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Polynésie française

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TAAF

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« À CONTRE-COURANT », UN ROBINSON CRUSOÉ 2.0

Huit mois sur un atoll désert avec comme seule compagnie des crabes et des oiseaux. C’est l’aventure humaine et scientifique que Matthieu Juncker a débutée il y a quelques jours aux Tuamotu. Un rêve d’enfant, pour témoigner de la beauté et la diversité de ces îles aujourd’hui menacées par des pressions humaines, et inciter à l’action. 

C’est un projet un peu fou qui anime Matthieu Juncker, biologiste marin de formation. Un rêve de gosse qui, enfin, voit le jour. « Depuis tout petit, cette vie de Robinson me passionne. Mais, il faut parfois attendre longtemps avant de vivre ses rêves ! » nous a confié peu avant son départ Matthieu Juncker, coordonnateur régional sur la pêche côtière et l’aquaculture dans le cadre du projet européen PROTEGE, pour la Communauté du Pacifique (CPS).

Après ses études en biologie marine, il découvre, lors de son stage de master, l’île de Moorea en Polynésie française. « La diversité des poissons coralliens, la beauté des îles, la culture polynésienne marquent un virage décisif dans mon parcours. Je cherche alors par tous les moyens à revenir dans le Pacifique ».

C’est chose faite en 2002 où il pilote les missions d’observation du milieu marin de Walliset-Futuna. Trois ans plus tard, un doctorat en écologie marine en poche, il se forme au recueil des savoirs écologiques et à la gestion de projets multiculturels. À 32 ans, en 2009, il prend la direction de l’Observatoire de l’environnement en Nouvelle-Calédonie (OEIL) jusqu’en 2019, puis travaille pour la CPS.

Matthieu Juncker est aussi photographe sous-marin et auteur de plusieurs ouvrages.
© Claude Bretegnier 

UN BEAU JOUR, TOUT LÂCHER POUR PARTIR VIVRE SUR UN ATOLL DÉSERT

Avec une vie professionnelle très bien remplie, une femme, deux enfants, Matthieu a laissé son rêve de côté. Puis, il y a deux ans, il se lance. « Je me suis dit que c’était maintenant ou jamais ». Il monte un projet intitulé « À contre-courant », sans financements, avec cette idée de vivre pendant 240 jours en parfaite autonomie sur un atoll du Pacifique. Pour prendre le temps d’observer la nature, de témoigner des impacts des activités humaines, du dérèglement climatique sur ces îles extraordinaires de par leur biodiversité. Pour vivre une aventure humaine également, affronter la solitude, l’autarcie.

Atoll en Polynésie française.
© Matthieu Juncker

Au fil du temps, des partenaires comme l’Office français de la biodiversité (OFB) et le fonds de dotation Paul-Émile Victor le rejoignent et le projet se concrétise. Début avril, il quitte la Nouvelle-Calédonie où il réside pour atterrir à Tahiti. Dix jours pour peaufiner la préparation de la mission, des échanges avec les équipes médicales, la récupération du matériel nécessaire à ces huit mois de vie sauvage.

Car Matthieu doit se nourrir avec les seules ressources disponibles sur place, s’abriter et, bien sûr, réaliser chaque jour des suivis scientifiques. Derrière la carte postale se cache une réalité difficile. « Pour la nourriture, je vais devoir pêcher. Pour cela, j’ai un kayak à voile et du matériel de chasse sous-marine ». Mais sur un motu isolé, le plus dur est de trouver de l’eau douce.

Atoll en Polynésie française.
© Matthieu Juncker
Raie léopard.
© Mariane Aimar

C’est donc équipé d’un dessalinisateur rustique relié à des panneaux solaires qu’il est parti à l’aventure. Avec la hantise de la panne bien sûr. C’est pourquoi il dispose également d’une bâche qui va lui servir à récolter l’eau de pluie. S’il pleut. Pour l’apport en fruits et légumes, il compte sur les cocotiers et quelques pourpiers bord de mer. Une vie d’ascète dans laquelle il devra aussi lutter contre la chaleur, l’air salin, le soleil, les houles parfois dévastatrices qui font monter la mer loin sur l’atoll…

Surnommé « titi », le chevalier des Tuamotu (Prosobonia parvirostris) est un oiseau terrestre en danger d’extinction.
© Matthieu Juncker

UNE IMMERSION AU CŒUR DE LA NATURE

Jusqu’à Noël 2024, Matthieu Juncker affrontera seul la vie sauvage et procédera à de nombreux relevés scientifiques. Il évaluera en particulier l’état des populations d’un oiseau menacé d’extinction, le « chevalier des Tuamotu » et de ses prédateurs, les rongeurs. Cet oiseau endémique de l’archipel est emblématique d’un milieu vulnérable. Il ne survit que là où son habitat est préservé. Matthieu suivra par ailleurs la température de l’eau de mer, la hauteur des vagues, la progression de l’érosion littorale, la ponte des tortues marines, l’étendue des polluants plastiques.

Requins dans les passes.
© Mariane Aimar

« Le but est d’analyser les impacts des activités humaines dans ce lieu isolé et pourtant menacé. Car s’il existe plus de 400 atolls sur la planète, dont près d’une centaine en Polynésie française, leur survie tient aujourd’hui à un fil. Si le récif venait à mourir, ces paradis terrestres pourraient tout simplement être rayés de la carte. Ainsi que toute la biodiversité qu’ils abritent. Il est donc plus qu’urgent de les étudier pour les faire connaître et inciter à leur préservation. »

L’état des coraux sera étudié.
© Mariane Aimar
Rédaction : Mariane Aimar
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