6 minute read
Ifremer
L’ADN DANS TOUS SES ÉTATS POUR SUIVRE LES ESPÈCES ET LES ÉCOSYSTÈMES MARINS
Advertisement
Ci-dessus : filtration des échantillons d’espèces ciblées avec la planche autonome. © Ifremer
La génétique ouvre de nouvelles portes aux scientifiques en écologie marine pour appréhender la biodiversité unique et riche des écosystèmes de l’océan Indien. Les quatre lettres de l’ADN qui contiennent toute l’information génétique permettent d’identifier des espèces, de déterminer leur âge et leur sexe, leur présence dans l’environnement à partir d’échantillons d’eau de mer et même bientôt leur maturité sexuelle et leur espérance de vie.
Contributeurs au programme de recherche Atlasea, les scientifiques de la Délégation Ifremer de l’Océan Indien (DOI) observent la biodiversité et l’état de santé des espèces marines des 71 millions de km ² de l’océan Indien à l’aide de l’ADN, molécules de quelques nanomètres de diamètre. « Différentes techniques de biologie moléculaire ont révolutionné notre compréhension du monde marin, à l’échelle des individus, des populations ou de tout l’écosystème », s’enthousiasme Sylvain Bonhommeau, chercheur en écologie marine à la DOI.
En adaptant aux poissons une technique développée il y a une dizaine d’années par des chercheurs californiens à partir de marqueurs à la surface de l’ADN qui vont réguler l’expression des gènes (les horloges génétiques), l’équipe de la DOI a identifié celles de l’espadon et du germon en estimant leurs âges avec une précision de moins d’un an et avec seulement 30 milligrammes de tissu. « Cette nouvelle méthode permet de décupler notre capacité d’observation car à l’heure actuelle, l’âge est estimé à l’aide de petites pièces calcifiées dans l’oreille interne des poissons, les otolithes, sur lesquels on observe des stries annuelles comme les cernes sur les troncs des arbres. Cette méthode est très chronophage. De plus, les poissons auxquels nous avons accès proviennent de la pêche et sont étêtés et donc sans otolithes », précise Sylvain Bonhommeau.
Pour gérer l’exploitation des espèces marines, les gestionnaires ont besoin de connaître le nombre d’individus et leur évolution dans le temps avec la pression de pêche et les changements environnementaux. La DOI applique une nouvelle méthode d’estimation d’abondance sur la population de l’espadon : le « Close-Kin Mark Recapture ». « Il s’agit de retracer la généalogie de la population à partir des liens de parenté entre des individus échantillonnés.
Si vous prenez 1000 personnes au hasard à La Réunion, vous avez beaucoup de chance d’avoir des liens de parenté. Mais si vous prenez 1000 personnes en Inde, vous aurez peu de chance d’avoir ces liens. Il y a donc un lien entre la taille de la population et le nombre de liens de parenté que l’on a dans un échantillonnage aléatoire », résume Thomas Chevrier, VSC à la DOI. Une première étape a été franchie en 2023 à partir d’analyses sur 2 000 espadons dans tout l’océan Indien, qui ont permis de trouver quelques parents et enfants, des frères et sœurs. Il faudra en collecter beaucoup plus, environ 20 000, pour avoir des indicateurs robustes.
Une autre méthode utilisée, dite d’ADN environnemental, permet d’identifier les espèces présentes au moment d’un prélèvement d’eau de mer, en passant à travers des filtres microscopiques qui récupèrent cet ADN. Les chercheurs ont intégré ce système de filtration à une planche autonome pour échantillonner les lagons réunionnais et déterminer la biodiversité entre les lagons dans le temps. Un bodysurf équipé de propulseurs et d’un autopilote est programmé pour aller chercher et filtrer des échantillons d’eau dans les lagons, puis revenir sur la plage pour que les filtres soient analysés au laboratoire. Ce nouveau moyen de collecte permet l’accès à des zones difficiles avec des très faibles profondeurs et de retourner aux mêmes endroits pour comparer les résultats, dont les premiers sont attendus pour juin 2023.
INTERVIEW
MATTEO CONTINI, DE VSC À DOCTORANT
• Matteo, tu es arrivé comme VSC à la Délégation Océan Indien. Aujourd’hui, tu prépares une thèse. Peux-tu nous décrire les étapes importantes sur cette évolution de poste ?
- Je suis arrivé il y a un peu plus de deux ans, c’était ma première longue expérience de travail. Dès le départ, j’ai été impressionné par l’environnement. L’atmosphère sur l’île, et aussi sur le lieu de travail, est détendue et amicale. Les gens s’entraident facilement et les relations humaines me rappellent celles de l’Italie, de l’Espagne ou de l’Amérique du Sud. Les missions qui m’ont été confiées correspondaient à ce que je souhaitais : un mélange de terrain et d’analyse/traitement de données au bureau.
Je ne pensais pas faire une thèse dans ma vie, et encore moins à La Réunion. Mais à la fin de mon contrat, j’ai pris conscience que j’aimais beaucoup mon travail et que je n’étais pas prêt à quitter l’île. Lorsque Sylvain Bonhommeau m’a proposé un sujet de thèse, j’ai accepté sans hésiter ! Je crois que l’étape la plus importante qui m’a conduite sur la voie du doctorat est le côté humain que j’ai trouvé ici à La Réunion.
• Sur quoi va porter le sujet de ta thèse ?
- Le titre est « Multi-scale mapping of changes in tropical reefs ». L’objectif principal est de suivre l’évolution de l’état des récifs tropicaux dans l’océan Indien en fournissant des cartes temporelles des différents habitats (coraux, herbiers, sable, roches...), des différentes classes du « Global Coral Reef Monitoring Network » (GCRMN) et des espèces emblématiques telles que les concombres de mer, oursins, palourdes, espèces de poissons...
Pour atteindre cet objectif, je vais développer un algorithme d’identification à fine échelle en utilisant les données d’un véhicule de surface automatisé (ASV) équipé de caméras sous lumière visible et UV, ainsi que les données du projet citoyen Seatizen. Ceci inclut l’entraînement et les prédictions validés sur les différentes zones locales échantillonnées à La Réunion, Mayotte, Europa, aux îles Glorieuses et Aldabra afin de garantir une grande diversité de récifs tropicaux.
Ensuite, je vais concevoir des outils de « deep learning ». Les prédictions des données de l’ASV seront utilisées pour entraîner l’algorithme utilisant les données des drones, et les prédictions des données des drones seront utilisées pour entraîner l’algorithme utilisant les données des satellites.
Au final, des indices de l’évolution des habitats et des aires de distribution des classes GCRMN seront produits en appliquant l’algorithme entraîné sur l’imagerie satellite aux récifs de l’océan Indien sur différentes périodes.
• Que mettrais-tu en valeur dans l’environnement de travail à la DOI ?
- L’air que l’on « respire » à La Réunion est bien ce qui m’a poussé à rester trois ans de plus. Dans mon bureau, je suis entouré de personnes qui me stimulent intellectuellement et humainement. Les échanges de vues autour d’un bon café ne manquent jamais et avec bon nombre de collègues, je me retrouve même en dehors des heures de travail pour partager des passions communes qui tournent principalement autour de la montagne et, bien sûr, de la mer !