa mère : Philae Nice, sur un forum de parents, écrit
1. Psychologie de l’éducation, Le doudou, objet transitionnel, Chloé Collin et Marlène Gaudillère, 2008
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pour exprimer sa surprise que son fils Kévin ait choisi pour doudou une petite cuillère en argent offerte par son arrière grand-mère. Ou encore Velay Libre de son pseudo : « Je crois que ma fille a battu un record d’insolite ! Son doudou c’était une fermeture éclair métallique, arrachée à un duvet de 2 m de long ! Elle l’a gardée jusqu’à 6 ans et oublié dans un train ! »1 Même si le choix des objets catégorisés de « Doudou » est parfois original, ils servent la même utilité. Lorsque l’enfant se rend compte que sa mère est une autre personne que lui même, il va se rattacher à un autre objet. Cet autre objet, est-il pour lui le prolongement de lui même ou un élément indépendant tel un ami ? Selon un article d’Enfant Magazine, « Il pense, que son nounours est un autre que lui, donc un être vivant » et c’est pour ça, que l’enfant va lui parler, ainsi qu’aux autres objets qui l’entourent. Ses peluches, ses jeux sont ses principaux interlocuteurs, mais aussi sa fourchette, son sac, la table… « Il n’est pas rare non plus qu’il parle aux objets qui lui résistent ! Un enfant, spontanément, s’adressera peu à un lavabo, sauf s’il vient de s’y cogner. Il manifeste alors son désir de toute-puissance en l’invectivant vigoureusement « méchant lavabo ! ». Une manifestation utile et pratique. »2. C’est alors étonnant de se dire qu’un enfant va parler à son objet fétiche si il n’a pas d’apparence, un semblant de personne, d’animal, ou simplement, de visage. Il est sûr que l’on imagine pas un enfant parler à sa fermeture éclair comme à un ami. Quand j’étais enfant, j’arrachais les poils de mon plaid pour les rouler entre mes doigts. Je venais ensuite caresser mon visage avec et m’endormais. Je les appelais des Didis. Ils étaient mes compagnons de sommeil, mon marchand 1. Forum de parents, sur https://fr.answers.yahoo.com 2. Parler aux objets, c’est normal ? Un article de Marie Auffret-Pericone avec Christine Brunet, psychologue clinicienne, pour Enfant Magazine 34
de sable. Une fois que je dormais je les lâchais, puis lorsque je me réveillais, j’en fabriquais un autre. Inlassablement. Il aurait été étrange de ma part de parler à ces formes, que j’oubliais et abandonnais à chaque réveil, mais je parlais à ma poupée, ou parfois à quelquechose de non visible. La forme du doudou va influencer son rapport envers lui. On aura plus de facilité à parler à quelque chose d’anthropomorphe. L’exemple le plus évident lorsqu’on soulève ce sujet, est évidemment la bande dessinée Calvin & Hobbes de BillWaterson. Aux yeux de Calvin, sa peluche, Hobbes, est une sorte de tigre à l’allure humaine pouvant parler et vivre alors que tous les autres personnages le voient comme un simple jouet. La série de bande dessinée joue souvent sur cette ambiguïté, et la vérité sur Hobbes n’est volontairement jamais révélée. Cette peluche vivante est à la fois un fantasme d’enfant et la manifestation de l’imagination créative face au monde austère du quotidien. Le fait de ne pas réellement savoir si Hobbes est bel est bien vivant, permet ce rapport privilégié et uniquement personnel entre Calvin et lui, puisque c’est l’enfant qui lui donne vie. Le doudou est un « être » exclusif, et non partageable.
La relation de l’adulte Si la possession d’un « doudou » est socialement accepté, et encouragée lorsqu’on est un enfant, ça ne l’est pas du tout lorsqu’un adulte se retrouve à en avouer toujours son utilisation. Nombreuses sont les personnes adultes dont j’ai reçu le témoignage, qui en possèdent toujours un. Julien, 27 ans, informaticien, par exemple, avoue qu’il avait un peu peur que l’on se moque de lui, « mais je découvre qu’on en a presque tous un ». Cependant, pour d’autres, l’objet en 35
tant que personne, serait un outil pour contrer la folie, due à la solitude. Ce n’est pas sans me rappeler le film I love you de Marco Ferreri. Un homme tombe amoureux d’un porte-clefs en forme de visage de femme qui répond « I love you » (fig.2) lorsqu’on le siffle. Le drame éclate lorsque le porte-clefs ne répond plus au sifflement du jeune homme, incarné par Christophe Lambert. Il lui parlait comme à une véritable femme : « Viens on va faire un tour en moto », ou « tu es jalouse ». Ce que lui disait le porte-clé lui permettait d’obtenir les « je t’aime » nécessaires à sa survie. Un autre film les plus mémorables de mon enfance, correspond bien à cette notion d’attache à un objet au titre de la survie : Seul au monde, un film de Robert Zemeckis. Tom Hanks, suite à un crash d’avion, se retrouve isolé plusieurs années sur une île déserte. Pour contrer sa solitude, il se liera d’amitié avec un ballon, Wilson. Le lien d’amitié se fera avec ce ballon, car suite à un accident, y sera dessiné de sang, une trace de main ressemblant à un visage. Ce phénomène est appelé la paréidolie : y voir des visages dans les objets. La perte d’humanité soudaine, et le vide autour de lui va le conduire à s’attacher à un semblant d’humain. « Wilson, je suis désolé ! Excuse-moi Wilson ! Je suis désolé » ou encore « Allons-yWilson.Tu n’as pas à t’inquiéter pour quoi que ce soit. Je vais ramer pour deux.Toi, tu n’as qu’à t’accrocher » sont les peu de phrases que l’on entendra du personnage durant le film, et c’est aussi pour ça qu’on s’en souvient et qu’elles nous touchent. On avouera d’ailleurs difficilement à la fin du film, qu’en effet, oui, on a pleuré quand le ballon est parti. Le personnage principal, pour Patricia Serin, psychologue et psychothérapeute, est loin d’être fou. Bien au contraire. « Il reproduit tout simplement ce que font la majorité des enfants 36
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Fig.3
Fig.2
lorsqu’ils sont en plein développement. Même si, en théorie, les adultes n’ont plus d’ami imaginaire, ils peuvent, comme dans ce cas extrême « régresser » et s’y raccrocher ». C’est pour ces raisons que nombreuses compagnies de recherche se penchent sur le cas des maisons de retraites médicalisées. Les personnes âgées, souvent seules, se sentent délaissées et se lient corps et âme à leurs animaux domestiques. Les animaux de compagnie permettent de rester en contact avec la réalité, et à la fois donner et recevoir de l’affection. Mes grands-parents ont chez eux, et ont toujours eu des animaux. Mais il est parfois étrange d’être chez eux et de m’apercevoir qu’ils sont plus que des animaux, ils sont devenus des êtres humains. Je ne dois pas m’assoir sur tel siège car ceci est le siège du chien. Le chat a l’habitude de manger son jambon découpé en tranche sur un coin de la table à manger, et lorsque l’on discute, on interrompt la conversation car le chien « demande à aller dehors ». Avoir des animaux de compagnie c’est bien, mais encore faut il avoir toute sa tête. Pilehuset, à Copenhague est un centre où vivent 126 personnes souffrant de démence ou de la maladie d’Alzheimer. Au Danemark, il est devenu normal d’utiliser des robots thérapeutiques depuis l’apparition d’un robot assez spécial : un phoque appelé Paro (fig.3). Le personnel soignant de ce centre lui attribue bien des avantages : un vieil homme aux tendances fugueuses passait finalement du « temps avec lui, lui parlait, et, trois à quatre fois par jour, l’emmenait dans le jardin »1 Ces personnes ne se rendent pas compte qu’il s’agit de semblant, de robots. Cependant, cette peluche sera aussi adoptée par des jeune couples qui aimeraient 1. Un robot pour compagnon des personnes âgées , Marianne Meunier pour le journal La croix, 2 juin 2014 38
avoir un enfant. Certains objets incitent particulièrement à les adopter, à leur donner de l’affection, parce qu’ils ont été créés à ces fins.
La sur-relation émotionnelle On se rend compte que ce comportement affectif avec un objet particulier est totalement humain et que nous le faisons avec les objets du quotidien, parfois créés pour ça, ou parfois pas du tout. Combien de fois ais-je parlé à des objets inanimés ? Que ce soit à mon ordinateur : « Allez ! Allume-toi s’il te plait ! », à mon sac en plastique : « Pitié résiste ! » ou « Merci » à mon grille-pain. Je pense que ce n’est pas être fou que « d’entendre les voix » de ses objets s’exprimer, ou moi même parler avec eux. Il est vrai que je n’ai jamais réellement eu de « doudou » à proprement parler mais aujourd’hui, l’objet qui m’accompagne partout, que je mets sous mon oreiller, auquel je prends soin, est maladivement mon téléphone portable. Je sais que je ne suis pas un cas isolé : il est même possible d’acheter des coques de téléphone pour les habiller, comme on habille ses poupées. Francis Martin, thérapeute en psychosomatique se demande lui aussi dans un article1, si le téléphone portable est un « doudou technologique ». Comme le doudou , le téléphone permet de combler une absence : il permet à n’importe quel moment et n’importe où d’être relié avec quelqu’un via une application quelconque, ou mieux de s’appeler et parfois aussi se voir en direct. Ses services captent 1. Le portable, « doudou » du XXIe siècle ?, Francis Martin, dans le Journal La Nouvelle République, le 19 juillet 2014 39
les sens, le toucher, l’ouïe, et on s’aperçoit que le dialogue gestuel avec l’objet est présent : on caresse son smartphone du doigt, on « like » les photos des gens qu’on aime et qui nous manquent à travers cet écran. Cependant, le psychanalyste Serge Tisseron nous rassure sur cette fausse idée. Pour lui, le téléphone n’a pas ce statut car il ne se substitue pas à l’absence de la maman il n’est donc pas un objet transitionnel. Il permet justement d’aller vers l’extérieur, de communiquer avec les autres1. La première fois que j’ai eu mon téléphone, c’était aussi pour rester en contact avec ma maman et lui dire quand j’étais rentrée, ou la prévenir en cas de problème, mais ne représentait pas MA maman. Les nouveaux objets technologiques cherchent aujourd’hui à remplacer notre mère, comme avec Mother de Sen.se (fig.4), un objet connecté qui ressemble à une matriochka monochrome et dont la principale fonction est d’enregistrer les faits et gestes de la famille. L’idée, c’est que cette Maman connectée peut veiller sur son foyer comme le ferait une mère sur ses enfants. D’où son nom. Nos objets peuvent alors devenir une « maman », et cette idée devient un argument de vente. Sa forme infantilisante, ronde, et douce permet de s’adapter à n’importe quelle tranche d’âge, et donne une sensation de protection, de réconfort. De plus, il ne fonctionne que dans le cocon familial et non en dehors. Le téléphone portable est effectivement moins privilégié, il est destiné à l’échange de masse. J’ai souvent tendance à partager avec le plus grand nombre ce que je fais dessus, ce que je vois, ce que je pense. Même si je parle à mon téléphone la plupart du temps pour l’insulter ou parce 1. D’après l’article Non ! Le téléphone mobile des adolescents n’est pas leur « doudou » ! publié le 8 janvier 2013 sur www.sergetisseron.com 40
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Fig.4
qu’il ne fait pas ce que je désire, je lui écris mes pensées, je lui partage mes meilleurs moments avec des photos, il me connait mieux que personne. « Nous archivons les détails de notre vie dans des cartes mémoire, des clés usb. Les machines contiennent nos pensées, nos écrits, nos images. On se livre à eux, elles contiennent un duplicata de ce que nous sommes »1. Nos appareils de mémorisation se remplissent de nous, mais nous, nous nous vidons de nous même. La mémoire sait que nous les utilisons et depuis l’apparition de sauvegardes de masse, nous oublions plus rapidement. Nous nous oublions. Nos objets personnels finissent finalement par nous conter notre propre histoire. Après tout, c’est normal qu’il me connaisse si bien. C’est mon appareil, c’est mon objet : le mien. C’est marqué : I-Phone. Aujourd’hui le pronom « je » est présent dans tous les objets, l’Iphone, l’Ipad, l’I-truc. On les aime nos objets. On les personnifie, on leur donne des pronoms personnels, on les appelle « je ». L’objet devient nous même, il devient une copie de nous. La mémoire crée notre identité, ce qu’on est, ce qu’on a fait. Et on délègue une partie de cette mémoire à nos machines. Lorsque nos objets ne sont pas nous même, et ne s’appellent pas « je », nous pouvons aussi leur donner un prénom. On choisi de donner un nom à sa clé Usb, on tatoue un nom sur un produit pour le reconnaitre, on le baptise, comme un enfant. Les objets « s’humanisent à tel point qu’on les prénomme, comme la machine à laver “ Zoé ” de l’italien Roberto pour Zanussi »2. Parfois même, on leur crée des compte Twitter ou Facebook ! L’hebdomadaire allemand, Zeit3, rappelle que cela fait 1. La métamorphose des objets, Fréderic Kaplan, 2009 2. La place des choses, dans L’objet et son lieu, Eliane Chiron et Claire Azéma 3. Von Kai Biermann, Das Twitter der Dinge, Zeit Online, 7 août 2012, article traduit de l’Allemand 42
plusieurs années que des toasters et des machines à café sont présents sur les réseaux sociaux. Une machine à laver a 741 abonnés, ou encore une poubelle noire avec 47 abonnés1. Michael Lonsdale, acteur français, confie dans une interview qu’ « Il faut parler aux objets. Mon frigo était en panne, je lui ai gentiment demandé de remarcher : il est reparti ! Mon portable, lui, m’a tellement agacé que je l’ai insulté : il s’est cassé ».2 Nos comportements vis à vis d’eux paraissent inappropriés, en tout cas aux yeux de notre société, cela paraît étrange. On dira « Quelqu’un a rayé ma portière ! » et non « la portière de ma voiture » : c’est presque moi qu’on a rayé, et qu’on a blessé. On dira aussi « on m’est rentré dedans ! ». On trouve des centaines et des centaines de vidéos de gens sur internet qui s’énervent et deviennent violent avec leurs appareils et autres ordinateurs. Près d’un Français sur deux avoue avoir déjà agressé physiquement ou verbalement son ordinateur au cours des six derniers
mois3. Bien que parfois un peu excessif, on a bel et bien un rapport affectif avec l’objet : les machines surtout les appareils électroménagers sont des membres de la famille à part entière. On ouvrirai le réfrigérateur, le « frigo » de son petit nom, 52 fois par jour. Ce serait un comportement rassurant : Ouf, le frigo est plein, il va bien, nous allons bien. Matali Crasset, designer, se confiera dans le livre de Anne Eveillard4 sur la relation qu’elle entretien avec son frigo. « J’ai choisi un Smeg en Inox, un parallélépipède simple, solide à l’usage,
1. Valeurs exposées dans l’article Les grille-pain et les machines à café ont aussi un compte Twitter, Journal Slate, par Annabelle Georgen, 10 août 2012 2. « J’ai insulté mon portable, il s’est cassé », propos recueillis par Maryvonne Ollivry, pour le Parisien, 15 Janvier 2015 3. Un français sur deux est agressif contre son ordinateur quand il rame, Blog du Modérateur, Flavien Chantrel, 26 novembre 2013 4. Propos présents dans Ces machines qui parlent de nous, Anne Eveillard Attaches Ménagères, article par Dalila Kerchouche Madame Figaro n° 20878, 17 septembre 2011 43
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Fig.6
Fig.5
le même depuis dix ans. J’aime l’idée qu’il vieillisse, avec ses rayures qui ressemblent à des rides. Il a vu mes enfants grandir », et elle ajoutera elle aussi qu’elle a besoin « qu’il soit rempli : cela me rassure ». Si pour Matali Crasset, son réfrigérateur fait partit d’un parent, d’un membre de la famille, pour Christian Ghion, lui aussi designer, c’est avec sa machine à laver qu’il désigne avoir un rapport sentimental passionnel : « De tous les appareils de la maison, c’est avec le lave linge que j’ai le rapport le plus affectif. Quasi amoureux. Personne d’autre que moi n’a le droit d’y toucher. J’y suis aussi attaché qu’à un chien. J’aime le mélange des couleurs, le bruit lancinant du moteur, le mouvement du linge, qui m’évoque celui des flammes d’un feu de cheminée ». En effet, bien que parfois nous sommes en tête à tête avec nos objets, à la lueur de leur propre source de lumière, on se rend bien compte nous même que le rapport fougueux que nous entretenons avec eux se manifeste bien plus clairement lorsque celui-ci ne fonctionne pas. On est déboussolés, on se demande ce qu’on va bien pouvoir devenir sans lui. Ce n’est pas sans me rappeler une publicité pour le service après vente de Darty dans les années quatre-vingt. Une famille entière attend dans la souffrance des nouvelles de leur poste de télévision comme s’il s’agissait d’un parent malade alité. « On aurait du s’en douter, il était tout pâle la dernière fois qu’on l’a vu ! » dit l’un des membres de la famille, quand l’autre répond « T’es marrant, faut dire aussi qu’il est plus tout jeune ! ». On imagine bien à la fin, hors écran la petite tape dans le dos de la télé comme on le ferait à un ami. Une tape dans le dos, la prise, une caresse, sont tant de gestes affectifs que l’on effectue les uns avec les autres, les humains, et aussi les objets. Il faut l’avouer, il y a un plaisir particulier à déballer ce que l’on vient d’acheter, « être le premier à dévêtir l’objet de ses écrins de cartons et polystyrène, sortir l’élu de son cocon protecteur, et l’introduire dans le monde réel, commencer une relation avec lui »1. Cette scène langoureuse, nous propulsent dans une nouvelle histoire d’amour, de communication et d’interaction physique. Ainsi, déchiffrons nos gestes. 1. Réincarner les objets, dans La métamorphose des objets, Frédéric Kaplan 45
La relation gestuelle Lorsque nous ne pouvons parler à nos objets par la parole, nous utilisons le plus souvent nos gestes. Il est intéressant de se rendre compte encore une fois, que les gestes que l’on utilise peuvent s’approprier à une personne. Le langage gestuel est utilisé dans certaines populations, par exemple le langage des signes des sourds et muets, des Indiens Nord Américains, ou des moines trappistes. Ces langages là sont complètement indépendants de la langue parlée car ils ont une signification propre, ils sont des codes. Nous utilisons notre corps aussi pour véhiculer une émotion malgré nous : le langage non verbal, qui ne va pas être voulu par l’humain mais par son corps. Un peu comme un objet, par sa forme. Le corps fait passer un message aussi efficace que les mots : tremblements, rougeurs ou autre qui vont exprimer un état d’esprit, appuyer ce que l’on dit ou parfois le contredire. Ce langage non verbal va permette de mieux comprendre son interlocuteur, et va rendre le langage presque universel, peut importe la langue que l’on parle, environs 70% des informations que nous captons sont non-verbales. En effet, il ya ce que l’on dit, à qui, et comment. Ayant beaucoup voyagé, parfois je me retrouve immergée dans un pays dans lequel je ne comprends pas, et ne parle pas la langue. Cependant, cela ne m’empêche pas de comprendre une situation, que ce soit par l’intonation de mon interlocuteur, ses mimiques faciales ou ses gestes en général. Et fort heureusement ! Alors quel type de communication gestuelle allons nous utiliser avec nos objets et nos machines ?
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D’une part, la communication gestuelle sans contact. Tout commença dès l’apparition de la télécommande sans fil en 1956 par Robert Adler et Eugene Polley. Il devenait possible enfin de changer de chaine comme par magie sans avoir à se lever de son siège, et sans toucher l’objet ! Pour moi, il s’agit de sans contact car il se passe quelque chose d’invisible entre ce que je touche et et qui interagit. Je ne touche pas la télé pour l’allumer. Je touche autre chose. Lorsque je veux parler à un ami, je le touche, ou je l’appelle. Dans ce cas là, c’est comme si je matérialisais le toucher par l’invisible, ou que je poussais l’air pour en créer une force tangible. Le fait d’imaginer ce qui n’est pas visible était presque impossible. La compagnie de distribution de cette télécommande, Zénith, dira qu’ « Il faut le voir pour le croire ». Aujourd’hui c’est devenu banal, 51% des Français possède au moins quatre télécommande à la maison ! Mais 95% avouent qu’ils aimeraient avoir qu’une télécommande permettant de gérer tous les appareils de la maison à l’aide d’une seule touche1. Les télécommandes universelles existent et fonctionnent, mais n’est pas un langage préexistant simple à comprendre sans un mode d’emploi, et nécessite donc un apprentissage. Je me souviens de la télécommande de mes grand-parents et plus tard, du nouveau téléphone. Ils avaient acheté des autocollants vierges où ils ajoutaient au dessus et sur chaque touche des annotations manuscrites. Par ça, on comprend que pour communiquer avec les machines, il faut que nous comprenions les outils médiateurs. Pour contrôler une machine, on doit en utiliser une autre et l’interaction devient difficile. Le mode d’interaction où l’Homme doit s’adapter au langage de la machine ( comme un clavier, ou 1. Etude réalisée par le cabinet Wakefield Research 47
des boutons par exemple ), est voué à disparaître et laisser place à des moyens d’expression plus concrets et naturels. Malgré l’apparition furtive mais toujours sur le marché, de la console Wii de Nintendo en 2006, l’utilisateur peut interagir avec le jeu vidéo avec tout son corps, il joue avec les mains, les bras, les jambes. Les jeux recréent aussi des situations familières, on peut jouer au bowling en famille, au tennis ou encore au golf. La manette appelée Wiimote, grâce à des accéléromètres, permet, une fois en main de retranscrite des gestes naturels. Mais une fois encore, cet outil, n’est qu’un outil médiateur, sans lui la machine ne nous comprend pas. Alors oui, aujourd’hui enfin on peut dire adieu les manettes, adieu les télécommandes et bonjour à la vraie communication gestuelle sans contact. Sans intermédiaire matériel. Il s’agira alors de capteurs, le plus souvent de caméras, utilisés par l’ordinateur pour nous décoder. Le langage gestuel a en soi, une possibilité de combinaisons imagées permettant à la fois entre sujets d’être compris, mais aussi par une machine. L’apparition de la Kinect conçue par Microsoft en septembre 2008, est un périphérique initialement destiné à la console Xbox 360. Elle permet de contrôler des jeux vidéos sans utiliser de manette et permet l’adaptation de ces gestes à une interface afin d’agir sur divers fonctionnalités. La télévision Samsung UE46ES8000 sortie en 2012, permet, elle, de la contrôler grâce à la voix, et avec les gestes. Un simple mouvement de la main permet de changer les chaînes, augmenter le volume, ou d’accéder à d’autres paramètres. Tompson Multimédia, en 2002 avait déjà voulu introduire une télévision à commande vocale, mais il était beaucoup trop tôt par rapport aux attentes des consommateurs qui 48
n’étaient pas encore prêts à intéragir avec une machine. Ces machines sont sensées obéir aux gestes intuitifs de l’utilisateur, néanmoins, lorsque l’on parle d’intuitif, il doit quand même être maîtrisé. Cela expliquerait l’avis partagé des utilisateurs envers cette pratique en 2002. Même si il le devient, il est peu courant que nos actions gestuelles puissent provoquer une action différente de l’immédiateté tangible. Frédéric Kaplan nous décrit dans son livre La métamorphose des objets, comment les gens interagissent pour la première fois avec une interface qu’ils ne connaissent pas : « Le visiteur s’approchait. Il observait alors d’autres personnes qui gesticulaient en face de l’écran [...] Chacun avait sa propre stratégie d’interaction, inventait en quelques secondes sa propre grammaire gestuelle adaptée à cette situation inédite ». L’auteur parlera même de « balbutiement gestuel ». On imagine une sorte de brassage de l’eau d’une personne essayant de survivre à la noyade. D’autre part, la communication gestuelle avec contact. Si on ne sait que faire de ses bras, ou de se corps tout entier, on a l’habitude d’utiliser sa main pour toucher. On clique, on presse, on pousse, on glisse. Ces actions sont plus intuitives car elles sont directes, ce sont des gestes manipulateurs. La main a la capacité de s’adapter à une forme. Il y a des formes qui seront faites pour être prises en main, épousant parfaitement la paume, et d’autres qui seront lisses et planes, laissant deviner une action caresse. Pour Charles Hacks1, « La paume de la main fait tous les gestes, elle exprime toutes les idées. C’est elle qui donne, qui reçoit, qui repousse ou attire, qui explique, qui supplie, qui accompagne de son geste tout acte ou toute pensée, qui résume l’humanité ». Le 1. Charles Hacks, médecin et essayiste écrira Le geste, Marpon et Flammarion, 1892, d’où est extraite la citation. Source : Gallica 49
premier contact de la main avec un objet, va être comme serrer la main, un geste que l’on fait au quotidien avec des personnes que l’on rencontre dans une première prise de contact, une relation sociale. C’est aussi pour cela que l’on touche à tout. Toucher à tout traduit la curiosité, notre ouverture sur le monde. Alors quand nous voyons des machines, nous sommes comme des enfants, et on essaye tout. Les magasins d’électronique l’ont bien compri. On peut les essayer dans le magasin, et s’émerveiller. Il y a comme un jeu qui s’installe, un jeu de devinettes, un jeu de grammaire entre l’objet et l’utilisateur. C’est de là intéressant d’assister à l’effacement de la parole au service de l’expression du corps. Le corps est une inspiration pour le designer. « Les appareils ménagers aux formes suggestives sollicitent les sens. En prenant des lignes charnelles et en se plaçant volontiers à l’enseigne du ludique, les objets sont aimés »1. En effet, les formes suggestives laissent entrevoir un contact tactile. On s’éprendra plus facilement d’un objet que l’on touche, que l’on caresse, car l’organe du toucher, est le seul organe vital à l’homme. Il nous permet des sensations. On comprend l’attirance généralisée envers toutes interface qui réagissent au toucher car elles sont comme de secondes peaux. Par cela, les utilisateurs « rechercheraient des contacts tactiles qu’ils répriment au quotidien »2, parce qu’aujourd’hui, les gens ne se touchent plus. On s’aperçoit donc que nous entretenons un rapport particulier avec les objets et que nous sociabilisons avec eux. C’est pourquoi, nous verrons que cette socialité quotidienne avec eux, permet aussi de sociabiliser avec les autres. 1. L’objet et son lieu, Eliane Chiron et Claire Azéma, Publication de la Sobonne, 2004 2. Idem. Elle exprime ici que le contact humain est nécéssaire, et que les gens sont de plus en plus nombreux à participer à des cures de kinésithérapie. 50
II -
L’objet opérateur social « Les objets prennent part aux relations humaines et ceux-ci à la fois contribuent à les produire (...) Les objets sont des “opérateurs sociaux” »1
1. Samprini, L’objet comme procès et comme action. De la nature et de l’usage des objets dans la vie quotidienne, Ed. l’Harmattan, 1995
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L’objet médiateur
L’objet médiateur va être ce qui nous relie à quelqu’un, d’une certaine manière il sera matérialisateur de ce lien puisqu’il sera entre deux personnes, éloignées l’une de l’autre. Par lui, on va faire un pas vers l’autre volontairement en l’utilisant comme outil, ou en tant que traduction d’attache. Il représente une partie de nous même mais aussi notre relation avec les autres. Comme l’exprime François Bon dans Autobiographie des objets, « ce n’est pas l’objet qui compte, c’est le moment dont il est le représentant matériel, il n’a d’intérêt que pour celui qui le garde ». L’objet peut alors par sa matérialité, manifester et cristalliser, physiquement et sensoriellement le lien social, entre deux personnes. Il rend visible l’invisible. Il est traducteur de lien par son existence, car premièrement, le fait de le posséder me relie à quelqu’un, et deuxièmement, il me permet par sa technologie de se connecter à l’autre. Il est un objet utilisé avec la volonté de se mettre en contact, ou d’ « aller au devant de »1. Comme le disait Serge Tisseron, « Tous les objets sont à la fois des supports de relation et de communication, des poteaux indicateurs de nos rêves, avoués ou secrets, et des outils pour assimiler le monde »2.
1. Le Petit Larousse définit le mot Volonté par : aller au devant de. 2. Comment l’esprit vient aux objets, Serge Tisseron 53
La communication interposée no-tech Les objets tels que « le téléphone portable a soudain fait découvrir que les objets de notre environnement ne prolongent pas seulement certaines de nos fonctions, ils transforment aussi la perception que nous avons de nous-même, de notre place dans une famille ou dans un groupe, [et] notre manière de socialiser »1 Si la machine alors, l’outil de contact fait pour le contact, est un moyen de communiquer et d’interagir à distance avec l’autre, l’objet no-tech, l’objet de notre environnement peut l’être aussi. Contrairement à la machine, nous pouvons rester dans le « réel ». Pouvons-nous parler d’une fenêtre, en tant qu’outil de communication ? Elle permet pourtant de s’ouvrir sur l’extérieur, de parler à son voisin. Nous pouvons ainsi parler d’une tasse, qui permet de partager un café avec son entourage. Pouvons-nous parler d’une ampoule, qui met en lumière une situation qui se passe, et permet de mieux se voir les uns les autre ? Voyons-nous réellement dans chacun de nos objets une capacité relationnelle à l’autre ? Il semblerai que ce soit le cas : « Certains des objets qui nous entourent nous aident en effet à [...] communiquer »2 Nous avions vu dans la première partie que tout objet est en soi un langage car il permet de comprendre un message lorsqu’ils n’ont pas la faculté de l’exprimer autrement. C’est donc par communication interposée, par médiateur, que les relations se font. Le film Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, de Jean-Pierre Jeunet, met en scène le décalage entre la vie quotidienne et ce que les écrans nous
1-2. Comment l’esprit vient aux objets, Serge Tisseron
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présentent comme réalité. Le jour de la mort de Lady Diana, Amélie regarde la télévision et laisse tomber le bouchon d’un flacon qui roule à l’autre coin de la pièce. Elle découvrira alors à ce moment, la boîte aux trésors de Dominique Bretodeau, à l’opposé du poste de télévision. Ce moment représente la fracture, on sort de la valeur virtuelle pour se concentrer simplement à ce qui est physique. Amélie, qui est de nature timide et parle peu, va à cet instant précis prendre conscience de la valeur des objets afin de se relier à d’autres personnes et interagir avec elles. C’est par l’utilisation des objets du quotidien que cette communication interposée va commencer. Comme l’exprime Sophie Beauparlant dans son analyse, « Amélie, entretient un rapport anémique à la parole »1, mais j’ajouterai aussi qu’elle entretient un rapport animiste2 à la parole, c’est à dire qu’elle laisse parler les objets à sa place, ou même, qu’elle matérialise la parole en eux. Amélie va bien choisir ses outils de médiation, c’est alors un choix réfléchi et volontaire lorsqu’elle va amorcer l’approche avec quelqu’un. « Elle préfère s’imaginer une relation avec quelqu’un d’absent, que de créer des liens avec ceux qui sont présents » dit son voisin l’homme de verre, en parlant de la jeune fille au verre d’eau3, à travers laquelle Amélie s’extériorise, sans parler directement d’elle même. Lorsque Nino lui demandera qui 1. La relation entre le dialogue réel et le dialogue filmique : effet de miroir ou déplacement dans Le fabuleux destin d’Amélie Poulain ?, Sophie Beauparlant Université du Québec 2. Conception générale qui attribue aux êtres de l’univers, aux choses, une âme analogue à l’âme humaine. Tendance qu’ont les enfants à considérer les choses comme animées et à leur prêter des intentions - Définition par le Dictionnaire Larousse 3. Tableau de Auguste Renoir, Le déjeuner des canotiers, que l’homme de verre ne cesse de reproduire années après années 55
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Fig.7
elle est, elle répondra : « page 51 ! ». Elle s’objectifie alors que les objets s’expriment. Elle va aussi par l’intermédiaire de la tasse de café chaude, la renverser pour que Georgette aille aux toilettes et rencontre un homme. Mais ne lui dira pas d’y aller, elle trouvera un stratagème en utilisant un objet pour arriver à ce qu’elle veut. Elle fait de même avec le nain de jardin de son père, elle fait voyager un être inanimé, alors que son père, qui peut vivre et voyager reste aussi statique que son nain devrait l’être. Pour se venger du vendeur de légumes, elle déplacera, et changera de place les objets de son quotidien, mais ne lui dira jamais face à face ce qu’elle pense de lui. Sauf le jour où elle lui dira : «Vous, vous ne risquez pas d’être un légume puisque même un artichaut a du coeur ! ». Elle s’exprimera alors à lui, sans vraiment parler de lui mais en le transposant en objet, en légume. En 2012, au Centquatre à Paris, a eu lieu l’exposition Le musée des coeurs brisés. Il s’agissait d’un inventaire d’objets qui ont prit part aux relations sentimentales qui se sont terminées. Je me souviens de certains objets en particulier, qui exprimaient bien la dimension de « message ». Quand il n’est plus possible de dire les choses avec les mots, on les remplace avec un objet. La loupe par exemple était accompagnée de cette description : « Elle me l’a offerte comme souvenir avant que je ne parte. Je n’ai jamais compris pourquoi elle m’avait donné une loupe, elle ne s’est jamais expliquée. Mais elle a toujours dit qu’elle se sentait petite à mes côtés ». Chargé de sens, cet objet, en tant que cadeau, représente un mode de communication à part entière, qu’il faut décoder car il met en scène un donneur, un receveur et un cadeau : objet médiateur de l’un à l’autre, portant avec lui un message bien précis. Bien que dans cette exposition, l’objet exposé 58
était souvent celui représentant la rupture, certains sont dans la culture des signes de « je veux te revoir ». A l’époque, les femmes laissaient volontairement tomber leur mouchoir devant un homme qui leur plaisait1. Ainsi par cet objet, le message était clair. C’est un acte réfléchi, car on maîtrise la trace que l’on va laisser derrière, une partie de soi, une trace de rouge à lèvre, un parfum. Mais comme l’exprime Alexandra Florence dans son article, le message n’est pas toujours agréable : « Lorsque vous voulez régler gentiment des comptes, vous offrez un cadeau en rapport avec une vieille rancune : « Pour Jacques qui critique toujours ma manière de cuisiner, je lui offre un recueil de recettes enroulé dans un tablier à l’effigie de Maïté »2. En effet, tel le langage des fleurs, les objets aussi disent ce qu’on ose pas dire, ce qu’on a du mal à exprimer. Celui-ci sera différent de celui qu’on transmet car il aura une valeur de message et non une valeur d’histoire, de vécu, ni d’appartenance. Avec le cadeau, on donne à dire quelque chose à l’objet. On fait parler des choses après avoir assimilé l’idée qu’elles ne sont pas que des choses, mais des signes. En effet, comme l’exprime très bien Frédéric Kaplan au sujet des machines à mémorisation, et que je permets de transposer ici, « Avant, chaque objet était une histoire. À présent, chaque histoire peut devenir un objet. [...] Les gens transforment leur récits de vie en objets qu’ils partagent avec les autres ». La valeur n’est donc, à ce moment là, plus attribuée à l’objet, mais uniquement à son sens.
1. Cette coutume viendrait d’Orient, où dans les harems, le Sultan laissait choir un carré de voile devant la femme sur laquelle il avait jeté son dévolu. D’après le site Pourquoi.fr 2. Le cadeau, un acte jamais gratuit !, Alexandra Florence, sur le site universeof-attraction.blogspot.com - 26 novembre 2013 59
L’omniprésence sensorielle Le téléphone, est la création la plus importante de notre génération. Bien qu’au début, le téléphone, conçut par Graham Bell servait d’instrument pour écouter des concerts à distance, il est devenu avec le temps, un instrument de communication personnelle. Il remplacera alors au fur et à mesure les visites par des échanges téléphoniques distancés. En 1979, plus de la moitié des familles françaises furent équipées de téléphones.1 Comme pour la télécommande, il était impensable d’imaginer la possibilité de parler à quelqu’un qui n’est pas physiquement présent. Ce que nous devions dire au début devait être : « c’est incroyable, c’est comme si tu étais là, avec moi ». On remarque que l’usage de cet outil communicationnel, n’est donc pas en premier lieu l’envie de téléphoner, mais de rentrer en contact avec quelqu’un : de prendre des nouvelles, de prendre un rendez vous, de discuter. La différence entre le téléphone et une lettre écrite, ou encore le « texto » est sa temporalité. Je parle, et l’autre me répond instantanément. Il s’agit de sa propre voix. « Au téléphone, on a l’avantage de pouvoir moduler la réalité »2 Si aujourd’hui, nous sommes habitués à cette configuration d’échange, le progrès permet de mieux ressentir la présence physique d’un autre qui n’est pas là concrètement. Effectivement, « la communication n’est pas nécessairement intentionnelle » , comme je l’exprime avec 1. Richard Lauraire, dans Le téléphone des ménages français, de 1987, trouve que le téléphone perturbe les schémas de base des notions de «près» et de «loin». Le changement de ces échanges face à face transforme les rapports aux autres et au monde en général. 2. Objet banal, objet social, Les objets quotidien comme révélateurs des relations sociales, Isabelle Garabuau-Moussaoui et Dominique Desjeux 60
1. Cette formulation découle d’une analyse du point de vue de Winkin, en 1996, qui était : « la communication constitue l’ensemble des codes et des règles qui rendent possible et maintiennent la régularité et la prévisibilité des interactions et les relations entre les membres de la même culture », par Bernard Blandin dans Des hommes et des objets - Esquisses pour une sociologie avec objets 61
Fig.8
l’objet dans ma première partie et plus tard dans les objets de rencontre, elle « n’est pas non plus nécessairement verbale »1; puisque par la suite, l’apparition de la vidéo conférence, avec des outils comme skype, ou la caméra frontale de nos smartphones nous ont permit de nous voir, et plus seulement de nous entendre. La visioconférence ajoute un degré de sensibilité plus élevé que le texte ou l’audio, elle ne permet pas cependant de faire profiter les autres sens humains, à savoir le toucher, l’odorat et le goût qui, bien que parfois inconscients, ont leur importance à l’établissement d’une relation. Mais alors, si ces outils instruments médiateurs n’étaient pas suffisant ? Si il fallait transposer et traduire la présence de l’autre sensoriellement, les autres sens que l’on use dans nos interactions quotidiennes urbaines et physiques ? Facebook, par exemple, qui est le réseau social le plus influent de notre génération, tente d’ajouter aux messages privés que nous pouvons envoyer, l’appel et aussi la visioconférence. Cela prouve qu’au delà de l’expression purement dactylographiée, le manque de physique nous manque. La création des « pokes » traduit aussi d’une certaine manière la main qu’on tend vers une personne pour amorcer un échange. Le poke signifie donc « attirer l’attention d’une personne en lui tapotant sur l’épaule ». On est alors sur la traduction d’un phénomène physique, qui utilise les gestes dans la vie de tous les jours pour l’amener à un phénomène virtuel. Intéressant, mais notre smartphone et nos écrans ne
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Fig.8
nous permettent pas ( encore ) de toucher une main à distance ! On aime toucher son téléphone, le caresser affectueusement certes, mais comment aller au delà et accéder à l’échange sensitif entre personnes grâce à nos objets ? Avec l’apparition récente de l’Apple Watch (fig.8), il est aujourd’hui possible de matérialiser cette « tape », pour se connecter plus intimement avec les autres : avec une simple pression l’ami que l’on a choisi ressentira une vibration sur son poignet. « Avec Digital Touch, envoyez des dessins, des tocs ou même vos pulsations à vos amis possédant une Apple Watch »1. Il est un moyen simple et intime de dire à quelqu’un comment on se sent, ou si on pense à lui. Cela n’est pas sans me faire penser au projet Tactilu (fig.10) du collectif PanGenerator. Un bracelet assez étonnant, puisqu’il permet de « toucher » ses amis à distance, et à toute occasion. Lorsque l’on touchera la surface tactile du dispositif, ce dernier va envoyer un signal vers le bracelet de notre ami. Il n’aura alors pour répondre, qu’à glisser son doigt à son tour, et nous donner l’impression qu’il vient de saisir notre main, ou notre doigt. Ces recherches de traduction d’un phénomène physique, pour palier à l’absence de l’autre sont très présentes dans différentes recherches. Si il est possible de toucher l’autre à distance, il est aussi possible de matérialiser le baiser à distance. C’est le projet fou d’étudiants japonais de Kajimoto Laboratory à l’Univertité d’électro-communication deTokyo qui ont développé un appareil permettant de reproduire la sensation d’un baiser. L’activation du mouvement s’effectue avec la langue et l’autre 1. Argument marketing d’Apple sur le site officiel 2. Article Se toucher à distance, c’est maintenant possible ! - Fredzon - 27 juin 2013 par Frédéric Pereira 63
reçoit en même temps le mouvement et peut interagir. Moins crûment, The Big Bang Theory, qui a imaginé le Kissenger, permet de sentir le baiser de son compagnon grâce à des capteurs de pression. D’un point de vu personnel, même si ces recherches essayent de nous rapprocher, et d’une manière de plus en plus privée, ce n’est pour moi qu’une traduction et ne peut pas créer l’impression d’une présence physique, et surtout ne doit pas. Car dans ce cas, c’est avec l’objet en lui même que l’on a un comportement affectif concret et non avec quelqu’un. L’humain se robotise. Si ces objets permettent apparemment de rentrer en contact, et c’est le cas de le dire, seulement avec des personnes que l’on connait, le projet SOS, créé au Média Lab du MIT, lui, s’ouvre aux autres. Il s’agit d’un réseau de peer-to-peer qui permet aux utilisateurs anonymes d’envoyer un massage thérapeutique aux autres pour soulager le stress. On coopère donc en ligne avec des étrangers par un échange de toucher interposé. Un individu stressé peut envoyer un signal anonyme avec un module portable qui est reçu par les autres membres à travers le monde. Les gens réagissent avec celui-ci pour calmer l’individu stressé, chaque réponse se combine pour former un massage contre le stress. Plus la personne est proche, plus la sensation sera intense. Aujourd’hui, dans notre société, les stimulations, et les réceptions auditives ( avec le téléphone ), visuelles ( avec le visiophone ) et maintenant tactiles semblent les plus utilisées pour communiquer avec autrui. Cependant, les odeurs et parfums jouent un rôle « au sein de l’espace interpersonnel et de la vie sociale ». La société Vapor Communication a récemment lancé sur le marché un système permettant d’envoyer des messages olfactifs par 64
le biais de son smartphone : l’oPhone. Pour l’initiateur du projet, David Edwards, il s’agit de « pouvoir changer la communication globale d’aujourd’hui ». Mais ce projet n’est pas le seul sur le marché. Scentee, un petit dispositif diffuseur se clipsant sur son smartphone a déjà été concrétisé au Japon par le collectif Chatperf. Cependant, contrairement à l’Ophone qui peut envoyer plus de 10 000 odeurs, celui ne peut envoyer que la lavande, le romarin, le café, la rose et la fraise. Certains chercheurs essayent aussi de transposer le goût dans les relations d’échange grâce aux machines. On peut ainsi partager un moment, ou « manger » avec quelqu’un qui est très loin : « à l’instant même, vous me visionnez.Vous ne pouvez pas me toucher, n’est ce pas ? Ni sentir mon parfum, ni rien de tout cela.Vous le pourriez si vous me voyiez.»1 Il sera alors bientôt possible d’avoir accès à tous nos sens dans nos relations. Mais avant d’être plus humain, nous serons peut être plus des machines. Ces médiums prôneront-ils donc « la disparition, de la rencontre physique »2 ? Toutes ces innovations techniques et sociales, toutes ces interfaces et ces applications sont autant de moyens de rester en contact avec l’autre, mais « il semblerait intéressant de faire venir l’interactivité jusqu’à nous et d’interagir directement dans et avec le monde physique, plutôt que de nous plonger dans un univers virtuel »3.
1. Isaac Asimov, Face aux feux du soleil, pages 74 à 75 2. Le culte de l’internet, une menace pour le lien social ? Philippe Breton 3. La métamorphose des objets, Frédéric Kaplan, page 86 65
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Fig.9
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Fig.10
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Fig.10
La transmission L’objet peut être la preuve et un symbole de lien, une matérialisation de la relation entre deux personnes : il devient un objet mnémonique1. Comme pointé du doigt précédemment, on sait que nous oublions de nous rappeler des choses car nous les transvasons dans de nouvelles machines. Les objets que l’on transmet eux, ces objets là, parlent, racontent leur histoire. La transmission, est l’« action de transmettre, de faire passer quelque chose à quelqu’un ou d’un émetteur à un récepteur » L’on transmet quelque chose de tangible en effet, que l’on peut toucher, mais l’important n’est plus son usage, mais ce qu’il représente. Nous prêtons aux objets la capacité de témoigner du passé, de raconter leur vie oubliée : il suffirait de les écouter puisque « les objets comme les personnes ont des vies sociales »2. Ces objets sociaux alors,permettent-ils de créer des liens, d’humain à humain ou le côté privilégié et trop précieux, trop privé, trop personnel nous empêche-t-il d’aller vers l’autre ? Le rapport aux objets parfois intime, voire affectif, limite-t-il le partage ? Comment pouvons-nous aller vers l’autre et créer un lien social avec quelqu’un à travers l’objet que j’affectionne et que je m’approprie ? C’est ce qu’explique Félicie ( Femme, 48 ans ). Pour elle, et pour beaucoup, il est inimaginable d’envisager que ces objets tant aimés « sortent de la famille », tombent « entre les mains d’étrangers », d’ « indifférents »3. En effet, la force et le statut de l’objet 1. McCracken, 1987 2. The Social life of things, Arjun Appadurai, Cambridge University Press, 1986, Traduit de l’anglais 3. Ce que disent les objets, Les fauteuils de mamie : héritage et transmission, Marie-Anne Paveau, 24 mai 2011 - Témoignage reccueilli en 2006 70
parce qu’il a appartenu à un ancien, doit rester dans les mains de celui d’après. On peut alors parler de notion de transmission. Pour elle, il est inconcevable de perdre un objet de famille. Mais, est ce vraiment ça la transmission ? Se fait elle seulement dans le cadre familial ? Pour elle, ces objet « transmissionnels » ne permettent pas de socialiser avec de nouvelles personnes; puisqu’elle en définit la limite : la sphère familiale. Il est cependant une preuve de lien affectif, social, mais avec quelqu’un que l’on connait, que l’on a connu ou qui nous est très proche. Elle refuse l’inconnu. La relation interpersonnelle que l’on entretien avec l’objet et que nous avons étudié précédemment, permet ainsi de créer un lien social mais celui-ci sera particulièrement ici, centré dans la transmissions sociale entre générations. Je porte en effet certain bijoux de ma grand-mère et de mon arrière grand-mère. Un d’eux est un bracelet en or qui a beaucoup d’histoire. Il avait été trouvé dans des colis perdus de la Poste à l’époque où mon arrière grand-père devait enchaîner les petit boulots pour s’occuper de sa famille. Il avait alors ramené sa trouvaille le soir à la maison et l’avait offert à sa fille. Aujourd’hui je le porte fièrement et, est la seule chose directe qui me relie à la famille que je n’ai pas connu mais que j’aurai aimé connaître. D’autres bijoux sont de pacotilles, mais je les considère tous de la même manière. Je les aime tous autant. J’ai le plaisir de porter une partie de ma famille sur moi. Le fait de me transmettre quelque chose est « Le fait de donner à voir cette partie de soi, et créer une relation nouvelle entre ces deux personnes »1. Cet objet là, matérialise donc le lien impalpable entre des membres de ma famille 1. Objet banal, objet social, Les objets quotidien comme révélateurs des relations sociales Isabelle Garabuau-Moussaoui, Dominique Desjeux, Page 24 71
et moi-même. Dans ces bijoux particuliers se trouve aussi la bague de fiançailles de mes grand-parents. Et je comprends alors le lien physique lié à l’objet. Je suis reliée à quelqu’un par un objet précis, que ce soit une alliance avec mon fiancé, le bijoux avec mes grand-mères, une veste avec ma mère, le fauteuil avec mon grand-père, ou n’importe quel autre objet. Pour l’alliance, « c’est l’idée de la relation qui se consomme dans la série d’objets qui la donne à voir »1. Ainsi, il montre l’attache, par le code qu’il envoie. Parfois le code est moins explicite car non normalisé, il est seulement à échelle de famille. « Les objets hérités et conservés permettent d’entretenir un dialogue avec le passé » écrit la sociologue Anne Muxel2. Ainsi, la figure de transmission permet de « parler », de « communiquer » à travers lui, à quelqu’un qui n’est pas là mais, qui est dans notre esprit aussi relié à ce même objet. Il permet aussi de communiquer grâce à lui avec quelqu’un d’autre lorsqu’on me dit par exemple : « elle est belle ta montre ». Je ne vais donc pas parler de l’objet en soi, mais d’où il vient, de l’histoire qu’il y a derrière. Ainsi, on va apprendre à mieux se connaître. Ces objets agissent telles des cicatrices visibles qui content ce qui nous est de plus personnel. Il devient alors sujet de conversation. Je ne parle pas à travers lui, mais de lui. Comme les enfants, on s’en sert pour parler de nous d’une manière indirecte. Je parle de la vie du canapé et non de la mienne, mais elle la laisse transparaître. On dit de quelqu’un qui exprime trop physiquement ses sentiments que l’on peut lire en 1. Le système des objets, Jean Baudrillard, 1968, page 277 2. Anne Muxel est docteure en sociologie et directrice de recherches CNRS en science politique et spécialisée dans l’étude du rôle de la mémoire et de la transmission intergénérationnelle des attitudes et comportements 72
lui comme dans un livre ouvert. Il est vrai que l’objet est « une partie de la vie ». Par exemple, chez quelqu’un, avec les livres qu’il possède : « quand on jette un coup d’oeil sur les étagères, on regarde les titres, c’est assez impudique aussi » 1. On assiste alors à la transition du personnel au publique, il est un pas vers l’autre.
1. Des objets de rencontre, une saison chez Emmaüs, Lise Benincà 73
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L’objet relationnel « Peu importe, pourvu que l’objet finisse par mettre un homme en face d’un autre homme : il est alors un message »
L’objet sujet de conversation L’objet peut parfois déclencher une rencontre inattendue, imprévue, fortuite. Une rencontre fortuite désigne une rencontre involontaire, née du hasard, mais le verbe « rencontrer », signifie lui aussi, « se trouver en présence de quelqu’un sans l’avoir voulu »1, « rencontrer » est donc par définition une pure coincidence. Quoi qu’il en soi, voulue ou non, si l’on en croit Cécile Duteille, « tant qu’il y a de la rencontre, il y a du lien social »2. Un jour, dans une grande enseigne de restauration rapide, un inconnu est venu me parler de la paille que j’avais dans mon verre. Outre la fonction de transfert entre ma boisson et ma bouche, la paille n’a pas pour moi d’intérêt, et encore moins le statut de médiateur ou créateur social. Mais elle fut LE prétexte pour briser la glace entre lui et moi. Nous étions au même endroit, au même moment, assis à la
1. Le Petit Larousse 1995 : Recherche du mot « rencontrer ». La définition ne varie que peu en 2015, et n’est toutefois pas moins intéréssante : Croiser quelqu’un sur son chemin, se trouver en sa présence sans l’avoir voulu, faire la connaissance de quelqu’un, entrer en relation avec lui 2. Anthropologie phénoménologique des rencontres destinales, Cécile Duteille, Sociologie Université Paul Valéry - Montpellier III, 2003 75
même table à manger la même chose. Dès lors nous avions un point commun, et une conversation pouvait naître. L’objet, ici pretexte à discuter, avait beau n’être qu’une paille, il était bien devenu un sujet de conversation. Le sujet de conversation va être un élément moteur à la rencontre. Le vêtement, par exemple peut me premettre d’aller vers l’autre dans la mesure où sa forme, sa couleur etc suscite mon intérêt. Comme l’exprime Serge Tisseron, « les vêtements de notre interlocuteur retiennent notre attention autant que ses mots, ses intonations et ses mimiques », et bien souvent bien avant d’avoir engagé la conversation ! Autrefois, si les vêtements indiquaient les status sociaux, aujourd’hui, ils représentent les différentes personnalités. Par le style vestimentaire par exemple, la personne qui porte l’habit va exprimer qui il est. Il est possible que je me projette en lui. « J’adore ton T-shirt, toi aussi tu aimes ce groupe ? » est une phrase typique de première prise de contact avec un inconnu, car ils « renvoient à une histoire personnelle et aux diverses stratégies mises en place par chacun pour se l’assimiler ». Par l’objet présent entre deux personne, suscitant le même intérêt, la prise de contact sera facilitée. Les nouvelles fonctionnalités greffées à nos téléphones portables font évoluer nos habitudes d’usage. Au delà du simple appel télephonique, ou encore de la navigation sur internet, le contenu sauvegardé sur notre téléphone est souvent utilisé comme un moyen de commencer ou d’alimenter une conversation. Cela peut s’observer dans diverses situations, de la conversations entre amis à la conversation fortuite avec des inconnus à un arrêt de bus. L’utilisation du téléphone portable ne se restreint donc plus seulement à la communication entre des 76
gens éloigné, mais s’impose également au sein de réelles conversations du quotidien. Pour certains, ce qui est affiché à l’écran sert de prétexte pour démarrer une conversation. Pour d’autres, le smartphone est tout simplement un livre ouvert sur eux même, grâce aux images, aux messages, aux notes, ou aux e-mails stockés dans sa carte mémoire. Il m’arrive souvent de montrer à mes amis ce que j’ai vu dans la journée par l’intermédiaire de mon album photo ou de choses que j’ai reçu à voir. Grâce à ce que contient mon téléphone, j’ammorce de nouvelles perspectives et de nouveaux sujets de conversation.
L’objet générateur de rencontre Comment la rencontre fortuite est elle possible grâce à un objet ? Je me souviens que j’avais acheté un meuble pour ma salle de bain, grâce au site Le bon coin. Un jeune homme très gentil est venu me l’apporter chez moi, en voiture, et l’a aussi monté au sixième étage. Il m’a même proposé de l’installer, ce qu’il a fait. Je lui ai donc offert un café pour le remercier, le meuble étant seulement à dix euros, ce qu’il avait déjà fait pour moi était déjà beaucoup trop. Nous avons discuté, et il m’a recontacté dans la soirée, ainsi que quelques jours plus tard, en me disant qu’il avait apprécié cette rencontre. Il ne s’agit au début que d’un rendez-vous purement commercial : le meuble me plait, il n’est pas cher, je veux l’acheter. C’est bien l’objet qui m’intéresse et non la rencontre. Il se trouve que dans ce genre de commerce de particulier à particulier l’acte de vente dérive parfois vers un échange plus personnel. Ainsi, le site Le bon coin a
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lancé une plateforme de rencontre. En effet, Olivier Aizac, le directeur de ce site, a déjà reçu des mails disant « On s’est rencontré grâce à vous ! ». De nombreux couples se sont formé à la suite d’un achat quelconque ou d’un échange. Cela donne sens à ces mots de Lautréamont : « La rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie »1. En effet, on imagine très bien deux personnes voulant s’échanger des biens qu’ils ne veulent plus : ( au titre d’un usage nouveau ) l’un voulant se débarrasser de sa machine à coudre, et l’autre de son vieux parapluie. Dans un article de l’Humain Durable, Dela raconte son expérience : « Avec certains vendeurs, la « rencontre » ne durait pas plus de quelques minutes : ils ouvraient la porte, me tendaient l’objet, prenaient l’argent et refermaient la porte. Et je me trouvais soudainement sur le seuil de la porte d’un étranger, dans un immeuble inconnu d’une rue sans nom quelque part dans Paris, sur le point de partir avec un bout de la vie de quelqu’un d’autre dans les mains. Un objet qui, quelques jours plus tôt, sinon quelques minutes, avait été touché et utilisé et occupait une fonction dans un tissu de relations. [...] Quand j’allais récupérer mon achat, la plupart des vendeurs prenaient le temps de discuter un peu ; quelques uns étaient curieux de savoir ce que je faisais dans la vie mais tous, immanquablement, me parlaient de l’objet dont ils s’apprêtaient à se séparer comme s’ils avaient besoin que je connaisse son histoire ». C’est ce qui est arrivé à Lise Benincà, auteur, qui a passé plusieurs mois au sein d’Emmaüs Défi à Paris. Elle voulait écrire l’histoire des objets, qui arrivent, qui parfois restent, ou disparaissent très vite dans cette structure. Parfois, on lui racontait le passé de ces objets, mais la plupart du temps, la forme de l’objet, son design, son usure, suffisait à la renseigner sur leur identité. 1. Les Chants de Maldoror, Œuvres complètes de Lautréamont, 1938, page 256 78
Il s’agissait avant tout d’écouter parler les objets. L’auteur s’est rendue dans les dépots de l’association, a pu observer des centaines d’objets abandonnés, et pourtant, alors que son projet concernait les objets eux-même, c’est finalement les rencontres humaines qui transparaît le plus dans ses écrits : « Mon idée de départ, c’était de faire parler les objets, raconte-t-elle. Je pensais écrire dans mon coin. Mais les gens sont venus me parler. Et il s’est vraiment passé quelque chose »1. Certains sites se créent sur la même idée. Il est aujourd’hui facile de trouver des sites de partage d’objets, ou de services qui vantent ces atoux. Le site La machine du voisin par exemple, est un site écodurable et écoresponsable, car il permet de partager sa machine à laver avec ceux qui n’en ont pas, à moindre coût. C’est en effet, un site pratique et utile pour celui qui loue et celui qui l’utilise, mais il est aussi un prétexte à la rencontre. En effet, est affiché fiérement sur la page d’accueil du site internet : Pierre, 23 ans, qui habite à Paris : « J’ai déjà fait pleins de rencontres ! ». On peut alors se demander si dans ce genre de configuration, la rencontre n’est pas plutôt le prétexte à s’échanger des services. Finalement, ce sont des petits achats, amenant à de grandes rencontres.
« Les plus humbles objets deviennent des moyens de tisser des liens vrais, terre à terre, d’humain à humain » 2
1. Des objets de rencontre, une saison chez Emmaüs, Lise Benincà 2. Recycler pour se reconnecter : quand les objets rapprochent les gens, L’humain durable, Dela, 26 septembre 2014 79
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Fig.11
Les objets sociaux dans les espaces publiques Contrairement à une idée reçue, « les Français, adeptes des réseaux sociaux, ne négligent pas pour autant les relations en face à face »1. En effet, dans la grande majorité, les personnes interrogées identifient également les lieux « physiques », comme contribuant le plus au lien social, loin devant les réseaux sociaux qui pourtant, sont très largement utilisés2. C’est donc à des points stratégiques que les rencontres vont se faire. Dominique Desjeux, force à constater que « Les réseaux sociaux « pré-numériques » en face-à-face, sont toujours bien vivants ». L’objet va les permettre. Marielle Mathieu dira que « certains objets sont eux-mêmes des lieux à part entière »3, mais à une seule condition, que ceuxci soient suffisamment grands pour y contenir un corps. Pour moi, l’objet peut devenir un lieu de rencontre et de rendez-vous, sans minimum de taille : par exemple, la machine à café. En effet, « on se retrouve à la machine» ne signifie pas « on se retrouve dans la machine » mais « on se retrouve devant la machine ». Pourtant « à la machine » sous entend un lieu. Ce lieu, qui est l’espace entourant la machine, existe et prend vie grâce aux utilisateurs qui s’y arrêtent. Il n’est pas rare de voir un nombre incalculable de personnes qui peuvent s’attendre au même endroit. Tous les jours, à toute heure, la Fontaine Saint-Michel par exemple est un des points de rencontres les plus prisés de Paris. On dira pourtant : « Je suis à la fontaine », sans
1. Etude IFOP réalisée du 13 au 18 mars auprès d’un échantillon de 1 005 personnes, représentatif de la population française de plus de 15 ans, Nescafé créateur de lien entre les Français ?, Alexandre Chomley, 10 avril 2013 2. Idem 3. L’objet et son lieu, Eliane Chiron et Claire Azéma 82
être dedans. J’ai toujours trouvé étrange que les gens s’attendent tous aux mêmes endroits. Cela ne facilite pas les retrouvailles, bien au contraire. Outre les objets de rendez-vous, il m’est aussi arrivé de voir tout un groupe de personnes regroupées autour d’une prise électrique à Gare du Nord. Ces personnes ne se connaissaient pas mais étaient toutes au même endroit. Autour de cette multi-prises d’où sortaient des fils entremêlés, jonchant les corps, reliés à des téléphones ou ordinateurs portables. Cela ressemblait à un arbre, dont les fruits étaient les objets connectés. On constate ici que l’objet influence nos déplacements. De même, lorsque J’ai soif, je me dirige vers la fontaine, j’ai envie de fumer une cigarette, je me dirige vers le fumoir. Au même titre que des besoins physiques tels que la soif, la migration vers des points stratégiques est aussi conditionnée par les exigences des objets que l’on possède.
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III -
Le designer et les objets
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Le concept de non-design -
Dans cette dernière partie, j’axerai ma recherche aux enjeux du designer afin d’approfondir ma recherche autour de la méthodologie des projets qui facilitent l’interaction, la rencontre et donc le lien social. Je voudrais ainsi insister l’incorporation d’un questionnement que tout designer devrait avoir, c’est-à-dire : le constat de l’échec. Je parlerai de constats personnels, d’expériences et de ressentis. J’accepte en tant que designer, que les choses puissent ne pas fonctionner. Ce sont ces échecs qui me permettent d’aller de l’avant et de perfectionner mon design. Si je m’interroge sur la possibilité de créer de la rencontre, je dois m’interroger sur ce qui n’en crée pas, et sur ce qui est fait pour empêcher le lien et ainsi le comprendre. J’ai conscience que ma recherche s’est ouverte à tout type comportemental lié à la relation et à l’échange avec l’objet et entre humain. C’est pourquoi, je pourrai me dire et me persuader facilement, qu’en effet, tout à l’air de communiquer, que tout fonctionne très bien. Dans notre ère où la question de communication est cruciale comme elle ne l’a jamais été, et que nous avons affaire à l’émergence d’un nouveau type d’objets dits « communiquants », il est important de se demander : qu’est ce qui ne communique pas aujourd’hui, puisque tout semble le faire ? Pourquoi le designer sent-il le besoin de répondre à cette problématique, si tout semble nous rapprocher ? Peut-on encore concevoir l’acte de « se rencontrer » ?
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Design d’exclusion par la non pratique Nous avions vu dans la première partie que les objets nous aiguillent vers leur bonne utiliation grâce à leur forme. C’est ce que nous appelions le principe d’affordance. C’est pourquoi le rôle du designer, particulièrement lorsqu’il s’agit de design relationnel, est également de se poser la question de la compréhension du fonctionnement de l’objet ou du dispositif par l’utilisateur. En effet, une mauvaise compréhension peut mener à un usage inadapté de l’objet, l’endommager, et dans tous les cas, crée une frustration chez l’utilisateur. Je ne peux m’empêcher de penser au téléphone de mes grands parents sur lequel ils ajoutaient des gommettes, afin de se rappeler où il fallait appuyer. Lorsque quelqu’un n’arrive pas à effectuer ce que les autres réussissent à faire, naît un sentiment de honte, et certains préfèrent rester ignorant plutôt que de demander de l’aide. C’est ainsi qu’une nouvelle forme d’exclusion voit le jour : l’exclusion par la non pratique Une expérience relatée dans un reportage documentaire de Cyberpresse illustre bien ce phénomène : on a demandé à un groupe de retraités d’identifier des objets technologiques dernier cri, et d’en deviner leur fonction. (fig.12) Les cobayes touchent à tout, explorent, expérimentent, et concluent. A propos d’une clé usb, une de ces personnes dira : « Ça sert à communiquer, mais j’sais pas comment ». Ou encore à propos d’une Wiimote, la manette de la console Wii de Nintendo : « Ah ça c’est un téléphone ! Quelqu’un d’un côté et un autre de l’autre ! ». Cependant, si on a l’impression que ces interrogations quant aux objets technologiques se posent seulement par les personnes âgées, il
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Fig.13
Fig.12
en est de même des jeunes enfants. Si les personnes du troisième âge se sentent dépassées par tout ça, le premier âge aussi, se sent rattrapé parfois par des choses qui ne leur parlent pas du tout. L’expérience a également été faite sur des enfants de moins de 12 ans (fig.13). Lorsqu’on leur présente une disquette, qui, si vous avez oublié, servait à la mémorisation de données, un des enfants dira que « ça sert à prendre des photos » et un autre dira que « c’est pour y mettre un Ipod ! ». Les deux générations essayent de comparer ces objets avec des objets qui ressemblent à ceux qu’ils connaissent. Nous pouvons aussi être isolés lorsque nous n’utilisons pas ce qui est censé nous relier aux autres, et faire de nous des êtres normaux. Même si parfois, il s’agit d’exclusion subie, elle peut aussi être voulue. Ce n’est pas sans me rappeler un passage dans le troisième épisode de la série Black Mirror : The entire history of you. L’épisode est situé dans une réalité alternative, ou un futur proche, dans lequel la plupart des gens ont une puce implantée derrière leur oreille ( appelée Grain ) et enregistre tout ce qu’ils font, voient ou entendent. Cela permet de revoir ses souvenirs et de les partager comme sur un écran, avec les autres. Tout le monde en a, mais pendant un repas, une des femmes avoue qu’elle n’en a pas : « Helen n’a pas de Grain » dira en pouffant de rire l’hôte de la soirée, pendant qu’un autre fera les grands yeux. Comme Helen, certaines personnes par leur non utilisation de quelque chose qui semble commun, se retrouvent exclus de la sphère sociale. Avec Facebook par exemple, qui compte plus d’un milliard quatre cent mille utilisateurs actifs1, il y a la réaction connue de : « je réalise 1. Facebook Reports Fourth Quarter and Full Year 2014 Results, archives du 28 janvier 2015 90
le danger mais je ne veux pas me couper de mes amis » 1. J’ai en effet de mon côté des amis qui n’utilisent pas tous ces réseaux, et je prends conscience qu’il arrive parfois, que nous oublions de les inviter en les appelant, en pensant qu’ils sont déjà au courant. Est-il possible d’oublier ses amis parce qu’ils ne sont pas virtuellement présents ? Le monde utilise donc ce réseau social, presque par obligation. Ne pas être actif sur un réseau social vous isole donc de la réalité, du monde physique. Cela peut aussi empêcher de trouver un travail. En effet, une journaliste du journal Forbes2 raconte qu’elle a « rencontré des recruteurs aux Etats-Unis qui se demandaient ce que cela veut dire lorsque quelqu’un n’est pas sur Facebook en 2012 : est-ce qu’il a des choses à cacher ? Est-ce qu’il s’agit de quelqu’un d’isolé ? ». Il est incroyable de se dire que le non usage de ces plateformes font de nous des personnes étranges, presque dérangées et qu’il faut craindre. Le réseau social et les technologies sont donc des impératifs sociaux.
Le design obstacle
J’ai pour habitude d’aller chercher mon pain tous les jours à la boulangerie en haut de ma rue. Un jour, ayant préparé mes pièces, car je connaissais le prix exact, je m’apprêtais à donner mes pièces au boulanger. Mais à ce moment là je fût étonnée, car il m’a demandé de les déposer dans la nouvelle machine. Pièce par pièce.Je me souviens que 1. Il n’y a pas de réseaux sociaux parfaits, Anaëlle Grondin, Le Monde, 2015 2. Forbes est un magazine économique américain fondé en 1917 par Bertie Charles Forbes 91
j’ai eu un sentiment étrange, presque triste. Je lui ai fais remarquer que j’étais peinée de ne pas lui donner en main propre, comme je l’aurai fait habituellement. Cette transaction pour moi est similaire à une poignée de main, ou un geste de remerciement. À ce moment là j’ai compris que nous perdions de plus en plus tout contact humain. Cet objet, cet objet là, se mettait à travers de mon chemin, il me gênait dans ma socialisation quotidienne. Déjà, la vitre qui sépare le boulanger de moi m’empêche de m’exprimer correctement, mais cet objet là, qui ne sert qu’à rendre la monnaie, ajoute encore plus de distance entre nous. Je ne demande pas ma baguette à la machine, mais à lui, le boulanger qui fait son pain tous les matins. La machine ne me connait pas, je ne lui dis pas bonjour avec le sourire, et elle ne me le rend pas. Elle me rend seulement la monnaie. Sur les deux mille six cent boulangeries de Paris et sa proche banlieue, quatre cent à cinq cent auraient investi dans cet appareil au cours des dernières années. Mais il semblerai que je ne sois pas la seule à me sentir dérangée par ce genre d’échange. Djibril Bodian, boulanger rue de Tocqueville à Paris dit en effet que « Certains clients en voyant la caisse automatique ressortent aussitôt du magasin ». Il caractérise ceux qui accusent ces machines de tuer la convivialité de « bobos », et dit qu’il se sent obligé d’ « expliquer que la machine ne brise pas le contact humain, mais qu’au contraire sa présence permet aux vendeuses d’être davantage à l’écoute du client »3. Cela dit, en repassant quelques jours plus tard devant la boutique, la machine avait disparu. On ne se rend pas compte de l’impact que ces machines automatisées ont sur notre relation3. Ma boulangère, à la caisse, est honnête, propre, et automatique, Dora Courbon et Nicolas Elandaloussi, 24 novembre 2012, Rue 89, Nouvel Obs 92
nel. Elles sont attractives car elles facilitent le travail, parait-il, sauf si on se réfère à la notion d’exclusion due à l’usage, la fluidité. Même si la question de complication et de fluidité de ne se pose pas trop pour la caisse chez le boulanger, elle se pose pour les caisses automatiques. En effet, elles paraissent plus rapides et plus efficaces, et cela est dû en grande partie au fait que c’est nous qui les utilisons directement. On s’active, donc on ne voit pas le temps passer, alors que le temps d’apprentissage de la machine nous ralentit deux fois plus que si nous laissions la caissière le faire. Ce qui empêche le relationnel dans ce genre d’infrastructure, à part le fait que nous soyons trop occupés pour nous intéresser un tant soit peu à ceux qui nous entourent, c’est la pression, le stress. En effet, si vous pouvez utiliser toutes les machines que vous souhaitez, vous aurez tout de même un contrôle humain à la sortie. C’est ce qui rend craintif : le rôle autoritaire et de contrôle. Si vous ne comprenez pas la machine, ou faites une mauvaise manipulation, il se peut que vous en payiez le prix, et vous ne pouvez pas accuser la machine de vous avoir trompé. La machine ne vous dira pas pardon, ni qu’elle a fait une erreur. Lors de mon voyage au Japon, je me suis aperçu des nombreux dispositifs crées pour mettre des barrières à l’échange. De la même manière qu’avec ces machines à pièces à la boulangerie, au Japon, vous ne toucherez jamais la main de l’hôtesse de caisse. Un petit objet bien pensé se trouve entre elle et vous. Un petit récipient à la forme pratique, permettant d’attraper facilement les pièces qui y sont déposées, vous invite à y mettre votre monnaie. Aucun échange de main à main ne se passe. Elle récupérera ensuite les pièces, sans vous avoir éffleuré la peau, si cela 93
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Fig.15
Fig.14
devait arriver, elle s’excuserai. Paradoxalement, tout contact de main est proscrit, même pour saluer quelqu’un, alors même que le langage non-verbal occupe une place fondamentale dans la communication en japonais ( posture, gestuelle, expression faciale, etc ) et que le vocabulaire consacré aux sensations du toucher témoigne d’un intérêt tout particulier au contact. Il est aussi très possible de faire des choses sans avoir à utiliser la parole. C’est ce qui se passe lorsque vous allez à la poste par exemple, vous hochez la tête poliement, vous donnez votre enveloppe, la guichetière la prend délicatement, y colle le timbre et vous demande de payer. Ni plus, ni moins. C’est un protocole gestuel. Nous pouvons aussi trouver au Japon toute sortes de machines, y compris dans les restaurants, où il vous suffit de cliquer sur ce que vous voulez manger, vous êtes ensuite servis à table, et hôchez la tête encore une fois pour dire merci. Par l’intermédiaire de cette machine, vous n’avez plus à parler au serveur, ni à lui demander des conseils. En voyant cela je ressens le sentiment de ne pouvoir communiquer qu’avec les personnes que je connais déjà, et de ne pas avoir la possibilité de rentrer en contact avec un inconnu facilement. Cette désocialisation se remarque bien plus dans les aménagements publics. Nous qui en Europe sommes habitués à l’assise face à face pour se parler, et aux carrés de quatre personnes dans les transports en commun; ici tout est différent. Dans les trains, tous les sièges sont accolés afin de créer une seule et même banquette. Assis les uns à coté des autres, l’échange de regard n’est pas possible. Parfois même, des tables sont créés avec des parois arrivant au niveau des yeux, évitant tout contact visuel qui pourrait être génant avec l’autre assis 95
en face. Ainsi, je me demande : est-ce réélement l’homme qui cherche à éviter les rencontres indésirables, ou est-ce la société par le choix de dispositifs qui veut les empêcher ? En effet, l’urbanisme a un impact non négligeable sur le mode de vie des habitants et témoigne souvent d’une volonté de contrôle de la part du pouvoir en place. Là où la France a choisi les plans du barron Haussmann pour aménager la capitale, la rendre plus fluide et plus sûre, le Japon a opté pour une construction des villes en cadrillage, sans place publiques; parfait pour l’écoulement rapide des flux. Ainsi, la circulation est très fluide, les attroupements de gens sont impossibles, et le contrôle policier est facilité. Les exigences de sécurité poussent les gouvernements à aménager l’espace public de manière à non pas diviser les individus, mais plutôt éviter qu’ils se regroupent en trop grand nombre.Vivre dans une ville à forte démographie, c’est vivre dans un système qui nous écarte d’une certaine manière. Autre exemple d’éloignement : Le téléphone. Alors qu’il n’a cessé de se développer dans l’optique de mieux nous servir et nous rapprocher, nous nous retrouvons aujourd’hui prisonniers de cette technologie, aujourd’hui nommée « smartphone ». Le smartphone détourne notre regard vers son écran, et finit par occuper toute notre attention, en permanence, grâce aux divers systèmes de messagerie, ainsi que la quantité phénoménale de moyens de se divertir qu’offre notre petite machine intelligente. On l’aime tellement qu’on préfère communiquer à travers elle, même si on est géographiquement proches. Il semble qu’aujourd’hui il est plus distrayant d’envoyer une image prise avec ce même téléphone que d’attendre de rentrer pour raconter sa journée palpitante. 96
Design individualiste
J’attends le métro tous les jours pour me déplacer. Bien que la plupart du temps, je reste à l’attendre debout quand je suis seule, j’aime parfois m’assoir pour discuter lorsque je suis accompagnée. Là vient le problème : est-il possible d’attendre ensemble ? En effet, les bancs, les assises si il y en a, sont fragmentées en sièges individuels, et sont très espacés les uns des autres. Le paradoxe aujourd’hui est que nous sommes de plus en plus nombreux à vivre sur une surface réduite, la ville, pourtant, cette proximité ne semble pas apporter de sentiment de « vivre en semble en harmonie », au contraire même, cette proximité nous gène la plupart du temps. Le challenge pour les designer consiste à profiter du confinement des villes pour créer des dispositifs visant à rapprocher les gens. Nous sommes loin de l’époque romantique, où les « amoureux se bécotaient sur les bancs publics ».Dans cet esprit Vincent Wittenberg et Guy Köningstein, dans le cadre de la biennale Landscape Urbanism en 2010, proposaient un banc composé de sièges individuels qui peuvent être libérés et utilisés séparément en insérant une pièce. Les villes peuvent-elles donc laisser le choix à ses habitants, de choisir si oui ou non l’autre le dérange ? « Vous réalisez que les relations humaines sont la raison de notre présence sur terre. C’est ce qui donne un but et du sens à nos vie, tout tourne autour de cela »1, alors pourquoi les empêcher ? Pourquoi les empêcher si on sait que « le mobilier urbain a [...] un rôle déterminant dans la construction ou la reconstruction
1. Propos de Brené Brown, dans sa conférence TED : Le pouvoir de la vulnérabilité, Décembre 2010 97
de liens sociaux dans l’espace public »1 ? En quelque sorte, le lien social est une condition primordiale à l’existence d’un espace public, et réciproquement. Il est certain que si le mobilier urbain s’installe dans un espace, il doit par sa forme créer un nouvel espace en soi. Par exemple, le plus long banc du monde, à Marseille est tellement grand, qu’il ne facilite en aucun car le lien social, car la rencontre devient impossible. Le mobilier doit être pensé en tant qu’espace et non en terme de densité. Si il y a trop d’assises, il est aussi trop simple de s’isoler. Lorsque vous rentrez dans un bus ou dans un métro vide, il est certain, que vous ne vous asseyez jamais à côté de quelqu’un que vous ne connaissez pas, surtout si il y a tout plein de places ailleurs. S’assoir est parfois même un luxe. Arno Fabre, propose un banc, le BUP, hérissé de picots métalliques. Pour s’asseoir, l’usager doit introduire une pièce dans le monnayeur prévu à cet effet, déclenchant pour une durée limitée l’abaissement des picots. Une fois le temps écoulé, un signal sonore informe et les picots ressortent, contraignant l’utilisateur à se lever. Il faut payer pour s’asseoir et donc payer pour être tranquille. Ainsi, on réduit les possibilités de tomber sur les personnes que l’on ne veut pas cottôyer. On réduit le confort à ceux qui le peuvent, et on réduit la possibilité de se rencontrer seulement à une certaine classe sociale. Bien qu’il s’agisse d’un projet dénonciateur, l’artiste avoue qu’il est certain que ce projet intéresse les villes mais ne peuvent pas l’avouer. Il s’agit de la ville, et la ville est à tout le monde. On ne peut pas créer du chez soi dans ce qui appartient autant aux autres. Ainsi, il « ne faut 2. Le mobilier urbain : vecteur de lien social, un article de Horticulture et paysages, Mensuel, Décembre 2011 98
plus voir la ville comme un ensemble d’espaces intérieurs mais la considérer comme un grand espace concave »1. Toutes les affiches, indications, panneaux qui s’occupent d’orchestrer et organiser la fluidité des riverains entre eux, sont certes créés pour faciliter nos vies mais sont des médiateurs de relations humaines. En effet, nous n’avons qu’à lire, obéir, et cesser de communiquer. Cela signifie-t’il que nous ne sommes pas capables de nous organiser entre nous, et que nous avons besoin de ça ? Si tout est trop fluide, et trop orchestré peut on encore créer de la rencontre ? Par exemple, l’accoudoir est-il un séparateur de deux espaces différents, ou un espace de partage ? Accidentellement, vous toucherez le coude de la personne qui est à côté de vous, vous organiserez ensemble le partage ce cette micro surface. Ainsi, une entreprise américaine a commercialisé au début de cette année 2015, le Soarigami, qui permet de diviser l’espace d’un accoudoir en deux parties équitables, afin d’éviter les « combats de coudes ». Cet objet apparaît donc comme une solution à tous les conflits. Est-il donc un objet permettant d’apaiser les relations, ou au contraire y met il un frein ? Si je m’arme de cet objet et que je l’installe, mon voisin va comprendre que je ne suis pas ouverte à quelconque échange. Le Knee defender, le « protecteur de genoux », qui a été commercialisé avant l’apparition du Soarigami, avait fait l’objet de controverses. Il se composait de deux petits clips en plastique qui se fixaient aux bras de la tablette du siège dans l’avion pour bloquer l’inclinaison de celui-ci. Ainsi, 1. Conférence d’Andréa Branzi du 02 juin 2012 à la SFA. Andréa Branzi a développé 10 « modestes » points qui selon lui pourraient produire une nouvelle Charte d’Athènes. 99
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Fig.16
j’essaye de garder le plus d’espace personnel possible en empêchant les autres d’accéder à un minimum de confort. On assiste alors à une guerre de clans, et de plus sans parole. C’est une économie d’échange verbal, frustrante, qui plus est. Le design et les aménagements visant à notre confort et à notre bien-être, semblent donner plus d’espace aux personnes et donc les isole, du moins géographiquement. La recherche de confort a t’elle donc un lien avec la présence ou l’absence de rapports sociaux ? Est-ce grâce aux interactions sociales qu’on se sent bien ? Il est sûr, que plus je me sens bien, plus l’échange est agréable avec l’autre. Il est déjà simple de voir la différence entre une journée de pluie et une journée de soleil sur le moral général. Alors dans ce cas, est-ce que le bien-être a une influence sur les rapports sociaux ou le lien social crée-t’il le bien-être ? Qu’en est-il du design ? Certains objets, ou accessoires qui permettent le bien être dans la recherche d’espace personnel, vont aller à l’encontre de l’échange. C’est le cas avec la Space Dress (fig.17), crée par Teresa Almeida. En effet, la robe gonfle sur la décision de l’utilisatrice. Comme elle se gonfle, les gens autour sont repoussés, ce qui augmente l’espace personnel, en particulier dans les lieux très fréquentés. Il en est de même avec la Life dress (fig.16), crée par Ann de Gersem, une robe permettant de créer instantanément un espace personnel. Il suffit de tirer le zip, et une bulle parfaite se forme autour de la femme qui la porte. Plus agressif encore, le manteau Electro-Shock de Phil Worthington. Le designer Britannique, propose un manteau qui sert à envoyer un avertissement visuel et réel, afin de faire comprendre aux autres qu’ils doivent se tenir à l’écart. Celui-ci est composé 101
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Fig.17
de bandes d’avertissement et de fourrure qui deviennent électrostatiques si le contact est trop proche, et que quelqu’un envahit l’espace personnel de l’utilisateur. Si la « menace » touche la fourrure, 100 000 volts de décharges électro-statique sont envoyées. De quoi vouloir rester à l’écart en effet. Est-ce aux autres de se tenir à l’écart donc, ou à moi de les écarter ? Une application récente, Cloak1, permet d’hors et déjà de géolocaliser les personnes que l’on ne souhaite pas croiser. Ainsi, il n’est plus besoin de repousser l’autre par des accessoires ou de vêtements, mais de les éviter. Cette idée n’est pas sans me faire penser aux système de « blocage » qui empêchent à un individu de se mettre en relation avec nous. Nous pouvons bloquer les appels de quelqu’un sur notre téléphone, ou empêcher quelqu’un en particulier de pouvoir nous demander en ami sur Facebook ou sur un autre média social. C’est ce fait, qui sera poussé à l’extrême dans un épisode de la série Black Mirror2 (fig.18-19), appelé White Christmas. Que faire si la technologie pouvait permettre de « bloquer » quelqu’un dans le monde réel, autant que l’on peut déjà sur les médias sociaux donc, de sorte qu’on ne puisse percevoir juste être un flou pixelisé ? Un des principe de cet épisode, est l’idée que dans un futur proche, on puisse avoir la possibilité de bloquer d’autres personnes grâce à « Cookie ». Cookie est une puce implantée dans le 1. Cloak , créée par Brian Moore et Chris Baker. J’ajouterai une de leurs remarques qui justifie la création de cette application « Twitter et Facebook sont maintenant comme des ascenseurs bondés où nous sommes tous entassés… Je pense que les outils antisociaux sont en train d’émerger » 2. Black Mirror est une série télévisée Britannique, créée par Charlie Brooker et produite par la société de production Zeppotron, depuis 2011. Trois épisodes par saison sont reliés par le thème commun d’une technologie dystopique. Source : Wikipédia. 104
cerveau, qui, en bloquant quelqu’un, permet de ne plus le voir, de ne plus l’entendre et permet aussi à celui qui est « bloqué » de ne plus voir l’autre, ni l’entendre non plus. En Allemagne, l’équipe dirigée par le professeur Wolfgang Broll a développé, contrairement à la réalité augmentée, qui nous permet de mieux voir le monde : la réalité diminuée. Il est possible de l’utiliser non pas pour rajouter de l’information au réel mais pour en enlever. Une équipe de recherche telle que StreetView, avait déjà xconçu un programme similaire visant à effacer directement les piétons des images. Ici, il semblerait que l’on puisse le faire en direct. On peut donc imaginer l’éventualité d’un monde où il est devenu possible de faire disparaître de notre vie une personne, la possibilité de vider notre quotidien des gens qui nous dérangent.
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Fig.19
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Le designer d’interactions « sociales » « On se rend compte que le projet n’est plus seulement lié uniquement à la forme mais doit prendre en compte « une interface naturelle entre l’homme et les nouvelles technologies. Cela engendre de penser le design, en prenant en compte la présence de l’Homme très marquée dans les lieux publiques »1 Avoir exposé ce qui ne crée pas de relations entre les personnes, me permet maintenant de mieux comprendre pourquoi et comment cibler les nouveaux terrains d’action qui peuvent mener au contact humain. Si l’on considère que l’être humain d’aujourd’hui a besoin d’objets et d’outils technologiques pour mener une vie sociale convenable, il faut alors reconsidérer nos espaces publics en phase avec ces évolutions numériques. L’environnement urbain étant crucial à la rencontre, il me doit en tant que designer, d’agir dans et pour cet espace. Agnès Levitte, écrira que « le mobilier urbain participe à l’environnement et à l’ambiance de la ville »2. Ainsi, le rôle premier du designer « social » serait de nous faire enfin lever les yeux de nos écrans afin de nous mettre en face à face avec ce qu’il y a d’agréable dans le « monde réel », nous mettre en face à face avec l’autre. Voilà exactement la mission que je me donne en tant que designer.
1. Conférence d’Andréa Branzi du 02 juin 2012 à la SFA. Andréa Branzi a développé 10 « modestes » points qui selon lui pourraient produire une nouvelle Charte d’Athènes. 2. Intrigues de piétons ordinaires, Agnès Levitte, 2012 107
Comment l’objet peut-il nous aider à rester dans le monde du réel, et non uniquement du virtuel, de l’intangible, qui nous fait oublier que nous sommes quelqu’un en chair et en os ? Comme l’exprime Günther Anders dans l’Obsolescence de l’homme1, « Nous devons aussi interpréter ce changement, pour pouvoir le changer à son tour. Afin que le monde ne continue pas ainsi à changer sans nous. Et que nous ne retrouvions pas à la fin dans un monde sans hommes ». C’est donc à cela que je vais m’intéresser. Ainsi, comme Andréa Branzi2, je rend compte que la génération est en train de rentrer dans un nouveau monde, un univers autour des médias, un système universel formé par un ensemble de signes « persuasifs et pénétrants ». Cette nouvelle forme d’intelligence peut être le nouveau terrain d’expérimentation du design. Comment le designer peut-il alors profiter de ces technologies qui nous relient, afin de créer du lien social plus opportun dans l’espace urbain ? Comment créer le juste équilibre ? Quelles sont les créations hybride d’aujourd’hui qui fonctionnent et comment réaliser une « interface enrichissante entre l’homme et le monde artificiel qui soit fonctionnelle technique, qui engendre des émotions, des qualités profondes » ?2
1. L’encyclopédie des nuisances, 2002 2. Nouvelles de la metropole froide, Andrea Branzi 1991 108
Les interfaces numériques urbaines Je m’intéresserai ici, uniquement aux interfaces
numériques présentes dans l’espace public; ce qu’appelle Bruno Marzloff, le 5ème écran1. Internet permet à tous de jouir pleinement du confort de nos villes développées : il est possible d’interragir avec ses amis, faire ses courses, visiter des musées, etc, et ce, sans bouger de chez soi, juste avec Internet. Les plateformes connectées « augmentent » véritablement les villes. On s’est aperçu dans les objets de rencontre, que le téléphone est devenu un outil créateur de sujets de conversations et de partage. Il devient dans ce cas un écran collectif qui « favorise le visionnement de contenus audiovisuels en groupe, dans les bars, les restaurants, les gares et les aéroports. Il renforce ainsi le lien du collectif »2. L’interface à échelle urbaine, permettrait donc de traduire sous une forme tangible les actions et interactions de personnes, qui ont pour habitude de rester du côté de l’« espace virtuel » Puisque par ces exemples, je prouve que les deux ne sont pas nécessairement indissociables, au contraire, l’un permet l’autre et inversement, faut-il penser d’avantage de grands écrans, ludiques et interactifs afin de s’y retrouver plus facilement en groupes ? 1. Le 5e écran « se veut être le concept innovant des médias dans la ville. Il est dénommé ainsi car il est autre que l’écran public du cinéma (1er écran), l’écran collectif de la télévision (2e écran), l’écran personnel de l’ordinateur (3e écran), et l’écran intime et nomade du téléphone portable (4e écran). Le 5 ème écran est défini comme l’étape suivante où les écrans échangent entre eux au sein d’un nouvel écosystème », dans Le 5e écran : Les médias urbains dans la ville 2.0, de Bruno Marzloff, page 12 2. L’écran au pluriel : expériences de communication avec l’autre à travers les écrans, Chabert, Ghislaine, Citant [Sonnet], 2014 109
C’est ce que propose Mathieu Lehanneur avec le projet Escale Numérique, lauréat de l’appel à projet de la Mairie de Paris, un espace de repos connecté et accessible à tous. L’espace dispose d’un accès à la wifi, mais aussi d’un grand écran tactile aux services divers : guides, infos et réalité augmentée pour touristes et visiteurs. « L’Escale Numérique dévoile l’avant poste d’une nouvelle gamme d’architectures urbaines où le virtuel dicte la forme du réel pour vivre avec toujours plus de fluidité ». J’apprécie particulièrement dans ce projet, sont les sièges rotatifs, qui permettent de s’orienter les uns vers les autres si on en a l’envie. Le terme « Escale Numérique » pointe du doigt le besoin qu’on a aujourd’hui, non seulement de s’assoir, mais de se connecter avant tout, comme on a pu le voir avec « l’arbre » à Gare du Nord. Bien que ce projet, semble utile, il ne semble pas créer du lien social, puisque l’on peut avoir la réponse à nos questions sur l’écran tactile. Je n’ai besoin de parler à personne puisque je peux m’occuper seul en me connectant en wifi. Ici ce qui fonctionne est seulement l’attrait que les gens ont pour ces fonctionnalités, qui permettra de rassembler le plus grand nombre, ainsi que le sièges rotatifs. Mais le designer a installé depuis le 31 janvier, un produit à la thématique visiblement orientée sur le jeu et le partage d’activité : la table Play (fig.20). Des tables tactibles ont été installées dans le square du Temple, dans le 3ème arrondissement de Paris, afin de proposer de l’amusement aux Parisiens. « C’est une tentative de réconciliation entre les tables d’échecs du jardin du Luxembourg et la Play Station » explique le designer. Les jeux permettent de jouer seul ou à deux, ce qui montre une possibilité de jouer avec quelqu’un d’autre. Mais le plus dommage, selon moi, c’est de se plonger à nouveau dans des écrans. Ils nous éloignent de l’espace 110
Fig.20
extérieur
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exterieur agréable propice à l’activité physique et à la rencontre, qu’est le parc public. Ces exemples me permettent de me rendre compte que l’interface numériue publique n’est pas ce que je recherche en tant que design hybride. Ces installations créent des des micro-espaces virtuels dans la ville. Des trous noirs qui happent l’utilisateur dans une activité qui est ailleurs que dans le monde dans lequel il touche l’écran.
Les réalités augmentées Dans les exemples précédents, l’écran installé dans la ville fait disparaître le citadin dans une autre dimension. Existe-t’il un écran permettant de nous rattacher à l’’espace physique ? Il semble que cela est possible. L’écran peut nous permettre d’accéder à travers lui à une ville que l’on ne peut pas percevoir sans celui-ci. Des informations sont ajoutées à notre perception de l’environnement réel à travers cet outil. Je pense en premier lieu à la géolocalisation, qui permet de se repérer en temps réel, sur une carte numérique. Il existe des cartes participatives et communautaires, sur lesquels les utilisateurs ajoutent et partagent des informations. Les gens notent les restaurants et les taguent, ils disent et montrent où ils sortent, et où ils vont. C’est en quelque sorte du bouche à oreille. Cela crée des migrations vers ces lieux recommandés, car on ira plus facilement dans un endroit qu’on nous a conseillé, et qui de cause à effet, sera aussi bien rempli. Même si on ose pas rentrer dans un métro bondé, c’est bien le seul cas où « le monde n’attire [pas] le monde ». Les citadins, pour se sentir bien dans leur ville, ont 112
besoin de créer des événements, et de la surprise. Bien que certaines villes dynamiques organisent des événements à divers moments de l’année, ces infrastructures numériques assurent leur communication, et permettent aisément d’en créer de nouvelles n’importe quand. L’individualisation progressive due aux aménagements urbains semble être contrée par ces plateformes de partage et d’information. A l’image de Lamachineduvoisin.fr, certains sites permettent de nous rapprocher. Peuplade cherche volontairement à créer de la proximité. Le site se déclare « réseau social de quartier », et a pour ambition de favoriser les liens entre habitants, commerçants et associations, pour « mieux vivre ensemble »1. Pourquoi ? Parce qu’ « On a besoin de se reconnecter les uns avec les autres » avoue le créateur du site, Grégoire Even. Le site « permet aux habitants d’entrer en relation avec leurs voisins et est d’abord un prétexte à la rencontre. On veut que les gens lèvent le nez de leur portable » ajoute-t-il. Il n’aurait pas pu dire mieux, c’est en effet par ce constat que j’ai décidé d’axer mes recherches sur les possibilités actuelles de création relationnelles. En créant un site comme celuici, « le digital va permettre de nouveaux rapports sociaux ! ». Le site rassemble. Non seulement ses utilisateurs partagent leurs passions sur la plateforme et se retrouvent autour d’intérêts communs, mais finissent bien souvent par se rencontrer réellement lorsque c’est géographiquement possible. Ce site devient ainsi un réel médiateur entre les habitants d’un même quartier, voire même un créateur de cohésion sociale. Le site FruitDesign, qui permet de localiser les fruits et les légumes libres à la cueillette dans 1. Tiré de l’article Le premier réseau social de quartier débarque à Paris, Métronews, Sibylle Laurent, le 18 mars 2015 113
nos villes, alors que bien souvent nous n’en soupçonnons même pas l’existence. Grâce à ce site, qui n’a pas l’ambition première de la rencontre, on s’imagine quand même bien, aller ramasser des noisettes boulevard Barbès avec son voisin le dimanche après-midi. Aujourd’hui, il est devenu possible avec des systèmes de géolocalisation tels que iBeacon d’être prévenu par son téléphone lorsque l’on croise un lieu ayant un lien avec les centres d’intérêts qu’on aura préalablement renseigné. iBeacon offre la possibilité à un magasin d’envoyer en temps réel des promotions aux clients se baladant dans les rayons, ou en face du magasin, lorsque l’on est dans la rue. Les informations sont envoyées par rapport à leur localisation et, donc, aux produits qui les entourent. On a alors accès à des informations qui ne sont normalement pas visibles à l’oeil nu, sans un smartphone. Visible est bien le mot puisqu’il est possible maintenant de voir dans par l’écran ce qui semble être dans la réalité. Cette technologie s’intègre dans notre environnement au travers de supports visuels tels que des Google Glass, des tablettes, ou des smartphones. Les écrans permettent de superposer des images de synthèse à notre perception de la réalité en temps réel. Ainsi, si habituellement l’écran nous kidnappe du monde réel, ici, il nous propulse dans une réalité augmentée du monde. Mais il est aussi possible de se géolocaliser entre utilisateurs ! Imaginons que je recherche à acheter une voiture et que je croise dans la rue quelqu’un qui en vend une. Nos téléphones nous biperont à ce moment précis pour nous mettre en contact. Je peux aussi manifester que je mange seule au Jardin des plantes et que j’invite volontier toute personne proche de moi, à partager son repas avec 114
115 Fig.21
moi. Besoin d’un réconfort immédiat ? Je peux aussi utiliser mon application Cuddlr (fig.21), qui permet de partager un « free hug », un calin avec quelqu’un que je ne connais pas. L’application permet « d’offrir une pause bienvenue dans un quotidien ultra-connecté, en faisant en sorte de faciliter la rencontre avec les personnes près de nous et d’établir un vrai contact physique »1. Ainsi, nous assistons à l’émergence d’interfaces virtuelles au service du monde physique, qui permettent la transition du digital au palpable. Avec ce système, nous arrivons à un stade d’omniscience extrême puisque je peux accéder à ce que les gens font, pensent, aiment, au moment même où je les croise. Ces plateformes permettent de voyager d’esprits en esprits, en espérant trouver un corps qui nous convienne.
Les objets augmentés Ce que j’appelle objet augmenté, désigne contrairement aux applications ou sites qui fonctionnent à travers une interface, un dispositif tri-dimensionnel, qui va part l’apport de technologies numériques, devenir un objet « magique », aux capacités décuplées. Ce numérique ajouté, s’intègre directement dans l’objet lui-même, afin de s’éloigner d’autant plus des écrans. Les objets augmentés sont des interfaces tangibles2. Ces objets ne délaissent personne, puisque l’on a besoin d’aucun type d’appareil
1. Propos recueilis sur le site officiel. L’application a été créée par Charlie Williams, Damon Brown et Jeff Kulak et lancée sur le marché le 18 septembre 2014 2. Voir le glossaire 116
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Fig.23
Fig.22
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Fig.25
Fig.24
pour s’en servir, contrairement à la réalité augmentée, utilisée via un smartphone. Ils s’inspirent de ce que l’on connait de nos interactions virtuelles pour les retranscrire en objets qui fonctionnent seuls, à condition que l’humain le déclenche. « L’internet des objets n’est donc pas à penser comme un univers superflu, du gadget technologique, mais bien comme une possibilité, pour l’homme, de se réapproprier son espace en lieu de sociabilité et de créativité. Tous les objets qui nous sont les plus familiers, deviennent ainsi des objets dont il peut être fait un usage nouveau au travers des interfaces numériques »1. Il faut que ces objets soient intuitifs et accessibles à tous. En effet, le collectif Urban Invention, créateur du jeu ActiWait (fig.22-23), exprime que ces principes sont importants, car eux aussi aimeraient « pouvoir jouer contre [leur] grand-mère ». Ce dispositif, qui ressemble à un appelpiéton, permet de jouer au ping-pong en temps réel avec une personne qui se trouve sur le trottoir d’en face, lorsque l’on attend le feu vert pour traverser. On voit la personne en face, et on peut l’inviter à jouer. On joue jusqu’à ce que ce soit vert, et on se rencontre ensuite. Ce projet fonctionne car « les gens veulent sortir de leur quotidien et avoir l’occasion de rencontrer d’autres personnes, sans avoir les aborder dans un bar, pour moi, c’est le moment idéal [pour] profiter de cet instant de chaleur humaine »2 exprime Amelie Künzler. Avec ces objets, on peut montrer que sentir l’autre n’est pas désagréable, mais qu’il est au contraire, un créateur de bonheur. Comme nous l’avions vu précédemment avec l’interface créée par le MIT média Lab, l’autre peut aussi nous apporter du bien. Si on refuse le fait 1. Objets connectés, corps augmenté, usages sociaux : les enjeux de l’hybridation, La passion de l’innovation, Carlos Moreno, 9 avril 2013 2. L’idée de l’année, Martin Dunkelmann et ARTE Creative, 15 Décembre 2014 119
d’effleurer, de toucher le genoux de l’autre par inadvertance, on peut aussi accepter le fait que la présence d’autrui, même inconnu, puisse être appréciable. L’ajout d’interactivité sur un objet du quotidien, crée de la surprise. Ce fut le pari intéressant d’étudiants de l’Ecal, pour l’exposition Delirious Home (fig.24) à Milan en 2014, avec le projet Voodoo, une paire de fauteuils retransmettant les gestes et les mouvements de l’un et l’autre. C’est un échange tactile distancé absolument incroyable, puisqu’il n’est pas visible, mais sensible. Les capteurs détectent les mouvements de l’un, et les retransmet à l’autre physiquement. La force de ce projet réside dans le fait qu’elle s’inscrit dans un espace partagé. Cela crée un retour visuel instantané entre ceux qui l’utilisent et crée une immédiate complicité. Elle décuple le réel. J’ai certes dans mes parties précédentes, prouvé que l’objet inerte, peut parfois contribuer à la socialisation, mais ce que j’apprécie plus que tout par l’ajout d’interactivité sur eux, c’est une extériorisation visuelle d’un fait, d’une histoire, qui n’est pas attendue par l’utilisateur. Imaginez. Vous rentrez dans un restaurant. Vous vous asseyez à une table mais vous êtes seul. La lumière est très faible, voire inexistante. S’assoie ensuite quelqu’un à votre table. A ce moment précis, la lumière s’allume. Cette lumière va créer un contact immédiat et accentuera cette connexion. Il y a un besoin de montrer par ce genre de réflexions, que l’autre est indispensable. C’est une idée que le collectif Scénocosme a aussi expérimenté, mais en créant cette lumière par le contact corporel L’installation intitulée Lights Contacts1 (fig.26) se couvre d’un abri de lumière. Celui-ci délimite un espace, 1. Lights Contacts, par Grégory Lasserre & Anaïs Met den Ancxt, en exterieur au Festival Bains Numeriques #5 120
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Fig.26
convivial et intimiste. Cet abri est éteint lorsqu’aucun contact n’est produit. Il s’allumera seulement lorsqu’il y aura un toucher entre humains. Des teintes colorées fluctuent en fonction des intensités de contacts et lorsque plus personne ne se touchera, le son et les lumières s’éteigneront à nouveau. De même, le studio Joon and Jung, se sont interessés au développement de la science et de la technologie à propos de leur impact profond sur la vie sociale. Leur constat est le même que le mien : « nous perdons la trace de nos relations avec les gens proches de nous, et la culture du numérique noie le soucis de la sensibilisation de nos milieux de vie directs ». C’est pourquoi, ils décident alors d’hybrider les deux, en créant la Living Light (fig.25). Celle-ci déclenche l’attention de personnes individuelles, et les regroupent sous la même source de lumière. Plus il y aura de personnes sous la lumière, plus la lampe s’élargira pour créer un cercle d’interaction plus important. Lorsque les infrastructures ne favorisent pas toujours les liens sociaux, ce qu’il faut alors, c’est créer cette surprise. D’autres collectifs vont s’interroger sur cette problématique. Vous êtes dans un espace publique vous avez envie de vous asseoir, mais vous hésitez à vous installer là où quelqu’un d’autre est déjà assis. En réaction à ça, Beatspot1 est un banc interactif qui va créer un rythme musical là où l’on sera assis afin de créer ensemble une mélodie. Il va alors agir non plus seulement comme un outil de repos, mais comme un jeu. Avec ce genre d’installations, il y a un dialogue entre l’objet et l’utilisateur, mais surtout, l’espace d’un instant, une complicité entre les partenaires de jeu. Cette chaleur humaine sera matérialisée aussi dans 1. Beatspot, par Silvia Saure et Claudia Dolbniak 122
un projet fou de Duracell. La marque a récemment lancé une campagne à Montréal, intitulée Moment of warmth (fig.27-28), qui a pour objectif de rassembler les gens qui attendent leur bus. Puisque l’hiver est particulièrement rude au Canada, les abris-bus sont un endroit où viennent se protéger du vent les citadins. La marque décide alors de créer des abris à chaleur humaine, puisque pour actionner le chauffage, il suffit de joindre les mains avec une ou plusieurs personnes à côté de nous. Deux personnes sur chaque extrémité de cette chaîne placent leurs mains à plat sur les deux parois, où une empreinte de main indique clairement les mesures à prendre. Ce dispositif pousse alors des étrangers à se rapprocher et à créer une connexion dans des conditions climatiques qui nous rendent la plupart du temps moroses. En effet, « In Canada, we have cold winters, but we have also each others » ! Tous ces types d’installations publiques et participatives permettent d’une manière poétique, de questionner les gens sur leur perception de l’autre. Elles permettent de plus, par leur aspect ludique de rétablir des liens concrets et de la bonne humeur, en parfait équilibre entre la sphère numérique et l’espace urbain.
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Fig.28
Fig.27
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Interview
Romain Benard
Directeur artistique
Projet Banc public Banc ludique Juin 2013 « Bancs publics, bancs ludiques est un projet de design interactif visant à redonner au banc une de ses fonctions premières à savoir la création de lien social. Le banc n’est plus un banc “ordinaire” mais un espace de partage autour d’une activité »
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Fig.29
Le vendredi 22 mai 2015 à Paris Bonjour Romain, peux-tu me parler de ton métier actuel, et me présenter les différentes étapes de ta carrière ? Tout d’abord, j’ai fais une formation à l’ ECV à Bordeaux, en Master 2 publicité et communication digitale, et je suis aujourd’hui Directeur Artistique en agence.
Quel est le projet qui t’as le plus marqué ?
C’était effectivement le projet du banc, c’était ma réflexion la plus poussée. Le gros plus de la réflexion a été de trouver une nouvelle manière de communiquer, et de pouvoir adapter un message. C’était aussi chercher à créer quelque chose qui permettait de restaurer du dialogue qui n’existe pas entre les gens. Avec le système du piano qui envoyait des répliques de films, on pouvait avoir un vrai discours à partir de phrases connues, ça avait plus de sens que de mettre de la musique.
Que penses-tu du lien social aujourd’hui ?
C’est un peu compliqué à dire. Je me rends compte que j’ai écris quelque chose de faux à propos de ce banc à l’époque. Je disais que le banc créé du lien du lien social parce qu’on est proche physiquement. Mais on a plus besoin d’être proche aujourd’hui pour créer du lien. On a jamais autant communiqué. Je pense que c’est plus facile d’en créer aujourd’hui qu’avant, c’est juste la nature du lien qui est différente.
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Faut-il aujourd’hui introduire les nouvelles technologies pour créer des objets qui unissent ? Est-ce qu’un objet qui n’est pas connecté permet aujourd’hui de rassembler des gens ? Les technologies, ça fait que t’es relié parce que tu parles avec une personne qui n’est pas avec toi, et des fois ça l’est aussi avec un échange de regard avec un inconnu. C’est justement ça la difficulté. C’est le probleme, je sais pas reelement si ça créee réelement de liens ou si ça isole, c’est les deux à la fois. C’est exactement le type de réflexion que j’ai eu, c’est à dire qu’au début, j’étais presque parti, de : Est-ce qu’on a réélement besoin des technologies ou pas du tout. L’idée au début, était de mettre un puissance 4 au milieu, ou des plateaux de jeux classiques. Sauf qu’en fin de compte, c’est exactemement la même chose. Si je mets un puissance 4 ou un piano électronique, au final, c’est pareil. C’est juste qu’il y en a un qui est mécanique et l’autre qui est électronique. Mais la technologie permet d’apporter l’animation. Entre une image fixe et un truc qui bouge, on sera plus attirés par un truc qui bouge. Et ça, le digital le rend plus facile. Je pense que ce n’est pas obligé, mais qu’on a plus de possibilités avec le digital., c’est infini. Il est mieux pour ce type de logique. Et surtout, ça étonne encore les gens.
Personnellement, c’est ça aussi qui me fait peur en tant que design connecté. J’ai peur que la magie s’essouffle.. J’ai peur que de créer des objets avec des connectiques comme celles-ci, qui sont sensées relier les gens, ça n’étonne plus personne. Qu’en penses-tu ? A chaque fois, on a l’impression qu’on ne pourra jamais plus rien inventer mais il y a toujours quelqu’un qui trouve quelque chose. A chaque fois que tu penses avoir atteindre un niveau, il y a toujours quelqu’un qui va t’étonner. 131
Quels ont été les retours par les utilisateurs et les gens à qui tu as proposé le projet, pour les développer, comme la mairie par exemple ?
Les retombées, ça a dépendu du contexte. Lorsque j’ai présenté le projet, les gens ont adoré. Il n’y avait pas un moment sans quelqu’un dessus. J’ai eu des retombées géniales parce que justement ça les surprenaient. La démarche de comment le design peut servir un interêt collectif, a beaucoup plus. Mais en effet, pour les services publiques, ils n’ont pas les mêmes interêts que nous. Déja, quand on voit l’espace qu’il y a dans le métro entre deux sièges, tu es avec un ami, tu ne peux même pas lui parler. Les zones de liens, les pouvoirs publiques ont peur que ça se transforme en zone de regroupement Ils ont peur des attroupements, et c’est pour ça qu’ils privilégient les assises individuelles. Ils ont peur que ça ne rassemble pas «les bonnes personnes». Au final, ça dessert tout le monde.
Un design qui serait fait pour ça, ce serait quoi ? Quel serait le procédé qui permettrait de rassembler des personnes à un même endroit et échanger, selon toi ?
Le premier point, c’est la rencontre à partir d’un point d’accès qui est le téléphone. Mais la seconde chose, c’est comment lorsque t’as plein de gens, qui sont au même endroit, au même moment, leur faire créer du lien, et ça c’est plus dur. C’était aussi ça l’enjeu du banc. Mais je ne sais pas vraiment comment le design pourrait intervenir là dedans. Je pense qu’il ne faut peut être pas faire un design pour ça mais en tout cas l’inciter. Avec ce genre de projet, je pense qu’il faut guider les gens. Je me suis bien rendu compte que dans l’espace, le banc, ça marchait plus. C’était presque une oeuvre d’art, une installation. Parce que le fait d’être vu par tout le monde, ça restreint l’envie d’essayer, même si ils sont curieux.Tout peut se faire par accident, mais ce n’est pas simple de le prévoir. Avec les objets augmentés, on a 132
pas cette notion d’écran qui nous met un peu en retrait. Je pense que c’est la meilleure solution, si on veut vraiment agir pour ça.
Quelles sont tes perspectives pour l’avenir ?
Pour le moment, je reste là où je travaille aujourd’hui parce que j’ai des projets en cours. J’étais rentré là dedans à la base pour faire de la pub. La publicité c’est quand même cool, même si tu as peur de trahir tes convictions. Malgré tout dans la pub tu peux avoir une conscience et réussir à avoir un message bien, à trouver un concept juste, sans avoir à prendre les gens pour des cons. C’est ce défi là que j’aime. Si je dois me tourner quelque chose, c’est sûrement quelque chose de plus interactifs. Rester dans la communication mais me questionner à comment créer des expériences utilisateurs. Créer de la surprise et des expériences auprès des gens. J’aime bien travailler à partir de contraintes, la feuille blanche, ce n’est pas du tout ma démarche.
Propos recueillis par enregistrement et notes 133
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Conclusion « Embellir la réalité n’est plus considéré comme un acte de diversion ou de soumission, mais comme un acte qui s’intègre à un projet de transformation du monde » Le design est par sa discipline, un acte social, car le design est dans la plupart du temps, fait dans l’objectif d’améliorer la qualité de vie des gens peut importe la forme qu’il affirme. Le designer se doit d’être généreux. Il doit toujours mettre le bonheur des autres avant celui de luimême. Comme le dit Andréa Branzi, « Le design est devenu le principal intervenant de la formation du social, l’un des acteurs principaux de la culture du projet. [...] La complexité des relations entre l’homme et les objets est une richesse à cultiver plutôt qu’à gommer »1. Cependant, comme nous l’avons vu dans mon mémoire, lorsque le système s’oppose à tout acte social, le designer finit par sortir du simple travail tangible du façonnage de l’objet, et tend à quelque chose de plus imatériel. L’objet finit par s’oublier, puisqu’il doit s’inscrire dans un espace, il peut être fréné par la collectivité. Le gouvernement mise essentiellement sur la sécurité, et ces aménagements finissent par diviser, plus qu’ils ne regroupent. Le travail du designer social
1. La culture du projet selon Branzi: « Nouvelles de la métropole froide », Blog collectif des étudiants, D6, Marc Armengaud, Ensapm, 2013 136
est à ce moment précis plus difficile à envisager. Nous assistons aujourd’hui à un essort de l’utilisation du virtuel, car il s’affranchit de ces contraintes logistiques. Il permet aussi de modéliser tous nos fantasmes. Il est ainsi nécessaire aujourd’hui en tant que designer, de se questionner sur la légitimité et l’avenir de ces plateformes, de mettre en lumière ses limites. Depuis des années, des chercheurs et des developpeurs s’interessent à créer des interactions sociales numériques, et l’enjeu futur est selon moi, de les traduire physiquement. Ainsi, le « nouveau rôle du design est celui d’un chercheur attentif aux équilibres locaux, aux écologies difficiles au sein d’un monde artificiel ». On remarque que le designer ne se limite plus à créer des produits. D’une part, il peut s’ouvrir uniquement au numérique, et d’autre part, il peut uniquement concevoir des pratiques et des services. Le design social bascule alors de l’activité créatrice à une création de systèmes relationnels. L’engagement social peut s’exprimer sous forme de sociétés à but non lucratifs, à des initiatives sociales d’entreprises, ou encore collaboratives. Est-il alors encore possible de concilier les besoins physiques et les besoins psychologiques d’un groupe social ? D’un point de vue personnel, l’objet a sa place dans les relations humaines, et dans les relations qu’il installe avec nous par le simple fait d’interragir dans notre quotidien. A l’issu de mon mémoire je m’interroge à son futur quant aux initiatives de design social. Il serait pour moi important de réunir concepteurs et utilisateurs. Le design cible parfois une communauté encore trop absente de la conception.Le meilleur moyen pour parler d’un objet social ne serait-il pas de le faire ensemble ? L’acte de faire ensemble, permettra la création d’un objet réunificateur. Ainsi, fabriquons ensemble le lien social de demain. 137
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Crédits images Fig.1 Fig. 2 Fig. 3 Fig. 4 Fig. 5 Fig. 6 Fig. 7 Fig. 8 Fig. 9 Fig. 10 Fig. 11 Fig. 12 Fig. 13 Fig. 14 Fig. 15
• Capture du film Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean- Pierre Jeunet, 2001 • Capture du film I love you, Marco Ferreri, 1986 • Robot Paro, Takanori Shibata, designé en 1993 et mit sur le marché en 2001 http://www.syrobo.org • Mother Sen.se, objet connecté universel crée par Rafi Haladjian, 2014 http://designinteraction.org • http://www.maxi-mag.fr • http://www.intercom-technologies.fr • Capture du film Le Fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet, 2001 • Apple Watch est une montre connectée dévoilée le 9 septembre 2014 par le groupe Apple http://gadget-smartphone.com • Tactilu, bracelet de communication tactile par le collectif PanGenerator, 2013 http://www.creativeapplications.net • http://beautifulnow.is • http://darkroom.baltimoresun.com • Capture du documentaire Cyberpresse • Capture du documentaire Cyberpresse • http://www.atecresa.com • http://www.nicolasnova.net
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Fig. 16 • Fig. 17 • Fig. 18 • Fig. 19 • Fig. 20 • Fig. 21 • Fig. 22 • Fig. 23 • Fig. 24 • Fig. 25 • Fig. 26 • Fig. 27 • Fig. 28 • Fig. 29 •
Life Dress par Ann de Gersem, en 2006 http://hight3ch.com Space dress par Teresa Almeida, en 2005 http://www.electricfoxy.com Capture de la Série Black Mirror, Charlie Brooker, Saison 3 Episode 1, 2014 Capture de la Série Black Mirror, Charlie Brooker, Saison 3 Episode 1, 2014 Table play, Mathieu Lehanneur avec JCDecaux 2013 http://www.archiexpo.fr Application Cuddlr, par Charlie Williams, 2014 http://www.nuestrageneracion.com Actiwait, par le collectif Urban Invention, 2014 http://www.dailymail.co.uk Capture du reportage sur L’idée de l’année, Martin Dunkelmann et ARTE Creative, 2014 Vodoo, par Megan Elisabeth Dinius, Timothée Fuchs, Antoine Furstein, Bastien Girschig, Ecal 2014 http://www.ecal.ch Living light, par le studio Joon and Jung, 2011 http://42concepts.com Light contact, par le collectif scenocosme, 2011 http://www.scenocosme.com Moment of warmth, Duracell, 2014 http://www.infohightech.com Idem http://www.urbanact.com Banc public, banc ludique, Rec-photographie
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Bibliographie Livres • L’objet comme procès et comme action. De la nature et de l’usage des objets dans la vie quotidienne, A. Semprini, Ed. l’Harmattan, 1995 • La métamorphose des objets, Frédéric Kaplan, Ed. FYP, 2009 • La construction du social par les objets, Bernard Blandin, Presses Univesitaires de France, 2002 • Comment l’esprit vient aux objets, Serge Tisseron, Ed. Aubier Montaigne, 1999 • Le lien social, Pierre-Yves Cusset, Ed. Armand Colin, 2007 • Objet banal, objet social, Les objets quotidien comme révélateurs des relations sociales, Isabelle Garabuau- Moussaoui, Dominique Desjeux, Ed. L’Harmattan, 2000 • Le Système des objets, Jean Baudrillard, Col. Les Essais. Gallimard, 1968 • La laideur se vend mal, Raymond Loewwy, Ed. Gallimard, 1990 • L’objet et son lieu, Eliane Chiron et Claire Azéma, Publication de la Sobonne, 2004 • Des objets de rencontre, une saison chez Emmaüs, Lise Benincà, Ed. Joëlle Losfeld, 2014 • Ces machines qui parlent de nous, Anne Eveillard, Ed. Les Quatre Chemins, 2011 • L’être et l’écran, Stéphane Vial, Broché, Ed. PUF, 2013 • The principles of gestalt psychology, Kurt Koffka, New York : Harcourt, Brace, & World, 1935 145
• The Theory of Affordances, James J. Gibson, Ed. Robert Shaw and John Bransford, 1979 • L’âme des objets, François Vigouroux, Hachette Littératures, 2008 • Materiality and Society Paperback, Tim Dant, Ed. Open University Press, 2004 • Les Rites d’interaction, Erving Goffman, Traduit de l’anglais par Alain Kihm, Ed. de Minuit, 1974 • La ville interface, Sandrine Herbert, Mémoire de fin d’études - Ensci Les Ateliers 2007, Sous la direction de Jacques- François Marchandise • Les fondamentaux du design interactif, Gavin Ambrose et Michel Salmond, Ed. Pyramyd, 2013 • L’internet des objets, Internet mais en mieux, Philippe Gautier et Laurent Gonzalez, Ed. AFNOR, 2011 • Design interactif, Patrice Mugnier et Kuei Yu Ho, Ed. Eyrolles, 2012 • L’humanité augmentée, Eric Sadin, Ed. L’échappée, 2013 • Calvin & Hobbes, Bill Waterson • Le 5e écran : Les médias urbains dans la ville 2.0, Bruno Marzloff, Ed. Pearson, 2009 • Les objets transitionnels, Donald Winnicott, Ed. Payot 1969 • Anthropologie phénoménologique des rencontres destinales, Cécile Duteille, Sociologie Université Paul Valéry - Montpellier III, 2003 • Phénoménologie et sciences sociales, Alfred Schutz, Naissance d’une anthropologie philosophique, Daniel Cefaï, Librairie Droz, 1998 • Réalités hybrides, Yacine Ait Kaci et Naziha Mestaoui, Ed. iDEALiD, 2005 • Le design des interfaces numériques en 170 mots-clés, l’APCI, Designers Interactifs, Paris-Region
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Cinéma • • • • • • • • •
Dr.Who and the Daleks, Gordon Flemyng,1965 2001, L’odyssée de l’espace, Stanley Kubrick, 1968 Star-Wars, George Lucas, 1977-2005 I love you, Marco Ferreri, 1986 L’homme bicentenaire; Chris Columbus, 2000 Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, Jean-Pierre Jeunet, 2001 Seul au monde, Robert Zemeckis, 2001 Her, Spike Jonze, 2013 Chappie, Neill Blomkamp, 2015
Télévision • Black Mirror :The entire history of you, Charlie Brooker, Saison 1 Episode 3, 2011 • Black Mirror :White Christmas, Charlie Brooker, Saison 3 Episode 1, 2014 • L’idée de l’année, Martin Dunkelmann et ARTE Creative, 2014
Conférences • Façonner l’avenir : Alastair Fuad-Luke , Fictions, frictions and functions, à l’Ecole des Arts Décoratifs de Paris, 2015 • Brené Brown, dans sa conférence TED : Le pouvoir de la vulnérabilité, Décembre 2010
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Sites Internet • • • • • • • • • • • • • • •
http://www.numerama.com http://www.institut-numerique.org http://www.lemonde.fr http://www.persee.fr http://www.lamachineduvoisin.fr https://medium.com/@jomc http://www.slate.com/authors.evgeny_morozov.html http://www.nicolasnova.net http://www.internetactu.net http://www.sergetisseron.com http://www.blogdumoderateur.com http://www.digicult.it http://vincent-le-corre.fr https://d6metropolefroide.wordpress.com http://www.creativeapplications.net
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Glossaire Application : L’application est synonyme dans une certaine mesure, de logiciel, qui répond à des besoins complexes et variés. Elle désigne aujourd’hui, plutôt un programme répondant à un besoin précis. Typiquement, un éditeur de texte, un navigateur web, un lecteur multimédia, un jeu vidéo, sont des applications. Maladroitement aujourd’hui, on se retreint à parler d’application, seulement en terme d’applications smartphones. Collaboratif : La collaboration associe de nombreuses personnes en vue de réaliser des projets, des recherches […] qui ont une finalité commune. Etymologiquement, le terme signifie « travailler avec », du latin co [avec], et laborare [travailler]. Un des outils les plus connus en terme de travail collaboratif est Wikipédia. Collaborer c’est travailler ensemble, c’est profiter de l’intelligence de tous. Design d’interaction : Il s’agit de la création du dialogue entre une personne et un produit, un service, ou un système. Il est à la fois physique et émotionnel par nature et se manifesre par la forme, la fonction, et la technologie. Design participatif : Pratique qui cherche à impliquer activement l’utilisateur dans plusieurs phases de création d’un objet, d’un service ou d’une construction architecturale. La démarche permettrait de mieux s’assurer que les besoins des utilisateurs sont comblés. La participation est différente de la collaboration, car elle n’exprime pas la notion de groupe. 151
Design social : Là où le design traditionnel s’attache aux envies de l’individu pour créer des produits à but essentiellement lucratif, le design social s’attache aux individus en tant que groupe ( communauté) sans pour autant négliger les besoins individuels, afin de créer des produits et services à but socio-culturel. Géolocalisation : Elle rassemble les technique et les méthodes qui permettent de définir les coordonnées géographiques d’un objet ou d’une personne sur une carte et de les représenter. Elle peutêtre obtenue par l’adresse IP, la radio-identification, ou par réseau GSM ou GPS. Intelligence artificielle : C’est la science dont l’objectif est de faire effectuer par une machine des tâches que l’homme accomplit en utilisant son intelligence. Interface : Le terme en informatique, désigne un dispositif permettant l’échange d’information entre deux systèmes ( Dictionnaire Larousse, 1979 ). Une interface n’est pas simplement numérique, puisque le fait d’ouvrir la porte fait de la poignée une interface. Le fait d’utiliser celle-ci va créer une interaction avec la porte, et le fait de l’ouvrir. Le terme d’interface est aussi utilisé pour désigner une personne qui sert d’intermédiaire pour des échanges entre des sourds-muets et des personnes entendantes. ( Synthétisation de définitions contenues sur le site Wikipédia et dans le mémoire de fin d’étude La ville interface de Sandrine Herbert ) Interface gestuelle : Elle permet d’interpréter les mouvements du corps humain et de les utiliser dans un dialogue homme-machine, sans la médiation d’un dispositif mécanique comme la souris ou le clavier.
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Interface haptique : Mode d’interraction faisant appel à notre sens «tactilo-kinesthétisique». Elles induisent un contact cutané actif avec le dispositif. Par extention, les interfaces tactiles qui ne sollicitent pour leur part qu’un contact «passif» avec la peau, y sont également comprises. No-tech : Néologisme exprimant les objets inertes, qui n’ont pas de technologies ajoutées Virtuel : Adjectif utilisé pour désigner ce qui est seulement en puissance, sans effet actuel. Aujourd’hui, on utilise souvent cet adjectif pour désigner ce qui se passe dans un ordinateur ou sur Internet, c’est-à-dire dans un « monde numérique » par opposition au « monde physique ».
Les définitions sont la synthèse de réfléxions présentes dans Le design des interfaces numériques en 170 mots-clés, l’APCI, Designers Interactifs, Paris-Region 153
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Remerciements Je souhaite ici remercier tous ceux qui ont eu la patience, la gentillesse de lire mes parties, ou l’ensemble de mon mémoire et qui m’ont adressé leurs inspirations, leurs références, leurs critiques, ou encore leurs remarques. Je remercie Max Mollon, qui sans lui, n’aurait pas été aussi précis. Qui de manière passionnée a suivi, et guidé mon travail de recherche, et qui a toujours trouvé du temps à me consacrer. Merci à Anna Bernagozzi, merci pour sa connaissance, sa réflexion autour du design pour l’innovation sociale, et son écoute. Je remercie mon entourage, qui m’a écouté, et m’a soutenu dans mes moments de doutes et de faiblesses. Merci à ma famille toute entière, à Guillaume Brame, à Céline Brunel, Louis Charron, Dimitri Zéphyr qui ont tous prit le temps de m’aider et de m’écouter, et avec qui on a beaucoup partagé. Et je remercie aussi tous ceux qui indirectement, dans leur travail, leur manière de penser, m’ont permit de concrétiser mon choix de recherche dans ma discipline : Talia Radford, Catalina Scalbert avec qui j’ai eu le plaisir de travailler durant mon stage; Romain Benard pour le riche échange, agréable et constructif; Sophie Krier, pour la dimension de recherche qu’elle a instauré cette année dans notre travail; les invités du cycle Façonnons l’avenir qui m’ont ouvert à d’autres réflexions; mes amis allemands et mon l’école d’accueil HfG à Karlruhe qui m’a permit de me confronter à la notion d’échange; et encore l’équipe pédagogique de deuxième année pour l’élaboration du sujet Empathie qui a ouvert ma curiosité et mon intérêt pour la thématique altruiste particulière du design. 155
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Achevé d’imprimer à l’Ecole Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, Paris, Mai 2015 157
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